M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est urgent pour l’audiovisuel public de redéfinir ses ambitions : ambitions culturelles et de création ; ambitions pour l’information, l’investigation, l’éducation ; ambitions industrielles, pour saisir toutes les occasions de la révolution des réseaux numériques et informationnels.

Pour y répondre, l’audiovisuel public a besoin d’une indépendance retrouvée, tout d’abord à l’égard des logiques de marché qui le tirent vers l’audimat, la normalisation culturelle et une mise en concurrence appauvrissante. Tout cela ne peut se faire, à nos yeux, sans déranger les règles du jeu du marché actuel, afin d’en reconstruire de nouvelles.

La rupture forte que nous ne cessons de réclamer est devenue un impératif, car l’audiovisuel public n’a cessé de s’affaiblir politiquement et financièrement depuis l’adoption de la loi du 8 mars 2009. Je le dis au passage, cette nécessité ne justifiait pas, selon nous, le recours à la procédure accélérée pour l’examen de ce texte.

Voilà plus d’un an et demi que nous attendons une grande réforme de l’audiovisuel. À la place, nous devons nous contenter du présent texte et d’une procédure d’urgence qu’aucune disposition contenue dans la loi ne rendait nécessaire. Nous aurions préféré, au contraire, compte tenu de l’importance du sujet abordé, que le débat parlementaire puisse totalement se déployer et se libérer, afin que nous puissions enrichir ce texte de toutes les dispositions qu’il ne contient malheureusement pas.

Nous tenterons malgré tout, au cours du débat, de provoquer la discussion autour de quelques questions essentielles sur lesquelles, je l’espère, nous pourrons revenir à l’occasion d’un futur texte de loi.

La loi de 2009 a entraîné une conséquence prévisible : la nomination directe des présidents de l’audiovisuel public par le Président de la République n’a fait que renforcer une grave crise de confiance, alimentant les soupçons de dépendance et de collusion d’intérêts, politiques ou non. Le projet de loi revient sur ce point fondamental ; tant mieux.

Il ne s’agit pas, selon nous, de remettre en question l’indépendance réelle des personnes concernées, mais bien de réaffirmer la nécessité de garantir, par des moyens institutionnels, des nominations et un contrôle susceptibles de lever la défiance des citoyens envers les médias, alors même que l’audiovisuel public devrait être leur bien commun.

Ce ne fut pas le seul impact négatif de la loi de 2009 qui, on le sait, a plongé l’audiovisuel public dans une crise de financement qui dure toujours. Celle-ci est amplifiée par le recul de l’engagement de l’État que vient malheureusement de programmer, dans la durée, l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions.

Je pense ici à la suppression de la publicité sur les chaînes de France Télévisions. Cette mesure, en l’absence de ressources de substitution pérennes a profondément affecté les finances du groupe – on le vérifie aujourd’hui –, sans pour autant modifier significativement le contenu de sa programmation et le dégager des contraintes de l’audimat.

La diminution du budget accordé à l’audiovisuel public a aggravé cette situation, en dépit de l’obligation créée par la loi de 2009 de compenser une partie du manque à gagner induit par la suppression de la publicité.

Si le projet de loi revient sur le mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public, ce que nous approuvons, il ne traite en rien du problème de l’indépendance économique du service public, qui reste entier.

Les deux projets de loi rétablissent donc un système de nomination antérieur à la loi de 2009, soit la désignation par les membres du Conseil supérieur de l’audiovisuel à la majorité des membres qui le composent, mais par un CSA réformé, dont le nombre de membres passe de neuf à sept. Par ailleurs, la disposition prévoyant la nomination de trois de ses membres par le Président de la République est supprimée.

La principale nouveauté de ce texte réside dans l’obligation faite aux commissions compétentes de chaque assemblée de valider la nomination des membres du CSA par trois cinquièmes de votes positifs.

Cette règle renforce, à nos yeux, la délibération parlementaire, ce qui est positif. Elle ne garantira pas à elle seule l’indépendance du CSA, et ce d’autant moins que le pluralisme de nos assemblées est encore largement amputé par l’absence de scrutin proportionnel. Elle favorisera néanmoins le débat. Nous veillerons, pour notre part, à ce que ce mode de désignation soit l’occasion d’un processus plus transparent.

Nous approuvons cette disposition dans la mesure où elle revient sur le fait du prince, même si nous aurions préféré, comme nous le proposons depuis des années, un système de désignation des présidents par les membres du conseil d’administration de chaque entreprise publique, instance dont la composition serait profondément revue afin de renforcer la représentation des parlementaires, des syndicats et des usagers et, au-delà, de l’ensemble de la société, pour laquelle, je le répète, l’audiovisuel public est un bien commun.

La démocratisation et le contrôle de la gestion de l’audiovisuel public appellent en effet, selon nous, bien d’autres mesures que celles qui sont proposées dans le projet de loi.

M. le rapporteur a ainsi donné son accord ce matin, en commission, pour l’entrée au sein du conseil d’administration d’un représentant des usagers. C’est une avancée que nous enregistrons avec satisfaction, même si elle est, à nos yeux, trop timide. Il y a bien d’autres pas à faire dans le sens de la démocratisation de l’audiovisuel public.

Le projet de loi, dont le cœur reste la réforme du mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public, a été enrichi à l’Assemblée nationale par un certain nombre d’amendements. Ainsi les pouvoirs du CSA sont-ils renforcés par l’attribution d’une nouvelle compétence : l’autorisation de transformation d’une chaîne payante de la TNT en chaîne gratuite, et inversement.

Sans m’étendre trop longuement sur cette question et sans me mêler de l’arbitrage de la guerre économique opposant les grands groupes privés de l’audiovisuel – TF1, d’un côté, Canal + et M6, de l’autre –, je tiens à préciser que nous ne nous opposerons pas à cette nouvelle compétence du CSA, mais soutiendrons les amendements tendant à renforcer l’encadrement de ce transfert. Les exigences ne doivent pas être moindres, en effet, que dans le cas d’une demande d’attribution initiale effectuée par appel à candidature.

Sans évoquer l’ensemble des dispositions proposées, je dirai un mot de l’amendement, essentiel à nos yeux, qui vise à permettre le maintien de la publicité, au cours de la journée, sur les chaînes de France Télévisions.

Il y aurait beaucoup à dire sur la présence de la publicité sur les chaînes de l’audiovisuel public, et ce débat est encore à venir. Tant que les conditions de financement de substitution de France Télévisions ne seront pas réunies – et selon nous, elles ne le sont pas –, la situation économique de l’entreprise nécessite l’abandon de cette mesure prévue en 2009, afin de ne pas aggraver le sous-financement du service public et de lui donner une visibilité stratégique.

Mes chers collègues, je souhaite consacrer la suite de mon intervention à ce qui ne figure pas dans ces projets de loi, dont l’imperfection tient moins, selon nous, à ce qu’ils énoncent qu’à ce qu’ils taisent.

Ce débat à peine refermé, il sera urgent de nous remettre au travail afin d’élaborer ce grand projet de loi pour l’avenir de l’audiovisuel que le Gouvernement nous promet pour 2014.

En effet, réformer le mode de nomination des dirigeants est une mesure emblématique, mais, seule, elle restera symbolique et sans véritables effets. Il faudrait reconfigurer le paysage audiovisuel, résoudre la gravité de la crise de l’audiovisuel public, traiter avec ambition des enjeux d’avenir. Or rien ne figure dans les projets de loi qui permette d’aborder véritablement ces défis ou d’apaiser l’inquiétude des personnels de l’audiovisuel public, confrontés à une grande précarité et à la menace de nombreuses suppressions d’emplois.

C’est pourquoi nous présenterons des amendements visant à soulever tous ces problèmes incontournables, selon nous, en vue de la construction de ce grand projet de loi pour l’audiovisuel que nous appelons de nos vœux.

Ouvrir le débat sur l’indépendance de France Télévisions et de l’audiovisuel public, c’est nécessairement rouvrir aussi celui sur la régulation de l’équilibre des forces économiques dans l’ensemble du secteur audiovisuel, public comme privé.

C’est pourquoi nous proposons, notamment, de rétablir le taux de la taxe sur les chiffres d’affaires publicitaires au niveau prévu par la loi de 2009, soit 3 %. Nous regrettons, à cet égard, que le rapporteur ait introduit dans la loi la pérennisation du taux réduit de 0,5 %. On nous rétorquera que les ressources publicitaires ne sont pas pérennes. Il n’en reste pas moins que le problème de la mutualisation de ces ressources, dans le monde concurrentiel qui a été organisé, demeure posé et non résolu.

Il faudrait aussi, et nous le proposons au travers de nos amendements, revoir en profondeur les rapports entre France Télévisions et les producteurs privés, afin de redonner au service public la maîtrise des droits sur les productions qu’il finance. Nous entendons ainsi traduire dans la loi les dispositions du rapport d’information que nous avons récemment adopté sur les relations entre les producteurs audiovisuels et les éditeurs de services de télévision.

Ce rapport restera-t-il lettre morte, ou bien pouvons-nous commencer à le traduire dans la législation ?

Je le rappelle, France Télévisions a une obligation d’investissements de 470 millions d’euros par an dans la production télévisuelle et cinématographique et de 95 % dans la production indépendante. Ces investissements nourrissent, de fait, les producteurs privés, sans aucune contrepartie en termes de droits pour le service public.

Il s’agit de faire en sorte que France Télévisions dispose de moyens propres de production et de commercialisation et puisse passer des accords de coproduction.

On peut toujours discuter ou contester les dispositions précises que nous proposons au travers de nos amendements. Mais comment refuser d’inscrire dans la loi, au rang de principes, ces missions de France Télévisions ? Je pense évidemment à la mission de coproduction.

Nous souhaitons également relancer le débat sur les nouveaux modes de diffusion de la télévision ; nous proposons notamment la taxation des revenus publicitaires par voie électronique. Le mini « chèque Google » ne peut pas faire office de solde de tout compte. Le débat reste entier. L’exploitation des contenus audiovisuels par les grands groupes de l’économie numérique, qui ne participent même pas au financement, leur assure pourtant des revenus publicitaires.

Enfin, nous ne pouvons pas parler d’indépendance sans aborder la concentration dans le secteur médiatique. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin acquiesce.) Il faut renforcer et repenser les dispositifs anticoncentration.

Nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens, en reprenant des dispositions contenues dans des projets que les membres du groupe socialiste, notamment M. le rapporteur, ont défendus par le passé. J’espère que nous obtiendrons le soutien de la majorité sur le sujet. L’une des mesures que nous vous proposons d’adopter avait été portée par notre collègue David Assouline dans une proposition de loi en 2011.

C’est seulement en abordant l’ensemble de ces éléments que nous pourrons renforcer l’indépendance de l’audiovisuel français et modifier le secteur de manière significative.

À nos yeux, la réforme est trop timide. Elle contient bien quelques avancées, et nous les soutenons, mais elle fait l’économie des mesures nécessaires pour que le dispositif puisse avoir des effets réels. L’avenir et l’indépendance de l’audiovisuel public exigent une grande loi ; ne perdons pas plus de temps pour la faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. « Présider la République, c’est partager le pouvoir de nomination aux plus hautes fonctions. C’est aussi ne pas nommer le président ou les présidents des chaînes ou des radios du service public audiovisuel et laisser cette mission à une autorité indépendante. » Cette promesse du candidat François Hollande est devenue un engagement présidentiel ; l’adoption des deux textes relatifs à l’indépendance de l’audiovisuel public que nous examinons aujourd'hui – le groupe socialiste les soutient pleinement – permettra qu’elle soit tenue.

Il s’agit tout d’abord de revenir sur la réforme portée en 2009 par Nicolas Sarkozy, qui s’était arrogé le pouvoir de nommer seul les trois présidents de l’audiovisuel public. Ce faisant, l’ancien président de la République allait à contre-courant de l’Histoire, qui appelait à plus de liberté, et à contre-courant de l’évolution de l’encadrement des médias, secteur dans lequel le juge constitutionnel et les instances européennes exigent sans cesse davantage de pluralisme et d’indépendance, et même à contre-courant de son propre parti, puisque M. Copé, qui était à la tête de la commission pour la nouvelle télévision publique, n’avait pas soutenu une telle option. D’ailleurs, cette décision a abouti à des résultats contraires aux objectifs affichés : le mode de nomination retenu a jeté le soupçon sur le mandat des dirigeants de l’audiovisuel et a eu pour effet de les fragiliser au lieu de les conforter.

Je constate d’ailleurs qu’aucun amendement n’a été déposé pour maintenir le mode de désignation actuel. Peut-être faut-il y voir l’une des manifestations du travail d’inventaire qui est mené actuellement…

L’audiovisuel public ne peut en aucune manière apparaître comme étant soumis à la tutelle non seulement administrative, mais également financière de l’État. (Mme Sophie Primas s’exclame.) C’est pourquoi l’article 6 nonies du projet de loi revient également sur la disparition totale de la publicité, prévue pour 2016.

La suppression de la publicité après vingt heures a produit des effets néfastes. Les ressources attribuées en contrepartie n’ont jamais été à la hauteur des promesses et des besoins. D’ailleurs, elles sont aléatoires et liées au bon vouloir des pouvoirs publics, puisqu’elles sont budgétisées.

Un tel déséquilibre a déstabilisé durablement l’indépendance financière des trois sociétés et, plus particulièrement, celle de France Télévisions. N’aggravons pas la situation !

L’objectif général des textes dont nous débattons est bien de poser les fondements d’un nouveau service public, qu’il s’agit ici de réparer et de refonder, à l’instar de ce que nous avons fait dans d’autres domaines, notamment l’école.

Un service public de l’audiovisuel moderne est nécessairement plus indépendant.

Mme Sophie Primas. On verra…

Mme Françoise Cartron. C’est pourquoi, sur l’initiative de notre rapporteur, dont je salue d’ailleurs l’engagement de longue date sur le sujet et le travail récent sur ces deux textes, une révision constitutionnelle a fait figurer le pluralisme et l’indépendance des médias parmi les libertés fondamentales que la loi doit garantir.

Nous le savons, l’indépendance de l’audiovisuel public passe nécessairement par l’indépendance et l’impartialité des décisions prises par l’instance chargée de faire respecter un tel principe, en l’occurrence le Conseil supérieur de l’audiovisuel !

Comme le souligne M. le rapporteur, le CSA, qui doit constituer un filtre indispensable entre le pouvoir politique et les médias audiovisuels, devient une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, ainsi que de moyens propres, pour plus de réactivités. Le mode de désignations de ses membres est également modifié, toujours dans le souci d’une plus grande impartialité.

Le rôle du Parlement est également renforcé, qu’il s’agisse de l’encadrement ou du processus de nomination. Ainsi, les commissions parlementaires compétentes devront approuver à une majorité des trois cinquièmes six des sept membres du nouveau CSA. Essayons d’appliquer cette règle de majorité qualifiée à notre commission : nous voyons bien qu’un consensus large devra être trouvé, au-delà des majorités traditionnelles.

Un tel mode de nomination est inédit. Il fera du CSA la plus indépendante des autorités indépendantes.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont pu jouer tout leur rôle dans l’élaboration même des textes. De nombreuses dispositions ont été introduites par les parlementaires et, contrairement à ce qui a été prétendu, ont fait l’objet d’un véritable examen de fond.

Je le rappelle, en 2009, certaines mesures étaient entrées en application avant même que nous ayons pu en débattre ! Oui, il s’agit d’un véritable changement de méthode ! Nous allons discuter aujourd’hui en séance publique des dispositions proposées. Le groupe socialiste présentera plusieurs amendements.

Par ailleurs, le rapport annuel du CSA, enrichi, sera désormais présenté devant nos commissions en audition publique. Un avis sur les contrats d’objectifs et de moyens devra être rendu par le Parlement et le CSA ; il sera publié.

En outre, pour répondre à l’impératif d’indépendance, un critère de compétence professionnelle a été introduit pour les nominations. Le champ des incompatibilités a été étendu et précisé. Dans cette logique, un rapporteur indépendant du collège du CSA est créé. Il sera issu de la magistrature administrative et aura pour mission d’instruire les dossiers de poursuites et de sanctions.

C’est dans un cadre redéfini que la nomination des présidents-directeurs généraux de l’audiovisuel public français, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, est de nouveau confiée à un CSA rénové, garant de la liberté de communication. Plus indépendant, le CSA sera plus légitime et pourra, par conséquent, avoir des compétences élargies.

D’une manière générale, la réforme confère au Conseil supérieur de l’audiovisuel un rôle de régulation économique bien supérieur à celui qu’il exerçait jusqu’à présent, et ce dans un cadre réglementaire assoupli pour faire face aux évolutions technologiques rapides du secteur. L’ensemble reste toutefois encadré, afin que le respect du pluralisme ne s’oppose pas à la préservation des équilibres des marchés publicitaires.

C’est ce qui a été rappelé durant les auditions. Le message a été reçu. Le Sénat a ainsi décidé qu’une étude d’impact serait automatiquement menée et que les acteurs du secteur seraient consultés avant validation des conditions dans lesquelles le CSA pourrait autoriser le passage d’une chaîne de la TNT payante à la TNT gratuite. Le groupe socialiste a d’ailleurs déposé un amendement visant à préciser les conditions de mise en œuvre de l’étude d’impact, pour toute évolution de convention.

Je me félicite en outre de l’adoption en commission d’un amendement visant à faire respecter la parité dans la désignation des administrateurs de France Télévisions, Radio France et l’AEF.

Cette avancée fait écho au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, que le Sénat a voté à une large majorité, et, plus généralement, aux engagements du Président de la République quant à la reconnaissance de la juste place des femmes dans notre société.

Ce texte est un socle qui, en renforçant la légitimité et l’indépendance à la fois des présidents de l’audiovisuel public et du CSA, permettra de bâtir un service public de l’audiovisuel tourné vers l’avenir.

L’indépendance devra bien évidemment être complétée ; d’autres dispositions concernant tant l’audiovisuel public que l’ensemble du secteur des médias et des contenus culturels devront suivre. Elle constitue néanmoins la base préalable de toute autre réforme possible, dans une démocratie désormais apaisée.

Marie-Christine Saragosse, auditionnée par la commission de la culture, nous a livré une belle définition de l’indépendance, qui pourrait être une réponse à l’interrogation de notre collègue Jean-Pierre Leleux : l’indépendance, c’est l’équilibre entre la liberté, la responsabilité et la confiance. C’est tout l’enjeu de ces textes, que le groupe socialiste votera évidemment avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.

M. Dominique Bailly. Monsieur président, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir voté la refondation de l’école de la République voilà quelques mois, il nous appartient aujourd’hui de refonder ensemble l’audiovisuel public.

Comme le souligne M. le rapporteur, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire dont nous sommes saisis aujourd’hui revêtent trois objectifs principaux : garantir l’indépendance de l’audiovisuel public, réformer les pouvoirs du CSA et prendre en compte les effets de la révolution numérique

Il s’agit de donner au secteur de l’audiovisuel des bases solides en renforçant son indépendance et son intégrité, tout en lui accordant les moyens de s’adapter aux conséquences de la convergence numérique.

J’insisterai à mon tour sur l’importance de l’indépendance du secteur de l’audiovisuel public, garantie intrinsèque de la liberté de communication, principe à valeur constitutionnelle.

Pour ce faire, je reviendrai sur la réforme voulue par le précédent gouvernement et matérialisée par la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, qui a malheureusement eu pour effet de mettre fortement en danger le secteur de l’audiovisuel public, en le plaçant tout simplement sous tutelle de l’exécutif. Je pense à la nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public par décret, et non plus par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ce faisant, et le rapporteur l’a souligné, la réforme a compromis la légitimité des présidents ainsi nommés et discrédité l’ensemble de leurs décisions.

M. Dominique Bailly. La loi de 2009 a également mis à mal le financement pérenne et, partant, l’indépendance de l’audiovisuel public, en limitant la publicité sur les antennes de France Télévisions et en ne compensant que très partiellement les pertes de recettes publicitaires induites par une telle décision.

Il faut le souligner, le produit des taxes permettant de compenser budgétairement la limitation de la publicité n’a pas atteint le niveau escompté ; l’une de ces deux taxes a été jusqu’à récemment dans le collimateur des instances européennes, sceptiques quant à sa légitimité. Cependant, la non-remise en cause de la taxe télécoms n’apporte qu’une garantie très relative quant à la pérennité du financement du secteur. Comme vous le savez, madame la ministre, une dotation budgétaire est, par essence sujette à variations.

Oui, le secteur de l’audiovisuel a été plus que fragilisé par la loi de 2009 ! Les deux textes qui nous sont présentés aujourd’hui par le Gouvernement tendent à répondre aux inquiétudes de l’ensemble des acteurs concernés. L’une des principales mesures est la réattribution au CSA du pouvoir de nomination des trois présidents des sociétés de diffusion publique.

En effet, on ne saurait garantir l’indépendance et l’intégrité de l’audiovisuel public sans une nomination de ses dirigeants par une autorité indépendante du pouvoir politique, conférant une légitimité à la personne ainsi nommée. Comment le pouvoir politique peut-il être à la fois juge, en ayant un pouvoir de nomination et de révocation, et tutelle, en octroyant notamment la ressource publique annuelle à la société d’un dirigeant qu’il nomme ? La question se pose tout particulièrement dans le cas de l’audiovisuel public, où la liberté éditoriale et l’indépendance du média doivent être conciliées avec le double droit de regard de l’exécutif : nomination et tutelle.

D’ailleurs, le CSA a lui-même jugé que son pouvoir de nomination des trois présidents des sociétés de diffusion publique était légitime et renforçait l’indépendance du secteur public de l’audiovisuel, ainsi que la mise en œuvre effective de la liberté de communication.

Du reste, et cela a déjà été souligné par certains intervenants, l’indépendance est également confortée par la réforme du CSA introduite par le texte. Je me réfère ici à l’article 1er A du projet de loi ordinaire, qui transforme le CSA en autorité indépendante dotée de la personnalité morale, et surtout à son article 1er, qui modifie le nombre et le mode de désignation de ses membres.

Pour la première fois, les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat pourront statuer sur la nomination de six des sept membres du CSA.

Mais l’indépendance du secteur public de l’audiovisuel passe également par la pérennisation de son financement. C’est pourquoi le texte acte également le maintien de la publicité en journée sur France Télévisions. Il s’agit ici de renforcer l’indépendance financière de France Télévisions, mais également sa liberté d’action. Cette décision politique contribue à rétablir un véritable service public de l’audiovisuel, indépendant et pluraliste.

Enfin, je souhaite saluer la position adoptée par la commission sur proposition de M. le rapporteur quant à la nomination du président de l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA. Le texte propose en effet que ce dernier soit nommé suivant la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire après avis public des commissions compétentes de chaque assemblée. Ainsi, l’ensemble des nominations des présidents du secteur public de l’audiovisuel sera, ce qui est logique, soumis à l’aval du Parlement.

Il ressort des mesures que j’ai évoquées un renforcement du contrôle du Parlement. Ce contrôle démocratique par les représentants du peuple va de pair avec l’indépendance effective de l’audiovisuel public.

Pour conclure, les dispositions ajoutées par notre rapporteur, que je remercie du travail effectué, et les mesures contenues dans les deux textes sont de nature à renforcer l’indépendance et le pluralisme au sein du secteur public de l’audiovisuel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. « La désignation des responsables des chaînes publiques de télévision et de radio dépendra d’une autorité indépendante et non plus du chef de l’État et du Gouvernement. » Tels étaient les termes de l’engagement 51 du candidat François Hollande ; il nous appartient aujourd’hui de les traduire dans le droit.

La désignation des responsables de l’audiovisuel public par l’exécutif, mesure emblématique de l’ère Sarkozy, a d’emblée été contestée, sept Français sur dix s’y déclarant opposés. Cette seule considération suffit d’ailleurs à rendre une telle disposition inacceptable. En effet, comment envisager un audiovisuel public apprécié, donc performant, dès lors qu’il existe dans l’opinion un doute sérieux quant à son indépendance à l’égard de l’exécutif ?

Au-delà, c’est l’organisation même de la chaîne de télévision ou de la station de radio qui peut pâtir d’un tel défaut de crédibilité. À cet égard, le psychodrame qu’a connu l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, devenu depuis peu France Médias Monde, est révélateur. Tout le monde s’accorde à le dire, la gestion de l’AEF par Alain de Pouzilhac, nommé à la tête de l’entreprise par son ami Nicolas Sarkozy, a été calamiteuse, notamment parce qu’il ne bénéficiait pas de la confiance d’une grande partie de ses salariés.

Au regard de cette funeste expérience, je me réjouis que la réforme mette fin à la pratique qui avait cours voilà cinquante ans, à l’époque où l’ORTF n’était rien d’autre que la « voix de la France ».

Le texte garantit donc l’impartialité et la transparence de procédures de nomination collégiales. Certes, des esprits chagrins regretteront l’impossibilité pour le Parlement de valider les nominations suite à une récente décision du Conseil constitutionnel.

Mais rappelons-nous que le texte prévoit également une réforme d’envergure du CSA, dont la composition bénéficiera dorénavant d’une garantie d’indépendance, ses membres devant voir leur nomination approuvée par une majorité des trois cinquièmes au Parlement. Une telle exigence de majorité spéciale induira ainsi des nominations transpartisanes ou, du moins, consensuelles.

En tant que sénatrice des Français de l’étranger et rapporteur, ces dernières années, des crédits de l’audiovisuel extérieur, je suis particulièrement sensible à l’anticipation législative qui a été effectuée par le Président de la République pour la nomination de Marie-Christine Saragosse à la tête de l’AEF.

M. Yves Pozzo di Borgo. Une nomination politique…

Mme Claudine Lepage. Pour en finir avec les errements du passé et faire repartir ce formidable outil de rayonnement de la France qu’est l’AEF, François Hollande a ainsi confié au CSA le soin d’en désigner le président. Mme Saragosse reconnaît d’ailleurs elle-même qu’une telle procédure a rendu sa position plus confortable. Sa crédibilité auprès des salariés s’en est trouvée renforcée, lui dégageant une plus grande marge de manœuvre. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour saluer le beau travail qu’elle a déjà accompli.

France Médias Monde a retrouvé une cohérence avec un véritable projet, englobant France 24, Radio France internationale, RFI, et Monte Carlo Doualiya. Il nous appartient d’encourager, de stabiliser et de sécuriser les équipes d’une entreprise en renaissance.

À cet égard, je souhaite évoquer la question de la diffusion de tels médias en France, même si j’ai bien conscience que ce n’est pas l’objet principal du projet de loi.

Certes, notre audiovisuel extérieur est un outil de rayonnement de notre langue, de notre culture et de nos valeurs à l’étranger, et d’information de nos communautés expatriées. Mais, comme l’a évoqué sa présidente, il remplit également une mission que l’on pourrait qualifier de « sociétale », en s’adressant, certes, à des auditeurs ou téléspectateurs, mais également à des citoyens.

Par exemple, selon Jean-Luc Hees, président de Radio France, RFI remplit des missions de service public laissées de côté par les médias nationaux.

Il serait donc certainement positif de permettre à tous les habitants de notre pays, et pas seulement à ceux de l’Île-de-France et, exceptionnellement, de Marseille, en tant que « capitale européenne de la culture », de bénéficier de l’expertise particulière de cette radio sur l’Afrique.

De même, au seuil de la campagne pour les élections européennes, alors même que, chacun en conviendra, l’actualité européenne ne passionne malheureusement pas les médias nationaux, n’est-il pas incongru que les personnes résidant en France ne puissent pas bénéficier, à l’instar des Français partout ailleurs dans le monde, d’émissions telles que Accents d’Europe, qui visent à créer un sentiment européen ?

Et que dire de l’incompréhension des parlementaires européens, qui s’étonnent de ne pas pouvoir écouter leurs propres interviews depuis Strasbourg, où ils siègent ?

Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’ouvrir la diffusion de RFI à plusieurs villes de France, notamment Strasbourg ?

Dans le même esprit, envisagez-vous une diffusion pérenne de Monte Carlo Doualiya en France, alors même que l’expérience menée conjointement avec RFI à Marseille doit prendre fin le 31 janvier prochain ?

Cette radio arabophone, créée par la France voilà plus de quarante ans, laïque, universaliste, soucieuse de l’égalité entre les hommes et les femmes offrirait pourtant une solution de remplacement bienvenue aux radios de langue arabe, toutes confessionnelles, qui sont présentes sur notre territoire.

Enfin, madame la ministre, vous aviez évoqué un possible octroi d’une fenêtre sur la télévision numérique terrestre, la TNT, pour France 24. Où en est la réflexion ?

Il me semble d’ailleurs que l’option d’une fenêtre sur France 3 Île-de-France mérite d’être envisagée avec prudence : France 24 n’a pas vocation à être la chaîne d’information de l’intelligentsia parisienne. (Exclamations amusées.) La chaîne doit pouvoir apporter un éclairage différent sur l’actualité à l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter le Gouvernement. Cette réforme répare à la fois un non-sens démocratique et un contresens historique.

M. Jacques Chiron. Elle reprend le fil d’une histoire qui a sans cesse accordé plus d’indépendance aux médias, permettant ainsi la progression du pluralisme, condition fondamentale de notre démocratie.

Je me réjouis des avancées notables sur le CSA, de la nomination de ses membres à l’élargissement de ses compétences. Les deux textes marquent une avancée incontestable, dans le prolongement de nombreuses réformes de gauche qui ont construit depuis trente ans l’indépendance de l’audiovisuel public, comme nous avons construit l’indépendance de la presse ou de la justice. (M. le rapporteur acquiesce.)

Mme Sophie Primas. Quelle prétention !

Mme Colette Mélot. Quel sens de la nuance !