Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli, rapporteur.

Mme Colette Giudicelli, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le secteur médico-social. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ONDAM médico-social atteindra 18,2 milliards d’euros l’année prochaine, en progression de 1,9 % par rapport à l’année 2015. L’objectif global de dépenses devrait, quant à lui, augmenter de 2,1 %, pour s’établir à 19,5 milliards d’euros en 2016. Ces évolutions, relativement favorables au regard de la progression des dépenses d’assurance maladie dans leur ensemble, méritent malgré tout d’être nuancées.

En effet, la décélération du rythme de progression des enveloppes allouées au secteur médico-social se poursuivra en 2016. Je le rappelle, en 2013, elles augmentaient encore de 4 %. Le secteur médico-social contribue très largement à la régulation des dépenses d’assurance maladie, par le biais des gels de crédits en cours d’année. Une partie de l’augmentation des crédits résultera, comme en 2015, d’un prélèvement opéré sur les réserves de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA ; cette méthode ne peut pas constituer une solution pérenne de financement du secteur.

Ces réserves ne doivent pas occulter le fait que 405 millions d’euros de moyens supplémentaires devraient être alloués aux établissements et services pour personnes âgées et handicapées l’année prochaine, notamment afin de poursuivre la médicalisation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, ainsi que les créations de places.

Sur ce dernier point, je salue l’annonce par Mme la ministre de la mobilisation d’une enveloppe de 15 millions d’euros pour débloquer la situation de familles qui, faute de solution d’accueil adaptée, sont aujourd’hui contraintes de se tourner vers la Belgique. Au-delà de cette mesure ponctuelle, je crois qu’il nous faut travailler à mieux adapter l’offre d’accueil sur notre territoire, ainsi que le dispositif d’orientation par les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH.

La commission des affaires sociales est favorable à l’adoption des articles relatifs au secteur médico-social, sous réserve de modifications rédactionnelles.

L’article 46 prévoit le transfert vers l’assurance maladie du financement des dépenses de fonctionnement des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, à compter du 1er janvier 2017. Notre commission reconnaît l’intérêt d’ancrer pleinement ces structures dans le champ médico-social et d’assurer davantage de souplesse aux agences régionales de santé, les ARS, dans le pilotage de leurs enveloppes de financement. Je vous en avais déjà parlé, madame la ministre.

Pour autant, je tiens à attirer votre attention sur le fait que les modalités financières de la réforme ne sont pas prévues dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. L’an prochain, le Gouvernement devrait donc prévoir le transfert vers l’assurance maladie d’une recette de l’État suffisamment dynamique pour couvrir à la fois les besoins de fonctionnement et d’investissement des ESAT. Ceux-ci sont importants et les crédits actuellement alloués par l’État, près de 1,5 milliard d’euros pour le fonctionnement et de 1,5 million pour l’aide à l’investissement en 2016, ne sont, me semble-t-il, pas au niveau des besoins constatés. Si les recettes transférées vers l’assurance maladie se révélaient insuffisantes, il serait regrettable que le poids du financement des ESAT ne pèse in fine sur les ressources propres de la CNSA, au détriment de la compensation des dépenses d’allocation personnalisée d’autonomie, ou APA, et de prestation de compensation du handicap, ou PCH.

Au demeurant, cette réforme ne sera qu’en partie source de simplification. En effet, l’État continuera de financer l’aide au poste, qui permet de garantir un niveau minimal de rémunération aux travailleurs en ESAT, et pour un montant proche de 1,3 milliard d’euros l’année prochaine. À partir de 2017, les deux enveloppes, les dépenses de fonctionnement et l’aide au poste, seront placées sous la responsabilité de deux financeurs différents : l’assurance maladie et l’État. À mon sens, rien ne garantit qu’elles évoluent à l’avenir dans les mêmes proportions.

Notre commission s’est prononcée en faveur de l’article 47, qui prévoit la généralisation, sur une période de six ans, des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM, dans les établissements et services pour personnes handicapées lorsque ceux-ci sont tarifés par le directeur général de l’ARS. Cette proposition nous apparaît cohérente avec la généralisation des CPOM dans les EHPAD, prévue à l’article 40 bis du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que le Sénat vient d’adopter en deuxième lecture.

Si la généralisation des CPOM permettra de moderniser le financement des structures concernées, notamment celles qui passeront d’une tarification au prix de journée vers un système de dotation globale, elle doit également servir de levier pour améliorer la qualité et la prise en charge. De ce point de vue, le fait que la réforme ne fasse pas l’objet d’un accompagnement financier spécifique risque, je le crois, de limiter les marges de manœuvre en la matière.

J’insiste également sur le fait que le CPOM ne peut être à lui seul la solution miracle pour dépasser les limites de l’organisation de l’offre médico-sociale sur nos territoires. Dans son rapport Zéro sans solution, publié au mois de juin 2014, Denis Piveteau a tracé un certain nombre de pistes. Certaines, il est vrai, sont déjà en voie d’être mises en œuvre ; je pense à l’article 21 bis du projet de loi santé. D’autres restent encore à construire pour mettre fin aux ruptures de parcours et améliorer de manière structurelle l’accompagnement des personnes handicapées et de leurs familles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Caroline Cayeux, rapporteur.

Mme Caroline Cayeux, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes tous ici attachés à la pérennité de la politique familiale. L’équilibre des comptes de la branche famille en est une condition sine qua non.

Alors que son déficit avait de nouveau augmenté en 2013, atteignant un niveau historique, les résultats en 2014 sont meilleurs que prévu et le déficit 2015, à 1,6 milliard d’euros, est inférieur à l’objectif retenu voilà un an. Le présent projet de loi prévoit de le ramener à 800 millions d’euros en 2016, ce qui représenterait près de 2 milliards d’euros de diminution du déficit en deux ans.

On nous dit que le retour à l’équilibre de la branche famille est désormais prévu à l’horizon 2018. Faut-il pour autant s’en réjouir, en croyant à des jours meilleurs ? Certes, d'un strict point de vue comptable, tout semble mener la branche famille vers l’équilibre. Mais, derrière les chiffres affichés, c’est tout le fondement de la politique familiale et même sa pérennité qui semblent remis en cause.

Le creusement du déficit de la branche famille a été largement lié à une conjoncture économique exceptionnelle. Alors que le retour, annoncé, de la croissance et l’inversion, promise, de la courbe du chômage se font toujours attendre, c’est bien la faiblesse de l’inflation et le ralentissement de la natalité qui contribuent à freiner l’évolution spontanée des charges de la branche. Pas de quoi se réjouir !

Nous ne pouvons pas non plus saluer et applaudir le « tour de passe-passe » budgétaire qui consiste à décaler les charges d’une année sur l’autre au mépris des familles.

Ne soyons pas dupes ! Quand le Gouvernement a décidé de décaler le versement de la prime à la naissance du septième mois de grossesse au deuxième mois après la naissance, il s’agit d’une économie très artificielle !

M. Gilbert Barbier. Tout à fait !

Mme Caroline Cayeux, rapporteur pour la famille. C’est une charge reportée sur 2016. Ce sera trop tard pour les familles, qui auront déjà dû faire face aux dépenses pour accueillir leur enfant !

Nous ne pouvons pas non plus nous réjouir des économies nées de la modulation des allocations familiales. Cette mesure, qui s’apparente à une mise sous condition de ressources au regard des montants dérisoires versés aux familles les plus aisées, permettra d’économiser 880 millions d’euros en 2016, après 440 millions d’euros en 2015 : il s’agit là d’économies réalisées au mépris du principe de l’universalité, d’autant que le cumul des mesures d’économies, sociales et fiscales, décidées depuis 2012, représentera en 2016 une ponction de plus de 1,8 milliard d’euros pour les familles.

Les mesures ponctuelles en faveur des familles les plus modestes sont incomparables avec les mesures d’économies, qui touchent également les classes moyennes.

Le texte qui nous est proposé fait bien reposer le redressement des comptes sur une baisse des dépenses, c’est-à-dire sur une diminution des prestations versées aux familles.

Le redressement des comptes de cette branche pèse uniquement sur les familles, sans que les personnes sans enfants soient mises à contribution, contrairement au principe de solidarité horizontale sur lequel cette politique s’est construite.

Pour ces raisons, la commission des affaires sociales vous proposera de ne pas adopter l’objectif de dépenses pour 2016.

La modification des modalités de revalorisation annuelle des prestations sociales entraînera une moindre dépense ponctuelle de 400 millions d’euros pour l’année 2016, dont 200 millions d’euros pour la branche famille. Cette mesure explique la moitié de la différence entre le solde qu’atteindrait spontanément la branche et la cible retenue.

L’autre moitié de cet écart résulte d’un vaste mouvement de réaffectation de recettes fiscales entre les différentes branches, mais ne correspond nullement à des mesures d’économies.

Notons que les allégements de cotisations sur les bas salaires prévus par le pacte de compétitivité n’entreront finalement en vigueur qu’au 1er avril 2016.

La perte de recette pour la branche sera donc plus élevée d’environ 1 milliard d’euros en année pleine, et de nouvelles recettes devront être trouvées si la trajectoire de retour à l’équilibre doit être respectée. On ne pourra pas éternellement tout remettre au lendemain !

Je refuse donc de cautionner le fait que la réduction salutaire du déficit de la branche de près de 2 milliards d’euros en deux ans repose principalement sur l’effet de mesures réduisant considérablement les prestations apportées aux familles, d’une part, et sur des mesures de tuyauterie et de trésorerie qui ne représentent aucune économie réelle, d’autre part.

Nous ne pouvons pas accepter que l’aide apportée aux familles soit sacrifiée sur l’autel de l’amélioration de la situation comptable de la branche famille.

Le texte qui nous est proposé fait essentiellement reposer le redressement des comptes sur une diminution des dépenses, c’est-à-dire sur une baisse des prestations versées aux familles.

Je rappelle, mes chers collègues, qu’en 2015 les mesures sociales et fiscales prises depuis 2012 représenteront, selon des chiffres communiqués par le Gouvernement, plus de 1,8 milliard d’euros.

Alors que la politique familiale devrait reposer sur la solidarité entre les personnes sans enfants et les familles, seules ces dernières sont mises à contribution.

Ainsi, si le Gouvernement soutient que la politique familiale devient plus redistributive, c’est sous l’effet d’une restriction inacceptable et profondément injuste de l’effort global en faveur des familles.

La modulation des allocations familiales, qui étaient la seule prestation réellement universelle, modifie radicalement la nature de la politique familiale telle qu’elle a été conçue en France il y a exactement soixante-dix ans.

Cette politique a historiquement pour but de compenser la charge représentée par l’éducation d’un enfant, conformément à l’idée que chaque enfant doit bénéficier de la même aide de la part de la nation. C’est donc renier l’esprit qui a guidé nos prédécesseurs ; c’est renier nos principes républicains ; c’est aussi renier les fondements de notre politique familiale qui place l’épanouissement de l’enfant en son cœur.

Cette évolution est d’ailleurs totalement rejetée par l’ensemble des associations familiales que j’ai pu rencontrer et qui ont exprimé leur attachement à l’universalité de la politique familiale.

Cette évolution guidée par des considérations purement financières est par ailleurs inquiétante.

En effet, si on considère aujourd’hui que la politique familiale ne doit consister qu’en une politique de soutien aux revenus des familles les plus modestes et que les enfants des familles des classes moyennes ou aisées n’ont pas vocation à bénéficier de prestations sociales, qu’est-ce qui s’opposera, demain, à une modulation des remboursements de soins par l’assurance maladie ? Ne pourrait-on également étendre cette logique aux services publics et remettre en cause leur gratuité ? Ces évolutions semblent évidemment impensables à court terme, mais souvenons-nous que voilà à peine un an le Gouvernement excluait fermement toute remise en cause de l’universalité des allocations familiales.

Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, et le Gouvernement rencontre les plus grandes difficultés à tenir les siennes. Les exemples ne manquent pas...

Je dirai un mot sur l’accueil des jeunes enfants. Le Gouvernement en a fait un axe important de sa politique en faveur des familles, en fixant au travers de la convention d’objectifs et de gestion conclue avec la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, pour 2013-2017 des objectifs ambitieux de création de places d’accueil individuel et collectif. Force est toutefois de constater que ces objectifs sont loin d’être atteints. Alors que 275 000 solutions nouvelles doivent être créées d’ici à 2017, seulement 21 000 l’ont été en 2013 et en 2014.

En matière d’accueil individuel, le nombre de solutions d’accueil a même régressé de plus de 8 000 places en deux ans, alors qu’il était censé progresser de 40 000 places.

Compte tenu de la situation financière des communes et de la ponction qui a été réalisée sur les ressources du Fonds national d’action sociale, on voit mal comment le retard accumulé pourra être rattrapé.

Or l’accueil des jeunes enfants représente un enjeu de la plus grande importance pour les familles, notamment pour l’insertion professionnelle des femmes. De réels efforts doivent donc être réalisés en la matière afin, sinon d’atteindre les objectifs fixés, ce qui ne paraît plus possible, au moins d’obtenir de réels progrès en la matière.

J’ai évoqué dans mon rapport quelques pistes de travail, dont certaines sont, je le sais, étudiées par le Gouvernement. On peut par exemple s’interroger sur les normes applicables aux établissements, sur l’organisation de la filière des métiers de la petite enfance ou encore faire évoluer les aides à la garde individuelle.

Enfin, je tiens tout de même à saluer la seule mesure qui constitue une avancée sociale digne d’intérêt dans ce texte : la généralisation du dispositif de garantie contre les impayés de pensions alimentaires, qui avait été mis en place à titre expérimental par la loi du 4 août 2014. Oui, madame la ministre, cette mesure devrait contribuer à aider les parents isolés, des femmes dans la plupart des cas, qui sont particulièrement exposés à la précarité, voire à la pauvreté.

En conclusion, je veux souligner combien je suis inquiète pour l’avenir et pour les familles qui, déjà, renoncent à s’agrandir. (M. Jean Desessard s’exclame.) La politique familiale de notre pays est en danger ! La natalité qui fait notre force est, elle aussi, en danger !

Plutôt que de se donner les moyens de consolider une politique familiale qui fait sens et donne à notre pays le dynamisme nécessaire, nous faisons tout l’inverse !

À l’heure où la Chine déverrouille sa natalité, la France verrouille la sienne !

À l’heure où il faut « faire », notre gouvernement n’a pas d’autre ambition que celle de « défaire » ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Roche, rapporteur.

M. Gérard Roche, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, s’agissant de la branche vieillesse, ne présentait pas à première vue d’enjeux particuliers.

Il ne comporte en effet aucune disposition significative si ce n’est quelques mesures de correction des dysfonctionnements de la loi du 20 janvier 2014, en particulier sur le dispositif du cumul emploi-retraite.

Il est, surtout, porteur en apparence d’une bonne nouvelle. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Le déficit de la branche vieillesse poursuit sa réduction et atteindra en 2016 le montant de moins 2,8 milliards d’euros, profitant des 900 millions d’euros d’excédent prévus pour les régimes de base. C’est en soi une excellente nouvelle !

Cette situation résulte, chacun le sait, d’une conjoncture rare : les recettes, « dopées » par la hausse des cotisations vieillesse intervenue depuis 2012, sont plus dynamiques que les dépenses, qui bénéficient pleinement de la réforme des retraites de 2010 et du recul de l’âge légal à soixante-deux ans.

Cependant, cette conjoncture est temporaire puisque la hausse des cotisations vieillesse prendra fin en 2017, après avoir porté leur taux à 17,75 %, ce qui pèsera tout de même durablement sur le coût du travail.

Néanmoins, madame la ministre, et comme je vous l’avais déjà indiqué lors de votre audition devant la commission des affaires sociales, je salue cette trajectoire de baisse du déficit, qui représente un « coin de ciel bleu », selon l’expression utilisée par notre collègue Jean-Louis Tourenne la semaine dernière.

Pourtant, ce « coin de ciel bleu » ne change rien à notre profonde préoccupation quant à l’équilibre de long terme de notre système de retraite par répartition. Cette préoccupation est de trois ordres.

Tout d’abord, l’amélioration du déficit de la branche vieillesse souligne avec d’autant plus de force la persistance du déficit du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, qui se stabilisera en 2016 au niveau très élevé de moins 3,7 milliards d’euros.

Réapparu en 2009, ce déficit s’explique par la persistance depuis la crise d’un chômage de masse face auquel la promesse d’inversion durable de la courbe est pour l’instant restée lettre morte. Nous espérons toutefois que les chiffres du chômage du mois de septembre soient le signe d’un amorçage de cette inversion. En attendant, rien dans ce texte ni dans vos propos récents, madame la ministre, ne laisse entendre que le Gouvernement souhaiterait agir contre le déficit du FSV. Vous êtes-vous résolue à n’avoir qu’un traitement par la conjoncture de ce déficit ou alors pensez-vous que des mesures devront être prises ?

Ensuite, les perspectives économiques ne permettent pas d’envisager à législation constante un retour à l’équilibre du système de retraite à l’horizon des vingt-cinq prochaines années.

Les analyses récentes du COR, le Conseil d’orientation des retraites, l’ont très bien montré : il faudrait que le taux de chômage chute à 4,5 % et que les gains de productivité du travail bondissent à 2 % par an pour que cet équilibre soit assuré. Autant de conditions impossibles à réunir à court terme avec un tendanciel de croissance si faible.

Les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles se fondent les textes financiers de cet automne sont encore considérées comme très optimistes par le Haut Conseil des finances publiques.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce n’est pas vrai !

M. Gérard Roche, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Vous nous aviez fait la promesse que la réforme de 2014 ramènerait durablement le système à l’équilibre. Nous aimerions savoir si vous maintenez toujours cette promesse qui nous paraît, hélas ! aléatoire.

Enfin, l’accord sur les régimes de retraite complémentaire des salariés du privé AGIRC-ARRCO doit être salué. C’est un soulagement tant les résultats de la négociation étaient déterminants pour la pérennité financière du système de retraite dans son ensemble.

Une mesure a concentré les attentions même si elle n’est pas la plus financièrement rentable : il s’agit du mécanisme de « coefficients temporaires », le fameux « bonus-malus », que nous avons longuement évoqué la semaine dernière dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS, et qui devrait de facto repousser à soixante-trois ans, dès 2019, l’âge effectif de départ à la retraite de la grande majorité des salariés du privé.

Cette mesure est présentée comme un premier pas vers une « retraite à la carte », ce qui est une idée d’avenir. Elle a néanmoins été difficile à prendre pour les partenaires sociaux, en particulier pour les syndicats de salariés. Comment ne pas y voir les conséquences de l’absence de mesures suffisamment courageuses à court terme par le Gouvernement lors de la réforme de l’année dernière ?

De plus, cet accord introduit une nouvelle disparité entre les salariés du privé et les fonctionnaires qui, eux, pourront toujours continuer à partir à soixante-deux ans en percevant l’intégralité de leur pension. La réforme de 2003 s’était précisément employée à effacer les différences entre les deux secteurs.

Aussi, tirant les conclusions de ces préoccupations, je proposerai au Sénat de voter les amendements de suppression des articles fixant les objectifs de dépenses de la branche vieillesse et du FSV, qui ont été déposés par notre collègue Francis Delattre, au nom de la commission des finances.

J’ai donc proposé à la commission des affaires sociales – et je réponds par là même au secrétaire d’État M. Eckert, qui nous reprochait de ne pas avancer de propositions – d’adopter, ce qu’elle a fait, un amendement permettant de porter, à compter du 1er janvier 2019 pour la génération de 1957, l’âge légal à soixante-trois ans tout en maintenant l’âge d’annulation de la décote à soixante-sept ans.

Mme Nicole Bricq. Tout ça par amendement !

M. Gérard Roche, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Cet amendement met en œuvre un relèvement progressif de l’âge légal, mécanisme qui a fait ses preuves aussi bien à court terme, ce qui est essentiel car les régimes de base renoueront avec les déficits en 2019, que sur le moyen terme. En effet, nous savons qu’en 2016 la réforme de 2010 permettra une économie de 5,1 milliards d’euros.

L’amendement que je présente, je le sais, fait débat dans notre assemblée, et même au sein de la majorité sénatoriale. Je le juge toutefois équilibré : à la fois socialement juste et financièrement efficace.

De plus, il ne vise qu’une seule ambition : garantir pour les générations futures la pérennité de notre système par répartition auquel nous sommes tous, sur ces travées, très attachés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot, rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec un excédent prévisionnel d’un demi-milliard d’euros, la branche AT-MP devrait pouvoir rembourser l’intégralité de sa dette dès l’année prochaine. Ces résultats très positifs n’auraient pas été possibles sans l’ajustement régulier des taux de cotisation et le maintien d’un dialogue social fructueux.

Je rappelle que les dépenses de la branche AT-MP couvrent, pour l’essentiel, trois types de sinistres : les accidents du travail, les accidents de trajet et les maladies professionnelles. La baisse tendancielle de la sinistralité ne s’est pas démentie dans la période récente. Des évolutions contrastées se profilent néanmoins en fonction du type de risques considérés.

Pour la première fois, en 2014, le nombre d’accidents du travail est passé sous la barre des 900 000. Ce chiffre reste considérable, mais il a diminué de près de 21 % en sept ans. Cette évolution s’explique par trois causes principales : les efforts de prévention déployés par les employeurs, la réduction du secteur industriel, le plus accidentogène dans l’économie française, enfin le ralentissement de l’activité économique en général.

Le nombre d’accidents de trajet a, quant à lui, été ramené d’environ 125 000 à 119 000, malgré une légère remontée en fin de période.

J’en viens aux maladies professionnelles. Leur nombre a connu un pic en 2011, avant d’amorcer une légère descente. Il se stabilise aujourd’hui à environ 68 000 et demeure ainsi largement supérieur au niveau observé au début des années 2000.

La croissance des maladies professionnelles est portée par celle des troubles musculo-squelettiques : leur part est passée de 26 % en 1990 à 87 % en 2014. Je rappelle que la part des pathologies dues à l’amiante s’élève, quant à elle, à 7 %.

Parmi les évolutions notables de ces dernières années, je souhaiterais insister sur le nombre croissant des maladies professionnelles reconnues sur le fondement des procédures dérogatoires par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, les CRRMP.

En 2014, les affections sur lesquelles ces comités ont eu à se prononcer le plus souvent sont les troubles psychosociaux. Dans ce domaine, en l’espace de quatre ans, le nombre d’avis favorables s’est accru de quelque 73 % pour les dépressions et de 13 % pour les troubles anxieux.

Cet accroissement résulte en partie d’une interprétation plus souple donnée par le Gouvernement sur les règles d’appréciation de l’incapacité permanente. Malgré cet assouplissement, la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une pathologie psychique demeure difficile. Il n’est pas toujours évident d’imputer un burn-out aux seules conditions de travail, et il n’existe pas d’indicateur précis permettant de déterminer le degré d’incapacité provoqué par cette maladie.

Le rapport que le Gouvernement devra réaliser l’année prochaine en application de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi nous apportera, je l’espère, des éléments d’appréciation nouveaux sur la possibilité d’intégrer des affections psychiques dans un tableau de maladies professionnelles ou d’abaisser le seuil d’incapacité permanente requis pour ces mêmes affections.

Je rappelle que nous avons formulé une préconisation en ce sens dans le rapport d’information de la commission des affaires sociales que j’ai rédigé, avec Jean-Pierre Godefroy, sur le mal-être au travail.

Nous pourrions donc nous réjouir des résultats excédentaires de la branche si la mise en place de nouvelles dépenses de transfert ne venait pas contrarier les efforts visant à renforcer la logique assurantielle et préventive de la branche.

Les dépenses de transferts, entièrement supportées par la part mutualisée des cotisations employeurs, représentent aujourd’hui près de 2,5 milliards d’euros, soit 20 % des charges de la branche. Elles limitent fortement la partie variable des taux de cotisation, liée à la sinistralité propre de l’entreprise.

Or voici que l’annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 nous annonce un nouveau transfert de cotisations de 0,05 point de la branche AT-MP vers la branche maladie du régime général. Cette mesure, qui n’a été découverte par les partenaires sociaux et la direction des risques professionnels de la CNAM qu’au moment de la publication du texte, conduirait à ponctionner la branche AT-MP d’un demi-milliard d’euros supplémentaire en 2016 et d’autant en 2017.

Il s’agit ni plus ni moins d’une nouvelle opération de renflouement de l’assurance maladie, qui remet en cause l’autonomie de la branche AT-MP et sa vocation assurantielle. Nous ne pouvons l’accepter, car elle amoindrit encore davantage la portée des leviers sur lesquels il est permis de jouer pour renforcer l’incitation à la prévention auprès des employeurs.

Faut-il rappeler que la convention d’objectifs et de gestion de la branche pour 2014-2017 et le troisième plan « Santé au travail » réaffirment la nécessité de faire de la prévention une priorité, en rupture avec une approche fondée sur la réparation ? Et que la branche a entrepris de nombreux travaux en ce sens, parmi lesquels la poursuite de la réforme de la tarification ?

Par ailleurs, en vertu du récent accord sur les retraites complémentaires, il est question de compenser la hausse des cotisations de retraite des employeurs, à hauteur de 700 millions d’euros, par une baisse des cotisations de la branche AT-MP à compter de 2019. Ici encore, la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la branche a été prise de court.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous renseigner sur les conséquences précises de cet accord sur la branche AT-MP ? Quels seront l’échelonnement et l’ampleur de la mesure annoncée ?

S’agissant des autres dépenses de transfert, la commission des affaires sociales réitère la double réserve émise l’année dernière.

La première concerne la dotation au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA. L’activité du fonds connaît depuis 2013 un rythme soutenu, qui lui a permis d’augmenter le nombre d’offres, tout en raccourcissant les délais de réponse. Ce contexte justifie l’effort important de la branche AT-MP pour ce fonds.

Nous regrettons cependant le désengagement manifeste dont continue de faire preuve l’État dans le financement de l’établissement. Depuis sa création, celui-ci a été doté de plus de 4,7 milliards d’euros, dont 4,3 milliards en provenance de la branche AT-MP. Comme l’an dernier, le projet de loi de finances prévoit cette année une dotation complémentaire de l’État de 10 millions d’euros, ce qui ne correspond qu’à environ un cinquième du montant des participations assurées avant 2013. Je ne reviens pas sur les préconisations de la mission sénatoriale sur l’amiante, qui avait jugé légitime de prévoir un engagement de l’État à hauteur d’un tiers du budget du FIVA. On en est bien loin !

La seconde réserve concerne le versement de la branche AT-MP à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des maladies professionnelles.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 reconduit la dotation arrêtée l’année dernière, qui s’élève à 1 milliard d’euros, contre 300 millions en 2002. Compte tenu de la progression incessante de ce versement, la réalité des efforts engagés pour lutter contre la sous-déclaration, sans même parler des modalités d’évaluation de ce phénomène, reste sujette à caution. Il nous semble que le caractère automatique du versement ne doit pas exonérer d’un débat de fond sur les causes de la sous-déclaration et sur les actions à mener pour la circonscrire.

N’oublions pas, mes chers collègues, que la branche est alimentée avant tout par la cotisation des entreprises, ce qui veut dire que, sans ces transferts, les cotisations pourraient baisser. Cela soulagerait d’ailleurs les entreprises qui, vous vous en doutez, en auraient bien besoin en ce moment.