Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour autant, je suis convaincue que le calendrier de cette réforme dépend plus d’un choix politique que d’une préoccupation juridique. (M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce.) C’est la raison pour laquelle, conformément aux arbitrages rendus par le Président de la République à l’issue de la période de concertation, le Gouvernement doit se donner les moyens de procéder à des élections, le cas échéant dès 2012.

Cependant, le Gouvernement n’est pas hostile à la formule proposée par la commission des lois, qui tend à fixer la date limite de la première élection des assemblées de Guyane et de Martinique « au plus tard en mars 2014 » et qui préserve ainsi toutes les possibilités.

En revanche, dans cet esprit, il ne peut être question de conditionner le choix de cette date à la publication des ordonnances prévues à l’article 10, puisque ces dernières constituent une faculté pour le Gouvernement et ne sont en rien une obligation s’imposant à lui. J’ai donc déposé un amendement en vue de disjoindre la prise de ces ordonnances de l’échéance électorale qui sera à l’origine de la création effective des deux collectivités.

Dans tous les cas, j’adhère à la proposition de votre commission de revenir au calendrier électoral de droit commun dès 2020. C’est un souhait largement partagé par les élus guyanais et martiniquais.

Je voudrais maintenant évoquer les conditions de mise en œuvre du pouvoir de substitution du préfet, qui sont prévues à l’article 9 du projet de loi ordinaire. Je sais que ces dispositions n’emportent pas spontanément l’adhésion. Pourtant, elles sont nécessaires pour assurer la continuité de l’action publique dans certains cas, et spécifiquement en outre-mer.

Afin de couper court à l’idée d’un retour possible à la centralisation du pouvoir, je voudrais rappeler simplement de quoi il s’agit.

Lorsqu’une collectivité néglige de prendre ou de faire prendre par l’un de ses établissements publics les mesures relevant de ses compétences et nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement, ou au respect par la France de ses engagements européens ou internationaux, le représentant de l’État pourra, après mise en demeure restée sans effet, prendre en lieu et place de cette collectivité toute mesure appelée par l’urgence.

Certains voient là une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. Il n’en est rien, puisqu’il s’agit de créer un mécanisme à la fois dissuasif et incitatif.

Qui peut contester aujourd’hui que, dans plusieurs domaines primordiaux, comme les déchets et l’assainissement, par exemple, les DOM connaissent un retard structurel important par rapport à la métropole ? Qui peut nier que, dans ces matières, les risques de contentieux européens sont très élevés, alors même que les collectivités rencontrent d’importantes difficultés à mettre en œuvre des projets ? Pour ma part, je suis convaincue que la perspective d’un déclenchement de ce pouvoir de substitution peut accélérer la conclusion des partenariats locaux guidés par le seul intérêt général.

En cas d’échec, l’intervention du préfet permettra à l’État d’engager les actions les plus nécessaires et les plus urgentes, comme c’est le cas dans d’autres hypothèses où l’intervention du représentant de l’État, en cas de carence de l’autorité territoriale, est déjà prévue, notamment par le code général des collectivités territoriales ou le code de la santé.

Le projet du Gouvernement prévoit un mécanisme de « riposte graduée » que le Conseil d’État, dans son avis du 20 janvier dernier, a relevé puisqu’il est convenu que cette intervention était encadrée précisément et que, au regard de ses finalités d’intérêt général et des limites dont elle est assortie, elle n’était pas contraire au principe de libre administration.

Enfin, il est indéniable que l’exercice ponctuel par le représentant de l’État de compétences relevant de collectivités qui ont été défaillantes constitue une contrepartie indispensable à la plus grande concentration des pouvoirs qui caractérisera l’exécutif de la collectivité unique. S’il me paraît difficile de se passer de cette possibilité réclamée par de très nombreux ultramarins, je suis néanmoins prête à examiner les modalités de sa mise en œuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez bien compris, la « matière » institutionnelle que nous évoquons ce matin est, par nature, malléable. Nous vous proposons à travers plusieurs des évolutions envisagées de ne pas trop nous éloigner des repères habituels du code général des collectivités territoriales tout en créant une collectivité unique innovante sur bien des points.

Grâce à la contribution tant des uns et des autres que de votre commission, je souhaite fixer pour les années à venir un cadre institutionnel opérationnel qui permette à la démocratie locale de bien fonctionner en Martinique et en Guyane, et qui facilite la transition, voire, je l’espère, le développement économique et social de ces deux territoires dans les meilleures conditions. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Jean-Paul Virapoullé et Daniel Marsin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de Mayotte, devenu département et première collectivité unique de l’article 73 de la Constitution depuis le 31 mars 2011, la Guyane et la Martinique vont également accéder au statut de collectivité unique, c’est-à-dire de collectivité exerçant à la fois les compétences d’un département d’outre-mer et d’une région d’outre-mer.

Il faut souligner qu’un tel statut ne remet nullement en cause le sens et l’esprit de la départementalisation, lesquels résident avant tout dans l’application du droit commun de la République.

Pour donner suite au vote des électeurs de Guyane et de Martinique, en janvier 2010, rejetant le passage du statut de département à celui de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, mais approuvant la création d’une collectivité unique relevant de l’article 73, le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat le projet de loi organique et le projet de loi statutaire que nous examinons aujourd’hui.

Dans la perspective de l’examen de ces deux projets de loi, qui étaient annoncés, la commission des lois a envoyé sur place, en février dernier, une mission d’information, composée de M. Bernard Frimat et de votre rapporteur ; cette mission s’est prolongée en Guadeloupe.

Lors de ses déplacements, la mission d’information a tenu à rencontrer aussi largement que possible les élus de ces collectivités et à les écouter attentivement. Elle a ainsi pu constater que, pour la plupart de ses interlocuteurs, si la création en Guyane et en Martinique d’une collectivité unique apparaissait comme une opportunité permettant de rationaliser et de rendre plus efficace l’action publique locale, cette collectivité serait seulement un instrument institutionnel plus performant au service du développement économique, social et culturel de la Guyane et de la Martinique, et en aucun cas une solution miracle.

Pour éviter tout risque de malentendus, voire de déceptions, il me paraît utile de souligner dans cet hémicycle que la collectivité unique n’est pas non plus un nouveau « statut », apparenté d’une manière ou d’une autre à l’article 74 de la Constitution.

De même, il n’existe pas au sein de l’article 73 d’alinéas susceptibles de transformer celui-ci en un article « 73 + » qui offrirait indirectement des perspectives semblables, voire supérieures à celles de l’article 74 et qui pourrait implicitement contourner le vote des électeurs, lesquels ont clairement rejeté le 10 janvier 2010 le statut de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74.

Ainsi, aucun transfert nouveau de compétences de l’État vers ces collectivités n’est ni ne peut être organisé par le projet de loi dès lors que l’on demeure dans le droit commun, autrement dit dans le cadre de l’article 73 de la Constitution. Il me semblait nécessaire de faire ce rappel.

Je ne m’attarderai pas sur la présentation des deux projets de loi organique et ordinaire, car elle a déjà été faite par Mme la ministre. Je me limiterai à quelques observations avant d’aborder les modifications que propose la commission des lois, en commençant par le projet de loi ordinaire.

Le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique fait le choix de créer dans le code une septième partie intitulée « Autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ».

La commission regrette le fait que cette partie prenne place après la partie portant sur les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74, alors qu’elle devrait trouver sa place immédiatement après les dispositions relatives aux départements et régions d’outre-mer, par cohérence avec l’article 73.

Force est cependant de reconnaître que seule une réécriture complète du code permettrait de redonner sa place à la logique, ce qui paraissait difficilement concevable dans ce texte.

En outre, le projet de loi se limite à rédiger une partie des dispositions institutionnelles propres aux deux nouvelles collectivités, renvoyant pour le reste aux dispositions applicables aux régions, ainsi qu’à celles qui sont applicables aux départements et aux régions en matière de compétences.

Alors que l’on institue de nouvelles collectivités à statut particulier, on ne garantit pas de cette manière la lisibilité des dispositions qui s’appliqueront à elles, car il s’agit de dispositions qui s’appliqueront aux deux collectivités de Guyane et de Martinique.

Ce choix de codification crée un phénomène de dispersion et de manque de cohérence, alors même que le principe de la codification est de renforcer l’intelligibilité de la législation et de faciliter l’accès au droit.

C'est la raison pour laquelle la commission, à chaque fois qu’il s’agissait de dispositions de droit commun, a laissé les renvois à d’autres dispositions dans le texte, justement dans la perspective d’une évolution législative à venir, alors que, lorsqu’il s’agissait de dispositions explicitement et exclusivement limitées à la Guyane et à la Martinique, elle a procédé à leur réécriture pour les rendre plus intelligibles.

Nous avons donc bien songé, madame la ministre, à l’évolution législative ou réglementaire qui pourra intervenir par la suite.

En ce qui concerne la Guyane, le projet de loi conserve à la nouvelle collectivité un schéma institutionnel de type régional.

Ainsi, l’Assemblée de Guyane, assemblée délibérante de 51 membres, est dotée d’un président, organe exécutif de la collectivité, et d’une commission permanente.

Pour la Martinique, le projet de loi a retenu un schéma institutionnel original, différent de celui de la Guyane : il comporte l’Assemblée de Martinique, également composée de cinquante et un membres, et un conseil exécutif distinct élu en son sein. Les membres de ce conseil perdent leur mandat à l’Assemblée. Ce dispositif s’inspire très nettement de celui qui a été conçu en 1991 pour la collectivité territoriale de Corse.

La commission a pu constater, sur rapport de sa mission d’information, que ces formules différentes correspondaient aux souhaits exprimés, non pas unanimement, certes, mais en tout cas majoritairement, par les élus locaux. Elle s’y est donc ralliée.

En revanche, la date de la mise en place de la collectivité unique, en Guyane comme en Martinique, n’a pas pu faire l’objet d’un consensus sur place ou, du moins, d’un large accord. Elle est sans doute la question la plus controversée.

Certains plaident pour une mise en place rapide, dès 2012. D’autres préfèrent une mise en place en 2014, lors de l’élection des conseillers territoriaux, les uns et les autres défendant leur point de vue avec passion.

Le projet de loi fait le choix de l’approche rapide avec une première élection de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique à une date fixée par décret au plus tard le 31 décembre 2012.

Le choix de 2012 peut susciter cependant deux interrogations d’ordre constitutionnel : d’une part, il s’écarte du calendrier électoral de droit commun pour des collectivités relevant justement de l’article 73 de la Constitution ; d’autre part, il a pour effet d’abréger de manière drastique des mandats en cours, dont certains viennent tout juste de commencer.

Le projet de loi prévoit dans son article 9 des pouvoirs de substitution du préfet afin de garantir dans toutes les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution – à savoir la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et la Réunion mais aussi leurs communes – la continuité de l’action qui relève de leurs compétences.

Le projet de loi institue ainsi un dispositif permettant au représentant de l’État d’arrêter en lieu et place de la collectivité concernée, et à ses frais, toute disposition appelée par l’urgence lorsque cette collectivité néglige de prendre ou de faire prendre par un de ses établissements publics les mesures nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement et au respect des engagements européens et internationaux de la France.

Mes chers collègues, votre rapporteur a pu constater, lors de la mission d’information, le rejet quasi unanime, les exceptions étant très rares, dont faisait l’objet ce dispositif limité aux seules collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et qualifié de « retour du gouverneur ».

Force est d’admettre que ce dispositif, s’il était adopté, n’aurait pas d’équivalent dans les communes, départements et régions de la métropole, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations dès lors que l’on affirme que c’est bien le droit commun de la République qui s’applique dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l’article 73 de la Constitution ouvre aux départements et régions d’outre-mer deux formes d’habilitation : d’une part, ces collectivités peuvent être habilitées à adapter les lois et règlements sur leur territoire et dans leurs domaines de compétences ; d’autre part, elles peuvent être habilitées à fixer dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement les règles applicables sur leur territoire.

Le projet de loi organique, quant à lui, a pour objet de faciliter l’usage de ces dispositions constitutionnelles peu utilisées jusqu’à présent.

En prolongeant la durée de l’habilitation jusqu’au terme du mandat de l’assemblée qui en fait la demande, il répond en partie, mais pas entièrement, aux critiques émises à l’égard du régime actuel des habilitations, ainsi qu’a pu le constater sur place la mission d’information de la commission des lois. En effet, il ne touche pas à la question du contrôle d’opportunité exercé par le Gouvernement et ne permet pas le chevauchement d’une habilitation sur deux mandats successifs.

J’en viens maintenant aux modifications proposées par la commission des lois, en commençant à nouveau par le projet de loi ordinaire.

En premier lieu, la commission a souhaité revoir les appellations et dénominations retenues. En effet, les termes de « collectivité de Guyane » et de « collectivité de Martinique » s’apparentent à une collectivité d’outre-mer, catégorie régie par l’article 74 de la Constitution. Cette dénomination est ainsi ambiguë. Faute de mieux, la commission a retenu la dénomination générique de « collectivité territoriale », comme cela a été fait pour la Corse en 1991.

La commission a également souhaité modifier la dénomination des élus des assemblées délibérantes : « conseiller à l’Assemblée » plutôt que « membre de l’Assemblée », à l’instar encore une fois de ce qui a été fait en Corse.

De même, le conseil exécutif de Martinique devrait être composé, outre son président, non de membres mais de conseillers exécutifs, comme en Corse.

Alors que le projet de loi met en place deux nouvelles collectivités, qui ne sont pas des régions mais qui remplacent à la fois le département et la région, la commission a considéré qu’il était à tout le moins nécessaire que les dispositions qui fixent leur organisation institutionnelle comme le mode d’élection de leur assemblée délibérante soient intégralement rédigées, dans un souci de clarté et de lisibilité de la loi. C’est un point sur lequel je me suis déjà expliqué mais dont nous reparlerons, le cas échéant, lors de l’examen des articles, étant entendu qu’il n’est bien sûr pas question d’empêcher une évolution du droit.

En revanche, en ce qui concerne les prérogatives, le renvoi aux dispositions applicables aux régions et aux départements se justifie davantage, dès lors que ce sont les compétences de droit commun.

Le projet de loi permet, en Martinique, de renverser le conseil exécutif et de lui en substituer un nouveau par le vote d’une motion de défiance constructive, ce qui n’est pas le cas en Guyane où l’organisation est semblable à celle des conseils généraux et régionaux.

Toutefois, les seuils prévus pour le dépôt puis l’adoption de la motion rendent ce mécanisme difficilement praticable.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est le but !

M. Christian Cointat, rapporteur. Une majorité absolue des conseillers est en effet requise par le texte pour assurer la recevabilité de la motion, qui ne peut être adoptée qu’aux trois cinquièmes des voix. De tels seuils, qui n’existent nulle part ailleurs, paraissent excessifs.

Au demeurant, ils permettraient à un conseil exécutif qui aurait perdu sa majorité de se maintenir sans pour autant que ses délibérations ou son budget puissent être adoptés, ce qui engendrerait un état de crise et de blocage.

Aussi la commission a-t-elle retenu des seuils qui lui paraissent plus raisonnables, à savoir un tiers des conseillers requis pour déposer la motion et la majorité absolue des conseillers composant l’Assemblée pour l’adopter. Ce sont d’ailleurs les seuils retenus pour la Corse.

Comme en Corse, la commission n’a pas souhaité prévoir le retour automatique au sein de l’Assemblée des membres du conseil exécutif en cas d’adoption de la motion, car elle considère que cela pourrait détourner le sens de ces dispositions en incitant les élus remplaçant les conseillers exécutifs à ne pas voter la motion pour ne pas perdre leur siège.

Par ailleurs, la commission a souhaité adjoindre au président de l’Assemblée quatre vice-présidents chargés de l’assister dans ses fonctions.

Dans chaque région d’outre-mer, il existe un conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, conseil consultatif rattaché à la région, à côté du conseil économique et social qui existe dans toutes les régions de l’hexagone.

Concernant la Guyane et la Martinique, j’ai pu juger, lors de la mission d’information, de la qualité et de la densité du travail réalisé par le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, ce qui m’a amené à considérer que cette structure consultative propre aux régions d’outre-mer pouvait mériter d’être conservée. Pour autant, une majorité des élus rencontrés a estimé qu’il était pertinent de fusionner les deux conseils consultatifs rattachés à la région, afin de leur donner plus de poids face à la nouvelle collectivité unique.

Souhaitant donner satisfaction aux élus, la commission a accepté la réunion des deux conseils, tout en préservant la prise en compte de la dimension culturelle qui avait justifié la création du conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, et en évitant tout risque de dilution de cette dimension dans les préoccupations d’une autre nature qui sont celles du conseil économique et social. Elle a ainsi créé au sein de chaque conseil deux sections et adapté la dénomination du conseil consultatif, approche à laquelle Mme la ministre vient de montrer, et je m’en félicite, qu’elle était sensible.

La commission a souhaité explicitement prévoir la possibilité de réunir le congrès des élus dits départementaux et régionaux dans les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique. En effet, la mise en place de la collectivité unique ne saurait préjuger une absence ultérieure de toute volonté nouvelle d’évolution institutionnelle, volonté que le congrès des élus a justement vocation à exprimer.

Dans sa formule actuelle, le congrès se compose des conseillers régionaux et généraux, ainsi que des parlementaires avec voix consultative. En Guyane et en Martinique, il comprendrait les conseillers à l’Assemblée avec les parlementaires. Mais, pour donner plus de poids à cette instance, la commission a jugé utile d’y adjoindre l’ensemble des maires, avec voix consultative, ce qui répond en outre à une attente de ces derniers qui, lors de la mission d’information, nous ont fait part de leur désir d’être associés étroitement à l’évolution de cette collectivité unique.

En matière électorale, le rapporteur a pu pleinement prendre conscience, en Guyane, des fortes attentes en matière de représentation équitable de toutes les composantes du territoire, et donc de leurs populations.

Au terme de la mission d’information et de nombreuses discussions, un ajustement du mode de scrutin, accompagné d’un découpage des sections et d’une affectation des sièges dans chaque section, a pu être envisagé à la lumière des multiples consultations tenues. C’est ce nouveau dispositif que la commission a intégré dans le projet de loi, considérant qu’il appartenait au législateur de fixer entièrement le régime électoral de la future Assemblée de Guyane, contrairement au Gouvernement qui estimait, par analogie avec le découpage des cantons, qu’il revenait au pouvoir réglementaire – non au législateur – de fixer le nombre des sections électorales, leur délimitation et le nombre de candidats ou de sièges en tenant compte de la population.

La commission a donc jugé que ces éléments relevaient bien du domaine de la loi. En effet, selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant le « régime électoral [...] des assemblées locales ». Or le nombre de sections, leur composition et la répartition des sièges constituent bien des éléments fondamentaux du régime électoral de l’Assemblée de Guyane que le législateur ne pourrait pas ignorer, sauf à méconnaître sa compétence, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L’argument relatif à une analogie avec les cantons n’est pas recevable, car on se situe dans le cadre non pas d’un scrutin majoritaire uninominal, mais d’une élection à la proportionnelle. Il s’agit de délimiter non pas des cantons, mais des sections purement électorales d’une circonscription.

De plus, depuis la Révolution, les cantons sont historiquement des subdivisions administratives, ce qui justifie encore à ce jour la compétence réglementaire pour ce qui concerne leur délimitation. De surcroît, nous le savons, il s’agit d’une dérogation aux principes généraux.

En outre, par comparaison avec l’élection des conseillers régionaux, l’effectif des candidats devant figurer dans chaque section départementale a bien été déterminé par la loi.

Autre comparaison, l’article L.O. 537 du code électoral – il a été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel puisqu’il a été créé par une loi organique – répartit les dix-neuf sièges du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon en deux sections qu’il détermine, pour appliquer un mode de scrutin analogue à celui qu’a retenu le projet de loi pour la Guyane et la Martinique. Le fait qu’il s’agisse d’une collectivité relevant de l’article 74 de la Constitution est indifférent. L’article 34 de la Constitution s’applique en tout domaine. C’est le Parlement qui a fixé lui-même ces éléments du régime électoral. Cela a été validé par le Conseil constitutionnel. Il en est de même pour les différentes lois organiques relatives à la Polynésie française.

Enfin, la décision n° 99-187 du 6 octobre 1999 du Conseil constitutionnel conforte également la position de la commission. Elle dispose que relèvent du domaine de la loi les règles relatives à l’élection du Conseil supérieur des Français de l’étranger – à l’époque, pourtant, l’article 34 ne concernait pas encore cette instance – « au nombre desquelles figurent la délimitation des circonscriptions électorales, le nombre de sièges attribué à chacune d’elles, le mode de scrutin, le droit de suffrage, l’éligibilité, ainsi que le régime contentieux de l’élection ». C’est le fait que ces élus forment un collège électoral sénatorial qui a justifié cette décision. La situation est la même pour ce qui concerne les conseillers de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique.

Par analogie, il faut donc considérer que, pour un scrutin à la représentation proportionnelle – j’insiste sur ce point –, relèvent du domaine de la loi la délimitation des sections électorales et la fixation du nombre de sièges de chaque section d’une circonscription électorale.

Forte de cette analyse constitutionnelle, la commission a donc souhaité intégrer dans le projet de loi un tableau de découpage des sections, au nombre de huit – chiffre retenu dans l’étude d’impact pour la Guyane, afin de permettre une représentation équilibrée du territoire –, et de répartition des sièges dans les sections, sans renvoyer ce soin au pouvoir réglementaire.

En outre, sur la proposition de notre collègue Bernard Frimat, membre de la mission d’information, et de votre rapporteur, elle a modifié le mode de scrutin de type régional retenu par le projet de loi pour tenir compte des spécificités de la Guyane où le nombre d’habitants qui détermine le nombre de candidats peut être sans commune mesure avec le nombre d’électeurs qui détermine le nombre d’élus, et, de ce fait, peut créer une distorsion dans la représentation de territoires, qui, pourtant, en ont besoin.

Compte tenu des grandes disparités démographiques et électorales entre les territoires guyanais, la commission a tenu à ce qu’un nombre de sièges – au minimum trois  – soit garanti dans chaque section, de façon que toutes les composantes du territoire, au sens où l’entend le Conseil constitutionnel, soient équitablement représentées au sein de la future Assemblée de Guyane.

Le mode de scrutin retenu par la commission affecte dans chaque section un à deux des onze sièges de prime majoritaire – soit 20 % du total – attribués à la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Guyane puis répartit les autres sièges de chaque section en fonction du résultat de chaque liste dans la section.

Par parallélisme, la commission a également introduit dans le texte que nous examinons les sections pour l’élection à l’Assemblée de Martinique, au nombre de quatre, correspondant aux quatre circonscriptions législatives, comme le souhaitait le Gouvernement.

En revanche, elle a retenu le simple scrutin régional – il était d’ailleurs proposé par le Gouvernement –, considérant que la situation démographique et territoriale de la Martinique avec quatre sections comparables ne justifiait pas un dispositif similaire à celui de la Guyane, qui est spécifique.

Elle a par ailleurs ramené de onze à neuf sièges la prime majoritaire pour s’aligner sur le schéma retenu pour la Corse en 2009 par le Parlement. La situation étant identique, il n’a pas paru nécessaire à la commission de « défaire » le dispositif qui a été adopté voilà peu de temps et semble répondre aux attentes.

Lors de la discussion de la loi n° 82–1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, la commission s’était déjà émue de la volonté du Gouvernement d’anticiper le calendrier électoral de droit commun pour mettre en place plus rapidement dans les départements d’outre-mer qu’en métropole les nouvelles collectivités territoriales que constituaient les régions. L’Histoire se répète… Pour autant, cette loi garantissait ensuite le rattachement des régions d’outre-mer au calendrier électoral régional de droit commun.

La commission a donc pris acte de la volonté du Gouvernement d’organiser rapidement les premières élections à l’Assemblée de Guyane et à l’Assemblée de Martinique, mais a tenu à inscrire ces élections dans le calendrier électoral de droit commun, car elles concernent des collectivités qui relèvent toujours de l’article 73 de la Constitution.

Ainsi, elle a repoussé du mois de décembre 2012 au mois de mars 2014 la date butoir pour ces premières élections, ce qui laisse au Gouvernement une plus grande marge de manœuvre pour les organiser soit de manière anticipée, soit lors du renouvellement normal de 2014.

Mais la commission a prévu que les élections suivantes s’inscriront, en tout état de cause, dans le calendrier de droit commun. Elle souhaite que soit indiqué dans le code électoral que les conseillers à l’Assemblée de Guyane et à l’Assemblée de Martinique étaient par principe élus en même temps que les conseillers régionaux en attendant la mise en place des conseillers territoriaux. Il serait pour le moins curieux que des élections générales soient organisées à des dates différentes selon les départements, sans aucune harmonisation nationale. On assisterait à un délitement de la République française !

Tenant compte de la large hostilité rencontrée chez les élus à l’égard du renforcement des pouvoirs de substitution du préfet, la commission, soucieuse des préoccupations exprimées tout à l’heure par Mme la ministre, a tenté de le rendre plus acceptable sous la forme d’un constat d’état de carence effectué non plus par le préfet, mais par le Gouvernement lui-même, après épuisement de toutes les mises en demeure nécessaires, pour d’abord inciter la collectivité intéressée à assumer ses responsabilités avant d’en arriver à une telle extrémité.

Pour ce qui concerne le projet de loi organique, la commission, rappelant l’intention du constituant, a également estimé qu’il n’appartenait pas au Gouvernement d’exercer un contrôle d’opportunité sur les demandes d’habilitation émanant des départements et régions d’outre-mer. Elle a souhaité confirmer l’appréciation portée à plusieurs reprises par le Sénat sur ce point. Ce contrôle ne doit relever que de l’autorité compétente pour accorder ou non l’habilitation, c’est-à-dire du Gouvernement dans le domaine réglementaire et du seul Parlement dans le domaine législatif. Aussi la commission a-t-elle adopté plusieurs dispositions pour prévenir toute interprétation contraire à la volonté du constituant.

Par ailleurs, afin de satisfaire une demande instante formulée durant la mission d’information, la commission a conçu un mécanisme simplifié de prorogation temporaire de droit, pour une durée maximale de deux ans, de toute habilitation après le renouvellement de l’assemblée qui en a fait la demande, à la seule condition que la loi ou le règlement ayant accordé l’habilitation initiale autorise expressément cette prorogation et que la nouvelle assemblée le décide dans les six mois suivant son élection.

Les quelques points de divergence qui subsistent entre le Gouvernement et la commission des lois sont finalement mineurs eu égard à la finalité, partagée, des projets de loi que nous examinons, à savoir améliorer le développement économique de la Guyane et de la Martinique et leur offrir davantage de moyens pour se tourner vers l’avenir. Par conséquent, la commission des lois, sous réserve de l’adoption des modifications que je viens d’évoquer, vous invite, mes chers collègues, à voter les deux projets de loi qui vous sont présentés. (Applaudissements sur les travées de lUMP. –MM. Jean-Paul Virapoullé et Bernard Frimat applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Marsin.