Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Il fallait le rappeler !

M. Simon Sutour. Ce que c’est que l’ingratitude ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous-mêmes avons accepté de soutenir M. Juncker dans cette fonction. Il disposait d’une majorité, et il fallait que l’Europe avance. Néanmoins, nous l’avons appuyé sur la base d’un programme, celui dont nous souhaitons l’adoption lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre prochains. La priorité ne doit plus être l’austérité ; ce doit être le soutien à l’investissement et aux projets européens ! N’opposons pas une telle logique et la nécessité de coordonner nos politiques budgétaires.

Dans son rapport consacré aux politiques budgétaires, la Commission constate que sept pays membres, dont la France, l’Autriche et l’Italie, pourraient ne pas être en mesure de ramener dès l’année prochaine leurs déficits sous la barre des 3 % de PIB. Elle admet que la situation résulte de la stagnation économique et de la faible inflation au sein de notre zone monétaire. Ce sont là des phénomènes exceptionnels ; je les ai déjà évoqués. Elle en conclut que nous devons continuer dans le sens de la réduction des déficits et de l’endettement avec le sérieux budgétaire nécessaire.

Encore une fois, le déficit, l’endettement ne datent pas de 2013 ou de 2014 ! En 2011, quelques mois avant notre arrivée aux affaires, le déficit de la France était de 5,3 %. Nous allons le réduire à 4,1 %. Nous faisons bel et bien des efforts ! Mais nous ne voulons pas compromettre le soutien à notre croissance par des mesures trop brutales. Cela ne rendrait pas service à l’économie, française comme européenne.

La Commission partage elle-même un tel constat. Elle a décidé de prendre le temps nécessaire pour examiner plus précisément la situation de la France. Pour commencer, elle va attendre de disposer des chiffres définitifs de l’exécution du budget français pour 2014. Par conséquent, elle a reporté la publication de ses recommandations pays par pays au mois de mars, soit après l’adoption du plan Juncker.

Aujourd’hui, nous répondons pleinement à la nécessité de redynamiser les investissements.

André Gattolin a indiqué sans le dire ouvertement que, pour le succès de cette politique, la Banque européenne d’investissement devrait accepter d’assumer davantage de risques en soutenant tel ou tel projet. (M. André Gattolin acquiesce.) Cela suppose d’étendre son action à de nouveaux domaines. Elle commence à évoluer en ce sens, par exemple en se tournant vers le champ de l’éducation.

J’irai demain signer avec le vice-président français de la Banque européenne d’investissement et les présidents des deux conseils régionaux concernés une convention de prêt de la BEI pour la rénovation, notamment thermique, des lycées de Bourgogne et de Franche-Comté. Le chantier, qui s’inscrit dans le cadre de la transition énergétique, représente un total de 100 millions d’euros.

Au demeurant, la BEI participe déjà avec la Caisse des dépôts et consignations au financement du plan Campus, qui permettra de construire treize nouveaux campus universitaires dans notre pays. Parallèlement, cette instance doit venir en aide aux petites et moyennes entreprises. Le futur fonds d’investissement, dont elle assurera le pilotage – elle aura ainsi plus de capacités qu’aujourd’hui, notamment grâce aux apports du budget européen –, devra permettre d’épauler des projets avec une part de risque.

Certes, ces projets devront être évidemment bien choisis et présenter une rentabilité suffisante. Cependant, quand il s’agit de financer l’innovation, la recherche dans les énergies de demain, le développement des réseaux numériques, il faut accepter que la garantie publique serve à protéger les investisseurs privés, qui, eux, manifestent certaines réticences face au risque. La puissance publique doit les assurer qu’elle sera là pour couvrir les aléas.

Veillons à faire en sorte que l’effet de levier soit suffisamment puissant pour dégager plus de 300 milliards d’euros dans les faits.

Au mois de juin 2012, les décisions prises sur la base du pacte de croissance ont assuré à la BEI une augmentation de capital de l’ordre de 10 milliards d’euros. C’est ainsi que 60 milliards d’euros de prêts supplémentaires ont pu être assurés et contribuer à des opérations de financement représentant 180 milliards d’euros au total, d’où un effet de levier observé, selon les chiffres, d’un à dix-huit ou d’un à vingt.

C’est sur la base d’une telle expérience que le plan Juncker a été élaboré. Nous allons poursuivre en ce sens. En France, la BEI, grâce à l’augmentation de son capital, a pu porter le montant de ses interventions de 4,5 milliards d’euros à plus de 7 milliards d’euros. Ce plan a donc eu un effet. Mais il faut aller plus loin. C’est pourquoi la France a érigé l’établissement d’un nouveau plan à l’échelle européenne en priorité. Cela a été adopté.

Je ne veux pas opposer cet axe majeur, qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen, aux autres sujets sur lesquels nous souhaitons également avancer. J’ai fait référence à l’harmonisation fiscale et à la lutte contre l’optimisation fiscale.

M. Billout a évoqué la taxe sur les transactions financières. Nous devons parvenir à un accord sur ce point. Nous avons émis des propositions relatives à la territorialité et au champ d’application de la mesure. Commençons par taxer les actions cotées et les produits dérivés les plus spéculatifs. Je pense en particulier aux contrats de couverture du risque de défaillance, les CDS, ou credit default swaps, qui ont donné lieu aux plus grands effets spéculatifs et aux risques les plus graves sur les marchés financiers durant la crise de 2008. Nous souhaitons le respect du calendrier prévu : un accord doit être trouvé dès le début de l’année 2015 pour que la taxe sur les transactions financières entre en vigueur au 1er janvier 2016.

M. Jean-Claude Requier a abordé le budget de l’Union européenne. Voilà quelques semaines, lorsque nous avions débattu du prélèvement sur recettes, nous avions constaté l’absence d’accord entre le Conseil et le Parlement européen sur les budgets rectificatifs pour 2014, ainsi que, par ricochet, sur le budget de l’Union européenne pour 2015.

Un accord a été trouvé depuis. Il prévoit une augmentation de 3,6 milliards d’euros sur les budgets rectificatifs pour 2014 pour résorber les factures du passé. Pour 2015, le budget sera de 144,8 milliards d’euros en autorisations d'engagement et de 140,9 milliards d’euros en crédits de paiement.

Dès lors, l’Union européenne pourra commencer l’année, mettre en place le nouveau plan Juncker, mais aussi utiliser son cadre financier dans les conditions qui ont été fixées globalement pour les sept prochaines années. Le budget permettra de financer non seulement la recherche, avec le programme Horizon 2020, mais également, grâce au mécanisme d’interconnexion pour l’Europe, des grands projets d’infrastructures, comme le canal Seine-Nord ou le Lyon-Turin, projet que nous soutenons et dont nous continuerons à débattre avec les parlementaires européens ayant des doutes. À nos yeux, il est structurant et répond à des objectifs économiques, mais aussi de développement durable, en permettant la traversée des Alpes par le rail plutôt que par camions. La France et l’Italie ayant obtenu que 40 % des travaux nécessaires soient financés sur le budget européen, elles ont évidemment tout intérêt à ce que ce projet aboutisse.

Il sera peut-être question du virus Ebola lors du Conseil européen, même si les décisions qui ont été prises sont mises en œuvre. La France a engagé 110 millions d’euros sur les années 2014 et 2015 en faveur de la lutte contre l’épidémie, avec l’ouverture de centres à Macenta, en Guinée forestière, ainsi qu’à Conakry. Il s’agit de soigner non seulement les malades, mais également les soignants eux-mêmes ; c’est l’une des conditions à la mise en place du dispositif. L’Union européenne, sous l’égide du commissaire Christos Stylianides, a engagé 61 millions d’euros supplémentaires pour appuyer ce plan d’action.

Mme la présidente de la commission des finances m’a interrogé sur la réforme bancaire et sur les intentions de la Commission européenne. Ainsi que cela a été rappelé, la France a adopté une loi qui, sans porter atteinte au caractère universel de nos banques, sépare les activités les plus spéculatives du financement de l’économie.

Ce modèle nous semble un bon équilibre pour la France. D’autres, à l’instar de nos amis britanniques, peuvent prendre des dispositions différentes. Mais la Commission européenne doit proposer une législation qui tienne compte de la situation spécifique de chaque pays.

Je le rappelle, le système bancaire français vient de passer avec succès les stress tests de la Banque centrale européenne. Nos banques universelles, qui sont parmi les plus grands établissements européens, sont surveillées, capitalisées et gérées dans des conditions conformes à toutes les normes prudentielles, de Bâle III comme de Solvency II. La BCE les considère comme parfaitement solides.

Nous estimons donc que la Commission européenne doit revoir son projet initial. Elle publiera la semaine prochaine son programme de travail pour 2015. Elle mettra en avant de nombreuses autres priorités, que nous soutenons, comme l’union des marchés de capitaux ou l’harmonisation fiscale. La taxe sur les transactions financières est également une priorité à nos yeux, même si elle n’est mise en place que dans le cadre d’une coordination renforcée à onze pays, et non à vingt-huit.

La réforme bancaire à l’échelle européenne doit aboutir. Le pas le plus important a été fait avec la mise en œuvre de l’union bancaire, emportant le mécanisme et le fonds de résolution unique, qui a fait l’objet d’un vote de votre part. Un accord est d’ailleurs intervenu sur le sujet lors du conseil Ecofin cette semaine. Il ne serait donc absolument pas justifié qu’une directive sur la séparation des activités bancaires amène la France à reconsidérer sa législation ; celle que vous avez adoptée nous semble sûre.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Absolument !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. C’est dans cet esprit que la discussion va avoir lieu.

Madame la présidente de la commission des finances, les parlements devront suivre la mise en œuvre du plan. Le Parlement européen devra même se prononcer sur une proposition législative permettant d’utiliser une partie du budget communautaire comme garantie pour le futur fonds d’investissement. Et nous rendrons compte devant le Sénat et l’Assemblée nationale de chacune des étapes de l’adoption par le Conseil des dispositions de mise en place du fonds européen.

Nous souhaitons que cette étape intervienne très rapidement et que le comité chargé de sélectionner les projets susceptibles de bénéficier de financements puisse faire son travail au plus vite.

À nos yeux, c’est une base de départ. Nous sommes d’accord avec ceux qui ont exprimé le souhait d’aller au-delà des 21 milliards d’euros. Mais c’est un premier pas. Peut-être les banques nationales permettront-elles demain d’augmenter les capacités d’intervention du fonds par des contributions des États et des mécanismes permettant d’associer davantage des instances comme la Caisse des dépôts et consignations.

L’année 2015 doit marquer le tournant de la priorité aux investissements et à la croissance. L’Europe en a tant besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Le débat de ce soir est largement consacré aux 300 milliards d’euros d’investissements pour les deux années à venir. Nous souhaiterions la même énergie pour adopter une stratégie diplomatique commune sur l’Irak et la Syrie.

Quelle est l’approche de l’Union européenne sur ce conflit alors que la coalition internationale peine à établir une stratégie claire ? Dispose-t-elle d’une politique coordonnée et d’une stratégie commune ?

Nous assistons depuis 2011 à la lente agonie des Syriens, dont plus de 200 000 ont été sacrifiés. Depuis bientôt quatre mois, la France intervient militairement pour stopper la progression de Daech, dont la barbarie est sans limites ! L’Union européenne ne peut pas rester inactive face à l’effondrement des États irakien et syrien. Elle doit surtout mettre en œuvre une politique à long terme d’anticipation des enjeux futurs. À défaut, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Aux portes de l’Europe, la Turquie se trouve dans une situation extrêmement difficile. Elle doit gérer un flot ininterrompu de réfugiés syriens. De sanglants combats font rage à sa propre frontière. La ville de Kobané est devenue un symbole de résistance, où les Kurdes d’Irak ont rejoint les Kurdes syriens. Derrière les combats d’aujourd’hui se pose la question d’un territoire kurde véritablement autonome demain, de part et d’autre des frontières syrienne et turque.

En 2009, M. Erdogan lançait « l’initiative kurde », alors qualifiée d’« ouverture démocratique ». Ce processus de paix est aujourd’hui au point mort. Le positionnement politique de la Turquie face à Daech et son refus d’accueillir des réfugiés kurdes syriens ont attisé les rancœurs.

Cette question est-elle anticipée par l’Union européenne ? C’est un sujet déterminant. La reconstruction politique de la zone est cruciale pour la paix européenne et mondiale. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous le savez, la France a été parmi les premiers pays à réagir dès cet été à l’offensive du groupe Daech, qui menaçait de prendre Bagdad.

Les frappes aériennes que nous avons ainsi décidé de mener ont permis de mettre un coup d’arrêt à Daech. Ce groupe terroriste sème la terreur dans les territoires qu’il conquiert, en massacrant tous ceux qui ne partagent pas sa vision du monde, quelle que soit d’ailleurs leur religion : les Yézidis, les chrétiens d’Orient, d’autres musulmans, chiites ou sunnites. Cela prouve bien qu’il ne peut pas se réclamer de l’Islam, contrairement à ce que laisse entendre son nom, pas plus qu’il n’a la légitimité ou le comportement d’un État.

Nous avons également contribué à la constitution d’une coalition internationale dont sont membres les États-Unis, plusieurs pays européens, ainsi que des pays arabes. Et, cela ne vous a pas échappé, l’Iran, qui n’appartient certes pas à cette coalition, intervient maintenant contre Daech.

En Syrie aussi, nous voulons une solution politique pour combattre ce groupe, qui martyrise également les villes de ce pays. Mais nous ne soutenons pas le gouvernement syrien, qui a déclenché une guerre civile et qui porte la responsabilité du massacre de 200 000 citoyens et de l’exode de millions d’autres vers des camps au Liban, en Jordanie ou en Turquie, certains d’entre eux gagnant ensuite les pays de l’Union européenne.

Nous approuvons donc la démarche du représentant du secrétaire général des Nations unies, M. Staffan de Mistura, pour trouver une solution politique. L’urgence était la défense de Kobané, afin d’empêcher que la ville ne tombe entre les mains de Daech. Ce groupe tente maintenant de prendre le contrôle d’Alep. Nous déployons tous les efforts nécessaires pour que l’action internationale la protège. Au-delà, il faut faire en sorte que les Syriens modérés, ceux qui souhaitent un autre avenir pour ce pays, permettent de définir une solution politique.

Il est nécessaire de nous coordonner à l'échelle européenne en matière de lutte contre le terrorisme et de prise en considération du problème des combattants étrangers. Beaucoup de jeunes de tous les pays de l’Union européenne et d’ailleurs ont été attirés dans ce conflit par une propagande sur internet jouant sur la fascination de la haine et de la mort. Ils s’exposent aux plus grands risques. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs trouvé la mort lors de bombardements ou de combats après avoir été utilisés comme chair à canon. Eux-mêmes commettent des crimes en étant associés aux activités de ce groupe. Il faut pouvoir les identifier et nous assurer qu’ils ne s’apprêtent pas à commettre des attentats ou des crimes quand ils reviennent.

C’est pourquoi la France a modifié sa législation. Nous avons également fait voter une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour demander à la communauté internationale de prendre des dispositions similaires, afin qu’une coopération s’instaure, en premier lieu entre les pays de l’Union européenne.

Nous faisons une priorité de la coordination européenne dans la lutte contre ce groupe terroriste en Irak et en Syrie et contre les risques liés au retour des combattants étrangers en Europe.

Il nous faut aussi lutter sur internet contre la propagande, notamment en responsabilisant les opérateurs et les hébergeurs. La France a pris l’initiative de réunir les ministres de l’intérieur de l’Union européenne. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a également fait en sorte de créer une dynamique commune en Europe.

C’est une priorité. Le combat sera de longue haleine. Nous devons le mener de manière très coordonnée à l’échelle européenne.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais d’abord saluer le geste du Président de la République. Samedi dernier, il a été le premier chef d’État d’un pays membre de l’OTAN à se rendre à Moscou depuis le début de la crise ukrainienne.

Depuis l’été 2013, la Russie fait face à une situation économique de plus en plus complexe. L’évolution actuelle des prix de l’énergie complique encore la situation. Cela rend la conduite des affaires du pays relativement instable. Pourtant, il est indispensable de trouver ensemble des solutions pour dépasser la crise ukrainienne. On ne peut pas se résoudre à une escalade qui condamnerait non seulement l’économie européenne, mais aussi la paix. On ne peut pas se résoudre au gel d’un conflit dans un pays tel que l’Ukraine, alors que la crise sociale et humanitaire se développe et risque de s’étendre à l’ensemble du continent.

La crise ukrainienne est une crise européenne. Elle remet en cause la capacité de l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, à assurer sa sécurité, mais également à être un pôle de stabilité dans le monde.

Le non-respect des accords négociés à Minsk après le cessez-le-feu du 5 septembre par les séparatistes avec le soutien de la Russie, lorsqu’ils ont organisé des élections législatives « pirates » sur les territoires qu’ils contrôlaient, a balayé le plan de paix négocié durant deux mois.

Il est aujourd’hui important de trouver des solutions pour renouer les voies du dialogue. L’initiative du Président de la République était donc bienvenue. Il n’est pas acceptable que la souveraineté d’un peuple soit contestée sur notre continent au nom des intérêts géopolitiques supposés d’un autre pays.

Il faut nous débarrasser définitivement de ce que nous avons encore inconsciemment en tête : le partage de Yalta de 1945 !

La crise dure. L’Europe centrale se sent de plus en plus menacée. Le format de Weimar, initialement mis en place pour répondre à la crise ukrainienne, est indispensable pour rétablir la confiance sur l’ensemble de notre continent.

Comment pouvons-nous perpétuer les efforts du Président de la République en vue de permettre à l’ensemble du continent de retrouver confiance ? À notre sens, cela doit passer par le format Weimar.

Avons-nous aujourd’hui plus de possibilités d’avancer sur les projets, annoncés il y a un peu plus d’un mois, de drones français et allemands surveillant la frontière entre l’Ukraine et la Russie en vue de s’assurer de son étanchéité ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, l’initiative du Président de la République est effectivement intervenue à un moment décisif. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, elle doit marquer un tournant. C’est le sens du message que le chef de l’État a délivré au président Poutine.

M. Pozzo di Borgo, qui faisait partie de la délégation accompagnant le Président de la République au Kazakhstan, a eu l’occasion d’aller avec lui à Moscou. Il a souligné – mais, vous le comprendrez, nous ne pouvons pas entrer dans les détails – que cette rencontre, à laquelle le président Nazerbaïev a contribué, avait été préparée et faisait suite au précédent entretien de François Hollande avec le président Poutine lors du G20 de Brisbane, en Australie.

La rencontre s’inscrit également dans le cadre du dialogue que nous avons voulu maintenir avec la Russie, et établir entre la Russie et le président Porochenko, après son élection au mois de mai dernier, à l’occasion de sa venue en France pour les commémorations du Débarquement.

Depuis lors, nous avons toujours cherché à maintenir le fil du dialogue. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre issue à cette crise. Il n’y a pas d’autre moyen d’assurer le retour de la légalité internationale, le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, et donc le respect des accords de Minsk du 5 septembre dernier. Ce protocole fixe une feuille de route qu’il convient désormais de mettre en œuvre, c’est-à-dire la mise en place d’un cessez-le-feu et sa surveillance par l’OSCE – cette organisation, qui est constituée d’observateurs reconnus par tous et dont sont membres la Russie, l’Ukraine, tous les pays de l’Union européenne, les États-Unis et le Canada, constitue un cadre légitime –, la démilitarisation des zones frontalières, le retrait des armes lourdes, la libération des otages et des prisonniers, un point sur lequel nous pouvons désormais avancer, et une discussion sur le statut des régions de l’est de l’Ukraine.

Si nous ne pouvons pas accepter les activités des séparatistes dans ces régions, il nous faut toutefois prendre en compte la situation particulière des populations russophones, en leur permettant d’avoir un statut dans la constitution ukrainienne, donc d’élire des représentants dans des conditions acceptables. Le vote intervenu au mois de novembre dernier n’avait aucune légitimité. Nous ne l’avons donc pas reconnu.

Enfin, ces accords de Minsk prévoient le rétablissement de relations politiques et économiques normales, pacifiées, entre l’Ukraine et la Russie, dont je rappelle qu’il s’agit de pays voisins.

C’est l’objectif du Président de la République et de notre diplomatie. Nous voulons garantir la stabilité et la paix dans la région, ainsi que le rétablissement de relations normales entre l’Ukraine, la Russie et l’Union européenne.

Selon nous, la Russie ne doit pas être un adversaire. Il y a eu violation du droit international, et nous avons adopté des sanctions à l’échelle européenne. Mais les sanctions ne sont pas une fin en soi. Nous avons toujours considéré qu’elles devaient constituer un outil pour retrouver la voie du dialogue et rechercher une solution politique.

Nous menons cette politique avec l’ensemble de nos partenaires, y compris ceux que nous avons rencontrés dans le cadre du format de Weimar. Mais ce processus doit bien évidemment être soutenu par les Vingt-huit. Ce sera l’objet de notre discussion au sein du Conseil européen.

Le Président de la République a été en contact avec la chancelière Merkel, ainsi qu’avec les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, à la suite de sa rencontre avec le président Poutine et des échanges qu’il a eus avant et après cette rencontre avec le président Porochenko. Ce sera un point très important de la réunion du Conseil européen.

L’Union européenne dans son ensemble doit soutenir absolument la démarche de la France. Il faut permettre de revenir à la solution politique souhaitée par tous.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Le commissaire Günther Oettinger, chargé de la société et de l’économie numériques, a indiqué que, sur les 315 milliards d’euros annoncés pour le plan d’investissement, plus de 10 milliards seraient sans doute consacrés au financement des réseaux à haut débit. C’est un motif de satisfaction, surtout après la déception suscitée par le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, le MIE.

Ce mécanisme, créé il y a un an, devait viser l’achèvement des réseaux transeuropéens importants en matière de transports, d’énergie et de télécommunications. Or, sur les 30 milliards d’euros qui lui seront dédiés pour la période 2014-2020, seul 1 milliard d’euros doit finalement aller aux réseaux de télécommunications, contre plus de 23 milliards pour les transports et plus de 5 milliards pour l’énergie. L’annonce du commissaire Oettinger mérite donc d’être saluée. Elle permet d’espérer que l’Union européenne parviendra à se doter des infrastructures de télécommunications qui conditionnent son avenir.

La place de l’Europe dans le nouveau monde numérique exige aussi de revoir la régulation de ce secteur. À quoi bon construire des réseaux si leur valeur ajoutée échappe à l’Europe ?

J’y insiste, il faut revoir sans attendre les règles. Les entreprises européennes doivent pouvoir lutter à armes égales contre les géants américains de l’internet. C’était l’une des préconisations les plus importantes de mon rapport de 2013 intitulé L’Union européenne, colonie du monde numérique et adopté par la commission des affaires européennes. C’est aussi et surtout l’une des conclusions saillantes de la mission commune d’information sur la gouvernance de l’internet. Je parle sous le contrôle des collègues qui en furent membres.

Le Parlement européen en semble désormais convaincu. Il vient d’adopter une résolution prônant une meilleure régulation concurrentielle du secteur numérique. Face à l’abus de position dominante de Google sur le marché de la recherche en ligne, le texte propose plusieurs solutions, dont une rotation des résultats de recherche pour redonner de la visibilité aux services concurrents de ceux de Google. Cela concernerait de nombreux secteurs de l’économie et beaucoup d’entreprises. Il envisage même le dégroupage de Google. J’avais moi-même plaidé dans nos rapports pour que soient imposées des obligations d’équité et de non-discrimination à certains acteurs de l’internet.

Je voudrais m’assurer que le Gouvernement plaidera aussi en ce sens à Bruxelles. Plus généralement, compte-t-il soutenir la nécessité absolue d’une politique industrielle du numérique plus ambitieuse et plus offensive, qui pourrait commencer par une collaboration franco-allemande sur un projet concret et décisif pour l’autonomie de notre continent dans le monde numérique ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, le numérique est en effet l’un des sujets principaux du plan Juncker. Comme vous l’avez souligné, le commissaire Oettinger estime qu’une dizaine de milliards d’euros pourraient y être consacrés.

Sur les trente et un projets transmis à titre indicatif par la France à la task force, dix concernent l’économie numérique. Nous partageons également cette priorité.

Le soutien aux investissements est une dimension importante. L’Europe ne peut pas être seulement un espace de consommation du numérique ; elle doit aussi être un espace où émergent des acteurs autres que les seules grandes multinationales américaines. Mais, au-delà, il y a aussi une dimension de régulation des plateformes. Selon nous, ce doit être une priorité du mandat de la prochaine Commission.

En outre, nous ne pouvons pas accepter que les choses demeurent en l’état en matière de fiscalité. Cela suppose de lutter contre la disparité sociale au sein de l’Union européenne, mais aussi de respecter le principe selon lequel les impôts doivent être payés là où se réalisent le bénéfice et le chiffre d’affaires. On ne peut pas localiser tous les bénéfices d’une holding dans un seul État membre au motif que l’impôt sur les sociétés y est moins important, alors que les grandes multinationales du numérique réalisent leur chiffre d’affaires dans l’ensemble des pays de l’Union européenne !

La réforme de l’ICANN, c’est-à-dire Internet corporation for assigned names and numbers, est très importante.

Tel est l’agenda que nous soutenons. Il tient compte des travaux que vous avez menés au nom du Sénat, madame la sénatrice.