M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le récent rapport de notre collègue Georges Labazée nous permet de débattre cet après-midi de la politique vaccinale de la France. Toutefois, avant d’aborder celle-ci en tant que telle, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel elle s’inscrit.

Des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années pour protéger la santé des populations par la prévention vaccinale des maladies infectieuses. Cette amélioration repose sur plusieurs facteurs, que nous connaissons tous : l’amélioration des conditions d’hygiène de vie, l’antibiothérapie et la vaccination. Cependant, force est de constater que la place de la vaccination est sous-estimée, voire contestée, parfois pour des raisons justifiées.

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres fournis par l’Organisation mondiale de la santé pour illustrer les enjeux de la vaccination.

La vaccination permet de prévenir, chaque année, entre 2 et 3 millions de décès liés à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche, à la rougeole, aux oreillons et à la rubéole. Elle concerne un plus grand nombre d’enfants qu’auparavant. En 2010, l’OMS estimait à 109 millions le nombre d’enfants de moins d’un an ayant reçu trois doses de vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche. Malheureusement, en 2008, encore 1,7 million d’enfants étaient décédés d’une maladie évitable par la vaccination avant d’avoir atteint leur cinquième anniversaire.

Grâce aux efforts d’éradication de la poliomyélite, plus de 7 millions de personnes marchent aujourd’hui, alors que, sans vaccin, elles seraient paralysées, et l’incidence de cette maladie a reculé de 99,8 %. L’éradication totale de la poliomyélite permettra d’économiser une somme estimée à 50 milliards de dollars à l’horizon de 2035, pour l’essentiel dans les pays en développement.

Ces chiffres nous rappellent que la France doit continuer à encourager l’accès des pays en voie de développement aux vaccins.

Il y a eu de nombreux rapports sur la politique vaccinale nationale, avec des recommandations précises pour l’améliorer. Je pense notamment au travail que notre ancien collègue Paul Blanc a réalisé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, en 2007. Je pense également au dernier document en date, le rapport Labazée : plusieurs des solutions proposées rejoignent en grande partie les recommandations que la Cour des comptes a émises dans son enquête du mois d’octobre 2012. Cela représente un large panel de mesures, couvrant à la fois la couverture vaccinale, la politique de remboursement des produits, la communication et le calendrier vaccinal.

Il faut souligner le caractère paradoxal de notre politique vaccinale. D’une part, la France possède une expertise reconnue en matière de vaccins ; notre pays applique une véritable politique vaccinale avec la mise en place d’un calendrier exigeant pour protéger au mieux la population. D’autre part, et Gilbert Barbier le soulignait, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce dispositif : un discours protestataire trouve un écho favorable auprès des Français pour rejeter des vaccins à l’efficacité vérifiée et douter de l’utilité de la vaccination. La situation est inquiétante dans un pays où, chaque année, le tétanos cause encore des décès et où la tuberculose frappe des milliers de personnes.

À titre personnel, j’estime que certaines décisions en matière de vaccination ont été catastrophiques. Selon moi, la suppression de l’obligation de vaccination par le BCG contre la tuberculose a été une grave erreur, même si la mutation du bacille a diminué l’efficacité du vaccin.

Ainsi, malgré la qualité de notre système de santé en la matière, le bilan de notre politique vaccinale est loin d’être satisfaisant. Selon la Cour des comptes, les objectifs vaccinaux établis dans une perspective quinquennale, en annexe de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ont été définis « de manière trop uniforme » et leur degré de réalisation a été décevant, dans le cadre national comme au regard des comparaisons internationales. L’objectif de couverture de 95 % de la population générale n’a été que « partiellement évaluable ». Mais lorsqu’il est intégralement mesurable, comme pour la vaccination des enfants de deux à six ans, l’objectif n’est que partiellement atteint. Les points noirs sont le très faible taux de vaccination contre l’hépatite B et l’insuffisance des primo-vaccinations contre la rubéole, les oreillons et la rougeole, qui distinguent négativement notre pays dans les comparaisons internationales.

Madame la ministre, le ministère de la santé vient de publier un nouveau calendrier vaccinal simplifié. Vous l’avez précisé dans votre intervention, ce dont je vous remercie.

Par ailleurs, le taux de couverture contre la grippe saisonnière est inférieur dans tous les groupes cibles – ALD, professionnels de santé, plus de soixante-cinq ans – à 75 %. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement entend redéfinir les objectifs spécifiques par type de population fragile ?

Pour illustrer la complexité de la définition et de la mise en œuvre de la politique vaccinale, permettez-moi de revenir sur la campagne de vaccination de 2009 contre la grippe A H1N1.

À l’occasion du bilan de la campagne, j’ai présenté, sous la présidence de François Autain, un rapport d’information sur l’étude de la Cour des comptes, qui était plus particulièrement ciblé sur les fonds utilisés. Cela m’a permis d’analyser les faiblesses de l’organisation de la communication interministérielle. Le plan national « Pandémie grippale » ne prévoyait aucune mesure ni procédure de définition d’une stratégie de communication. Toutefois, la communication centrée sur l’information du public et la promotion des gestes barrières ont été efficaces durant les premières phases de la crise. En revanche, l’absence de fichier des coordonnées téléphoniques ou électroniques des médecins m’est apparue stupéfiante. La Cour avait suggéré que les agences régionales de santé, les ARS, élaborent ce type de fichier. Madame la ministre, y a-t-il eu des mesures en ce sens ?

En outre, nous avons constaté l’insuccès des efforts déployés pour convaincre les Français de se faire vacciner. Le manque de réactivité de la communication gouvernementale, en particulier pour contrer les rumeurs véhiculées sur internet, a accentué ce problème. Il y a eu aussi des maladresses. Tandis que l’on défendait l’innocuité des vaccins adjuvés, on annonçait que les personnes fragiles recevraient des vaccins sans adjuvant.

Je rappelle qu’aucune publication n’a fait état de la dangerosité du vaccin H1N1 pour les populations. Le vaccin a eu quelques répercussions néfastes sur certains rares malades, comme n’importe quel type de médicament. Cependant, nous pouvons penser que, à partir du moment où les Français avaient décidé que la vaccination était inutile, il n’y avait pas grand-chose à faire pour les convaincre du contraire. Il est même à craindre que l’insistance des messages gouvernementaux n’ait contribué à aggraver leur défiance à l’égard de la parole publique. Nous devons impérativement tirer les leçons de cette période pour définir une politique de communication adaptée à ce type de circonstances à l’avenir. Madame la ministre, le Gouvernement a-t-il conçu une politique de communication de crise ?

Enfin, de mon point de vue, le fait d’écarter les médecins de la campagne de vaccination a constitué une erreur fondamentale. L’opinion n’a pas compris cette décision, ce qui a aggravé son échec. Pendant cet épisode, les pouvoirs publics n’ont pas fait confiance à ces praticiens. Résultat : un échec flagrant et une défiance encore plus grande de la population envers la vaccination.

Pour restaurer la confiance des Français envers la vaccination, nous devons commencer par restaurer la place du corps médical dans cette politique de santé. Il n’est qu’à voir a contrario le succès de la vaccination antipneumococcique, recommandée et pratiquée par les médecins. Il est donc urgent de redonner à ces derniers toute leur place dans la politique de santé publique. Le corps médical doit être formé à cela.

Madame la ministre, dans votre intervention, vous avez parlé aussi de délégation de tâches aux infirmiers, aux sages-femmes ou aux pharmaciens. Cet après-midi, nous avons commencé à travailler sur le sujet avec Catherine Génisson. Dans certaines ARS, ces délégations sont appelées « protocoles de coopération ». Cela vient après la prise de conscience d’un souci majeur : la désertification médicale et l’absence de revalorisation de l’acte médical depuis des années.

Je conclurai en remerciant M. le rapporteur d’avoir tenu compte de nos observations en commission des affaires sociales sur l’obligation vaccinale. Le vaccin est un enjeu fondamental de santé publique qui transcende les clivages partisans. Nous devons donc démontrer sa nécessité et convaincre les Français de son efficacité. Nous ne pouvons pas nous permettre des échecs récurrents de notre politique vaccinale, compte tenu des enjeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le constat est sans appel : la politique vaccinale française rencontre des insuffisances importantes et en grand décalage avec les pays voisins.

La première difficulté semble provenir du fait que notre médecine est principalement préoccupée par le soin, et non par la prévention. Or, cela a été rappelé, la vaccination fait partie du champ de la prévention.

Par ailleurs, la crainte de la poliomyélite ou de la tuberculose diminue, car ces maladies sont moins fréquentes ou concernent seulement certains types de population. Globalement, le risque diminue, la vigilance se relâche et l’intérêt du vaccin devient moins évident pour la population. C’est regrettable !

Dans la période où la vaccination était obligatoire et où les prestations familiales étaient liées à la vaccination effective des enfants, la France assurait une bonne couverture vaccinale des enfants. Aujourd’hui, nous sommes dans une politique vaccinale globalement incitative avec quelques obligations liées à la vie en collectivité ou à un déplacement à l’étranger. Pour le reste, chacune et chacun gère sa vaccination comme il peut, et presque comme il veut.

Or le sens même de la vaccination, et les campagnes comme la « semaine européenne de la vaccination », qui se déroule actuellement, sont là pour le rappeler, est que le vaccin protège individuellement et collectivement. Il s’agit de poser un acte individuel en lien avec un risque de contagion collectif. Comment mobiliser la population sur cette double nécessité ? C’est probablement sur ce point que nous devons travailler dans la mesure où nous faisons le choix… du libre choix.

Mais, surtout, la question primordiale de la vaccination est très liée à celle du suivi des vaccinations. Vous avez souligné ce problème, madame la ministre : qui est sûr d’être à jour avec ses dates de vaccins ou de rappels ? Qui ne s’est jamais refait vacciner ne sachant plus où il en était ? Car, il faut bien l’admettre, après la période des inscriptions dans le carnet de santé d’un enfant, il n’y a plus de possibilité d’avoir une vision longitudinale de l’état de ses vaccinations. Parfois, la médecine du travail assure cette vigilance ; parfois, le médecin traitant s’en charge également ; mais, parfois, personne ne s’en occupe ! C’est lors d’un accident ou d’une hospitalisation que la personne est interrogée par rapport au tétanos ou à la tuberculose.

La question du suivi est donc centrale pour mobiliser ou remobiliser les personnels de santé et les citoyennes et les citoyens sur le sujet. Nul doute que l’instauration d’un carnet vaccinal individuel électronique permettrait aux usagers, tout en respectant leur liberté individuelle, de connaître l’état de leur vaccination, d’accéder à des informations et de connaître la date des rappels, voire de recevoir des alertes par exemple. Ce système pourrait être adossé à la carte Vitale et ainsi consultable en pharmacie, chez le médecin ou à domicile.

Le dispositif aurait également pour mérite de permettre une approche statistique fiable et régulière de la situation de notre pays, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, loin s’en faut. Ce n’est pas un sujet mineur : quand on cherche à améliorer la couverture d’une population, encore faut-il connaître la situation de départ et mesurer régulièrement les effets de la politique conduite.

Mais, comme le souligne la Cour des comptes, l’amélioration de la couverture vaccinale suppose la formation et la mobilisation, aujourd’hui insuffisantes, des professions de santé sur l’approche préventive.

Nous devons poser la question de l’engagement des professionnels médicaux, mais aussi paramédicaux – infirmiers, sages-femmes,… – en faveur de la vaccination. Aujourd’hui, en France, 80 % à 90 % des vaccinations sont effectuées par les médecins libéraux, qui y accordent un intérêt tout relatif à en croire les données statistiques. Or, à l’étranger, lorsque la vaccination est confiée aux infirmiers – c’est le cas en Angleterre, en Espagne ou au Québec –, les résultats sont probants. Nous pourrions imaginer en France une collaboration étroite entre le pharmacien, qui délivre le vaccin sur prescription médicale et l’inscrit sur le carnet vaccinal du patient, et l’infirmier exerçant en libéral ou dans un centre de soins, un établissement scolaire ou universitaire, un centre de protection maternelle et infantile ou de médecine du travail, qui assure l’injection et complète le carnet.

J’en viens aux populations dites « à risque ». Il serait également intéressant de procéder aux vaccinations des bébés, voire de leurs mères lors de leur séjour à la maternité. Car la vaccination fait partie des actes simples et les risques sont plutôt bien identifiés. Nombre d’infirmiers gèrent déjà des protocoles de soins nettement plus complexes liés à des pathologies lourdes, comme les diabètes ou les cancers. Ils pourraient se voir confier les vaccinations, sous réserve d’intervenir sur prescriptions médicales et d’être rattachés à un médecin coordonnateur en cas de question ou de difficulté. Une telle option permettrait, me semble-t-il, de gagner en efficacité tout en préservant le budget de la sécurité sociale.

L’ouverture à ce type de professionnels permettrait également de contourner les difficultés des usagers situés dans les secteurs géographiques qualifiés de déserts médicaux. Je souscris à l’idée de lancer des expérimentations en ce sens sur quelques régions de métropole et d’outre-mer à l’occasion de la mise en œuvre du nouveau calendrier vaccinal. Cette approche permettrait également de sensibiliser ces professionnels à la nécessité de se vacciner eux-mêmes, en respect des malades qu’ils accompagnent, car nous ne pouvons que déplorer aujourd’hui leur faible niveau de vaccination.

Enfin, je crois que l’adhésion de la population à la démarche de vaccination se gagne surtout autour des enfants. Protéger les enfants est un souci permanent pour les parents. Une bonne information en période de grossesse et de suivi des enfants jusqu’à l’âge de six ans est, en ce sens, déterminante. Les centres de PMI jouent, à ce titre, un rôle prépondérant, ils le prouvent notamment dans les secteurs géographiques sans pédiatres. Leur intervention en école maternelle leur permet également d’informer les parents en direct.

Il serait intéressant de les associer, en outre, à l’élaboration des supports et messages de communication afin de favoriser la prise de conscience de l’entourage de l’enfant sur la protection apportée à ce dernier par sa propre vaccination, ainsi que celle de ses proches. La perte de vigilance, voire la résistance à la vaccination, se compte en vies humaines. J’en veux pour preuve les enfants qui meurent encore de rougeole ou de coqueluche en France, qui ne sont pas nécessairement toujours issus d'une population précaire.

Je partage l’idée que des campagnes d’information générales ou ciblées, avec retours d’informations sur l’efficacité des vaccins, le rapport risque-efficacité, permettraient de remobiliser les Françaises et les Français sur leur vaccination et de faire évoluer les mentalités en la matière, ce qui est un élément essentiel pour la santé publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de remercier M. le rapporteur de sa contribution remarquable à un débat difficile, mais fondamental, que nous retrouverons d’ailleurs dans la future loi de santé publique, à savoir l’appropriation de la vaccination par nos concitoyens. En effet, celle-ci est souvent perçue comme un problème technique et logistique, alors que nombre d’échecs de campagnes de vaccination sont dus à des résistances humaines.

En septembre dernier, deux tiers des Français s’étaient déclarés hostiles à se faire vacciner contre la grippe. Plus de la moitié d’entre eux estimaient même que les vaccins pouvaient être risqués pour leur santé. Dans ces conditions, les conclusions présentées en février dernier par la Cour des comptes sur la politique vaccinale n’ont rien de surprenant. Les résultats sont « médiocres », et la France se situe parmi les mauvais élèves en termes de vaccination par rapport aux pays comparables. Depuis 2008, la vente de vaccins a d’ailleurs baissé de 12 % en unités et de 30 % en valeur.

Les débats qui ont entouré la campagne de vaccination mise en place par les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte contre la pandémie de grippe A HIN1 en 2009 ont été illustratifs de l’échec d’un modèle de politique vaccinale : une politique aveugle menée sans l’appui technique des professionnels de santé. C’est même devenu un cas d’école d’absurdité en matière de formation des décideurs publics dans les universités anglo-saxonnes. En effet, il faut intégrer qu’aucune politique de vaccination ne pourra se faire sans les professionnels de santé. C’est ce que nous a montré la gestion publique de cette pandémie.

Dans le cas de la grippe A à l’automne 2009, la politique sanitaire envers cette pandémie avait été conçue et organisée sans que les professionnels de santé soient initialement associés à cette préparation. Cette exclusion résultait alors d’un monopole établi entre les scientifiques, l’administration et les entreprises pharmaceutiques. Les autorités sanitaires justifièrent ce choix en arguant de la pertinence des centres de santé mis en place pour vacciner soixante millions de personnes au plus vite, sous le contrôle des préfets. Nous avions critiqué cette affaire en son temps.

Sur le papier, l’idée pouvait paraître séduisante. Dans les faits, cette décision, unique au regard de nos voisins, allait être source de graves dysfonctionnements. L’administration a considérablement sous-estimé le rôle historique des professionnels de santé auprès des populations. Leurs mises à l’écart ont entraîné de fortes réticences chez nos concitoyens à se faire vacciner, d’autant que certains patients, effrayés par des rumeurs relayées par les médias, exigèrent que les médecins prennent leurs responsabilités.

Ce n’est qu’à partir du 13 janvier 2010 que la ministre de la santé prit acte de son échec : constatant que 8,5 % de la population était vaccinée pour un objectif initial de 75 %, elle décida de permettre aux médecins généralistes de participer à la vaccination et de mettre fin aux centres de santé dédiés. Malheureusement, il était trop tard, le pic de la pandémie grippale avait été atteint au début de décembre 2009.

Quelques erreurs avaient, en outre, alimenté la contestation : médecins réquisitionnés d’autorité par des gendarmes, mauvaise recommandation du ministère de l’intérieur sur le fractionnement de l’acte de vaccination, centres de vaccination tantôt déserts, tantôt embouteillés, refus de candidats non munis d’un bon, etc.

Enfin, les erreurs du gouvernement d’alors sont apparues ruineuses pour les contribuables : 208 millions d’euros supplémentaires furent déboursés par rapport à l’estimation originellement prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Cela est cher payé quand, un an plus tard, l’Institut de veille sanitaire estima à 312 le nombre de décès liés au virus H1N1 en France, contre 4 000 à 6 000 pour une épidémie de grippe saisonnière classique.

Les acteurs de terrain, eux, ne se sont pas trompés et ont mis en place spontanément une réponse plus adaptée à la réalité de la maladie. Les praticiens libéraux ont ainsi encouragé les personnes à risque à se faire vacciner, tout en soulignant l’inutilité d’une vaccination générale de l’ensemble de la population.

En cela, je partage pleinement le constat émis dans le rapport de M. Labazée, qui s’étonnait que les politiques publiques de santé n’aient pas perçu ou, en tout cas, pas pris en compte le rôle important des médecins de proximité dans la réussite d’une action en matière de vaccination. En effet, le médecin généraliste est souvent le premier interlocuteur, celui qui connaît les problèmes de son malade. Cette proximité lui permet d’anticiper bien des difficultés rencontrées par ceux qui font appel à lui.

Nous pensons, en particulier, à la prévention de la maladie du tétanos. Celui-ci a reculé de façon régulière en France dans la dernière moitié du XXe siècle, passant de trois cents cas par an en 1975 à moins de quatre en 2012. Or aucune communication préventive des pouvoirs publics n’a été faite à ce sujet. Ce sont les médecins généralistes qui ont incité les patients à se faire vacciner.

Inversement, la campagne massive de vaccination contre l’hépatite B déclenchée à partir de 1994 a été menée à grands renforts publicitaires adressés à l’ensemble de la population. Pourtant, la communauté médicale avait alerté, dès le début des années 1970, des conséquences que pouvait avoir cette pratique sur des publics à risque, comme les personnes ayant des antécédents de maladie auto-immune. Elle n’avait pas tort : quinze ans plus tard, le laboratoire GlaxoSmithKline était condamné à verser près de 400 000 euros à une jeune femme vaccinée et atteinte d’une sclérose en plaques.

Récemment, plusieurs professeurs de médecine ont interpellé les pouvoirs publics sur l’utilisation des sels d’aluminium comme adjuvants dans les vaccins. Le rapport en fait état. Ceux-ci sont censés stimuler le pouvoir immunogène de la vaccination et assurer une protection suffisante du receveur. Or plusieurs enquêtes de suivi sur les patients ont montré les risques de formation de myofasciite à macrophages. Plusieurs d’entre eux semblent souffrir d’une importante fatigue chronique, de douleurs très invalidantes et de troubles de la mémoire et du sommeil. Le groupe parlementaire d’études sur la vaccination de l’Assemblée nationale avait ainsi recommandé, en mars 2012, la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation de l’aluminium dans les vaccins « en attendant de recueillir davantage de données scientifiques sur ses conséquences éventuelles, en particulier dans les cas de vaccinations d’enfants en bas âge et de vaccinations répétées ». Nous attendons de connaître votre position à ce propos, madame la ministre.

Les trois préconisations du rapport Labazée sont pertinentes en matière d’intégration des médecins dans l’évolution de la politique vaccinale en France. C’est la raison pour laquelle nous les ferons nôtres.

Tout d’abord, pour restaurer la confiance en la vaccination, commençons par réaffirmer la place du corps médical dans cette politique de santé. Selon une enquête récente, 98 % des Français déclarent avoir « confiance » en leur médecin de famille. Pour l’immense majorité des patients, le médecin généraliste est « à leur écoute » et « compétent ». Cette vision idyllique est néanmoins pondérée par « un patient sur deux » qui lui reproche « une connaissance insuffisante de son passé médical ». À cet égard, l’idée d’un carnet vaccinal électronique va dans le bon sens.

Ensuite, deuxième préconisation de ce rapport, faisons mieux connaître la vaccination auprès des professionnels de santé. Celle-ci apparaît en effet fondamentale. Monsieur le rapporteur, vous affirmez que, « au cours des études médicales et d’infirmière, la part faite à la vaccination semble devenue trop peu importante pour susciter l’adhésion […] des jeunes professionnels qui […] se font très peu vacciner et ont dès lors tendance à peu vacciner eux-mêmes ».

Cette assertion est vraie, mais doit être complétée : les vaccins obéissent à une relation bénéfice-risque qui doit être régulièrement réexaminée. Cela est d’ailleurs le cas de tout médicament. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour connaître exactement les effets secondaires des vaccins coquelucheux acellulaires, tels que les affections neurologiques – encéphalopathies aiguës, encéphalites et encéphalomyélites – chez de rares patients, il est vrai. C’est donc la formation continue des professionnels de santé qu’il faut repenser dans sa globalité.

Enfin, troisième préconisation, je terminerai sur le libre choix des médecins. Il leur incombe non seulement de faire primer la prévention sur le curatif, mais également – j’y insiste – de leur laisser le choix du produit le mieux adapté à la singularité de leur patient. Les deux sont indissociables. Aussi, il faut certes parler des risques de santé, mais avec lucidité et modération. On ne peut parler seulement des risques. L’aspirine peut tuer, mais pour des millions de Français, ses bénéfices sont indispensables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais moi aussi remercier notre collègue Georges Labazée pour son intéressant rapport. Alors qu’avec Ronan Kerdraon, nous achevions celui sur la sécurité sociale et la santé des étudiants, il m’a permis de mieux faire le lien avec la problématique de la vaccination des étudiants. C’est d’ailleurs le premier point que je veux aborder.

Au cours des auditions que nous avons effectuées pour notre rapport, les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé, les SUMPPS, ont appelé notre attention sur l’une de leurs activités essentielles, à savoir la vaccination.

Tant que le service militaire existait, la moitié de la population jeune était médicalement suivie. Ce n’est plus le cas. Selon le SUMPPS de Rouen, par exemple, 23 % des étudiants vus n’étaient pas à jour de leur vaccination ou étaient incapables de fournir leur carnet.

Si les étudiants français sont supposés avoir suivi le calendrier vaccinal, ce n’est pas le cas pour leurs camarades étrangers. En effet, il existe deux cas de figure.

Pour les Erasmus, les étudiants provenant de l’espace économique européen, qui n’ont pas besoin de visa, la vérification de leur statut vaccinal peut avoir lieu au cours de la visite médicale « classique », c’est-à-dire parfois après trois années d’études en licence ; pour ceux qui sont inscrits en master et en doctorat, aucune visite n’est obligatoire.

Cela signifie que l’état vaccinal des étudiants étrangers non soumis à une demande de visa n’est que rarement vérifié, alors que plusieurs cas de tuberculose multirésistante en provenance des pays de l’Est ont été signalés. De plus, l’obligation existe dans très peu de pays. Si l’Italie a un régime proche de celui de la France – nos trois vaccinations obligatoires, plus l’hépatite B –, au Portugal, il n’y a aucune obligation pour la poliomyélite, alors que, en Belgique, c’est la seule vaccination obligatoire.

Pour un étudiant soumis à visa, la visite médicale auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, impose une vérification de son statut vaccinal afin que celui-ci soit conforme à la législation française. Cette vérification peut être faite par un SUMPPS conventionné avec l’OFII. Ces étudiants seraient donc mieux suivis, et ce dès leur arrivée, si j’ai bien compris le système qui me paraît très compliqué.

La France est désormais, avec 290 000 étudiants internationaux, le cinquième pays d’accueil dans le monde. La majorité, soit 27 %, est issue du Maghreb, 23 % viennent d’Europe, donc sans visa, 20 % d’Asie et 7 % d’Amérique. L’effectif des étudiants chinois a lui été multiplié par deux en dix ans. Il faut savoir que les ambitions récemment affichées par la ministre de l’enseignement supérieur sont d’accroître le nombre d’étudiants étrangers et de favoriser l’accueil de ceux qui viennent des pays émergents.

Vous avez annoncé, et je m’en réjouis, car cela fait partie des préconisations de notre rapport sénatorial sur la santé des étudiants, que davantage de SUMPPS deviendraient des centres de soins. Ne faut-il pas faire en sorte que le contrôle et la vaccination de tous les étudiants soient obligatoires dès la première année, et peut-être imposer des vaccinations, comme le BCG, pour les étudiants provenant de pays à risque qui peuvent contaminer leurs camarades ?

En 2009 et 2010, les SUMPPS ont vacciné 13 020 étudiants, soit 1 % seulement du nombre d’étudiants relevant des SUMPPS, qui gèrent les seules universités.

La vie étudiante constitue un moment de rupture dans le suivi médical du jeune, tant le Français, qui n’a souvent plus de médecin traitant, que l’étranger.

J’aimerais savoir, madame la ministre, si vous entendez mettre davantage l’accent sur cette population dont ce sera souvent le dernier contact pour assurer le suivi de vaccinations. Pourquoi aussi ne pas proposer, avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors de l’inscription en faculté, une vérification des vaccinations ? Même sans contrôle du carnet, cela pourrait conduire les étudiants et leurs familles à vérifier où ils en sont.

Cela me conduit à mon deuxième point, la tuberculose, que je croyais, pour ma part, quasiment éradiquée en France.

La tuberculose reste une pathologie infectieuse lourde, parfois mortelle. Sans évoquer les cas très graves d’étrangers atteints de forme de tuberculose multirésistante évoqués dans la presse, je citerai les cas diagnostiqués dans mon département : huit cas dans des lycées et un cas dans une école maternelle, à Choisy-le-Roi. En outre, des dépistages sont organisés régulièrement, comme cet hiver au lycée Maximilien-Perret d’Alfortville.

N’étant pas spécialiste de ces questions, j’aimerais, madame la ministre, vous poser une question : peut-on lier la réapparition de cette maladie au fait que, depuis 2006, le vaccin BCG n’est plus obligatoire en France ? En effet, il fait désormais partie des vaccins « recommandés » uniquement pour les enfants « à risque ».

Si l’on regarde de plus près les chiffres de l’InVS, on constate que, si le nombre de cas augmente peu, la tuberculose ne recule pas. Le taux le plus élevé du pays se situerait en Île-de-France, avec 16,3 cas pour 100 000 habitants. Cela semble logique, compte tenu de l’importance de la population vivant dans la région et des flux migratoires. Les malades étrangers qui s’ignorent porteurs du bacille sont susceptibles de contaminer de très nombreuses personnes, en particulier dans les transports en commun.

Madame la ministre, les services de santé ont-ils pu vérifier les conséquences de la fin de l’obligation de vaccination BCG sur le nombre de cas de tuberculose, notamment dans les établissements scolaires ?

Il me semble que classer l’Île-de-France en territoire « à risque » et en faire une région de vigilance accrue pour l’évolution de la tuberculose serait pertinent. Le département du Val-de-Marne, dont nous sommes élues avec Laurence Cohen, pourrait servir de département « test » dans lequel des campagnes de vaccinations BCG gratuites seraient menées dans les établissements scolaires, y compris dans les universités. On pourrait ainsi mieux en mesurer l’impact.

Pour que les Français se vaccinent, encore faudrait-il – vous l’avez dit, madame la ministre, ainsi que plusieurs orateurs – que les professionnels de santé consultés par les Franciliens soient vaccinés régulièrement.

Près d’un quart des Français éprouvent de la défiance à l’égard des vaccins. Il faudrait certainement rappeler que la vaccination n’est pas « à la carte », que les vaccins protègent et qu’ils seront aussi prochainement curatifs. Les professionnels de santé sont les plus à même de diffuser ce message ; encore faut-il les en convaincre !

Une étude britannique, publiée bien avant le rapport de Georges Labazée, et portant sur le lien entre les patients et leurs médecins, a ainsi démontré que la moitié des patients d’un médecin vacciné contre la grippe l’étaient eux-mêmes. Si, en France, 90 % des médecins sont bien à jour de leurs vaccins obligatoires, les taux sont nettement plus faibles pour les vaccins recommandés. Il conviendrait donc de rechercher les moyens d’inciter les médecins à montrer l’exemple.

La santé des médecins, notamment libéraux, est rarement ciblée dans les programmes de santé publique. Comptez-vous mener une action en ce sens ? Cela permettrait aussi une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Rappelons qu’en 2013, en France, la grippe saisonnière coûtera 40 millions d’euros à l’assurance maladie, qu’elle a touché 3 millions de personnes et en a tué 6 000, plus que les accidents de la route.

La seule solution, nous en sommes convaincus, est la vaccination préventive. Or seulement 11 % des infirmières salariées et 3 % des libérales se sont fait vacciner cette année. Comment les professionnels de santé peuvent-ils alors convaincre les Français de le faire ?

À moyen terme, nous ne pourrons pas faire l’impasse d’un débat sur l’obligation de la vaccination pour les personnels de santé. Là encore, pourquoi ne pas évaluer à titre expérimental sur un département le rapport coût-bénéfice en proposant une vaccination grippale gratuite, quel que soit l’âge ? On pourrait ainsi comparer, l’année suivante, les coûts de prévention avec ceux engendrés par la grippe, comme le préconise la Cour des comptes.

Enfin, il y a de gros progrès à faire chez les futurs professionnels de santé, car ils sont aussi mal vaccinés que ceux qui exercent déjà. Je soutiens donc pleinement la proposition de Georges Labazée de susciter l’adhésion des étudiants et d’augmenter la part consacrée à la vaccination au cours des études.

En conclusion, je crois sincèrement à l’utilité des applications sur internet et smartphone, qui pourraient inciter chacun à mieux se prendre en charge. Ne pourriez-vous, madame la ministre, en attendant de faire des réformes plus importantes, lancer un concours de la meilleure application ? Il en existe déjà, mais l’une d’entre elles pourrait obtenir un label du ministère. Vous inciteriez ainsi les jeunes à suivre leur carnet de vaccination. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.