M. le président. La parole est à M. André Vairetto.

M. André Vairetto. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le droit d’accès à l’eau est un sujet majeur parce qu’il est un préalable au respect des autres droits fondamentaux.

La France a activement œuvré à la reconnaissance de ce droit. Déjà, cela a été rappelé par Mme Didier, dès 2006, notre pays avait instauré, aux termes de l’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, le « droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Ce texte a institué un droit individuel à un bien essentiel et a inscrit dans notre législation une dimension sociale de l’eau, jusque-là pratiquement oubliée.

Notre pays a également œuvré pour la promotion de ce droit au niveau international et a soutenu l’adoption en juillet 2010 de la résolution de l’Assemblée des Nations unies, qui a proclamé pour la première fois dans son enceinte le droit à l’eau potable et à l’assainissement.

Il existe ainsi aujourd’hui un « droit à l’eau et à l’assainissement », défini comme un « un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ». Le droit à l’eau inclut l’assainissement, sujet tout aussi crucial, mais qu’on a souvent tendance à ne pas prendre en compte dans les débats sur le droit à l’eau.

Certes, des progrès ont été enregistrés. Dans ce domaine, la communauté internationale affirme avoir atteint, bien avant l’échéance de 2015, la cible des Objectifs du Millénaire pour le développement : réduire de moitié le pourcentage de la population mondiale privée d’accès à l’eau.

Cependant, il faut noter que le critère retenu pour cet accès à l’eau concernait l’accès à une source d’eau dite « améliorée », c’est-à-dire protégée des contaminations animales. Nous sommes loin de l’objectif ambitieux du droit à l’eau, qui fait référence à une eau saine et potable, disponible à une distance de moins de 1 kilomètre et accessible en continu.

Si l’on considère donc cette notion du droit à l’eau, qui va beaucoup plus loin que le simple « accès amélioré » des Objectifs du Millénaire pour le développement, il ne serait pas mis en œuvre pour environ 3 à 4 milliards d’individus, soit la moitié de l’humanité. 

Concernant l’assainissement, la situation est encore plus dramatique. Seulement 67 % des habitants de la planète auront accès en 2015 à des services d’assainissement améliorés, soit un niveau bien inférieur à l’objectif des 75 % prévus par les Objectifs du Millénaire pour le développement.

À l’heure actuelle, 2,5 milliards de personnes manquent encore de services d’assainissement améliorés, et la question des eaux usées peine à être pleinement intégrée dans les débats internationaux.

La mise en œuvre effective du droit à l’eau est un défi majeur que devra relever la communauté internationale dans les années à venir. Or, à ce jour, l’eau ne figure pas dans les thèmes retenus pour la définition des objectifs onusiens 2015-2030. C’est une question sur laquelle une mobilisation politique forte est nécessaire.

Dans les pays développés, notamment en France, la question se pose de manière différente. Chez nous, l’accès à l’eau existe dans les faits puisque près de 99 % de la population est connectée aux réseaux d’alimentation en eau, que 81 % bénéficient de l’assainissement et que très peu de coupures d’eau sont pratiquées. La mise en œuvre du droit à l’eau passe donc surtout par la question de l’accessibilité économique de l’eau pour les ménages en situation de précarité, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise sociale et économique.

Les chiffres de l’INSEE parus le 13 septembre 2013 ont révélé que les inégalités et la pauvreté ont continué de progresser l’an dernier dans notre pays. Il n’est dès lors pas surprenant que certains ménages rencontrent des difficultés pour payer leurs factures d’eau. Pourtant, la France reste dans la moitié des pays européens où l’eau est le moins chère. La facture « eau et assainissement » représente en moyenne 1,25 % du revenu disponible moyen d’un ménage. La facture annuelle pour un ménage de quatre personnes est de l’ordre de 430 euros.

Malgré ce prix modéré, à l’heure actuelle, on évalue à 2 millions le nombre de ménages dont la facture d’eau dépasse 3 % de leurs revenus, un seuil jugé critique par les experts de l’OCDE et des autres organisations internationales.

Cette question est d’autant plus cruciale que le prix moyen de l’eau est appelé à augmenter en raison des nouveaux enjeux liés aux services d’eau : augmentation de la part de l’assainissement, besoin de renouvellement, nouveaux enjeux liés à la qualité de l’eau.

Enfin, la question des personnes non raccordées au réseau – SDF, gens du voyage – reste souvent posée. Dans ce contexte, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Jean Glavany et des membres de différents groupes vise à mettre en œuvre concrètement le droit à l’eau. Il s’agit d’une initiative louable qui mérite d’être saluée, d’autant qu’elle est porteuse de mesures pertinentes.

La première partie de cette proposition de loi concerne l’inscription dans notre droit national du droit à l’eau et à l’assainissement et l’obligation pour les communes d’installer et d’entretenir, selon leur taille, des points d’eau potable, des toilettes publiques et des douches publiques pour les personnes vulnérables non raccordées au réseau. La question du droit à l’eau pour les personnes non raccordées est primordiale et nous nous devons d’y trouver une solution rapide.

Sur la partie abordant la tarification, la proposition de loi mentionne que « le montant de la facture d’eau est calculé en fonction de tranches de consommation, […] avec la possibilité d’une première tranche de consommation gratuite ou à prix réduit » et qu’« au-delà de cette première tranche, l’eau potable est facturée de manière progressive ».

Dans ce domaine, il convient de rester circonspect, et cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, modifier le système tarifaire du service de l’eau pour favoriser l’accès à l’eau pour tous entraîne nécessairement un changement dans la structure des ressources et donc une transformation de l’équilibre économique du service. Il existe plusieurs risques concernant la pérennité du système et il importe de bien prendre en compte l’équilibre économique du service, qui doit également faire face à des enjeux environnementaux – enjeux liés à la qualité de l’eau – et économiques – renouvellement des réseaux.

Par ailleurs, les expériences déjà menées nous montrent que la tarification progressive, qui a pour premier objectif, d’ordre environnemental, la réduction des consommations, doit être maniée avec prudence. Elle peut avoir des effets contre-productifs sur le plan social, pour les familles nombreuses ou équipées d’un électroménager ancien, et des effets économiques négatifs, avec un risque pour l’équilibre économique du service en cas de déconnexion des gros consommateurs.

La loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, dite « loi Brottes », permet aux collectivités qui le souhaitent d’expérimenter une tarification sociale fondée, non pas sur la consommation, mais sur les revenus et la composition des ménages. Elle donne un cadre juridique à la tarification sociale et doit permettre au Comité national de l’eau de tirer des conclusions et de faire des propositions concrètes d’ici à 2018. Laissons le temps à l’expérimentation plutôt que de légiférer sur un domaine encore complexe et pour lequel nous disposons de trop peu de retours d’expérience à ce jour, sans remettre en cause la liberté d’organisation des autorités locales dans ce domaine.

Rappelons également qu’il existe de nombreux dispositifs hors tarification, qui, bien que perfectibles, se sont révélés de bons outils dans le domaine de l’accès à l’eau pour tous. Je pense notamment au Fonds de solidarité pour le logement, qu’il nous faut promouvoir et étendre aux départements qui ne disposent pas encore de volet « eau ».

L’accès à l’eau doit être garanti à chaque individu. L’eau, comme l’air, est un bien essentiel, indispensable à la vie humaine. Si l’eau est bien dans la sphère marchande, économique, car il faut la traiter et l’acheminer, en revanche, elle ne doit pas faire l’objet de spéculations.

La gestion publique de l’eau est logique. La France doit viser l’exemplarité dans l’accès à l’eau comme dans la gestion de cette ressource, dont l’abondance, très inégalement répartie sur la planète, impose donc une grande éthique à tous les acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédé ont évoqué un certain nombre de points sur lesquels je ne reviendrai pas. Pour ma part, je fonderai mon intervention sur mon expérience de dispositifs existants : je ne ferai qu’évoquer pour mémoire le tribunal des eaux de Valence, qui, depuis le XVe siècle, siège sur les marches de la cathédrale et règle oralement tous les conflits d’eau (Sourires.) et je prendrai essentiellement l’exemple du syndicat des eaux de la Barousse, du Comminges et de la Save, que je connais bien et qui concerne les départements des Hautes-Pyrénées, de la Haute-Garonne et du Gers.

La notion majeure qui est au cœur du fonctionnement de ce syndicat est celle de partage de l’eau ; elle relève plus d’une mentalité que d’un traitement législatif.

Ce partage des eaux s’est réalisé dans les Hautes-Pyrénées et dans le Gers. Or, j’en suis persuadé, il ne serait plus possible de le mettre en œuvre aujourd’hui. Ainsi, la création du canal de la Neste, qui prend son eau dans la haute vallée d’Aure, permet d’alimenter les rivières qui descendent du plateau de Lannemezan, faute de quoi ces rivières seraient à sec à certaines périodes, en été aussi bien qu’en hiver. On fait passer par ce canal 13 mètres cubes d’eau alors qu’il n’en passe plus que 3 mètres cubes dans la Basse-Neste, sans pour autant que ce soit une catastrophe écologique. Je le disais à l’intention de nos amis écologistes, mais je constate qu’il n’y en a plus dans l’hémicycle.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est dommage !

M. Henri de Raincourt. Nous leur rapporterons vos propos ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Je leur en ferai moi-même part afin de savoir s’ils approuveraient une telle réalisation !

J’ajoute que, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on a obligé EDF à livrer gratuitement – je dis bien : gratuitement – 50 millions de mètres cubes d’eau pour alimenter ce canal.

Voilà ce qu’est un véritable partage de l’eau !

Permettez-moi maintenant de faire quelques préconisations.

Chaque fois qu’on le peut, il faut prévoir un système gravitaire. Pourquoi ? La durée de vie d’une canalisation est d’environ cinquante ans. Pendant vingt-cinq ans, du fait des investissements qu’il suppose, un système gravitaire coûte beaucoup plus cher que les pompages, mais, ensuite, ses coûts de fonctionnement sont quasiment inexistants. Malheureusement, la plupart du temps, ce n’est pas le système pour lequel on opte, car il est beaucoup plus facile de creuser un puits de quelques mètres.

Autre avantage très important du système gravitaire : il permet d’obtenir une eau de grande qualité, car c’est l’eau des sources qui est captée.

Par ailleurs, je pense que les collectivités locales doivent, quand elles le peuvent, se dégager des sociétés fermières.

Pour autant, il ne faut pas laisser croire que cela permettra de faire baisser le prix de l’eau de manière significative. Ce serait pure démagogie, car, que l’on ait affaire à une société fermière, à une régie ou à une société publique locale, il est évident qu’on doit faire des provisions pour réparer les réseaux lorsque c’est nécessaire.

M. François Fortassin. Je sais de quoi je parle car le syndicat dont je viens de parler et dont je suis membre gère un réseau de 8 000 kilomètres.

Si l’eau est plus chère dans les zones rurales que dans les zones urbaines, ce n’est pas en raison d’une mauvaise gestion, comme certains ont tendance à le dire. L’explication est toute simple : en zone rurale, il y a un abonné à peu près tous les cent mètres, voire beaucoup plus, alors qu’en zone urbaine, ce sera un abonné tous les vingt mètres, voire beaucoup moins. Il est bien évident que, dans ces conditions, le prix des canalisations rapporté au nombre d’habitants est beaucoup plus élevé en zone rurale qu’en ville.

Quant aux économies d’eau, bien sûr, il faut en faire, mais ce n’est pas parce qu’on économisera l’eau dans les vallées pyrénéennes qu’on réglera le problème de l’eau au Sahara ! (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. Très juste !

Mme Nathalie Goulet. Ça, c’est pertinent ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Je vois que vous souriez, mais je ne crois pas inutile de rappeler ce fait.

Autre évidence : si l’on ne fait pas payer l’usager, c’est le contribuable qui devra être sollicité. Malheureusement, cette évidence ne transparaît guère dans les textes de loi, et c’est encore, incontestablement, une manifestation de démagogie. Je ne suis pas opposé au fait que l’usager paye beaucoup moins, mais l’honnêteté oblige à dire que des ressources devront alors être trouvées ailleurs. Une société, qu’elle soit privée ou publique, doit faire des provisions et, à partir de là, il faut faire payer ce qu’on pourrait appeler le « juste prix ».

Enfin, j’insisterai sur la nécessité de faire des réserves, et pas seulement pour l’agriculture.

Néanmoins, s’agissant de l’agriculture, je rappelle qu’un grain de blé nécessite autant d’eau qu’un grain de maïs, à ceci près que l’un et l’autre n’ont pas besoin d’eau à la même période.

M. François Fortassin. Le blé captera l’eau en hiver, le maïs, au cœur de l’été !

La réalisation de réserves est une attitude relevant de la plus élémentaire prudence. On reconstitue les réserves lorsque l’eau est en excédent – actuellement, un certain nombre de régions en ont même franchement trop ! –, puis on restitue cette eau au moment où l’on en a besoin.

Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire. J’ai le sentiment d’avoir émis des idées qui sont plus de bon sens que strictement législatives, mais, comme ceux qui m’ont précédé à la tribune se sont chargés de traiter les aspects législatifs et l’ont fait de façon très pertinente, j’ai souhaité faire entendre une musique un peu différente. Je ne sais si j’y suis parvenu…

Mme Nathalie Goulet. Mais oui ! Le Sahara est rassuré ! (Sourires.)

M. François Fortassin. En tout cas, je vous remercie de m’avoir écouté ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.

Mme Hélène Masson-Maret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le droit à l’eau est un sujet d’autant plus vaste qu’il a changé de dimension, la question du droit fondamental de tout individu à une eau potable mettant désormais en jeu la problématique de la préservation de cette ressource vitale et celle, encore plus large, de la prise en compte du développement durable.

J’ai choisi d’aborder ici la question de la mise en œuvre de ce droit à l’eau par les collectivités territoriales, car elle est des plus actuelles.

Je voudrais tout d’abord insister sur le droit de chaque être humain à disposer de suffisamment d’eau pour satisfaire ses besoins fondamentaux. Car le problème se pose encore en France, qui est pourtant un pays développé, notamment pour les personnes défavorisées.

Je souhaite également souligner le lien indissociable entre le droit à l’eau et le droit à l’assainissement, c’est-à-dire la possibilité de jouir d’équipements d’assainissement garantissant à chaque individu l’hygiène, la santé et la salubrité.

Quelle est la situation actuelle ?

On peut considérer qu’aujourd’hui, en France comme dans l’ensemble des sociétés développées, l’accès à une eau de qualité et le fait de disposer d’un système d’évacuation des eaux usées sont deux composantes normales de la vie quotidienne.

Accéder à l’eau est donc une question non plus d’infrastructures, comme cela a pu l’être dans le passé, mais de moyens financiers, particulièrement pour les populations les plus démunies.

Face aux difficultés rencontrées par ces personnes qui sont dans l’impossibilité de régler leurs factures, les collectivités – car l’accès à l’eau est en grande partie leur problème – ont mis en place des solutions pour leur venir en aide.

Notre collègue Christian Cambon a évoqué la loi relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement, issue d’une proposition de loi dont il était l’auteur. Ce texte a permis de renforcer la solidarité des communes à l’égard des personnes en situation de précarité.

Je le rappelle très brièvement, la loi permet aux services publics d’eau et d’assainissement d’attribuer une subvention au fonds de solidarité pour le logement pour financer des aides relatives au paiement des fournitures d’eau.

Néanmoins, tout n’est pas résolu. C’est pourquoi des dispositifs novateurs doivent également voir le jour. C’est le cas de la tarification « éco-solidaire », qui permet de mettre à la disposition des consommateurs des mètres cubes à bas prix pour leurs besoins vitaux, puis d’augmenter progressivement ce tarif.

À ce titre, la ville de Dunkerque, déjà évoquée par Ronan Dantec, est assez exemplaire, avec un prix de l’eau qui n’est pas le même selon l’usage. Cette tarification éco-solidaire s’accompagne d’une « allocation eau » pour les ménages à faibles revenus.

Cette démarche de tarification éco-solidaire présente en outre l’intérêt de favoriser un comportement économe.

Il faut le savoir, les usages et niveaux de consommation varient de façon très importante, y compris dans les pays développés, alors qu’on pourrait supposer que les consommateurs ont les mêmes besoins en eau et en font des usages similaires. Or un Américain utilise 400 litres d’eau en moyenne par jour, contre 150 à 300 litres pour un Français. Il est donc tout à fait possible de proposer une taxation par paliers pour encourager les comportements économes.

Par ailleurs, madame la ministre, peut-on parler du droit à l’eau sans prendre en compte l’augmentation sans cesse croissante des sans-abri ?

Le problème des personnes n’ayant pas accès à un point d’eau et non abonnées au service de distribution est un thème peu traité par le législateur. Je vous pose donc la question : n’est-il pas nécessaire d’envisager que les collectivités mettent en place, pour les milliers de personnes sans-abri, pour les populations vivant dans des logements non alimentés en eau, des structures leur assurant l’accès à l’eau et à des sanitaires publics décents ?

Il convient de souligner que ce type de démarche est d’ailleurs préconisé par la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau, qui s’est prononcée sur ce sujet en 2013.

Un dernier point mérite d’être soulevé. Dans une étude publiée en 2013, la Confédération générale du logement dénonce la « jungle » des prix de l’eau en France : « La disparité et le niveau élevé d’un grand nombre de prix sont devenus la règle, ils entraînent de grandes injustices entre les consommateurs. »

C’est pourquoi il me semble nécessaire de demander au Gouvernement comment il compte lutter contre cette inégalité des territoires en matière de prix de l’eau, qui induit une inégalité entre les citoyens.

Avant de conclure, je voudrais revenir sur le rapport du Conseil d’État de 2010 consacré à l’eau et à son droit, qui date certes d’il y a trois ans, mais qui est toujours d’actualité. En effet, ce rapport soulève certains « vrais problèmes », dont le législateur devrait rapidement s’emparer.

Tout d’abord, il constate que les collectivités territoriales n’investissent pas suffisamment pour le renouvellement de leurs réseaux d’assainissement.

Il met ensuite l’accent sur le fait que ce sous-investissement est à l’origine d’un taux de perte excessif en eau potable par les réseaux publics, estimé à 20 %.

Il dénonce enfin le manque de prise en compte de la problématique du réchauffement climatique, qui nécessiterait la modification de certaines normes techniques concernant les réseaux de collecte des eaux pluviales ou d’assainissement.

Je tiens à conclure mon intervention en soulignant à quel point le sujet du droit à l’eau est au cœur de l’actualité.

En effet, quatre ans après la déclaration des Nations unies, le Parlement européen s’engage lui aussi pour le droit à l’eau. Il va tenir le 17 février prochain, c'est-à-dire dans quelques jours, sa première audition officielle portant sur l’initiative citoyenne relative à « l’eau, un droit humain ».

Madame la ministre, nous constatons que le droit à l’eau est une préoccupation de plus en plus présente parmi toutes celles qui ont trait au respect des droits de l’homme. Il est essentiel de savoir comment le Gouvernement entend s’y prendre afin de défendre le droit à l’eau pour tous nos concitoyens et, surtout, pour aider les collectivités territoriales à mettre en place des mesures permettant de faire respecter ce droit. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Henri Tandonnet, François Fortassin et Ronan Dantec applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, consacré dans le cadre d’une résolution des Nations unies du 28 juillet 2010, l’accès à une eau de qualité est désormais considéré par la communauté internationale comme un droit humain.

En France, ce droit est également consacré et plusieurs initiatives gouvernementales ont déjà été prises qui tendent à le garantir.

La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, de décembre 2000 a reconnu comme un droit social essentiel celui à un logement décent, lequel comprend le droit à l’évacuation des eaux usées.

La loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques dispose que « toute personne physique a droit, pour son alimentation et son hygiène, à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables pour tous ».

En dépit de la consécration de ces droits, qualifiés de fondamentaux, force est de constater que leur concrétisation n’est aujourd’hui que partielle. Il est pourtant essentiel que ces droits ne demeurent pas incantatoires et qu’ils prennent consistance pour chaque usager.

La représentation nationale doit donc œuvrer à leur effectivité. Au demeurant, de nombreux mécanismes qui permettent de la garantir ont d’ores et déjà été institués ou sont en voie de l’être.

Grâce à la loi relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement, adoptée en 2011, le gestionnaire du service peut désormais opérer un prélèvement sur les recettes afin de l’attribuer à un fonds départemental de solidarité pour le logement, qui gère les aides aux familles en difficulté, notamment en cas d’impayés d’eau.

Plus récemment, en septembre dernier, le bureau de l’Assemblée nationale a enregistré le dépôt d’une proposition de loi dont notre collègue député Jean Glavany est le premier signataire. Celle-ci, ambitieuse, tend à « la mise en œuvre effective du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement ».

Moi-même, dans le cadre des débats entourant la l’examen de la proposition de loi de François Brottes, portant notamment sur la tarification de l’eau, j’ai déposé en 2013 une proposition de loi visant à assurer l’effectivité du droit à l’eau.

Afin d’atteindre cet objectif, j’ai proposé une méthode pragmatique créant un système de tarification sociale. Eu égard à la structure des tarifs de l’eau et de l’assainissement, j’ai privilégié la méthode consistant à instituer une tarification progressive du service par tranches ainsi qu’un dispositif de proportionnalité des tarifs applicables à un foyer bénéficiaire de l’aide sociale. Cette méthode permet de coupler tarification sociale et tarification progressive de l’eau, à l’image de celle qu’a mise en place le syndicat mixte pour l’alimentation en eau de la région de Dunkerque le 1er octobre 2012.

Cette tarification permet de réduire les tarifs des premiers mètres cube d’eau consommés au sein d’une première tranche de consommation de base et à augmenter les prix des volumes des tranches de consommation élevées.

Au sein des premières tranches de volume d’eau consommée, est en outre appliquée, jusqu’à un certain plafond, une proportionnalité du tarif pratiqué pour les bénéficiaires de la CMU.

Il faut cependant être conscient des limites de ces mécanismes, et c'est sur ce point que je souhaite maintenant insister.

La véritable problématique de l’accès à l’eau en France porte sur les tarifs et leur inégalité sur le territoire, en fonction des lieux, des modes de gestion et des contrats conclus entre les gestionnaires.

C’est pourquoi, au-delà de la progressivité du prix et des autres systèmes d’aide apportés aux personnes les plus fragilisées, vers lesquels nous devons aller – et nous le faisons –, la question du niveau de la tarification aux usagers de l’eau en France doit aussi être posée. En effet, on constate que, d’une région à l’autre, les disparités, plus ou moins justifiées, sont très importantes. En novembre dernier, le magazine Que choisir ? a d’ailleurs publié des tableaux comparatifs éloquents.

Maire d’une commune des Hauts-de-Seine, je me suis impliqué au sein du syndicat des eaux d’Île-de-France, le SEDIF, pour dénoncer le caractère exorbitant des tarifs facturés aux usagers.

Le SEDIF délègue depuis 1923 la gestion du service à un même prestataire privé – j’en tairai le nom, mais tout le monde l’aura reconnu ! – dans le cadre d’un contrat représentant un chiffre d’affaires annuel de 350 millions d’euros, soit le plus important d’Europe, contrat sur lequel ce prestataire a longtemps pratiqué d’importantes surfacturations. Avant la renégociation du contrat, en 2010, l’association UFC-Que Choisir avait évalué ces surfacturations à 80 millions d’euros par an. Selon les études réalisées par le SEDIF lui-même, elles s’élèveraient à environ 40 millions d’euros.

En dépit d’une importante mobilisation citoyenne en faveur d’un retour à une régie publique, le choix du recours à un délégataire privé a été reconduit en 2008, par la volonté de la majorité des membres du SEDIF, certes, mais à l’issue d’un vote qui s’est déroulé à bulletin secret. On voit par là que les élus manquent parfois un peu de courage ! (Murmures sur les travées de l'UMP.) À la clé, il y avait un appel d’offres : il a été remporté par l’entreprise déjà délégataire du marché depuis près d’un siècle… Celle-ci a d’ailleurs fait un véritable aveu, car, dans le cadre du nouveau contrat négocié avec le SEDIF, elle a consenti à offrir des prestations de services similaires tout en diminuant les tarifs de la part « eau potable » de plus de 10 % !

Un peu partout en France, le mouvement de remunicipalisation des services de l’eau s’amplifie. Il constitue, à mes yeux, la seule garantie d’une véritable maîtrise des coûts et du meilleur tarif pour les usagers.

Conscientes de cette nouvelle dynamique, les multinationales de l’eau revoient largement, dans une majorité de cas, leurs prix à la baisse, dévoilant ainsi, en creux, l’ampleur des marges réalisées pendant de très nombreuses années.

L’exemple le plus éloquent nous vient des Alpes-Maritimes. En 2012, la renégociation du contrat de délégation d’Antibes Juan-les-Pins, qui n’a été obtenue qu’à l’issue d’âpres discussions, a fait passer le prix du mètre cube d’eau de 3,47 euros à 1,50 euro pour les cent premiers mètre cube. Cela donne une idée de la surfacturation qui existait auparavant !

Aujourd'hui, les élus tendent à privilégier le retour en gestion publique. Sinon, ils font habilement jouer la concurrence ou la menace d’un retour en régie pour obtenir une meilleure tarification. Les exemples montrent, en effet, combien l’effectivité du droit à l’accès à l’eau ne peut être garantie que par la puissance publique, la gestion privée obéissant à d’autres objectifs : ceux de la rentabilité.

Le groupe socialiste est favorable au retour en régie publique ainsi qu’à une meilleure transparence de la tarification et des prestations des délégataires privés. Il soutient les initiatives parlementaires visant à mettre en place des systèmes garantissant l’effectivité du droit à l’eau. En effet, nous voulons une plus grande justice sociale et une meilleure garantie du droit fondamental que constitue l’accès pour tous au service public de l’eau.

Sur ces objectifs, nous sommes en parfait accord avec le Gouvernement et je suis impatient d’entendre quelles initiatives celui-ci envisage de prendre pour en assurer l’effectivité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)