M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Tout comme ma collègue Geneviève Fioraso, je suis très heureux de la sérénité des débats de ce soir. Ainsi que j’avais déjà eu l’occasion de le constater à propos d’un texte relatif à la retenue de seize heures, la Haute Assemblée a, sur ces questions, un recul et une capacité à s’abstraire des idées reçues qui lui font honneur.

Je partage le point de vue de Mme Cukierman : les migrations internationales et le rapport de l’individu à la frontière seront l’un des grands sujets du XXIe siècle. Comme sur l’ensemble des grands sujets, il faut oser en débattre sans a priori, ni outrance, mais aussi sans angélisme, ni naïveté ; je rejoins le souhait de M. Capo-Canellas à cet égard.

La France a une position doublement singulière en Europe. D’une part, contrairement à la plupart de ses voisins, notre pays a une démographie favorable ; notre situation, sans être exceptionnelle, est enviable, surtout par comparaison avec l’Allemagne, l’Italie ou même les pays d’Europe du Nord. D’autre part, nous faisons face à une crise qui pèse lourdement sur la situation de l’emploi. Dans ce contexte, comme l’a souligné M. Chevènement, je ne pense pas que nous puissions augmenter sensiblement les flux réguliers d’immigration. En revanche, ma collègue Geneviève Fioraso l’a rappelé, nous devons savoir répondre aux besoins de notre économie et à l’impératif de rayonnement de notre pays dans le monde.

Débattre est utile, mais cela ne suffit pas : il faut agir. À cet égard, je vous proposerai trois grands temps.

À court terme, nous nous engageons à mettre en place par voie de circulaire ou de décret certaines des orientations que vous avez souhaitées. Qu’il s’agisse de la pluriannualité du titre de séjour étudiant, à laquelle Mme Bariza Khiari a fait référence, de la sélection des étudiants, de l’autorisation de travail ou de l’accueil en préfecture, tout ce qui pourra être traité par voie réglementaire le sera. Oui, madame Gillot, il faut mettre fin au cauchemar annuel du renouvellement des titres de séjour !

Nous pouvons d’ores et déjà aller vers une plus grande pluriannualité des titres de séjour étudiant ; MM. Kerdraon et Leconte se sont également exprimés en ce sens. Nous pouvons améliorer l’accueil des étrangers en préfecture, en généralisant la prise de rendez-vous par internet, comme le propose Mme Khiari, et en rapprochant les préfectures des campus universitaires. Nous pouvons définir une stratégie d’accueil des étudiants basée sur l’excellence et le rayonnement. Cela impliquera sans doute de responsabiliser les universités dans leurs stratégies de développement international et dans leur recrutement, et de mieux cerner et évaluer l’action de Campus France. Vous avez été nombreux – je pense à M. Chevènement, à M. Leconte ou à Mme Benbassa – à évoquer le caractère parfois inadapté de cet outil.

Toujours à court terme, nous devons aussi réfléchir à l’évolution de nos outils d’immigration professionnelle. Le foisonnement de normes et de dispositifs rend notre système peu lisible. Mes services agiront de concert avec le ministère du travail pour définir un cadre plus efficace et plus réactif, qui protège le marché de l’emploi, comme l’a évoqué M. Chevènement, sans dissuader les arrivées de ceux qui peuvent contribuer à la croissance et au rayonnement de notre pays ; Mme Khiari ou M. Capo-Canellas y ont fait référence.

À moyen terme, il nous faudra faire évoluer notre cadre légal. Les travaux de ce jour, le rapport que M. Matthias Fekl va nous remettre à la demande du Premier ministre et les différentes missions d’inspection que j’ai diligentées serviront de base à un projet de loi que je souhaite pouvoir déposer à l’été. Mes objectifs seront assez simples.

Premièrement, il s’agira de généraliser le titre de séjour pluriannuel non seulement pour faciliter l’intégration de tous les étrangers nouvellement arrivés, et pas uniquement des étudiants,…

M. Manuel Valls, ministre. … mais également pour améliorer l’accueil en préfecture en allégeant leurs tâches et en centrant leurs missions sur la lutte contre la fraude.

Deuxièmement, il conviendra de refondre nos titres de séjour pour rendre notre droit en la matière plus lisible et moins décourageant pour les talents étrangers. Oui, il faut aller vers un moins grand éparpillement de nos titres de séjour !

Troisièmement, il faudra renforcer nos dispositifs de lutte contre l’immigration irrégulière, dans le respect des droits.

Ce projet de loi ne doit pas être l’occasion d’un grand déballage sur toutes les problématiques d’immigration – parfois, nous aimons bien les « cathédrales législatives » –, qui risquerait de susciter des passions inutiles dans le contexte actuel. En revanche, il devra permettre de répondre aux préoccupations concrètes que vous avez évoquées les uns et les autres.

Avec ce texte, nous tirerons un trait définitif sur la circulaire Guéant, en facilitant le changement de statut des étudiants les plus talentueux. Si nous sommes suffisamment sélectifs, nous pourrons considérablement favoriser l’usage de ce droit, en laissant à l’étudiant le temps nécessaire pour trouver un emploi correspondant à ses qualifications et en supprimant certaines conditions restrictives posées par la loi.

Sur ces axes, je pense que nous pourrons travailler ensemble à une réforme d’équilibre, durable et responsable. Pour ma part, je souhaiterais que nous parvenions au consensus le plus large possible sur ces questions. Peut-être faudra-t-il commencer par soumettre le texte au Sénat, qui pourra ainsi montrer l’exemple…

À plus long terme, nous devrons également prolonger la réflexion sur les questions migratoires, en conciliant deux objectifs : la lutte contre l’immigration irrégulière – je serai évidemment ferme à cet égard – et l’attractivité du territoire. Les questions d’immigration sont intimement liées à l’inscription actuelle et future de notre pays dans la mondialisation. Comme je le soulignais voilà un instant, si nous nous fermons aux migrations qualifiées, nous serons demain marginalisés par rapport à tous les grands États ; je pense aux États-Unis, à l’Allemagne, aux pays scandinaves ou au Royaume-Uni. Je le répète, la France ne doit pas être à la traîne.

Dans le même temps, nous devons faire preuve de pédagogie. Avec la crise économique que nous connaissons, il y a des peurs. Parfois, par souci de générosité, nous les oublions, et le message ne passe alors pas. Nos concitoyens nous jugeraient très sévèrement si l’immigration devenait incontrôlée.

Nous avons besoin d’un outil interministériel qui nous permette d’adapter en temps réel le contrôle des flux migratoires, indispensables, et la définition d’une stratégie d’attractivité pour les migrations d’excellence. Nous avons besoin que cet outil, ce nouveau comité interministériel, élabore des statistiques plus stables, plus riches, plus exhaustives pour éclairer la représentation nationale ; c’est ce que vous souhaitez à juste titre, madame Khiari, vous qui connaissez bien ces questions. Nous avons besoin que le comité s’appuie sur des travaux d’experts et de chercheurs – nous consulterons ainsi Mme Benbassa – pour mieux évaluer les effets macroéconomiques de nos flux migratoires. Je proposerai au Premier ministre de refonder rapidement le Comité interministériel de contrôle de l’immigration, pour en faire cet outil qui mette nos flux migratoires au service de notre compétitivité et de notre rayonnement.

Il nous faudra également – c’est essentiel, mais c’est un travail de longue haleine – dynamiser l’accueil des migrants légaux. Comme l’a souligné M. Reichardt, la France se caractérise par une immigration duale sur le marché du travail.

D’un côté, il y a une immigration professionnelle, limitée en nombre. Ce sont des migrants qui ont des compétences rares et prisées sur le marché du travail français et qui sont employés dans le respect de notre droit du travail. De l’autre, il y a une immigration essentiellement familiale, qui a accès au marché du travail.

Il convient donc, me semble-t-il, de densifier notre dispositif d’intégration par un meilleur lien avec la formation professionnelle et l’insertion sociale. Actuellement, 60 % de ces migrants familiaux ont un niveau égal ou inférieur au baccalauréat et 62 % de ceux qui s’inscrivent à Pôle emploi n’ont pas trouvé d’emploi après six mois d’inscription.

Le dispositif ne permet donc pas l’insertion rapide de ces primo-arrivants sur le marché du travail. C’est un élément dommageable, y compris pour l’intégration, notamment dans un certain nombre de quartiers, qui sont devenus de véritables ghettos urbains ou sociaux, voire ethniques. Il nous faudra réfléchir avec Michel Sapin aux moyens à mettre en œuvre pour dynamiser ce processus. Une inspection a été lancée pour faire le bilan de notre politique d’accueil. Nous devrons en tirer rapidement les conséquences.

J’ai noté dans certaines de vos interventions, par exemple dans celle de Mme Khiari, une interrogation sur le sort des emplois réservés aux nationaux. Comme cela a été rappelé, des travaux ont déjà été conduits au sein de la Haute Assemblée. Des questions nouvelles se posent, notamment dans la fonction publique. Elles sont parfois iconoclastes, mais elles méritent sans doute une étude attentive, en concertation avec les différents acteurs qui ont été mentionnés et les partenaires sociaux. Bien entendu, le Sénat devra, compte tenu du travail fourni, y être étroitement associé.

Enfin, il faut le souligner, certains employeurs sans scrupules contournent les règles applicables pour pouvoir utiliser des étrangers sans titre ou des travailleurs communautaires faussement détachés. Face à cela, il faut agir avec fermeté. Un nouveau plan national de lutte contre le travail illégal a été adopté. Il prévoit des contrôles renforcés et des sanctions exemplaires contre ces employeurs. Cela n’exclut d’ailleurs pas des possibilités de régularisation au cas par cas de certains travailleurs étrangers, dans les conditions prévues par la circulaire du 28 novembre dernier ; Mme Cukierman a abordé le sujet. La circulaire prévoit des critères stricts, exigeants, mais aussi uniformes, transparents et pérennes pour les étrangers en situation irrégulière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat d’aujourd'hui n’est qu’une étape indispensable dans une refondation, que je souhaite à la fois ambitieuse et réaliste, de notre politique migratoire. Nous devons regarder les flux migratoires en face et comprendre qu’une immigration maîtrisée, intelligente et contrôlée peut être un vecteur non seulement de rayonnement et de croissance, mais aussi d’apaisement pour notre société.

Aucune politique publique ne peut se résumer aux clivages artificiels et aux postures, on peut en tout cas l’espérer. Le débat a démontré que l’on pouvait discuter des questions d’immigration dans un cadre apaisé ; la Haute Assemblée sait se saisir de telles questions et être à la hauteur des enjeux.

Grâce à la qualité de vos interventions, que je veux saluer, et à l’implication toute particulière de ma collègue Geneviève Fioraso, que je remercie une nouvelle fois, le débat de ce soir constitue un encouragement à refaire de la France ce pôle d’attractivité et de rayonnement qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’immigration étudiante et professionnelle.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 25 avril 2013 :

À neuf heures trente :

1. Débat sur la loi pénitentiaire.

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze :

3. Débat sur la politique européenne de la pêche.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 25 avril 2013, à zéro heure trente.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART