M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s’agissant des dispositions relatives à la prévention et à la santé publique, plusieurs articles, supprimés par le Sénat, ont effectivement été rétablis dans leur rédaction initiale, même si leur valeur n’est que déclarative, ne permettant aucune avancée concrète.

Sur plusieurs articles, tels ceux qui sont relatifs à l’information nutritionnelle complémentaire ou à la lutte contre la valorisation de la minceur excessive, l’Assemblée nationale a supprimé différents ajouts du Sénat.

S’agissant des salles de consommation à moindre risque, elle a conservé l’obligation, introduite par le Sénat, d’organiser une concertation entre l’agence régionale de santé, l’ARS, la structure porteuse de projet et le maire de la commune concernée, en amont de l’installation de la salle de consommation.

En revanche, au motif qu’il faudrait donner plus de liberté d’organisation aux maires et aux associations locales, l’Assemblée nationale a supprimé les deux exigences que le Sénat avait posées : l’intégration à un centre hospitalier, d’une part, et la supervision par une équipe pluridisciplinaire comprenant des professionnels de santé et du secteur médicosocial, d’autre part.

Je regrette qu’aucun accord global n’ait pu être trouvé sur ce sujet sensible, mais important pour la prise en charge des malades concernés. Pourtant, comme cela a été souligné en commission, sur une question hautement controversée, le Sénat avait fait un pas important.

Les députés ont par ailleurs supprimé certains articles insérés au Sénat en séance publique : la demande d’étude relative à la santé des aidants familiaux, ou encore, le suivi de la vaccination des élèves.

Sur le chapitre consacré au tabac, l’Assemblée nationale a globalement tenu compte des positions du Sénat sur la majorité des articles, même si leur rédaction reste perfectible, qu’il s’agisse du mécanisme de transparence, de l’installation des nouveaux débits de tabac ou de l’interdiction de vapoter dans certains lieux publics.

Sur ce dernier point, l’Assemblée nationale a été plus restrictive que le Sénat en supprimant l’obligation de mettre à disposition des vapoteurs des espaces réservés sur les lieux de travail ou dans les écoles.

Sur le renforcement des sanctions infligées en cas de contrebande de tabac, supprimé par notre commission, mais rétabli et adopté conforme par le Sénat, le Gouvernement a rouvert l’article « pour coordination », afin de supprimer l’aggravation de la peine de prison, tout en maintenant celle de la peine d’amende. Notre commission, qui avait souligné le risque juridique qui s’attachait à cette mesure, a donc été entendue.

Un désaccord subsiste cependant entre les deux assemblées quant à la manière de transposer la nouvelle directive européenne sur les tabacs, sur deux sujets : la durée de la période transitoire pour l’interdiction des arômes et le paquet neutre. À cet égard, le désaccord entre les deux assemblées n’est peut-être pas si profond, puisque le paquet neutre n’a été rétabli par l’Assemblée nationale qu’à une courte majorité de deux voix, à l’issue d’une suspension de séance de vingt-cinq minutes.

Nous regrettons que le Gouvernement ne souhaite pas passer par l’étape de l’harmonisation de la présentation des produits du tabac avec des images-chocs sur grand format que les fumeurs retrouveraient dans l’ensemble de l’Union européenne, et privilégie l’adoption d’une mesure dont l’efficacité ne convainc personne, mais qui présente des risques juridiques bien réels. Sur ce seul point, nos visions sont inconciliables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, corapporteur.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, corapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’en viens aux articles relatifs à l’organisation sanitaire.

S’agissant des soins ambulatoires, l’Assemblée nationale a privilégié la mise en place de structures nouvelles, tandis que nous avions affirmé la nécessité d’un minimum de stabilité en ce domaine. Les professionnels devront donc faire évoluer des modes d’organisation qu’ils viennent parfois tout juste de mettre en place, cette fois sous la tutelle des ARS. Je pense en particulier aux communautés professionnelles territoriales de santé, qui viendront inutilement se substituer aux pôles de santé.

Nous sommes favorables à la mise en place du service public hospitalier, mais nous l’avions complétée par le maintien de la possibilité donnée aux cliniques d’exercer des missions de service public à tarifs opposables. L’Assemblée nationale a rétabli leur exclusion totale, à nos yeux injustifiée.

Même en ce qui concerne les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, à propos desquels nous étions allés très loin dans la volonté d’aboutir à un texte commun, l’Assemblée nationale a supprimé la participation des élus à leur comité stratégique. Cette modification, que beaucoup de nos collègues ont du mal à comprendre, risque de rendre les restructurations qui seront proposées encore moins acceptables.

En matière d’organisation de la permanence des soins ambulatoires, la PDSA, nous souhaitions simplifier le dispositif proposé pour la régulation médicale en instituant un numéro de téléphone unique, gratuit et national, susceptible de constituer une véritable option de remplacement du 15 ; au lieu de cela, le système prévu sera complexe et variable d’un territoire à l’autre.

Les députés ont par ailleurs supprimé la précision introduite par le Sénat concernant l’articulation entre la médecine libérale et les établissements de santé dans la permanence des soins : les ARS pourront donc toujours suspendre la PDSA entre minuit et huit heures, comme c’est déjà le cas dans certaines régions.

Sur un point touchant à la liberté des patients, l’Assemblée nationale est également revenue à sa version initiale : je fais référence à l’article 25, qui porte sur le fameux dossier médical partagé, le DMP. Nous avions supprimé la possibilité pour le médecin traitant d’accéder, sans l’accord du patient, aux données occultées par ce dernier. Les députés ont rétabli cette possibilité, qui nous paraît profondément contraire aux droits des malades.

L’Assemblée nationale ne nous a pas davantage suivis dans notre volonté d’organiser une concertation entre les syndicats de médecins et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, concernant l’installation des professionnels dans les zones sous-denses. Il s’agissait là d’une solution d’équilibre adoptée par le Sénat à l’issue d’un long débat et qui aurait permis d’apporter une réponse négociée au problème des déserts médicaux.

Enfin, sans surprise, l’Assemblée nationale a rétabli le tiers payant généralisé, avec toutefois une modification révélatrice : le rapport sur la faisabilité du dispositif a été différé à un mois après la parution de la loi. Il y a donc visiblement quelque difficulté à faire paraître ce qui devait constituer un préalable…

Cette disposition, qui n’est pas nécessaire pour l’accès aux soins étant donné les dispositifs existants pour les personnes les plus défavorisées et la pratique des médecins en matière de tiers payant, a inutilement bloqué toute négociation avec les syndicats. Elle remet en cause les conditions d’exercice de la médecine libérale et pose d’importantes questions, qu’elle ne résout pas, sur la place des complémentaires. Nous ne pouvons l’accepter.

Au total, même si l’Assemblée nationale a conservé quelques-uns de nos apports, comme la place faite aux médecins spécialistes de deuxième recours – grands oubliés de ce texte –, les sujets de désaccords sont majeurs. C’est pourquoi la commission des affaires sociales a rejeté le texte du projet de loi et a adopté une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

Mme Catherine Génisson. Ce n’est pas bien !

M. Alain Milon, corapporteur. Je sais que c’est une grande déception pour vous !

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, puisque je n’ai que quelques minutes pour intervenir, je m’exprimerai sur des points précis du texte.

Je commence par les mesures concernant la santé environnementale et la prévention dans ce domaine. Nous saluons les mesures inscrites dans le texte qui vont dans le bon sens, comme le maintien du concept d’exposome ou la prévision de rapports sur les effets, y compris cumulatifs, des perturbateurs endocriniens.

Néanmoins, nous regrettons que d’autres propositions de bon sens, comme l’interdiction du bisphénol A dans les jouets des enfants pouvant être portés à la bouche ou l’inscription de la santé environnementale dans la stratégie nationale de santé – adoptée en première lecture sur proposition des écologistes –, n’apparaissent pas dans la version du texte que nous examinons. En effet, le nombre de maladies chroniques liées aux facteurs environnementaux explosant dans notre pays, il est indispensable – nous l’avons déjà dit – de placer la santé environnementale au cœur des préoccupations de santé publique. Il y a bien eu des avancées, mais qui doivent être confortées.

Par ailleurs, plusieurs dispositions adoptées en première lecture au Sénat ont malheureusement disparu en nouvelle lecture alors qu’elles étaient très attendues. Je pense d’abord à l’attribution automatique de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, aux allocataires du RSA socle ; cela aurait été source de simplification administrative puisque les plafonds sont les mêmes. Cette automaticité aurait en outre évité une grande partie du non-recours à la CMU-C, que le Fonds CMU évalue à une proportion située entre 20 % à 35 % en 2013 ; ce non-recours est lié à la complexité de l’ouverture des droits à la CMU-C.

On me dit souvent que cette automaticité est déjà mise en œuvre, mais, pour avoir discuté avec de nombreuses personnes concernées dans plusieurs départements, je peux vous assurer que ce n’est pas le cas ! Or cette situation, j’y insiste, provoque non seulement une impression d’injustice, mais aussi le sentiment dangereux que la République ne met pas tout en œuvre pour faire appliquer les lois.

Je pense ensuite à l’amendement voté par de nombreux collègues de tous les groupes politiques du Sénat, me semble-t-il, prévoyant la transmission systématique sous format numérique des rapports d’activité des diagnostiqueurs d’amiante à la direction générale de la santé, ainsi que leur publication sur une plateforme en ligne accessible à tous. Cette mesure a malheureusement été également supprimée par l’Assemblée nationale.

Or, selon l’Institut de veille sanitaire, l’amiante causera – je donne encore une fois ce chiffre – 100 000 morts d’ici à 2050. L’information des travailleurs du bâtiment et de tous ceux qui, tels les riverains, pourraient être à leur insu en contact avec de l’amiante est donc un enjeu crucial si l’on ne veut pas que ces sombres prévisions soient largement en dessous de la réalité. Puisque cela ne pourra pas se faire à travers la loi de modernisation de notre système de santé, il est indispensable que les ministères concernés s’engagent à développer sérieusement et rapidement la prévention et l’information des travailleurs et des populations en matière d’amiante.

Enfin, nous ne pourrons malheureusement pas nous étendre là-dessus, mais je déplore le coup de canif donné par ce texte à la loi Évin. La publicité pour l’alcool est de nouveau permise de façon très claire, mais, ne soyons pas dupes, cette mesure ne vise pas les petits viticulteurs ; ce sont bien les grands alcooliers qui ont obtenu ce revirement.

Après avoir exprimé ces regrets, je veux maintenant dire un mot de quelques avancées contenues dans ce texte. Je ne peux malheureusement pas les citer toutes, mais je reviens en particulier sur le tiers payant généralisé.

Une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, publiée en juillet 2015 montre qu’entre 21 % et 36 % des personnes interrogées ont renoncé aux soins pour des raisons financières. Certes, s’il demeure des difficultés techniques, il faut bien sûr chercher des solutions, mais les arguments d’ordre idéologique selon lesquels la généralisation du tiers payant remettrait en cause le statut des médecins libéraux…

M. Gilbert Barbier. C’est vrai !

Mme Aline Archimbaud. … ne nous paraissent pas convaincants.

Le tiers payant généralisé permettra aux personnes qui ont des revenus modestes, mais qui sont au-dessus des plafonds de ressources de la CMU-C ou de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé – plafonds qui sont assez bas, respectivement 720 euros et 973 euros –, d’accéder aux soins sans se poser la question de leur capacité d’aller chez le médecin.

Enfin, en ce qui concerne le tabagisme, nous faisons partie des parlementaires qui trouvent très positif que la mesure du paquet neutre ait été réintégrée dans le texte. En effet, les chiffres du tabagisme en France sont accablants, notamment chez les jeunes, qui sont particulièrement sensibles à l’attractivité du marketing pour les produits du tabac. Il nous semble donc que cette mesure est très positive en matière de santé publique.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la volonté du gouvernement socialiste de faire adopter une loi transformant notre système de santé pour le faire évoluer vers un système étatique plus en conformité avec son idéologie touche à sa réalisation finale.

Madame la ministre, vous affichez très logiquement une certaine satisfaction à pouvoir mettre en pratique vos convictions maintes fois énoncées lorsque vous siégiez sur les bancs de l’Assemblée nationale. Je dois toutefois reconnaître que, sur quelques points, vous n’osez pas aller aussi loin que ce que vous annonciez et que votre appréciation a évolué, comme sur la nécessité de maintenir un ordre des infirmiers, que vous combattiez en d’autres temps.

Mme Marisol Touraine, ministre. Je suis pragmatique !

M. Gilbert Barbier. Le Gouvernement a décrété la procédure accélérée pour faire aboutir cette loi touchant à des domaines aussi variés, aussi différents, que l’organisation hospitalière, l’offre territoriale de soins, le tabagisme, les salles de consommation à moindre risque, le mannequinat et j’en passe.

Il apparaissait d’emblée évident que ce grand rendez-vous serait manqué avec les forces vives du secteur de la santé, avec plusieurs secteurs professionnels – notamment l’ensemble des syndicats médicaux –, avec le Conseil national de l’ordre, avec les assemblées académiques, mais aussi avec les acteurs privés en santé et une partie du monde associatif. Je comprends bien néanmoins que là n’était pas la préoccupation première…

Le texte renvoie également à des ordonnances sur des sujets importants dont le contenu nous est totalement inconnu. Bref, il s’agit de passer en force, y compris quelquefois contre votre propre majorité, comme cela a été souligné.

Cette loi sera loin de résoudre les difficultés que chacun s’accorde à reconnaître et dont la première est, à mes yeux, l’inégalité de l’accès à des soins de qualité entre nos concitoyens.

Au cours de la première lecture au Sénat, dans un esprit d’ouverture, nous avons proposé, les uns et les autres, de nombreuses modifications imprégnées d’un sens pratique et non d’un parti pris quelconque.

J’ai regardé les débats à l’Assemblée nationale, tant en commission qu’en séance publique, lors de la nouvelle lecture : comment ne pas être consterné devant cette attitude sectaire et méprisante sur des articles qui ne devraient être que consensuels ? Certes, sur les grands thèmes, notre opposition est manifeste et très certainement inconciliable, mais, pour le reste, que de suffisance !

Si le Conseil national de l’ordre des médecins considère ce texte comme inapplicable, c’est non seulement en raison du sujet phare qu’est le tiers payant généralisé, mais aussi à cause des mesures annexes qui en découleront au fil du temps. Ce tiers payant généralisé, ou TPG, c’est votre trophée, madame la ministre, au sens étymologique du terme : il vous permet de présenter sur la place publique votre victoire sur la médecine libérale dans sa globalité.

C’est pourtant cette médecine qui, depuis un siècle et demi, a fait de la médecine française l’une des meilleures du monde. Il s’agit bien là d’un conflit idéologique entre nous : vous voulez étatiser la médecine, avec un contrôle de plus en plus présent sur les professionnels, dans leur pratique, leurs prescriptions et bien sûr leur rémunération.

Vous voulez imposer les organismes payeurs comme les régulateurs de la dépense de soins et briser ce dialogue singulier, qui chagrine, entre le médecin et le patient ; ainsi la mise en place du TPG va amplifier une médecine à deux vitesses qui, certes, existe déjà à certains égards.

Cette volonté se retrouve à l’article 18 et à l’article 26 du texte, avec le refus que les établissements au sein desquels des praticiens pratiquent des honoraires libres puissent participer aux missions de service public. Faut-il utiliser un tel moyen pour maintenir en survie des établissements publics obsolètes où nos concitoyens les moins bien renseignés ne trouveront pas des soins de qualité optimale ? Faut-il considérer comme normal le fait que l’assurance maladie paie entre deux et trois fois plus pour une appendicectomie en centre hospitalier universitaire que dans une clinique privée ?

Le temps me manque pour évoquer un certain nombre de mesures dans lesquelles l’idéologie prime le bon sens ou par lesquelles nos collègues députés en arrivent à supprimer des dispositions introduites par la minorité sénatoriale, comme la reconnaissance des aidants familiaux ou les mesures de surveillance de la vaccination en milieu scolaire. Cet ostracisme ne manque pas de surprendre s’agissant de mesures qui pouvaient être considérées comme positives en matière de santé publique !

Pour terminer, je voudrais souligner deux points particuliers qui me semblent poser un problème de constitutionnalité.

Je veux parler de l’article 37, qui modifie les conditions d’autorisation de la recherche sur l’embryon. Je siège, comme Jean-Louis Tourenne, au conseil d’orientation de l’Agence de biomédecine. Contrairement à lui, il me paraît curieux qu’elle ne soit pas saisie de cette nouvelle possibilité en matière de recherche, comme nous y oblige la loi de bioéthique.

De même, l’article 46 ter sur les prélèvements d’organes soulève une opposition farouche des associations qui se dévouent à longueur d’année au service de cette cause. Une telle modification substantielle de la pratique du prélèvement mériterait d’être évoquée elle aussi, le moment venu, dans le cadre d’une révision de la loi de bioéthique.

Au vu de ces quelques considérations et de bien d’autres encore, je me demande à quoi bon poursuivre le débat. Je crains, pour le regretter, que les grands perdants de cet entêtement soient, non pas les professionnels – les meilleurs s’en sortiront ! –, mais avant tout les patients, pas les plus avertis, certes, mais tous les autres ! (M. Jean-Claude Requier et Mme Catherine Procaccia applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de cette nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé, il est impossible de faire abstraction du vote de la question préalable par la majorité de la commission des affaires sociales.

Grande est notre déception face à cette procédure, car elle nous prive de la possibilité d’aller jusqu’au bout de notre débat.

Celle-ci fait partie des dispositifs législatifs, il ne s’agit pas pour moi de revenir sur un droit ouvert au législateur. Toutefois, comme je l’ai déjà souligné en commission, je le redis, ici en séance plénière : nous avons là l’illustration que nos institutions sont à bout de souffle et qu’il faudrait passer à une 6e République restituant un vrai pouvoir parlementaire et, surtout, redonnant voix au peuple.

Je veux le dire avec d’autant plus de force que nous sommes au lendemain des élections régionales et qu’il me paraît essentiel de nous interroger sur les réponses politiques à apporter aux souffrances des populations, à la désespérance qui envahit les quartiers, les entreprises, les universités, les hôpitaux.

Cette question préalable, à l’instar de celle que cette même majorité de droite avait déposée en seconde lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ne repose pas sur un désaccord majeur avec la politique gouvernementale. Elle résulte de l’exigence d’aller encore plus loin en termes de restrictions budgétaires et de privatisation de notre système de santé. Et c’est là tout le problème !

En effet, pour répondre aux besoins de santé publique de toutes et tous sur l’ensemble du territoire, il faut de nouveaux financements. Ce que ce gouvernement, comme les précédents, refuse – hélas !

Alors que chacune et chacun se félicite, à juste titre, du travail exemplaire accompli par les personnels de santé à la suite des terribles attentats de novembre, est-ce le moment de poursuivre les groupements hospitaliers de territoire, de fermer des services de chirurgie et des urgences, d’entériner la fin de la sectorisation en psychiatrie ou encore de conforter la toute-puissance des directeurs des ARS ?

Pour reprendre l’esprit des propos de l’urgentiste Patrick Pelloux, le 13 novembre dernier, nous avons eu le bleu des policiers, des gendarmes, des forces de sécurité, le blanc des personnels de santé et le rouge des pompiers.

L’atout majeur de ces différents corps de métiers, la puissance de leur pouvoir d’intervention, c’est le service public. Dès lors, pourquoi continuer à faire voter des projets et des propositions de loi qui rognent sur leurs moyens d’existence au nom d’une prétendue dette qui met les peuples à genoux ?

Depuis des années, les politiques de restriction des budgets publics se sont attaquées au démantèlement des services publics, en premier lieu celui de la santé, ce qui a creusé davantage les inégalités d’accès aux soins.

Ainsi, les patients, les personnels, les professionnels de santé subissent au quotidien des amputations d’effectifs, des réductions de moyens et la réorganisation territoriale de la santé, enclenchée notamment en 2010 par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », et amplifiée par les groupements hospitaliers de territoire, rendus obligatoires par ce texte.

Les fusions-suppressions d’établissements ainsi provoquées vont distendre encore un peu plus les liens de proximité. Vous justifiez ce choix, d’une part, au nom d’une coopération entre praticiens, qui existe déjà et qu’il faudrait tout simplement consolider, d’autre part, au nom de la chirurgie ambulatoire, dont on a beaucoup parlé en première lecture, et qui demande un réseau de soins, inexistant.

Pour imposer ces choix, vous élargissez le champ des compétences des ARS et renforcez encore davantage les pouvoirs des directeurs généraux, mettant à mal la démocratie sanitaire.

À l’inverse, le projet de santé que nous défendons doit permettre d’exprimer les besoins de santé, mais aussi d’assurer un contrôle démocratique des décisions et de la mise en œuvre des réponses à ces besoins.

Bien entendu, il ne s’agit pas pour moi d’ignorer les mesures positives contenues dans ce projet de loi, mesures que nous avons soutenues. Si elles vont dans le bon sens, elles ne sont toutefois pas de nature à combattre sur le fond les refus de soins qui se développent pour raisons financières.

Il en est ainsi de la plus emblématique d’entre elles, la généralisation du tiers payant en 2017. Si elle constitue un premier pas, notre groupe considère qu’il appelle au plus vite une prise en charge à 100 % des soins par la sécurité sociale.

Nous avions un défi considérable à relever compte tenu de la situation de la santé publique, notamment en termes d’offre de soins au regard des besoins de santé sur l’ensemble du territoire. Or la logique qui nous a été imposée dès le départ a été le redéploiement et l’aménagement de l’offre de soins dans une enveloppe contrainte.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 anticipait déjà les coupes budgétaires réalisées par les fusions et suppressions d’établissements de santé.

Vous escomptez dépenser 400 millions d’euros en moins sur trois ans et prétendez que cela n’aura aucune conséquence sur les conditions de travail des personnels et la qualité du service public.

Nous sommes, pour notre part, convaincus du contraire, car les économies demandées s’ajoutent à celles qui ont été réalisées les années précédentes par les gouvernements successifs. Vous imposez, en réalité, une austérité supplémentaire, qui vient s’ajouter à une austérité déjà durement vécue par les personnels.

Contrairement à l’orientation gouvernementale, qui part de la répartition de l’offre de soins la moins-disante, notre groupe défend une organisation de la santé qui part des besoins de santé de la population.

Nous continuons et continuerons donc de demander l’arrêt immédiat des suppressions d’activité et des fermetures de services de santé, donc l’arrêt des GHT, et nous vous appelons à relancer des services d’urgences dans chaque bassin de vie.

Parler d’amélioration de l’accès aux soins passe par la nécessaire suppression des franchises médicales, des forfaits et des dépassements d’honoraires, ce qui n’est hélas ! pas à l’ordre du jour de ce projet de loi.

Nous serons particulièrement attentifs à la suite qui sera donnée aux déclarations que vous avez faites, madame la ministre, concernant la tarification à l’activité, mais nous espérons que vous vous donnerez les moyens d’aller au bout.

Alors que vous reconnaissez le rôle-pivot des centres de santé dans la modernisation de notre système de santé, c’est la baisse des budgets qui est à l’ordre du jour.

En ce qui concerne la médecine préventive, vous la financez petitement grâce aux économies réalisées sur le dos du service public de la santé.

Et puisque je parle de prévention, je veux redire ma colère de constater qu’au nom des intérêts financiers des puissants alcooliers, un assouplissement de la loi Évin a été voté contre votre avis, madame la ministre. Je veux donc dire ici, une nouvelle fois, pour le dénoncer, combien nous trouvons indécent, au groupe CRC, que des parlementaires de toutes sensibilités politiques aient répondu aux sirènes de groupes de pression au détriment de la santé de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Je conclurai mon propos en soulignant que nous aurions souhaité pouvoir voter une loi-cadre de santé publique et que ce projet de loi de modernisation de notre système de santé est pour nous un rendez-vous manqué, car vous avez refusé de faire voler en éclats le carcan de l’austérité. Vous auriez pu soumettre, comme nous vous y invitions, les profits financiers au taux actuel des cotisations sociales des employeurs et moduler la cotisation des employeurs selon la politique salariale, écologique et financière menée, mais vous ne l’avez pas fait.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons voter ce projet de loi, mais vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, notre frustration est grande de ne pouvoir aller jusqu’au bout de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)