compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

Secrétaire :

M. Marc Daunis.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Élection d’un sénateur

M. le président. En application des articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre de l’intérieur une communication de laquelle il résulte que, à la suite des opérations électorales du dimanche 2 décembre 2012, Mme Anne Emery-Dumas a été proclamée élue sénateur de la Nièvre.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue parmi nous. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent.)

3

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du jeudi 29 novembre 2012, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Acte est donné de cette communication.

4

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 :

- la convention entre l’État et OSEO relative au programme d’investissements d’avenir, action « Aide à la réindustrialisation » ;

- l’avenant n° 2 relatif à la priorité 2 de la mesure « Renforcement de la compétitivité des PMI et des filières industrielles stratégiques » à la convention passée entre l’État et OSEO relative au programme d’investissements d’avenir, action « Financement des entreprises innovantes – États généraux de l’industrie ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques et à la commission des finances.

Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

5

Demande d’avis sur un projet de nomination

M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 2111-16 du code des transports, M. le Premier ministre, par lettre en date du 3 décembre 2012, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière de transports sur le projet de nomination de M. Jacques Rapoport à la présidence du conseil d’administration de Réseau ferré de France.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.

Acte est donné de cette communication.

6

Modification de l’ordre du jour

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 207 de M. Marc Daunis est retirée du rôle des questions orales et de l’ordre du jour du mardi 18 décembre 2012, à la demande de son auteur. Elle est remplacée par la question orale n° 273 du même auteur.

7

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du vendredi 30 novembre 2012, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 100 f et le troisième alinéa de l’article 100 s du code des professions applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle (n° 2012-285 QPC).

Acte est donné de cette communication.

8

Débat sur l’emploi, la formation et la qualification des jeunes

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, le débat sur l’emploi, la formation et la qualification des jeunes.

La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays connaît une situation particulièrement dramatique sur le front de l’emploi : voilà dix-huit mois que le nombre des demandeurs d’emploi augmente sans discontinuer et le cap symbolique des 3 millions de chômeurs a été franchi au mois d’août dernier.

Parmi les demandeurs d’emploi, les seniors et les jeunes sont les plus touchés.

C’est ainsi que le nombre des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans sans emploi a crû de près de 11 % en une année. Vous le savez, près d’un quart de ces jeunes n’ont pas d’emploi ; parmi les moins qualifiés d’entre eux, le chômage est encore plus dévastateur.

Quant aux seniors sans emploi, leur nombre a augmenté davantage encore, puisqu’il a connu une hausse de 17 % en un an.

L’heure est donc plus que jamais à la mobilisation.

Mes chers collègues, n’oublions pas que les statistiques montrant une progression rapide du chômage cachent des visages d’hommes et de femmes frappés de plus en plus par le désespoir. Pourtant, nous en sommes convaincus, il n’y a pas de fatalité !

Dans ce domaine comme dans tous les autres, l’action politique ne peut porter ses fruits qu’à la condition d’agir sur l’ensemble des paramètres qui entrent en jeu. En matière d’emploi, nous savons bien que seule une stratégie en faveur de la croissance et de la compétitivité sera efficace dans la durée.

C’est avec le souci de répondre au problème de l’emploi que le Gouvernement met en œuvre, depuis un certain nombre de mois, une action qui s’inscrit dans le temps. Il a décidé d’allouer aux politiques de l’emploi un budget qui, dans le contexte actuel, mérite d’être salué.

Il n’a pas toujours été possible d’en dire autant : songez, mes chers collègues, que le budget de l’emploi, qui s’élevait à 17 milliards d’euros en 2002, ne représentait plus que 9,9 milliards d’euros en 2012 ! Entre 2008 et 2012, le nombre des demandeurs d’emploi a augmenté de un million, alors même que les crédits de la mission « Travail et emploi » baissaient de 20 %.

Le projet de loi de finances pour 2013, qui va être soumis à l’examen de la commission mixte paritaire, inverse cette tendance en prévoyant 10,3 milliards d’euros de crédits pour l’emploi, soit un montant en hausse de 2 %.

L’augmentation des crédits atteint même 4 % si l’on veut bien tenir compte d’un changement de périmètre qui a conduit à transférer 250 millions d’euros vers le compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage ».

Le Gouvernement a défini cinq grandes priorités en matière d’emploi.

La première de ces priorités est l’emploi des jeunes, qui est le sujet de notre débat. Je considère néanmoins qu’il est difficile d’en parler sans prendre aussi en compte les autres populations, sous peine de provoquer des effets d’éviction.

Chacun se souvient que nous venons d’adopter la loi du 26 octobre 2012 portant création des emplois d’avenir ; les décrets sont signés, les premières conventions également.

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. En effet !

M. Claude Jeannerot. C’est ainsi que dans mon département, le Doubs, le conseil général a conclu des contrats avec plusieurs dizaines de jeunes, qui occupent d’ores et déjà un emploi.

Je vous le rappelle, il est prévu d’embaucher 100 000 jeunes en emploi d’avenir au cours de l’année 2013. La montée en puissance de ce dispositif se poursuivra en 2014, pour arriver à un total de 150 000 bénéficiaires en rythme de croisière.

L’année prochaine, les crédits qui lui seront consacrés atteindront 2,3 milliards d’euros en autorisations de programme et 466 millions d’euros en crédits de paiement.

Les moyens consacrés aux autres dispositifs en faveur des jeunes, notamment au contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS, seront maintenus.

En revanche, le Gouvernement a proposé de supprimer le contrat d’autonomie, qui avait été lancé, en 2008, dans le cadre du plan « Espoir banlieues ». Nous avons maintes fois dénoncé le médiocre rapport coût/efficacité de ce contrat, qui n’a pas atteint le public visé à l’origine. Sa suppression donnera lieu à une économie de 46 millions d’euros.

Dans quelques semaines – nous sommes là au cœur de la question de l’emploi des jeunes ! –, nous aurons à examiner un projet de loi relatif au contrat de génération,...

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Absolument !

M. Claude Jeannerot. ... texte qui, je crois, sera présenté demain en conseil des ministres (M. le ministre acquiesce.) et qui transcrira l’accord unanime conclu par les partenaires sociaux le 19 novembre dernier.

Aux termes de ce texte, les entreprises de moins de trois cents salariés devraient bénéficier d’une aide de l’État lorsqu’elles recrutent un jeune tout en maintenant dans l’emploi un senior pour organiser entre eux un transfert de savoir et de compétences. Non encore inscrit dans le projet de loi de finances, le coût pour l’État de cette mesure devrait être de l’ordre de 1 milliard d’euros chaque année une fois la montée en puissance du dispositif achevée.

La deuxième priorité du Gouvernement consiste à atténuer les effets de la crise pour les publics les plus fragiles, en ayant notamment recours aux contrats aidés. Évidemment, cela représente un tout avec la question de l’emploi des jeunes.

Dois-je le rappeler ? le Gouvernement a d’ores et déjà adopté des mesures d’urgence pour remédier à la surconsommation des contrats aidés observée pendant les premiers mois de cette année. Au mois de juin, il a d’abord autorisé la conclusion de 80 000 contrats supplémentaires. Puis, au mois d’octobre, il a ouvert une nouvelle enveloppe de 40 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE. Un décret d’avance a été pris pour débloquer en urgence les 300 millions d’euros nécessaires pour financer ces contrats.

En 2013, si toutefois le projet de loi de finances est adopté, les entrées en contrats aidés seront une nouvelle fois élevées : sont prévus 1,5 milliard d’euros et 186 millions d’euros pour financer respectivement 340 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi et 50 000 contrats initiative-emploi, les CIE.

Comme le Gouvernement s’y était engagé, le déploiement des emplois d’avenir destinés aux jeunes ne se fera donc pas au détriment des autres contrats aidés ; je veux souligner ce point naturellement très important pour l’efficacité des politiques de l’emploi.

La troisième priorité gouvernementale, qui est l’accompagnement des mutations économiques, est plus que nécessaire dans le contexte de crise que nous traversons.

Il est notamment proposé de pérenniser le contrat de sécurisation professionnelle, le CSP, qui a été créé en 2011 et auquel 90 000 personnes ont déjà adhéré. Ce contrat permet d’offrir un parcours de transition professionnelle à des personnes licenciées pour motif économique. Plus de 100 millions d’euros sont prévus pour le financer l’année prochaine. On voit bien tout l’intérêt d’une telle mesure dans le présent contexte.

Mais c’est surtout sur la relance du chômage partiel que je voudrais insister. Il s’agit d’un dispositif utile qui permet d’éviter des licenciements en cas de retournement brutal de la conjoncture, toujours d’actualité... Le gouvernement précédent avait pourtant choisi de réduire considérablement la dotation qui y était consacrée : elle ne s’élevait plus qu’à 40 millions d’euros en 2011 et elle est de 30 millions d’euros cette année. Dans le projet de loi de finances, je le rappelle, il est proposé de fixer la dotation à 70 millions d’euros pour 2013.

Le Gouvernement a par ailleurs décidé – et c’est un autre point que je voudrais souligner, monsieur le ministre – de rétablir la procédure d’autorisation administrative préalable, qui avait été supprimée en début d’année, ce qui avait eu pour inconvénient d’entraîner une plus grande insécurité juridique pour les entreprises.

La quatrième priorité, sur laquelle je vais insister quelque peu, est le renforcement du service public de l’emploi, qui est très sollicité en cette période d’augmentation du chômage.

En 2011, la précédente majorité avait jugé opportun de supprimer 1 800 postes à Pôle emploi, alors que – rappelez-vous ! – le chômage repartait à la hausse. Cette année, à la suite du rapport de la mission commune d’information relative à Pôle emploi que je présidais, il a été décidé, au contraire, d’augmenter les moyens de Pôle emploi pour permettre l’embauche de 2 000 agents supplémentaires en CDI. Pour financer ces recrutements, la dotation de l’État à Pôle emploi va donc augmenter l’an prochain de plus de 100 millions d’euros pour atteindre 1,47 milliard d’euros.

Je précise que ces 2 000 agents seront tous affectés à l’accompagnement des demandeurs d’emploi dans le cadre de la nouvelle stratégie définie par le conseil d’administration de Pôle emploi, laquelle vise à une plus grande personnalisation du service apporté.

En complément, Pôle emploi prévoit de redéployer 2 000 postes de travail des fonctions support vers l’accompagnement.

Au total, ce sont donc 4 000 conseillers supplémentaires qui vont être mis au contact direct des usagers.

Verront également leurs moyens augmenter les missions locales qui suivent les jeunes âgés de moins de vingt-six ans sur le plan non seulement de l’emploi, mais aussi plus globalement de l’insertion et de diverses problématiques : logement, social… C’est d’autant plus logique qu’il est en même temps confié à ces missions locales un rôle spécifique de référent dans le domaine des emplois d’avenir. À leur dotation de base de près de 180 millions d’euros s’ajouteront en effet 30 millions d’euros versés au titre de leur contribution au déploiement des emplois d’avenir.

La cinquième et dernière priorité du Gouvernement concerne aussi directement le public des jeunes ; il s’agit du développement des formations en alternance, l’objectif fixé par le Premier ministre étant d’atteindre 500 000 apprentis à la fin du quinquennat.

Mes chers collègues, cet objectif peut sembler en retrait par rapport à certaines annonces qui avaient pu être faites par le passé. Le 1er mars 2011, l’ancien président de la République avait, par exemple, souhaité que 800 000 jeunes soient formés par la voie de l’alternance dès 2015, ce qui aurait supposé d’augmenter le nombre d’alternants d’un tiers en quatre ans ! M. Jean-Marc Ayrault a préféré fixer un objectif plus modeste, mais sans doute plus réaliste.

Les régions vont donc recevoir une dotation de 550 millions d’euros au titre du financement de la prime d’apprentissage et 1,2 milliard d’euros va être versé à la sécurité sociale pour compenser le manque à gagner lié à l’exonération de cotisations sociales applicable aux contrats d’apprentissage.

Je précise que l’Assemblée nationale a décidé de majorer de 2 millions d’euros la dotation prévue pour financer les actions de promotion de l’apprentissage, afin que soient prolongées certaines expérimentations tendant à prévenir les ruptures de contrats d’apprentissage qui, on le sait, sont encore trop fréquentes, notamment dans des secteurs comme l’hôtellerie et la restauration.

Monsieur le ministre, je ne peux conclure ce propos sans parler de l’avenir de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, à laquelle, vous le savez, les Français sont très attachés, et pour cause ! Pour des millions d’entre eux, et cela depuis maintenant soixante ans, l’AFPA a représenté une véritable seconde chance. Des jeunes en situation de décrochage scolaire, mais aussi des adultes en situation de rupture professionnelle ont trouvé, au sein de cette association, une nouvelle voie.

Vous connaissez les atouts de l’AFPA : 9 000 professionnels, une présence répartie sur l’ensemble du territoire national, des offres de formations qualifiantes dans des secteurs en développement et souvent à forte valeur ajoutée – là où, précisément, les autres organismes sont souvent absents ou défaillants en raison des investissements importants exigés – et de formations débouchant presque systématiquement sur l’emploi. Vous connaissez aussi la performance de cet organisme : près de trois stagiaires sur quatre trouvent un emploi dans les six mois qui suivent la formation.

Or l’AFPA est à l’heure actuelle en grand danger. Le précédent gouvernement avait fait des choix qui visaient à jeter l’institution dans le grand bain de la concurrence. Vous le savez, mes chers collègues, le désengagement financier de l’État s’est traduit par une réduction progressive de la subvention à l’AFPA. Les régions étaient censées prendre le relais au titre de leurs compétences de droit commun. Elles l’ont fait, selon des modalités très diverses et dans des conditions souvent très contrastées.

Si rien n’est fait aujourd’hui, l’AFPA va se trouver dans une situation de quasi-cessation de paiement. Mais, vous l’avez dit, monsieur le ministre, le Gouvernement est prêt à sauver et à relancer cette association, qui est indispensable dans le contexte actuel. Il a d’ailleurs déjà pris des mesures d’urgence en cours d’année pour éviter ce risque, mais une action plus structurelle est nécessaire pour redresser la situation. Le président de l’AFPA, quant à lui, a mis au point et proposé un plan de refondation qui vient d’être rendu public.

L’État peut encore aider cet organisme, d’abord en lui transférant le patrimoine immobilier dont il est propriétaire, via la conclusion de baux emphytéotiques, et, ensuite – c’est, je crois, ce qui est attendu –, en participant à sa recapitalisation. L’estimation des besoins en fonds propres est aujourd’hui de 200 millions d’euros à 300 millions d’euros.

Selon nous, à moyen terme, la définition d’un service d’intérêt économique général permettrait aussi de soustraire une partie du marché de la formation à la stricte application des règles de la concurrence, lesquelles, en l’espèce, ne servent pas précisément l’intérêt général ! Au surplus, cela aiderait l’AFPA à mieux faire valoir ses atouts.

Monsieur le ministre, je vous remercie d’avance de nous apporter, à nous parlementaires, et, par notre intermédiaire, aux salariés de l’AFPA, mais surtout aux personnes actuellement en formation, toutes les informations dont vous disposez et qui pourraient contribuer à nous rassurer et à nous donner des perspectives.

Bien entendu, les mesures en faveur de l’emploi et de la formation des jeunes annoncées par le Gouvernement et soutenues par la majorité présidentielle depuis le mois de mai ne prennent sens que si elles s’inscrivent dans une ambition plus globale portée par le président de la République – faut-il le rappeler ? – et visant à donner à notre jeunesse toute la place qui lui revient.

Pour autant, nous le savons, l’emploi et la formation des jeunes constituent un préalable à cette ambition. Je vous prie, monsieur le ministre, de bien vouloir nous faire part de vos choix qui permettent précisément la réalisation de ce préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Claude Jeannerot vient de le dire, l’accès à l’emploi est une difficulté majeure pour les jeunes, particulièrement pour ceux qui sortent du système scolaire sans qualification. L’Observatoire de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, l’INJEP, rend aujourd’hui un rapport dont les chiffres, malheureusement, sont éloquents : en France, le taux de chômage des jeunes a atteint 22,7 % au second trimestre de cette année, soit plus de deux fois le taux moyen national. C’est une constante que ce multiplicateur par 2,2 ; un chiffre brutal et permanent.

Le chômage frappe différemment les jeunes : son taux n’est que de 9 % pour les diplômés du supérieur, tandis qu’il s’élève à 22 % pour les titulaires d’un baccalauréat, d’un CAP ou d’un BEP, et à 46 %, soit près d’un jeune sur deux – chiffre terrible ! –, pour les non-diplômés.

Plus de 140 000 jeunes « décrochent » chaque année sans diplôme ni qualification. Depuis 1979, date du premier rapport de Jacques Legendre, secrétaire d’État chargé de la formation professionnelle sous le gouvernement de Raymond Barre,…

Mme Christiane Demontès. Cela fait longtemps !

M. Gérard Larcher. … ce chiffre n’a guère évolué, malgré la réforme du collège et la massification du lycée.

À l’heure actuelle, le taux de pauvreté des jeunes âgés de dix-huit à vingt-quatre ans atteint 22,5% : c’est un renversement historique de tendance, puisque les jeunes sont désormais davantage touchés par la pauvreté que les personnes âgées. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégions, nous ne pouvons qu’être terrifiés par ce chiffre. En tant qu’ancien ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, je dois reconnaître qu’il signe l’échec permanent des uns et des autres depuis environ vingt-cinq ans. Il doit être considéré avec vérité et courage, sans approche partisane.

C’est clair, les jeunes sont les premières victimes de la récession et de la crise, et l’écart se creuse entre ceux qui ont le bonheur de détenir un bon diplôme de l’enseignement supérieur ou de la formation en alternance et ceux qui n’ont rien ou dont les diplômes ne sont guère valorisables sur le marché du travail.

Aujourd’hui, 15 % des jeunes sont inactifs : ils ne suivent ni études ni formation et n’occupent aucun emploi. Il convient de mesurer les conséquences d’une telle situation.

Face à ce constat, nous partageons sur toutes les travées de cet hémicycle la conviction selon laquelle l’emploi des jeunes constitue bien une priorité nationale. Pour autant, la bonne volonté et les propositions de tous les gouvernements, y compris de l’actuel, en faveur de l’insertion des jeunes ne me paraissent pas à la hauteur de l’enjeu.

Examinons en effet ce que propose le Gouvernement pour l’emploi des jeunes.

À la rentrée, il a annoncé en urgence la création de 150 000 emplois d’avenir sur cinq ans. Il s’agit de CDD, dont la durée ne dépassera pas trois ans. Pourront-ils déboucher par la suite sur des emplois pérennes ? Pour avoir proposé moi-même des contrats aidés, je serais mal fondé de dire qu’une telle mesure ne présente pas d’intérêt. Mais je souhaite que l’on tire les conséquences de l’étude de la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, consacrée au panel 2008, laquelle porte bien sur les contrats que Jean-Louis Borloo et moi-même avions proposés à l’époque. Il y est démontré que les contrats aidés dans le secteur non marchand sont beaucoup moins porteurs d’avenir que les contrats aidés dans le secteur marchand. La différence est même extrêmement forte.

M. Serge Dassault. C’est vrai !

M. Gérard Larcher. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, lors du débat sur les emplois d’avenir, nous aurions dû ne pas circonscrire le champ de notre réflexion au secteur public et associatif. À cet égard, je le répète, les chiffres de la DARES sont clairs : c’est bien le secteur marchand qui peut être porteur d’emplois durables, surtout au moment où les collectivités territoriales ont plutôt tendance à maîtriser leurs dépenses. Or chacun le sait, la masse salariale est un élément majeur de leur budget.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Gérard Larcher. On a en fait recréé les emplois-jeunes, qui servent simplement, comme l’explique dans Le Monde d’hier un représentant de l’INJEP, à faire baisser les chiffres du chômage. J’estime pour ma part que ces emplois ont une certaine utilité, bien que j’aie de vrais doutes sur la réalité des effets d’une telle mesure.

Les contrats de génération, seconde mesure phare du Gouvernement, seront-ils plus efficaces ?

L’idée est plus séduisante : les jeunes pourront être embauchés dans le secteur marchand et les seniors qui les formeront pourront se maintenir dans l’emploi. Aujourd’hui, seulement 43,5 % des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans ont un emploi, même si cette proportion a progressé depuis six ans. Reste à connaître le public ciblé. S’agira-t-il de jeunes sans qualification ? Quel sera le coût réel du dispositif, estimé pour le moment à 2,5 milliards d’euros par an ? Comment sera-t-il financé ? Il faudra, par ailleurs, que l’incitation à l’embauche soit suivie d’effets.

La réussite des contrats de génération dépendra concrètement du carnet de commandes des entreprises. S’il n’y a ni commandes ni croissance, ce type de contrat ne sera pas mis en œuvre. Il convient, me semble-t-il, d’instaurer une forme de continuité entre l’emploi des seniors et celui des jeunes et de favoriser la confiance des entreprises dans un retour de la croissance, laquelle n’est guère encouragée par les mesures gouvernementales.

Le contrat de génération doit donc faire partie d’une politique globale cohérente à l’égard des entreprises, qui ne peuvent être incitées à recruter d’un côté tandis que de l’autre leurs charges et leurs impôts augmentent.

L’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, a publié des estimations montrant que la portée du dispositif paraît surestimée : le Gouvernement affiche un optimisme excessif en prévoyant la création de 500 000 contrats de génération sur le quinquennat, l’OFCE tablant sur 100 000 emplois créés, avec des effets d’aubaine significatifs.

En résumé, les deux mesures phares du Gouvernement, à savoir les emplois d’avenir et les contrats de génération, ne peuvent suffire à faire reculer le chômage des jeunes, car il ne s’agit pas de réformes de fond.

Par ailleurs, la continuité des mesures décidées devrait faire l’objet d’une véritable réflexion de notre part. En douze ans, on aura changé quatre fois de politique en matière de contrats, au gré des alternances, y compris internes au sein d’une même majorité, ce qui soulève un problème de lisibilité. Monsieur le ministre, vous et vos collaborateurs le savez bien, entre le vote d’un dispositif par le Parlement et son appropriation sur le terrain, il faut souvent de longs mois. Entre le temps des espérances et celui des réalités, les pertes en ligne sont souvent extrêmement importantes !

Les réformes structurelles qu’il faut avoir le courage d’engager sont d’abord celles du système éducatif et de la formation professionnelle, qui est une clé pour l’emploi.

Après avoir réformé l’enseignement supérieur, le président Sarkozy voulait s’attaquer au vaste chantier de la formation professionnelle. Afin d’étudier les suites à donner à la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, il m’avait confié, au mois de janvier dernier, une mission sur notre système de formation professionnelle, s’articulant autour de quatre préoccupations majeures : « orienter de manière efficace la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin, notamment les demandeurs d’emploi ; inciter les entreprises à mieux former leurs salariés en y consacrant les fonds adéquats – c’est l’une des clés de la compétitivité, celle-ci ne reposant pas uniquement sur le coût du travail – ; développer la formation professionnelle comme outil de promotion sociale ; créer les conditions d’une meilleure adéquation entre l’enseignement professionnel et les réalités du monde économique ».

Le rôle du système éducatif est essentiel. Il appartient à l’éducation nationale de développer des démarches systématiques d’aide et de soutien durant le cursus scolaire, car l’avenir du jeune – depuis quelques mois, je ressens encore plus qu’auparavant une telle réalité – se joue dès la grande section de maternelle et l’école primaire, en particulier avant le CE2.

Le ministre Vincent Peillon paraît partager ce point de vue, puisqu’il convient, selon lui, de concentrer tous les efforts sur l’école primaire et les apprentissages fondamentaux. C’est là que se trouve la racine du décrochage futur. Luc Chatel avait d’ailleurs mis en place – j’y reviendrai – des plateformes destinées à « rattraper » ceux qui avaient décroché. Il faut lutter avant tout contre l’illettrisme et l’échec scolaire.

Vous le savez tous, 15 à 20 % des écoliers arrivent au collège avec d’énormes difficultés de lecture et de compréhension.