M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, sur l'article.

Mme Isabelle Debré. L’article 10 du présent projet de loi comprend, entre autres, la suspension temporaire, à compter du 22 janvier prochain et jusqu’au 30 juin 2014, de l’application des règles concernant le travail à temps partiel, instaurées par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.

Je le rappelle, ce texte a posé le principe d’une durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures, applicable à tout contrat à temps partiel conclu à partir du 1er janvier 2014.

Conscient des difficultés d’application de ces nouvelles règles, le législateur a toutefois prévu qu’une durée inférieure à vingt-quatre heures pourrait être fixée par un accord de branche étendu comportant des garanties quant à la mise en œuvre d’horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités afin d’atteindre une durée globale d’activité correspondant à un temps plein ou au moins égal à la durée minimale.

L’objectif d’accorder un délai supplémentaire de six mois aux branches pour leur permettre d’appliquer ces dispositions et de négocier dans les meilleures conditions ne trompe cependant personne.

Le Gouvernement, pensant peut-être bien faire, mais agissant encore une fois dans la précipitation, a créé un dispositif inapplicable dans un certain nombre de secteurs d’activité dans lesquels l’emploi à temps partiel est majoritaire. Je songe notamment au domaine des services.

Monsieur le ministre, nous n’avons pas manqué de le souligner à l’époque, mais vous n’aviez pas voulu entendre notre point de vue, ni celui des entreprises.

Rien, aujourd’hui, ne nous permet de croire que les branches professionnelles seront en mesure de conclure un accord d’ici au 30 juin 2014. La moitié d’entre elles est concernée, et il existe, comme vous le savez, de fortes résistances qui n’augurent rien de bon.

En outre, nous nous trouvons face à une forte insécurité juridique. Les contrats de travail à temps partiel conclus avant la période de suspension, c’est-à-dire entre le 1er janvier et le 21 janvier 2014, doivent respecter la durée minimale légale de vingt-quatre heures hebdomadaires, sauf si une exception légale trouve à s’appliquer, telle qu’une dérogation encadrée par un accord de branche étendu.

Les contrats conclus durant la période de suspension, c’est-à-dire entre le 22 janvier prochain et le 30 juin 2014, devront quant à eux comporter une durée de travail sans minimum légal, mais respecter, le cas échéant, une durée minimale conventionnelle.

Quant aux contrats conclus à compter du 1er juillet 2014, ils relèveront du droit commun et comporteront une durée légale de vingt-quatre heures minimum, sauf accord dérogatoire étendu.

Sont ainsi créées plusieurs catégories d’employés dont la situation est régie selon des modalités différentes, en fonction de la date de conclusion de leur contrat de travail. J’y vois matière à contentieux et rupture d’égalité entre les salariés.

Cette situation n’est pas favorable à l’emploi. Les entreprises seront tentées de différer leurs projets de recrutement, voire d’y renoncer, tant que la sécurité juridique des contrats à temps partiel ne sera pas totale. Quant aux salariés, ils seront dans l’attente d’une clarification de leur situation.

Je rappelle que près de 4,2 millions de salariés travaillent à temps partiel en France. Cette situation relève d’un choix personnel pour plus des deux tiers d’entre eux,… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Christiane Demontès. Il vaut mieux entendre cela que d’être sourd !

Mme Laurence Cohen. C’est la proportion inverse !

Mme Isabelle Debré. … comme le note une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et de la statistique, la DARES, datant de juin 2013. Ce n’est pas moi qui l’affirme, chers collègues, mais un organisme statistique de l’État !

Cette enquête montre que les hommes déclarent travailler à temps partiel la plupart du temps pour exercer une autre activité professionnelle, pour suivre des études ou une formation, ou encore pour des raisons de santé. Chez les femmes, la motivation est le plus souvent familiale.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Et voilà !

Mme Isabelle Debré. Ce dispositif contraignant compliquera inutilement l’existence de trois millions de salariés dans leurs choix de vie, en s’opposant à leurs aspirations.

Si l’on ajoute, dans ce même article, les dispositions des alinéas 1 à 14 créant de nouvelles sanctions pour les entreprises de 50 à 300 salariés concernées par les contrats de génération, nous sommes encore une fois bien loin du choc de simplification et du pacte de responsabilité voulus par le Président de la République ! (M. Jean-Noël Cardoux applaudit.)

M. le président. L'amendement n° 122 rectifié, présenté par MM. Cardoux et Carle, Mmes Boog, Bouchart, Bruguière et Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, M. Dériot, Mme Deroche, MM. Fontaine et Gilles, Mmes Giudicelli et Hummel, M. Husson, Mme Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Milon et Pinton, Mme Procaccia et MM. Savary, Vial, Reichardt et Mayet, est ainsi libellé :

Alinéas 1 à 13

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après cette intervention d’Isabelle Debré, personne ne sera surpris que le groupe UMP demande la suppression des alinéas 1 à 13 de l’article 10.

Ces treize alinéas nouveaux ont été adoptés par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement et se rapportent à la mise en place des contrats de génération. Ils réintroduisent une pénalité financière visant les entreprises de 50 salariés et plus à moins de 300 salariés, dès lors que celles-ci ne sont pas couvertes par un accord collectif ou, à défaut, par un plan d’action, ou par un accord de branche étendu.

Le principe de cette pénalité existait en matière d’emploi des seniors avant l’entrée en vigueur du contrat de génération et doit donc être placé au débit du précédent gouvernement, monsieur le ministre, je le reconnais.

M. Michel Sapin, ministre. Vous êtes honnête !

M. Jean-Noël Cardoux. Toutefois, ce n’est pas parce que nous avons fait des erreurs qu’il convient de les imiter !

L’article 10, qui réintroduit ce dispositif, remet ainsi gravement en cause l’équilibre général de l’accord national interprofessionnel du 19 octobre 2012 et le compromis social auquel avaient abouti les signataires. En effet, les négociateurs avaient eux-mêmes considéré que toutes les entreprises de 50 salariés et plus à moins de 300 salariés ne pouvaient, dans les mêmes termes, mener une politique générationnelle, alors que leur seule préoccupation était de sécuriser leur carnet de commandes.

La réintroduction des pénalités peut, à cet égard, les conduire à de graves difficultés financières, voire à des suppressions d’emplois.

J’ajoute, et je le signalais déjà hier, que nous avions émis des signaux d’alerte lors du débat sur le contrat de génération, en repérant les difficultés que les entreprises rencontreraient pour les mettre en œuvre. Nous avions alors posé certaines questions, dont nous connaissons maintenant la réponse : si les entreprises ont tant tardé à le mettre en œuvre, c’est parce qu’elles faisaient face à des problèmes et que leur activité économique n’était pas suffisante pour l’envisager.

À l’instar d’Isabelle Debré, je constate une divergence fondamentale entre l’introduction de pénalités dans un texte qui ne concernait pas initialement le contrat de génération et les actes du Président de la République, qui a reçu, voilà quelques jours, des chefs d’entreprises afin de leur adresser des signes quant à la stabilité fiscale en France et de les inciter à venir.

Il me semble, dans le climat actuel, comme en ce qui concerne le texte concernant l’économie réelle que nous étudierons demain, que l’introduction de ces pénalités constitue un très mauvais message envoyé aux entreprises.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaitons la suppression de cette disposition.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Vous l’imaginez, cet amendement qui vise à supprimer l’ensemble des dispositions permettant d’aménager le contrat de génération n’a pas mes faveurs, à titre personnel, pour des raisons qu’il m’est inutile de développer.

Toutefois, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

Mme Isabelle Debré. Pauvre rapporteur ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Permettez-moi, monsieur le sénateur, de saluer l’honnêteté de vos paroles. Elle n’est pas toujours partagée, si j’en crois certains propos émis à l’extérieur de cette enceinte.

Vous dites, à juste titre, que je propose ici de revenir à la situation précédente, c'est-à-dire avant que la loi relative au contrat de génération ne supprime cette pénalité. À l’époque, celle-ci ne s’appliquait qu’au plan senior, dont nous avons tous considéré qu’il convenait de le fusionner avec un plan « junior », pour en faire le contrat de génération. Nous y avons même ajouté une obligation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GEPEC, avec la volonté de simplifier la vie des entreprises.

Je vous remercie donc de votre honnêteté, monsieur Cardoux. Contrairement à ce que j’ai pu entendre dans les propos de tel ou tel, nous n’inventons pas l’enfer, nous revenons simplement à la situation précédente. Du reste, cette dernière ne devait pas être si inconfortable aux yeux de celui qui s’est exprimé avec tant de virulence qu’il en est venu à demander la démission du ministre du travail...

Quelle est la volonté du Gouvernement ? Vous savez que le contrat de génération a été voulu par les partenaires sociaux. Les parlementaires ont été très stricts et ont inclus dans la loi les décisions issues de cet accord, qui a recueilli l’unanimité des représentants du patronat comme de ceux des syndicats.

Il existe aujourd’hui trois catégories de contrats de génération.

Les entreprises de plus de 300 salariés relèvent d’un contrat de génération collectif, issu de la négociation de cet accord. La quasi-totalité d’entre elles l’ont mis en place. Quelques-unes encore peinent à lire correctement la loi ou sont mal informées ; mon administration est en train de les rappeler à leurs obligations légales, initialement avec beaucoup de gentillesse, à présent avec davantage de pressions amicales. Ce dispositif fonctionne très bien.

Les entreprises de moins de 50 salariées relèvent quant à elles du dispositif le plus simple : il n'y a aucune obligation préalable, ni aucun mécanisme lourd. Vous voulez mettre en place le contrat de génération ? Vous devez désigner le jeune et le senior concernés et montrer leur capacité à travailler ensemble. Vous signez alors un contrat, permettant d’obtenir une aide de 4 000 euros. Ce dispositif fonctionne très bien : le chiffre de 20 000 contrats a été dépassé dans cette catégorie. Cela représente à peu près un tiers du potentiel, notre volonté étant d’atteindre un nombre proche de 75 000 contrats en l’espace d’un an. Nous sommes donc sur la bonne voie.

Enfin, reste la catégorie des entreprises de plus de 50 et de moins de 300 salariés. C’est elle qui est concernée par la disposition en discussion. Les partenaires sociaux l’avaient exonérée de l’obligation précédente et de la pénalité afférente, mais ils avaient établi un autre type de contrainte : pour pouvoir bénéficier du contrat de génération, un accord était nécessaire soit au niveau de l’entreprise, soit au niveau de la branche.

Quels qu’aient été mes rappels aux obligations des partenaires sociaux, ces négociations ont traîné. Je ne souhaite pas en faire porter la responsabilité à l’une ou l’autre partie, car elle est partagée. L’une des deux parties a peut-être une responsabilité un peu plus grande que l’autre, mais, en tout état de cause, ces négociations de branche n’ont pas abouti en nombre suffisant.

Certaines ont pourtant été très fructueuses : la métallurgie, le bâtiment ou l’assurance ont mis en place des contrats de génération globaux, qui ont permis à leurs entreprises d’en bénéficier. Dans l’ensemble, cependant, ce dispositif n’a pas fonctionné correctement.

J’ai tiré les conséquences de cette situation. La première est la nécessité de simplification. Nous allons maintenant appliquer aux entreprises de cette catégorie le même système, très simple, que pour les entreprises de moins de 50 salariés : un jeune, un moins jeune, une mise en commun, un contrat de génération et 4 000 euros.

J’ai toutefois souhaité que nous rétablissions l’obligation précédente, donc la pénalité, afin que des négociations s’ouvrent d’ici à la fin de l’année dans les différentes branches. Toutes les entreprises négociaient quand la pénalité existait. C’est beaucoup moins le cas à présent que celle-ci a été supprimée. Je trouve cela objectivement dommage !

Je refuse que l’on bloque la possibilité pour les entreprises de bénéficier du contrat de génération au motif que les partenaires sociaux n’auraient pas assumé leurs responsabilités au niveau des branches.

Tel est le dispositif que nous proposons. Monsieur le sénateur, je vous remercie encore d’avoir dit la vérité. Cela me conduit à dénoncer d’autant plus vigoureusement ceux qui prétendent que je pénaliserais les entreprises refusant de mettre en place des contrats de génération. Ce n’est pas le cas. Je leur permets de les mettre en place, et je leur demande, de manière obligatoire, donc au risque d’encourir la pénalité qui existait précédemment, d’engager, par ailleurs, des négociations.

Cela revient donc à disjoindre l’obligation de négociation de la possibilité de bénéficier du contrat de génération. Vous pourrez, les uns et les autres, rappeler cela à tous les stressés de la terre, qui ne parviendront pas à nous stresser à notre tour ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos remerciements ! Nous sommes responsables, et il me paraît inutile de camoufler des réalités que chacun connaît.

J’observe simplement que les conditions économiques qui régnaient quand le précédent gouvernement avait introduit ces pénalités n’étaient pas tout à fait les mêmes que celles d’aujourd’hui.

M. Michel Sapin, ministre. C’était en 2009 !

M. Jean-Noël Cardoux. Nous étions alors seulement au début des péripéties que nous avons connues ensuite.

M. Michel Sapin, ministre. Non, nous étions au cœur de la crise, avec une diminution du PIB de plus de 2 % !

M. Jean-Noël Cardoux. Non ! Puisque nous nous lançons des gentillesses, laissez-moi ajouter que je suis intervenu également pour vous rendre service, monsieur le ministre (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), en attirant votre attention sur le télescopage entre les déclarations du Président de la République à certains chefs d’entreprise et l’introduction de telles dispositions. Je voulais vous aider à prendre conscience de ce point, mais je sais bien que c’est déjà le cas.

Pour conclure, je comprends aussi la difficulté que vous rencontrez pour gérer les différentes composantes de votre majorité. Chacun, ici, aura bien compris votre message !

M. Michel Sapin, ministre. Je préfère gérer ma majorité plutôt que M. Copé !

Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas ce que ressentent les chefs d’entreprise, monsieur le ministre !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 122 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné aujourd'hui 174 amendements. Il en reste 161 sur ce texte.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 10 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale
Discussion générale

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 20 février 2014 :

À dix heures trente :

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (n° 356, 2013-2014) ;

Rapport de MM. Claude Dilain et Claude Bérit-Débat, rapporteurs pour le Sénat (n° 355, 2013-2014)

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze et le soir :

3. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (n° 349, 2013-2014) ;

Rapport de M. Claude Jeannerot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 359, 2013-2014) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 360, 2013-2014) ;

Avis de M. François Patriat, fait au nom de la commission des finances (n° 350, 2013-2014).

4. Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, visant à reconquérir l’économie réelle (n° 372, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Anne Emery-Dumas, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 377, 2013-2014) ;

Résultat des travaux de la commission (n° 378, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 20 février 2014, à une heure vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART