M. Pierre-Yves Collombat. Plus vite dans le mur !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Alors que le conseil européen du 24 juin prochain entérinera le durcissement des règles du pacte de stabilité et de croissance, il est nécessaire que la France se dote d’un frein constitutionnel à la dette. Si le Président de la République s’est engagé sur cette voie dans le cadre d’une démarche européenne, notamment avec l’Allemagne, ce n’est pas pour obéir à je ne sais quelle injonction de Bruxelles : c’est bien notre propre impéritie qui nous y contraint. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand on voit votre collectif budgétaire, c’est sûr, c’est l’impéritie totale !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis reflète fidèlement, sinon la lettre, du moins l’esprit des orientations dégagées par le groupe de travail présidé par Michel Camdessus.

Les deux rapporteurs de la commission des finances ont activement participé aux débats de ce groupe de travail ; la contribution qu’ils ont apportée leur a permis d’en approuver pleinement les conclusions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Avec votre accord, nous avons voulu faire de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 l’occasion de mettre en pratique ces propositions ; c’est pourquoi il nous appartient de vous rappeler nos choix et, d’une certaine façon, de nous en justifier une nouvelle fois.

Nous nous sommes en particulier attachés à définir le contenu possible d’une « bonne » règle, susceptible de garantir la « bonne » gouvernance des finances publiques.

En premier lieu, la règle doit imposer au Gouvernement des contraintes quantitatives claires en matière d’actions à mener pour réduire le déficit. Elle doit être suffisamment souple pour ne pas enfermer l’action politique dans un chemin unique, ce qui risquerait de conduire rapidement à sa remise en cause. Elle ne doit pas faire naître un risque de polémique entre le Gouvernement et un comité d’experts indépendants, comme un panel d’économistes ou bien la Cour des comptes, car une telle confrontation ruinerait sa légitimité. Enfin, elle doit être non manipulable par les gouvernements et compréhensible par l’opinion publique.

Ce socle de référence nous a conduits à promouvoir la notion de « lois-cadres d’équilibre des finances publiques » s’imposant aux lois financières. Pour définir leur contenu, nous avons écarté la notion allemande de « solde structurel », que nous avons jugée difficilement compréhensible par le commun de nos concitoyens et, surtout, trop subjective. Nous lui avons préféré une règle il est vrai plus rustique, mais surtout juridiquement plus contraignante,…

Mme Nicole Bricq. Mais oui...

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. … celle d’effort structurel portant sur des variables budgétaires effectivement maîtrisables par les pouvoirs publics : les dépenses et les mesures nouvelles sur les recettes, avec un plafond de dépenses et un plancher de mesures nouvelles sur recettes.

L’Assemblée nationale a souhaité inclure expressément cette règle dans le texte de la Constitution. Nous approuvons pleinement ce choix.

Nous approuvons de la même façon les deux autres volets de ce projet de loi constitutionnelle, intrinsèquement liés au premier volet : le fait de soumettre obligatoirement le programme de stabilité au Parlement avant sa transmission à Bruxelles et le monopole des lois financières sur les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires ; Philippe Marini vous apportera des explications dans un instant.

Au moment de conclure, je veux appeler solennellement la représentation nationale à ses responsabilités : la France ne peut plus donner le spectacle navrant d’un pays qui recule sans cesse les échéances que lui impose le nécessaire retour à l’équilibre de ses comptes publics. (M. Bernard Frimat s’exclame.)

La contrainte supplémentaire que nous allons mettre en place concerne d’abord le Gouvernement, qui va se voir imposer un article 40 sur toutes ses décisions touchant aux finances publiques.

Je souhaite que le Parlement saisisse l’occasion qui lui est donnée de renforcer sa vigilance et son pouvoir de proposition ; la commission des finances vous y engage, mes chers collègues, et vous appelle à voter ce texte.

Mais ne nous y trompons pas : il ne suffit pas d’inscrire dans la Constitution des règles prescrivant la lucidité pour réduire, de ce seul fait, les déficits et l’endettement…

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Rien ne peut remplacer la volonté politique,…

M. Didier Guillaume. Évidemment !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. … rien sinon la nécessité, car le jour vient fatalement où le recours à l’emprunt est devenu impossible.

Concilier notre pouvoir fiscal et notre devoir d’équilibre budgétaire : n’est-ce pas là que réside, mes chers collègues, toute la noblesse de notre mission de parlementaires ? (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, rapporteur pour avis.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, débattre d’une révision constitutionnelle, c’est toucher à ce qu’il y a de plus essentiel. Pour beaucoup d’entre nous, de surcroît, la Constitution de la VRépublique est notre bien commun, et l’inspiration de notre engagement politique (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

C’est donc tout naturellement que se pose la question que Jean Arthuis a formulée au début de son propos : faut-il véritablement, ces jours-ci, réviser la Constitution ? (Non ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Jean Arthuis a rappelé le contexte économique et financier international dans lequel notre réflexion s’inscrit, et l’importance que revêtent, dans un monde si hasardeux, les notions de confiance et de crédibilité.

Par rapport à cela, il ne faut assurément pas prendre une Constitution pour ce qu’elle n’est pas, et ne peut pas être.

Ce n’est pas la Constitution qui peut se substituer à la volonté politique.

Ce n’est pas la Constitution qui peut comporter la définition technique d’une règle d’équilibre des finances publiques.

Ce n’est pas la Constitution qui peut nous éviter toutes nos petites et nos grandes faiblesses.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme la réduction de l’ISF !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Dans ces conditions, que peut la Constitution, et que doit-elle être ?

La Constitution est à mes yeux un corps de procédures, un corps de règles décrivant le fonctionnement des pouvoirs publics. Aussi se doit-elle d’être neutre par rapport aux expressions du suffrage.

Au reste, nous le savons bien, le succès de la VRépublique tient à ce que notre Constitution est si souple, si flexible, si malléable que des majorités successives ont pu s’exprimer dans le cadre qu’elle institue, compte tenu de la légitimité qu’une majorité de nos concitoyens leur avaient reconnue.

Dans le domaine qui nous occupe, de quoi s’agit-il ? Simplement, et seulement, de préciser la hiérarchie des normes juridiques et d’introduire dans notre droit public deux innovations.

La première innovation consiste à créer des lois-cadres des finances publiques s’imposant aux lois financières annuelles, qu’il s’agisse des lois de finances de l’État ou de la loi de financement de la sécurité sociale.

La seconde innovation vise à préciser les relations que ces lois financières annuelles entretiennent avec la législation ordinaire.

Avec ce projet de loi constitutionnelle, il s’agit de tout cela, mais seulement de cela.

M. Guy Fischer. C’est déjà beaucoup…

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Et au demeurant, mes chers collègues, tout cela est d’une parfaite neutralité par rapport aux choix politiques, économiques et fiscaux qui pourront être faits.

Si, demain, ce projet de loi constitutionnelle est adopté, il permettra la mise en œuvre soit d’une politique de droite, soit d’une politique de gauche…

M. Éric Doligé. Non, surtout pas une politique de gauche !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. … soit d’une politique d’ailleurs. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mes chers collègues, réfléchissez-y bien : la Constitution n’est pas un enjeu partisan,…

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. … et une révision constitutionnelle ne se combat pas pour des motifs partisans ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Nous proposons ici simplement, et seulement, de modifier la hiérarchie des normes juridiques.

M. Pierre-Yves Collombat. Le diable est dans les détails !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas de décider aujourd’hui dans quelle mesure, demain ou après-demain, le solde budgétaire devra être atteint par un surcroît d’impôts, une baisse des dépenses, ou par un peu des deux.

Mme Nicole Bricq. C’est cela : un peu des deux…

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ces différentes options appartiennent à un ordre qui n’est pas celui de la Constitution. Par nature, celle-ci n’a pas à être un carcan, pour quelque pouvoir politique que ce soit. Son rôle est au contraire de clarifier les choix publics, et de permettre à celles et ceux qui sont dépositaires de la légitimité du suffrage d’en faire bon usage, c’est-à-dire de s’en servir dans l’intérêt général.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Tous ces sujets, mes chers collègues, devraient être traités ici dans l’unanimité. (Protestations sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes en démocratie, pas dans un régime totalitaire !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Si vous n’aviez pas de ce projet de loi constitutionnelle une vision a priori, vous auriez l’honnêteté de reconnaître qu’il ne contient aucune virgule, aucun mot, aucune phrase de caractère partisan ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Sur le fond, mes chers collègues, de quoi s’agit-il ?

D’abord, il s’agit de renforcer la légitimité démocratique de nos choix financiers et budgétaires annuels.

M. Didier Guillaume. On les étouffe !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ceux-ci se fondent sur le programme de stabilité et de croissance qui, chaque année, traduit nos engagements européens et qui, comme le rappelait François Baroin, est dans le même temps l’outil de notre souveraineté nationale.

M. Pierre-Yves Collombat. Dans la main des marchés !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Être apte à respecter sa parole, à emprunter à des taux d’intérêt bas, tel est l’exercice concret de la souveraineté nationale, chers collègues.

Sans doute est-il très aisé de se répandre en proclamations « matamoresques » contre les marchés financiers ! (Protestations sur les mêmes travées.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui êtes le matamore !

Mme Nicole Bricq. El matamore !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il n’en reste pas moins que ces marchés existent et qu’en fixant les conditions de nos emprunts, ils définissent naturellement le cadre dans lequel s’exerce notre souveraineté nationale.

M. Pierre-Yves Collombat. Vous les laissez faire !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ne niez pas l’évidence ! (Vives protestations sur les mêmes travées.)

Cette révision constitutionnelle nous permettra de nous prononcer sur le programme de stabilité et de croissance ; la commission des finances forme le vœu que ce vote soit éclairé par une résolution dans laquelle nous puissions exposer les considérants qui nous conduisent soit à approuver soit à désapprouver.

S’agissant ensuite de la cohérence qui doit s’établir entre le pluriannuel et l’annuel, elle revêt une triple dimension : elle est à la fois juridique, économique et pour ainsi dire temporelle.

Telles que la commission des finances les conçoit, les lois-cadres d’équilibre des finances publiques sont quadriennales et glissantes : chaque année, on avance d’une année et l’on met la loi en cohérence avec la déclinaison annuelle du programme de stabilité et de croissance.

La cohérence juridique est assurée par le Conseil constitutionnel. À cet égard, les démarches de la commission des finances et de la commission des lois se rejoignent complètement. Il y avait sur ce point une impasse, tant dans le texte initial du Gouvernement que dans celui qu’a adopté l'Assemblée nationale. Pour notre part, nous avons fait le choix de permettre au Conseil constitutionnel de jouer son rôle – tout son rôle – de gardien des institutions et, en l'espèce, de veiller au respect de la hiérarchie des normes. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

Franchement, ma chère collègue, je ne vois pas ce qui, dans mon propos, est de nature à susciter une telle réaction ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

En ce qui concerne maintenant la cohérence économique, ce projet de loi constitutionnelle ne réglera pas toutes les questions posées.

Mme Nicole Bricq. On l’avait bien compris !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre du budget, dans ce domaine, et en particulier pour l’établissement des hypothèses macroéconomiques sur la base desquelles sont élaborés les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, nous devrons sans doute trouver d’autres méthodes et d’autres modes d'expertise nous permettant une plus grande transparence, notamment vis-à-vis de la Commission européenne.

La commission des finances est convaincue que le Gouvernement devra nécessairement évoluer et qu'un taux de croissance est un outil de calcul neutre et non pas un élément d'affirmation volontariste.

Enfin, la cohérence temporelle s’obtient au fil des années. À titre d’exemple, je citerai l’évolution de la conjoncture et l'exécution de nos lois financières au cours de l’année 2011.

Selon les résultats que nous aurons obtenus à la fin de cette année, il faudra consentir, en 2012, en 2013 et en 2014, des efforts plus ou moins importants. Aussi, l’impératif de cohérence temporelle nous impose de tendre vers l’objectif de 3 % en 2013 en corrigeant éventuellement en 2012 les erreurs de trajectoire de 2011 ou en faisant bénéficier l’exercice 2012 des améliorations de trajectoire de 2011.

Nous verrons d'ailleurs très concrètement les effets de cette règle dès le prochain collectif budgétaire, que nous examinerons dans les prochains jours, puis dans le prochain collectif social. Dorénavant, l’ensemble des décisions prises successivement dans ce domaine seront interdépendantes.

Enfin, je conclurai mon propos sur la hiérarchie qui doit être établie entre les lois financières et les lois ordinaires.

La commission des finances – du moins ses deux rapporteurs pour avis –, après avoir étudié avec une attention soutenue les points de vue exprimés par la commission des lois et écouté avec grand intérêt son rapporteur, Jean-Jacques Hyest, a été conduite à arrêter une position qui, à ce stade, commence par un « ni ni » : ni la position de l'Assemblée nationale ni la voiture-balai ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Cher Jean-Jacques Hyest, vous avez réussi à nous convaincre que le simple respect du droit et de la Constitution devait nous conduire à ne pas nous rallier au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Peut-être étais-je allé un peu trop vite, mais je dois avouer que telle n’était pas ma position au départ. Toutefois, je vous ai écouté et vos arguments ont su toucher mon cœur et ma raison de juriste ! (Exclamations amusées.)

M. Guy Fischer. Mea culpa ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Nous ne pouvons donc nous rallier à la position de l'Assemblée nationale, mes chers collègues. Mais est-il concevable, pour autant, d'engager une dépense fiscale – en d'autres termes, d’accorder un avantage – dans une loi ordinaire au mois de mai et d'inscrire la contrepartie budgétaire dans une loi de finances au mois de décembre ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas exactement cela !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Je ne crois pas, car celui qui a reçu considère ce droit comme acquis. Dès lors, il serait bien difficile de ne pas concrétiser ce qui a été annoncé.

Si nous voulons améliorer la gestion de nos finances publiques, nous ne saurions nous rallier à cette méthode consistant à introduire un différé entre l'annonce des choses agréables et la présentation de la note à payer.

Cela étant, je considère, comme M. le garde des sceaux, que les dispositions en question concernent avant tout le pouvoir exécutif. Au demeurant, c’est une circulaire prise par François Fillon voilà un an qui a créé la version exécutive de ce monopole, introduisant une discipline à laquelle s’astreint désormais chacun des membres du Gouvernement.

Par exemple, c'est en vertu de cette règle que le secrétaire d'État chargé du logement a dû faire voter sa réforme du prêt à taux zéro lors de l’examen d’un projet de loi de finances. Je prends cet exemple, mais je pourrais en citer bien d'autres.

La situation dans laquelle nous nous trouvons nous oblige à des raisonnements d'une grande rigueur…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une très grande rigueur…

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. … et nous contraint à une véritable discipline budgétaire. C’est pourquoi, à travers un amendement, la commission des finances propose que les législations qui doivent comporter des mesures relatives aux prélèvements obligatoires soient traitées de manière complémentaire par deux textes simultanés, l’un ayant un caractère financier, l’autre ayant la nature d’une loi ordinaire.

M. Pierre-Yves Collombat. Qu’est-ce que cela changera ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Ces deux textes seraient susceptibles de faire l'objet d’une discussion commune, le rapporteur du premier devant, par définition, travailler en amont avec le rapporteur du second, l’un et l’autre associant leur commission respective.

Ce principe de simultanéité nous semble être de bonne méthode.

Cela étant dit, monsieur le président, notre assemblée est particulièrement attachée à l'article 72 de la Constitution, relatif aux collectivités territoriales. Une solution utile consisterait peut-être tout simplement à introduire une exception à la règle de la primauté des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale pour tout ce qui a trait à l'organisation des collectivités territoriales et aux questions qui s'y rattachent.

Dans l'espoir que le débat parlementaire et les travaux de nos commissions nous permettront de trouver une voie raisonnable que nos collègues députés accepteront d’emprunter, je vous remercie, mes chers collègues, de m’avoir écouté avec attention, une attention, si j’ai bien compris, partagée sur toutes ces travées. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis.

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’émet aucune objection sur ce projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, ni sur ses objectifs, ni sur le constat qui a conduit à son élaboration.

Je ne doute pas que nous établissions tous le même diagnostic sur l’état de nos finances publiques et que nous nous accordions tous sur la nécessité de faire prendre à nos finances publiques un autre chemin que celui qu’elles ont emprunté depuis plusieurs années.

En revanche, le Gouvernement et nous divergeons quelque peu sur les modalités pour atteindre cet objectif.

Mes chers collègues, après avoir écouté le rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, les rapporteurs pour avis de la commission des finances, Jean Arthuis et Philippe Marini, vous savez désormais que plusieurs propositions sont sur la table. Si certaines ne sont pas si éloignées les unes des autres, d’autres divergent sensiblement. Réussirons-nous, au terme de nos débats, à trouver un terrain d’entente avec nos collègues de l’Assemblée nationale ? À ce stade, je n’en suis pas certain, mais je ne désespère pas que nous y parvenions avec le concours du Gouvernement, si celui-ci veut bien être attentif aux souhaits du Parlement !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je le suis toujours ! (Sourires.)

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Puisque M. le garde des sceaux approuve, je ne doute pas alors que nous y parvenions.

Cela étant, M. Baroin avait adopté des positions assez tranchées sur le sujet…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. La jeunesse, sans doute ! (Sourires.)

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Mais, puisque vous paraissez plus ouvert que votre collègue, monsieur le garde des sceaux, je ne doute pas que nous puissions avancer.

Mes chers collègues, je dirai quelques mots de la situation des finances sociales avant de m’arrêter sur les deux points qui me paraissent les plus importants, à savoir les conditions dans lesquelles nous pourrions examiner les effets des lois-cadres et la question du monopole des lois financières, point nodal de notre discussion.

Voilà une dizaine d’années, le déficit des finances sociales ne dépassait pas 3,5 milliards d’euros. Certes, ce n’était pas négligeable, mais c’était vraiment peu au regard des dizaines de milliards d’euros qu’atteignent aujourd’hui les déficits des comptes publics et des comptes sociaux cumulés.

Entre 2004 et 2008, nous avions réussi, par des mesures de redressement, à améliorer la situation, mais nous avons été très rapidement rattrapés par la crise financière.

Partant d’un déficit structurel de l’ordre de 10 milliards d’euros, les comptes sociaux ont enregistré, en 2010, un déficit de l’ordre de 24 milliards d’euros. À la fin de l’année 2011, celui-ci devrait être a priori de 19,5 milliards d’euros, en recul sensible par rapport à 2010 et à 2009.

Aux termes de la loi de financement de la sécurité sociale, la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, s’est vu transférer 130 milliards d’euros de dette.

Je rappelle également que, pour améliorer la situation des finances sociales, le Gouvernement a engagé la réforme des retraites.

La commission des finances, quant à elle, à travers la loi de finances, s’est attaquée à un certain nombre de niches fiscales ; de notre côté, à travers la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, nous avons rogné plusieurs niches sociales.

Chacun reconnaîtra néanmoins que ces mesures demeurent très nettement insuffisantes et que nous ne parviendrons pas à rétablir l’équilibre de nos finances publiques dans un délai proche.

Parler d’équilibre dans le domaine social a quelque chose de tabou. Mes chers collègues, les lois de financement de la sécurité sociale devaient, à l’origine, s’intituler « lois d’équilibre de la sécurité sociale », mais qu’un amendement parlementaire a modifié cet intitulé.

Peut-on soumettre des questions aussi importantes que la prise en charge de la maladie, de la vieillesse ou de la perte d’autonomie à une logique strictement comptable ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Guy Fischer. Non !

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. Je ne le crois pas, et nous n’avons d’ailleurs jamais procédé ainsi, sous quelque majorité ou gouvernement que ce soit.

Cependant, dans la situation actuelle, inédite dans toute l’histoire de la sécurité sociale, c’est l’existence même du modèle social français qui est menacée, car les déficits se transforment en une dette que nous faisons peser sur les générations futures.

Alors que la CADES vient de reprendre 130 milliards d’euros de dette, une nouvelle dette de 20 milliards d’euros s’est déjà reconstituée. Si les comptes avaient été équilibrés lorsqu’est survenue la crise économique, nous n’aurions pas aujourd’hui autant de difficultés et leur rétablissement serait plus sans doute beaucoup plus aisé.

C’est pourquoi, la commission des affaires sociales, dans sa grande majorité, a la profonde conviction que l’équilibre des comptes doit être conçu non pas comme une concession faite aux marchés financiers, mais comme une marque de l’attachement que nous portons à notre système de protection sociale.

À ce titre, le présent projet de loi constitutionnelle mérite d’être approuvé, car il nous propose de mettre en place de nouveaux instruments destinés à faciliter le rétablissement des comptes publics.

De nombreux travaux ont montré qu’en aucun cas le retour de la croissance, même à un niveau élevé, ne permettra à lui seul de résorber les déficits. Une action résolue est donc nécessaire.

Les lois-cadres d’équilibre des finances publiques ne sont pas un gadget supplémentaire, et j’espère que l’avenir nous le démontrera. Elles peuvent avoir une véritable efficacité dans l’assainissement progressif des comptes, dans la mesure où – M. Baroin l’a rappelé voilà un instant – elles établiront, pour chaque année, des plafonds de dépenses et des planchers de recettes que le législateur devra respecter strictement afin de garder la maîtrise de la répartition de ces dépenses et recettes.

Ces lois-cadres, dont la durée d’exécution sera d’au moins trois ans, feront l’objet – M. Hyest le rappelait tout à l’heure – d’un contrôle de constitutionnalité et les lois financières annuelles seront désormais soumises automatiquement au Conseil constitutionnel. Il s’agit donc non pas d’une norme indicative, mais bien de dispositions impératives qu’il sera très difficile au législateur de remettre en cause.

Alors oui, il est toujours possible de dire que la volonté politique devrait suffire et que l’édiction de telles normes est un aveu d’impuissance. Mais, mes chers collègues, depuis près de quarante ans que nous connaissons des déficits, la démonstration est faite que notre pays a les plus grandes difficultés à les réduire et qu’il ne sait pas profiter des périodes de forte croissance pour procéder aux rééquilibrages nécessaires.

M. Guy Fischer. Les exonérations de charges !

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. J’en veux pour preuve, M. Jospin était alors Premier ministre, la fameuse « cagnotte », qui a été redistribuée au lieu d’être utilisée pour améliorer l’équilibre des comptes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

D’autres pays, bien plus rigoureux dans la gestion de leurs comptes publics, je pense notamment à l’Allemagne, ont eux aussi édicté des règles juridiques pour parvenir à l’équilibre. On ne peut donc pas dire que nous innovons dans ce domaine.

Je n’ai pas la naïveté de croire que les lois-cadres seront intangibles - elles pourront bien sûr être éventuellement modifiées - et je sais qu’aucun instrument juridique ne peut à lui seul garantir le retour à l’équilibre des finances publiques. L’exemple récent de l’allongement de la durée de vie de la CADES montre que les verrous institutionnels peuvent sauter. Alors que nous pensions qu’aucun gouvernement, aucune majorité ne pourrait revenir sur la disposition adoptée sur l’initiative du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Warsmann,...

M. Guy Fischer. C’est M. Baroin qui a fait sauter ce verrou !

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis. … 130 milliards d’euros de la dette de la sécurité sociale ont été transférés à la CADES.

C’est pourquoi l’instauration de lois pluriannuelles contraignantes mérite d’être approuvée.

J’observe toutefois qu’aucune disposition spécifique n’est prévue pour l’examen en commission de ces projets de loi-cadre.

J’en viens à l’amendement que la commission des affaires sociales vous demandera d’approuver, mes chers collègues.

Dès lors que les futures lois-cadres définiront une trajectoire de retour à l’équilibre financier qui s’imposera aux lois de finances comme aux lois de financement, il est légitime qu’elles fassent l’objet d’un examen dans des conditions spécifiques. C’est pourquoi la commission des affaires sociales a adopté un amendement prévoyant que ces textes particuliers seront obligatoirement examinés par une commission spéciale composée à parité de membres de la commission des finances et de la commission des affaires sociales. La constitution d’une telle commission permettra un travail en commun des parlementaires spécialisés en matière de finances de l’État et de finances de la sécurité sociale.

Il est à notre sens nécessaire d’inscrire une telle disposition dans la Constitution elle-même. À défaut, la loi organique qui précisera le contenu et les conditions d’examen des lois-cadres d’équilibre des finances publiques ne pourrait juridiquement la prévoir. Chaque assemblée pourrait donc décider, au cas par cas, de constituer ou non une commission spéciale, ce qui n’apparaît pas satisfaisant au regard du caractère contraignant, pour les finances sociales comme pour celles de l’État, des futures lois-cadres.

La commission spéciale me semble donc être la moins mauvaise des solutions.

Refuser ce travail en commun des commissions chargées des deux lois financières marquerait une première étape vers l’absorption de la loi de financement de la sécurité sociale par la loi de finances, alors même que les deux textes répondent à des logiques différentes et appellent la poursuite du dialogue qui s’est instauré entre nos deux commissions au cours des dernières années.

J’ai d’ailleurs noté une véritable amélioration dans les échanges entre nos deux commissions pour un travail en commun et une approche globale des équilibres des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Si nous soutenons la création des lois-cadres, qui constitue la disposition la plus novatrice du projet de loi constitutionnelle, je dois vous faire part des réserves très sérieuses de la commission des affaires sociales sur l’autre mesure phare du projet de loi constitutionnelle, je veux parler de l’instauration du monopole.

Comme l’a déjà parfaitement démontré M. Jean-Jacques Hyest, ce monopole présenterait de très sérieux inconvénients.

Tout d’abord, le Parlement ne pourrait plus appréhender les réformes dans leur globalité, leurs conséquences financières étant systématiquement renvoyées aux lois financières. Une telle pratique réduirait considérablement l’intérêt du débat parlementaire et obligerait les assemblées à se prononcer sans connaître précisément l’ensemble des éléments constitutifs d’une réforme.

Par ailleurs, l’initiative parlementaire serait drastiquement limitée par ce dispositif qui viendrait s’ajouter à la contrainte de l’article 40 de la Constitution et à l’irrecevabilité des cavaliers budgétaires et des cavaliers sociaux.

Enfin, plus aucune discussion parlementaire sur la fiscalité ou les ressources de la sécurité sociale ne pourrait avoir lieu en dehors du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement, alors que nous savons combien les conditions d’examen de ces textes sont rigoureusement encadrées : discussion en premier lieu par l’Assemblée nationale, délais précisément fixés, lecture unique dans chaque assemblée, discussion sur la base du texte du Gouvernement.

Dans ces conditions, mes chers collègues, le monopole des lois financières ne paraît pas acceptable en l’état. L’équilibre des finances publiques ne passe pas par l’affaiblissement du Parlement. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)

Pour autant, nous partageons la préoccupation qui sous-tend les dispositions proposées. Nous avons besoin que chaque mesure fiscale ou sociale fasse l’objet d’une évaluation au regard de sa capacité à respecter la trajectoire d’équilibre des finances publiques que nous définirons.

La commission des affaires sociales a donc adopté un amendement, identique à celui de la commission des lois, subordonnant l’entrée en vigueur des dispositions relatives aux impositions de toute nature et aux autres recettes de la sécurité sociale à une approbation en loi de finances ou en loi de financement.

Je remercie Jean-Jacques Hyest d’avoir rappelé que le Sénat avait voté, à une très forte majorité, pour ne pas dire à l’unanimité, une proposition de loi organique qui allait dans ce sens. L’Assemblée nationale avait refusé notre dispositif, préférant laisser une plus grande liberté d’appréciation au Parlement lors de la discussion des lois ordinaires. Il serait étonnant qu’il en aille différemment.

L’Assemblée nationale a d’ailleurs confirmé son vote en rejetant le principe du monopole des lois financières. Et, comme l’a également rappelé Jean-Jacques Hyest, ce n’est qu’à l’issue de discussions avec le Gouvernement que l’on a trouvé un artifice pour permettre, de manière hypocrite,…