M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de vous présenter tous mes vœux de bonne année 2014 pour vous-mêmes et tous ceux que vous aimez. Je présente également mes vœux à l’institution sénatoriale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. C’est toujours avec un grand plaisir que je me retrouve devant vous. Pour répondre au souhait du président Carrère, je viendrai au Sénat chaque fois que vous le souhaiterez, soit en commission, soit dans l’hémicycle. Je prendrai toutefois le soin de ne pas vous mobiliser chaque semaine au point d’empêcher du même coup mes autres collègues d’avoir le plaisir de discuter avec vous. (Sourires.) Je suis d’autant plus à votre disposition que j’apprécie l’atmosphère qui règne à la Haute Assemblée. Elle permet de se dire des choses sans nécessairement s’apostropher comme les héros d’Homère, dont on sait, d’ailleurs, que, avant le combat, ils se défiaient avec des termes très durs mais qu’ils ne se combattaient jamais ! (Nouveaux sourires.)

Je vais passer en revue les principaux thèmes que vous avez abordés et qui se recoupent – c’est très compréhensible. J’espère que l’on m’excusera si mes réponses ne comportent pas toutes les précisions que vous m’avez demandées mais nous aurons l’occasion, j’en suis certain, de satisfaire votre curiosité légitime lors d’autres débats, en séance publique ou en commission.

Je commencerai par faire écho aux propos tenus notamment par le président Carrère et Jean-Pierre Chevènement pour situer la perspective. J’ai eu l’occasion – et je vois avec plaisir que cette analyse chemine dans les esprits des uns et des autres – de définir à plusieurs reprises ce que je pensais être la conjoncture internationale particulière dans laquelle nous nous trouvons.

De très grands mouvements se font à travers la planète. M. Besson vient de nous parler de la Chine. D’autres ont abordé, avec raison, la question générale des pays émergents. Il y a la position tout à fait nouvelle prise par les États-Unis d’Amérique, qui hésitent entre présence et retrait. Il y a l’attitude de la Russie. Et, au-delà de ces positions diverses et toujours très importantes, il y a toute une série de mutations technologiques et le renversement d’un certain nombre de termes de l’échange entre le Nord et le Sud.

Pour résumer les choses, M. Jean-Pierre Chevènement a repris une expression que j’avais utilisée, je préfère qu’il me cite plutôt que je me cite moi-même car lorsque l’on se cite soi-même, il faut se méfier, c’est l’âge qui vient ! (Sourires.) Le monde vit un grand chambardement.

Ce chambardement, comment se traduit-il ? J’ai dit à plusieurs reprises – tiens, je me contredis moi-même ! – que pendant très longtemps le monde a été dans une situation bipolaire. Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, c’étaient l’URSS et les États-Unis qui, par leur opposition ou leur complicité, subjective ou objective, dictaient, finalement, le cheminement du monde. La France avait – cela variait selon les époques – une position forte, indépendante, et elle avait bien raison de l’avoir. Il n’en demeurait pas moins que les deux régimes en question donnaient le la.

Ensuite, avec la chute du mur de Berlin et avec l’effondrement de l’Union soviétique, s’est ouverte une période où le monde était plutôt unipolaire. Les États-Unis possédaient, en effet, les éléments de la puissance, qu’elle soit économique, technologique, militaire ou puissance culturelle ; cette dernière n’est, d'ailleurs, pas la moins importante.

On dit parfois, c’est une facilité de langage, que nous sommes nombreux à utiliser, à mon sens à tort, que nous sommes entrés dans un monde multipolaire. Je pense que ce n’est pas tout à fait exact. Je considère que nous devons aller vers un monde multipolaire, organisé.

Et nous voyons bien quelle organisation pourrait porter cette nouvelle vision du monde, l’Organisation des Nations unies, avec un Conseil de sécurité qui fonctionnerait davantage, qui serait plus représentatif, avec des organisations régionales, l’Europe, l’Afrique, l’Asie ou les Asies… Et nous souhaitons travailler, c’est, en tout cas, la position constante de la France, qui ne me paraît pas contestée ici, pour ce monde multipolaire organisé.

Pour le moment, nous sommes dans un monde que je qualifierai plutôt de « zéro polaire », non pas qu’il n’y ait pas des puissances qui l’emportent sur d’autres par leur rayonnement, mais il n’y a pas une seule puissance ou un groupe de puissances qui puisse trancher en dernière instance.

Et c’est ce qui explique deux phénomènes. D’une part l’absence regrettable de solution à beaucoup de crises, la paralysie du Conseil de sécurité ; il l’est avec l’affaire dramatique de la Syrie, et il l’a été dans d’autres circonstances. Donc, il n’y a pas des solutions faciles aux crises par le jeu des puissances ou de leurs alliances. D’autre part, en même temps, cela donne à la France, puissance globale, qui a toute la palette des instruments, même si elle ne compte que 65 millions d’habitants, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies – merci au général de Gaulle ! –, une force nucléaire et des capacités de projection, une langue, un rayonnement économique, un appareil diplomatique qui reste, par son extension, le troisième du monde, alors que l’appareil culturel, lui, est le premier, des principes, une voix. Dès lors, dans le tableau des puissances globales – et là, je passe de l’abstrait au concret –, quand je représente la France dans une réunion internationale, qui peut parler, engager son pays, prendre des décisions concrètes et, le cas échéant, risquer des hommes ?

Les États-Unis d’Amérique peuvent le faire mais ils ne veulent plus engager leurs troupes au sol. Ils sont intéressés par l’Asie, par le problème israélo-palestinien, mais il leur est difficile d’aller au-delà. Ils ont subi, c’est vrai, des revers terribles en Irak, des pertes considérables en Afghanistan.

La Grande-Bretagne, qui est un grand pays. Mais lorsque son gouvernement a soumis sa position vis-à-vis de la Syrie à la Chambre des Communes, celle-ci lui a demandé de reprendre sa copie.

Et il y a la France, puissance globale. Quand le Président de la République engage le pays en matière internationale, en matière de défense, eh bien, il engage vraiment le pays, quelles que soient nos contraintes et insuffisances. Vous avez mené sur le budget de la défense un combat très important et positif.

Monsieur Cambon, cher ami, je vous ai connu sous un meilleur jour. Vous avez, certes, rendu hommage à nos soldats et vous avez tout à fait raison. Toutefois, vous avez employé, à propos de nos armées et du budget, un terme tellement excessif que je me suis demandé dans quel état pourraient être les autres armées en Europe si vous aviez raison sur la nôtre, qui est la première ! Oui, bien sûr, vous connaissez la formule : quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console…

En tout cas, avec toutes les imperfections qui sont les nôtres, nous sommes capables de faire ce que les autres ne peuvent pas faire !

Dans la description de la situation actuelle que j’ai entendue, une chose est revenue d’une façon parfois critique. Sans l’avoir prise pour moi, je la trouve assez injuste. Plusieurs d’entre vous ont souhaité connaître nos orientations générales. Je vais vous répondre pour que vous gardiez très précisément cela en tête.

Le Président de la République, qui définit les grands termes de notre diplomatie, et moi, qui dirige le Quai d’Orsay, nous voulons faire quatre choses, quatre pas huit !

Premièrement, la paix et la sécurité. Voilà l’objectif que nous poursuivons, y compris – cela ne peut paraître paradoxal qu’à des esprits superficiels –, en intervenant.

Deuxièmement, la planète. Cela veut dire au moins deux séries de choses : d’une part, l’organisation générale de la planète ; d’autre part, – j’ai d’ailleurs été étonné qu’on n’en parle pas – les enjeux écologiques et environnementaux.

Au cours des deux années à venir, d’ici à décembre 2015, nous allons non seulement parler mais agir très concrètement, nous, la France, en particulier. En effet, la question du dérèglement climatique est absolument fondamentale, existentielle – au sens étymologique de ce terme. Nous avons l’honneur de présider la conférence de Paris « Climat 2015 », qui va décider, je l’espère, des mesures à prendre pour, sans exagérer, sauver la planète.

Troisièmement, l’Europe. Je vais en parler.

Quatrièmement, ce que j’appellerai d’un mot plus général, le redressement, le rayonnement. Vous avez, les uns et les autres, – et je vous en remercie – souligné cette évidence qu’est la diplomatie économique. Évidemment, elle est liée à la politique générale.

Tels sont les quatre objectifs.

Toute notre action doit être rapportée à ces quatre objectifs, l’organisation et l’administration du ministère étant elles-mêmes subordonnées à ces objectifs.

Si notre débat permet en particulier d’éclairer sur ces objectifs, tant mieux, car ils constituent le but que nous essayons d’atteindre, souvent avec succès, mais parfois avec des difficultés. En vous entendant les uns et les autres – c’est le jeu normal du débat parlementaire –, je me disais : quel dommage que la France ne soit pas le seul pays en Europe ! Mais nous sommes 28 États membres, que nous devons tout de même convaincre. Je pense en particulier à la défense européenne.

Ou bien on est contre une défense européenne, et les choses sont simples. Mme Demessine, qui a malheureusement dû partir avant la fin de notre débat, appartient à un parti dont il ne me semble pas qu’il soit un immense défenseur de la défense européenne. Sa position est cohérente. Mais il ne faut alors pas regretter que les Européens ne nous accompagnent pas !

Ou bien on est pour la défense européenne. J’ai entendu M. Cambon – je ne vais pas m’en prendre à lui, d’autant que je l’estime beaucoup ! – regretter, comme moi, que nos partenaires ne nous aident pas davantage. Mon cher ami, je vous ferai remarquer que votre parti appartient au PPE. Quand j’essaie de convaincre mes amis et collègues ministres des affaires étrangères de l’ensemble des pays européens, je me retrouve confronté à une immense majorité qui appartient à cette très estimable formation. Je vous demande d’utiliser votre talent – il est grand !– et votre énergie – elle est puissante ! – pour les convaincre de venir aider nos soldats.

M. Christian Cambon. Vous avez raison !

M. Laurent Fabius, ministre. Si nous nous y mettons tous les deux, nous y arriverons peut-être. (M. Jean Besson applaudit.) Il ne faut pas qu’il y ait de confusion entre nous.

Après avoir mentionné les quatre objectifs que nous visons, j’aborderai une série de sujets que vous avez, les uns et les autres, évoqués.

S’agissant de l’Afrique, vous avez essentiellement évoqué deux pays : la République centrafricaine et, de façon quelque peu rétrospective, le Mali.

Concernant le Mali, soyons clairs et carrés ! Il y a suffisamment de sujets sur lesquels nous pouvons avoir des divergences pour ne pas en créer d’artificiels. Vous avez soutenu l’intervention au Mali, et vous avez eu raison. L’intervention a été exceptionnelle sur tous les plans, notamment militaire – nos militaires ont été remarquables. Je reviendrai sur ce point dans ma conclusion, mais je ne voudrais pas que l’on se retrouve face à une situation paradoxale, avec, d’un côté, le monde entier qui félicite la France et, de l’autre, des voix qui s’élèvent dans les assemblées de la République française pour faire remarquer que tel ou tel point n’est pas tout à fait satisfaisant.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cela relève de la psychanalyse !

M. Laurent Fabius, ministre. Le 11 janvier 2013, j’étais avec le Président de la République lorsqu’il a été appelé par M. Traoré, alors président de transition du Mali. La conversation a été simple et sans fioritures : « Monsieur le président de la République française, je vous demande d’intervenir car vous êtes les seuls à pouvoir le faire, sinon demain je serai probablement mort ». Une telle demande était formulée non pas pour M. Traoré lui-même, qui est un homme remarquable, mais parce que les terroristes étaient – vous vous en souvenez certainement – à 200 kilomètres de Bamako et que les jeeps étaient en marche. Seule la France pouvait intervenir. Le Président de la République a pris la bonne décision, et vous l’avez applaudi, tout comme moi. Aujourd’hui, une année plus tard, non seulement le terrorisme a été très largement éradiqué au Mali, mais une élection présidentielle a eu lieu, beaucoup plus régulière que toutes les élections qui avaient été précédemment organisées dans ce beau pays. (M. Jeanny Lorgeoux opine.)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Avec une formidable participation !

M. Laurent Fabius, ministre. Effectivement ! Il en a été de même de la participation aux élections législatives. Les choses sont en marche.

Je rappelle que 3,5 milliards d’euros ont été promis pour le développement, dont 800 millions ont déjà été engagés. Cher ami Peyronnet, la différence est que, aujourd'hui, l’utilisation de ces sommes est transparente. (M. Jean-Claude Peyronnet opine.) Ce n’est pas une mince différence, surtout si l’on songe à la Françafrique, évoquée par l’un des orateurs. Il ne faut pas faire de confusion : le partenariat avec l’Afrique ne signifie pas la reconduction de la Françafrique.

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Ce sont des choses tout à fait différentes ! Nous sommes et nous voulons être les partenaires des Africains. Un intervenant s’interrogeait sur la différence avec nos prédécesseurs. Certes, il ne faut pas chercher à se distinguer de ses prédécesseurs par principe ? Cependant, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à comparer les deux discours de Dakar. Si on les propose un jour comme sujet au baccalauréat ou à l’agrégation d’histoire, je suis sûr que l’on aura des copies intéressantes… (M. Jean Besson sourit.)

Voilà où nous en sommes. Il reste bien sûr toute une série de choses à faire, notamment à développer le dialogue avec le Nord. Mais le Mali a dorénavant des autorités élues.

S’agissant de nos troupes, je vous confirme ce qu’a dit cet après-midi le Président de la République : le nombre de nos soldats sera de 1 600 au mois de février, pour revenir ensuite à un millier. Les engagements sont donc tenus. Il n’y a pas d’engrenage au Mali, pas plus qu’il n’y en aura en RCA.

Il arrive qu’il y ait des situations d’échec. Mais lorsque le résultat est positif, au-delà même de ce que nous pouvions espérer compte tenu de la difficulté de la tâche, il ne faut pas bouder ce résultat ! Certes, tout n’est pas terminé. C’est maintenant aux Maliens de prendre leurs affaires en main, avec notre soutien, mais le résultat est tout de même exceptionnel.

En Centrafrique, c’est une autre affaire. Il ne s’agit pas de lutter contre le terrorisme. Là aussi, le problème est simple. Je comprends les exigences du débat parlementaire, mais il faut se mettre à la place de ceux qui gouvernent. Si un jour, par extraordinaire, je reviens dans l’opposition, comme je l’ai souvent, ou plutôt longtemps, été, je garderai cette idée en tête. Bien sûr, il y a les exigences de la contestation, mais vous imaginez bien que le Président de la République n’arrive pas le matin à son bureau en se demandant ce qu’il va bien pouvoir inventer en RCA pour engager à tort les troupes françaises, faire échouer la transition démocratique et s’exposer aux critiques des sénateurs ! Les choses ne se passent pas ainsi. Nous sommes des gens de bonne volonté, comme chacune et chacun d’entre vous.

En RCA, quel était le problème ? Nous étions face à un pays qui se noie, qui disparaît, qui implose. Quand on nous dit que nous ne sommes pas intervenus assez vite, il faut choisir ses arguments ! Si nous avions agi plus rapidement, cela aurait été fait sans le mandat de l’ONU, et nous aurions été alors critiqués !

C’est le Président de la République française qui, en septembre dernier, dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies a, le premier à ce niveau, sonné l’alarme. Il a alors déclaré : Attention, je vous avais mis en garde l’année dernière au sujet du Mali et, au mois de janvier, ça s’est réalisé. Eh bien, je vous dis cette année, en septembre, attention, la République Centrafricaine. Nous avons commencé d’être écoutés, au point que nous avons pu obtenir – cela n’était pas du tout acquis au départ – le vote à l’unanimité, y compris par les Africains, d’une résolution le 5 décembre dernier, résolution qui permet à la fois aux Africains et à la France d’intervenir.

Et nous sommes intervenus dans les vingt-quatre heures ! Si nous ne l’avions pas fait, alors qu’il y avait eu presque un millier de morts la veille, je puis vous assurer qu’il y aurait eu – il suffit de se remémorer certaines situations similaires – 50 000 ou 100 000 morts.

Bien sûr, il est légitime de contester ; c’est le propre d’une démocratie : toutes les opinions doivent être confrontées. Mais la question n’était pas théorique. Lorsqu’on est sollicité par les Nations unies, notamment par les Africains, lorsqu’on est ami d’un pays africain, que l’on connaît sa situation et qu’il vous demande d’intervenir, passez-vous votre chemin en sifflotant ? Eh bien, non lorsqu’on s’appelle la France !

Voilà la décision que nous avons prise. Cette décision est difficile parce qu’il s’agit d’envoyer des jeunes gens avec les risques que comporte une telle opération – deux d’entre eux, comme vous le savez, y ont perdu la vie. Encore faut-il que cette décision intervienne dans les meilleures conditions, sans se substituer aux Africains. Là est la délicatesse. Il est fini le temps où l’on décidait à Paris, dans un bureau, que ce serait M. X ou Mme Y.

Nous apportons notre soutien, dans plusieurs domaines.

D’abord, un soutien sécuritaire, car, sans sécurité, rien n’est possible. C’est très difficile parce qu’il s’agit de désarmer, et de le faire de manière impartiale. Alors que ce n’était pas le cas par le passé, le conflit est devenu confessionnel et la situation est donc très compliquée. Nous avons procédé à ce désarmement, avec des succès divers, et nous devons continuer à le faire. L’aspect sécuritaire est indispensable. Nous tenons l’aéroport, nous faisons ce qu’il faut pour désarmer et nous protégeons un certain nombre de nos compatriotes et d’autres. Nos hommes sont au nombre de 1 600 ; les Africains, quant à eux, sont aujourd’hui 4 400 et devraient bientôt être 6 000.

Ensuite, il y a l’aspect humanitaire. La situation humanitaire est épouvantable. Cette question relève de l’ONU, mais nous apportons notre aide.

Enfin, il y a la transition démocratique, en deux étapes. D’abord, il faut que, aujourd’hui, l’État recommence à fonctionner. Certes, ce n’est pas nous qui allons lever ou baisser le pouce. Mais, nous le savons, il y a des difficultés avec l’équipe actuelle. Demain, aura lieu à N’Djamena une réunion, qui sera suivie par d’autres. Encore une fois, ce n’est pas nous qui allons décider de ce qui doit être fait, mais nous comprenons bien qu’il y a une difficulté politique. Ceux qui sont en place ou qui seront en place doivent préparer une élection. Cette dernière ne suffira pas à régler les problèmes, mais, dans une démocratie, aucun problème ne peut être durablement réglé sans élection.

Certains d’entre vous se sont interrogés sur le lien entre notre intervention et l’action de l’ONU, sur le fait que nous souhaitions une intervention des Nations unies, alors que, dans le même temps, le Tchad s’y opposait. Je veux être clair : il n’y a absolument aucune contradiction entre la présence des forces africaines, la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, les forces françaises qui les appuient, et la perspective de ce qu’on appelle une opération de maintien de la paix.

Le calendrier n’est pas le même. Si l’on décide une opération de maintien de la paix, elle interviendra dans six mois, car cela prend du temps. Par ailleurs, l’ONU, donc une opération Casques bleus, qui comprendra essentiellement des forces africaines, par conséquent les forces de la MISCA – c’est non pas une contradiction, mais une complémentarité –, pourra faire des choses que ne peut pas faire la MISCA.

Qui va préparer les élections ? Ce n’est pas la MISCA. Qui va s’occuper de l’humanitaire ? Ce n’est pas davantage la MISCA. Je m’en suis expliqué avec le président du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et avec le président Déby. Nos amis africains – en tout cas, certains d’entre eux – se demandaient si cela n’apparaît comme un désaveu de la MISCA. Ce n’est pas du tout le cas ! La MISCA fait son travail. Certes, il faut encore qu’elle monte en régime, qu’elle s’aguerrisse, mais elle fait preuve d’un grand courage. Des améliorations doivent encore être apportées dans les relations avec les commandements des divers contingents. Mais nous tenons absolument à ce qu’elle joue son rôle et que, le moment venu, les Casques bleus, qui seront pour l’essentiel des Africains, prennent le relais.

Voilà où nous en sommes en Centrafrique. Nous ne pouvions pas ne pas intervenir. Je ne vais pas le cacher, nous devons être vigilants. Nous n’avons pas du tout l’intention de nous substituer aux Africains.

Nos actions au Mali puis en RCA ont soulevé beaucoup de problèmes, et notamment deux d’entre eux : quid de l’Europe ? Pourquoi est-ce nous qui sommes intervenus ?

Les crises existent et les pays africains, pour la plupart d’entre eux, n’ont pas les moyens militaires de les régler.

Pourquoi ? Nous en avons discuté lors du sommet de l’Élysée, qui était extrêmement intéressant ; c’était une discussion entre amis, dans une atmosphère vraiment très positive. Nos amis africains nous ont dit qu’il y avait deux grandes raisons, l’une plus facile à dire que l’autre.

La première est que cela coûte beaucoup d’argent et que nombre de ces pays n’ont pas les moyens matériels d’avoir une armée équipée. Ils peuvent avoir les forces, en théorie, mais il faut avoir des chaussures, des équipements, etc.

La seconde raison, qui a été moins citée mais qui peut nous venir à l’esprit, c’est qu’évidemment, qui dit armée dit état-major, qui dit état-major dit chef d’état-major… et dans ces pays où la démocratie n’est pas d’une stabilité absolue, cela pose problème. C’est une solution, mais en même temps un problème.

Si l’on veut éviter que, quand il y a une difficulté, on appelle la France parce que la France est efficace… et qu’on l’aime ! , il faut créer une force interafricaine pour répondre aux crises. C’est la proposition qui a été faite par l’Union africaine, proposition que nous soutenons, que nous aiderons, que les Européens aideront, et d’autres peut-être aussi : le Japon, les pays arabes, l’ONU. C’est cela qu’il faut faire. Ils nous ont parlé de 2015. Nous allons essayer de le faire, parce que c’est la seule manière de sortir de la contradiction. Mais aujourd’hui nous ne pouvions pas ne pas intervenir.

L’Europe ! On me dit que nous sommes seuls.

Je répondrai tout d’abord que nous avons abordé très souvent avec mes collègues européens la question du Mali et celle de la République centrafricaine, avant l’intervention. Ne croyez pas que, lorsque le Président de la République a dit qu’il souhaiterait qu’il y ait un peu plus d’Europe, c’était la première fois que nous parlions de cela.

Il n’existe pas de défense européenne. Nous le regrettons, mais c’est un fait.

Je prends un exemple : il existe des unités qui, sur le papier, peuvent réunir 1 500 hommes.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Les battlegroups.

M. Laurent Fabius, ministre. Ce concept, bâti il y a déjà quelque temps, existe bien sur le papier et, pour le semestre actuel, ce sont les Britanniques qui ont le leadership de cette unité. Cela a deux conséquences : d’une part, celui qui a le leadership assure les dépenses et, d’autre part, c’est une mécanique extrêmement européenne.

Nous avons donc demandé aux Britanniques, puisqu’ils avaient le leadership de ces groupes de 1 500 hommes. Sans grande surprise et très courtoisement, ils nous ont répondu que, premièrement, cela coûtait beaucoup d’argent et, deuxièmement, cela était trop européen.

Malgré tout le talent de nos diplomates – auxquels vous avez rendu hommage, et je vous en remercie en leur nom –, même si un élément existe, si celui qui le pilote refuse de l’engager, vous avez beau avoir beaucoup de talent et de conviction, c’est le principe un homme, une voix qui s’applique.

Les autres, tout d’abord – ne soyons pas injustes – ont, pour certains, apporté des moyens logistiques ou des financements, et c’est très bien. Ensuite, pour ce qui est des hommes, beaucoup n’en ont pas qui soient suffisamment équipés, d’autres ont des difficultés avec leur parlement, d’autres encore ne veulent tout simplement pas. On peut le regretter, mais c’est ainsi.

Le Président de la République et moi-même n’avons pas désarmé, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots. Une réunion spéciale des ministres des affaires étrangères se tiendra donc le 20 janvier, avec un rapport introductif de Mme Ashton qui proposera des pistes, à court et moyen termes, pour tout de même apporter un soutien face aux besoins en République centrafricaine. J’espère que cela fonctionnera. Mais, je vous fais cet aveu, je ne peux pas à moi seul arriver à convaincre nos partenaires de la nécessité d’une défense européenne et d’une action européenne. Ce n’est pas faute de leur en avoir parlé. L’un d’entre nous a cité tel diplomate ou tel ministre qui disait qu’il ne faudrait pas après présenter l’addition. Bien évidemment, nous en avons parlé. N’ayons donc pas recours à des arguments qui ne sont pas réels.

Venons-en à la Syrie.

Je vous ai apporté, et je pense que cela vous intéressera, la lettre que je viens de recevoir de M. Ban Ki-moon qui invite la France – en l’occurrence, son ministre des affaires étrangères – à participer à la réunion de Genève. C’est le premier acte concret qui matérialise le souhait que ce que l’on appelle « Genève 2 » ait lieu.

De cette lettre, qui est très bien rédigée, je souhaiterais vous lire deux passages, parce qu’ils situent bien le débat.

M. Ban Ki-moon écrit : « La conférence a pour but d’aider les parties syriennes à mettre fin aux violences […] et à mettre intégralement en œuvre le communiqué de Genève – donc, Genève 1 – en préservant la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie. »

Il ajoute : « Le communiqué de Genève 1 – qui sert de base à Genève 2 – comprend des lignes directrices et principes convenus pour une transition conduite par les Syriens. Il énonce un certain nombre d’étapes essentielles, à commencer par un accord sur une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel ».

Il poursuit : « Comme le dit le communiqué de Genève, les services publics doivent être préservés ou rétablis, y compris les forces armées et les services de sécurité. Toutes les institutions de l’État et tous les services doivent respecter les droits de l’homme et les normes déontologiques et être placés sous une direction qui inspire confiance à la population, ainsi que sous le contrôle de l’autorité transitoire. »

C’est clair et net. L’objet de cette conférence à Genève n’est pas d’avoir une discussion générale sur la Syrie ; c’est, selon les termes du communiqué de Genève 1, repris dans la lettre d’invitation de Genève 2, de former une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs.

À la fin de la lettre, M. Ban Ki-moon conclut, en s’adressant à ceux auxquels il a fait parvenir cette lettre : « La confirmation de la participation sera considérée comme une adhésion aux objectifs de la conférence tels qu’ils sont énoncés ci-dessus. »

Il a tout à fait raison de le formuler ainsi, car cela signifie que Genève 2 – qui, je l’espère sans en être sûr, aura lieu, et qui, je l’espère également et j’en suis encore moins sûr, parviendra à des résultats – a un objectif précis, qui est d’arrêter les massacres, et de faire en sorte qu’un gouvernement soit formé – c’est notre idée, l’idée de la France – par, à la fois, des éléments du régime et l’opposition modérée..