M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes rassemblés cet après-midi pour nous prononcer de nouveau sur une loi d’exception. C’est donc un moment empreint de gravité, qui appelle à la méditation.

Dans notre État de droit, une loi d’exception suppose une motivation et des précautions.

S’agissant des précautions, je voudrais rappeler que nos deux assemblées ont, lors du premier vote, en novembre, accompli en réalité une véritable réforme de l’état d’urgence, dont les termes dataient de 1955, en introduisant plusieurs nouvelles règles protectrices, en particulier l’obligation de motiver les assignations à résidence, la participation du parquet et d’un officier de police judiciaire aux perquisitions, ou la suppression, qui s’imposait, des mesures de contrôle de la presse, ainsi qu’une nouvelle organisation de l’association du Parlement au dispositif.

Comme le disait notre rapporteur à l’instant, nous sommes, je le crois, unanimes à constater que le Gouvernement, et M. le ministre en particulier, a pleinement joué le jeu de l’information complète et de la transparence au bénéfice de la représentation parlementaire.

Je n’ajoute rien aux propos très judicieux de Michel Mercier à propos du cadre constitutionnel de l’état d’urgence, maintenant confirmé grâce aux récentes décisions du Conseil constitutionnel.

J’en viens à la motivation. Est-il nécessaire de prolonger l’état d’urgence pour cette nouvelle période de deux mois ?

Nous nous interrogions déjà voilà trois mois, et dans l’esprit de beaucoup, la dernière prolongation devait être la dernière. Nous étions quelques-uns à appeler nos collègues à examiner la situation dans la durée et à bien analyser les informations pour vérifier si, au bout de trois mois, nous serions en situation de sortir durablement de l’état d’urgence.

Qu’avons-nous observé ?

Les enquêtes qui se sont poursuivies ont démontré les ramifications et les nombreux soutiens dont bénéficiaient les groupes terroristes ayant perpétré les attentats de Paris et de Saint-Denis.

De nouvelles opérations préventives ont démontré l’existence d’autres cellules en train de préparer d’autres opérations meurtrières.

J’y insiste, comme je le faisais déjà il y a trois mois, les attentats de Bruxelles et ces opérations terroristes qui se déroulent en France ou chez nos voisins européens trouvent leur source dans les lieux de conflit, non seulement en Syrie et en Irak, mais aussi en Afrique subsaharienne. Tout cet arrière-plan subsiste et, si nos armées et celles de nos alliés et partenaires portent des coups sévères à ces groupes criminels, nous savons que, sur la défensive, ils seront d’autant plus enclins à déclencher de nouvelles attaques sur le sol européen.

De notre point de vue, la condition du péril imminent est donc toujours constituée.

De surcroît, comme M. le ministre l’a exposé très précisément, s’ajoutent deux éléments de tension, dans la période de deux mois qui s’ouvre, à cause des deux événements sportifs que sont l’Euro 2016 et le Tour de France, lesquels vont entraîner de multiples grands rassemblements de public, de citoyens, français et invités, sur de nombreux sites, dont la sécurisation est évidemment un défi particulier cette année. Nous le savons, ces rassemblements, dans leur diversité, présentent des opportunités spécifiques de tentatives d’attentat.

À ce propos, je voudrais rappeler à M. le ministre, après avoir eu l’occasion de lui en faire part lors de nos récents contacts, qu’il est important que les préfets soient en relation étroite avec les maires. Vous devez certes organiser et sécuriser ces grands événements, mais, à l’étage en dessous, si j’ose dire, dans toutes nos communes vont être organisées d’ici à l’été, comme chaque année, nombre d’opérations festives et de manifestations, à l’occasion desquelles la présence de forces de sécurité publique sera plus réduite, celles-ci étant sollicitées ailleurs. La coopération entre les services chargés de la sécurité publique dans les départements et les maires doit donc être intense pour que de bons conseils soient diffusés. Les autorités locales doivent être appelées à plus de précautions, parfois à plus de retenue, pour organiser ces événements de manière à ne pas offrir d’autres cibles aux terroristes.

Cela me conduit à mon tour à rendre hommage aux forces de la police, de la gendarmerie et de l’armée, qui doivent actuellement produire un effort particulièrement intense pour assurer la sécurisation du pays, tout en soulignant, mais vous en avez bien conscience, monsieur le ministre, les risques de surcharge et de surtension qui pèsent sur l’ensemble de ces hommes et de ces femmes courageux et dévoués.

Face à ces menaces intenses, les prérogatives supplémentaires de l’état d’urgence nous paraissent donc justifiées, mais, comme le Conseil d’État le recommandait dans son avis rendu il y a trois mois, il faut prévoir des moyens légaux d’action supplémentaires contre les entreprises terroristes, moyens qui nous permettront de sortir de ce régime d’exception. Tel est l’objet du projet de loi de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme que nous avons examiné, tant ici qu’à l’Assemblée nationale, dans un esprit responsable et d’écoute mutuelle entre les différents groupes.

J’en profite – je suis le premier à le faire après le ministre, mais je ne serai sans doute pas le dernier – pour saluer le travail d’une particulière qualité et le souci d’écoute de notre collègue Michel Mercier, rapporteur de ce texte.

Monsieur le ministre, en votant cette nouvelle prolongation de l’état d’urgence pour cette durée limitée, nous vous exprimons notre confiance. Depuis chacun de nos engagements partisans, nous souhaitons en même temps exprimer une volonté largement partagée dans cette assemblée, toujours soucieuse de la protection des libertés personnelles, de nous tenir fermement aux côtés de la République et de ses citoyens pour repousser sans hésitation les menaces qui les visent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’état d’urgence instauré le 14 novembre, à la suite des attentats meurtriers qui ont causé la mort de 130 personnes, devait prendre fin le 26 mai, après deux prorogations.

Entre-temps, nous avons vécu l’épisode de la tentative avortée de « constitutionnalisation » de l’état d’urgence. Un énième texte, le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui confère des pouvoirs élargis à la police, notamment la perquisition de nuit, la retenue de quatre heures pour contrôle d’identité ou l’assignation à résidence des personnes que l’on soupçonne de rentrer de Syrie, devrait passer en commission mixte paritaire demain. Contenant nombre de dispositions inspirées de l’état d’urgence, il devrait permettre enfin, s’il est adopté, la sortie du régime d’exception sous lequel nous vivons depuis des mois.

Le texte dont nous débattons instaure, certes, un état d’urgence allégé des perquisitions administratives, lesquelles relèvent des préfets plutôt que des juges, comme c’est le cas dans le droit commun. Cet « allégement » est pourtant de pure forme et ne constitue nullement un retour au droit ordinaire. Après un pic au début de l’instauration de l’état d’urgence, le nombre de ces perquisitions n’a fait que chuter. Ajoutons que ces procédures ont, en outre, été fragilisées par les décisions d’annulation prononcées par la justice. De son côté, le Conseil constitutionnel a censuré le volet numérique des perquisitions.

À quoi sert l’état d’urgence sans les perquisitions administratives ? D’abord, il permet d’assigner à résidence des personnes sans avoir à les faire passer devant un juge susceptible de valider ou pas les mesures prises contre elles.

Vu le contexte de grande mobilisation sociale et de forte effervescence politique que nous traversons, on imagine bien l’exécutif recourir à de telles assignations à résidence, comme il l’avait fait à l’encontre de militants écologistes au moment de la COP 21.

M. Alain Richard. Des casseurs !

Mme Esther Benbassa. Depuis novembre 2015, 70 personnes sont assignées à résidence, alors même qu’il n’a pas pu être trouvé assez d’éléments pertinents pour lancer une information judiciaire à leur encontre, les placer sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.

Les autres dispositions de l’état d’urgence resteront elles aussi en vigueur : restriction de la circulation des personnes ou des véhicules, interdiction de séjour dans certains endroits, couvre-feu, dissolution d’associations, interdiction de rassemblements.

Voilà qui serait bien utile, à propos, pour vider, par exemple, la place de la République des participants à « Nuit debout » ou, au choix, pour interdire le rassemblement de policiers auquel appelle un de leurs syndicats. (Murmures de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

En fait, l’état d’urgence serait prorogé pour la période de l’Euro 2016 et du Tour de France. N’avons-nous donc pas de dispositions dans le droit commun contre les hooligans ?

L’exposé des motifs de ce projet de loi souligne que « l’efficacité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence va au-delà » du bilan chiffré que vous proposez et des suites judiciaires qui y sont réservées. Il y est par ailleurs assuré que ces mesures ont « eu un réel effet déstabilisateur sur les individus et les groupes impliqués dans le soutien ou en relation avec les réseaux terroristes ». Nous voulons bien le croire, mais aucune preuve n’est pourtant avancée pour permettre de l’affirmer avec certitude.

La Belgique, qui a connu, hélas, à son tour, des actes terroristes ayant coûté la vie à des dizaines de personnes, n’a pas eu recours à un état d’urgence. Elle a pourtant réussi à capturer vivantes une des chevilles ouvrières des attentats de Paris et une de celle des attentats de Bruxelles.

Il est largement temps de mettre fin à un régime d’exception particulièrement attentatoire aux libertés publiques. Notre pays donne l’impression d’être « bunkérisé ». Quelle conscience libre n’étoufferait pas dans l’atmosphère d’étroit contrôle policier qui nous est imposée ? En quoi cela peut-il bien sécuriser les citoyens ? Est-ce bien là ce qui assurera le succès de notre combat contre le terrorisme ?

Rendez-nous vite une France libérée, avant qu’elle ne se rabougrisse davantage ! Nos concitoyens ont besoin de souffler, de s’exprimer, …

M. Philippe Dallier. Ça, ils savent faire !

Mme Esther Benbassa. … de créer, d’agir. On ne peut indéfiniment les paralyser par la peur, une peur qui se retourne d’ailleurs toujours contre ceux qui l’entretiennent. La baisse de la popularité de nos dirigeants suffit à en témoigner.

Compte tenu de tous ces éléments, le groupe écologiste dans sa majorité – deux de mes collègues s’abstiendront et l’une votera pour – se prononcera contre la prorogation.

Ce vote « négatif » ne l’est qu’en apparence. Il est un vote de résistance. Or, « la résistance, disait Germaine Tillion, consiste à dire non. »

M. Alain Richard. Quelle prétention !

Mme Esther Benbassa. « Mais dire non, c’est une affirmation. C’est très positif. » (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois conviés à évaluer le bien-fondé d’un projet de loi de prorogation de l’état d’urgence, lequel fut décrété le 14 novembre dernier.

Allons au but directement : dans notre groupe, deux de nos collègues, Gilbert Barbier et Pierre-Yves Collombat, qui ont déjà plusieurs fois manifesté leur conviction sur ce point, voteront contre ce texte. Toutefois, la grande majorité du RDSE votera pour, monsieur le ministre, par confiance personnelle – j’y insiste –, dans l’action que vous menez – je dis bien : « vous ». (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

La présente prorogation se distingue des précédentes par deux aspects : d’une part, l’absence de la mention expresse de la possibilité de procéder à des perquisitions administratives ; d’autre part, le choix d’une durée réduite à deux mois. De telles inflexions semblent annoncer la sortie de l’état d’urgence – d'ailleurs, vous nous l’avez dit.

On trouve également les traces de cette anticipation dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui contient un ensemble de dispositions de procédure pénale. La navette sur ce texte est en cours, avant la commission mixte paritaire qui se réunira demain.

Ce projet de loi de prorogation semble avoir été conçu comme une loi de tuilage, destinée à combler un prétendu vide juridique entre l’extinction du régime d’exception qu’est l’état d’urgence et les futurs moyens prévus par le projet de loi que je viens à l’instant d’évoquer.

Il est aussi important de noter que ce vide juridique coïncide avec la tenue d’événements sportifs de grande ampleur sur notre territoire.

Mes chers collègues, il est un point qui a évolué depuis notre dernier débat, et je m’en félicite, car cela conforte l’opinion que j’avais soutenue dès l’origine : il est clair que la constitutionnalisation de l’état d’urgence ne servait à rien et que la loi de 1955, utilement modernisée, est totalement compatible avec la Constitution actuelle. Que de débats et de palabres médiatiques inutiles !

Quand la médiatisation du débat public devient l’objectif prioritaire, privilégiant constamment la forme aux dépens du fond, c’est toujours dommageable à la République, d’autant que médias et opinions sont par essence versatiles.

Mes chers collègues, la loi du 3 avril 1955, loi de la IVe République, qui était, elle, respectueuse du Parlement (M. Henri de Raincourt s’esclaffe.), confère aux parlementaires un rôle de vigie qu’il ne faut pas se priver d’exercer. Cela exige de s’interroger sur l’existence d’un péril imminent et, au-delà, sur l’utilité d’une nouvelle prorogation.

Si l’utilité de la déclaration de l’état d’urgence après les attentats ne fut guère contestée, la question qui se pose désormais, c’est de savoir quand et comment on en sort. Autrement dit, qu’est-ce qui justifie une nouvelle prorogation de l’état d’urgence ?

Le Gouvernement, conforté en droit par un avis favorable de la section de l’intérieur du Conseil d’État, justifie l’adoption de ce texte par la permanence de l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Cela peut s’entendre, mais, eu égard à la situation extérieure au Moyen-Orient et au phénomène intérieur de radicalisation, on peut craindre que cela ne se prolonge très durablement.

Monsieur le ministre, malgré votre effort de transparence, nous n’avons toujours pas en notre possession – on peut d'ailleurs considérer que ce n’est pas normal – tous les éléments de nature à nous permettre d’apprécier précisément la nature du péril qui nous menace. Il n’y a guère que notre confiance – et, je l’ai dit, elle est grande – en votre parole et en votre action personnelle pour nous convaincre.

Au-delà de l’existence du péril imminent, l’utilité des mesures prévues par la loi du 3 avril 1955 dans la lutte contre le terrorisme reste également à démontrer. L’effet de surprise des perquisitions administratives, inversement proportionnel à leur durée de mise en œuvre, s’est estompé, au point que vous avez choisi d’y renoncer. Les assignations à résidence, qui représentent une charge de travail supplémentaire pour les forces de l’ordre, ne permettent pas une neutralisation satisfaisante des individus les plus dangereux, et quand ils le sont trop, on n’y recourt pas pour ne pas éveiller leur attention !

Pour le reste, la loi de 1955 nous autorise à prononcer la dissolution des associations et groupements de fait participant à la commission d’actes portant grave atteinte à l’ordre public, à décider la fermeture provisoire de salles de spectacles et de lieux de réunion. La loi de 1955 nous autorise à obtenir les remises d’armes et de munitions, à interdire de circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et heures fixés par le préfet et à prononcer des interdictions de séjour. Monsieur le ministre, vous n’avez pratiquement pas eu besoin de recourir à ces mesures jusqu’ici.

En résumé et pour être clair, l’utilité de l’état d’urgence est aujourd’hui quasi nulle sauf en termes de communication, compte tenu des problèmes que posent l’Euro de football et le Tour de France. Toutefois, s’il se produisait un nouvel attentat, l’opinion vous reprocherait, monsieur le ministre, d’être sorti de l’état d’urgence – à tort, mais elle le ferait, et il faut en prendre acte ! C’est aussi pour cela que nous voterons la prorogation de l’état d’urgence.

Monsieur le ministre, vous nous avez également rappelé le lien entre les récents événements de Bruxelles et la menace djihadiste qui plane sur notre pays. Après le triple attentat-suicide, les autorités belges ont justement fait le choix de ne pas instituer un régime d’exception, en insistant sur la nécessité pour les citoyens belges de garder confiance dans leurs institutions.

Nous continuons à dire que, ce qui est essentiel, au-delà de l’accumulation de textes sécuritaires, c’est de donner à nos forces de sécurité et de renseignement les moyens matériels et humains leur permettant d’accomplir leurs missions. Et je déplore, comme des juges antiterroristes l’ont fait, qu’aucune des lois postérieures à janvier 2015 n’ait visé à améliorer la synergie entre services de renseignement et institutions judiciaires. Comment ne pas déplorer que l’état d’urgence se soit instillé jusque dans la procédure parlementaire !

L’état d’urgence n’est peut-être pas un état de convenance, mais il est porteur d’illusions : l’illusion d’une sécurité recouvrée et l’illusion de libertés préservées s’y côtoient, alors que le juge administratif devient le juge de la liberté d’aller et venir. Hors des procédures d’urgence, il intervient nécessairement a posteriori, donc trop tard. À cela, il convient de mettre fin le plus rapidement possible.

Mes chers collègues, je voudrais pouvoir vous dire que je voterai cette loi de prorogation avec la même conviction qu’au lendemain du 13 novembre. Je le ferai, mais avec les réserves que j’ai indiquées.

À ce stade, je tiens, au nom de l’ensemble du groupe, à rendre hommage à ces forces de l’ordre qui font leur devoir au service de la République. Même s’il a pu exister quelques erreurs auxquels vous avez su réagir, nous considérons comme déplacées et détestables les attaques proférées récemment contre ces forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC. – Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également. )

À ce sujet, si attaché que l’on soit par essence à la liberté d’expression, à l’expression même de la jeunesse, de ses aspirations légitimes à un monde meilleur et plus juste, comment voulez-vous que nos concitoyens, dans nos territoires, ne soient pas interloqués par la conjonction de l’état d’urgence et de « Nuit debout » ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC.)

Mme Françoise Gatel. Absolument !

M. Jacques Mézard. Oui, l’expression respectable de la liberté est en partie manipulée par quelques vieux gourous trotskistes et un quotidien parisien rêvant de plagier Podemos.

M. Roger Karoutchi. Yes ! Allez-y !

M. Jacques Mézard. Que d’agitations médiatiques pour quelques milliers de manifestants et une surcharge pour nos forces de l’ordre dans un moment totalement inadéquat ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC.)

Aujourd’hui, et je conclus ainsi, il s’agit, non plus de renforcer les pouvoirs de l’autorité publique pour lui permettre de rétablir rapidement l’ordre public, mais de prendre acte de l’épuisement des policiers et des militaires, de la ténacité et de la vigilance dont les Français font preuve. Aussi, cette troisième prorogation sera un renoncement si nous ne nous employons pas à rallier l’ensemble de nos compatriotes à la certitude que nos institutions peuvent subsister sans le secours des prérogatives que l’état d’urgence confère à l’exécutif. Voilà le vœu que je forme au nom du groupe du RDSE ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain des lâches attentats de Paris et de Saint-Denis qui ont endeuillé la France le 13 novembre dernier, l’état d’urgence a été instauré.

Il a été renouvelé à deux reprises, fin novembre et fin février, afin de répondre au mieux à la persistance d’une menace à un niveau inédit sur le territoire national, en traquant les responsables et en déjouant les projets d’attentats en préparation.

À cet instant, je profite du temps qui m’est imparti pour saluer, au nom de tous mes collègues du groupe Les Républicains, le travail formidable des forces de l’ordre, de la justice, des secours, de la santé et des centres pénitentiaires, qui ont su répondre présents et qui ne ménagent en rien leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme djihadiste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

L’état d’urgence est un état d’exception, et il devrait s’achever à la fin de ce mois de mai. Cependant, la nécessité de sa prorogation jusqu’au 26 juillet prochain s’impose comme une terrible évidence, en raison de la conjonction de plusieurs événements. Je veux parler de l’Euro 2016 et du Tour de France, qui vont rassembler des milliers de personnes, soit autant de cibles potentielles. Je veux également mentionner les récents attentats commis à l’étranger, visant nos intérêts et ceux de nos alliés. Je pense plus particulièrement à nos amis belges, qui, le 22 mars dernier, ont subi deux attentats meurtriers sur leur sol, événements qui nous ont appris que les groupes impliqués en France et en Belgique appartenaient à une même cellule, la France constituant pour eux une cible prioritaire parmi les pays européens.

Enfin, le nombre d’individus français ou résidents français qui ont séjourné en Syrie représente, à ce jour, le plus gros contingent des djihadistes européens.

Alors, oui, comme en février dernier, le groupe Les Républicains va voter la prorogation de l’état d’urgence !

Nous adhérons également à la non-reconduite des perquisitions administratives. Largement utilisées jusqu’à la fin février, elles ne présentent plus grand intérêt, leur nombre ayant significativement baissé depuis la dernière prorogation de l’état d’urgence.

Cette évolution des mesures mises en œuvre a été largement explicitée aux représentants parlementaires dans le cadre du comité de suivi de l’état d’urgence au cours de réunions bimensuelles organisées à Matignon. Je voudrais vous en remercier, monsieur le ministre de l’intérieur, et j’en remercie également M. le Premier ministre.

Pour autant, il faudra bien sortir de l’état d’urgence !

Il nous faut à cette fin un arsenal législatif pénal solide. Le Sénat, par une proposition de loi de MM. Philippe Bas et Michel Mercier, avait, dès le mois de février, voté un texte en ce sens. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.) Le Gouvernement n’a pas souhaité, une fois de plus, s’en remettre à la sagesse et à la réactivité du Sénat, et il a présenté son propre texte : le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.

Le renforcement des mesures antiterroristes, la répression des actes de terrorisme et la mise en place d’un régime d’exécution des peines plus rigoureux constituent bien évidemment une priorité pour notre majorité. Ces mesures seront de nature à faciliter la sortie de l’état d’urgence, d’autant que l’on connaît la forte porosité entre le milieu terroriste et la délinquance, ainsi que l’environnement logistique alimenté par les trafics d’armes et de stupéfiants qui financent ces actions.

Monsieur le ministre, nous attendons avec impatience la mise en œuvre définitive de ce projet de loi.

En complément de l’état d’urgence, le Gouvernement pourra s’appuyer, dans le cadre de l’Euro 2016, sur la proposition de loi de notre collègue député Guillaume Larrivé, texte renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.

Ce texte dont je fus le rapporteur au Sénat répondra aux enjeux de sécurité qui devront entourer l’Euro 2016, organisé en France et, plus largement, les prochaines rencontres sportives, malheureusement trop souvent émaillées de débordements. Ce dispositif n’est pas anodin au regard du 13 novembre dernier, puisque l’une des actions terroristes visait le Stade de France.

Monsieur le ministre, il reste encore quelques questions en suspens : l’État a-t-il la volonté de faire cesser les troubles récurrents sur notre territoire, notamment à l’occasion de manifestations à répétition qui causent, selon nous, de réels troubles à l’ordre public ?

Je pense notamment aux sept policiers qui ont été blessés à Nantes et, plus récemment, aux forces de l’ordre malmenées et blessées à Paris.

L’état d’urgence offre des outils de police administrative aux préfets et prévoit la possibilité d’interdire des manifestations. Les forces de l’ordre sont épuisées par les affrontements qui se produisent dans le cadre de certaines d’entre elles. Ces femmes et ces hommes tiendront-ils, physiquement et psychologiquement, pour affronter les risques liés à l’Euro 2016 ? Nous leur souhaitons, à toutes et tous, beaucoup de courage !

Autre interrogation, qui a été exprimée par le président de mon groupe, M. Bruno Retailleau, lors du débat de novembre dernier et qui est toujours d’actualité, celle des frontières en Europe. Nous avons bien dû constater entre les tragiques mois de novembre et de mars que nous étions totalement désarmés face aux terroristes passant d’un État européen à un autre. Comment peut-il y avoir de telles failles ? La question reste entière.

La France et l’Europe ont besoin de vraies frontières. Il faut avancer – et avancer vite ! – vers un Schengen II. Notre sécurité en dépend.

Enfin, la lutte contre le terrorisme ne peut s’affranchir d’un arsenal efficace de lutte contre la radicalisation et d’un véritable dispositif de déradicalisation. Nous prenons note, monsieur le ministre, des annonces faites hier par le Premier ministre, qui a dévoilé un catalogue de mesures censées combattre le djihadisme et la radicalisation.

En ce qui concerne les mesures de déradicalisation, il était grand temps de mettre fin à deux anciennes expérimentations subventionnées à grands frais sans véritable, voire sans aucun résultat probant.

Aussi, les treize centres de « réinsertion et de citoyenneté » prévus d’ici à la fin 2017 et l’augmentation de 40 millions d’euros des crédits destinés à la lutte contre la radicalisation annoncée hier constituent des mesures que nous ne pouvons qu’approuver, bien qu’elles interviennent assez tardivement au regard du nombre de radicalisés et de jeunes djihadistes français qui sont déjà revenus en France ou continuent à y revenir tous les jours.

Dans ce cadre, j’invite le Gouvernement à prendre exemple sur des pays qui ont plus d’expérience que la France en la matière.

Sur l’initiative de Mme Esther Benbassa, une mission d’information sur la déradicalisation a été autorisée par la commission des lois. Je travaillerai avec elle sur ce sujet de la plus haute importance. Et nos conclusions, nous l’espérons humblement, pourront peut-être contribuer, monsieur le ministre, à alimenter vos réflexions sur les dispositifs à mettre en œuvre pour une déradicalisation la plus efficace possible.

En conclusion, le groupe Les Républicains ne saurait se soustraire à son devoir de responsabilité à l’égard de la Nation. Aussi nous soutiendrons ce projet de loi qui, sans répondre à tous les enjeux à venir, présente l’intérêt d’augmenter la sécurité de nos concitoyens au cours des prochains mois.

La France est grande, la France est forte, la France vaincra, parce que les Français sont fiers de leurs valeurs, parce qu’ils sont unis par la mémoire et l’espérance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)