M. Charles Revet. Nous avons beaucoup d’atouts que nous n’exploitons pas !

M. Joël Guerriau, rapporteur de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Faute de moyens, il sera difficile de jouer un rôle de référent. Ce n’est pas ainsi que la France s’affirmera dans la mise en place de la gouvernance mondiale des océans qui se dessine. Dans quelques années, il sera sans doute trop tard, surtout si les États-Unis ratifient la convention de Montego Bay ou si des pays comme la Chine, la Corée du Sud ou la Russie continuent de manifester leur volontarisme au sein de l’AIFM.

Et l’on constate que l’Union européenne elle-même est en train de s’emparer du sujet, avec l’adoption par le Parlement européen, le 12 mars dernier, de la révision de la directive sur les études d’impact étendant aux activités « de recherche et de prospection » de minéraux marins les procédures applicables. Alors que la France est quasiment la seule concernée par ces réglementations, les choses vont se décider à l’échelon européen sans qu’elle ait pu inspirer les évolutions par le biais une législation nationale spécifique.

Lors du comité interministériel de la mer, ou CIMER, qui s’est tenu au mois de décembre dernier, le Premier ministre a annoncé le lancement du programme national de recherches sur l’accès aux ressources marines et l’acquisition des B2M, déjà évoquée, ainsi qu’une mise en ordre de notre droit pour ce qui concerne la délimitation des espaces maritimes. Faut-il en déduire que nous sommes sur le point de passer du discours incantatoire à la phase opérationnelle ? Nous aimerions le croire, mais, comme vous le savez, mes chers collègues, les preuves matérielles sont préférables aux belles paroles et, malheureusement, nous avons constaté que les conclusions des différents CIMER qui se sont déroulés depuis 2003 se contentaient de répéter les mêmes bonnes résolutions. Mener une politique maritime de manière parcellaire et éclatée nous conduit à l’échec !

En outre, si la création de délégations à la mer et au littoral au sein du ministère chargé de l’écologie doit désormais permettre de mieux coordonner l’action des différentes entités du ministère dans le domaine maritime, il faut, nous semble-t-il, aller plus loin et instaurer une véritable instance d’impulsion, capable d’engager une politique volontariste et d’opérer des arbitrages. Cela ne peut relever que d’une autorité politique. Pour qu’une équipe gagne, il faut bien sûr un entraîneur !

En tout état de cause, saisir les potentialités que font miroiter nos ZEE ultramarines nécessite une prise en compte désormais urgente. Comme l’indique le titre de notre rapport, nous sommes à un moment charnière, le moment de vérité. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer, mes chers collègues, je salue l’initiative conjointe de la commission des affaires étrangères et de la délégation à l’outre-mer de proposer un débat sur les enjeux multidimensionnels liés aux zones économiques exclusives ultramarines.

Il s’agit là d’une question profondément ancrée dans l’actualité et emblématique de la course effrénée qui se joue actuellement autour des matières premières, des ressources énergétiques et des terres rares.

De par sa situation géographique et la diversité de ses territoires hors espace métropolitain, la France a une responsabilité toute particulière en matière de protection de la biodiversité. J’en veux pour preuve le fait que son espace maritime, le deuxième au monde, couvre plus de 11 millions de kilomètres carrés, dont 90 % se situent dans les départements et les collectivités d’outre-mer.

Dans les territoires ultramarins, la biodiversité est d’un niveau exceptionnel tant par le nombre d’espèces présentes que par l’endémisme. Ainsi, ces territoires hébergent 3 500 espèces végétales et 400 animaux vertébrés uniques au monde.

Plus encore, un quart des poissons d’eau douce de la planète s’y trouvent et 10 % des récifs coralliens mondiaux sont situés dans les eaux placées sous juridiction française. Notre responsabilité est donc grande !

La préservation de l’environnement terrestre et marin est un impératif, au plan non seulement local, mais également international.

C’est pourquoi il est nécessaire que la France mette en place une politique maritime ambitieuse, afin d’assurer la protection des écosystèmes, la pérennité des activités économiques et le maintien de la cohésion sociale. Si les zones économiques exclusives représentent un formidable potentiel en termes de ressources halieutiques, minérales et énergétiques, leur gestion se doit d’être responsable.

À ce sujet, le récent rapport de la délégation à l’outre-mer intitulé Les zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité aborde les risques de pollution et de dégradation de l’environnement liés à toute activité offshore. Sur ce point, les écologistes restent vigilants.

Les effets des activités offshore sont en effet multiples : études sismiques qui perturbent les stocks de poissons et les mammifères marins, émissions de dioxyde de carbone et de méthane provoquées par le torchage de gaz, ou encore pollution du milieu marin à travers le rejet de diverses substances.

Force est de le constater, de nombreux accidents sont survenus dans des exploitations pétrolières et gazières offshore ces dernières années, causant d’importants dégâts environnementaux : l’explosion dans le golfe du Mexique de la plate-forme Deepwater Horizon en 2010, le déversement de pétrole depuis une plate-forme en mer de Bohai en 2011, l’échouement de la plate-forme Kulluk au large de l’Alaska en 2012, ou encore la pollution chronique des côtes ouest-africaines...

Si, dans le rapport précité, la France est appelée à promouvoir un « cadre raisonné protecteur d’environnements encore vierges et particulièrement fragiles », les écologistes s’interrogent toutefois sur le comportement de notre pays dans sa propre zone économique exclusive.

De ce point de vue, je reviendrai sur le contentieux qui oppose les professionnels de la pêche et le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie au sujet des deux permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux conventionnels au large de la Guyane, actuellement soumis, en sourdine, à la consultation publique.

Le premier de ces permis vise le domaine maritime profond avec une profondeur d’eau de quatre kilomètres où les courants marins sont extrêmement forts et imprévisibles. Le second concerne le plateau continental guyanais, une zone particulièrement sensible du fait de la pêche qui y est pratiquée et de la fréquentation importante de mammifères marins, de cétacés et d’espèces de tortures marines protégées.

De fait, les risques de pollution sonore liée à la prospection sismique ainsi que ceux d’une pollution toxique liée au forage d’exploration, emportant des conséquences catastrophiques pour l’environnement aquatique, ne sont pas négligeables.

Sur ce point, je tiens à dire quelques mots sur l’actuelle refonte du code minier qui prévoit que le livre consacré aux outre-mer fasse l’objet d’une ordonnance. Comment pouvons-nous promettre le développement durable des territoires ultramarins si nous privons ceux-ci de consultations et de débats ouverts ?

En outre, dans son rapport relatif à l’extension du plateau continental, le Conseil économique, social et environnemental considère que la France doit contribuer à l’élaboration d’un nouveau modèle de développement durable, en particulier dans les territoires ultramarins. Pour ce faire, le CESE a notamment recommandé la prise en compte dans la loi des dispositions relatives aux objectifs de la convention sur la diversité biologique ratifiée par la France en 1994. C’est à la suite de l’adoption de cette convention qu’une stratégie nationale pour la biodiversité a été édictée, dont l’un des objectifs établit la nécessité de renforcer la diplomatie environnementale et la gouvernance dans le domaine de la biodiversité.

La France doit donc s’emparer pleinement de ce sujet et être pionnière à l’échelon international.

L’exemplarité de notre pays dans ce domaine doit également se traduire par sa capacité à protéger ses propres intérêts. En effet, dans son Livre bleu portant sur la stratégie maritime, la Commission européenne a rappelé que l’effet cumulé de l’ensemble des activités maritimes engendre « des conflits d’utilisation et une détérioration du milieu marin […] Dans un contexte de mondialisation et de changement climatique rapide, il y a urgence. »

À ce titre, la France doit mener une politique s’attachant à protéger et réguler les activités de pêche au large de ses territoires.

Effectivement, dans le cadre d’un développement durable et respectueux de l’activité économique côtière, elle doit agir par la délimitation de ces zones au terme d’accords internationaux, par le déploiement de bâtiments en mer et par la promotion de programmes européens, afin de lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, et contre les activités de piraterie et de braconnage qui déstabilisent les marchés locaux. En ce sens, l’État français doit renforcer la surveillance des trafics inter-îles, pour être en mesure de mieux orienter ses moyens d’intervention, dont la quantité est comptée. La poursuite de l’implantation du système de surveillance SPATIONAV V3 est un premier élément de réponse dans les espaces sous juridiction nationale.

L’activité maritime constitue un enjeu économique vital pour ces territoires. Il est donc primordial que la France se prémunisse contre toute défiance et contestation de sa souveraineté. Nous devons nous donner les moyens de nos ambitions, et dans l’actuel contexte de réduction budgétaire, l’affirmation des zones économiques exclusives ultramarines est l’occasion pour notre pays d’impulser une réelle prise de conscience au sein des institutions européennes et, ainsi, de promouvoir une politique maritime commune respectueuse des enjeux environnementaux, sociaux et économiques ultramarins. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’invention du super-conteneur dès le début des années soixante-dix a profondément changé la donne du commerce international. Nous le constatons aujourd’hui, la mondialisation s’accompagne, outre la généralisation des flux financiers, d’un important processus de maritimisation, c’est-à-dire d’une ouverture de plus en plus importante de nos économies sur le grand large.

Dans son discours de Brest, le général de Gaulle estimait : « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à la dominer pour en contrôler les ressources ».

À ce titre, la France semble effectivement plutôt bien dotée par l’histoire et la richesse de ses territoires. C’est tout l’objet de notre débat d’aujourd’hui.

En effet, la zone économique exclusive nationale est généralement classée à la deuxième place mondiale, après celle des États-Unis. D’aucuns considèrent, en particulier l’ancien Premier ministre Michel Rocard, que, avec des critères plus affinés, notamment en prenant en compte la côte Antarctique de la Terre-Adélie, elle accéderait au premier rang.

Notre domaine maritime, fort de ses 11 millions de kilomètres carrés, est ainsi quatre fois plus étendu que la Méditerranée et vingt fois plus que le territoire hexagonal. À titre d’exemple, la superficie de la zone polynésienne – à cet égard, j’ai été très surpris lors de ma première visite sur place – est, à elle seule, plus importante de 300 000 kilomètres carrés que celle de l’Union européenne, évidemment sans la Russie. Toujours est-il que nous disposons d’une spécificité : grâce à nos territoires ultramarins, notre zone économique exclusive est répartie au large des cinq continents et sur tous les océans. Nous avions un empire colonial, nous disposons maintenant d’un empire maritime.

La France est présente aussi bien dans l’océan Pacifique grâce à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française que dans l’océan Atlantique via ses territoires antillais, sans oublier l’océan Indien grâce à l’île de la Réunion, mais aussi à Mayotte, et les terres australes françaises.

Ce rapide tour du monde de la présence française dans les océans donne une idée non seulement des atouts, mais également des défis que représente la possession d’une telle zone économique exclusive.

En effet, cela a déjà été évoqué, la richesse des sous-sols marins, le bénéfice des activités de la pêche et l’exploitation générale de la mer sont des atouts indéniables. Or nous ne disposons pas d’une cartographie assez bien étayée des zones à forts potentiels stratégiques, notamment au regard de la présence d’hydrocarbures dans le sous-sol marin. Il y a là un véritable enjeu pour la recherche océanique qui pourrait utilement servir notre objectif de relance de l’activité économique.

En l’état actuel des connaissances, on espère pouvoir amorcer l’exploitation fossile des fonds marins en Guyane, avec une cible minimale de 100 000 à 200 000 barils par jours. Ce n’est pas rien, même si c’est moins bien que l’Irak ! En dehors de ce cas bien spécifique, on ne mesure pas encore bien l’éventail des possibilités offertes par nos fonds marins. Je pense bien évidemment à la zone exclusive de la Nouvelle-Calédonie qui pourrait être très riche en gisements de fer et de cobalt.

Il conviendrait également d’exploiter les ressources marines renouvelables. Les énergies marines constituent des marchés d’avenir. À cet égard, la France dispose d’acteurs industriels importants et d’un territoire marin propice à l’expérimentation et à l’exploitation. Comme l’a indiqué Joël Guerriau, dans les mers tropicales, la différence de température entre les eaux de surface et les eaux profondes offre des perspectives d’exploitation de l’énergie thermique des mers, secteur très prometteur. L’acheminement à terre de l’énergie produite au large ouvre le champ à de nouvelles innovations. Pourtant, l’énergie thermique est une technologie très ancienne, que Jules Vernes évoquait déjà dans son livre Vingt mille lieues sous les mers, et qui a été mise au point en 1930 par Georges Claude, dont les brevets sont à l’origine de la société Air Liquide.

Je ne suis pas un spécialiste technique de ces questions, mais peut-être ne serait-il pas déraisonnable de fixer l’autosuffisance énergétique des territoires ultramarins comme un objectif prioritaire de nos politiques publiques.

Un tel engagement valoriserait à coup sûr nos territoires ultramarins en dynamisant leur tissu économique et social. Le bénéfice tiré de la mer profiterait aussi bien à la métropole qu’à nos territoires les plus éloignés.

Un tel programme est certes ambitieux, mais il n’est pas à l’abri de tous risques.

Dans le rapport d’information de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur la maritimisation rendu au mois de juillet 2012 a bien été mise en évidence la concurrence de plus en plus grande des États en matière d’exploitation marine. C’est, de surcroit, une préoccupation récurrente de la commission des affaires étrangères. À titre d’exemple, au cours du cycle des auditions budgétaires menées lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, avait évoqué l’interception dans le canal du Mozambique d’un bâtiment étranger d’exploration sismique.

Cette anecdote illustre particulièrement bien la difficulté de maîtriser un espace océanique aussi étendu. Or la première condition d’une maîtrise efficiente – je pense bien entendu à la seule délimitation géographique des frontières des zones concernées – n’est pas nécessairement bien établie.

C’est dans l’océan Indien que la situation est la plus délicate. La frontière de notre zone avec la zone malgache est encore mal cartographiée. Dans l’océan Pacifique, la zone de l’île de Clipperton est contestée, notamment par le Mexique, qui menace régulièrement de saisir les juridictions internationales sur la base de la convention de Montego Bay, afin de faire la preuve de l’impossibilité de maintenir l’exclusivité économique au large de ces côtes.

La concurrence étatique n’est pas le seul risque lié à l’exploitation de notre ZEE ultramarine, loin s’en faut.

Je pense, tout d’abord, au risque environnemental, comme l’a évoqué Leila Aïchi. L’exploitation des fonds marins est une promesse de croissance rapide et soutenue, mais il nous faudra en mesurer le prix. J’ai cité les gisements de fer et de cobalt de la Nouvelle-Calédonie, mais n’oublions pas non plus que c’est aussi là-bas que se trouve notre plus importante barrière de corail ! Nous devons donc penser à la préservation des écosystèmes et de la biodiversité marine, sans quoi nous finirons par assécher la mer de toute forme de vie. Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre pays accueillera au mois de décembre 2015 la prochaine conférence mondiale sur le climat.

Le risque est également géopolitique. La géopolitique des océans reflète celle de la mondialisation. Ainsi, nous observons sur les mers des travers identiques à ceux que nous pouvons constater dans différentes autres sphères de la globalisation : piraterie, trafics de drogues, contrebande, immigration clandestine, ou encore pêche illicite.

La prolifération de ces activités soulève la question de la maîtrise d’un tel espace océanique. Notre outil naval est-il adapté pour intervenir dans des zones aussi vastes, aussi éloignées les unes des autres et différentes sur un plan géographique ?

Toujours selon la dernière audition de l’amiral Rogel, la marine française procède à deux types de contrôles, similaires à ceux qui sont pratiqués, par exemple, sur les axes routiers. Les zones les plus à risques font l’objet de déploiements réguliers à l’image des radars fixes. Les zones moins exposées ou moins connues font en revanche l’objet d’interventions plus ponctuelles en fonction des moyens disponibles. Les drones vont peut-être arranger la situation…

La maîtrise et la sécurité de ces espaces sont donc fonction à la fois de la conjoncture internationale et de nos propres moyens d’intervention. En la matière, la priorité affichée via la loi de programmation militaire est respectée par la précédente loi de finances.

Les crédits d’entretien programmé du matériel de la marine ont été augmentés en 2014, afin de maintenir le taux d’activité dans ce domaine à un niveau comparable à celui de 2013, c’est-à-dire légèrement en deçà de la norme rappelée dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire.

Au-delà, la marine est un vaste agencement de filières très spécialisées. Aussi, il faudra accorder une attention toute particulière aux prochains crédits budgétaires qui seront alloués à la mission « Défense ».

En effet, l’investissement en matière de défense est la condition nécessaire à l’exploitation économique des ZEE. Sans cet effort, nos atouts marins, notre potentiel resteront en jachère. De plus, une réduction trop brusque risquerait de remettre en cause la cohérence d’ensemble de notre marine nationale. Le prochain projet de loi de finances rectificative sera donc un rendez-vous incontournable pour la poursuite de ce débat.

Je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d’avoir réagi si vigoureusement aux menaces pesant sur cette loi de programmation militaire, que le Sénat a adoptée.

Par ailleurs, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement.

La marine nationale devra-t-elle fournir de nouveaux efforts budgétaires au-delà de la trajectoire fixée via la dernière loi de programmation militaire ?

Notre effort en faveur d’une marine de qualité sera-t-il relayé dans les territoires d’outre-mer par un travail de mise en valeur de nos zones économiques exclusives, au-delà des seules activités de pêche ?

Comment l’exploitation des ressources non renouvelables des fonds marins sera-t-elle conciliée avec l’impératif de préservation de l’environnement ?

Madame la ministre, ce sont là autant de zones d’ombre, autant de points sur lesquels je souhaite que le Gouvernement nous réponde.

La France entretient depuis des siècles une relation particulière avec la mer et les océans. Notre éminent ancien collègue Victor Hugo déclarait déjà que « la mer est un espace de rigueur et de liberté ». La mondialisation et le développement des transports maritimes ont dès à présent transformé notre lien à la mer. Au-delà des paroles du poète, gardons à l’esprit que la valorisation de nos territoires marins dépendra de nos efforts et de notre audace pour les mettre en valeur avec force et imagination, pour préparer l’avenir ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission, MM. les rapporteurs et M. Robert Laufoaulu applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je me félicite que l’excellent rapport de MM. Antoinette, Guerriau et Tuheiava nous donne l’occasion de comparer les différents points de vue sur cet enjeu déterminant que constituent nos zones économiques exclusives ultramarines.

C’est sous ce vocable quelque peu technico-juridique que se joue une grande partie de l’avenir de la France, de l’Europe et, j’ose le dire, de l’humanité tout entière.

Le rapport susvisé est presque exhaustif. Il brosse un tableau précis et lucide des potentialités et de la situation. Il a en outre le grand mérite de formuler dix recommandations, que le Gouvernement serait bien avisé de suivre s’il ne veut pas accuser un retard irrémédiable.

Il faut bien mesurer l’ampleur du sujet qui nous occupe cette après-midi.

Ce constat a déjà été dressé, mais il mérite d’être rappelé : notre pays possède plus de mers que de terres, et même dix-huit fois plus.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Notre domaine maritime compte près de 11 millions de kilomètres carrés, répartis sur toute la surface du globe. L’espace maritime français, largement hérité de nos politiques coloniales, est ainsi le deuxième ensemble mondial, juste derrière celui des États-Unis.

De quoi parle-t-on avec ces ZEE ?

Définies par la convention internationale de Montego Bay, que la France a signée en 1982, les zones économiques exclusives octroient aux États 370 kilomètres de souveraineté marine au large de leurs côtes.

Pour ce qui concerne notre pays, les 118 îles de la Polynésie française, dont 76 seulement sont habitées, cumulent par exemple à elles seules plus de 4,8 millions de kilomètres carrés de ZEE. (M. le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer acquiesce.)

Citons encore, à 1 300 kilomètres à l’ouest des côtes mexicaines, l’île inhabitable de Clipperton qui, avec ses 7 kilomètres carrés, nous donne la jouissance d’un espace exclusif de plusieurs milliers de kilomètres carrés au milieu de l’océan Pacifique !

Ces zones regorgent de ressources minérales, comme le cobalt et le platine en Polynésie française, ce que l’on appelle les « terres rares » – cadmium, mercure, sélénium –, autour de Wallis-et-Futuna, le nickel le platine et des métaux stratégiques autour de l’île de Clipperton, ou évidemment l’or, le platine et le nickel autour de la Nouvelle-Calédonie.

Ce sont aussi de potentielles sources d’approvisionnement en énergies fossiles (Mme Gisèle Printz acquiesce.), avec des réserves pétrolières autour des îles Éparses, dans le canal du Mozambique, qui nous sont contestées par Madagascar, ou au large de la Guyane.

Dans ce dernier territoire, des études prospectives concernant l’exploitation des ressources d’hydrocarbures évoquent même la possibilité de produire 100 000 barils de pétrole brut par jour, soit cinq fois ce que la France extrait aujourd’hui !

Les ZEE forment enfin un potentiel d’énergies marines renouvelables, comme l’a expliqué M. Perrot, alors président-directeur général de l’IFREMER, lors d’une audition de nos rapporteurs. À ses yeux, ce potentiel, « comme source complémentaire dans une perspective d’autosuffisance énergétique, a toute sa pertinence en outre-mer. »

Ces ZEE, dont 97 % se situent au large de nos territoires ultramarins, confèrent donc à notre pays une influence diplomatique et stratégique considérable.

De surcroît, ces exemples montrent bien l’enjeu économique, géostratégique et politique majeur que représentent nos ZEE.

Ce potentiel pourrait utilement permettre de répondre, en partie, aux besoins existants, notamment en termes d’énergies fossiles et renouvelables. Malheureusement, les gouvernements successifs n’en ont pas pris la mesure.

Comme le souligne le rapport précité, des experts considèrent que, en matière d’exploration des grands fonds océaniques, nous avons pris quinze ans de retard par rapport aux États-Unis, à l’Australie ou au Japon. Ce qui pourrait être considéré comme un extraordinaire terrain d’exploration scientifique et comme une manne de richesses, aussi bien énergétiques qu’halieutiques, reste donc à ce jour largement sous-exploité. Il n’existe actuellement aucune donnée délimitant strictement ces eaux territoriales ni aucun relevé permettant d’en connaître les ressources exactes.

C’est la raison pour laquelle je partage tout à fait les recommandations du rapport, qui préconise « d’ériger en priorité nationale une gouvernance dynamique pour une mise en valeur des ZEE ».

De même, je soutiens les mesures avancées pour créer de nouvelles relations et définir, avec nos outre-mer, un nouveau type de développement pour ces territoires.

Messieurs les rapporteurs, vous avez raison d’affirmer que ces territoires français ont un rôle irremplaçable à jouer dans la valorisation de ces potentiels, et que la défense des intérêts de ces lieux et des populations qui y vivent doit être la priorité. Celles-ci sont en effet les premières concernées par la valorisation de ressources extrêmement diverses.

Il est impératif de répondre aux souhaits de chacune de ces collectivités, quelle que soit sa situation statutaire, de s’engager dans la voie d’un développement durable et plus autonome, fondé sur les atouts locaux et correspondant plus étroitement aux attentes économiques et sociales de nos concitoyens.

Cela étant, j’insisterai surtout sur le rôle moteur que devrait jouer notre pays à l’échelle internationale dans la mise en œuvre d’une véritable gouvernance dans ce domaine.

Je souhaite que la France déploie une diplomatie beaucoup plus active en prenant des initiatives fortes à l’échelle internationale. Elle pourrait, par exemple, faire inscrire ce sujet à l’ordre du jour d’un prochain Conseil européen. L’objectif pourrait être d’obtenir la fixation de règles et de limites strictes pour s’opposer aux puissances qui considèrent les océans comme un espace de prédation, de compétitivité et de productivité au service exclusif de grands intérêts économiques privés.

De tous les États de l’Union européenne, notre pays, grâce à ses outre-mer, compte le plus grand nombre d’ouvertures maritimes. Or, en posant cette question d’une exploration encadrée et régulée et d’un développement des énergies renouvelables de la mer, la France susciterait certainement un effet d’entraînement. Elle renforcerait du même coup sa position au sein du Conseil.

Dans le même ordre d’idées, saisissons l’occasion de la présence, au mois de juillet, du Président de la République à la prochaine réunion de la Commission de l’océan Indien, qui traitera notamment de la gestion des océans et de l’autonomie énergétique, pour promouvoir la spécificité française en matière de développement durable. À ce titre, je souhaite que le chef de l’État puisse s’appuyer sur la proposition de résolution relative à une nouvelle politique énergétique et à un codéveloppement durable et solidaire dans l’océan Indien, que mon ami Paul Vergès soumettra au vote du Sénat.

Tels sont les commentaires et les appréciations des membres du groupe CRC, sur cette très importante question des ZEE, dont je tenais à vous faire part ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC.)