M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…

La discussion générale commune est close.

projet de loi

 
 
 

M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

TITRE Ier

Dispositions renforçant la poursuite et la rÉpression des infractions en matiÈre de dÉlinquance Économique, financiÈre et fiscale

Chapitre Ier

Atteintes à la probité

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Article additionnel après l’article 1er

Article 1er

(Non modifié)

I. – Après l’article 2-21 du code de procédure pénale, il est inséré un article 2-22 ainsi rédigé :

« Art. 2-22. – Toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions suivantes :

« 1° Les infractions traduisant un manquement au devoir de probité réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du code pénal ;

« 2° Les infractions de corruption et trafic d’influence, réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à 445-2-1 du même code ;

« 3° Les infractions de recel ou de blanchiment, réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2° du présent article ;

« 4° Les infractions réprimées aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral.

« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions dans lesquelles les associations mentionnées au premier alinéa du présent article peuvent être agréées. »

II. – L’article 435-6 du code pénal est abrogé et la sous-section 3 de la section 2 du chapitre V du titre III du livre IV du même code est supprimée.

III. – (Suppression maintenue)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.

Mme Cécile Cukierman. Au travers de l’article 1er, je souhaite revenir sur le travail que nous avons réalisé durant ces dernières semaines. Se sont succédé, pour être débattues ici, des réformes plus ou moins ambitieuses en matière de probité de la vie publique, notamment les projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique et ceux qui portent, aujourd’hui, sur la lutte contre la délinquance économique et financière. Certes, ces réformes étaient plus ou moins ambitieuses, mais l’essentiel n’est-il pas d’avancer dans le bon sens, quand d’autres se seraient endormis sur leurs lauriers ?

Le rejet systématique par nos collègues de droite et un peu au-delà des textes proposés démontre bien l’inertie qui les caractérise lorsqu’il s’agit de lutter contre l’une des délinquances les plus importantes : la délinquance économique et financière.

Madame la garde des sceaux, vous en êtes pleinement consciente, ces réformes rendent nécessaire l’adoption du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.), afin que soit garantie l’indépendance de la justice, y compris pour ce qui concerne les atteintes à la probité que nous allons définir dans le chapitre Ier du présent texte.

Pourtant, même de cette indépendance, le Sénat n’en a pas voulu, alors que celle-ci est nécessaire à la bonne application des textes précités et, au-delà, de l’ensemble de notre corpus législatif.

Mes chers collègues, l’édiction des plus beaux principes, ou, plus modestement, le renforcement des dispositions pénales relatives à la fraude fiscale que nous allons examiner dans quelques instants, n’est utile que si le magistrat chargé de mettre en mouvement la justice bénéficie d’une légitimité inébranlable et d’une indépendance incontestable. Entendons-nous bien, indépendance ne veut pas dire, je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, absence de collaboration entre les différents pouvoirs.

C’est peut-être d’ailleurs la perspective d’une coopération renforcée entre la justice et l’administration fiscale par la mise en place d’un procureur de la République financier à compétence nationale qui fait peur à ceux qui, dans cette enceinte, rejettent cette mise en place. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) Nous voudrions nous en distinguer, car, même si nous avons quelques interrogations, nous pourrons soutenir la création de ce procureur financier.

Mes chers collègues, craignez-vous que cette coopération renforcée, que cette complémentarité entre les services fiscaux et judicaires, soit trop efficace ? Pour notre part, nous ne le pensons pas.

Les amendements l’attestent, dans un contexte où les tribunaux sont sous-équipés, une instance nationale dotée de plus de moyens que les autres peut agacer.

Pour notre part, nous estimons que la lutte contre les atteintes aux objectifs constitutionnels de justice fiscale nécessite des outils juridiques appropriés et des dispositifs d’investigation renforcés. Il est indispensable de rétablir le rôle central de la justice pénale en matière de fraude fiscale. Si la mise en place d’un procureur de la République financier à compétence nationale peut y contribuer, nous ne nous y opposerons pas.

D’un point de vue organisationnel et dans un souci d’efficacité, la mise en place de ce procureur répond à plusieurs préoccupations. L’objectif visé est d’améliorer le traitement des infractions présentant un haut degré de complexité de par leur caractère dissimulé, nous le verrons dans le cadre des articles suivants. Il est aussi de faire le lien entre différents faits, parfois connexes, qui peuvent avoir été commis en plusieurs lieux sur le territoire national et, souvent, au niveau international.

Pour ce faire, le procureur de la République financier sera doté d’une compétence concurrente à celles des juridictions financières existantes et bénéficiera d’une autonomie au sein du tribunal de grande instance de Paris, ainsi que de moyens renforcés, qui, je l’espère, madame la garde des sceaux, seront suffisants.

Pourtant, je tiens à le souligner, une chose lui manque pour le moment, et j’espère être rassurée sur ce point – vous l’avez partiellement fait, madame la garde des sceaux – : sa totale indépendance.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature est pour le moment repoussée, ce qui, je ne vous le cache pas, soulève quelques interrogations concernant la mise en place de ce procureur à compétence nationale et renforcée, dont le mode de nomination est de la plus haute importance pour l’application effective des différentes dispositions que nous allons adopter. Mais après tout, il ne disposera pas plus ni moins que les autres d’une meilleure garantie d’indépendance.

Quelles sont les intentions prochaines du Gouvernement ? Après l’adoption de ce texte, attendrez-vous l’adoption définitive du projet de loi réformant le Conseil supérieur de la magistrature pour nommer le premier procureur de la République financier ? Je pose la question maintenant car je suppose que vous y répondrez dans le cadre de l’examen des amendements.

Il me semble important que nous puissions en débattre, car un certain nombre d’amendements, notamment concernant les procédures pénales et l’adaptation de cette disposition dans un certain nombre d’autres codes, découlent forcément de l’application de la mise en place, si elle était adoptée par le Sénat ou, en dernier ressort, par l'Assemblée nationale, du procureur de la République financier, et des pouvoirs de contrôle qui lui seront alors dévolus.

M. le président. L'amendement n° 28, présenté par MM. Hyest, Pillet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Cet article est une curiosité dans notre droit. Mais on innove ! De toute façon, on ne tient plus compte de rien.

Actuellement, l’action publique est engagée par le ministère public. On n’a pas privatisé jusqu’à présent, avec tous les problèmes de manipulation qui peuvent en découler, l’action publique pour ce qui concerne les crimes et délits relatifs à des faits portant atteinte à la probité, pour faits de corruption, de blanchiment ou autres. Je rappelle que les élus locaux, et donc les maires, sont concernés.

Je vous rends attentifs au fait que vingt et une catégories d’associations – visées aux articles 2–1 à 2–21 du code de procédure pénale – sont autorisées à se porter partie civile. Mais elles peuvent le faire parce qu’il y a, dans tous les cas, des victimes ou des intérêts en jeu, comme ceux de la Résistance ou des anciens combattants. Aucune association entendant lutter contre la corruption ne s’est jamais, j’y insiste – on s’y est déjà opposé ! –, substituée à l’action publique. C’est complètement fou !

D’ailleurs, s’agissant des associations de lutte contre la toxicomanie, on a pris la précaution de préciser qu’elles ne pouvaient se porter partie civile que si le ministère public avait engagé une action. Or là, on ne prend même pas cette précaution.

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur toutes les manipulations de ces associations. On m’objecte que celles-ci seront agréées. Mais certaines voudront faire croire à une corruption généralisée. À la moindre occasion, avec toutes les conséquences que cela aura dans les médias, pour l’opinion publique, le mal sera fait, vous le verrez bien, même si les personnes incriminées sont blanchies.

Madame la garde des sceaux, vous ne vouliez plus donner d’instructions au parquet. Eh bien, ce seront ces associations qui en donneront, car instruction il y aura forcément ! Franchement, c’est ri-di-cu-le ! Et c’est dangereux…

M. Michel Mercier. Oui, dangereux !

M. Jean-Jacques Hyest. … pour l’équilibre de notre droit.

Je n’ai pas l’habitude de tenir de tels propos, mais là je vous assure que les dispositions proposées sont extrêmement graves. Dans notre société, on ne se rend plus compte des dégâts que l’on est en train de causer : on détruit progressivement tout ce qui fait la qualité de notre droit.

C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet article. (M. François Pillet applaudit.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Au préalable, je tiens à saluer la passion avec laquelle notre collègue Jean-Jacques Hyest s’est exprimé.

M. Jean-Jacques Hyest. Parce que c’est grave !

M. Alain Anziani, rapporteur. L’amendement vise, dans son objet, la fraude fiscale.

M. Jean-Jacques Hyest. Pas seulement !

M. Alain Anziani, rapporteur. Comme je vous l’ai dit ce matin, l’objet de cet amendement précise qu’il appartient au ministère public d’engager les poursuites en matière de fraude fiscale. Or l’article 1er ne vise pas la fraude fiscale.

M. Alain Anziani, rapporteur. Il vise d’autres délits, tels que la corruption, les atteintes à la probité.

M. Jean-Jacques Hyest. Cela ne change rien au fond !

M. Alain Anziani, rapporteur. Je tenais simplement à dissiper ce malentendu.

Sur le fond, le texte n’invente rien.

M. Jean-Jacques Hyest. Comment cela ?

M. Alain Anziani, rapporteur. Aujourd’hui, des associations peuvent déjà se constituer partie civile dans un certain nombre de domaines.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas pareil !

M. Alain Anziani, rapporteur. Vous en avez évoqué un, mais je pourrais tout autant citer le domaine de l’environnement, de la protection contre les incendies ou encore des discriminations.

Je comprends vos inquiétudes, mon cher collègue, mais n’oublions pas que, dès le texte initial, la constitution de partie civile a été encadrée (M. Jean-Jacques Hyest est dubitatif.) : l’association devra être déclarée depuis cinq ans au moins et elle devra justifier d’un agrément de l’État. On le voit bien, n’importe quelle association ne pourra pas engager de poursuites.

Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. (M. Gérard Longuet s’exclame.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement a également émis un avis défavorable sur cet amendement.

Je comprends tout à fait vos propos, monsieur Hyest, mais vous ne pouvez pas dire que les associations vont donner des instructions individuelles. Elles pourront se constituer partie civile.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est encore pire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous rappelle qu’elles doivent remplir un certain nombre de conditions : leur objet social doit être clairement de lutter contre la corruption ; elles doivent avoir cinq ans d’existence au moment où elles se constituent partie civile ; elles sont agréées…

M. Gérard Longuet. Vous privatisez le parquet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, et vous le savez parfaitement, monsieur Longuet !

M. Gérard Longuet. Vous êtes contre les privatisations, sauf pour le parquet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, concernant d’autres contentieux, des associations, dans des conditions à peu près identiques en termes d’agrément, de durée d’existence et d’objet statutaire, se constituent déjà partie civile. (M. Gérard Longuet s’exclame.)

D’ailleurs, des dispositions visant à lutter contre les actions abusives sont prévues. Le juge, dès la procédure, pourra prononcer un certain nombre de sanctions.

On peut évidemment sous-estimer le mal que représente la perte de confiance de la société dans ses institutions,…

M. Gérard Longuet. Ce sont les associations qui alimentent la crise de confiance !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … fragilisées par la corruption, la fraude fiscale, les infractions liées au favoritisme, au détournement de biens publics, aux conflits d’intérêts, et considérer que les choses peuvent continuer ainsi. Mais, je l’ai dit précédemment, la société civile doit pouvoir agir dans la société,…

M. Gérard Longuet. La société civile, c’est le Parlement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … encadrée par le droit, et c’est ce que nous sommes en train de faire.

Il n’y a pas de comparaison possible entre le fait que le garde des sceaux pouvait donner – il le peut encore d’ailleurs ! – des instructions individuelles, en vertu de l’article 30 du code de procédure pénale, ce que nous renonçons à faire, nous rendons impossibles ces instructions individuelles, et le fait que des associations puissent se constituer partie civile.

Aussi, je maintiens l’avis défavorable du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.

M. François Pillet. J’abonde dans le sens de mon collègue Jean-Jacques Hyest. Je veux ajouter un élément qui me paraît être une curiosité du texte tel qu’on veut nous le faire adopter.

Si le texte est voté dans la rédaction qui semble être soutenue par le Gouvernement, le procureur de la République financier se trouvera, en matière de fraude fiscale, incapable juridiquement d’engager une procédure. Voilà un magistrat de l’ordre judiciaire auquel on refuse tout un pan des poursuites pénales dont on dit qu’elles sont parfaitement légitimes pour assurer ne serait-ce que l’équilibre sociologique face à la pieuvre – c’est le terme qui a été employé – qu’est la fraude fiscale.

Parallèlement, alors que l’on dépouille un magistrat de l’ordre judiciaire de la possibilité de décider d’une poursuite fondamentale, on accorde à des associations la possibilité de déclencher l’action publique.

Tel que l’article est rédigé, sauf erreur de ma part, cette association pourra déposer une plainte ; si celle-ci est classée sans suite, elle pourra saisir le juge d’instruction, qui lancera alors une procédure. Cette association aura ainsi pris la place d’un magistrat de l’ordre judiciaire.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. François Pillet. Je le dis très clairement, en reprenant absolument les termes employés ce matin en commission par notre collègue Alain Richard, nous sommes en train de privatiser la justice pénale.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

M. Gérard Longuet. Parfaitement !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Je dois dire que cette disposition m’interpelle, car elle pose de véritables problèmes.

La constitution de partie civile par des associations n’est pas une nouveauté, et ce n’est d’ailleurs pas ce qui est dit. Simplement, dans une matière qui concerne fondamentalement la défense des intérêts de l’État, il est indispensable, nous le savons tous, et j’y insiste – c’est pour cette raison que je soutiens ici la position de la commission des finances et du ministère des finances –, qu’il revienne à l’État de déclencher les poursuites.

Vous allez loin, je vous l’ai déjà dit.

Madame la garde des sceaux, je vous fais confiance, mais imaginez que d’autres, demain, soient au pouvoir, qui n’aient pas votre attachement pour la liberté… Avec tout ce que vous êtes en train de nous construire, ils n’auront pas besoin de mettre en place de nouveaux textes !

Il nous faut être extrêmement vigilants, quant à notre organisation institutionnelle et quant à notre organisation judiciaire. On peut multiplier les grandes déclarations et les messages à l’opinion publique – car c’est cela, votre priorité ! – mais reste le fond, et là, je ne peux pas accepter, comme je le lis dans le rapport, que la constitution de partie civile de ces associations puisse porter sur des infractions telles que le manquement au devoir de probité : concussion, corruption passive et trafic d’influence ; sur des infractions de corruption et trafic d’influence : corruption active et trafic d’influence, corruption ou trafic d’influence impliquant un agent public ; sur des infractions de recel ou de blanchiment du produit, des revenus ou des choses provenant des infractions précitées ; et enfin, et je vous cite toujours, monsieur le rapporteur, sur des « délits d’influence illicite sur les votes lors des élections législatives, cantonales et municipales. » (Vives exclamations sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Nathalie Goulet. C’est franchement incroyable !

M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Alors, continuez comme ça ! Je trouve vraiment qu’après tous les discours que je vous ai entendu prononcer ces dernières années, nous sommes sur une mauvaise pente, et c’est très grave.

Il est très grave, en effet, que des associations même déclarées depuis cinq ans et justifiant d’un agrément puissent se constituer partie civile en la matière.

Je suis tout à fait d’accord, à partir du moment où il y a renvoi devant les tribunaux, pour que des associations qui se battent contre la corruption et le trafic d’influence puissent s’exprimer à la barre et défendre leurs positions. Elles pourraient même le faire avant, devant le juge d’instruction, une fois l’instruction ouverte. Je trouverais cela légitime et juste. Mais que vous leur donniez le pouvoir de déclencher l’action publique, c’est un glissement progressif non vers le plaisir, madame la garde des sceaux, mais vers des méthodes que nous ne saurions accepter !

Je le redis, ces dernières semaines, ces derniers mois, au nom d’un souci tout démagogique de l’opinion publique et de certains médias, vous vous engagez sur un terrain sur lequel mon groupe ne peut pas vous suivre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Je suis d’accord !

M. le président. La parole est M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. À mon sens, ce que nous décidons ce soir est le contraire de ce que nous avons voté hier, à votre demande, madame le garde des sceaux !

Hier, j’ai voté le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en pensant vraiment que l’on pouvait améliorer la situation en affirmant le rôle du parquet, son indépendance, et en restaurant ses membres dans toute leur qualité de magistrat. Aujourd’hui, l’article 1er du texte que vous nous soumettez consiste à dire que l’action publique sera déclenchée par des associations…

Il semble tout à fait normal que des associations puissent ester en justice quand elles défendent les intérêts de leurs membres.

M. Michel Mercier. Mais, dans ce texte, il s’agit d’associations qui défendent un intérêt général.

Mme Nathalie Goulet. Peut-être…

M. Michel Mercier. Or c’est au procureur, à l’État, de représenter l’intérêt général, et à personne d’autre.

M. Gérard Longuet. Cela s’appelle la démocratie !

M. Michel Mercier. Que les associations interviennent après que l’action publique a été déclenchée par le procureur de la République, une fois l’affaire renvoyée devant le juge, cela ne pose aucun problème. Mais c’est au procureur de la République de mettre en mouvement l’action publique, et à personne d’autre. Sinon, tout ce que nous avons voté hier se trouve réduit à néant.

Nous voterons donc l’amendement de M. Hyest parce que nous pensons ainsi faire œuvre utile pour notre organisation judiciaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

M. le président. La parole est M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais réagir à ce que je viens d’entendre parce que, lors d’autres débats, notamment à propos de la Cour pénale internationale, la question était de savoir s’il fallait conserver le monopole du déclenchement de l’action publique, certains étant partisans de le supprimer pour, justement, aller plus loin.

À vous entendre, certaines associations se comporteraient comme des professionnels de la constitution de partie civile…

Mme Nathalie Goulet. Bien sûr qu’il y en a !

M. François Zocchetto. Évidemment ! Il en existe qui gagnent de l’argent avec cela !

M. Gérard Longuet. De l’étranger !

M. Jean-Yves Leconte. Mais des limites sont aussi posées : on ne peut pas déclencher l’action publique de manière abusive, sous peine d’être condamné à des amendes.

Vous dénoncez la disposition ici prévue comme absolument nouvelle et scandaleuse. Mais ce n’est pas le cas. On ne déclenche pas l’action publique simplement parce que l’on a envie de le faire ou parce que l’on est un professionnel de la constitution de partie civile.

M. François Zocchetto. Cela rapporte !

M. le président. La parole est M. le rapporteur.

M. Alain Anziani, rapporteur. Je comprends mal cet émoi, car qu’y a-t-il de nouveau ? Aujourd’hui, si vous êtes à la tête d’un syndicat, vous pouvez vous constituer partie civile. Si vous êtes à la tête d’une association, vous pouvez vous constituer partie civile. Il y a toutefois une condition : l’intérêt à agir.

M. Alain Anziani, rapporteur. On a vu dans l’affaire des bien mal acquis, concernant le Gabon, l’association Transparency International se constituer partie civile et la Cour de cassation admettre la recevabilité de sa constitution de partie civile, en lui reconnaissant intérêt à agir.

M. Michel Mercier. Une instruction avait été ouverte !

M. Alain Anziani, rapporteur. Dans ce texte, nous ne faisons que nous inscrire dans cette philosophie en la prolongeant, et nous posons deux conditions : l’ancienneté de cinq ans et, évidemment, l’agrément.

Pourquoi le Gouvernement le propose-t-il ? C’est que, dans les hypothèses qui sont les nôtres, il y a relativement peu de victimes. C’est bien là la difficulté : dans certaines affaires de corruption, par exemple, vous n’avez parfois aucune victime. À ce moment-là, on donne à l’association la faculté de se constituer partie civile, mais c’est une possibilité fortement encadrée.

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas du tout cela !

M. Jacques Mézard. C’est que l’État ne fait pas son travail !

M. le président. La parole est M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Je rappelle que toutes les catégories d’associations figurant dans le code de procédure pénale se réfèrent à la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres ou, par exemple, à la défense de l’enfance, de la Résistance ou à la lutte contre l’antisémitisme. Il y a des victimes, cela ne se confond donc pas avec l’intérêt général.

Je rappelle que les conditions pour être partie civile une fois que l’instruction est ouverte et que la juridiction de jugement est saisie ne sont plus du tout les mêmes. La Cour de cassation l’admet parfois.

D’ailleurs, le cas que vous citez, monsieur le rapporteur, si l’on veut être exact, s’inscrivait dans ce contexte : l’action publique avait été mise en mouvement par les procureurs. Je ne veux pas qu’il y ait de confusion.

Je vous l’assure, et vous le constaterez de vous-même si vous examinez les textes, c’est bien la première fois que l’on accorde à des associations le droit de poursuivre en une matière qui, normalement, relève de la défense de l’intérêt général et donc de l’État et des magistrats du parquet.

S’il n’y avait plus d’État, ce serait pareil ! C’est la justice privée, c’est tout ce que l’on veut !

M. le président. J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va donc être procédé au scrutin public dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

M. François Rebsamen. Je demande la parole, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Rebsamen, le scrutin n’étant pas encore ouvert, vous souhaitez sans doute prendre la parole pour explication de vote ?

M. François Rebsamen. Non, monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Michel Mercier. Vous gagnez du temps !

M. François Zocchetto. Une suspension de séance en plein scrutin public ?

M. François Rebsamen. Cette suspension est de droit, chers collègues.

M. le président. Monsieur Rebsamen, elle n’est pas de droit. C’est au président de séance de décider.

M. François Rebsamen. Si donc vous le décidez, monsieur le président.

M. le président. Nous allons interrompre nos travaux, mais pas plus de cinq minutes, monsieur Rebsamen !

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-deux heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Anziani, rapporteur. Mes chers collègues, la commission vous propose un sous-amendement. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) De quoi vous plaignez-vous, vous avez été entendus !

Ce sous-amendement serait ainsi rédigé : « Toute association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée, en ce qui concerne les infractions suivantes : ».

M. André Reichardt. Ce n’est pas juste !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable, car manifestement la rédaction de l’article 1er posait problème.

Nous assumons parfaitement le fait d’avoir voulu donner aux associations, dans ce domaine particulier, la possibilité d’agir : il n’était pas acceptable que certaines infractions ne fassent pas l’objet de poursuites. Le Gouvernement a posé des conditions exigeantes, notamment en ce qui concerne l’agrément. De surcroît, je rappelle que le juge pouvait prononcer immédiatement les dommages et intérêts.

Ce sous-amendement, de mon point de vue, améliore la rédaction de l’article et permet de lever des inquiétudes. Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis favorable.