M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les discussions sur la réforme de la politique agricole commune sont parvenues à leur terme, après une longue période de négociations. L’instauration du trilogue, c’est-à-dire l’implication du Parlement européen dans cette démarche, aura peut-être alourdi le processus aux yeux de certains, mais il s’agit d’un gage indéniable donné à la démocratie représentative.

M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. Yannick Botrel. Cela constitue un progrès incontestable, que nous ne pouvons que saluer.

M. Jacky Le Menn. Absolument !

M. Yannick Botrel. La réforme intervient dans un contexte que chacun connaît et qu’il faut cependant rappeler : celui de la crise, ou des crises auxquelles sont confrontées plusieurs filières de la production agricole, et en particulier, cela a été souligné, les filières animales.

Depuis le printemps de l’année 2008 et la crise de la production laitière, les tensions se sont multipliées. Les raisons en sont connues : flambée des prix des céréales sur le marché mondial, aggravée parfois par la spéculation, qui pénalise directement nos productions animales ; situation chronique de sujétion des producteurs aux centrales d’achat de la grande distribution, d’ailleurs confortées par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie ; réponses timorées de la loi de modernisation de l’agriculture, qui n’a pas suffisamment rééquilibré ces relations ; distorsions au sein même de l’Europe, qui sont évidemment inacceptables.

Il faudra apporter des réponses à ces questions fondamentales, monsieur le ministre.

Comme d’autres, j’ai récemment été interpellé par les producteurs de ma région, grande région agricole : aviculteurs, éleveurs de vaches laitières, de porcs, etc., tous font part de leurs difficultés et, souvent, expriment leur désespérance.

La France, par la voix du Président de la République, s’était engagée à peser de tout son poids dans les négociations en cours. On peut toujours minimiser le résultat obtenu. Il n’en demeure pas moins que, sur un premier point, qui était aussi un préalable, car il conditionnait la suite, la France a obtenu, en dépit de fortes résistances, le maintien du budget de la PAC à son niveau antérieur ; cela est à porter au crédit de l’action gouvernementale. Il s’agit d’une manifestation concrète de l’importance que notre pays accorde à son agriculture, ainsi qu’à ses filières agroalimentaires.

Telle que nous l’avons vu fonctionner, la PAC antérieure a été source d’inégalités, souvent dénoncées par les agriculteurs eux-mêmes. À cet égard, je souhaite insister fortement sur plusieurs avancées qui me semblent primordiales au regard de l’équité et que notre pays pourra, devra mettre en œuvre dans l’application de la future politique agricole commune.

En premier lieu, la majoration des aides aux 50 premiers hectares est une bonne disposition. Elle favorise à l’évidence les petits et moyens producteurs, alors que ce sont a contrario les grosses exploitations qui ont bénéficié jusqu’à présent d’une sorte d’effet d’aubaine, combinant à la fois volumes et primes. Il s’est produit de la sorte une captation des aides européennes au profit – cela a été souvent dénoncé – d’une agriculture qui n’a rien à voir avec le modèle le plus répandu dans nos territoires, fait d’un tissu d’exploitations de dimension humaine.

Cette disposition sera prolongée par le taux renforcé des aides couplées, liant plus étroitement la production effective et l’attribution des droits à prime. Ce n’est pas la moindre des aberrations, en effet, que ces droits puissent être versés et perçus au nom d’une situation historique et en dehors de tout rapport avec la production.

Bien entendu, nous souscrivons pleinement à la mesure, complémentaire du dispositif existant, qui a été prise pour soutenir les jeunes agriculteurs. La volonté des jeunes de s’installer est loin de manquer, mais comment le faire dans un contexte rempli d’incertitudes et où les perspectives de rémunération sont insuffisantes, alors que le coût de l’installation est allé en augmentant ? L’avenir de l’agriculture telle que nous la voulons ne peut se concevoir qu’à travers une politique volontariste d’installation de jeunes agriculteurs. Je partage, et le groupe socialiste avec moi, votre conviction et votre ambition sur ce point, monsieur le ministre.

Un autre point a fait débat, et le fait encore : le verdissement des aides de la PAC. Cependant, la réflexion progresse la matière. En Bretagne, région que je connais bien, le concept d’« agriculture écologiquement productive » est aujourd’hui porté par les professionnels, ce qui témoigne d’une volonté de quitter la posture défensive et d’avancer positivement sur ces questions prégnantes.

Au-delà de l’agriculture elle-même, ce sujet rejoint les préoccupations sociétales sur les conséquences environnementales des activités agricoles. Bien des progrès ont été réalisés par les agriculteurs. Il n’est que de regarder sans a priori la courbe de la présence des nitrates dans les cours d’eaux bretons ; elle fait apparaître une diminution constante des taux depuis plusieurs années.

Il a manqué jusqu’à aujourd’hui une incitation financière significative pour permettre aux producteurs de faire évoluer leur modèle économique, en particulier dans cette période difficile. Permettre d’avancer sur le respect d’une meilleure agronomie et d’une meilleure prise en compte de l’agriculture dans son rapport à l’environnement ne pourra que contribuer à répondre aux attentes sur ces questions complexes et souvent polémiques.

Parallèlement, le citoyen-contribuable peut légitimement s’interroger sur les contradictions des politiques conduites, qui tendent, d’une part, à subventionner un modèle de production et, d’autre part, à financer les conséquences de ses excès.

L’application des règles de la PAC a, de fait, pu conduire à des résultats paradoxaux. Ainsi, l’approche très tatillonne de l’administration sur les surfaces primables, nées parfois de la prise en compte insuffisante dans la déclaration de la présence d’un talus, a pu déboucher sur des pénalités appliquées à l’exploitant et, l’année suivante, à la destruction du bocage, ce qui mettait un terme définitif à toute discussion éventuelle.

L’élargissement des aides à des surfaces jusqu’à présent exclues – cela concerne également les pâturages extensifs – relève manifestement de la même démarche tendant à concilier activité agricole et environnement : c’est le bon sens !

À présent, il faut que les textes soient interprétés avec intelligence. Pourriez-vous nous préciser, à ce sujet, monsieur le ministre, votre vision de l’avenir des installations ?

Je souhaite également vous alerter sur la question des outils de régulation des marchés. Dans le contexte que j’ai évoqué à titre liminaire, celui de crises récurrentes et de grande volatilité des prix, de concurrence mondiale exacerbée, l’Europe doit se donner les moyens de continuer à agir en faveur de ses productions comme d’autres pays à travers le monde le font sans beaucoup d’états d’âme, fussent-ils libéraux de doctrine.

Je veux attirer votre attention sur les conséquences économiques de certaines décisions. L’abandon des restitutions était, certes, annoncé de longue date puisque M. Barnier en avait confirmé ici même la disparition en 2008. Cependant, il y a des risques évidents d’effondrement de pans entiers de certaines économies régionales. Aujourd'hui, pour la Bretagne, deux entreprises, deux abattoirs, qui, je vous l’accorde, n’ont pas suffisamment anticipé l’échéance programmée, pourraient entraîner dans leur éventuel naufrage la perte de 4 000 à 5 000 emplois directs et indirects pour leur seul champ d’activité et, par effet domino, déstabiliser l’ensemble des entreprises de la filière.

Monsieur le ministre, face aux inquiétudes qui montent dans une région où les difficultés s’amoncellent déjà – il a été fait référence à l’abattoir Gad, avec un nombre impressionnant de suppressions d’emplois annoncées à Lampaul-Guimiliau et à Saint-Nazaire –, on est particulièrement impatient de connaître vos intentions, à un moment où débute un programme de modernisation des bâtiments de l’élevage en région.

Dans le cadre de la négociation de la future PAC, vous avez obtenu des résultats significatifs et des moyens de redonner des perspectives à l’agriculture, ou plutôt aux diverses agricultures de notre pays, qui doutent de leur avenir. Il reste à mettre ces dispositions en œuvre. Je veux donc vous exprimer tout notre soutien et vous prodiguer nos encouragements dans la poursuite de votre action. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la coprésidente du groupe de travail.

Mme Renée Nicoux, coprésidente du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, saluons ensemble la tenue ici, au Sénat, de ce débat sur la politique agricole commune, quelques jours après la fin des négociations européennes menées dans le cadre du trilogue entre Parlement européen, Conseil et Commission européenne. Je remercie le Président de la République et le Gouvernement d’avoir bien voulu le faire inscrire à l’ordre du jour de notre session extraordinaire.

Le Sénat a été très actif dans le suivi de la réforme de la PAC, à travers un groupe de travail associant la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques.

Au mois de mai dernier, nous avons adopté une résolution européenne exprimant globalement notre accord avec les orientations générales de la nouvelle PAC, mais réclamant une plus grande ambition régulatrice de l’Europe sur les questions agricoles.

Monsieur le ministre, le débat d’aujourd’hui fournit l’occasion de vous interroger sur les résultats de la négociation du trilogue, mais aussi d’échanger sur la mise en œuvre nationale de la nouvelle PAC, qui sera tout aussi importante pour les agriculteurs français.

Lorsqu’on évoque la PAC, la question des moyens budgétaires que l’Europe y consacre vient tout de suite à l’esprit. Et chaque réforme inquiète le milieu agricole, faisant craindre des réajustements budgétaires à la baisse d’un budget qui représente encore 43 % des dépenses de l’Union.

L’accord du 8 février 2013 sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, passé entre chefs d’État et de gouvernement, réduit de manière substantielle l’enveloppe globale du budget européen pour la prochaine période. Toutefois, dans le remodelage de la maquette financière européenne, l’agriculture ne subit pas la saignée redoutée. Au final, les dépenses agricoles de l’Europe seront stabilisées en euros courants à leur niveau de 2013, dans le cadre d’un budget européen historiquement faible, avec des crédits de paiement représentant à peine 0,95 % du PIB communautaire.

Pour la France, l’enveloppe budgétaire allouée – elle est de 56 milliards d’euros sur la période, premier et deuxième piliers confondus – est très proche de l’enveloppe de la période précédente, grâce à un bonus de près d’1 milliard d’euros obtenu in extremis sur le deuxième pilier.

Je me permets de souligner que ce résultat n’a été possible que grâce à la pugnacité de la France, de son gouvernement et du Président de la République dans la négociation. Rien n’était gagné d’avance.

Une fois le budget préservé dans ses grandes lignes, il restait à trouver un compromis sur le contenu de la future PAC. Plus juste, plus verte, mais aussi plus efficace : tels étaient les objectifs initiaux de la Commission européenne.

Le moins que l’on puisse dire est que le paquet législatif présenté par la Commission le 12 octobre 2011 est loin d’être révolutionnaire. Comme aujourd’hui, la future PAC reposera de manière principale sur les aides directes découplées, avec des mesures minimales de régulation des marchés et un deuxième pilier de la PAC plus modeste, permettant toutefois de mettre en œuvre des mesures structurelles en faveur du secteur agricole, cofinancées par les États membres.

La Commission propose de répartir les aides directes de manière plus équitable : on ne peut que s’en féliciter.

D’abord, la réforme organise une convergence progressive des aides entre États membres, ce qui était nécessaire, sans aller vers des aides identiques partout, car il subsiste d’importantes différences de niveaux de vie entre États.

Ensuite, la Commission vise à plus de justice entre agriculteurs de chaque État, en demandant la fin des références historiques. La résolution adoptée par le Sénat au mois de mai soutient cette vision, car il n’est plus possible de justifier le maintien d’écarts importants des niveaux d’aide entre exploitations voisines.

Le compromis du trilogue a assorti cette convergence de garde-fous dans les deux sens : à la fin de la période, aucun agriculteur ne pourra toucher moins de 60 % de la moyenne nationale ou régionale. De même, les États membres pourront plafonner la perte à 30 % sur l’ensemble de la période.

La possibilité de réserver 30 % de l’enveloppe des paiements directs pour bonifier les paiements sur les premiers hectares va aussi dans le bon sens, permettant de favoriser les exploitations familiales de petite taille.

La principale innovation de la nouvelle PAC résidait dans le verdissement du premier pilier. Dans sa résolution, le Sénat soutient pleinement cette orientation qui évite toute distorsion entre pays, tout en demandant des précisions, en particulier sur le non-retournement des prairies permanentes, sachant que cette question ne cesse de soulever des inquiétudes chez les éleveurs.

Au final, l’accord du trilogue paraît satisfaisant, en permettant d’apprécier le critère au niveau régional. L’exigence d’une diversité des cultures est préservée. Les surfaces d’intérêt écologique, hors prairies, sont maintenues à 5 % en 2015 et 7 % en 2019. Le non-respect du verdissement sera sanctionné, y compris sur les paiements de base. Le verdissement n’a pas été vidé de son sens, ce qu’on pouvait redouter.

Enfin, nous conservons des possibilités de couplage, dans la limite de 13 % de l’enveloppe nationale des paiements directs, auxquels s’ajoutent 2 % pour développer les protéines végétales.

Autre avancée majeure : la mise en œuvre d’une majoration des aides pour les jeunes agriculteurs au sein du premier pilier, qui viendra compléter les soutiens existants en France pour l’installation des agriculteurs au sein du deuxième pilier.

Depuis le début des travaux du Sénat sur la PAC, nous défendons une plus grande ambition régulatrice de celle-ci. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un combat de longue haleine, contre une orientation libérale qui est à l’œuvre depuis vingt ans et qui marque encore l’approche de la Commission européenne. Reconnaissons au commissaire Ciolos la volonté de changer la donne.

La possibilité, pour les producteurs, de se regrouper sur une base plus large et l’introduction d’une clause générale de perturbation des marchés permettant à la Commission européenne d’intervenir constituent de réelles avancées au sein du texte sur les organisations communes de marché.

Pour autant, la réforme de la PAC confirme le démantèlement des quotas de sucre en 2017, ne réintroduit aucune régulation de la production laitière et maintient les filets de sécurité de l’intervention à des niveaux très bas.

Dans notre résolution, nous avons proposé d’engager dès maintenant une réflexion sur l’activation contracyclique de la PAC. En effet, comment justifier que les aides soient les mêmes quand tout va bien et quand tout va mal, quand les prix des céréales sont très élevés et quand ils sont très faibles ?

Pourquoi les États-Unis pourraient-ils, avec leur Farm Bill, intervenir de manière plus massive en cas de crise des revenus agricoles, et pas l’Europe ?

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour mener ce que nous pouvons considérer au sens noble du terme comme un combat idéologique. Ce combat doit être conduit avec énergie contre certains de nos partenaires européens, qui refusent de reconnaître aux produits agricoles une dimension de marchandises « pas comme les autres » en ce qu’ils sont un élément de la souveraineté alimentaire.

Pour conclure, je constate que les contours de la future PAC sont désormais fixés. Mais il reste une étape importante : sa déclinaison nationale au sein du premier et du deuxième pilier. Mettre l’accent sur l’élevage me paraît essentiel partout où le droit communautaire nous laissera des marges de manœuvre.

Nous avons bien franchi la phase des discussions au niveau communautaire. Nous savons pouvoir compter sur vous pour réussir la mise en œuvre de la nouvelle PAC dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le coprésident du groupe de travail.

M. Gérard César, coprésident du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les propos de ma collègue Renée Nicoux, car la résolution du Sénat de mai dernier a fait largement consensus et n’appelle pas de commentaires de ma part.

Je souhaite, cependant, dans le court laps de temps qui m’est accordé, attirer votre attention sur trois points importants à mes yeux : le sort de la viticulture dans la future PAC, cher à Roland Courteau,…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Gérard César, coprésident du groupe de travail. … les orientations de la politique de développement rural portée par le deuxième pilier et, enfin, la nécessité d’agir pour relancer l’installation.

La viticulture, chacun le sait, revêt une importance toute particulière pour la France, mais aussi pour l’agriculture européenne dans son ensemble. Malgré une baisse de 15 % de sa production en 2012, la France est restée le premier pays producteur de vin du monde.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Et nous produisons les meilleurs vins !

M. Gérard César, coprésident du groupe de travail. L’Europe assure, d’ailleurs, les deux tiers de la production mondiale. Le secteur des vins et spiritueux a dégagé à lui seul pour la France un excédent commercial qui a presque atteint les 10 milliards d’euros en 2012, ce qui n’est pas rien.

Nous enregistrons depuis plusieurs années de réels succès à l’export, avec une amélioration incontestable de la qualité de nos produits. Or deux menaces planent sur la viticulture française.

La première est celle de la suppression des droits de plantation. Décidée en 2008 dans le cadre de la réforme de l’organisation commune du marché vitivinicole, cette suppression visait à libérer le potentiel de production de l’Europe, dans un contexte de hausse de la demande mondiale de vin.

Cependant, dans le même temps, elle faisait courir un grave risque de surproduction et de détournement de notoriété dans les zones d’appellation d’origine, avec, en fin de compte, une baisse générale de la qualité des vins.

Les professionnels ont été de plus en plus bruyants pour exprimer leurs craintes, que le groupe d’études Vigne et vin du Sénat a relayées.

Le groupe d’experts mis en place par la Commission européenne a travaillé tout au long de l’année 2012 pour proposer un nouveau dispositif d’encadrement des plantations.

Il a fallu que nous soyons constamment vigilants sur le sujet, devant les réticences de la Commission européenne et des pays libéraux.

M. Gérard César, coprésident du groupe de travail. Une résolution du Sénat, adoptée en février dernier, rappelait nos exigences à l’égard du nouveau système.

M. Gérard César, coprésident du groupe de travail. L’accord du trilogue de la semaine dernière nous rassure largement, avec un nouveau dispositif des droits de plantation qui durera jusqu’en 2030. Nous pouvons estimer que le taux maximal d’augmentation admissible de 1 % par an est beaucoup trop élevé, mais les États membres auront la possibilité de fixer, par bassins de production, leurs propres taux à un niveau inférieur, tous les partenaires pouvant faire entendre leur voix. Nous nous acheminons donc vers une issue heureuse d’un combat âpre, dans lequel le Sénat a pris toute sa place.

Je veux ensuite mentionner un deuxième risque pour la viticulture, qui bénéficie non pas de droits à paiements uniques, mais d’une enveloppe sectorielle destinée à la promotion et aux actions de restructuration de vignoble. Or nous souhaitons conserver cette enveloppe, car elle joue un rôle essentiel dans l’amélioration de la qualité du vin français.

Disposer d’une l’enveloppe est une chose, mais l’utiliser en est une autre. Il semblerait que nous soyons sur le point de perdre 40 millions d’euros de crédits non dépensés par la France dans le cadre de son enveloppe vitivinicole. Les crédits de la vigne doivent aller aux viticulteurs ! Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rassurer sur ce point ? Par ailleurs, comment expliquer cette non-utilisation des crédits ?

Je dirai un mot sur le deuxième pilier de la PAC. Qu’adviendra-t-il de lui dès lors que le verdissement est intégré au premier pilier ? La résolution du Sénat de mai dernier rappelle notre attachement à la politique de développement rural. La négociation européenne a permis de lever certaines incertitudes.

Le taux de cofinancement communautaire des actions du deuxième pilier a été légèrement augmenté, même en régions de transition. La question du taux de soutien aux régions ultrapériphériques reste cependant posée.

Le redécoupage des zones à handicaps naturels restera un exercice difficile, surtout pour les zones de piémont dont certaines pourraient sortir du zonage, et donc ne plus bénéficier de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels.

Le compromis du trilogue prévoit cependant d’offrir des flexibilités. Le nouveau zonage ne s’appliquera qu’à partir de 2018. Les États membres pourront conserver un dispositif de lissage sur plusieurs années de la suppression de l’aide. Enfin, on pourra ajouter dans le zonage 10 % de surfaces ne remplissant pas les critères biophysiques pour être considérées comme zones défavorisées.

Le deuxième pilier pourra aussi être utilisé pour financer des actions de modernisation des bâtiments d’élevage et d’aide à l’investissement. C’est un point important sur lequel notre proposition de résolution mettait l’accent.

Une réflexion devra être engagée sur le maintien d’une prime à l’herbe, car l’interdiction du double paiement au titre du verdissement du premier pilier et au titre du deuxième pilier obligera à définir de manière plus stricte une aide éventuelle à l’élevage à l’herbe.

Au final, la réglementation européenne laisse de larges possibilités aux États membres sur le deuxième pilier. Ces derniers définiront eux-mêmes leur programme de développement rural et les modalités de gestion, régionale ou nationale. Le deuxième pilier pourra, notamment, être utilisé pour mobiliser des moyens en faveur de la gestion des risques en agriculture, comme l’a souligné excellemment Jean-Paul Emorine : assurances, fonds de mutualisation, assurances récolte. Je souhaite que nous soyons ambitieux en la matière, mais cela nécessitera des crédits nationaux à la même hauteur que les crédits européens. De même, il faudra impérativement prévoir la réassurance publique.

Je terminerai par la question de l’installation. Elle est essentielle pour assurer l’avenir de notre agriculture. Un seul chiffre résume l’enjeu : l’Europe compte un agriculteur de moins de trente-cinq ans pour neuf agriculteurs de plus de cinquante-cinq ans.

Certaines productions risquent de décliner faute de combattants ; je pense en particulier à l’élevage.

La future PAC donne davantage d’armes pour aider au renouvellement des générations. D’abord, dans le cadre du premier pilier, 2 % de l’enveloppe des paiements directs devraient bénéficier aux jeunes agriculteurs à travers une majoration de leurs droits à paiement de base de 25 % pendant cinq ans. Ensuite, les jeunes agriculteurs continueront à bénéficier des mesures d’aide à l’installation du deuxième pilier et de majorations d’aides servies par l’Union européenne.

Il faudra jeter toutes nos forces dans la bataille. Le renouvellement des générations en agriculture ne se règle d’ailleurs pas qu’à coup d’aides. L’accès au foncier, le financement du capital d’installation relèvent de mesures nationales, qui ont été discutées dans le cadre des assises de l’installation, lancées en octobre dernier. Nous attendons des réponses sur ce point, monsieur le ministre, et j’espère qu’elles seront positives. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs questions ont été abordées dans ce débat.

Maintenant que le cadre européen est défini, une négociation à l’échelle nationale va s’engager, notamment en ce qui concerne la répartition des aides. Un certain nombre d’entre vous m’ont interrogé sur ce point.

Selon les pourcentages que vous retenez pour l’attribution des aides du premier pilier en vue de favoriser certaines politiques, telles que l’installation, le couplage ou encore l’aide aux cinquante premiers hectares, ce sont autant de crédits en moins pour l’enveloppe générale. La discussion va donc porter sur la capacité redistributive.

Les aides accordées à l’installation représentent 2 % du premier pilier – c’est le maximum –, soit tout de même 120 millions d’euros, ce qui est une somme importante. Il faut donc savoir quel est l’objectif en termes d’installation.

Pour ce qui concerne les aides aux cinquante premiers hectares, j’entends fixer un objectif de 30 %, soit le paiement redistributif maximum.

S’agissant de la question de la convergence, vous avez parlé d’un objectif minimum de 60 % que doit atteindre la France dans le cadre des exploitations qui sont en dessous de la moyenne. Mais on pourrait aller jusqu’à 100 %. Dans ce cas, il faudrait davantage redistribuer, en particulier dans les zones d’élevage. Quel choix faire ?

Toutes ces questions sont maintenant versées au débat. Le cadre a été fixé ; restent à définir les objectifs.

En ce qui concerne la méthode, je l’ai dit au coprésident du groupe de travail, nous aurons bientôt connaissance des chiffres. Je vais entamer les négociations avec les organisations professionnelles. L’Assemblée nationale et le Sénat seront ensuite saisis de propositions. C’est le premier débat que nous avons sur ces sujets. Nous aurons l’occasion d’en avoir d’autres par la suite, puisque c’est maintenant que débutent les discussions.

Plusieurs questions ont été posées sur les zones défavorisées. Monsieur César, vous l’avez vous-même souligné, les 10 % devront normalement nous permettre de couvrir des zones défavorisées et d’éviter d’en perdre.

En ce qui concerne l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, je confirme que le plafond a été modifié : le cofinancement a été augmenté. Cette mesure témoigne d’une stratégie, qui doit aller dans un certain sens. Mais l’enveloppe a été définie dans le cadre de la politique agricole commune par le Président de la République, et nous aurons à faire des choix sur les aides du deuxième pilier.

Prenons l’exemple de la Bretagne.

M. Daniel Raoul. Au hasard ! (Sourires.)

M. Ronan Kerdraon. Excellent choix !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Concernant l’obligation de conditionner 30 % des aides au respect de mesures agro-environnementale – c’est un point très important –, l’investissement y a été intégré. Je pense en particulier à toutes les unités de méthanisation que l’on doit construire en Bretagne.

Certains ont évoqué le problème posé par la fermeture des abattoirs en Bretagne en raison – il faut le dire objectivement – d’une baisse de la production. Il s’agit non pas de relever cette production, mais de la stabiliser, condition indispensable à la stabilisation des outils de transformation.

Monsieur Labbé, en ce qui concerne les établissements classés, un effort s’impose dans le cadre de la simplification, non pas pour remettre en cause les objectifs environnementaux, mais pour faciliter l’installation de nouvelles porcheries afin de remplacer des structures plus anciennes.