M. Philippe Kaltenbach. … qui n’est plus relatif au droit des étrangers, mais à la maîtrise de l’immigration.

Vous considérez l’étranger comme une menace, quand vous n’en faites pas tout simplement un bouc émissaire.

Au nom du groupe socialiste, je voudrais rappeler ici haut et fort que, aujourd’hui, un Français sur quatre a un grand-parent né hors de France. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Troendlé. Cela n’a rien à voir !

M. Philippe Kaltenbach. Pour conclure, j’ai cherché une citation, mais j’ai trouvé mieux : je vous livre donc, mes chers collègues, une liste de noms d’étrangers devenus d’illustres Français : Necker, Marat, Gambetta, Chopin, Marie Curie, Picasso, Le Corbusier, Beckett, Zola, Kandinsky, Chagall, Gary, Ionesco, Apollinaire, Uderzo, Cardin… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Leila Aïchi et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous le savez, je pourrais continuer longtemps à égrener des noms.

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Sarkozy !

M. Philippe Kaltenbach. Je ne sais pas si Nicolas Sarkozy est un illustre Français – je ne m’engagerai pas dans ce débat ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

C’est cela, la réalité de la France d’hier et d’aujourd’hui. Et, je l’affirme, cela continuera ! En effet, l’immigration est une composante de toutes les grandes nations, a fortiori dans un monde de plus en plus globalisé.

Le tout aurait été de parvenir à discuter des conditions de cette immigration dans un climat apaisé et dépassionné, tout en gardant en mémoire les valeurs humanistes fondatrices de notre République. (M. François Grosdidier s’exclame.)

Ces conditions n’auront pas été réunies,…

M. le président. Il faut conclure.

M. Philippe Kaltenbach. … le groupe socialiste le regrette et votera contre ce texte, qui se limite à des postures politiciennes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Leila Aïchi et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste regrette que, victime de l’agitation fébrile suscitée par les prochaines élections régionales, la majorité sénatoriale ait détourné le projet de loi relatif au droit des étrangers en France de son véritable objectif (Mme Catherine Troendlé hoche la tête en signe de dénégation.) : une révision raisonnable du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, à mille lieues des traditionnels excès de la droite dure et du FN. Nous regrettons que la droite ait sacrifié de justes mesures relatives à l’accueil et au séjour des étrangers sur notre sol à une seule hantise, une seule obsession : l’éloignement des étrangers en situation irrégulière !

Le texte du Gouvernement n’était assurément pas « laxiste ». Il méritait encore un certain nombre d’ajustements. Ce travail avait été engagé à l’Assemblée nationale, nous aurions pu le poursuivre, tout du moins si le Sénat avait été autre, et sa majorité animée d’autres intentions… (M. Alain Marc s’exclame.) Encore une occasion manquée de désengorger nos préfectures et d’ouvrir plus largement nos portes à une immigration professionnelle, scientifique et étudiante de haut niveau.

Avez-vous prêté attention, mes chers collègues, au dernier prix Nobel de chimie ? (M. Stéphane Ravier s’exclame.) L’un des lauréats est un Suédois travaillant en Grande-Bretagne, le deuxième un Turc menant ses recherches dans une université américaine, le troisième un Américain au nom de famille à consonance peu anglo-saxonne. C’est aussi cela, l’immigration, lorsqu’on la pense d’une manière intelligente.

Nous aussi, nous avons eu nos Nobel de trouble origine : Marie Curie, Georges Charpak, Gao Xingjian, et j’en passe. Jusqu’à Patrick Modiano, petit-fils d’immigré… Lorsqu’on parle d’immigration, il faut savoir jouer et viser juste, et le cynisme des urnes n’est en la matière jamais de bon conseil.

Voyez comment des centaines de nos jeunes partent au loin, qui en Californie pour réaliser son rêve de start up, qui au Brésil pour ouvrir une boulangerie française, qui en Australie en quête d’aventure économique. Ne contribueront-ils pas à dynamiser les pays où ils se cherchent un meilleur avenir professionnel, intellectuel, ou autre ? Si on les recevait là-bas comme nous, nous accueillons les étrangers ici, ils ne seraient sûrement pas partis...

Qui peut ignorer que les meilleurs étudiants étrangers, que les émigrants hautement qualifiés ne viennent plus chez nous ? Ils se dirigent naturellement là où l’accueil qui leur sera réservé sera à la hauteur de leur contribution et de leur engagement futur. La carte pluriannuelle était une chance pour attirer les meilleurs, et un moyen de rendre leur dignité à tous ces immigrés qui ont tant à donner et que l’on stigmatise aujourd’hui par pur clientélisme politique.

Pourquoi le centre droit de cette assemblée est-il monté dans le même wagon que la droite dure ? Suivisme ? Peut-être…

Nous les connaissons pourtant bien ces démons nationalistes et xénophobes…

Mme Esther Benbassa. … qui s’emparent de la France lorsque l’économie flanche. Rappelons-nous l’après-krach boursier de 1929 ! Rappelons-nous ces affiches qui stigmatisaient « l’étranger ».

Ce qui manque à trop d’entre nous, mes chers collègues, c’est ce minimum de conscience historique qui pourrait nous empêcher de reproduire les erreurs du passé, avec les mêmes effets délétères.

Le rejet de l’étranger, est-ce une névrose nationale française ? Ne faisons pas la part trop belle à la névrose… Elle ne resurgit que pour pallier l’absence criante de tout programme politique susceptible de remédier vraiment aux effets dévastateurs de la crise, chômage en tête. Il est si facile de tromper un pays en flattant l’un des pires penchants humains, celui de la xénophobie.

Le Sénat ressuscite les ambitions passées de Nicolas Sarkozy. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Il vous manque !

Mme Esther Benbassa. Je vais vous répéter quelques belles paroles, qui vont vous faire plaisir ! Qui ne se souvient que l’un des thèmes phares de la campagne de 2007…

Mme Esther Benbassa. … avait été « l’immigration choisie », avec l’instauration de quotas ? Les Républicains cherchent à nous faire du neuf avec du vieux. Se souviennent-ils du verdict de la commission Mazeaud ? M. Mazeaud n’était pourtant pas un affreux gauchiste, me semble-t-il…

En ce qui concerne les quotas, je cite le rapport de cette commission : « sans utilité réelle en matière d’immigration de travail, inefficaces « contre l’immigration irrégulière », « irréalisables ou sans intérêt »... C’est bien M. Mazeaud, l’affreux gauchiste,…

Mme Isabelle Debré. Il va être content !

Mme Esther Benbassa. … qui s’exprime ainsi et qui aurait pu être chez Les Républicains aujourd’hui.

Chers collègues, vous avez ranimé les fantasmes sur le regroupement familial, en manipulant les chiffres pour y inclure les Français faisant venir en France leur conjoint étranger. Vous avez joué sur les prestations familiales et médicales, l’accès au logement et le RSA pour renforcer un autre fantasme, populiste s’il en est, celui de l’immigré fraudeur et profiteur. Je ne referai pas, devant vous, le long voyage auquel vous nous avez contraints sur le pénible chemin des contre-vérités. Je ne reviendrai pas sur la désolante litanie que vous avez entonnée : mafias, rétention, coercition. Certains n’avaient que ça en tête.

Quoi que vous fassiez, mesdames, messieurs de la droite, vous ne ferez jamais aussi bien en la matière que le FN, et vous n’y gagnerez, sur lui, que peu de voix. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains – MM. David Rachline et Stéphane Ravier applaudissent.) Alors, pourquoi vous donner tout ce mal, juste pour masquer l’indigence de vos propositions pour le pays ?

Le groupe écologiste du Sénat…

M. Hubert Falco. Quel groupe écologiste ?

Mme Esther Benbassa. … votera naturellement contre un texte s’évertuant désormais à transformer le parcours de l’étranger en une humiliante course d’obstacles. Il garde l’espoir que l’Assemblée aura la sagesse de revenir à une formule juste, plus digne de la France. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vos cris montrent bien que vous n’êtes pas à l’aise ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Jean Louis Masson. À entendre certaines interventions, on a l’impression d’être dans un régime de pensée unique. On a l’impression qu’on ne peut pas, dans cette assemblée et dans notre société, avoir un avis sur l’immigration qui soit divergent de ce que pensent les soi-disant bien-pensants. Je le dis très clairement : je suis hostile à l’immigration, pour des raisons qui sont à la fois conjoncturelles et structurelles.

Tout d’abord pour des raisons conjoncturelles… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Quand je vous disais qu’on est dans la pensée unique ! On n’arrive même plus à s’exprimer. C’est honteux !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.

M. Jean Louis Masson. Pour des raisons conjoncturelles tout d’abord. Au moment où nous connaissons le chômage et des difficultés économiques considérables, ce n’est certainement pas nécessaire de charger la barque, en créant des charges et des difficultés supplémentaires.

Mme Éliane Assassi. Quelle image !

M. Jean Louis Masson. Mes chers collègues, actuellement une veuve d’agriculteur touche beaucoup moins que ce que touche un immigré qui vient chez nous et qui n’a jamais travaillé pour la France. (MM. David Rachline et Stéphane Ravier applaudissent. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Il ne faut pas s’étonner du résultat des élections, avec de tels irresponsables de la pensée unique.

Je suis également hostile à l’immigration pour des raisons structurelles. Par le passé – et mon département en est un exemple –, nous avons eu d’énormes vagues d’immigration, des Polonais, des Italiens, des Portugais, et ces gens ne posaient pas de problème ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Didier Guillaume. Vous avez la mémoire courte !

M. Jean Louis Masson. Il faut avoir le courage de le dire ! Ça a été également le cas pour les gens venus du Sud-Est asiatique. (Même mouvement.)

Monsieur le président, si je ne peux m’exprimer, ça ne va pas.

M. le président. S’il vous plaît, laissez s’exprimer l’orateur !

M. Jean Louis Masson. La pensée unique s’excite !

Comme je le disais, ça a été le cas également des gens qui venaient du Sud-Est asiatique. Et très souvent, les enfants de ces personnes étaient les premiers de la classe. Actuellement, avec des gens qui viennent d’autres endroits, ce ne sont ni les premiers de la classe (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)… Mais oui ! Et c’est vrai !

M. Dominique Bailly. C’est une honte !

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, j’attends : je veux parler pendant trois minutes.

M. le président. Mes chers collègues, laissez l’orateur s’exprimer.

Poursuivez, monsieur Masson.

M. Jean Louis Masson. Par le passé, l’immigration conduisait à l’assimilation. Aujourd’hui, l’immigration conduit au communautarisme. Il existe actuellement des quartiers où on ne va plus.

Mme Éliane Assassi. Arrêtez de raconter n’importe quoi !

M. Jean Louis Masson. Ce sont les mêmes gens qui sont dans ces quartiers. J’estime qu’il n’est pas pensable qu’on ait aujourd’hui des piscines où on sépare les hommes et les femmes.

Mme Éliane Assassi. Vous mélangez tout !

M. Jean Louis Masson. Il n’est pas pensable que l’on fasse des menus communautaristes dans les cantines scolaires.

Je voudrais terminer, mesdames et messieurs. On nous a dit tout à l’heure… (C’est fini ! sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Monsieur le président, je souhaite m’exprimer.

M. le président. Vous avez trente secondes de plus.

M. Jean Louis Masson. M. le président m’accorde trente secondes de plus face aux tenants de la pensée unique !

M. Jean Louis Masson. On nous a dit tout à l’heure que l’immigration avait conduit à des gens qui étaient des Français remarquables. C’est vrai : Necker, Mme Curie, etc. Il s’agissait de Français remarquables.

Mme Éliane Assassi. Et les ouvriers dans les entreprises !

M. Jean Louis Masson. Mais j’aurais voulu que la liste soit prolongée… Or Mohammed Merah ou Coulibaly, ce sont les terroristes d’aujourd’hui. L’immigration d’aujourd’hui, ce sont les terroristes de demain ! (Ouh ! et vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme Michelle Demessine. C’est honteux !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE, pour un propos apaisant.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les discussions autour de l’étranger et de son inquiétante étrangeté ont une nouvelle fois souligné la prédominance des passions sur la raison s’agissant de tels sujets, et nous venons d’en avoir la démonstration.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est plutôt du racisme !

M. Jacques Mézard. Nous le déplorons, de même que nous regrettons la succession continue de textes législatifs dans ce domaine, comme si la France était dans l’incapacité de définir une politique conforme à ses traditions, dans un large consensus.

Mes chers collègues, je ne dirai certainement pas aujourd’hui l’inverse de ce que je disais à cette même tribune en 2011. Je voterai de la même manière, parce que c’est aussi cela le sens des responsabilités.

Alors que le projet de loi avait pour objet initial la recherche d’un équilibre, fait du bon accueil des étrangers en situation régulière et de l’efficacité de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, le texte tel qu’il ressort de nos débats est marqué – je le regrette – par un renforcement de la suspicion et de la méfiance envers l’étranger.

Nous regrettons que le débat ait été, une nouvelle fois, parasité par les feux électoralistes et les crispations de notre société sur les questions de laïcité et d’identité de la République. Le changement de l’intitulé du projet de loi, rebaptisé « Maîtrise de l’immigration », en est le symbole à la fois le plus bénin et le plus révélateur.

Le texte du Sénat veut renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière et les fraudes qui lui sont liées. Nous l’avons dit, la question est aujourd’hui largement celle des moyens financiers et humains mis en œuvre dans l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Cette immigration irrégulière constitue un facteur de déstabilisation de notre société, en ce qu’elle crée des amalgames puissants avec l’immigration régulière, qui, elle, doit être et est une force pour notre pays, et en ce qu’elle alimente un sentiment nuisible de défiance et d’impuissance des pouvoirs publics.

Nous, qui aurions souhaité un cadre législatif consensuel et réaliste, fruit d’une concertation entre les différentes sensibilités politiques – ce que d’autres pays arrivent à faire –, nous aurions aimé que la discussion se concentre davantage sur les moyens de l’intégration des étrangers dans la société française.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Jacques Mézard. Nous avons eu l’occasion de résumer, dans la discussion générale comme dans les débats, notre position résolument républicaine.

Elle se décline en trois principes complémentaires.

Le premier, c’est le syncrétisme d’individus d’origines et de cultures diverses dans le creuset républicain, sans que cela signifie la dissolution de la Nation dans le communautarisme. Nous aurons ce débat de manière approfondie avec la ratification de la charte des langues régionales.

M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas la même chose !

M. Jacques Mézard. Deuxième principe : le devoir d’intégration qui oblige aussi bien ces personnes que la communauté nationale, dans sa capacité à respecter les différences.

C’est bien sûr la question du contrat d’accueil et d’intégration signé par l’étranger, dont la normativité pose question, nous le savons, mais aussi l’apprentissage de la langue française. Vont dans ce sens la simplification à l’œuvre de l’accueil des étudiants étrangers et la facilitation de l’accès à l’emploi et de la création d’entreprises pour les étudiants de niveau master. Comme l’avait souligné le ministre lors de la discussion générale, il est plus souhaitable de laisser des étudiants étrangers diplômés de nos universités créer des entreprises en France que de chercher à les faire partir au moment où ils peuvent commencer à contribuer à notre économie. Ces dispositions consacrent l’abandon opportun de la logique préjudiciable qui avait présidé aux circulaires dites Guéant.

Troisième principe auquel nous sommes viscéralement attachés : le respect intangible de la personne humaine, dont ont témoigné l’adoption du principe de la priorité de l’assignation à résidence, l’encadrement du placement en rétention d’étrangers accompagnés d’un enfant mineur de moins de 13 ans, ou encore la consécration du droit d’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention.

A contrario, plusieurs dispositions témoignent du biais idéologique, et trop dogmatiquement crispé, qui a marqué les discussions.

Au premier chef, le retour au principe de l’annualité du titre de séjour, alors même que la carte pluriannuelle, qui devait intervenir après un premier titre de séjour, constituait la simplification majeure et attendue du projet de loi. Pourquoi privilégier l’encombrement des préfectures et faire comme si la pluriannualité revenait sur le principe du contrôle et de la surveillance des fraudes ?

La maîtrise de la langue française est, bien évidemment, un aspect important ; il a été souligné. Mais encore faut-il susciter la volonté et laisser la possibilité réelle – et non seulement virtuelle – aux étrangers d’apprendre notre langue !

Les choix qui ont été faits par le Sénat, tout en insistant sur la nécessité réelle d’intégrer les étrangers, ont de facto rendu ce processus plus complexe, et même décourageant à certains égards. L’obtention des titres de séjours constitue déjà un parcours du combattant. Ce temps et cette énergie, inutilement dépensés dans des tracasseries administratives répétitives, ne sont pas consacrés à l’intégration par la langue française ou par le travail.

Dans cette même veine se situe la suppression systématique des cas de délivrance de plein droit. Notamment la délivrance de plein droit aux parents d’un mineur étranger malade de l’autorisation provisoire de séjour, alors même que le ministre avait précisé que cette disposition ne contredisait pas l’appréciation du préfet. La République française, mes chers collègues, douterait tant d’elle-même et de ses fondations qu’elle ne pourrait poser le principe d’une délivrance de plein droit de l’autorisation provisoire de séjour pour la durée des soins d’un enfant malade ?

Il est même des mesures prises à l’encontre du bon sens, comme la suppression de la nouvelle voie d’acquisition de la nationalité française pour les fratries ou encore la création d’une peine d’emprisonnement pour le délit de fuite d’une zone d’attente ou d’un lieu de rétention. Nous avons bien compris la finalité préventive d’une telle mesure, mais puisque l’éloignement constitue l’objectif ultime, l’enfermement, qui est plus qu’hypothétique au vu de l’encombrement des prisons, est une promesse démagogique.

Voilà les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, conformément à ses votes antérieurs, quel que soit le gouvernement en place, la très grande majorité du groupe du RDSE votera contre le texte qui nous est présenté. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le président Mézard non pas d’avoir annoncé qu’il voterait contre ce texte, mais d’avoir tenu des propos plus sereins.

Le vrai sujet est simple et je serais même tenté de dire qu’il pourrait rassembler tout le monde : quel est l’état de la société française aujourd’hui ? Comment bien intégrer, mieux intégrer les étrangers en situation régulière sur le territoire national ? La réalité est ce qu’elle est. On peut rêver d’une France idéale, on peut rêver d’une France plus riche, on peut rêver d’une France connaissant le plein-emploi, on peut rêver d’une France disposant de centaines de milliers de logements vacants, mais la situation est ce qu’elle est, du point de vue économique, social ou sociétal. Monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas à vous que j’apprendrai que la société française est fragilisée, elle est dans le doute, dans l’interrogation. Cette interrogation se traduit dans nos permanences, que nous soyons de gauche ou de droite, et elle interpelle tous les élus.

Le problème de l’immigration ne doit pas être traité à part de ce qu’est la France. Monsieur Mézard, la République, je la sens et la ressens autant que vous (M. Jacques Mézard opine.) et que beaucoup de nos collègues présents dans cet hémicycle, qu’il s’agisse de ses valeurs, de sa signification, de la défense du droit d’asile. J’entendais tout à l’heure M. Kaltenbach citer des étrangers qui s’étaient intégrés : ils sont encore nombreux, le processus ne s’est pas arrêté au début du XXe siècle…

M. Philippe Kaltenbach. Heureusement !

M. Roger Karoutchi. Et tant mieux ! Ce sont des talents dont on ne pourrait pas se passer et qui font honneur à la République et à la France.

En même temps, qu’ont voulu faire le président de la commission des lois, Philippe Bas, et nos rapporteurs, François-Noël Buffet et Guy-Dominique Kennel, en présentant le texte de la commission et qu’avons-nous voulu faire lors de nos débats dans l’hémicycle ? Ces débats m’ont paru plutôt sereins, ils n’ont pas pris une tournure scandaleuse ou inadmissible. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Nous avons le droit de nous parler ouvertement dans la République et qui plus est au Parlement – du moins, je l’espère ! Qu’ont dit les rapporteurs ? Qu’avons-nous dit dans l’hémicycle ? Si nous voulons arriver à une situation où cessent ces réactions, ces surréactions, ces humiliations, ces utilisations, cette instrumentalisation, il faut que nous soyons en situation de rationaliser nos procédures, afin que ceux qui entrent dans notre pays de manière régulière, et que nous acceptons, soient bien intégrés.

Je regrette de ce point de vue qu’un certain nombre d’amendements que j’ai défendus devant la commission des finances ou en séance publique tendant à créer des moyens supplémentaires en faveur de l’intégration, tels que des cours de français ou d’initiation aux valeurs de la République, se soient systématiquement heurtés à la même réponse, à savoir l’absence de moyens. Je le regrette infiniment, parce que je considère que les étrangers en situation régulière doivent être intégrés à la société française, parler parfaitement français et connaître les valeurs de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Il ne s’agit pas de dire qu’on les laisse entrer et qu’ils se débrouillent ensuite. Une telle attitude serait pire que tout (Mme Catherine Troendlé opine.), car elle est la négation de ce qu’est l’âme française, avec ses valeurs d’accueil, d’intégration et de partage.

Si nous voulons tous avoir l’objectif d’un destin commun, si nous voulons tous une France meilleure, plus grande, plus forte, plus généreuse, il faut que les étrangers en situation régulière soient parfaitement intégrés.

Nous avons voté un certain nombre de mesures. Vous les contestez, c’est votre droit démocratique, mais ces mesures sont destinées à encadrer cet accueil et il n’y a pas lieu d’y voir l’expression d’une suspicion de notre part, monsieur Mézard ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Nous disons simplement que, si nous accueillons un certain nombre d’étrangers, certainement plus réduit qu’il ne l’a été, il faut au moins que nous nous donnions les moyens de les intégrer afin qu’ils deviennent, comme dirait Philippe Kaltenbach, des acteurs, des auteurs, des écrivains et des artistes.

La vérité est là : vous voulez faire entrer des étrangers massivement…

M. Dominique Bailly. Qui a dit ça ?

M. Roger Karoutchi. Nous n’avons pas les moyens de leur offrir des emplois ni des logements, nous n’avons pas les moyens de les intégrer par la République et nous ne nous en donnons pas les moyens.

Tout ce que nous avons fait, tout ce que nous avons voté tend à rationaliser notre dispositif, afin que ceux qui entrent de manière régulière en France et sont acceptés par la nation française dans sa diversité, dans sa générosité, dans son ouverture, deviennent à terme soit des personnes parfaitement intégrées, soit, s’ils le souhaitent et s’ils apportent à la société française, d’excellents Français. (MM. Éric Doligé, Hubert Falco et Jean Bizet applaudissent.)

Voilà la vérité : nous n’avons pas une vision fermée. Nous, nous disons simplement que nous ne pouvons pas laisser entrer tout le monde – je ne reprendrai pas la formule de gauche selon laquelle la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde… (Exclamations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.) Ce n’est pas nous qui l’avons dit ! Chacun ses références… (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.) Pas de polémique ! (Sourires.)

Je dis seulement que le texte final ne peut pas choquer les républicains…

M. Roger Karoutchi. Vous êtes libres d’en faire l’utilisation que vous voudrez, mais ce texte final affirme que le Parlement décidera d’un plafond, en fonction de l’état de la société.

Mme Éliane Assassi. Ben voyons !

M. Roger Karoutchi. Cela veut simplement dire…

M. Roger Karoutchi. … que, au fil des années, la situation s’arrangeant, le plafond peut changer…