Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la semaine dernière, le débat préalable au Conseil européen a permis au Sénat de mesurer l’ampleur des changements nécessaires pour tirer les leçons de la crise.

Tout en saluant les propositions franco-allemandes visant à renforcer la discipline et les sanctions, j’ai insisté sur le fait qu’il serait vain de vouloir instaurer une véritable gouvernance européenne sans réunir les conditions de la croissance.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la croissance européenne ne dispose pas de la vigueur de la croissance des pays émergents ou, tout simplement, de celle des pays africains.

J’identifiais deux urgences, qui ne sont bien sûr pas les seules à devoir être traitées. La première est la convergence économique des États membres et, tout particulièrement, le rattrapage de la France par rapport à l’Allemagne. La seconde urgence est la recherche scientifique, puisqu’on sait aujourd’hui que le savoir est le moteur de la croissance.

Une semaine plus tard, aujourd’hui, nous débattons de la participation de la France au budget de l’Union européenne. Il s’agit en fait d’un seul et même débat : quel est l’avenir économique de l’Union et quels moyens sommes-nous prêts à mobiliser pour préparer cet avenir ?

Entre-temps, le Conseil européen s’est réuni jeudi et vendredi derniers. À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement ont souligné qu’il est essentiel que le budget de l’Union européenne tienne compte des efforts d’assainissement des États membres pour réduire leurs déficits et leur dette.

Comme le rapporteur spécial, je me félicite de la volonté de l’Union européenne de s’associer aux efforts de redressement des finances publiques nationales.

Mais je ne peux pas, un jour, défendre le volontarisme et, la semaine suivante, me faire le chantre de la rigueur. Aujourd’hui, je veux donc redire que le savoir est le principal moteur de l’économie et qu’il serait dangereux de l’ignorer.

Monsieur le président de la commission des finances, en ne finançant pas assez la recherche publique, en n’encourageant pas assez la recherche privée, la France et l’Europe s’affaiblissent.

La semaine dernière, j’illustrais l’importance de la recherche en prenant l’exemple de l’exploration spatiale. Ses retombées militaires, économiques, technologiques et scientifiques sont immenses et elle apporte des bénéfices concrets aux citoyens de l’Europe et du monde entier.

Les dépenses de recherche et développement sont inférieures à 2 % en Europe, alors qu’elles atteignent 2,6 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Avec la stratégie Europe 2020, nous nous sommes engagés collectivement à investir 3 % du produit intérieur brut européen en recherche et développement en 2020.

Pour y arriver, il faut investir plus dans la recherche publique et encourager plus efficacement la recherche privée.

Au niveau national, nous y veillerons lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, puisque l’enseignement supérieur et la recherche restera la priorité budgétaire du Gouvernement.

À l’échelle européenne, il faut fournir le même effort : priorité à la recherche, d’une part, amélioration de l’efficacité de la dépense publique, d’autre part.

Je rejoins en ce sens la préoccupation du rapporteur spécial M. Denis Badré devant le phénomène européen qu’il appelle l’« agenciarisation ». En 2009, les agences européennes ont reçu plus de 560 millions d’euros de subventions et leurs effectifs, ayant doublé en cinq ans, s’établissaient à plus de 4 800 agents. Leur travail est-il évalué ? Ce serait la moindre des choses ! En outre, pour ne prendre qu’un exemple, quelle nécessité y a-t-il à créer l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne à Vienne, alors que le Conseil de l’Europe existe déjà ?

Aujourd’hui, nous confions plus de compétences à l’Union européenne, plus de responsabilités. Mais nous lui demandons aussi de faire un effort de rigueur budgétaire.

Nous avons besoin d’investir bien plus dans la recherche, mais nous ne voulons pas abandonner les politiques communes comme la PAC et nous refusons de réduire la politique européenne de cohésion, qui permet le rattrapage des nouveaux États membres.

Nous ne voulons pas augmenter nos contributions à l’Union européenne et nous ne voulons pas accroître ses ressources propres.

En somme, nous demandons plus d’Europe avec autant de ressources !

Dans l’immédiat, il faut donc rechercher des marges d’économies… et elles existent ! J’ai évoqué les agences. Il faut améliorer l’efficacité de la dépense publique européenne. Le sujet étant vaste, je me contenterai de rappeler que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2007, je m’interrogeais sur le rôle et l’efficacité du Forum pour l’avenir de la démocratie. Quatre ans après, ce forum existe toujours et je m’interroge toujours !

Les exemples de gaspillages sont malheureusement nombreux.

À plus long terme, au-delà de la contrainte budgétaire, il faudra aborder une question de fond : le niveau adéquat des ressources propres de l’Union européenne.

Ce n’est pas une question idéologique ou de pères fondateurs, c’est une question d’efficacité. Il faut réfléchir au meilleur échelon pour agir en nous posant une question simple : où un euro de dépense publique est-il le mieux investi ? Au vu de cet examen, il faut donner à chaque échelon, national et communautaire, les moyens de ses ambitions.

Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les quelques généralités dont je voulais vous faire part. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, une semaine après notre débat préalable au Conseil européen et en amont de la discussion budgétaire, j’ai l’honneur, ce soir, de soumettre à l’examen de votre Haute Assemblée l’article 46 du projet de loi de finances pour 2011, évaluant le montant du prélèvement sur recettes qui sera versé par la France au budget de l’Union européenne pour 2011.

Ce sera pour moi l’occasion d’insister, dans un contexte marqué par la volonté forte du Gouvernement de revenir à l’équilibre de nos finances publiques, sur l’effort substantiel que représente, pour la France, le versement de cette participation, et d’évoquer avec vous les grands enjeux du débat qui est appelé à s’ouvrir, dès le printemps prochain, sur le budget européen post-2013.

Si vous me le permettez, je profiterai également de cette intervention pour évoquer les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 octobre relatives à la gouvernance économique européenne, ainsi qu’à la préparation du budget européen post-2013.

Le renforcement des disciplines pesant sur les dépenses publiques nationales et la maîtrise des dépenses publiques européennes sont en effet deux sujets intimement liés. D’ailleurs, tous les orateurs qui m’ont précédé ont fort justement mis en avant ce lien. Le Conseil européen, dans ses conclusions, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que « parallèlement au renforcement de la discipline budgétaire au sein de l’Union européenne, il est essentiel que le budget de l’Union européenne et le prochain cadre financier pluriannuel tiennent compte des efforts d’assainissement déployés par les États membres pour ramener le déficit et la dette à un niveau plus viable ».

Je précise que le Conseil européen a souhaité revenir plus en détail sur cette question dans sa session de décembre, notamment en examinant comment le volet « dépenses » du budget européen peut contribuer au processus plus général d’assainissement des finances publiques.

Permettez-moi donc, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de procéder à l’examen du prélèvement sur recettes, de tirer les principales leçons du Conseil européen en matière de mise en place d’une « gouvernance économique européenne ».

J’en ai retenu trois.

Première leçon, comme je l’avais annoncé devant votre Haute Assemblée il y a une semaine lors du débat préalable au Conseil européen, le couple franco-allemand a joué un rôle absolument fondamental dans l’organisation des débats du Conseil européen et dans l’orientation de ses conclusions.

Cela est parfaitement conforme à la position qu’il a adoptée depuis le début de la crise de l’euro. Je crois même que les événements qui se sont déroulés autour de cette affaire monétaire marquent un tournant très clair.

Un tel résultat n’était ni nécessairement simple à obtenir ni écrit d’avance, comme l’ont illustré les déclarations très virulentes, voire inacceptables, de certains, y compris de membres de la Commission. Je pense notamment aux déclarations visant directement des chefs d’État élus – la Chancelière allemande, le Président de la République française –, évoquant même un « diktat » franco-allemand et les pires catastrophes, alors que les deux dirigeants ne cherchaient, en révisant le traité, qu’à pérenniser notre zone monétaire commune.

Or, que constate-t-on à l’issue des débats de la semaine dernière ?

La déclaration franco-allemande de Deauville a bien été le point de convergence des débats des Vingt-Sept, non pas parce qu’il s’agissait d’une déclaration commune de la France et de l’Allemagne qui aurait, par principe, vocation à s’imposer à tous, mais parce que cette proposition – je veux le redire ici très solennellement – était vraiment dans l’intérêt de tous. C’est, en définitive, ce qu’ont parfaitement compris tous les chefs d’État et de gouvernement.

Le principe d’une révision du traité, que le Conseil européen souhaite limitée – monsieur Aymeri de Montesquiou, il est question non pas d’ouvrir la boîte de Pandore, mais de réviser le texte à deux endroits précis par une procédure accélérée –, pour « établir un mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la stabilité financière de la zone euro » est désormais acquis. Ce n’était pourtant pas évident dimanche dernier…

Cette pérennisation du mécanisme de gestion des crises est un résultat tout à fait fondamental et le Conseil européen a également fixé les grandes orientations de travail pour y parvenir.

Le Président du Conseil européen est chargé d’engager les consultations, dans la perspective du Conseil européen de décembre, au cours duquel les chefs d’État et de gouvernement prendront la décision finale sur les grandes lignes de ce mécanisme et sur la modification du traité.

La modification du traité, qui doit pouvoir être ratifiée « pour la mi-2013 au plus tard », ne doit pas toucher à l’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la fameuse clause de non-renflouement.

Enfin, la question de la contribution du secteur privé – même si elle n’a pas été évoquée ce soir, elle est extrêmement importante et intéressante –, et du Fonds monétaire international, à ce mécanisme sera examinée très attentivement.

En effet, il n’est pas complètement absurde que ceux qui ont spéculé sur les dettes souveraines et pratiquement causé la faillite d’un État participent au mécanisme de renflouement et de caution collective. C’est donc un débat qui, je le crois, doit être ouvert devant nos opinions publiques.

Par ailleurs, la France et l’Allemagne ont également obtenu que la question des sanctions politiques, qui était au cœur de la déclaration de Deauville, figure explicitement dans les conclusions de ce Conseil européen et fasse l’objet d’un examen ad hoc. Là encore, ce n’était pas gagné d’avance.

M. Sutour a critiqué les sanctions financières et politiques. Mais, par définition, sans sanctions, il n’y a pas de discipline commune. Je serais donc intéressé de connaître les solutions alternatives qui pourraient exister dans ce domaine…

Toujours est-il que le Président du Conseil européen est chargé, en consultation avec les États membres, d’examiner – c’était bien le sens de la proposition franco-allemande – « la question du droit des membres de la zone euro de participer à la prise de décisions dans le cas des procédures en rapport avec l’UEM en cas de menace permanente pour la stabilité de la zone euro ».

Cette question des sanctions politiques n’est donc absolument pas écartée, monsieur le président Bizet. La France et l’Allemagne ont bien obtenu, ensemble, que ce débat soit ouvert et que cela soit inscrit noir sur blanc dans les conclusions du Conseil européen.

Vous avez néanmoins raison de noter que de nombreux États opposent une certaine résistance sur ce point. La plupart d’entre eux souhaiteraient continuer à bénéficier du fonds de garantie, mais ne veulent pas entendre parler de la discipline qui doit accompagner ce dispositif. Tout le travail consiste donc à trouver le juste équilibre entre la pérennisation du dispositif et la mise en œuvre de mécanismes de discipline commune.

Deuxième leçon, le Conseil européen « fait sien » le rapport du groupe de travail sur la gouvernance économique, piloté par le président Herman Van Rompuy. Sa mise en œuvre constituera, toujours selon les conclusions du Conseil européen, « une avancée importante dans la consolidation du pilier économique de I’UEM en renforçant la discipline budgétaire, en élargissant la surveillance économique et en approfondissant la coordination ».

Cette reconnaissance par les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’importance, et de la pertinence, des travaux conduits par la task force de M. Van Rompuy est essentielle.

Comme l’a dit le président Bizet, elle ouvre la voie à plusieurs innovations importantes : une meilleure coordination au niveau européen des politiques macroéconomiques ; une meilleure coordination des politiques budgétaires à travers la mise en place, dès 2011, du « semestre européen » ; enfin, le renforcement du volet préventif et correctif du pacte de stabilité et de croissance dans un sens conforme aux positions franco-allemandes.

Je rappelle en effet que le grand apport de la déclaration de Deauville, et du rapport du groupe Van Rompuy, est, par opposition aux propositions initiales de la Commission, de remettre le Conseil au cœur du processus de sanctions sans affaiblir l’efficacité de celles-ci.

Ce mécanisme – je réponds à M. Aymeri de Montesquiou qui s’interrogeait sur ce point – garantira à tous les États membres de la zone euro que l’appréciation de leur situation restera fondamentalement politique, tout en élargissant de façon très sérieuse les disciplines qui leur seront appliquées.

Les chefs d’État et de gouvernement ont fixé par ailleurs un calendrier ambitieux pour l’adoption du nouveau dispositif, en appelant à une « approche rapide » et à un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur les aspects législatifs « d’ici à l’été 2011 ».

Troisième leçon, la question de la réforme des retraites, toujours elle, est bien au cœur de la nouvelle gouvernance économique européenne.

Je vous avais dit, la semaine dernière, à quel point l’adoption de la réforme des retraites par le parlement français était un enjeu fondamental pour la pérennité de notre modèle social, pour la maîtrise de nos finances publiques mais aussi pour la restauration de notre compétitivité et pour la cohérence de nos engagements européens.

Je vous avais également indiqué que cette question de la réforme des retraites ne s’arrêtait pas à nos frontières et que nombre de nos partenaires s’étaient déjà engagés dans ce processus, consubstantiel à la survie de leur économie et de leurs emplois.

M. Schäuble a été aujourd'hui reçu au Sénat. Une délégation de députés du Bundestag l’a été à l’Assemblée nationale. Vous savez que l’âge de la cessation du travail en Allemagne a été repoussé à soixante-sept ans.

Ce sujet, dont l’impact sur l’évolution des finances publiques nationales est fondamental, a effectivement été évoqué par le Conseil européen à travers les travaux de la task force de M. Van Rompuy.

In fine, le Conseil européen « invite le Conseil à accélérer les travaux sur la manière dont l’incidence de la réforme des retraites est prise en considération dans la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance, et à lui faire rapport en décembre ». C’est la demande d’un certain nombre de pays, en particulier de la Pologne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc dans ce contexte de mise en place d’une « gouvernance économique » européenne que se situe notre débat sur l’article 46 du projet de loi de finances qui est soumis ce soir à votre approbation et qui concerne le montant de notre prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Vous connaissez les données chiffrées, elles ont été rappelées par M. Badré, notamment : en 2011, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est évalué à 18,2 milliards d’euros, soit 7,2 % des recettes fiscales nettes françaises. Ce chiffre est plus élevé que celui que vous avez cité tout à l’heure, monsieur Badré.

Comme l’an passé, les ressources propres dites « traditionnelles » – droits de douane et cotisations sucre –, estimées à 1,4 milliard d’euros, sont exclues du périmètre du prélèvement sur recettes, conformément à la recommandation de la Cour des comptes.

La participation française au budget de l’Union européenne représente donc un effort de solidarité substantiel, notamment à l’égard des nouveaux États membres qui bénéficient pleinement des dépenses de cohésion, fonds structurels et fonds de cohésion.

Cet effort est d’autant plus important qu’il doit être mesuré à l’aune des trois éléments suivants.

Premièrement, il faut rappeler que la France figure désormais – hélas ! – parmi les tout premiers contributeurs au budget de l’Union européenne. Notre pays était, en 2008, le troisième contributeur net, et, en 2009, le deuxième contributeur net après l’Allemagne, le président de la commission des finances le sait parfaitement.

Deuxièmement, le solde net déficitaire de la France, qui s’élevait à près de 5 milliards d’euros par an en 2009, ne va cesser de croître jusqu’à la fin des actuelles perspectives financières, c’est-à-dire jusqu’en 2013. La contribution française devrait connaître une progression moyenne de 600 millions d’euros par an, pour atteindre un solde net déficitaire de près de 7,3 milliards d’euros en 2013 ! Comme la règle de progression dite du « zéro valeur » s’applique, un transfert de 600 millions d’euros en Europe, ce sont 600 millions d’euros en moins d’investissement en France même.

Troisièmement, l’application de cette règle de progression est donc difficile et se traduira par un véritable sacrifice pour nous, Français.

Je crois donc de mon devoir de ne pas masquer cette réalité et, à travers vous, de dire la vérité aux Français : la solidarité que nous affichons légitimement vis-à-vis de nos partenaires européens a un véritable coût, dont la collectivité nationale doit bien prendre toute la mesure.

Pour le Gouvernement, c’est cependant un prix nécessaire que nous acceptons de payer pour que la France, s’appuyant sur l’Europe, soit au rendez-vous du XXIe siècle, pour qu’elle soit un véritable « multiplicateur de puissance », au service d’un espace commun de valeurs, de démocratie et d’un modèle social unique au monde et pour qu’avec nos partenaires nous bâtissions des grands projets pour l’avenir. Je pense ici – d’autres orateurs avant moi ont mentionné ces projets – à Galileo, aux réseaux transeuropéens de transport ou à ITER, et à l’espace, cher à M. Pozzo di Borgo.

La discussion ouverte tout à l’heure par M. Badré sur la fausseté de ce discours sur les retours nets est fondée, mais il faut quand même garder toujours à l’esprit le fait que nous consentons à l’Europe élargie des transferts extrêmement importants, que nous ne faisions pas il y a quelques années.

Enfin, c’est le prix nécessaire pour que nous nous donnions les moyens de nos politiques communes. Plusieurs d’entre vous ont rappelé à quel point nous étions « viscéralement attachés » – je reprends l’expression d’un des orateurs – à la politique agricole commune. C’est notamment le cas dans cette assemblée.

Tel est donc l’objectif de cette contribution française. Encore faut-il en tracer les limites de bon sens, et si vous le permettez, celles-ci m’amèneront à formuler trois remarques.

Première remarque : il est nécessaire que les efforts de réduction des dépenses auxquels nous, les États, nous soumettons soient également partagés par les institutions européennes.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. M. Gouteyron l’a justement dit tout à l’heure, il est en effet quelque peu curieux que la Commission qui, d’une main, entend flétrir, par des sanctions automatiques, les États qui ne sont pas suffisamment rigoureux sur le plan budgétaire leur propose, de l’autre main, un budget européen pour 2011 en augmentation – excusez du peu – de 6 % en crédits de paiement !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quelle contradiction !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. La même remarque vaut pour le Parlement européen qui, lui, souhaitait carrément une augmentation de 7 %.

C’est la raison pour laquelle le Conseil a refusé très fermement cette augmentation et, après avoir longuement réfléchi sur le sujet, a consenti à une augmentation tout de même importante de 2,9 % des crédits de paiement en août dernier, sur la base de laquelle est calculé le prélèvement sur recettes qui vous est présenté ce jour.

À l’issue du Conseil européen, une lettre signée par douze chefs d’État et de gouvernement – dont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas ou encore la Suède – et adressée au président du Conseil européen et à la présidence belge a très clairement rappelé qu’il n’était pas question d’aller, dans un contexte européen de maîtrise des finances publiques, au-delà de l’augmentation déjà substantielle de 2,9 % consentie par le Conseil.

Aussi, je ne doute pas que, dans ce contexte, le Parlement européen, tenté par les mêmes excès, la même envie de dépenser, saura faire preuve de sagesse et, dans le cadre de la procédure de conciliation avec le Conseil, qui s’est engagée la semaine dernière, saura prendre pleinement en compte les réalités budgétaires européennes, qui s’imposent à tous les États membres, et, par-delà, aux 500 millions de citoyens européens.

La semaine dernière, lors du débat préalable à la tenue du Conseil européen, j’ai eu l’occasion de préciser que, pour la première fois cette année, le Conseil et le Parlement faisaient l’expérience des nouvelles dispositions du traité de Lisbonne et d’une procédure budgétaire désormais limitée à une lecture par chacune des institutions. Nous verrons, monsieur le président Arthuis, comment les choses se passeront.

Selon cette procédure nouvelle, et pour répondre à la question du président Bizet, les articles 314 et 315 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne sont clairs : en cas de rejet du budget, la Commission serait appelée à présenter un nouveau projet. Dans l’attente, l’Union fonctionnerait sur la base des douzièmes provisoires, c’est-à-dire l’équivalent d’un douzième du budget ouvert l’année précédente. Ce système des douzièmes provisoires permettrait d’assurer a minima la continuité des institutions, mais, chacun l’imagine bien, un certain nombre d’engagements nouveaux seraient compromis.

Toutefois, je veux le redire, nous ne sommes pas dans une situation de blocage pour l’instant : le Conseil et le Parlement ont, comme le traité le prévoit, adopté chacun une position. Ces positions sont, comme on pouvait s’y attendre, divergentes ; mais c’est le cas, vous le savez, au début de toutes les négociations sur le budget annuel. C’est le rôle de la conciliation que de définir des compromis mutuellement acceptables.

Permettez-moi d’ajouter, pour terminer sur cette première question de la maîtrise des dépenses, que cet impératif s’impose naturellement à toutes les institutions européennes, y compris aux très nombreuses agences dont l’Union s’est dotée. À cet égard, je me félicite du travail que vous allez engager, monsieur Badré, à la demande du Premier ministre sur l’Agence des droits fondamentaux à Vienne, que j’ai eu l’occasion d’examiner attentivement. Je pense que vous trouverez là certains enseignements qui seront probablement valables dans d’autres structures du même genre.

Deuxième remarque de bon sens, mesdames, messieurs les sénateurs : quand l’argent européen est effectivement disponible, qu’il a donc été transféré par les États, notamment par la France, afin que soit menée une politique sociale urgente, par exemple, nous serions en droit d’attendre que cet argent soit utilement et efficacement dépensé. Or c’est très exactement l’inverse qui se passe sur l’un des dossiers évoqués ce soir par M. Billout, c’est-à-dire le dossier des Roms, qui concerne tout de même 11 millions de personnes, dont 9 millions de citoyens européens.

En effet, dans ce dossier, la France a été injustement accusée, menacée, vilipendée, quelquefois dans des termes parfaitement insultants, inacceptables, pour la politique pourtant totalement conforme au droit européen qu’elle a engagée l’été dernier, à savoir faire respecter en France le droit d’occupation des sols et les conditions de séjour, elles-mêmes prévues par la directive de 2004.

Or, je veux le dire, pour m’être investi dans ce dossier depuis un an et demi et pour m’être rendu trois fois à Bucarest, nous avons, les premiers, appelé l’attention de nos partenaires sur l’existence, au sein de l’Europe au sens large, y compris parmi les candidats à l’adhésion, d’un véritable scandale, d’un « quart monde » de 11 millions d’individus, dont personne ne s’occupait et qui, pourtant, je le répète, pour 9 millions d’entre eux, sont citoyens de l’Union européenne.

Cette situation est le produit d’un échec patent des politiques d’intégration des Roms dans leurs pays d’origine, et d’une carence non pas du Parlement européen, qui a évoqué le sujet, mais au moins de la Commission, qui connaissait bien ce problème, notamment lors des études de préadhésion de ces pays et au moment des élargissements de 2004 et surtout de 2007. Elle n’a pas suffisamment pris la mesure de cet enjeu ni envisagé les mesures qui s’imposaient.

Or que constate-t-on ? Que c’est le procès de la France qui a finalement été instruit, et non celui des pays d’origine, comme si le problème des Roms était celui de la France et non celui de la Roumanie ou de la Bulgarie. Pourtant, ce sont dans ces pays que l’argent a été transféré, que cet argent disponible n’a pas été dépensé au profit des minorités roms !

Faut-il rappeler, en effet, que, sur près de 20 milliards d’euros transférés, dont va bénéficier, à titre d’exemple, la Roumanie sur la période 2007-2013, seuls 85 millions d’euros ont été programmés à destination des populations roms ?

George Soros, le célèbre financier américain, qui a créé à Budapest une fondation concernant les Roms, a déclaré devant moi, à Mme Reding, lors du sommet européen sur les Roms qui s’est tenu au mois d’avril 2010, qu’il donnait plus d’argent aux Roms que l’Union européenne, et sur ses deniers personnels. Je dis là qu’il y a scandale !

Mieux encore, alors même qu’on instruit le procès de la France, certains pays d’origine, loin d’assumer la moindre responsabilité vis-à-vis de leurs propres citoyens, préfèrent considérer cette question de l’intégration des Roms comme un « problème paneuropéen », dont il reviendrait à tous les États membres – sous-entendu à tous les autres – de prendre leur part.

Cela reviendrait à faire « payer deux fois » la France : une première fois au titre des fonds structurels, des fonds de cohésion, qui sont transférés d’Ouest en Est en Europe, et une seconde fois au titre de l’argent que l’État français, mais aussi nos collectivités locales, de droite comme de gauche, vont devoir verser pour mener à bien le travail d’insertion que les pays d’origine ne mènent pas à l’égard de leurs propres citoyens.

Dans ce contexte, je peux me permettre de parler de « carence », voire de « scandale », au regard de l’ampleur des sacrifices financiers que nous consentons.

Au-delà des mots tout à fait regrettables qui ont parfois été employés, la polémique de cet été aura peut-être, du moins peut-on l’espérer, une vertu : elle a démontré qu’il est temps, comme la France le demande depuis des mois, de s’intéresser aux véritables enjeux de fond que sont, d’une part, l’intégration sociale de ces malheureuses populations dans les pays dont elles sont citoyens à part entière – qui est le seul moyen d’améliorer effectivement leurs conditions de vie – et, d’autre part, la lutte contre les trafics d’êtres humains dont ces populations, en particulier les femmes et les enfants, sont les victimes.

C’est donc pour mettre les points sur les « i » et rappeler les États d’origine à leurs responsabilités premières que la France a pris l’initiative lors de la réunion ministérielle du Conseil de l’Europe, mercredi dernier, de faire adopter une déclaration, non sans mal d’ailleurs. En effet, comme vous le savez peut-être, mesdames, messieurs les sénateurs, le délégué roumain a préféré considérer que cette responsabilité n’était que passagère et que, pendant la période des quatre mois prévue par la directive de 2004, les citoyens roumains résidant légalement dans un autre pays de l’Union étaient sous la responsabilité de celui-ci. Il s’agit là d’une conception assez intéressante de l’article 2 du traité !

Ainsi, le gouvernement roumain estime n’être responsable de sa population Rom que huit mois de l’année, les quatre mois restants étant aux frais d’un autre État membre. J’insiste sur ce point, car c’est ce genre d’attitude qui peut être à l’origine de véritables crises en l’Europe. Nous n’en avons en tout cas pas fini avec cette affaire.

Troisième remarque : nous devons faire connaître clairement nos priorités dans la grande négociation qui se prépare sur le « cadre financier » européen, et qui prendra, à partir de 2014, la suite des actuelles perspectives financières 2007-2013. Beaucoup de choses ont été dites sur cette question par les orateurs précédents, et le Gouvernement les approuve totalement.

Vous le savez, les grandes manœuvres ont commencé avec la présentation par la Commission, le 19 octobre, de sa communication sur le réexamen du budget de l’Union. Ce document est la traduction de la « clause de réexamen », inscrite dans les conclusions du Conseil européen de décembre 2005.

Cet exercice, constamment repoussé, ne constitue cependant plus un réexamen à mi-parcours du cadre financier actuel. Il engage la réflexion sur les prochaines perspectives financières dans l’attente des propositions législatives de la Commission, le « paquet chiffré », annoncées pour juin 2011.

Les autorités françaises examinent attentivement cette communication, dont il ressort, en première approche, quelques grandes caractéristiques.

D’abord, ce document est, comme nous nous y attendions, assez court et essentiellement qualitatif. Tout le volet chiffré est renvoyé à l’été prochain.

Ensuite, les formulations employées dans ce document restent, pour l’essentiel, assez prudentes, notamment sur le volet « dépenses ». Il faut cependant prendre garde : derrière l’habileté de certaines formulations, on devine, ou l’on perçoit, que la PAC est la seule politique faisant l’objet d’une indication tendanciellement négative. Sur ce point, je partage les inquiétudes exprimées par certains d’entre vous. De même, aucune indication claire n’est donnée sur la limitation du budget de l’Union européenne.

Enfin, sur le volet « ressources », la communication est très fournie. De nombreuses nouveautés sont proposées, sur lesquelles nous devons prendre le temps de l’expertise : accroissement de la flexibilité au sein du budget, allongement de la durée de vie du cadre financier – dix ans –, recours accru à des instruments financiers novateurs, introduction de nouvelles ressources propres en remplacement de la ressource TVA et d’une partie de la ressource RNB.

Deux autres étapes jalonnent le parcours qui nous conduit au Conseil européen de décembre : le 10 novembre, la Commission publiera son cinquième rapport sur la politique de cohésion, et, le 17 novembre, elle rendra également publique une communication très attendue sur l’avenir de la PAC.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ignore ni les dilemmes, ni les espoirs, ni les contradictions mis en lumière par certains d’entre vous ce soir – politique agricole commune contre recherche, ressources propres, impôt européen, limitation du budget. Ces contradictions existent dans notre pays, mais également, je tiens à vous rassurer, chez tous nos partenaires.

Dans ces conditions, il est d’autant plus nécessaire pour le Gouvernement, en liaison avec la représentation nationale, d’essayer de garder un cap clair et ferme. J’ai d’ores et déjà fait passer au commissaire européen en charge du budget, M. Janusz Lewandowski, quatre grands messages, lorsque je l’ai reçu à Paris le 31 août dernier.

Premier message : le budget européen doit rester stable au cours des prochaines années. Non, monsieur Billout, il n’est pas question de l’augmenter, et d’ailleurs avec quelles ressources ? Compte tenu de la hausse sensible et régulière de sa contribution brute et de la dégradation parallèle de son retour net, la France sera extrêmement vigilante sur ce point qui est, je crois, partagé par l’ensemble des États membres.

Deuxième message : il est indispensable de maintenir une PAC forte. C’est le message que j’ai entendu ce soir ici même. Je peux vous assurer de la fermeté du Gouvernement dans ce domaine. Il n’est pas question d’accepter une évolution à la baisse du budget de la PAC, celle-ci représentant encore près de trois quarts des retours de la France au titre du budget européen.

On peut encore adapter et améliorer la PAC, même si, comme vous le savez, celle-ci fait partie des politiques européennes qui ont été le plus réformées depuis leur création. En revanche, il ne faut pas l’affaiblir, surtout au moment où la sécurité alimentaire et la sécurité sanitaire sont des enjeux cruciaux partout dans le monde.

Je veux dire à MM. Gouteyron et Sutour combien nous sommes attachés à cette affaire de la PAC. Par ailleurs, et je m’adresse notamment à MM. Bizet et Badré, nous avons besoin de conserver une part de fonds structurels, parce qu’ils assurent la visibilité de l’Europe auprès de nos concitoyens. À cet égard, je vous renvoie à la lecture des rapports parlementaires portant sur ces sujets.

Troisième message : la stabilité du budget européen est parfaitement compatible avec une action européenne ambitieuse. La mise en œuvre des politiques communes obéit à des procédures parfois lourdes et inefficaces qui ne satisfont pas les publics visés. Il est impératif d’améliorer ces politiques et de les adapter à un monde en profonde transformation : plutôt que de dépenser plus, il faut, comme l’a dit notamment M. Sutour, dépenser mieux. C’est particulièrement clair dans le secteur de la recherche et de l’innovation. C’est également le cas pour la politique de cohésion. Sur ce sujet, vous avez tous à l’esprit le rapport de Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.

Quatrième et dernier message : s’agissant des ressources, nous devons regarder les choses en face. Le financement du budget européen est devenu illisible, inefficace et injuste. Les rabais – certains sont permanents, d’autres non – prolifèrent : chèque britannique, rabais TVA, « rabais sur le chèque britannique », rabais RNB. Savez-vous que la France est, mesdames, messieurs les sénateurs, la première contributrice à la correction britannique, dont elle acquitte près de 25 % ? Cela représentait, en 2009, une dépense de 1,4 milliard d’euros sur un total de 5,6 milliards d’euros.

Comme vous l’avez souligné justement, monsieur Gouteyron, le rabais britannique, qui date de 1984, n’a absolument plus aucune pertinence aujourd’hui. Cette situation n’est plus acceptable. Si le prochain cadre financier doit être l’occasion de se pencher, naturellement, sur le volet « dépenses », personne ne comprendrait qu’il ne soit pas aussi l’occasion d’examiner le volet « ressources ».

La France sera, dans ce cadre, naturellement disponible pour une réflexion d’ensemble sur le financement des dépenses de l’Union. Oui, monsieur Sutour, elle sera prête à discuter de financements nouveaux, des ressources propres. Mais soyons clairs : cette réflexion sur les ressources ne doit conduire ni à une hausse des dépenses ni à la création d’un impôt européen, qui impliquerait de transférer à l’Union européenne une compétence propre sur la fixation de l’assiette et du taux d’une nouvelle ressource. Ce n’est pas le moment de créer un impôt nouveau ou de changer la nature du système de financement de l’Europe. Aucun État membre n’est, du reste, prêt à l’accepter. À cet égard, les déclarations de la chancelière allemande aujourd'hui même font écho à la position de la France sur ces questions.

Sur tous ces sujets, messieurs Gouteyron et Bizet, nous pouvons nous attendre à ce que la négociation soit complexe, difficile, et probablement longue. Souvenons-nous que, lors de la préparation des actuelles perspectives financières 2007-2013, les manœuvres avaient commencé dès 2003, c’est-à-dire quatre ans avant, avec l’envoi à la Commission de la « lettre des Six », dont la France était signataire, réclamant le plafonnement du budget européen à 1 % du PNB européen. Les négociations ne s’étaient achevées qu’en décembre 2005.

Mais, dans ce chantier de longue haleine qui vient de s’ouvrir, vous avez raison de souligner, monsieur Gouteyron, que la France et l’Allemagne sont appelées à jouer, sur ce sujet comme sur tous les autres, un rôle moteur. L’Agenda franco-allemand 2020, adopté en février 2010 par le Président de la République et par la Chancelière, prévoit d’ailleurs que « la France et l’Allemagne préparent ensemble les négociations du prochain cadre financier pluriannuel européen, en veillant notamment à ce qu’il soit cohérent avec les contraintes qui pèsent sur les budgets nationaux et que les charges soient équitablement réparties ».

Pour conclure, tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais vous présenter, en réponse à vos interventions, sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 octobre et sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne pour l’année 2011.

Sur cette base, le Gouvernement a l’honneur de demander à la Haute Assemblée de bien vouloir approuver l’article 46 du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)