M. le président. L'amendement n° 34, présenté par MM. Anziani et Yung, Mme Espagnac, MM. Guillaume, Sueur, Marie, Vaugrenard, Vincent et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Remplacer les mots :

un préjudice grave

par les mots :

une menace ou un préjudice graves

II. – Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Le projet de loi que nous examinons en nouvelle lecture définit le lanceur d’alerte comme une personne qui révèle ou signale un préjudice grave pour l’intérêt général. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale faisait en outre référence à une « menace » grave pour l’intérêt général. La commission a supprimé cette notion, qu’il semble pourtant nécessaire de maintenir, car, comme je l’indiquais précédemment, signaler une menace peut permettre d’empêcher la réalisation du préjudice.

Par ailleurs – c’est une question symbolique importante –, faut-il rappeler ce qui existe déjà dans la loi ? Aujourd'hui, toute personne qui commet une faute peut voir sa responsabilité engagée. Or le texte prévoit que le lanceur d’alerte peut voir sa responsabilité engagée à la fois pénalement et civilement en cas de faute. On l’a suffisamment répété : évitons les lois bavardes et les dispositions superfétatoires. Par conséquent, est-il nécessaire de rappeler dans cet article ce qui est déjà écrit dans la loi, sauf si le but est de dissuader en faisant peur ? Ce n’est pas l’esprit du projet de loi. Dès lors, autant supprimer cette mention.

M. le président. L'amendement n° 114, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Remplacer les mots :

un préjudice grave

par les mots :

un risque ou un préjudice graves

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement s’inscrit totalement dans les préoccupations exprimées à l’instant par notre collègue Anziani. Seul change le vocabulaire : l’amendement n° 34 vise à réintroduire le terme « menace » ; pour notre part, nous préférons le mot « risque ».

La commission a supprimé du texte de l’Assemblée nationale le terme « menace », invoquant un concept un peu flou. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, le mot est de surcroît polysémique et souvent utilisé dans le champ des alertes sanitaires et environnementales pour des phénomènes de très grande ampleur – changement climatique, pandémies, obésité mondiale, etc. –, ce qui nous éloignerait du dispositif envisagé dans ce texte.

Toutefois, en procédant à cette suppression, vous amputez le champ de l’alerte, en la cantonnant aux faits réalisés, au danger ayant déjà engendré un dégât ou un préjudice. C’est nier l’un des rôles utiles de l’alerte, à savoir empêcher la réalisation du pire.

Prenons l’exemple du Mediator. Signaler, voire révéler les conflits d’intérêts des experts et révéler que, malgré dix-sept réunions de la commission de pharmacovigilance entre 1995 et 2005, le benfluorex était systématiquement retiré de l’ordre du jour aurait évité des milliers de victimes à venir, pour lesquelles le préjudice n’avait pas encore eu lieu. Il s’agissait donc de signaler un risque.

Voilà pourquoi mon amendement vise à introduire, avec la même intention que mon collègue Anziani, le terme consacré et juste de « risque », valable en matière sanitaire et usité dans d’autres lois.

M. le président. L'amendement n° 69, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. La rédaction de l’alinéa 1 du présent article insiste sur le caractère « désintéressé » et « de bonne foi » du signalement. Évoquer le signalement abusif ou déloyal dans un chapitre sur la protection des lanceurs d’alerte, qui plus est au sein d’un article qui tend à leur donner une définition juridique, nous semble donc malvenu. Je rejoins complètement les propos de mon collègue Anziani.

De plus, pour suivre la logique de la commission, laquelle a supprimé les dispositions de l’article 6 B relatives à la possibilité pour le lanceur d’alerte faisant l’objet d’un licenciement de saisir le conseil des prud’hommes, nous jugeons l’alinéa 3 superfétatoire. En effet, le lanceur d’alerte, comme toute personne, est soumis au régime de droit commun qui encadre l’engagement de sa responsabilité civile et pénale, prévu à l’article 1240 du code civil et à l’article 226-10 du code pénal. Inutile d’en rajouter !

M. le président. L'amendement n° 110, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer les mots :

ou déloyal

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Le signalement abusif suffit à caractériser la faute d’un prétendu lanceur d’alerte. La notion de « déloyauté » n’apporte rien à ce texte, si ce n’est de l’incertitude s’agissant du niveau de loyauté : loyauté envers l’entreprise, la famille, l’intérêt général ?

Le Conseil de l’Europe est très clair. Sa recommandation aux États membres « encourage un changement de paradigme, l’alerte n’étant plus considérée comme un manquement à la loyauté, mais comme une responsabilité démocratique. » C’est écrit noir sur blanc !

Conserver le qualificatif « déloyal » serait une régression, y compris par rapport au droit actuel, et ouvrirait la porte à toutes les contestations en justice des démarches utiles à l’intérêt général. Ne pourrait-on imaginer, par exemple, que soit qualifiée de « déloyale » envers l’établissement la démarche des médecins qui ont lancé l’alerte au sujet du surdosage de la radiothérapie dispensée dans les années 2000 par l’hôpital d’Épinal ? Et que dire des cas où une entreprise connaît des difficultés financières et doit affronter un sinistre dû à un dysfonctionnement qu’elle n’a pas traité ? Tout salarié, alors, sera considéré comme « déloyal » dans sa démarche.

Ce qualificatif, Irène Frachon l’a entendu dans les services de son établissement hospitalier : certains de ses supérieurs hiérarchiques lui ont dit : « Madame, vous êtes déloyale ! » Laisser traîner cet adjectif dans notre droit constituerait une régression par rapport à l’état actuel des codes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Il me semble inutile et dangereux d’élargir la définition de l’alerte, comme il est proposé au I de l’amendement n° 67. La rédaction de l’Assemblée nationale convient parfaitement.

Quant à la suppression du mot « déloyal », il me semble que cette notion est suffisamment bien définie en droit civil comme en droit de la procédure pénale. Surtout, l’adjectif « déloyal » n’est pas synonyme de l’adjectif « abusif ».

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 34 vise à rétablir la notion de menace pour l’intérêt général dans le champ d’application des dispositions relatives au lanceur d’alerte.

En réponse aux propos tenus au cours de la discussion générale, j’appelle l’attention de M. le ministre sur un point : le mot « menace » est le seul que la commission des lois ait retiré de la nouvelle définition qui a été retenue. Pourquoi ? Parce que cette notion est insuffisamment précise et trop subjective pour fonder un régime d’irresponsabilité pénale. Imagine-t-on accorder une irresponsabilité pénale à des gens qui, en toute bonne foi, dénonceront des éléments qu’ils considèrent comme une menace, laquelle se révélerait pourtant infondée ? Les conséquences pourraient être désastreuses.

Par ailleurs, cet amendement tend à supprimer l’engagement de la responsabilité du lanceur d’alerte abusif sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Certes – cette remarque figurera au Journal officiel –, la responsabilité du lanceur d’alerte abusif ou de mauvaise foi pourra de toute façon être recherchée, afin que les préjudices qu’il aura pu causer soient indemnisés. Néanmoins, cette précision nous paraît utile, non pas pour lui faire peur, mais pour l’avertir des risques encourus. En effet, il ne faudrait pas que les juridictions estiment que cette réparation civile doit intervenir sur le fondement de l’infraction de diffamation, ce qui priverait la victime de toute réparation.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

L’amendement n° 114 vise à remplacer la notion de « menace » – de ce point de vue, ses auteurs apportent des arguments à l’appui de ma thèse – par celle de « risque ». Mais je ferai au mot « risque » la même critique qu’au mot « menace » : il est insuffisamment précis. Cela pourrait même poser un problème eu égard à la constitutionnalité du texte : comment admettre que l’on crée ce qui est extrêmement rare dans notre droit, à savoir une irresponsabilité pénale totale, sans avoir défini avec la plus grande précision les conditions dans lesquelles on pourrait être ainsi pénalement irresponsable, ou en tout cas jouir d’une immunité pénale ?

Ma chère collègue, je voudrais tenter de vous rassurer : le texte fait bien référence à la violation d’une loi et à la dénonciation d’un crime ou d’un délit. La commission des lois n’a pas touché à la rédaction qu’a désormais adoptée l’Assemblée nationale. Dans la mesure où la mise en danger de la vie d’autrui ou la violation d’une obligation particulière de sécurité, pour une personne morale, constituent des délits, le lanceur d’alerte a la possibilité d’agir.

J’espère que ces précisions seront de nature à vous rassurer, au moins partiellement. En cherchant un peu, nous aurions peut-être pu trouver, dans notre droit pénal, d’autres délits susceptibles de vous rassurer.

Il se peut que ces éléments ne vous satisfassent pas. Mais j’insiste beaucoup – cela figurera au compte rendu de nos débats – sur le fait que le terme « délit » recouvre un grand nombre d’hypothèses, dont les exemples que vous avez cités.

La commission des lois a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Concernant l’amendement n° 69, qui vise à supprimer l’engagement de la responsabilité des lanceurs d’alerte, j’ai déjà expliqué les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable.

Quant à l’amendement n° 110, qui tend à limiter l’engagement de la responsabilité pénale et civile au seul signalement abusif, mon commentaire est identique à celui que j’ai donné au sujet de l’amendement n° 67.

C’est avec regret que je me vois obligé de confirmer l’avis défavorable émis par la commission sur l’ensemble de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Concernant l’amendement n° 67 de Mme Assassi, qui vise à supprimer le mot « déloyal », je m’en remets à la sagesse du Sénat.

Le Gouvernement est évidemment favorable à l’amendement n° 34 de M. Anziani, qui tend à réintroduire le terme « menace » dans le texte. Ce sujet a d’ailleurs été l’un des plus débattus lorsqu’il s’est agi de compléter la définition du lanceur d’alerte.

Dès lors que nous réintroduisons le terme « menace » dans le projet de loi, madame Blandin, je ne peux être favorable à l’amendement n° 114. D’ailleurs, peut-être pourriez-vous le retirer ? Je pense que cet ajout devrait répondre à votre préoccupation.

Enfin, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 69 de Mme Assassi et s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 110 de Mme Blandin, qui a pour objet de supprimer le mot « déloyal ».

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur l'amendement n° 34.

Mme Marie-Christine Blandin. Nous voterons l’amendement de M. Anziani : c’est toujours mieux que rien !

Monsieur le rapporteur, vous nous dites de ne pas nous en faire : introduire la notion de « risque » serait inutile, parce que le lanceur d’alerte est protégé dès lors que les faits constituent un délit. Mais je pense que nous ne raisonnons pas à partir des mêmes histoires. Je reprends l’exemple d’Irène Frachon, parce qu’il est connu de tous. Avoir floué les experts pour mettre sur le marché un médicament dangereux est un délit, mais cette affaire, qui est vieille de plusieurs années, est encore devant la justice. Or tant qu’une juridiction n’a pas qualifié les faits, le lanceur d’alerte n’est pas protégé. Voilà pourquoi il est nécessaire d’inscrire le risque comme fondateur d’une alerte légitime.

L’amendement de M. Anziani étant mis aux voix avant le nôtre, nous le voterons, même si dans le domaine sanitaire sont définis le « danger » et le « risque », mais non la « menace ». Si cet amendement est adopté, monsieur le ministre, le mien tombera. Dans le cas contraire, je maintiendrai mon amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 34.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 114.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 69.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 110.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 6 A.

(L'article 6 A est adopté.)

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Article 6 A (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Discussion générale

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

4

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Mes chers collègues, comme à chaque fois, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect et l’écoute des uns et des autres.

Je demande également à chaque intervenant de respecter le temps de parole qui lui est imparti.

négociations européennes sur les quotas de rhum

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du RDSE.

M. Guillaume Arnell. Les producteurs de rhum traditionnel, principalement ceux de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, bénéficient d’une fiscalité réduite pour le rhum exporté vers la France métropolitaine, dans la limite d’un contingent de 120 000 hectolitres d’alcool pur, en vertu d’une décision du Conseil européen en date du 20 février 2014. Cette décision s’applique rétroactivement au 1er janvier 2012 et vaut jusqu’au 31 décembre 2020.

Cependant, ce contingent, en raison de la progression de la vente dont jouissent les rhums, a été atteint fin 2015, alors qu’une révision à mi-parcours n’est prévue qu’en juillet 2017. Ainsi, l’approvisionnement de la grande distribution risque de ne plus être assuré ; s’il l’est, ce sera sans bénéficier d’un taux d’accise réduit.

Certes, des négociations ont été engagées entre les autorités françaises et Bruxelles, mais celles-ci semblent aujourd’hui au point mort. Comment contraindre la Commission européenne à revoir sa position et à augmenter le quota en l’indexant sur le taux de progression des ventes ? Comment rassurer une profession qui a fait des sacrifices et produit un rhum de qualité, mondialement reconnu ? Ses parts de marché méritent d’être préservées et les emplois sauvegardés ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer. Le rhum fait partie des produits sur lesquels repose l’économie des régions ultrapériphériques. La filière canne-rhum est l’un des principaux secteurs fournisseurs d’emplois dans les outre-mer. Elle représente près de 40 000 emplois dans les DOM, dont 22 000 emplois directs.

Je partage avec vous une volonté politique, monsieur le sénateur, celle de soutenir le développement de ce secteur. Cela passe par le maintien de sa spécificité et par son accès aux marchés national et européen.

Des mesures peuvent en effet être prises pour les régions ultrapériphériques, en raison de leur situation et de leurs caractéristiques structurelles. C’est d’ailleurs ce que j’ai réaffirmé lors de la 21e conférence des RUP, à Madère, le 23 septembre dernier. La fiscalité réduite que vous évoquez permet ainsi de rétablir, pour le rhum des DOM, des conditions de marché plus équitables face à la concurrence des rhums extracommunautaires.

Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé pour porter auprès de la Commission européenne une demande d’augmentation du contingent fiscal annuel qui s’applique au rhum des DOM mis à la consommation dans l’Hexagone. Nous avons présenté une demande à Bruxelles pour une augmentation du contingent de 120 000 à 144 000 hectolitres d’alcool pur, le quota actuel pouvant être légèrement dépassé en toute fin d’année. Ainsi, sur mon initiative, une note des autorités françaises a été transmise à la Commission le 3 octobre 2016, et une rencontre interviendra très prochainement à Bruxelles sur ce sujet.

Enfin, je rappelle, comme vous l’avez fait, qu’une évaluation à mi-parcours de l’actuel dispositif devra intervenir en juillet 2017. Cela pourra être l’occasion de proposer des évolutions du dispositif.

Monsieur le sénateur, vous pouvez donc compter sur ma détermination à défendre ce dossier très important pour les régions ultrapériphériques. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour la réplique.

M. Guillaume Arnell. Lorsque vous m’avez reçu à l’occasion de votre nomination, madame la ministre, vous m’avez fait part de votre détermination à défendre l’ensemble des régions d’outre-mer, détermination dont je ne doute pas un seul instant. J’en veux pour preuve que le Gouvernement a pris la mesure du problème.

Ce que j’ai voulu souligner ici, c’est l’inquiétude de nos producteurs, qui ont consenti des sacrifices pour produire un rhum de qualité – aujourd’hui, le rhum de la Martinique est classé en AOC. Face à un marché en pleine expansion, il s’agit de ne pas laisser cette hausse de la demande bénéficier à des rhums de pays tiers, qui sont de moindre qualité. Je souhaite donc simplement, madame la ministre, que vous puissiez bousculer un petit peu la lenteur de Bruxelles pour rassurer nos producteurs. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et de l’UDI-UC.)

décret instituant un fichier commun aux passeports et aux cartes d'identité

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.

M. Jean Desessard. Ma question s’adresse au Premier ministre.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il n’est pas là !

M. Jean Desessard. Elle se fait l’écho des fortes réserves des écologistes quant à l’instauration du fichier des titres électroniques sécurisés.

Hier, à l’occasion des questions au Gouvernement, le député Lionel Tardy s’inquiétait, à juste titre, de la création par décret, au milieu d’un week-end de quatre jours, d’un colossal fichier regroupant l’état civil et les données biométriques de plus de 60 millions de Français. Ce « monstre », pour reprendre le terme de notre collègue Gaëtan Gorce, membre de la CNIL, pose de nombreuses questions relatives à son utilisation, à sa sécurisation et, plus largement, au respect des libertés individuelles.

M. Jean Desessard. En guise de réponse, le ministre de l’intérieur a cru bon de préciser que ce fichier était totalement validé par la CNIL, ce qui constitue un curieux résumé de l’avis de cinq pages de la CNIL, mettant en avant un nombre considérable de réserves que le temps qui m’est imparti ne me permet pas de lister ici.

M. Bruno Sido. Dommage !

M. Jean Desessard. Ainsi, la présidente de la CNIL précise, dans un entretien à l’AFP, que la constitution d’un tel fichier « nécessite un débat au Parlement. Il ne nous paraît pas convenable qu’un changement d’une telle ampleur puisse être introduit, presque en catimini, par un décret publié un dimanche de Toussaint ». Dans son avis, la CNIL regrette également l’absence d’étude d’impact et demande une évaluation complémentaire du dispositif.

Monsieur le Premier ministre, pour vous conformer à l’avis de la CNIL et par respect de la démocratie, allez-vous organiser le débat parlementaire que la constitution d’un tel fichier exige ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Vous m’interrogez, monsieur le sénateur, sur le traitement des titres électroniques sécurisés, qui consiste à réunir deux fichiers existants, celui qui gère les cartes d’identité, obsolète, et celui qui gère les passeports, et qui fonctionne bien. Il s’agit là, tout simplement, de faciliter et de sécuriser la délivrance de titres d’identité pour nos compatriotes et de lutter contre les usurpations d’identité.

Le décret publié la semaine dernière – vous ne l’avez peut-être pas suffisamment souligné ; je me permets de le faire – interdit formellement et explicitement tout usage à des fins d’identification biométrique. En effet, tous les éléments d’information biométrique, tant les empreintes que les photographies, sont juridiquement exclus du dispositif. En outre, la construction technique de l’outil élimine systématiquement la possibilité d’y inclure de tels éléments : il s’agit de bases de données séparées et d’algorithmes totalement différents, de telle sorte que, techniquement, l’introduction par cryptage d’empreintes ou d’éléments photographiques est impossible.

Ce décret a évidemment été soumis au Conseil d’État, lequel a rendu un avis positif. Cet avis sera publié, monsieur le sénateur.

Je veux insister, comme vous l’avez fait, sur l’avis de la CNIL. Il est utile d’en citer l’intégralité : la CNIL a reconnu que les finalités du fichier TES sont « déterminées, explicites et légitimes », comme l’avait souhaité le Conseil constitutionnel en 2012 – comme vous le savez, un décret précédent présentant un certain nombre de difficultés avait été annulé.

M. Gaëtan Gorce. Il faut citer complètement cet avis !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Le choix de recourir au décret et non pas à la loi est évidemment conforme à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et a été approuvé par le Conseil d’État.

Certains ont par ailleurs fait remarquer qu’un autre gouvernement pourrait, s’il le souhaitait, modifier les conditions d’utilisation de ce fichier. Je répète que cela serait impossible au regard de la décision du Conseil constitutionnel…

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. … et de la construction technique que j’ai mentionnée.

Voilà, monsieur le sénateur, des éléments précis qui vous rassureront sur la totale sécurité qui entoure l’existence et l’utilisation de ce fichier.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.

M. Jean Desessard. Quelle meilleure réponse que celle de l’actuel garde des sceaux, en date du 6 mars 2012, sur un projet similaire : « Ce texte contient la création d’un fichier à la puissance jamais atteinte dans notre pays puisqu’il va concerner la totalité de la population ! Aucune autre démocratie n’a osé franchir ce pas. Or qui peut croire que les garanties juridiques que la majorité prétend donner seront infaillibles ? Aucun système informatique n’est impénétrable. Toutes les bases de données peuvent être piratées. Ce n’est toujours qu’une question de temps. Nous considérons donc que l’existence de ce fichier sera une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée. »

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean Desessard. Cette citation est tout à fait d’actualité. Elle est d’ailleurs encore visible sur le blog personnel du garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Gaëtan Gorce. Très bien !

M. Jérôme Bignon. Bravo !

grève à i-télé

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Patrick Abate. Les salariés d’i-Télé ont entamé ce matin leur dix-neuvième jour de grève. Au cœur de leurs revendications : la question de l’indépendance des médias. Pour seule réponse : le mépris de leur direction.

Mme la ministre de la culture a annoncé la semaine dernière que le CSA statuerait sur le respect par la direction d’i-Télé de la convention d’éthique de la chaîne. Il nous faudra attendre ce soir, vers dix-sept heures, pour connaître cette position.

Cela étant, lors de la discussion parlementaire sur la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, les propositions de notre groupe pour renforcer l’indépendance des médias et améliorer les conditions d’exercice du métier de journaliste ont certes suscité l’intérêt, mais n’ont pas été retenues. « Inutile », nous expliquait-on : le texte prévoit une charte d’éthique qui fera office de garde-fou sous le contrôle du CSA, qui n’en demandait pas tant.

Cette grève à i-Télé, alors même qu’une convention d’éthique y a été signée et que le comité d’éthique et de pluralisme de la chaîne avait collectivement démissionné pour contester l’arrivée de Vivendi à sa tête, montre à quel point cela ne suffit pas. Je pose donc la question de la suite que le Gouvernement donnera à cette affaire, liée à la décision du CSA, et, d’une façon plus générale, des mesures qu’il entend prendre pour renforcer réellement et efficacement l’indépendance des médias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)