M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jacques Mézard. … et cela, je ne l’accepte pas, monsieur le garde des sceaux !

Je sais que vous êtes opposé au regroupement des lieux de garde à vue pour préserver l’existence des gendarmeries en zone rurale, dont acte ! Mais disons les choses clairement : il n’y aura pas en France d’accès équitable à la justice, pas de défense pénale digne de ce nom si l’aide juridictionnelle n’est pas réformée dans les meilleurs délais !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Mézard. À cet égard, je vous renvoie, mes chers collègues, à la lecture du rapport d’information rédigé, voilà trois ans, par notre collègue Roland du Luart, et je suis de ceux qui pensent qu’il convient de ponctionner fortement les recettes des compagnies d’assurances en matière de protection juridique.

En tout cas, cette réforme est vouée à l’échec sur une grande partie du territoire national, si ce problème n’est pas résolu, et il ne l’est pas par les dispositions décrites dans l’étude d’impact, de la page 27 à la page 31, qui sont un chef-d’œuvre de la haute technocratie ! (M. le garde des sceaux sourit.)

Mais revenons aux questions basiques.

Rappelons que la garde à vue était absente du code d’instruction criminelle. Apparue dans le décret du 20 mai 1903, elle fut réglementée par l’État français dans sa circulaire du 23 septembre 1943. J’ai rappelé, dans le cadre de la discussion de la question orale avec débat que j’avais posée sur ce sujet, la déclaration de Maurice Schumann, le 25 juin 1957, à l'Assemblée nationale : « Il me paraît inconcevable que nous introduisions dans notre code de procédure pénale cet élément de répression […], à savoir que le délai de garde à vue n’est pas le délai nécessaire pour conduire au juge mais le délai pendant lequel on commence en fait et sans garantie l’instruction du procès. »

Cette question est toujours au cœur du débat, et vous ne pourrez durablement, monsieur le garde des sceaux, différer l’examen de la question du statut du parquet et la recherche d’une solution qui soit en conformité avec l’article 5 de la Convention européenne, ce qui a clairement été posé, en dépit de toutes les interprétations que vous nous avez données,…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Oh !

M. Jacques Mézard. … dans l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010,…

M. Jacques Mézard. … et encore davantage dans l’arrêt du 15 décembre 2010 de la Cour de cassation : « C’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l’article 5 […] de la Convention européenne des droits de l’homme,…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est ce que j’ai dit !

M. Jacques Mézard. Je vous l’accorde !

… alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu’il est partie poursuivante. »

Allez-vous encore longtemps faire de la résistance, jouer la montre, utiliser les jurés populaires comme écran de fumée ? (M. le garde des sceaux s’esclaffe.)

Vous n’échapperez pas à l’application du principe acquis selon lequel les atteintes d’une importance minimale aux libertés fondamentales doivent être autorisées ou contrôlées par un juge du siège indépendant du pouvoir politique. Or le ministère public est statutairement soumis au ministère de la justice. Il ne peut être chargé de contrôler les gardes à vue, d’autant qu’il a la qualité de partie poursuivante. En outre, vous le savez comme moi, depuis des années, il ne contrôle aucunement les gardes à vue (M. le garde des sceaux s’exclame.), car elles sont beaucoup trop nombreuses. Ce que je viens de dire a d’ailleurs été évoqué à la page 34 de l’excellent rapport d’information de nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel sur l’évolution du régime de l’enquête et de l’instruction.

Perseverare diabolicum, monsieur le garde des sceaux !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Dès lors que vous croyez au diable, c’est un vrai progrès ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Ne pas accepter nos amendements relatifs à l’intervention et au contrôle du juge des libertés et de la détention, c’est continuer à créer de l’insécurité juridique, et ce ne sera encore que reculer pour mieux sauter ! (M. le garde des sceaux sourit.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Mézard. La deuxième question de fond au niveau procédural, c’est le moment de l’intervention du juge pendant la garde à vue. Là encore, il y a un risque d’insécurité juridique eu égard à l’article 5 de la Convention européenne, la Cour européenne des droits de l’homme ayant sanctionné des présentations au juge plus de quatre jours après l’arrestation. À un moment donné, il faudra bien fixer des délais incontestables.

La troisième question porte sur la nouvelle rédaction de l’article 62 du code de procédure pénale. En la matière, je ne suis aucunement convaincu que vous ayez respecté la décision du Conseil constitutionnel. (M. le garde des sceaux est dubitatif.)

Concernant la volonté affichée du Gouvernement de faire diminuer de plus de 300 000 le nombre de gardes à vue, une volonté que nous saluons, il est étrange que vous ne vous en donniez pas le moyen le plus efficace, le plus cartésien par l’alinéa 3 de l’article 1er du texte : en maintenant la possibilité de garde à vue pour toute infraction punie d’une peine d’emprisonnement, vous réduisez, en pratique, à néant un aspect fondamental de la réforme.

Discrètement, vous avez retiré nombre de gardes à vue des critères de performance de la police, avec déjà des résultats – c’est bien ! –, mais vous savez que cela ne suffit pas. Faites enfin confiance à tous les professionnels : les magistrats, la police, la gendarmerie, les avocats ! Donnez-leur les moyens de travailler, alors même que le budget consacré par la France à la justice se situe au 30e rang européen !

M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, en restaurant le travail de proximité, en cessant d’utiliser sécurité et justice à des fins électorales, en renonçant aux lois « réactives aux faits divers », vous ferez l’essentiel du chemin. Mais savez-vous où vous voulez aller en la matière ? Ou convient-il de vous rappeler cette phrase de Pierre Dac : « Ceux qui ne savent pas où ils vont sont surpris d’arriver ailleurs ! » (Sourires. – Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes ici parce que le Gouvernement y a été contraint. Il aura d’ailleurs résisté jusqu’au dernier moment (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.), puisque jusqu’au débat à l'Assemblée nationale nous était proposée une solution hybride consistant à prévoir un laps de temps important, sous couvert d’auditions libres, sans la présence de la défense.

Les débats sur la garde à vue que nous avons eus ici même à trois reprises sur l’initiative de parlementaires ont montré combien le Gouvernement était résistant à toute réforme, alors que toutes les données étaient pourtant sur la table.

En effet, la France a été condamnée et, eu égard au nombre important de gardes à vue, l’opinion publique a fini par s’émouvoir, car elles peuvent toucher tout un chacun ; elle ne le faisait guère quand elle considérait que seuls les criminels étaient concernés !

En réalité, il y a matière à aller plus loin que ce qui est proposé tant par le Gouvernement que par la commission, d’ailleurs. Mais nous avons bien l’impression que vous n’y êtes pas décidés.

À l’origine, la garde à vue avait pour objet de garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations le temps de leur déferrement devant le juge. Il est vrai que c’était une autre époque, durant laquelle les droits de la défense étaient moindres. Toutefois, force est de le constater, au fur et à mesure que les droits de la défense se sont accrus dans l’instruction, la garde à vue a été utilisée comme un élément de l’enquête à part entière sans défense. Elle était en quelque sorte la compensation imaginée par le pouvoir pour avoir, par l’intermédiaire du procureur et de la police, une procédure de nature à aboutir à l’aveu, qui était la pierre angulaire de toute la durée de l’instruction.

Il faut bien le dire, la garde à vue est employée comme un moyen d’intimidation. Au fil du temps, elle est devenue un indicateur de la performance en matière policière. Nous respectons la police républicaine, à telle enseigne que nous la défendons contre toute tentative de la dessaisir de ses prérogatives au profit de polices privées. Cela dit, on ne peut pas considérer que la performance qui vient de la hiérarchie et non pas de la police elle-même aboutit à la politique du chiffre que nous connaissons, et qui est d’ailleurs dénoncée non seulement par les professionnels de la justice, mais également par les services de police. En effet, nul n’ignore que les commissaires de police touchent des primes en fonction du nombre de gardes à vue réalisées dans leur commissariat !

Cette inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement explique en partie l’augmentation exponentielle du nombre de gardes à vue. Les chiffres ont déjà été communiqués, je n’y reviendrai pas. Cela étant, il est étonnant que certains, dont vous n’êtes pas, essaient par tous les moyens de les contester.

Quoi qu’il en soit, on a largement dépassé, en 2009, les 800 000 gardes à vue. À cela s’ajoute l’augmentation de la durée des gardes à vue : plus de 74 % d’entre elles durent plus de vingt-quatre heures. Avant d’être juridique, la banalisation de la garde à vue est donc politique.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette réforme contrainte présentée par le Gouvernement, qui se limite à une adaptation obligée a minima, sans dénoncer les orientations de la politique pénale, sera sans doute, de fait, d’une portée limitée sur les droits réels des gardés à vue.

Vous l’avez certainement lu comme moi, mes chers collègues, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 2 mars 2011, des juges, des avocats et des policiers – ce qui prouve qu’ils ne sont pas si opposés les uns aux autres ! –, les professionnels ont exprimé leur crainte que ce projet de loi ne soit une « rustine de plus sur un code de procédure pénale à bout de souffle, usé par des années d’incohérence au gré des amendements de circonstance votés dans l’émotion d’un dramatique fait divers ».

Ces représentants des différentes professions de la justice illustrent le ras-le-bol à l’égard des politiques pénales et de la pression sécuritaire permanente, une pression d’affichage qui ne diminue d’ailleurs en rien les chiffres de la délinquance.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous partageons leur crainte.

Certains l’ont déjà souligné, nous avons déjà débattu il y a un an de la nécessité de réformer la garde à vue, ainsi que l’ensemble de la procédure pénale. Le garde des sceaux de l’époque avait renvoyé à plus tard une réforme plus globale de la procédure pénale, comme vous le faites vous-même aujourd'hui.

Depuis, l’architecture du système pénal français a été, à diverses reprises, remise en cause. La Chancellerie a ignoré l’arrêt Medvedyev relatif à l’indépendance du parquet, mais l’arrêt Moulin c. France en a confirmé les griefs, ainsi que mon collègue Jacques Mézard l’a souligné. Or le projet de loi ne tient pas compte de cette jurisprudence et le Gouvernement préfère gagner du temps en renvoyant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme devant la Grande chambre. Toutefois, l’Hexagone ne pourra pas indéfiniment se mettre en infraction avec les principes européens.

Dans le même temps, le report des effets de la décision du Conseil Constitutionnel, comme de celles de la Cour de cassation, qui gèlent les droits de la défense, ne permettra pas d’éviter les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, au titre du paragraphe 3. de l’article 5, et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’au titre de l’article 13 qui garantit le droit à un recours effectif.

De plus, la réforme proposée est largement compromise par le manque de moyens financiers. Le budget consacré à l’accès au droit, et plus généralement au ministère de la justice, par l’État français apparaît comme l’un des plus bas d’Europe, ce qui n’est certainement pas compatible avec ce que doivent être les standards d’un État européen souhaitant permettre et garantir l’égalité en droits de tous ses citoyens, ainsi que l’édicte l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

La nouvelle place de l’avocat impose bien évidemment une réforme d’ampleur de l’aide juridictionnelle, ne se limitant pas forcément à la question de la rémunération de l’intervention en garde à vue, et ce afin de garantir à tous les justiciables l’accès effectif aux droits de la défense. Celui-ci implique donc nécessairement un accroissement important de l’enveloppe budgétaire consacrée aux interventions de l’avocat en garde à vue.

Ces remarques étant faites, je voudrais aborder plus en détails six questions essentielles de la réforme, mais que le projet de loi ne prend pas suffisamment en compte. Il s’agit des conditions permettant le déclenchement de la garde à vue et sa prolongation, des rôles du parquet et du juge des libertés et de la détention, de l’assistance effective de l’avocat, des régimes dérogatoires, du respect de la dignité humaine et, enfin, de la nullité de la procédure en cas de violation de droits reconnus.

L’article 1er du projet de loi n’impose aucun seuil minimal de la peine encourue pour conditionner le placement en garde à vue, puisque la rédaction de l’article 62-3 du code de procédure pénale qu’il propose définit la garde à vue comme concernant « un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Ainsi, ce texte ne permettrait pas de limiter le nombre de gardes à vue, car seules 7 % des condamnations délictuelles prononcées le sont pour des infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement. Nous vous proposerons un amendement sur ce point.

Au-delà de la décision de placement, c’est la durée même de la mesure qui doit être strictement proportionnée aux nécessités de l’enquête. En effet, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les actes d’enquête sont trop souvent soit diligentés dans les premières heures de la garde à vue sans pour autant impliquer une remise en liberté, soit espacés par des intervalles de temps très longs. Nous devons absolument proscrire ces gardes à vue « de confort », ce que le projet de loi ne garantit pas.

Le Gouvernement ignore également le problème majeur tiré de l’incompatibilité avec les exigences européennes du contrôle du parquet sur les mesures privatives de liberté. Cela a déjà été largement évoqué, mais le problème est que nous ne sommes pas en conformité avec la garantie des droits effectifs de la défense.

Si, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que l’autorité judiciaire comprenait à la fois les magistrats du siège et du parquet, comme le note le professeur Frédéric Sudre : « C’est vrai en droit interne, mais non au regard de la Convention européenne ». En effet, selon l’arrêt Medvedyev c. France, confirmé par l’arrêt Moulin c. France, le procureur français n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme car « il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». C’est tout à fait clair !

La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que le « juge […] habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » devant lequel « toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite » selon le paragraphe 3. de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, « doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties ». Le procureur de la République ne répond ni à l’un, ni à l’autre !

Rappelons que, dans son arrêt Huber c. Suisse, la Cour avait examiné sans équivoque possible la question sous l’angle de l’impartialité et avait conclu : « sans doute la Convention n’exclut-elle pas que le magistrat qui décide de la détention ait aussi d’autres fonctions, mais son impartialité peut paraître sujette à caution s’il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure en qualité de partie poursuivante ». Selon le professeur Frédéric Sudre, « d’une part, le magistrat, au sens de la Convention européenne, doit être indépendant de l’exécutif, ce qui n’est pas le cas du procureur de la République, placé dans une situation de subordination hiérarchique. D’autre part, ce magistrat doit pouvoir se prévaloir d’une impartialité fonctionnelle, c’est-à-dire ne pas être susceptible d’exercer ensuite des poursuites contre la personne qu’il aura lui-même placée en garde à vue, ce qui n’est pas non plus le cas du procureur de la République. »

Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le procureur conserve son rôle de direction de l’enquête, mais ne jouons pas sur les mots : contrôler, ce n’est pas gérer ! Yves Gaudemet le résume très bien : « La jurisprudence européenne impose aujourd’hui un tel contrôle, ce qui ne signifie pas que le parquet est dessaisi de la conduite de la garde à vue. Mais un magistrat du siège, disposant seul de la qualité de magistrat au sens de cette jurisprudence, doit intervenir, non pour en surveiller les modalités, notamment la conduite des interrogatoires, mais pour vérifier que l’atteinte ainsi portée à la liberté de l’individu est bien proportionnée à ce que requièrent l’ordre public et la politique pénale. »

Il est temps que le Gouvernement accepte le fait que le procureur n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il en prenne la mesure pour réformer la procédure pénale, l’instruction et le statut du parquet.

Enfin, l’argument avancé par la majorité parlementaire et le Gouvernement selon lequel l’intervention différée du juge du siège serait suffisante ne nous paraît pas recevable. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais fixé à quel délai correspond l’exigence de traduire « aussitôt » devant un juge une personne privée de liberté. Pour le moment, la juridiction européenne a condamné des délais supérieurs à trois jours, mais elle porte une appréciation au cas par cas.

Par ailleurs, les jurisprudences européennes, constitutionnelles et de cassation sont unanimes pour reconnaître le droit à l’assistance effective de l’avocat dès le début de la garde à vue. Nous ne reviendrons pas sur les moyens substantiels qui sont nécessaires pour y parvenir.

Nous critiquons aussi le fait que le texte permet de nombreuses dérogations, nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, pour que le droit à un procès équitable consacré par le paragraphe 1. de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme demeure suffisamment concret et effectif, il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Et même lorsque de telles raisons peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction, quelle que soit sa justification, ne doit pas indûment préjudicier au droit découlant pour l’accusé de l’article 6 de la Convention. Je citerai l’arrêt Salduz c. Turquie en la matière.

Tout cela m’incite à aborder de nouveau la présence de l’avocat dans le cadre des procédures dérogatoires. Nous y reviendrons également pendant la discussion. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes, je le sais, totalement opposé à la suppression des procédures dérogatoires mais, pour ma part, je suis favorable à ce que ces procédures soient assorties des mêmes droits que les autres. En effet, à mon sens, plus on est gravement « présumé coupable », plus on a le droit de se défendre et d’être défendu dès les premières heures de sa mise en garde à vue. Nous aborderons ce point plus longuement au cours de la discussion.

J’ajoute que nous sommes défavorables à ce que les mineurs soient placés en garde à vue. Là encore, nous aurons l’occasion d’en discuter mais je crois que ce point mérite réflexion et que nos propositions sont peut-être acceptables.

Enfin, je suis particulièrement attachée à la question des conditions de garde à vue. La Commission nationale de déontologie et de sécurité que j’ai saisie à plusieurs reprises au sujet de gardes à vue humiliantes et abusives a souvent donné raison à ces requêtes et la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France le 20 janvier 2011 à indemniser un détenu pour violation de son droit à la dignité en raison de fouilles intégrales répétées,…

M. Roland Courteau. Exactement ! C’est scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  … ce qui est tout de même significatif, parce que, en réalité, les fouilles sont souvent pratiquées sans nécessité.

Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce point durant le débat, mais là encore la question des moyens est tout à fait importante pour qu’on puisse réellement mettre les lieux et les pratiques de garde à vue à l’aune du respect de la dignité des personnes.

Pour finir, nous regrettons que le projet de loi reste silencieux sur les nullités de procédure et notamment sur leurs conséquences sur le déferrement. Nous proposerons des amendements sur ce sujet.

En conclusion, monsieur le garde des sceaux, si vous faites quelques avancées sous la contrainte, soyons clairs : ce projet de loi ne permettra pas de garantir une garde à vue digne de notre époque ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)