M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’application de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

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Débat sur l'économie sociale et solidaire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’économie sociale et solidaire, à la demande de la commission des affaires économiques, à la demande de la commission des affaires économiques (rapport d’information n° 707, 2011-2012).

La parole est à M. Marc Daunis, président du groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire.

M. Marc Daunis, président du groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le 22 février dernier, notre commission, alors commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, a décidé de créer un groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire, l’ESS, dont elle m’a confié l’honneur de la présidence et d’une co-animation avec mon excellente collègue Marie-Noëlle Lienemann.

Permettez-moi de remercier ici tous mes collègues de la commission, particulièrement notre président, Daniel Raoul, ainsi que l’ensemble des membres du groupe de travail pour la qualité de nos échanges. Cette création préfigurait, d’une certaine manière, la décision prise quelques mois plus tard par le Gouvernement de mettre en place un ministère consacré à cet important secteur de notre économie. Je me félicite de ces deux initiatives, car, par le passé, les pouvoirs publics n’ont pas toujours su accompagner avec toute la constance et la détermination souhaitables un secteur qui contribue pourtant de façon significative à la création de richesses, mais aussi à la cohésion sociale dans notre pays.

De surcroît, la création de ce groupe de travail intervient à un moment-clef. En effet, la crise économique et financière que nous traversons n’est pas simplement due aux errements de la finance. Elle est aussi la conséquence de la montée d’égoïsmes, d’individualismes sans rivage, de la logique d’un système et de la remise en cause progressive du rôle de la puissance publique.

La cohésion sociale s’en trouve gravement menacée. Le chômage de masse s’installe, en même temps que la précarité pour des catégories de plus en plus nombreuses de la population, notamment les classes moyennes. Dans un tel contexte, il est aisé de constater un regain d’intérêt manifeste pour l’économie sociale et solidaire dans son rôle de « réparateur social ».

Au-delà, il est intéressant de porter un regard sur l’origine de l’économie sociale. La croyance en la capacité d’une économie sociale et solidaire de répondre à une exigence de justice et d’efficacité est une vieille utopie, portée par certains penseurs dès le XIXe siècle. La critique à l’encontre du laisser-faire allait alors de pair avec la crainte et le refus d’une économie administrée centralement.

L’économie sociale et solidaire investit ainsi des champs qui ne sont pas occupés par les acteurs économiques traditionnels. Plus humaine, elle crée des richesses tout en préservant l’environnement et les ressources naturelles durables.

Une première approche, assez répandue, attribue aux coopératives, mutuelles, associations et fondations qui constituent l’économie sociale et solidaire un rôle de complément de l’économie capitaliste de marché et d’aide à la reconstruction d’un lien social mis en danger par la crise.

L’ESS traduit également une volonté de se rapprocher des territoires. Je pense en particulier aux territoires ruraux qui, présentant des atouts indéniables en termes de qualité de vie, attirent une nouvelle population résidentielle.

L’avenir de ces territoires, nous le savons, dépendra de leur capacité à maintenir un lien social fort, à proposer une vie associative locale dynamique, ainsi que des services nouveaux et diversifiés. Ainsi, nous avons pu mesurer au cours de nos travaux et des nombreuses auditions que nous avons menées à quel point l’économie sociale et solidaire foisonne de projets qui peuvent sans aucun doute contribuer au désenclavement des territoires ruraux et favoriser l’installation des populations, en particulier des jeunes.

Au cours de ces mêmes auditions, nous avons aussi vu combien il serait réducteur d’appréhender l’économie sociale et solidaire principalement au travers d’une fonction de réparation sociale : elle constitue plus largement un secteur économique à part entière, créateur de richesses et porteur d’innovations, qui a pris une importance croissante ces dernières années. D’après les statistiques officielles, il représente 10 % de l’emploi en France, soit 2,3 millions de salariés ire.

Majoritaires dans le domaine social, ces emplois sont aussi très nombreux dans les domaines de l’assurance et du crédit ou bien encore dans l’agroalimentaire et le commerce, au travers de sociétés coopératives. Si on peut noter une présence moins soutenue dans d’autres branches de la production, comme l’artisanat, l’industrie ou le logement, je suis pourtant convaincu que l’économie sociale et solidaire a le potentiel pour s’y développer rapidement, si l’on met en place des dispositifs de financement adaptés et qu’on lève certains freins juridiques qui brident le potentiel d’innovation des acteurs, sur lequel je reviendrai.

Stratégique par son poids économique, fortement territorialisée, l’économie sociale et solidaire présente aussi l’avantage essentiel d’offrir une importante ressource d’emplois non délocalisables. En relation beaucoup plus étroite avec son environnement territorial que l’économie capitaliste, l’économie sociale et solidaire se caractérise aussi par un maillage de PME et de TPE, qui contribuent à la dynamique des territoires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais plaidé, dans le cadre de notre rapport, pour la mise en place d’un Small Business Act à la française en faveur des PME et des TPE et demandé qu’un volet dédié à l’économie sociale et solidaire y soit intégré.

M. Jean-Michel Baylet. Très bonne idée !

M. Marc Daunis, président du groupe de travail. J’aimerais enfin aborder un autre constat majeur concernant la place qu’occupe aujourd’hui l’économie sociale et solidaire. De plus en plus de citoyens, d’entrepreneurs et de responsables politiques voient en effet dans ce secteur une alternative d’avenir à un modèle économique fondamentalement déséquilibré, qui a fondé la suprématie de la recherche opportuniste et individualiste des gains financiers de court terme. Par opposition aux dérives de ce modèle, l’intérêt de l’ESS réside principalement dans sa capacité à produire des idées et des pratiques réconciliant performance et solidarité, croissance et justice, prospérité et développement durable.

Dans le contexte actuel, qui révèle clairement les limites, l’essoufflement, d’un capitalisme globalisé et financiarisé, l’économie sociale et solidaire fait figure de potentiel alternatif.

Naturellement – cela mérite de s’y arrêter quelques instants –, l’économie sociale et solidaire ne saurait être considérée comme une alternative globale au capitalisme et à ses dérives. Comme je l’ai déjà suggéré, il n’est nullement question que se substitue au marché une planification centrale. Il est au contraire question de laisser libre cours à des initiatives locales et de leur donner les moyens de réussir, particulièrement là où le marché est en échec.

Historiquement, dans les cycles de « bon fonctionnement » du marché, se produit presque mécaniquement un alignement des entreprises sur le modèle capitalistique classique. En revanche, quand le marché dysfonctionne, on peut noter que les entreprises de l’économie sociale et solidaire sont sollicitées. Ce fut le cas dans le passé avec les mutuelles, y compris les banques mutualistes. La distinction s’est estompée dans la période de croissance forte et régulière, au point d’ailleurs que les statuts juridiques ont été alignés. Elle pourrait redevenir d’actualité.

Ainsi, il apparaît aujourd'hui erroné de présenter l’ESS comme un creuset, une matrice, un modèle de développement, mais il est certain qu’elle concourt, eu égard à ses dynamiques et modèles originaux, à la création d’une alternative. Or, nous le savons tous, historiquement, les modèles économiques se sont succédé et ont connu des phases de mutation avec des périodes plus ou moins intenses.

Prenons l’exemple concret de la reprise par des entreprises de l’économie sociale et solidaire d’activités auxquelles renoncent des entreprises capitalistes classiques. Je n’aborderai pas ici les raisons d’une telle évolution. Mais les conditions de cette reprise sont forcément délicates à établir, car elles renvoient à la situation du marché, aux conditions de demande et de concurrence, bref à un environnement qui demeure, quant à lui, inchangé. C’est la raison pour laquelle il paraît important – j’y reviendrai ultérieurement – d’adapter certaines de ces règles à l’économie sociale et solidaire.

Notre rôle de législateur pourrait être de fixer ces règles ainsi que les critères d’attribution des subventions publiques au secteur de l’économie sociale et solidaire, afin qu’il puisse remplir les missions que les entreprises traditionnelles ne sont plus en mesure d’assumer.

Ainsi, si l’ESS ne constitue pas l’unique matrice de ce qui supplantera de façon inéluctable l’actuel modèle économique dominant, elle contribue indiscutablement à son émergence. Dès lors, son développement nécessite impérativement d’être encouragé et facilité par les pouvoirs publics.

À ce sujet, je relève que la nécessité de replacer l’humain au centre des préoccupations économiques ne concerne pas seulement notre pays. L’Union européenne dans son ensemble cherche désormais à promouvoir ce qu’elle appelle un objectif de « croissance inclusive, plus juste socialement et écologiquement durable ». La Commission européenne multiplie ainsi les initiatives depuis quelques mois en faveur de « l’entrepreneuriat social ».

Bien que je me félicite, cela va de soi, de l’intérêt de la Commission en la matière, je souhaite toutefois appeler à une certaine vigilance. Les acteurs de l’ESS que nous avons auditionnés ont en effet unanimement souligné l’enjeu crucial d’une présence forte de la France dans le débat européen. Les règles juridiques qui seront mises en place dans les années à venir au niveau européen devront conforter, et non pas déstabiliser, l’économie sociale et solidaire tel que nous la concevons dans notre pays. Il convient de nous assurer que, derrière ce qui ne pourrait être qu’un glissement lexical et sémantique – l’Europe parle d’entrepreneuriat social là où la France utilise les termes d’économie sociale et solidaire –, ne s’opère pas aussi un glissement de sens susceptible de conduire, à terme, à la dissolution de l’économie sociale dans un droit étroit de la concurrence. La redéfinition des frontières de l’économie sociale et solidaire doit permettre d’enrichir la notion, et non de la diluer. Le Sénat, pour sa part, peut, à son niveau, contribuer à peser sur les débats européens au moyen de propositions de résolutions européennes.

Après ces propos de portée générale destinés à rappeler la place de l’ESS en France et en Europe, permettez-moi de revenir sur les travaux du groupe de travail mis en place par le Sénat sur ces questions.

Il y avait, à l’origine de sa création, le constat d’une carence dans l’organisation institutionnelle et l’agenda de travail des pouvoirs publics français. L’ESS a été marginalisée au cours des dix dernières années. La création, en mai dernier, d’un ministère de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, rattaché au ministère de l’économie et des finances et qui vous a été confié, monsieur le ministre délégué, a constitué un très beau signal et une très belle reconnaissance.

Au-delà de la mission conduite par le député Francis Vercamer entre 2008 et 2010, il nous appartient maintenant de présenter, conformément à votre volonté, des mesures législatives et financières, afin que la mise en place d’un dialogue renforcé avec l’ensemble des ministères concernés et les instances représentatives puisse concerner tout le secteur de l’économie sociale et solidaire.

Pour sa part, le groupe de travail sénatorial a entamé, dès le mois de mars dernier, des travaux qui ont suivi deux axes : d’une part, appréhender globalement la situation de l’économie sociale et solidaire et, d’autre part, de façon plus circonscrite, établir un diagnostic précis du système coopératif en France, l’objectif étant de dégager des propositions concrètes en faveur de son développement. Cela a donné lieu à la publication le 25 juillet, d’un rapport que nous avons cosigné avec Marie-Noëlle Lienemann, laquelle a impulsé un remarquable travail concernant le système coopératif.

Avant de lui céder la parole, je souhaite mettre l’accent sur les trois questions clés qui se dégagent de la consultation transversale menée auprès des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Tout d’abord, il est nécessaire de réfléchir à une définition des frontières de l’économie sociale et solidaire. Celle-ci inclut aujourd’hui les organismes qui se rattachent à l’une des quatre grandes familles statutaires : coopératives, mutuelles, associations et fondations. Autour de ce noyau dur, on trouve cependant un grand nombre d’entreprises qui, bien qu’empruntant la forme juridique d’une société classique, revendiquent leur appartenance à l’ESS du fait des valeurs de désintéressement, de solidarité et de démocratie auxquelles elles se réfèrent et des objectifs d’utilité sociale qu’elles cherchent à promouvoir. Faut-il inclure ces organismes dans l’ESS ?

D’un côté, il n’y a pas de raison de penser que les quatre statuts qui définissent aujourd’hui les frontières officielles de l’ESS constituent l’horizon ultime du secteur. Ces frontières ont d’ailleurs été redéfinies plusieurs fois par le passé. Je rappelle, par exemple, que jusqu’au début des années deux mille, on parlait d’économie sociale et non pas d’économie sociale et solidaire. Aujourd'hui, tout cela est entré dans les mœurs. Pour l’avenir, on peut s’interroger sur la vocation de l’ESS à intégrer plus largement toutes les formes de production se développant hors de la logique capitalistique.

D’un autre côté, la référence aux valeurs qui sont celles de l’ESS ne constitue pas à elle seule un critère d’appartenance suffisant, d’autant que toutes les entreprises communiquent désormais sur le thème de la responsabilité sociale et environnementale. N’y a-t-il pas là un risque de dilution auquel il convient de réfléchir ? Cette question est d’autant plus pertinente que j’ai noté tout à l’heure, en évoquant les travaux actuels de la Commission, la nécessité de renforcer et non pas de diluer ce secteur lors d’une redéfinition de ses frontières.

Je souhaite insister sur un point : dès lors que l’on met en place des politiques publiques assorties d’outils fiscaux ou financiers spécifiques, il importe d’en désigner avec précision les bénéficiaires. Jusqu’à présent, la réflexion sur la question des frontières s’est structurée dans un débat sur la création d’u nouveau label. Mais il serait intéressant également de réfléchir aux moyens d’une inclusion statutaire.

La deuxième question importante sur laquelle il convient de se pencher est celle du financement de l’ESS. Même lorsqu’elles évoluent dans la sphère marchande, les structures relevant de l’économie sociale et solidaire ont en effet beaucoup de mal à trouver des financements externes, car leur logique de profit limité et leurs principes de gouvernance démocratique les rendent peu intéressantes pour les investisseurs financiers. Il faut donc réfléchir aux moyens d’orienter l’épargne vers l’économie sociale et solidaire en créant des outils et des circuits de financement spécifiques. Mobiliser l’épargne solidaire et l’épargne populaire, mettre en place des mécanismes de cofinancement ou de garantie publics, utiliser plus largement les fonds européens ou le mécénat, favoriser le renforcement des fonds propres : il s’agit là d’un vaste chantier. Je sais, monsieur le ministre délégué, que vous vous y êtes attelé. Le Sénat, pour sa part, est prêt.

D’ailleurs, la création de la future banque publique d’investissement, avec un compartiment dédié au financement de l’ESS, est un élément de réponse pragmatique à ces difficultés. De même, la facilitation de l’accès aux marchés publics pour les entreprises de l’ESS constitue l’un des objectifs prioritaires. Cela permettra de répondre au besoin de fonds propres que ces entreprises ont clairement exprimé.

Un troisième axe de réflexion concerne la question de l’emploi. Je ne reviendrai pas sur les emplois d’avenir. Cependant, notre conviction est qu’il existe, dans l’économie sociale et solidaire, d’autres gisements d’emplois importants à exploiter, y compris dans le cadre d’une activité marchande. Il convient donc de réfléchir à des moyens complémentaires, notamment financiers, pour les stimuler.

Le dernier point sur lequel je souhaite attirer votre attention est la participation au dialogue institutionnel. La réforme du cadre normatif relatif à l’économie sociale et solidaire donne une place importante au Sénat, qui doit jouer un rôle d’intermédiaire pour faciliter la contractualisation entre l’État et les acteurs de l’ESS.

Monsieur le ministre délégué, au niveau national, vous avez indiqué qu’une loi de programmation sur l’économie sociale et solidaire serait présentée au cours du premier semestre 2013 au Parlement. L’occasion devra être saisie pour aborder la question controversée de la gouvernance de l’ESS.

Je conclurai en soulignant la nécessité de pérenniser l’existence d’une structure consacrée à l’ESS au sein de notre Haute Assemblée. Le tableau que j’ai brossé montre que nous devrons nous impliquer dans des chantiers lourds et complexes. Il nous a donc paru hautement souhaitable de créer un groupe d’études sur l’économie sociale et solidaire, c’est-à-dire une instance visible, pérenne et transversale permettant d’irriguer les différents champs du travail législatif. Tout comme le ministère de l’ESS est rattaché au ministère de l’économie, ce groupe d’études sénatorial serait rattaché à la commission des affaires économiques.

Par ailleurs, nous avons également appelé de nos vœux un travail de veille législative tous azimuts, afin de mettre en place un véritable volet ESS dans les différents textes législatifs. En effet, si une loi-cadre peut être utile pour affirmer des principes communs et des objectifs stratégiques relatifs au développement de l’économie sociale et solidaire, il faut coupler l’approche législative transversale avec une approche sectorielle plus ciblée, en veillant à ce que chaque texte à portée économique et sociale prenne en compte les attentes des acteurs de l’ESS sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, rapporteur du groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président du groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur le fait coopératif en France et la nécessité de lui donner un nouvel élan pour lui permettre de se développer.

Si l’ONU a consacré l’année 2012 comme l’Année internationale des coopératives, c’est que, partout dans le monde, cette forme d’activité, le plus souvent inscrite dans l’économie de marché, a fait la preuve de son efficacité, de sa singularité et, en même temps, de sa capacité à se développer dans des champs extrêmement variés.

Dans ce contexte, et en écho à la volonté du Gouvernement de préparer une loi sur l’économie sociale et solidaire pour renforcer ce secteur majeur de notre économie et de notre société, il nous a paru utile, au sein de la commission des affaires économiques, de concentrer nos travaux sur des volets très particuliers, susceptibles d’être opérationnels à court terme.

Dressons d’abord un bilan du fait coopératif. À cet égard, il me semble nécessaire de rappeler quelques éléments. Les principes sur lesquels les coopératives se fondent sont très anciens ; ils datent du milieu et de la fin du XIXe siècle, époque de la deuxième révolution industrielle. Mais ils n’en sont pas moins résolument contemporains et modernes.

Premier principe : ce sont des sociétés de personnes, et non de capital. On mesure toute l’importance de cette caractéristique dans le monde actuel, marqué par la crise de la financiarisation !

Deuxième principe : un homme, une voix. Il y a bien profit, il y a bien valorisation de l’entreprise, mais les gains sont redistribués soit sous la forme de ristourne coopérative au sociétaire usager, soit pour pérenniser l’outil, le moderniser, et permettre son développement. Il n’y a donc pas de captation de la richesse aux seules fins d’accumulation de capital. Là encore, c’est un élément extrêmement important.

Troisième principe : l’ancrage territorial de nos coopératives, qui fonde d’ailleurs toute leur actualité. À partir du moment où une coopérative est constituée, elle est en général adossée à des hommes et des femmes qui sont liés à une histoire, un territoire, des projets, et qui n’ont pas du tout l’intention de délocaliser pour aller faire du profit ailleurs. La plupart du temps, l’outil leur appartient justement pour garantir leur emploi, celui de leurs voisins ou de leurs enfants, ainsi que le développement de leur territoire. D’ailleurs, pour le Sénat, l’ancrage local est évidemment un point très important : chacun d’entre vous a l’occasion de voir dans son département combien les coopératives constituent un levier de développement économique.

Ce bilan étant dressé, il faut aussi observer que les coopératives ont mieux résisté que beaucoup d’autres secteurs d’activité à la crise économique. Ainsi, le taux de pérennité des coopératives à trois ans est supérieur à celui des autres sociétés en France. L’écart est encore plus net si l’on considère les longues durées, par exemple le taux de pérennité à cinquante ans. Les coopératives sont donc des sociétés pérennes, qu’il convient de consolider.

Fort heureusement, depuis l’apparition du phénomène, le droit des coopératives a évolué. Il y a notamment eu dans notre pays des évolutions qu’il est important de souligner, voire de conforter, monsieur le ministre délégué.

Premièrement, au-delà des simples sociétaires, il peut y avoir des apports capitalistiques, certes minoritaires, mais qui peuvent s’adosser au projet coopératif. Bien entendu, la rémunération de ce capital est extrêmement encadrée. Il ne s’agit pas de tuer l’esprit coopératif. Mais nous savons que cet apport peut se révéler nécessaire, que ce soit dans certains secteurs industriels, pour l’exportation ou encore l’agrandissement d’activité.

Deuxièmement, on a créé les sociétés coopératives d’intérêt collectif, les SCIC, ce qui permet aux collectivités locales d’entrer dans un mécanisme coopératif. Jusqu’à présent, aux termes de la loi, elles peuvent atteindre 20 % des parts sociales. Dès lors, elles sont parties prenantes du projet coopératif, ce qui s’avère indispensable dans bien des cas. Je pense notamment aux coopératives HLM, mais aussi aux coopératives d’activité médicale ou paramédicale, lorsque des médecins ou des professions paramédicales décident de s’unir. En l’occurrence, la collectivité peut apporter un soutien logistique et garantir la présence sur l’ensemble du territoire, en particulier là où ce n’est pas forcément évident, d’un certain nombre de services médicaux, tout en respectant l’indépendance d’acteurs comme les infirmières ou les médecins.

Nous voyons donc ces formes de coopératives se développer. Je pense qu’il serait intéressant de renforcer un tel mécanisme en augmentant le taux de participation des collectivités locales. En effet, le taux de 20 % reste encore assez faible, eu égard à un certain nombre d’investissements dans différents domaines.

Parmi les autres activités coopératives qui se sont développées figurent les coopératives d’activité et d’emploi, les CAE. En général, elles regroupent des salariés indépendants qui auraient pu faire le choix de l’auto-entreprenariat ; mais, comme vous le savez, le statut d’auto-entrepreneur est très décrié et n’a pas toujours l’efficacité souhaitée. Avec les CAE, les personnes concernées gardent leur autonomie, mais mettent en commun des moyens, des projets, des compétences, des transferts de savoirs et d’idées, ce qui se révèle particulièrement utile dans les domaines de la comptabilité, du marketing ou de la formation.

Monsieur le ministre délégué, nous serions demandeurs d’un travail d’évaluation des CAE. Pourquoi demeurent-elles au stade embryonnaire alors que, aux dires de nombreux acteurs, elles devraient se développer ?

Troisièmement, certaines coopératives qui existaient déjà sont aujourd’hui boostées.

Par exemple, le nombre de sociétés coopératives artisanales a augmenté de 35 % en sept ans. Dans notre pays, les artisans sont en train de faire une mutation culturelle, comme ce fut jadis le cas des agriculteurs. Il y a de plus en plus de coopératives artisanales, soit pour procéder à des groupements d’achats, soit pour faire de la valorisation de produits de manière conjointe, soit pour mener des actions très simples ; je pense notamment aux bouchers indépendants qui se regroupent en coopératives parce qu’ils ont besoin de réaliser de gros investissements pour les ateliers de découpe. On découvre ainsi que de multiples synergies peuvent être mises en valeur. L’artisan garde son autonomie, les traditions et la présence territoriale sont préservées, mais certains aspects sont mis en commun. On peut également mentionner les coopératives de pêche.

Autre secteur qui s’accroit fortement et pourrait se développer encore lourdement et massivement, celui des SCOP, anciennement « sociétés coopératives ouvrières de production », désormais « sociétés coopératives et participatives ». Dans la période récente, les SCOP ont fait leur preuve en tant qu’outil de reprise des entreprises ou de transmission, dans le cas d’un patron désireux de laisser sa société à ses salariés.

Pour franchir un cap quantitatif important, il faut lever toute une série de verrous ; je les évoquerai dans quelques instants.

Les autres coopératives émergentes sont les coopératives d’habitants. Existent aujourd’hui les coopératives HLM, qui ont été très fortement liées historiquement à la location-attribution, puis se sont reconverties, essentiellement en coopératives d’accession sociale à la propriété, avec la disparition de ce produit.

Les coopératives d’HLM pourraient se développer. Mais il existe aussi d’autres attentes de la part des habitants. Cela concerne moins directement le secteur du logement social, car il s’agit de catégories sociales variées. Par exemple, des populations urbaines très sensibilisées aux questions de développement durable peuvent souhaiter développer les coopératives d’habitants, à l’instar de ce qui s’est passé en Suisse ou dans d’autres pays. Nous avons formulé des propositions pour permettre à de tels projets de prospérer.

Par ailleurs, les gros bastions coopératifs existant – il ne faut pas les négliger – peuvent parfois rencontrer des difficultés. Je pense bien sûr aux coopératives agricoles ou aux banques coopératives, dont il faudra évoquer la gouvernance, mais aussi à toute une série d’autres secteurs, comme les coopératives de pêcheurs, que j’évoquais tout à l’heure, ou les commerces associés, une forme de coopératives très importante dans notre pays ; d’ailleurs, tout le monde ne sait pas toujours qu’il s’agit de coopératives…

Dans le rapport, nous ciblons des priorités. Le développement des SCOP en fait partie, notamment pour ce qui concerne la reprise et la transmission d’entreprises, car plusieurs facteurs de blocage existent aujourd’hui.

Prenons le cas des reprises d’entreprise. Actuellement, les seules indemnités perçues par les salariés en cas de licenciement économique ne sont pas suffisantes pour constituer la base de départ nécessaire au rachat d’une entreprise fortement capitalisée. Et les organismes bancaires ne se lancent pas facilement dans des aventures d’une telle nature.

Le Québec a institué un système de progression vers la coopérative. C’est un système transitoire où les coopérateurs sont actionnaires minoritaires de la coopérative, elle-même actionnaire minoritaire de l’entreprise. Tous les profits accumulés leur sont remis pour que leurs parts deviennent de plus en plus importantes, le reste étant porté par la caisse Desjardins vers une banque un peu spécialisée dans le monde coopératif. Chez nous, un tel dispositif pourrait être géré soit par des banques coopératives, soit par un fonds d’investissements coopératif, la coopérative dont les salariés sont minoritaires ayant vocation à devenir à terme une coopérative définitive.

Cela suppose également une adaptation de toute la législation, notamment fiscale.

J’insisterai quelques instants sur la question de la fiscalité. On entend parfois dire que de considérables avantages fiscaux seraient accordés aux coopératives. C’est inexact. Les coopératives ne bénéficient nullement d’avantages fiscaux particuliers.

La Cour de justice de l’Union européenne, dont chacun connaît le laxisme… (Sourires sur le banc de la commission.)