Mme la présidente. Madame Bouchoux, l'amendement n° 968 est-il maintenu ?

Mme Corinne Bouchoux. Non, je le retire, madame la présidente, mais je défendrai maintenant un amendement de repli.

Mme la présidente. L'amendement n° 968 est retiré.

L'amendement n° 969, présenté par Mmes Bouchoux, Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les messages de lutte contre les comportements d’hyperalcoolisation des jeunes doivent être réalisés et diffusés y compris dans le cadre de la prise en charge et la régulation par les pairs.

La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes bien entendu extrêmement favorables à la lutte contre l’alcoolisation massive des jeunes et des moins jeunes : il n’y a aucune ambiguïté sur ce point ; je puis l’affirmer, pour m’être occupée de la vie étudiante durant quatre ans.

Cela étant, je ne suis pas sûre que les jeunes et les moins jeunes boivent uniquement parce qu’il existe une offre d’alcool. Si la question était aussi simple, elle aurait été tranchée depuis longtemps.

Nous entendons ici insister sur l’importance de la prévention et de la prise en charge par les pairs pour lutter contre les comportements d’alcoolisation massive des jeunes.

La diffusion d’une information par des jeunes auprès d’autres jeunes, telle que mon collègue André Reichardt et moi-même l’avions préconisée en 2012, constitue à nos yeux un moyen efficace de prévention, dans la perspective d’un renforcement des mesures en faveur de la protection des plus jeunes contre les dangers de la consommation excessive d’alcool.

Une étude sur la consommation d’alcool réalisée en mai 2014 par la Fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, auprès de plus de 3 000 étudiants montre que 71,4 % des sondés sont plus sensibles au message de prévention lorsque celui-ci émane d’une personne du même âge que le leur.

En ce sens, la prévention entre pairs, outre qu’elle semble moins coûteuse, a une efficacité plus grande que la communication institutionnelle et les campagnes médiatiques : si celles-ci constituent un business florissant, elles n’ont toujours pas, depuis vingt ans, donné de résultats probants, quelles que soient les politiques publiques mises en œuvre.

La méthode de communication que nous proposons de retenir est plus horizontale que verticale. Elle a été adoptée avec succès dans plusieurs communes, y compris rurales ; nous voudrions insister sur ce point.

Selon nous, dans cette perspective, la réalisation de spots télévisés par des jeunes pour des jeunes, au sein de nos écoles de cinéma ou de nos écoles d’art, devrait être privilégiée, de même que l’intervention d’étudiants en médecine dans les lycées.

Pour le dire autrement, plutôt que de favoriser un business de la prévention, il nous paraît préférable d’associer les jeunes à cette politique publique. J’aimerais aussi que l’on s’interroge sur les raisons qui poussent notre jeunesse à boire autant : quelles perspectives lui donnons-nous ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. On peut certes penser qu’il n’est pas du ressort de la loi de définir les modalités de réalisation et de diffusion des campagnes de lutte contre l’alcoolisation excessive. Néanmoins, pour répondre à Mme Bouchoux, je soulignerai que, hier, lors de l’examen de l’article 1er du projet de loi, sur une initiative de notre collègue Catherine Génisson, a déjà été inscrit à l’article 1er l’objectif de prévention partagée, qui recouvre d'ailleurs d’autres domaines que la lutte contre la consommation excessive d’alcool.

En conséquence, je demande le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Je demande également le retrait de cet amendement ; sinon, l’avis du Gouvernement sera défavorable.

Votre proposition, madame Bouchoux, est déjà mise en œuvre, notamment par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, qui élabore des campagnes de prévention en demandant aux publics cibles, en particulier les jeunes, quels sont, selon eux, les messages les plus efficaces. Par exemple, au début de l’année, nous avons fait réaliser une campagne dont l’élaboration reposait sur la consultation de jeunes.

En tout état de cause, il n’appartient pas à la loi de déterminer les modalités de réalisation des campagnes de prévention et d’information.

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. J’ai effectivement cosigné en 2012 avec Mme Bouchoux un rapport sur l’hyperalcoolisation des jeunes, élaboré à la demande de la commission des lois. Ce rapport concluait, comme l’a dit Corinne Bouchoux tout à l’heure, que la législation générale sur l’alcool était déjà très abondante et l’arsenal répressif considérable.

Pour autant, je n’aurais pas voté l’amendement précédent de Mme Bouchoux, estimant pour ma part que la provocation à l’hyperalcoolisation mérite d’être sanctionnée.

En revanche, je la remercie de ne pas avoir retiré le présent amendement, car il me paraît important que nous poussions les feux en matière de prévention.

Nous avions déjà relevé, en 2012, que les campagnes de prévention sont insuffisantes, notamment en ce qu’elles n’associent pas assez ceux que Corinne Bouchoux appelle les « pairs », en l’occurrence les jeunes. Il faut y être particulièrement attentif.

Revient-il à la loi de fixer les modalités d’organisation des campagnes de prévention ou d’information ? Cela nous paraît plutôt relever du domaine réglementaire. Je crois néanmoins, mes chers collègues, que ce serait faire œuvre utile que d’adopter cet amendement. Cela poussera peut-être les instances publiques à financer la mobilisation des pairs à l’occasion de la mise en œuvre de telles campagnes. Je voterai donc cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je voterai moi aussi cet amendement, car l’hyperalcoolisation est un réel et ancien problème de société, qui provoque un gravissime gâchis, allant jusqu’à la perte de jeunes vies.

S’agissant des campagnes d’information évoquées par Mme la ministre, j’observerai que les maires des petites communes ne disposent que de peu de moyens pour les relayer. Il conviendrait de leur permettre de jouer un plus grand rôle en matière d’information et de sensibilisation.

Je prendrai l’exemple des fêtes patronales organisées en milieu rural. On a beau prendre des arrêtés municipaux, mettre en place une buvette, les jeunes s’y rendent après avoir rempli le coffre de leur voiture de boissons alcoolisées achetées en grande surface. Dans les faits, le pouvoir du maire est malheureusement bien limité quand il s’agit de faire respecter la réglementation… C’est au point que l’on finit par renoncer à organiser les fêtes patronales, pour ne pas avoir à vivre ces situations dramatiques que nous connaissons tous. Il est vraiment urgent de prendre des mesures pour lutter contre cet énorme problème de société.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 969.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 424 rectifié ter, présenté par M. Montaugé, Mme D. Gillot, M. Berson, Mmes Blondin et Yonnet, MM. Sueur et Cazeau, Mme Khiari, M. F. Marc, Mmes Bataille, Féret et Monier et M. Delebarre, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 11

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° L’article L. 3322–9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le prix unitaire de vente des boissons alcoolisées pratiqué par les commerçants lors d’opérations de promotion ponctuelle dans le temps ne peut être inférieur à un seuil, fixé par décret, correspondant à une fraction du prix de vente unitaire affiché dans l’établissement. »

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. L’article 4 vise à renforcer les moyens de lutte contre les nouvelles pratiques de la jeunesse en matière d’alcoolisation massive, que l’on appelle parfois binge drinking.

Au nombre des pratiques commerciales incitatives figurent par exemple les happy hours, au cours desquelles un débit de boissons propose des produits, en particulier alcoolisés, à des tarifs plus avantageux que d'ordinaire, et parfois très bas.

L’amendement vise à encadrer – et non à supprimer, je le souligne – ces pratiques, par la fixation d’un prix de vente plancher, calculé par application d’un taux de rabais autorisé sur le prix de vente unitaire affiché, ce taux étant fixé par décret. Ce dispositif simple permettrait de justifier objectivement les sanctions prévues par la loi, qu’il faut effectivement maintenir.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. La pratique des prix réduits par les débitants de boissons est encadrée par le décret n° 2010-465 du 6 mai 2010 relatif aux sanctions prévues pour l’offre et la vente de boissons alcooliques.

Il apparaît donc à la commission que le dispositif de cet amendement relève du niveau réglementaire. En conséquence, elle sollicite le retrait de celui-ci. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Je comprends pleinement le sens de votre amendement, monsieur le sénateur. On voit bien qu’il existe des stratégies d’incitation qui, sous couvert de convivialité, conduisent des jeunes – ces derniers sont sans doute plus sensibles que d’autres à l’aspect financier –, mais aussi des moins jeunes, à privilégier la consommation au sein de ces tranches horaires où les tarifs sont parfois extrêmement bas.

Même si l’alcoolisation rapide au sein de l’espace public, au vu et au su de tous, reste plus développée dans les pays anglo-saxons qu’en France, où l’on consomme plus souvent l’alcool au domicile ou dans des lieux clos, cette pratique commence à émerger chez nous.

Si je partage totalement votre objectif, monsieur le sénateur, je dois avouer que, juridiquement, je ne sais pas comment faire pour mettre en œuvre votre proposition. Comment fixer des prix planchers uniformes alors que les prix de l’immobilier varient selon les villes ? Comment tenir compte de l’interdiction de la vente à perte ? Comment prendre en compte la multiplicité des boissons consommées ?

Je me vois donc dans l’obligation de vous demander de retirer votre amendement, monsieur le sénateur. À défaut, j’émettrai un avis défavorable : je souscris certes à son esprit, mais je ne vois pas comment mettre en œuvre son dispositif par décret.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.

Mme Dominique Gillot. Je voudrais insister sur l’importance de se pencher sur cette question de l’incitation des jeunes à consommer dans une mesure excessive des boissons alcooliques, notamment pendant les soirées étudiantes.

Nous avons tous été sensibilisés à cette question. Certaines pratiques commerciales visent à permettre à des jeunes de boire des mètres linéaires d’alcool fort pour un coût très modique, voire gratuitement.

J’entends bien, madame la ministre, qu’il est difficile de régler ce problème par la voie réglementaire, mais il importe que le législateur manifeste sa préoccupation et sa volonté de faire cesser, ou tout au moins de limiter, des pratiques commerciales qui gâchent une partie de notre jeunesse en la rendant dépendante à l’alcool.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire (Sourires.)

J’entends parler de binge drinking et de happy hours : il me semble que nous devrions défendre notre belle langue française, en parlant plutôt d’« alcoolisation massive » et d’« heures heureuses » ! (Sourires.)

La semaine dernière, ma collègue Claudine Lepage et moi-même sommes allés rendre visite à nos amis et cousins francophones d’outre-Atlantique, qui nous reprochent souvent l’utilisation d’anglicismes. Soyons donc tous attentifs à notre façon de nous exprimer, y compris sur ces sujets.

Mme la présidente. Vous avez raison, mon cher collègue : l’expression « heures heureuses » est vraiment très belle !

La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.

M. Gérard Roche. Nous avons tous envie de souscrire à un tel amendement, mais, comme Mme la ministre l’a indiqué, son application serait difficile. De surcroît, elle ne résoudrait pas complètement le problème, car les débits de boissons ne sont pas seuls en cause : les jeunes se fournissent souvent en alcools au supermarché, avant de les consommer à l’abri des regards. C’est peut-être d’ailleurs la modalité la plus grave de l’alcoolisation, car elle est complètement cachée.

Mme la présidente. Monsieur Montaugé, l'amendement n° 424 rectifié ter est-il maintenu ?

M. Franck Montaugé. Oui, madame la présidente. Sur cette question politique, je souhaite faire prévaloir un point de vue moral. Il y va de la vie de certains de nos jeunes, et je ne doute pas que ce point de vue soit largement partagé sur nos travées.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Il ne faut pas, me semble-t-il, nous abriter derrière la difficulté de légiférer ou de réglementer en la matière. Au minimum, une mission devrait être instituée sur ce sujet, que ce soit sur l’initiative du Sénat ou sur celle du Gouvernement.

Par l’intermédiaire de mes enfants, j’ai eu connaissance de cas dramatiques de jeunes plongés dans un coma éthylique à la suite d’une surconsommation d’alcool.

Évidemment, le contrôle est très difficile. Comme l’a dit M. Roche, les jeunes peuvent s’approvisionner en alcools au supermarché. L’alcoolisation se déroule souvent dans des lieux relevant d’une université ou d’une grande école, mais parfois aussi au domicile de parents qui manquent ainsi à leurs responsabilités.

J’ajoute que ces pratiques ont également de lourdes conséquences en termes de santé publique et de comptes sociaux.

Je souhaite donc qu’une initiative soit prise et que l’on ne renonce pas à agir, au motif que ce serait trop difficile.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 424 rectifié ter.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Je prends acte de ce vote avec beaucoup d’intérêt et beaucoup d’espoir : il marque un engagement en faveur de la santé publique, dont j’espère qu’il se concrétisera au travers d’autres votes… (Sourires. –Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Je suis bien entendu extrêmement sensible à la préoccupation exprimée par M. Montaugé. Mais la difficulté, monsieur Vasselle, ne tient pas à un manque de savoir-faire du Gouvernement ou de l’administration : nous devons aussi tenir compte du droit européen, du principe de libre concurrence.

Je ne sais pas quel sort sera finalement réservé à cet amendement dans la suite du processus législatif, mais je considère son adoption comme une invitation exigeante à engager une réflexion collective sur la manière de prendre en compte l’évolution des modes de consommation de l’alcool dans notre pays. Pour toute une série de raisons, les réponses ne sont pas toujours simples à imaginer, mais nous ne devons pas nous résigner face à l’alcoolisation des jeunes et des moins jeunes.

Je vous remercie donc, monsieur le sénateur, d’avoir favorisé le débat en déposant cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Article 4 (Texte non modifié par la commission) (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Discussion générale

5

Engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.

La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République l’a annoncé le 7 septembre dernier : la France a décidé de procéder à des vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie.

Comme le prévoit l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, le Premier ministre en a immédiatement informé les présidents des deux assemblées et a décidé d’organiser un débat parlementaire, à l’Assemblée nationale avec le ministre de la défense et au Sénat avec moi-même.

Je vais vous expliquer, au nom du Premier ministre, pourquoi nous intervenons, dans quel contexte, et vous dire les objectifs que se fixe notre pays.

D’abord, pourquoi agir en Syrie ?

Le chaos règne en Syrie, ce qui déstabilise l’ensemble du Moyen-Orient. Ce pays constitue le repaire des terroristes djihadistes, à la fois de Daech et d’autres groupes, tel Jabhat al-Nosra. Il alimente le drame des réfugiés, qui fuient non seulement Daech, mais aussi et surtout – ne l’oublions jamais – la barbarie du régime de M. Bachar al-Assad. Au cours des derniers mois, les territoires contrôlés par les groupes terroristes se sont étendus sur le sol syrien. Cette progression a déstabilisé plus encore l’ensemble de la région.

Il faut être lucide : l’avancée de Daech est avant tout le résultat d’un calcul cynique de M. Bachar al-Assad, qui s’est d’abord servi de Daech comme d’un instrument pour prendre l’opposition modérée en étau, puis pour l’écraser. Il s’en est également servi comme d’une terrible justification pour commettre des crimes et employer des armes chimiques contre sa propre population.

Le résultat aujourd’hui est que des régions entières ont été abandonnées aux mains des djihadistes. Dorénavant, tout le grand est syrien, c'est-à-dire à peu près 30 % de la Syrie, constitue un solide bastion pour Daech, avec les conséquences extrêmement funestes que nous connaissons.

La première conséquence, c’est la menace pour notre propre sécurité.

Nous le savons, la menace djihadiste dirigée contre la France provient précisément des zones que Daech contrôle. Il y a en Syrie des centres de commandement de cette organisation. C’est également depuis la Syrie que s’organisent les filières qui recrutent de nombreux individus voulant prendre les armes, mener les combats là-bas, mais aussi frapper, en retour, notre propre pays.

C’est enfin en Syrie que se structure et que s’alimente la propagande qui, par la mise en scène macabre de la violence, irrigue constamment les réseaux sociaux, notamment francophones.

Aujourd’hui, entre 20 000 et 30 000 ressortissants étrangers sont recensés dans les filières irako-syriennes. Nous estimons le nombre de Français ou de résidents en France enrôlés dans les filières djihadistes à 1 880 ; 491 sont sur place et 133 ont à ce jour trouvé la mort, de plus en plus à la suite d’actions meurtrières, sous forme d’attentats suicides.

La deuxième conséquence, c’est que, dans cet immense espace, Daech impose sa domination.

Daech est plus qu’une organisation terroriste voulant fédérer différents mouvements d’un djihadisme composite. C’est un totalitarisme à certains égards nouveau, qui dévoie l’islam pour imposer son joug et ne recule absolument devant rien : le massacre de mouvements de résistance, la mise en scène de la torture et de la barbarie, l’asservissement des minorités, les trafics, la vente d’êtres humains. Cette organisation anéantit également l’héritage culturel et le patrimoine universel de cette région : le tombeau de Jonas, le musée et la bibliothèque de Mossoul, les ruines assyriennes de Nimrod ou encore les vestiges antiques de Palmyre.

La troisième conséquence, qui est intimement liée à la deuxième, c’est bien sûr le drame des réfugiés.

Le peuple syrien est aujourd’hui décimé : on dénombre plus de 250 000 morts en quatre ans, dont 80 % sous les coups du régime et de sa répression.

C’est un peuple déplacé : des millions de Syriens sont pris en étau sur le territoire, entre la répression de Bachar al-Assad et la barbarie de Daech.

C’est un peuple, enfin, réduit à l’exil : 4 millions de Syriens se sont réfugiés dans les camps du Liban, de la Jordanie et de la Turquie. Ils ont souvent un seul espoir : atteindre l’Europe, pour y trouver l’asile. La crise des réfugiés est la conséquence directe du chaos syrien. Nous y consacrerons, ici même, un débat demain.

Comment agir en Syrie ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis mardi 8 septembre, nos forces aériennes survolent la Syrie.

Il s’agit, d’abord, et avant tout, d’une campagne de renseignement grâce à des vols de reconnaissance. Plusieurs missions ont d’ores et déjà été réalisées. Cette campagne durera le temps qui sera nécessaire, certainement plusieurs semaines. Nous devons mieux identifier et localiser le dispositif de Daech pour être en mesure de le frapper sur le sol syrien et d’exercer ainsi notre légitime défense, comme le prévoit l’article 51 de la Charte des Nations unies.

Ces missions de reconnaissance sont conduites à titre national, en pleine autonomie de décision et d’action : pleine autonomie de décision, car nous choisissons nous-mêmes les zones de survol où effectuer notre recherche ; pleine autonomie d’action, car, comme le Président de la République l’a dit hier, des frappes seront nécessaires, et nous choisirons seuls les objectifs à frapper. Il est bien sûr hors de question que, par ces frappes, nous contribuions à renforcer le régime de M. Bachar al-Assad.

Ces missions, coordonnées – pour des raisons opérationnelles – avec la coalition que dirigent les États-Unis, s’appuient sur les moyens actuellement mobilisés dans le cadre de l’opération Chammal : douze Rafale et Mirage 2000, un Atlantique 2 et un ravitailleur C-135 sont engagés. Notre frégate Montcalm, déployée en Méditerranée, continue, quant à elle, de collecter des renseignements sur la situation en Syrie.

Je veux rendre hommage devant vous et – je le sais – avec vous à l’action de nos soldats engagés au Levant. Avec courage, avec ténacité, avec professionnalisme, ils défendent nos valeurs, ils protègent nos compatriotes, et ils agissent pour la sécurité de la nation.

Cette stratégie aérienne est-elle suffisante ? En d’autres termes, faut-il envisager d’intervenir au sol ? Des voix plaident pour une telle option. Si la France intervient au sol, agira-t-elle seule ? Nous l’avons fait au Mali, mais les circonstances étaient totalement différentes, comme chacun le sait. La France interviendrait-elle avec les Européens ? Qui parmi eux serait prêt à une telle aventure ? Interviendrait-elle au sol avec les Américains ? Le veulent-ils ? Il faut savoir tirer les enseignements du passé, lesquels sont douloureux. On pense en particulier à la bataille de Falloujah en Irak.

Ce que les exemples en Irak et en Afghanistan nous apprennent, c’est qu’il faudrait mobiliser à coup sûr plusieurs dizaines de milliers d’hommes, qui seraient alors exposés à un danger extrêmement grand. Tel est d’ailleurs le piège, si on y réfléchit bien, que nous tendent les djihadistes : ils veulent nous contraindre à intervenir sur leur terrain pour que nous nous y enlisions, pour invoquer contre nous un prétendu esprit de « croisade », et susciter une solidarité face à ce qui serait, selon eux, une « invasion ».

Le Président de la République a donc répondu à ces interrogations de manière extrêmement claire : toute intervention terrestre – c’est-à-dire toute intervention au sol de notre part ou occidentale – serait « inconséquente et irréaliste ». D’ailleurs, aucun de nos partenaires ne l’envisage.

Toutefois, si une coalition de pays de la région se formait pour aller libérer la Syrie de la tyrannie de Daech, alors le contexte serait différent. Ces pays auraient alors le soutien de la France.

Mener une guerre, ce n’est pas, comme s’y emploient certains, faire de grandes déclarations, fixer des échéances qui ne sont pas réalistes. Mener une guerre, c’est se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre.

Comment donc intervenir en Syrie à la suite de nos précédentes interventions ? Nous voulons faire preuve de constance, de cohérence dans l’action.

Contrairement à ce que nous avons entendu dire, nous ne changeons pas de stratégie, nous ne changeons pas de cible. Nous luttons contre le terrorisme, mais – grâce à la vigilance du ministre de la défense et à sa connaissance des situations – nous adaptons nos moyens militaires et notre présence en fonction du contexte politique.

Dans la bande sahélo-saharienne, dans le cadre de l’opération Barkhane, nos armées sont déployées aux côtés des unités africaines. Elles infligent de lourdes pertes aux groupes terroristes d’AQMI, d’Ansar Eddine ou du MUJAO ; autant de groupes qui prospèrent sur la déliquescence des États. Je pense en particulier au vide politique qui s’est installé en Libye après l’intervention de 2011.

Nous luttons, ensuite, en Irak où, depuis un an, nos forces aériennes sont engagées à la demande des autorités irakiennes. Les opérations de la coalition ont permis d’enrayer la progression de Daech, notamment dans le Kurdistan.

Cependant, nous le savions dès le départ et nous l’avons dit sans démagogie, car nous devons cette vérité à nos concitoyens : combattre les groupes terroristes, lutter contre Daech en particulier, ne peut être qu’un combat de longue haleine. Il doit être mené en soutien des forces locales, qui sont en première ligne sur le terrain ; je pense en particulier aux peshmergas kurdes que nous aidons et dont il faut saluer le courage.

Nous n’en sommes qu’au début. Il nous faut donc continuer à agir, consolider les acquis sur le terrain et ne rien abandonner de la partie. Tel est donc le sens de notre intervention.

Nous devons aussi agir politiquement, car si toutes ces actions militaires sont nécessaires, elles ne peuvent être suffisantes. Sans solution politique durable, la situation ne pourra être stabilisée.

Il est impératif d’arrêter l’engrenage fatal de la dislocation du Moyen-Orient. Il faut aujourd’hui tout faire pour stopper cette mécanique effrayante : les fractures régionales qui réapparaissent, la tectonique des rivalités ancestrales – en particulier entre chiites et sunnites – qui se réveillent, les appétits de puissance qui transforment la Syrie en un champ clos d’ambitions régionales et qui empêchent l’Irak de se relever des conséquences de l’intervention de 2003.

Quelle solution politique envisager ?

Face aux risques de fragmentation du Moyen-Orient, nous devons intensifier nos efforts pour faire émerger des solutions politiques qui puissent refonder l’unité de ces États et de ces peuples.

En Irak, d’abord, le gouvernement de M. al-Abadi doit rassembler toutes les communautés du pays pour lutter contre Daech. Le Président de la République l’a dit avec force lors de son déplacement à Bagdad, à l’été 2014, un gouvernement qui ne respecterait pas la minorité sunnite continuerait de précipiter celle-ci dans l’étreinte mortelle de Daech.

Nous devons également intensifier nos efforts en Syrie. Bien sûr, nous ne ferons rien qui puisse consolider le régime. L’urgence consiste, au contraire, à chercher un accord qui tourne définitivement la page des crimes de M. Bachar al-Assad. Ce dernier est une grande part du problème et ne peut pas être la solution. Avec un homme responsable de tant de morts, de crimes de guerre, de ce que M. Ban Ki-moon nomme des crimes contre l’humanité, aucun compromis, aucun arrangement n’est possible ! Transiger, pactiser, comme le proposent certains, serait une faute morale. Dès août 2013, nous étions prêts à réagir, mais les États-Unis et le Royaume-Uni n’étaient finalement pas au rendez-vous.

Au-delà de l’aspect moral, ce serait aussi une faute politique et stratégique. Les combattants ne déposeront les armes en Syrie que lorsque l’État syrien garantira leurs droits et ne sera plus aux mains d’un groupe criminel. C’est pourquoi, même si cette ligne de conduite est très difficile à tenir, il faut travailler sans relâche à accélérer la transition politique. Elle devra rassembler, dans un gouvernement de transition, les forces de l’opposition – elles sont aujourd’hui malheureusement encore trop affaiblies – et les éléments les moins compromis du régime. En aucun cas, cette transition ne peut remettre dans le jeu les factions terroristes : il y a là une ligne qui ne doit pas être franchie.

Cette solution politique ne peut voir le jour que par la convergence de toute une série d’efforts diplomatiques. Nous connaissons les paramètres du règlement de la crise syrienne. Ils ont été déterminés lors des réunions de Genève, dès 2012, et adoptés par les principaux pays intéressés par l’avenir de la Syrie. La tâche est très difficile, mais cette difficulté ne doit pas être un prétexte au statu quo, à l’inaction, au renoncement.

La France parle donc à tous. Le Premier ministre, ainsi qu’il l’affirme, tient à saluer « l’action remarquable que conduit le ministre des affaires étrangères à la tête de notre diplomatie ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)