M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est sûr !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Par ailleurs, sommes-nous certains que ceux qui nous sont remis chaque année sont lus et exploités de manière optimale ? Puisque nous ne les exploitons pas, le Gouvernement ne se sent pas obligé de les remettre : c’est un cercle vicieux.

Quittant maintenant le terrain des statistiques, j’en viens à des réflexions plus générales sur le contrôle de l’application des lois, dont j’ai rappelé l’importance au début de mon propos.

Je suis tenté de dire que le contrôle parlementaire est aujourd’hui à un tournant majeur et s’oriente de plus en plus vers l’évaluation, avec en ligne de mire une simplification du droit, une modernisation de l’action publique et une amélioration qualitative de notre environnement normatif.

Pour accompagner cette évolution, nous devons engager une démarche ambitieuse consistant à nous interroger sur le « bon rendement législatif » des textes que nous votons. L’enjeu est de taille. Chaque avancée que nous pourrons favoriser dans cette voie renforcera la confiance de nos concitoyens dans l’institution parlementaire, en particulier dans le Sénat qui, moins tenu par la logique majoritaire que l’Assemblée nationale, a toujours été un précurseur en matière de contrôle.

La création de cette commission pour le contrôle de l’application des lois s’inscrit dans cette logique. Hormis la veille réglementaire, elle est en effet avant tout en charge d’évaluer les législations existantes pour faciliter le travail des commissions permanentes et celui du Sénat quand la Haute Assemblée est saisie de projets modifiant le droit en vigueur.

C’est dans cet esprit que nous nous efforçons de « coller » au mieux aux rendez-vous législatifs en cours, en évaluant telle ou telle législation dont la refonte s’annonce imminente.

Ainsi, au mois de mars 2013, nous avons présenté un bilan de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », avant de légiférer à nouveau sur l’enseignement supérieur. Ce travail d’évaluation réalisé par un binôme gauche-droite qui s’est accordé sur un certain nombre de constats a permis des rassemblements inattendus au cours de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche adopté par le Sénat dans la nuit de vendredi à samedi dernier.

De même, nous présenterons dans quelques jours le bilan du régime de l’auto-entreprise, ce qui devrait nous permettre de travailler de façon beaucoup plus efficace sur ce dispositif et d’alimenter le débat public, au-delà des idées reçues, en nous appuyant sur des diagnostics très précis établis par Mme Dini.

Au total, nos travaux, généralement confiés à des binômes de rapporteurs de sensibilité politique différente, ont déjà permis de produire dix rapports d’information depuis 2012 ; trois ou quatre autres seront remis dans les semaines qui viennent. Ils ont porté sur le fond, au-delà des statistiques, sur les conséquences de l’application de la loi, les effets pervers que le législateur n’avait pas prévus, les moyens qui ont manqué… Tout cela nous a beaucoup appris.

J’observe que de nombreuses études d’impact se présentent encore comme une sorte d’exposé des motifs bis, dont l’utilité réelle est, de ce fait, assez limitée. Pourtant, l’étude d’impact est une avancée très importante. Elle est peu utilisée, mal produite, alors qu’il s’agit d’un élément majeur pour élaborer la loi en toute connaissance de cause en mesurant les effets qu’elle aura concrètement une fois adoptée.

Dans le même temps, après le vote de la loi, les travaux d’évaluation font peu référence à ce document, sans doute parce que ses auteurs n’y avaient pas intégré, dès le départ, des critères d’évaluation quantitatifs et qualitatifs, au regard desquels on pourrait déterminer si, oui ou non, la loi a bien atteint ses objectifs. J’en déduis qu’il faudrait peut-être reconsidérer le contenu des études d’impact pour pouvoir en tirer un meilleur parti.

Le Gouvernement comme le Parlement auraient intérêt à placer plus directement les études d’impact au service de cette « culture du contrôle et de l’évaluation » dont je recherche l’émergence, comme vous l’avez souhaité, monsieur le président du Sénat, en proposant la création de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Pour conclure, je remercie chacune des sept commissions permanentes du travail considérable de contrôle de parution des décrets d’application qu’elles effectuent tout au long de l’année. Sans elles, l’élaboration de ce rapport annuel dont je vous présente les conclusions serait impossible, puisqu’il est la synthèse de leurs rapports respectifs.

Je tiens également à saluer le climat de confiance établi avec les autorités gouvernementales concernées ; je pense, en particulier, au ministre chargé des relations avec le Parlement et au secrétariat général du Gouvernement. Loin de moi l’idée d’être tendancieux, je dois à cet égard souligner que, au cours des derniers mois du gouvernement Fillon, M. Ollier a établi avec la commission que je préside un dialogue ouvert et une collaboration particulièrement fructueuse.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Comme nous le savons tous, le droit est depuis des années l’objet de critiques récurrentes, parfois excessives mais pas toujours infondées. Simplifier les normes et les rendre plus performantes est donc à mes yeux une démarche salutaire pour restaurer la confiance dans l’État et dans ses institutions.

Ce chantier est désormais ouvert ; à tous les niveaux, du plus haut sommet de l’État aux élus locaux, cette nécessité commence à s’imposer. Cela répond aux attentes de nos concitoyens et, si beaucoup de chemin reste à parcourir, je reste optimiste : la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, capitalisant l’expérience acquise par la Haute Assemblée, est fière d’y apporter sa contribution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mesdames, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation à cette séance consacrée à l’examen du rapport d’activité de la commission pour le contrôle de l’application des lois qui est, je le souligne, une heureuse particularité de votre Haute Assemblée.

Ce deuxième débat, après un premier débat tenu ici même le 7 février 2012, illustre une considération que je sais largement partagée sur vos travées : le contrôle parlementaire moderne implique l’évaluation des lois adoptées comme des choix de politiques publiques. Contrôler l’application des lois est ainsi devenu une des modalités à part entière de la mission de contrôle de l’action du Gouvernement telle qu’elle est désormais explicitement énoncée dans les compétences du Parlement depuis la révision constitutionnelle de 2008.

En ce domaine, le Sénat avait été précurseur en créant dès 1971 la base informatique « APLEG » qui permet de suivre la parution des décrets d’application par les commissions permanentes compétentes. La création de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en 2011, répondit au même objectif : contribuer à une culture de l’évaluation et du contrôle, en amont comme en aval du travail législatif. C’est là un changement de culture pour le Parlement et ce mouvement ne peut plus s’arrêter désormais.

Il faut bien constater, avec le recul, que cette création fut une excellente initiative, puisque cette jeune commission a déjà présenté dix rapports d’information qui ont souvent fait l’objet de débats en séance publique.

Cette initiative du bureau du Sénat a en outre entraîné la mobilisation du Gouvernement, afin que celui-ci soit en mesure de vous répondre de façon utile et pertinente. Élément central du suivi des réformes comme de la réalisation effective du programme du Président de la République, l’application de la loi tout autant que son élaboration retiennent désormais l’attention personnelle des membres du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, faire en sorte que la loi s’applique sans délai est en effet une exigence démocratique. Afin de garantir aux sujets de droit une légitime sécurité juridique – il peut s’agir de nos concitoyens, mais aussi de nos entreprises comme de nos collectivités locales –, il est indispensable que la période qui sépare la publication de la loi de l’intervention des mesures réglementaires d’application soit limitée.

Une circulaire interministérielle du précédent gouvernement a fixé l’objectif consistant à prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi. La continuité de l’État nous a amenés à considérer et à rappeler que cet objectif devait être maintenu et respecté.

Afin de mobiliser au niveau politique adéquat les membres du Gouvernement, je préside le comité interministériel de l’application des lois, le CIAL, qui est l’interlocuteur naturel de la commission.

Au plan politique, notre travail consiste à vérifier, puis à décider, texte après texte, soit d’abroger les dispositifs législatifs non entrés en vigueur, soit d’assumer l’héritage et de prendre les mesures d’application qui s’imposent. Beaucoup a déjà été fait en une année, mais nombre de chantiers restent encore à achever.

Cette année, notre échange ne se focalisera pas sur la comptabilisation et les taux, puisque nous avons déjà corrigé l’an dernier un décalage de dates. Cette année, grâce aux propositions d’harmonisation de méthodologie, les bases du Sénat et du secrétariat général du Gouvernement ont pu converger. Je tiens d’ailleurs à remercier l’ensemble des services de leur implication.

Le rapport dont nous examinons les conclusions couvre donc la période du 14 juillet 2011 au 30 septembre 2012. J’apprécie particulièrement que, tout en restant fondé sur une approche précise des principaux indicateurs de la mise en application des lois, ce document s’attache à mettre en exergue les principales tendances qui se dégagent en leur conférant une lecture institutionnelle indispensable.

Monsieur le président, je partage les analyses de votre commission. Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour établir des statistiques significatives concernant l’application des lois votées depuis le début de la XIVe législature, c’est-à-dire à compter du 20 juin 2012, mais la tendance est plutôt favorable, alors même que le délai de six mois assigné au Gouvernement pour publier ses textes d’application n’est même pas encore expiré pour la plupart des lois adoptées depuis le début de la présente session ordinaire.

À cet égard, trente-sept lois ont été promulguées à ce jour, parmi lesquelles quatorze sont d’application directe et vingt-trois appellent des décrets d’application.

Relevons d’ores et déjà que 100 % des décrets ont été pris pour la loi du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière ou pour la loi portant création du contrat de génération.

S’agissant de la fin de la XIIIe législature, période de référence de notre débat de ce soir, le Gouvernement a, via le comité interministériel, maintenu une pression toute l’année, au point que 90 % des lois de la session 2011-2012 sont aujourd’hui en application partielle ou totale.

Je sais que le Sénat accorde une attention particulière au suivi des dispositions législatives issues de propositions de lois et d’amendements parlementaires, pour s’assurer que le Gouvernement manifeste à leur endroit la même considération réglementaire et la même diligence qu’il témoigne à ses propres textes.

Je vous prie de croire que le ministre chargé des relations avec le Parlement que je suis, qui fut lui-même parlementaire pendant plus de vingt ans, se montre particulièrement attentif à votre préoccupation.

D’après les informations dont je dispose et qui concordent avec celles qui viennent d’être exposées, les textes issus de l’initiative parlementaire ne sont pas plus mal traités que les lois d’origine gouvernementale, même si je dois admettre que les textes de l’Assemblée nationale ont une légère avance sur ceux du Sénat. Nous essaierons d’y remédier, mais cela tient pour une part essentielle aux prérogatives dont dispose l’Assemblée nationale sur certains textes, notamment ceux qui sont de nature financière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu vos remarques – vos critiques ! – concernant le recours à la procédure accélérée. Chacun reconnaîtra qu’il s’agit d’une adresse récurrente, quelle que soit la majorité.

Cette interrogation prend toutefois ici une dimension particulière si l’on met en corrélation le fait que le Gouvernement demande au Parlement d’examiner des projets ou propositions de loi selon la procédure accélérée, alors que les décrets d’application de ces mêmes lois attendent plusieurs mois avant d’être publiés. On pourrait trouver là une contradiction manifeste.

Je peux toutefois vous apporter une précision : sur les 259 lois votées au cours de la XIII législature, 87 étaient d’application directe et 172 appelaient des décrets d’application.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Sur ces 172 lois, le taux voté selon la procédure accélérée s’élève à 41 %, le taux d’application des lois votées selon cette même procédure étant légèrement supérieur à celui des textes adoptés selon le droit commun : 91 % contre 90 %.

Il s’agit d’ailleurs d’un point que le rapport évoque, si l’on veut bien comparer les taux d’application des lois votées après engagement de la procédure accélérée et les lois de ces dernières années.

Jusqu’à une période relativement récente, les commissions permanentes avaient toujours déploré que la cadence rapide imposée dans la phase d’examen parlementaire n’ait pas été maintenue en aval, les ministères concernés ne faisant pas toujours preuve de la même célérité dans la publication des textes. Il existe donc bien un effet de rattrapage qui n’est pas négligeable.

Lors du premier comité interministériel d’application des lois qui s’est tenu au mois de juillet 2012, instruction a été donnée aux ministères de recenser les mesures de la XIIIe législature en attente de décret qui ne pourraient aboutir techniquement ou pour toute autre raison et d’identifier un vecteur législatif d’abrogation.

Cette ligne de conduite s’inscrit dans un souci de qualité du droit, de sécurité juridique et de transparence, mais se révèle plus difficile à mettre en œuvre pour les lois antérieures à 2007.

J’ai bien entendu la suggestion consistant à adopter une loi d’abrogation des lois. Un tel dispositif nécessiterait clairement un consensus politique. Je pense en effet que l’expérience que nous partageons des véhicules de M. Warsmann, ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a été différemment appréciée : il ne serait pas souhaitable de créer à nouveau des textes fourre-tout qui deviennent ingérables pour le Parlement comme pour le Gouvernement.

Toutefois, la question de l’abrogation devra être envisagée si les différents départements ministériels ne parviennent pas à identifier des véhicules idoines d’abrogation, car, s’agissant des lois récentes - je ne parle pas ici, par exemple, de la fameuse législation sur le port du pantalon féminin ! (Sourires) -, il n’est pas possible de laisser les sujets de droit dans une incertitude juridique.

À cet instant de notre débat, je ne poursuivrai pas plus loin sur le sujet de la stricte question de l’application des lois afin d’apporter précisément aux prochains orateurs des éléments d’appréciation sur les lois relevant de leurs commissions.

Je tiens toutefois à revenir sur l’obligation de dépôt des rapports, point soulevé dans le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Le président de cette commission a, fort judicieusement, décrit une situation dans laquelle les rapports sont bien remis, mais souvent en retard, pour n’être guère exploités par la suite.

Jean-Jacques Hyest s’est interrogé en commission : « Faut-il vraiment demander un rapport à chaque article de loi, à défaut de pouvoir proposer une mesure à laquelle on opposerait l’article 40 ? » Il a conclu en se demandant s’il ne vaudrait pas mieux se contenter des rapports qui sont vraiment utiles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le premier alinéa de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit prévoit la présentation d’un rapport du Gouvernement au Parlement, à l’issue d’un délai de six mois suivant la date d’entrée en vigueur d’une loi.

De même, sur le fondement de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, tout projet de loi de financement de la sécurité sociale est accompagné d’un rapport rendant compte de la mise en œuvre des dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale de l’année en cours. Convenons-en, ce dernier rapport, dont le délai de dépôt est en phase avec les spécificités liées à la loi de financement de la sécurité sociale, fait double emploi avec l’obligation de dépôt de rapport de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004.

Au titre de la XIIIe législature, 164 rapports étaient attendus ; 131 ont été déposés, soit 80 % du total escompté. Restent 33 rapports, dont certains ont perdu beaucoup de leur pertinence politique : il n’est que de songer, par exemple, à la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.

En dehors des rapports dits « de l’article 67 », un très grand nombre de dispositions législatives imposent au Gouvernement de présenter au Parlement, soit en annexe du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale, soit séparément de manière ponctuelle ou périodique, différents rapports d’information ou d’application.

Il faut ainsi avoir conscience que les lois de la XIIIe législature ont généré l’obligation de déposer plus de 400 rapports, hors article 67.

Il faut convenir que ce n’est pas spécifique à la XIIIe législature. Ainsi, la loi relative à la sécurisation de l’emploi, publiée dernièrement, comprend vingt-sept articles et prévoit la transmission de seize rapports au Parlement ; en d’autres termes, plus d’un article sur deux tend à la remise d’un rapport ! Mesdames, messieurs les sénateurs, je me permets de vous demander de partager mes interrogations.

Je sais que, cette année, les commissions permanentes s’accordent à déplorer le retard de transmission. Il est vrai que deux maux frappent ces rapports.

En premier lieu, ces rapports sont remis avec retard au Parlement.

Ainsi, au cours de la session 2011-2012 proprement dite, c’est-à-dire entre le 1er octobre 2011 et le 30 septembre 2012, le Sénat a reçu quarante-quatre rapports « de l’article 67 », soit exactement le double des rapports enregistrés au cours du précédent exercice 2010-2011. Le délai légal de six mois n’a été respecté que trois fois cette année, situation malgré tout en légère amélioration par rapport à l’année précédente lors de laquelle le délai légal n’avait jamais été respecté !

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Vous avez une bonne marge de progression ! (Sourires.)

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ainsi peut-on citer le rapport sur la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, publié plus de cinq ans après la promulgation.

Dès lors, il convient de s’interroger sur la pertinence de l’objectif de six mois fixé par le législateur de 2004. Il s’agit, je crois, d’une réflexion que nous devons conduire ensemble afin de faire concorder la norme avec la réalité de son application, près de dix ans après son instauration.

En second lieu, les rapports de l’article 67 ont un contenu hétérogène : certains fournissent un ensemble d’informations assez détaillées et directement exploitables, notamment la liste des textes réglementaires d’application restant à prendre et, s’il y a lieu, les motifs pouvant justifier le retard pris ; d’autres se contentent d’un simple catalogue de mesures sans commentaires explicatifs.

Là encore, notre réflexion doit cheminer de concert afin de calibrer obligation de rapport, délai de dépôt et contenu des informations transmises.

Si l’on souhaite que le Parlement puisse bien contrôler, il doit être bien informé et non englouti par des informations, certes nombreuses, mais obsolètes ou inadaptées.

Je conclurai en abordant la synchronisation de nos travaux pour accompagner les actions du Gouvernement en vue d’une simplification et d’une modernisation de notre environnement normatif.

Depuis une vingtaine d’années, la construction du droit est l’objet de critiques récurrentes, parfois excessives, mais pas toujours infondées.

Il faut bien admettre que, au fil des textes, notre droit tend à devenir de plus en plus complexe, voire instable pour ses usagers.

À cette fin, le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, présidé par le Premier ministre, a pris plusieurs décisions qui me semblent entrer dans le champ des préoccupations de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Il s’agit en particulier des mesures très exigeantes pour endiguer l’inflation normative sur la base du principe « un pour un » - une norme créée, une norme supprimée – retenu dans la décision n° 16, mais également pour renforcer l’efficacité des études d’impact, comme le précise la décision n° 17.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en créant des égaux, la loi cimente et justifie notre société. Dès lors, sa fabrique doit être exigeante, sûre, vérifiée et vérifiable.

La première condition de notre égalité républicaine est l’effectivité de la loi. Notre premier dessein doit donc être la recherche de l’infaillibilité de cette effectivité.

Je forme le vœu que les travaux de votre commission nous permettent collectivement d’accomplir l’objectif posé par le philosophe anglais John Locke qui, dans son Traité du gouvernement civil, estimait « qu’il n’est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais qu’il l’est toujours de faire exécuter celles qui ont été faites. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, pour la deuxième année, un débat est organisé en séance publique sur le bilan de l’application des lois, ce dont je me félicite.

Je suis en effet convaincu que, à travers des coopérations fructueuses entre les commissions permanentes et la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, nous pouvons enrichir de façon significative la fonction de contrôle des assemblées parlementaires. J’aurai l’occasion d’y revenir dans la suite de mon propos.

Cette année, deux modifications importantes ont eu une incidence sur le contexte dans lequel a été établi le bilan d’application que je vous présente.

La première modification concerne la période prise en compte, dont les bornes ont été ajustées pour établir un nouveau calendrier, comme cela a été développé tout à l'heure par David Assouline.

La seconde modification porte sur le périmètre des lois suivies par la commission que je préside. En effet, la partition de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, décidée par l’adoption de la résolution du 19 décembre 2011 portant modification du règlement du Sénat, a entraîné une redistribution entre les deux nouvelles commissions - affaires économiques et développement durable - du stock des lois dont l’ancienne commission de l’économie assurait jusqu’à présent le suivi réglementaire.

Ces deux modifications substantielles rendent très difficile toute comparaison avec les bilans dressés précédemment. Pour autant, en m’appuyant sur l’analyse des textes d’application des vingt-quatre lois dont le suivi a été confié à la commission des affaires économiques en fonction de ses champs de compétences nouvellement définis, je présenterai un bilan qualitatif et formulerai quelques préconisations.

Sur ces vingt-quatre lois, quatre ont été adoptées au cours de l’année parlementaire de référence. Il s’agit d’un chiffre relativement faible, imputable, comme vous le savez, mes chers collègues, à l’interruption prolongée des travaux parlementaires en raison des élections présidentielle, puis législatives ; toutefois, compte tenu du rythme auquel nous examinons les projets de loi, peut-être rattraperons-nous ce retard ! (Sourires.) Il s’agit de la loi relative aux certificats d’obtention végétale, de la loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique, de la loi relative à la majoration des droits à construire et de celle qui vise précisément à abroger cette dernière.

Les deux textes relatifs à la majoration des droits à construire étaient d’application directe. On peut cependant regretter que la loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique soit encore aujourd’hui, quinze mois après sa promulgation, totalement inapplicable, alors qu’un seul décret en Conseil d’État est attendu.

Je ne peux que rappeler qu’il s’agit d’une loi d’origine parlementaire, provenant, cette fois-ci de l’Assemblée nationale, mais un texte quasiment identique avait été déposé par notre collègue Ladislas Poniatowski. Malgré ce consensus parlementaire, l’administration ne semble pas se précipiter pour chausser ses bottes et rédiger les textes d’application...

Je regrette également que la loi relative aux certificats d’obtention végétale ne soit, à ce jour, toujours applicable qu’à hauteur de 12 %. On peut d’autant plus dénoncer cette lenteur qu’il s’agit, là encore, d’un texte d’initiative sénatoriale, déposé par notre collègue Christian Demuynck. Certes, ce texte n’a pas fait l’objet du même consensus politique que la loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique, comme en témoigne le débat qui a eu lieu dans cet hémicycle le 27 mars dernier, mais, a priori, le ministre de l’agriculture s’est engagé à publier prochainement les décrets à l’issue d’une concertation avec les parties prenantes, et je sais qu’elle a lieu. Je souhaite, monsieur le ministre, avoir confirmation de cet engagement.

Je souhaite également insister sur le fait qu’une majorité de nos lois en stock n’est que partiellement applicable, ce qui est loin d’être satisfaisant. Dans certains cas, d’importants retards sont à déplorer. Il en est ainsi de la loi de 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, qui n’est applicable qu’à hauteur de 88 %, et de la loi, également de 2005, relative à la régulation des activités postales – la durée des débats sur ce texte nous laisse à tous un souvenir particulier –, applicable à seulement 80 %.

La loi de 2010 portant réforme du crédit à la consommation n’est, quant à elle, applicable à ce jour qu’à hauteur de 89 %. Même si les mesures restant à prendre ne portent pas sur les aspects fondamentaux du texte, il faut déplorer que les modalités de procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires des mutuelles et des institutions de prévoyance ne puissent, faute de mesures réglementaires, être concrètement envisagées.

Dans quelques jours, nous commencerons l’examen du projet de loi relatif à la consommation, dans lequel un amendement du Gouvernement a introduit le registre national des crédits aux particuliers. Il eut été peut-être pertinent de pouvoir évaluer auparavant l’efficacité de tous les dispositifs précédents, plus simplement de la loi dite « Lagarde ».

Comme l’année dernière, je tiens également à déplorer les « défaillances » de l’administration s’agissant du dépôt des rapports au Parlement prévus par les différents textes de loi. Et la remise de tels rapports n’est pas plus effective lorsqu’il s’agit d’une disposition initiale du Gouvernement. Tout le monde est donc logé à la même enseigne, monsieur le ministre, mais cela donne à réfléchir : il faut absolument combattre cette solution de facilité qui consiste à prévoir un rapport sur un dispositif qui ne peut être adopté dans la loi. Je ne reviendrai pas sur le débat relatif au nombre de rapports demandés : vous connaissez ma position. Il me semble regrettable de réclamer la remise d’un rapport sur un texte relativement important dans les six mois suivant son entrée en vigueur, car on sera incapable non seulement de le produire, mais aussi d’évaluer les effets proprement dits de la loi.

Je constate encore que le projet de loi relatif à la consommation tel qu’adopté ces jours-ci par la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale n’échappe pas à ce travers.

Pour notre bilan 2011-2012, les chiffres sont éloquents : sur les 52 rapports prévus par les 24 lois suivies par notre commission des affaires économiques, seuls 20 avaient été déposés au 31 mars dernier ! Certains rapports attendus sont prévus par des lois datant de 2004... Or 7 rapports prévus par la loi de 2008 de modernisation de l’économie n’ont, par exemple, toujours pas été déposés.

Cette remarque m’amène, comme la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, à m’interroger sur le devenir de mesures législatives anciennes, qui, au bout de sept ou huit ans, ne sont toujours pas applicables. À titre d’exemple, je citerai, dans le secteur de l’énergie, la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique : a priori, trois décrets en Conseil d’État sont encore attendus pour appliquer les articles 60, 94 et 100 et l’administration a fait part de ses interrogations sur le bien-fondé même de ces dispositifs et sur les risques d’effets contre-productifs, liés à l’évolution du contexte économique, des technologies, que je peux comprendre. Mais dans un tel cas de figure, il faut supprimer les mesures en cause ! Le statu quo au bout de huit ans n’est plus acceptable et il faut éventuellement que le Gouvernement propose une modification de la loi elle-même si la nécessité d’adapter ces dispositifs s’impose. À propos également du domaine de l’énergie, lors de la discussion de la future loi sur la transition énergétique, ne pourrait-on pas faire le ménage sur les lois antérieures ?

Bien plus, lorsque de tels retards sont constatés, ne faudrait-il pas engager une réflexion sur « l’obsolescence » de telle ou telle mesure législative en déshérence ? C’est pourquoi j’ai déjà proposé à maintes reprises dans cette enceinte que les textes soient « biodégradables » au bout de cinq ans si l’ensemble des décrets ne sont pas parus et appliqués. Je le reconnais, mon propos est quelque peu provocateur, mais il faut fixer un délai raisonnable de parution des décrets, faute de quoi plus personne ne saura quelles dispositions de la loi en question sont réellement applicables. Bien sûr, je connais l’adage selon lequel nul n’est censé ignorer la loi, mais comment comprendre celle-ci lorsque les décrets d’application ne sont pas parus ?

En conclusion, je souhaite insister sur la coopération très intéressante qui s’établit en matière de contrôle de l’application des lois, à travers les rapports d’information thématiques confiés à des binômes, voire des trinômes, de sénateurs.

Notre collègue Jean-Jacques Lasserre participe ainsi actuellement, aux côtés de nos collègues Luc Carvounas et Louis Nègre, à la rédaction du rapport sur l’application de la loi de 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, que nous devrions examiner au début du mois prochain.

Au-delà de l’examen strictement quantitatif du bilan des textes d’application, ces rapports permettent d’apprécier l’effectivité de l’application d’une loi au regard des objectifs fixés par le législateur. C’est comme cela que doit s’entendre la fonction de contrôle du Parlement reconnue par la réforme constitutionnelle de 2008. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)