M. Gérard Cornu. Au moins, nous n’étions pas là ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Esther Benbassa. Il y en aura pour tout le monde, mon cher collègue !

Effacées, les trente-cinq propositions pour une diversité en mouvement émises par l’UMP en 2007, et la volonté affichée de promouvoir des candidats de la diversité ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Cornu. Votre temps de parole est épuisé !

Mme Esther Benbassa. Dès 2009, le sociologue Éric Keslassy, dans son rapport pour l’Institut Montaigne, institut de droite,…

M. Éric Doligé. Qu’en savez-vous ?

Mme Esther Benbassa. … suggérait, entre autres, pour remédier à cette situation…

M. Gérard Cornu. C’est fini !

Mme Esther Benbassa. … la suppression du cumul des mandats, à défaut, bien sûr, d’une transposition des dispositions déjà prises dans le domaine de la parité à la représentation de la diversité dans le paysage politique.

En résumé, je voterai pour l’interdiction du cumul, non seulement parce que le groupe EELV le préconise depuis fort longtemps, mais aussi en vertu d’une conviction personnelle profonde et dans l’espoir, même ténu, que ce texte donnera un petit coup de pouce au renouvellement de notre représentation politique.

Encore faudra-t-il, d’une part, un peu plus de transparence et de volontarisme au sein des partis politiques lors des désignations et dans les jeux des réseaux et, d’autre part, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Il faudra encore – et surtout – un changement des mentalités des politiciens et l’élaboration d’un statut de l’élu. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de saluer les propos tenus à la fois par notre collègue Philippe Bas, dont je loue la rigueur et la clarté de la démonstration juridique, par le président Zocchetto, qui a parfaitement décrit les conditions d’examen du texte et ses conséquences, et par le président Mézard, qui a su exprimer très haut l’attachement d’une très large majorité du Sénat, par-delà les clivages politiques, à un équilibre législatif et institutionnel, fondement même de la Ve République.

Je voudrais aborder la question qui nous est soumise sous l’angle du bon fonctionnement de nos institutions, car, au fond, c’est cela qui compte.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Gérard Larcher. Avant d’atteindre notre hémicycle, les débats politiques et médiatiques ne m’ont pas semblé avoir toujours été à la hauteur des enjeux, mélangeant populisme, amalgames et stigmatisations. Monsieur le ministre, j’ai éprouvé une certaine peine en vous entendant parler de votre respect pour le débat que nous allions avoir ces jours-ci, au Sénat.

À l’écoute de ces différents points de vue, nous aurions pu finir par oublier de nous poser les vraies questions. Selon moi, deux sont essentielles. Tout d’abord, le non-cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction élective locale améliorera-t-il l’exercice de l’un et de l’autre de ces mandats ? Ensuite, quelles conséquences pourrait avoir le non-cumul des mandats sur le fonctionnement des institutions, notamment de la Haute Assemblée ?

Monsieur le ministre, je prends acte de vos propos liminaires. Je constate également que la stigmatisation des élus et la flatterie des penchants antiparlementaires d’une certaine opinion publique ont accompagné ce débat. J’ai horreur du mot « cumulard », qui rime avec « charognard » !

M. Jacques Mézard. Moi aussi !

M. Gérard Larcher. Cette présentation, elle est indigne, et je me permets de le répéter ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Éric Doligé. Absolument !

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Gérard Larcher. J’ai vu des classements baroques, dans lesquels on mélange tout : mandat, fonction, indemnité.

M. Bruno Retailleau. Et on se trompe !

M. Gérard Larcher. On peut légitimement s’interroger sur ce point, quand on passe au crible de l’analyse les arguments affichés pour justifier la réforme.

Au fond, qui, parmi nous, est réellement convaincu qu’un tel interdit va permettre d’améliorer le travail des élus, les obligeant à se consacrer à un mandat unique ? J’ai pu le constater pendant des années en tant que vice-président et président du Sénat, mais aussi en tant que président de commission, les plus assidus au Parlement sont souvent ceux qui ont de vraies responsabilités locales. (M. Jean-Claude Lenoir applaudit.)

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

M. Gérard Larcher. Voilà qui fait vaciller l’argumentation !

La vraie question, mes chers collègues, est celle dont nous avions débattu à l’époque avec Henri de Raincourt : le problème ne vient-il pas de l’accumulation des textes que nous devons examiner et de l’organisation même de nos débats, en commission comme en séance, qui, souvent, ont peu d’intérêt, parce que nous n’allons pas à l’essentiel ?

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Si !

M. Bruno Retailleau. Il y a trop de lois !

M. Gérard Larcher. Voilà la vraie question à se poser, quand on parle de présentéisme !

À cet égard, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas conduit une réflexion sur le cumul des fonctions, dont on sait qu’elles peuvent parfois être plus chronophages que des mandats ?

M. Gérard Larcher. Pourquoi, au fond, ne pas interdire toute activité professionnelle aux parlementaires ?

M. Bruno Retailleau. Bien sûr !

M. Gérard Larcher. C’était, d’ailleurs, l’une des conclusions du rapport Jospin. Cette proposition est révélatrice de la conception de l’élu qui inspire le projet de loi organique. Ce texte, au fond, nous annonce des spécialistes de la représentation quadrillée, des bureaucrates du mandat, dont les partis, bien plus que les électeurs, guideraient les pas. (M. Bruno Retailleau applaudit.)

Plus immédiatement, en fragilisant la force politique que procure l’exercice simultané d’un mandat exécutif local et d’un mandat parlementaire, ce texte va contribuer à écarter encore plus de la vie publique ceux qui ne bénéficient pas de la protection d’un emploi garanti, comme les fonctionnaires ou assimilés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Gérard Cornu. Très bien !

M. Gérard Larcher. Contrairement à ce que disait Mme Benbassa, qui a malheureusement quitté l’hémicycle, ce n’est pas comme cela que l’on va construire la diversité.

Les fonctionnaires ou assimilés, qui constituent un quart de la population active, représentent 55 % des députés !

Travailler à la diversité, c’est permettre à des ouvriers, à des chefs d’entreprise, à des fonctionnaires, à toutes les professions, en somme, d’être présents dans nos assemblées…

M. Gérard Larcher. … car nous représentons les territoires et la Nation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

En outre, au-delà de ses vices de conception, la réforme proposée entraînera un effet majeur, qui ne me paraît pas pouvoir être accepté. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez dit le contraire, mais l’adoption de ce texte créera des députés et des sénateurs qui, progressivement, deviendront des parlementaires « hors-sol ».

M. Antoine Lefèvre. Il y en a déjà !

M. Gérard Larcher. De fait, l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sera déplacé.

Ne nous leurrons donc pas ! Le projet de loi organique annonce une perte vertigineuse d’influence de nos territoires sur les décisions nationales.

En dépit de la proclamation constitutionnelle, notre République « décentralisée » reste centralisée et, pour moi, c’est positif. L’interdiction concrète d’être parlementaire faite aux maires, aux maires adjoints, aux présidents et aux vice-présidents de conseil général ou régional, aux présidents et aux vice-présidents de syndicats intercommunaux à vocation unique que décrivait Hervé Maurey et qui font partie de la vie quotidienne de notre territoire, va entraver leur capacité à se faire entendre, à faire émerger les dossiers locaux les plus prioritaires.

Pour le Parlement, la logique de la réforme ne devrait-elle pas, d’ailleurs, entraîner une contraction des effectifs ? Pour le Sénat, la dichotomie instituée porte directement atteinte à son rôle constitutionnel de représentant des collectivités territoriales.

Comment les sénateurs pourront-ils amender, c’est-à-dire améliorer, les lois pour les rendre mieux applicables dans les territoires ? Vous le voyez bien, mes chers collègues, de nombreux textes soumis à notre examen sont déjà déconnectés de la réalité des territoires ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Mais il y aura également des conséquences plus insidieuses. Quelle sera la force de la légitimité spécifique d’un sénateur pour représenter les collectivités territoriales, dès lors qu’il ne pourra pas lui-même assumer un exécutif local ? Comment un sénateur pourra-t-il prétendre assurer son rôle constitutionnel et représenter les élus et les collectivités de son département, si, tout comme à un député, il lui est interdit l’exercice des fonctions exécutives locales ? (M. Michel Vergoz s’exclame.) Je rappelle l’avancée constitutionnelle souhaitée par le président Jacques Chirac, qui avait voulu donner la priorité au Sénat pour l’examen des textes qui concernent les collectivités locales. Cette volonté avait un sens : elle résultait de l’expérience et du regard spécifique des sénateurs. (MM. Yves Détraigne et Jacques Mézard marquent leur approbation.)

M. Gérard Cornu. Très bien !

M. Gérard Larcher. Des députés seront un jour fondés à dire que le Sénat n’a pas plus de légitimité que l’Assemblée nationale à représenter les territoires.

M. Michel Vergoz. Arrêtez !

M. Gérard Larcher. N’oublions pas que cette réforme est couplée à une modification délibérée du collège électoral sénatorial visant à affaiblir le poids des territoires pauvres démographiquement, notamment les territoires ruraux.

M. Gérard Larcher. N’oublions pas, non plus, l’augmentation continue de la part des sénateurs élus à la proportionnelle. En 2017, les trois quarts d’entre nous seront élus de cette manière, ce qui renforcera encore l’influence des partis dans le scrutin, au détriment de celle des élus du territoire.

M. Jean-Claude Lenoir. Des apparatchiks !

M. Gaëtan Gorce. De quel parti êtes-vous, monsieur Lenoir ?

M. Gérard Larcher. Telle est la réalité : une transformation profonde de notre assemblée et de sa mission.

M. Gérard Larcher. Tout cela relève, à mon sens, d’un travail de sape délibéré de la Haute Assemblée. Un tel affaiblissement eut sans doute pu être évité si des aménagements à l’interdiction de cumul avaient été introduits – peut-être le seront-ils ? – pour les sénateurs dans le dispositif. J’ai entendu les propos tenus à ce sujet voilà un instant par François Rebsamen.

Mes chers collègues, c’est bien l’avenir de notre institution qui est en cause.

M. Gérard Larcher. Cet affaiblissement programmé de notre assemblée et de la représentation des territoires n’ouvre-t-il pas inéluctablement la voie à un abandon des politiques d’équilibre territorial, garanties par les mécanismes institutionnels que l’on nous propose de bouleverser ?

Au fond, mes chers collègues, au-delà de la question du cumul, c’est bien de nos institutions qu’il s’agit cet après-midi. Notre débat ne porte sur rien d’autre que sur la place, le rôle et la spécificité du Sénat. Tout cela mérite vraiment autre chose qu’un examen expéditif en commission et un débat qui se tient dans l’urgence.

Je vous en conjure, mes chers collègues, gardons-nous de ne plus croire en nous-mêmes, en l’importance de nos débats en commission et en séance, et dans le dialogue avec l’Assemblée nationale.

Oui, je vous en conjure, dans les heures qui viennent, il sera important de croire au Sénat de la République. Et c’est de cela dont nous débattrons ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer le travail du rapporteur Simon Sutour,…

M. Éric Doligé. C’est du travail de nuit !

M. Yannick Vaugrenard. … sa sérénité, qui ne devait pas toujours être chose aisée, son investissement et sa volonté de tenir une ligne politique claire. Le présent projet de loi organique est important pour nous-mêmes comme pour nos concitoyens ; il appelle des prises de position courageuses.

Parmi les engagements pris par François Hollande devant les Français durant la campagne présidentielle, figure celui qui est relatif au cumul des mandats. Il nous revient aujourd’hui de le tenir.

M. Christian Cambon. Qu’il tienne déjà les autres !

M. Yannick Vaugrenard. La proposition du candidat se voulait un ferment de la modernisation de notre vie démocratique. Elle le demeure, et elle a probablement contribué à susciter le mouvement d’espoir qui a permis l’alternance politique.

Respecter aujourd’hui cette prise de position, c’est, d’une certaine manière, conforter le suffrage universel. Nous devons prendre en compte le résultat du scrutin et honorer les promesses qui y ont concouru, particulièrement lorsque l’on sait que la majorité des Français y est favorable.

Mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, personne ne doit être mis à l’index.

Mme Hélène Lipietz. Tout à fait !

M. Yannick Vaugrenard. Je regrette les attaques ad hominem lancées par Jacques Mézard dans son intervention. Je pense qu’elles n’étaient pas indispensables, voire qu’elles n’étaient pas utiles à sa démonstration. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Il n’existe pas de bons sénateurs, qui seraient favorables à la réforme, et de mauvais sénateurs, qui y seraient hostiles. (M. Francis Delattre s’exclame.) Essayons simplement de voir quel est le meilleur chemin à emprunter vers une plus grande efficacité démocratique.

Ces derniers temps, il a beaucoup été question du déclin du politique. Son impuissance, ressentie par nos concitoyens, suscite, nous le savons tous, une dangereuse désaffection, que nous constatons, malheureusement, scrutin après scrutin. Au-delà du contexte économique et social, elle est aussi entretenue par la difficulté des élus à prendre des décisions dans un environnement dont la complexité croît à une vitesse vertigineuse, alors même qu’ils sont dotés de responsabilités nouvelles, du fait des lois de décentralisation.

L’afflux de normes et de textes législatifs nécessite des connaissances plus variées et plus approfondies. Au bout du compte, la fonction de maire aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était voilà encore trente ans.

De ce fait, notre fonctionnement démocratique est confronté à un autre risque, celui de voir les administrations ou technostructures diverses prendre le pas sur les représentants du suffrage universel. Ce risque est bien réel, quand l’exercice de multiples responsabilités, présidences et vice-présidences diverses, se couple avec celui d’un exécutif local et du travail parlementaire. Dans notre pays, nous avons la chance de disposer d’une administration de l’État et des collectivités territoriales très compétente, soucieuse de l’intérêt général. Mais elle doit rester ce qu’elle est – et c’est déjà beaucoup –, un outil d’aide à la décision ; rien de moins, rien de plus.

Nos responsabilités électives comme la manière de les exercer ont donc évolué. Il est demandé plus de temps, plus de connaissances, parfois spécialisées, pour être mieux à même de juger, d’apprécier, de choisir, de décider et pour nous, parlementaires, de légiférer.

C’est aussi la raison pour laquelle notre démocratie doit évoluer. Et c’est le sens de la réforme proposée par le Gouvernement.

Rappelons que le cumul des mandats est une spécificité bien française. Le phénomène est marginal chez nos voisins européens. Alors que près de 80 % des parlementaires français ont un mandat local, c’est le cas de seulement 24 % des parlementaires allemands, de 20 % des espagnols, de 13 % des italiens, de 6 % des hollandais, et de 3 % des britanniques. Je ne suis pas persuadé que cette particularité soit le gage d’une plus grande disponibilité démocratique.

Aller vers une limitation du cumul des mandats, c’est plutôt, me semble-t-il, aller dans le sens de l’Histoire.

Mme Corinne Bouchoux. Très bien !

M. Yannick Vaugrenard. Jusqu’en 1985, il n’existait aucune limite. C’est le gouvernement Fabius, en cohérence avec la mise en œuvre de la décentralisation, qui imposa une première série de restrictions, mettant fin aux cumuls les plus notoires. C’est le dispositif adopté en 2000, sous le gouvernement Jospin, qui limita le cumul entre deux fonctions parlementaires, ainsi qu’entre trois fonctions électives locales. Nous sommes partis de très loin ; aujourd’hui, il nous est proposé de franchir une nouvelle étape indispensable.

Mes chers collègues, nous n’avons pas systématiquement vocation à perpétuer les traditions. Nous devons plutôt, lorsque c’est utile, tenter de rompre avec elles. Je pense, au regard des nécessités de notre temps, que voter le présent projet de loi organique, c’est renforcer le Sénat, et non l’affaiblir, c’est améliorer son image, et non la ternir.

Mme Hélène Lipietz et M. Claude Dilain. Exact !

M. Yannick Vaugrenard. La défense du bicamérisme, lequel est absolument indispensable à notre vie démocratique, n’est pas la défense du conservatisme. Pour le faire vivre, il nous faut le réformer, le moderniser, ce qui implique parfois une modification de nos méthodes de travail parlementaire. C’est le gage d’une plus grande efficacité, dans un monde qui exige des adaptations de plus en plus rapides.

Au-delà du projet de loi organique, c’est cette belle ambition qui doit guider nos choix présents et à venir. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

(M. Charles Guené remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà longtemps que j’ai quitté Sciences Po, mais, si j’en crois mes souvenirs, confirmés par les interventions de certains orateurs, la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».

Je vous le demande, mes chers collègues, comment le Sénat pourra-t-il encore représenter les collectivités territoriales si l’on interdit aux élus qui sont à leur tête d’y siéger ? Certes, les élus locaux, qui composent l’essentiel du corps électoral pour les élections sénatoriales, pourront toujours élire de simples conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Mais en quoi ces élus, qui participent aux délibérations des assemblées locales mais ne sont pas au cœur des problématiques de mise en œuvre sur le terrain de la loi et des normes, pourront-ils porter au Parlement la voix spécifique des collectivités ?

Je vous laisse imaginer où nous en serions sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, que la commission des lois étudie actuellement en vue de la deuxième lecture, si le texte n’était examiné que par de simples conseillers municipaux. Aurions-nous pu effectuer le travail très important qui a été mené par notre rapporteur René Vandierendonck si nous ne disposions pas de l’expérience de gestion des collectivités territoriales qui est la nôtre ? Certainement pas ! Nous aurions abouti à un monstre technocratique !

Avez-vous déjà vu l’un de nos concitoyens, confronté à un problème dans sa commune, demander un rendez-vous à un simple conseiller plutôt qu’au maire ou à l’adjoint ayant la délégation dans le domaine concerné ? Bien sûr que non !

M. le ministre nous a déclaré voilà quinze jours, avec – il faut bien le dire – le zèle du repenti, que les Français voulaient « des maires à plein temps et des parlementaires à plein temps ». Dont acte !

Mais alors pourquoi les grands électeurs s’obstinent-ils dans bien des cas à donner la préférence au maire ou au président de conseil général candidats aux élections sénatoriales plutôt qu’au simple conseiller municipal ou départemental et, a fortiori, au candidat ne détenant aucun mandat électif ? Parce que les premiers sont naturellement mieux connus ? Sûrement ! Mais tout aussi sûrement parce que les électeurs, qui sont souvent bien éloignés des combines et calculs politiques auxquels on assiste parfois – mais bien évidemment pas avec ce texte… (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) –, ont tout simplement du bon sens. Ils considèrent comme une évidence que le « Grand Conseil des communes de France », pour reprendre l’expression de Gambetta, accueille les responsables des collectivités territoriales.

On nous rétorque qu’il est très difficile, voire impossible, d’assumer pleinement à la fois son mandat de maire et son mandat de parlementaire. Et l’on trouve des exemples qui semblent le démontrer. Mais il y en a autant, sinon plus, qui prouvent exactement le contraire.

Loin de moi l’idée de vouloir personnaliser le débat, mais, à en croire l’étude que L’Express a publiée fort à propos la semaine dernière, notre rapporteur représente un « modèle de non-cumul », puisqu’il n’exerce aucun mandat autre que celui de sénateur.

Quelle chance pour le Gouvernement que ce soit lui qui ait été désigné rapporteur de ce texte : voilà bien le premier projet de loi d’une telle importance au sujet duquel le rapporteur ne propose aucune modification par rapport au texte initial ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Et quelle diligence dans l’instruction du projet : auditions du ministre et de quelques constitutionnalistes le mardi après-midi et présentation du rapport bouclé dès le lendemain matin à la commission compétente ! Le rapporteur a effectivement fait en toute indépendance un travail sans comparaison avec ce qu’aurait fait un sénateur cumulard, qui, lui, a besoin de dormir la nuit entre le mardi et le mercredi ! (Mêmes mouvements.)

Quelques jours de travail suivis d’une procédure d’examen accélérée devant le Parlement, et le tour est joué : plus de sénateur-maire ou de député-maire !

Cherchez l’erreur : quelle sera la valeur ajoutée du Sénat si les sénateurs perdent leurs spécificités et ne sont plus adossés à ce qui leur donne aujourd’hui toute leur légitimité, c’est-à-dire l’exercice d’un mandat local, tout spécialement, dans un exécutif !

Certes, monsieur le ministre, vous nous faites remarquer que le sénateur-maire et le député-maire sont des spécificités françaises et qu’il faut désormais « aller dans le sens de l’Histoire » et « participer à ce beau mouvement de modernisation et de changement » que vous nous proposez. Dont acte !

Mais, et je le rappelle à l’orateur précédent, il existe une grande différence entre l’organisation politique et administrative de la France et celle des pays voisins : en France, tout ou presque procède de décisions centralisées prises à Paris, contrairement à ce qui se passe en Allemagne avec les Länder ou en Espagne avec les communautés autonomes. La plupart des démocraties occidentales ont une organisation qui laisse la part belle aux échelons locaux et fait de leurs élus les contrepoids nécessaires à la toute-puissance du pouvoir central.

Allez donc demander aux présidents de conseil départemental quelle est aujourd'hui leur marge d’autonomie quand ils n’ont même plus les moyens de financer les dépenses obligatoires que leur impose l’État !

Et qu’en sera-t-il demain, une fois le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles voté et le Haut Conseil des territoires institué ? Présidée par le Premier ministre, cette instance aura pour mission – cela figure dans le texte – d’assurer la concertation entre l’État et les collectivités territoriales. Le Sénat apparaîtra alors comme inutile, voire redondant. La boucle sera bouclée : le Gouvernement aura dès lors tous les pouvoirs avec sa majorité politique à l’Assemblée nationale, et le Sénat n’aura plus lieu d’être. Les collectivités territoriales seront représentées ailleurs, au sein du nouvel organe, par quelques notables locaux désignés dans les conditions fixées par un décret gouvernemental.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Yves Détraigne. Et qu’en sera-t-il des incompatibilités horizontales, auxquelles on ne touche pas ? Le maire d’une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants pourra toujours présider sa communauté urbaine, alors que l’adjoint au maire d’une commune de cent cinquante habitants – je n’ose pas parler d’une commune de neuf habitants, comme la plus petite commune de la Marne – ne pourra pas être en même temps sénateur, trop occupé qu’il sera par l’exercice de son mandat local… Mais de qui se moque-t-on ?

M. Éric Doligé. Des électeurs !

M. Yves Détraigne. À qui veut-on faire croire cela ?

Certes, cela permettra de renouveler plus qu’aujourd’hui le personnel politique ; de ce point de vue, c’est certainement un progrès. C’est pourquoi il ne s’agit pas pour nous de dire : « Tout va très bien ; circulez, il n’y a rien à voir ! » Il faut effectivement tenir compte de la charge de travail croissante que représente pour nombre d’élus l’exercice de leur mandat. Nous devons aussi mieux nous préoccuper du renouvellement du personnel politique – je reprends une expression que l’on entend parfois –, y compris des sénateurs.

Plusieurs amendements seront donc proposés en vue de moderniser le Sénat, et non de supprimer ses spécificités, comme le voudraient les auteurs du présent projet de loi organique, démarche qui aboutirait à court ou à moyen terme à la disparition pure et simple de la Haute Assemblée et à l’extinction de la voix spécifique des collectivités territoriales au Parlement.

Nous ne pouvons pas l’accepter, sauf à vouloir rompre l’équilibre de nos institutions et aggraver la soumission du Parlement au Gouvernement. Or, précisément, cela, nous n’en voulons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où j’interviens, beaucoup a déjà été dit, d’ailleurs brillamment, notamment par Jacques Mézard, Philippe Bas ou Gérard Larcher.

Nos collègues ont exposé les arguments qui nous conduisent à contester votre réforme, monsieur le ministre. Mais ce que j’ai trouvé le plus indélicat, pour ne pas dire pire, c’est la manière dont vous avez traité l’institution sénatoriale à cette tribune alors que vous représentez à ce banc le Gouvernement ! Je me permets simplement de reprendre les mots qui ont été les vôtres : « Le mouvement a été amorcé par l’Assemblée nationale qui, en première lecture, […] a nettement adopté ce texte par 300 voix. Ce mouvement est inéluctable. »