M. Pierre Hérisson. C’est normal, nous en avons 400 000 !

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. La loi Besson est une loi d’équilibre, comme le soulignait d’ailleurs le rapporteur du Sénat sur ce texte, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye. Il indiquait alors que ce texte visait à « favoriser l’aménagement, sur quelques années, d’un nombre d’aires suffisant pour faire face aux besoins, [... à prendre] plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d’accueil [et à] renforcer […] les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites ».

L’article 1er de cette même loi prévoit ainsi l’établissement, dans chaque département, d’un schéma départemental qui identifie des secteurs géographiques disponibles pour l’implantation des aires permanentes d’accueil et précise les communes dans lesquels cette implantation doit être réalisée. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement dans ce schéma. Ce dernier détermine également les emplacements destinés aux rassemblements traditionnels ou occasionnels.

L’article 2 a fixé un délai de deux ans à compter de la publication du schéma pour permettre aux communes concernées de participer à la mise en œuvre de ce dernier.

La loi de 2000 a été modifiée à deux reprises pour accorder des délais supplémentaires aux communes ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations légales.

L’article 3 permet à l’État de se substituer à une commune défaillante.

En contrepartie de ces obligations pesant sur les communes, la loi Besson a créé des outils juridiques permettant de mettre fin, dans les communes remplissant leurs obligations légales, aux occupations illicites et sauvages.

Ces dispositifs ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui a substitué à une procédure civile d’expulsion une procédure d’évacuation forcée relevant de la police administrative.

L’article 9 de la loi de 2000 prévoit désormais que, dans les communes respectant leurs obligations en matière d’aires d’accueil, le maire peut interdire par arrêté le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil aménagées. En cas de stationnement illicite, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut cependant intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques. La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures, le préfet pouvant procéder à l’évacuation forcée des résidences mobiles au terme de ce délai ou au terme des recours. En cas de recours contre la mise en demeure, l’exécution de la décision du préfet est suspendue ; le juge statue alors dans un délai de soixante-douze heures.

Je ne vais pas revenir sur le contenu de la proposition de loi de notre collègue Hérisson : il a déjà été amplement décrit. Je dirai simplement que ce texte, dans sa version initiale, vise à renforcer les sanctions prévues par la loi de 2000 en cas d’occupation illicite.

Il convient toutefois de relever que ses articles 2 à 4 modifient l’article 9 de la loi de 2000.

L’article 2 supprime la condition fixée par la loi pour la mise en demeure du préfet, à savoir le fait que le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.

L’article 3 prévoit que le délai d’exécution de la mise en demeure est fixé à vingt-quatre heures au maximum et non plus au minimum.

L’article 4 fixe à six heures le délai maximal d’exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants du terrain en cause ont précédemment procédé à une occupation illicite.

La commission des affaires économiques s’étant réunie au même moment que la commission des lois, elle a examiné la proposition de loi initiale de Pierre Hérisson, sans prendre position sur les modifications effectuées par la commission des lois.

Tout en comprenant bien la question, tout à fait réelle, à laquelle les auteurs de cette proposition de loi cherchent à répondre, je ne peux que souligner le scepticisme de la commission des affaires économiques à l’égard de ce texte : certaines de ses dispositions posent de vraies difficultés d’ordre constitutionnel.

Dans le même souci d’équilibre qui a inspiré la loi de 2000, une réflexion doit être menée aujourd’hui sur les moyens de faire respecter par les communes leurs obligations en matière d’accueil.

D’autres sujets mériteraient d’être traités dans un grand texte relatif à l’accueil et au statut des gens du voyage, tels que le statut juridique de ces derniers. Je m’étonne d’ailleurs que notre collègue Pierre Hérisson, qui avait déposé en juillet 2012 une proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie, ait déposé aujourd’hui cette proposition de loi très incomplète.

Avant de reprendre dans l’ordre ces différents points, je me dois, au préalable, de souligner que cette proposition de loi constitue une réponse aux indéniables difficultés rencontrées par certains élus locaux, d’ailleurs largement relayées par les médias. Certains élus locaux, dont la commune respecte ses obligations légales, se trouvent démunis face à l’arrivée inopinée de plusieurs dizaines de caravanes et à l’occupation illicite de terrains publics ou privés. Lorsque j’étais moi-même élu local, j’ai été confronté à ce type de situation : je suis donc tout à fait conscient du problème et, en particulier, du sentiment d’abandon qu’éprouvent les élus locaux en de telles circonstances.

Il convient donc de réaffirmer, à la suite de notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye dans son rapport sur la loi Besson, que « les efforts importants demandés aux communes doivent avoir pour contrepartie une répression effective du stationnement illicite ». Tout le monde est d’accord là-dessus, et il ne sert à rien d’opposer de prétendus laxistes et des non-laxistes.

Autrement dit, il convient, madame la ministre, d’apporter une réponse très ferme à la question des occupations illicites. J’espère que vous pourrez nous donner des assurances en la matière.

Cela étant dit, j’attire votre attention, monsieur le président, mes chers collègues, sur le fait que, au cours des trois dernières années, plusieurs rapports importants ont été publiés sur l’application de la loi de 2000. Je pense à un rapport d’octobre 2010 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, à un rapport de mars 2011 fait par Didier Quentin au nom d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, au rapport de juillet 2011 de notre collègue Pierre Hérisson, Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », ainsi qu’à un rapport d’octobre 2012 de la Cour des comptes sur l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage.

À la lecture de ces documents, un constat s’impose : aucun d’entre eux ne suggère de modifier le dispositif de sanction en cas de stationnement illégal dans les communes respectant leurs obligations. Notre collègue Pierre Hérisson lui-même, dans son rapport, n’avait formulé aucune proposition en la matière.

Comment expliquer cette absence de proposition sur ce sujet ? Pour répondre à cette question, je me contenterai de citer le rapport du député Didier Quentin, qui soulignait que « le législateur [était] probablement allé en 2007 aussi loin qu’il était possible d’aller. »

Dans une décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que, « compte tenu de l’ensemble des conditions et des garanties qu’il a fixées et eu égard à 1’objectif qu’il s’est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés ».

En s’appuyant sur cette décision, notre collègue député Didier Quentin a donc conclu que « la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, qu’il serait donc constitutionnellement périlleux d’assouplir ».

Dans ces conditions, pour la commission des affaires économiques, les dispositions prévues par les articles 2, 3 et 4 de la proposition de loi initiale de notre collègue Hérisson posaient de réelles difficultés constitutionnelles. C’est pourquoi elle a adopté des amendements de suppression de ces articles.

Au-delà de la question constitutionnelle, la proposition de loi de notre collègue Hérisson est déséquilibrée. Elle ne traite la question de l’accueil des gens du voyage que sous un angle répressif, alors que la problématique est beaucoup plus vaste, comme l’ont d’ailleurs relevé les rapports que j’ai évoqués précédemment.

Le statut juridique des gens du voyage est, ainsi, l’un des sujets qui n’est pas du tout évoqué par la proposition de loi.

Les gens du voyage sont soumis à la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Une partie de cette loi, notamment ses dispositions discriminatoires portant sur l’exercice du droit de vote, a été déclarée contraire à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel en date du 5 octobre 2012. Demeurent cependant en vigueur les dispositions relatives au livret spécial de circulation ou au rattachement obligatoire à une commune.

La loi de 1969 a été dénoncée tant par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité que par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Sur mon initiative, la commission des affaires économiques a adopté un amendement visant à abroger cette loi, comme le propose d’ailleurs notre collègue Hérisson dans sa proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie.

Autre sujet qui n’est pas évoqué par la proposition de loi : les communes défaillantes.

Trop peu d’aires d’accueil ont été construites. Le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2012 a souligné que le taux de réalisation des places en aires d’accueil prévues par les schémas départementaux n’était que de 52 % à la fin de 2010, soit dix ans après le vote de la loi Besson.

Les écarts d’un département à l’autre sont très importants : le rapport de la Cour des comptes relève que, pour les dix départements où l’obligation de réalisation est la plus importante, ce taux varie de 8 % – les Alpes-Maritimes – à 56 % – Seine-et-Marne et Haute-Garonne.

Le pouvoir de substitution prévu par la loi Besson n’a cependant jamais été mis en œuvre. Il convient donc de réfléchir, en lien avec les associations d’élus locaux, aux moyens de renforcer l’effectivité de la loi Besson, en améliorant le pouvoir de substitution du préfet aux maires défaillants, voire en créant des pénalités financières pour les communes ne respectant pas leurs obligations.

On pourrait s’inspirer du dispositif prévu par l’article 55 de la loi SRU, en prévoyant un prélèvement sur les ressources des communes défaillantes ou en permettant au préfet de conclure des conventions avec des organismes pour construire les aires nécessaires. L’éventuel constat de carence devrait prévoir, comme pour la construction de logements sociaux, la prise en compte des spécificités locales et des réelles difficultés rencontrées par certaines communes, par exemple en raison de l’absence de foncier disponible.

Les évolutions constatées depuis l’adoption de la loi Besson ne sont pas traitées non plus par cette proposition de loi, alors qu’il conviendrait de les prendre en compte. Je pense notamment à deux problématiques évoquées par l’ensemble des rapports évoqués précédemment : la question des aires de grand passage et l’accès au logement des gens du voyage qui se sédentarisent.

Pour ce qui concerne les aires de grand passage et les grands rassemblements, les difficultés rencontrées par les élus locaux ont été soulignées, lors de l’examen de mon rapport par la commission des affaires économiques, par des collègues appartenant aux divers groupes politiques de notre assemblée. Il faut cependant rappeler que seules 29 % des aires d’accueil prévues par les schémas départementaux ont été réalisées !

Pour autant, madame la ministre, que pensez-vous de l’idée de renforcer la coordination à l’échelon national et l’information des collectivités territoriales en créant un poste de médiateur, comme l’a suggéré notre collègue Bruno Retailleau dans le cadre des travaux de la commission des affaires économiques ?

Je souhaite évoquer un peu plus longuement la question de l’accès au logement des gens du voyage, problématique qui relève pleinement du champ de compétence de notre commission.

Toutes les études montrent un phénomène de sédentarisation partielle ou totale des gens du voyage. Or, faute de terrains adaptés, la sédentarisation se fait bien souvent sur des aires permanentes d’accueil. Ainsi, les aires d’accueil sont aujourd’hui majoritairement utilisées par des familles semi-sédentarisées, ce qui pose deux problèmes majeurs : d’une part, ces aires ne sont pas adaptées à une occupation permanente, d’autre part, la rotation ne peut pas se faire.

Il convient donc de réfléchir à une éventuelle modification de la loi de 2000 afin de permettre la prise en compte par les schémas départementaux des besoins en matière de terrains familiaux ou d’habitat adapté.

Mes chers collègues, entre 2004 et 2012, seules 791 places en terrain familial ont été financées. C’est évidemment très insuffisant !

De même, il faudrait que les schémas départementaux soient davantage coordonnés avec les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées, les PDALPD, ces derniers devant, en principe, identifier les besoins des gens du voyage en matière d’habitat adapté et définir des objectifs de réalisation quantifiés et territorialisés.

Je l’ai dit, la commission des affaires économiques n’a pu examiner le texte de la commission des lois et n’a pas été en mesure de se prononcer sur les modifications apportées par celle-ci. Je salue cependant, à titre personnel, le texte issu des travaux de la commission des lois, notamment la réécriture des articles 2 et 3 de la proposition de loi, qui posaient de réels problèmes constitutionnels.

Au nom de la commission des affaires économiques, je présenterai deux amendements. Le premier vise à abroger la loi de 1969. Le second tend à supprimer l’article 4 de la proposition de loi, qui, outre qu’il soulève des difficultés constitutionnelles sérieuses, me paraît inapplicable sur le terrain, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois.

La commission des affaires économiques a finalement jugé que la proposition de loi initiale, si elle répondait à de véritables difficultés, posait des problèmes juridiques et qu’elle était à la fois déséquilibrée et incomplète. J’espère que la discussion en séance publique permettra de corriger les défauts de ce texte, déjà amélioré par la commission des lois.

Par ailleurs, je sais que notre collègue député Dominique Raimbourg a déposé la semaine dernière une proposition de loi qui embrasse l’ensemble du champ de l’accueil des gens du voyage, c'est-à-dire les questions du statut juridique, de l’effectivité de la loi Besson, des moyens légaux permettant de mettre fin aux occupations illicites... Ce texte devrait permettre la discussion sereine et sans exclusive qui est souhaitée, je le pense, sur toutes nos travées.

Comme le proposait Pierre Hérisson dans son rapport au Premier ministre du mois de juillet 2011, il est temps de « restructurer le droit applicable aux gens du voyage autour d’une loi unique par une mise à jour de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage. Cette initiative est l’occasion de dresser un bilan de la législation et de la situation sur le terrain des différents dispositifs concernant les gens du voyage.

Comme vous le savez, la loi du 31 mai 1990, mais surtout celle du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », sont venues apporter des réponses. Cette dernière prévoit ainsi une obligation d’organisation de l’accueil sur les communes de plus de 5 000 habitants, tout en permettant en contrepartie à ces dernières de recourir à des mesures renforcées de lutte contre les stationnements illicites.

Néanmoins, comme cela a été rappelé, le droit existant ne clôt pas le débat, loin de là. Aussi, treize ans après la promulgation de la loi Besson, il s’agit de trouver de nouveaux dispositifs, efficaces, pragmatiques et juridiquement précis, afin de répondre aux attentes tant des élus que des gens du voyage. C’est ce qu’a tenté de faire le sénateur Pierre Hérisson. Pourtant, sa proposition de loi suscite quelques réserves au regard de l’objectif que je viens de préciser.

Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a toujours privilégié une approche équilibrée entre les droits et les devoirs des gens du voyage, entre les obligations pesant sur les collectivités territoriales et les attentes légitimes des maires. Cette proposition de loi a choisi une autre voie, une direction unique, suivant plutôt l’axe répressif. Certes, lorsque la loi n’est pas respectée, l’action répressive est normale. Elle est légitime et doit être prévue par les textes ; j’y reviendrai. Cependant, l’action répressive, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, ne peut tout régler à elle seule.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. C’est bien vrai !

MM. Jean-Claude Carle et Antoine Lefèvre. D’accord !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Elle peut même entraîner plus de difficultés qu’elle ne résout de problèmes.

Je suis certaine, monsieur Hérisson, que vous partagez cette analyse. En effet, si je me réfère à vos anciens et nombreux travaux sur la question des gens du voyage, je sais que vous avez une approche beaucoup plus nuancée et beaucoup plus globale. J’en veux pour preuve votre proposition de loi du 31 juillet 2012 relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie : celle-là comportait vingt articles qui embrassaient le sujet de manière plus globale.

Pourquoi votre approche s’est-elle ainsi rétrécie ? Pourquoi avoir privilégié l’axe répressif à l’encontre des gens du voyage ? Pourquoi avoir mis de côté vos autres propositions ? J’ai l’impression que le débat perd en qualité. Nous gagnerions en effet à traiter cette question complexe dans son ensemble.

Ne croyez pas, pour autant, que le Gouvernement n’entend pas les élus, qu’il ne prend pas en compte leurs inquiétudes, leurs attentes. Claude Dilain rappelle dans son rapport que les occupations illicites dans des communes qui respectent leurs obligations en termes d’aires d’accueil « sont inacceptables », ajoutant que « les pouvoirs publics doivent apporter une réponse ferme à ces pratiques, en soutien à des élus qui se sentent bien souvent démunis ».

En effet, les maires sont parfois confrontés à des occupations illégales de terrain qui sont très difficiles à gérer. Cela est particulièrement incompréhensible pour un maire et pour ses concitoyens lorsque la commune a respecté ses obligations au regard du schéma départemental.

Le ministre de l’intérieur l’a souligné à plusieurs reprises : « Assurer le respect de la loi, c’est, pour les gens du voyage, s’assurer que des aires d’accueil adaptées sont proposées. C’est aussi ne pas accepter quand elles existent, qu’elles soient dédaignées ou que leur absence puisse servir de prétexte à des comportements ou à des occupations de terrains inacceptables. »

Nous le savons, il y a eu parfois du découragement, de la lassitude chez des élus locaux de bonne volonté qui se sentent impuissants.

M. Pierre Hérisson. De plus en plus !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. C’est cela qui doit nous inciter à apporter une réponse globale, à proposer une réforme législative efficace, qui traitera la problématique dans son ensemble.

Avant de revenir sur le texte issu des travaux de la commission, je m’attarderai un instant sur la proposition de loi initiale, dont ont évidemment pris connaissance les associations des gens du voyage avec lesquelles nous travaillons à la construction d’un équilibre décent.

Or, j’y insiste de nouveau, ce texte n’est pas à la hauteur de vos propres réflexions, monsieur Hérisson. Il ne peut qu’aggraver les difficultés rencontrées par les élus locaux, alors même que vous entendez, à travers lui, répondre à leurs préoccupations.

En effet, comment prétendre restaurer l’ordre, le respect des lois sans même envisager de tenir des engagements aussi essentiels que celui de l’abrogation de la totalité de la loi du 3 janvier 1969, sans demander à tous, gens du voyage, mais aussi élus locaux, de respecter également les lois de la République ?

Ce texte, dans sa version originale, est en outre inutilement vexatoire : il aggrave des sanctions pour les voyageurs qui sont en réalité très peu prononcées par les tribunaux et il instaure un mécanisme d’évacuation forcée qui, à l’évidence, s’affranchit des principes constitutionnels pourtant applicables à tous, et cela sans jamais aborder la question de l’inexécution, depuis treize ans maintenant, des obligations mises à la charge des communes.

En effet, la loi Besson demeure en grande partie lettre morte, et nous le regrettons. La Cour des comptes l’a établi sans conteste : le taux de réalisation des aires d’accueil atteignait à peine 52 % au 31 décembre 2010, et seulement 29 % pour les aires de grand passage. À ma connaissance, la proposition de loi est muette sur ce sujet.

On doit, de surcroît, constater que ce texte n’est pas complet et qu’il comporte même des sources de tensions supplémentaires.

La commission des lois et la commission des affaires économiques ont toutes deux pointé les lacunes de la proposition de loi. M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, M. Claude Dilain, estime « que la proposition de loi n’apporte pas les garanties suffisantes du point de vue juridique et est déséquilibrée et incomplète ». M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois, va dans le même sens.

Vous avez, messieurs les rapporteurs, tenté de faire évoluer ce texte. Toutefois, malgré vos efforts, je crains que le chemin à parcourir ne soit encore bien long pour que le texte réponde avec le réalisme et la rigueur nécessaires à l’intégralité des enjeux et des attentes.

Ainsi, malgré les améliorations introduites par la commission, ce texte demeure hasardeux sur le plan juridique. Je prendrai deux exemples.

En premier lieu, pour faciliter l’évacuation des campements illicites, j’ai bien noté que l’article 2 du texte de la commission différait de l’article 2 du texte initial, qui tendait à supprimer la condition d’ordre public permettant l’évacuation d’office. Vous inspirant de la proposition de loi du député Dominique Raimbourg, vous ne supprimez pas la condition d’ordre public, mais vous ajoutez au texte. Ainsi, dès lors que l’intérêt général est en cause, vous prévoyez la possibilité d’évacuer un campement illicite à la condition qu’existe une aire d’accueil spécialement aménagée dans un rayon de 30 kilomètres. Cette disposition reste, pour l’heure, soumise à expertise au sein du Gouvernement.

En second lieu, l’article 4 instaure un délai d’exécution de la mise en demeure de quitter les lieux, qui ne peut être supérieur à six heures en cas de réitération d’une occupation illicite d’un terrain par les mêmes personnes au cours de l’année écoulée. Or l’évacuation n’est pas une sanction, mais une mesure de police administrative sur laquelle l’état de récidive ne peut donc avoir aucune incidence. Établir une différence de traitement entre récidivistes et non-récidivistes porterait ainsi atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, sans parler du caractère très peu opérationnel d’un tel dispositif.

Outre sa fragilité juridique, ce texte comporte des dispositions inapplicables ou superflues.

Ainsi, la réduction à quarante-huit heures, au lieu de soixante-douze heures, du délai prévu à l’article 5 pour que le juge statue est contre-productive, car elle ne laisse pas à l’administration le temps d’apporter la contradiction aux allégations des requérants. Faut-il ajouter que le dépassement de ce délai par le juge n’est assorti d’aucune sanction ?

Enfin, la proposition faite à l’article 6 de confier à l’État la police des grands passages et des grands rassemblements des gens du voyage dans les communes à police étatisée est inutile : en effet, dans ces communes, l’État a déjà la charge de la police des grands rassemblements, lesquels incluent les grands passages. En outre, la procédure d’information préalable pour toute installation d’un groupe de plus de cinquante caravanes est sans doute souhaitable, mais elle ne peut être assortie d’aucune sanction au plan légal, car celle-ci viendrait se heurter au principe de liberté de circulation.

Juridiquement hasardeux, opérationnellement douteux, ce texte met par ailleurs de côté deux questions qui me semblent très importantes s’agissant de la situation des gens du voyage.

Il est d’abord un sujet auquel je suis, de par mes fonctions, particulièrement sensible : la question de la scolarisation des enfants des gens du voyage.

Là encore, les responsabilités sont partagées.

Il y a, d’une part, la responsabilité des communes. Je tiens à rappeler ici que le refus de scolarisation d’un enfant présent sur le territoire communal est susceptible de caractériser le délit de refus discriminatoire d’un droit accordé par la loi par une personne dépositaire de l’autorité publique au sens des articles 225-1 et 432-7 du code pénal, délit passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Je connais les difficultés rencontrées par certaines communes, mais il me semble impossible de transiger sur ce principe, conforme aux engagements que nous avons contractés en matière de protection due aux enfants. Il nous arrive d’ailleurs très fréquemment, au ministère dont j’ai la charge, de rappeler aux élus cette obligation qui incombe à toute municipalité de scolariser les enfants présents sur son territoire, même si la situation des parents peut être sujette à critique.

Il y a, d’autre part, de façon symétrique, la responsabilité des parents, même si le mode de vie non sédentaire est évidemment source de complexité. Le préfet Hubert Derache, dans son rapport au Premier ministre consacré aux gens du voyage, a montré qu’il « reste des voies de progression au niveau du collège et surtout au niveau du lycée général ou du lycée professionnel ». Je pense en effet qu’il nous faut convaincre tout le monde, y compris les parents de ces enfants, que la meilleure manière de sortir des difficultés sociales que ces populations connaissent très souvent est précisément de permettre aux enfants d’avoir une éducation de qualité et d’être scolarisés au-delà de l’école primaire.

L’éducation nationale elle-même doit prendre sa part. Nous avons réactivé, par trois circulaires parues en octobre 2012, le réseau des « centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus des familles itinérantes et de voyageurs », ce qui constitue, selon le rapport Derache, « la bonne réponse pour mettre sous tension le réseau éducatif en direction des enfants de voyageurs ».

Je dois dire à cet instant que j’ai eu l’occasion de visiter, notamment dans la région de Grenoble, un certain nombre d’établissements scolaires où les enseignants se sont investis de façon remarquable sur ce sujet. J’ai également visité une école qui accueille, dans le 12e arrondissement de Paris, les enfants des forains qui animent chaque année la Foire du Trône. On souligne souvent les réticences de certains élus à accueillir les enfants des gens du voyage, mais il faut aussi saluer le travail accompli par un certain nombre d’enseignants pour accueillir ces enfants, qui arrivent parfois en cours d’année et repartent avant la fin de l’année, et faire en sorte qu’ils rattrapent le retard qu’ils ont pu accumuler et qu’ils se sentent accueillis à égalité au sein de l’école. Il me semble qu’on ne rend pas suffisamment justice au travail accompli dans les établissements scolaires pour faire face aux besoins particuliers des enfants.

Le deuxième sujet que je souhaite évoquer est le refus de toute discrimination, de toute stigmatisation.

J’ai souvent reçu des associations de gens du voyage, qui ont parfois le sentiment que leurs problèmes ne sont pas suffisamment pris en considération par notre dispositif de lutte contre les discriminations, en dépit de leur mode de vie spécifique.

Nous devons précisément nous efforcer de lutter contre tout ce qui renforce le repli sur soi, la méfiance, et qui remet en cause le vivre ensemble.

La loi de 3 janvier 1969 est, depuis quelques années, au cœur des interrogations. Vous avez vous-même, monsieur Hérisson, en tant que parlementaire en mission, remis au Premier ministre un rapport sur le sujet qui a été salué sur diverses travées.

Le Conseil constitutionnel a censuré l’obligation faite à une certaine catégorie de gens du voyage de détenir un carnet de circulation et de le faire viser périodiquement sous peine d’emprisonnement. Il a jugé qu’il y avait là une atteinte manifeste à l’exercice de la liberté d’aller et de venir, une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi.

Le Conseil constitutionnel a également considéré que les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 imposant aux gens du voyage trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour être inscrits sur les listes électorales étaient contraires à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a donc une jurisprudence particulièrement vigilante, ancienne et constante sur les mesures qui restreignent l’exercice par les citoyens de leurs droits civiques.

Le caractère discriminatoire de cette loi n’avait au demeurant pas échappé à de nombreux parlementaires. Je tiens ainsi à citer la proposition de loi sénatoriale déposée en juin 2011, qui visait notamment à appliquer aux gens du voyage le droit commun en matière d’inscription sur les listes électorales. Une initiative similaire a également été prise par le groupe écologiste du Sénat en juin 2012. Je tiens enfin à souligner le travail important mené depuis décembre 2010 par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale ; .malheureusement, la proposition de loi issue de ces travaux fut à l’époque rejetée en séance par la majorité UMP, à l’exception de quelques voix très respectées comme celle d’Étienne Pinte.

C’était il y a presque trois ans. Aujourd’hui, l’état d’esprit a changé et le Conseil constitutionnel est venu conforter cette analyse. Il me semble donc que toutes les conditions sont réunies pour que nous puissions rédiger une loi assez complète, qui engloberait divers aspects de cette problématique des gens du voyage.

Depuis maintenant plus d’un an, un travail est mené par le Gouvernement sur ce sujet, dans une concertation très poussée.

Il a déjà été beaucoup question du poids des représentations et des attentes de nos concitoyens. Il me semble que nous pouvons désormais aller plus loin, si toutefois nous prétendons à l’efficacité.

C’est dans cette perspective que, dès le mois d’octobre 2012, le Gouvernement a lancé une large consultation impliquant les associations représentatives des gens du voyage et l’Association des maires de France, avant d’entamer un travail avec les parlementaires, au premier rang desquels figure M. Jean-Yves Leconte.

C’est aussi ce souci d’efficacité qui a conduit le ministre de l’intérieur à rechercher le consensus autour d’un texte équilibré, qui exigerait de tous le respect d’un certain nombre de droits et devoirs.

Par ailleurs, une très intéressante journée d’étude, rassemblant des parlementaires de toutes sensibilités politiques, a été organisée à ce sujet par Dominique Raimbourg.

Ont été associés à ces travaux le ministère de l’intérieur, le ministère du logement, le ministère des affaires sociales. Il ne faudrait pas oublier le ministère de l’éducation nationale, qui joue un rôle non négligeable dans l’insertion de ces populations.

Cela a été rappelé, le Premier ministre avait confié au préfet Hubert Derache une mission d’appui à la définition d’une stratégie d’action renouvelée sur la question des gens du voyage. Le rapport qu’il a remis a constitué une véritable feuille de route pour le Gouvernement et a été l’occasion d’un travail très approfondi.

Par ailleurs, là encore après une longue concertation, le député Dominique Raimbourg a déposé une proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui nous semble répondre à l’ensemble des problématiques essentielles qui se posent en la matière, dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel.

Il me semble que la proposition de loi de M. Raimbourg prend également en compte les attentes des élus, notamment en ouvrant aux élus locaux qui ont respecté leurs obligations en matière d’aires d’accueil la possibilité d’obtenir plus facilement du préfet l’évacuation des occupants d’un campement illicite de gens du voyage lorsqu’il existe dans un rayon de 50 kilomètres une aire d’accueil spécialement aménagée et offrant des capacités d’accueil suffisantes.

Comme l’avait souligné le ministre de l’intérieur lors du colloque organisé à l’Assemblée nationale en juillet dernier, il est essentiel que « les élus locaux, qui ont le souci d’offrir à tous un accueil digne – et ils sont nombreux –, ne soient pas pris au piège de leur engagement ».

Dans le même temps, la proposition de loi Raimbourg rappelle les termes de la loi de 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage et les obligations faites aux communes de plus de 5 000 habitants. Ainsi, elle prévoit de renforcer les pouvoirs de substitution du préfet en matière de construction d’aires d’accueil.

En effet, vous en conviendrez avec moi, on ne peut pas accepter le retard qu’ont pris trop de communes en matière d'aménagement des aires d'accueil des gens du voyage, notamment les aires d'accueil permanentes et les aires de grand passage. L'équilibre entre les droits et les devoirs prévus par la loi doit s'appliquer à tous !

On peut donc affirmer que le Gouvernement a également pris des initiatives afin de garantir dans la durée la refondation de la politique relative aux gens du voyage. Cela implique l’existence d’une instance de un dialogue vivant et constructif entre l’ensemble des parties prenantes. Cela suppose aussi qu’un aiguillon soit donné à tous les départements ministériels concernés.

Aussi, conformément aux préconisations du rapport d’Hubert Derache, le Premier ministre a très récemment confié à la DIHAL – délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement – une nouvelle mission : le secrétariat et l’animation de la Commission nationale consultative des gens du voyage.

Comme l’a souligné ma collègue Cécile Duflot lors de de la 8ème Journée nationale des gens du voyage à Chambéry, le 3 décembre dernier, la DIHAL consultera très prochainement l’ensemble des membres de cette commission afin de revisiter son rôle et son mode de fonctionnement, et ce à plusieurs égards : pour asseoir sa place dans le pilotage des politiques publiques en faveur des gens du voyage ; pour renforcer sa capacité d’analyse et d’expertise, ce qui implique que cette commission soit une véritable instance de concertation, où s’expriment la pluralité des regards et la diversité des attentes, de manière à être capable d'impulser des projets ; pour étendre ses compétences et lui donner un rôle plus décisionnel, ce qui passe notamment par l'instauration de groupes de travail thématiques et par le renforcement du lien avec les commissions départementales.

Reste la question des grands rassemblements, distincte de celle des aires accueil et de grand passage. Il me semble important de traiter ce sujet de façon autonome. Le Gouvernement va confier une mission spécifique dans les prochaines semaines à deux parlementaires, l'un de la majorité et l'autre de l’opposition. Celle-ci aura pour objectif de construire un cadre stable et pérenne, nécessaire pour anticiper et préparer ces événements de grande ampleur, qui peuvent bouleverser momentanément la vie des habitants dans les territoires concernés.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez compris l’état d’esprit du Gouvernement : la cohérence, l’équilibre, l’apaisement, l’efficacité, sont les fondements de notre méthode en même temps que nos objectifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)