compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Marc Massion.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Organisme extraparlementaire

M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d’orientation de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, en remplacement de Mme Bernadette Dupont, démissionnaire.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

3

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

4

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé M. le président du Sénat, le 1er juin 2010 que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont adressé au Conseil constitutionnel trois décisions de renvoi de deux questions prioritaires de constitutionnalité (2010-15 QPC, 2010-16 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

5

Dépôt d’un rapport en application d’une loi

M. le président. M. le Président du Sénat a reçu de Mme la Défenseure des enfants le rapport d’activité pour l’année 2009, établi en application de l’article 5 de la loi du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois et à la commission des affaires sociales ; ce rapport est disponible au bureau de la distribution.

6

Défenseur des droits

Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

(Textes de la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits (projet n° 610, 2008-2009, texte de la commission n° 483, rapport n° 482) et du projet de loi relatif au Défenseur des droits (projet n° 611, 2008-2009, texte de la commission n° 484, rapport n° 482).

Ces deux projets de loi feront l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale, la parole est Mme la ministre d’État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

 
 
 

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, moderniser notre démocratie, c’est certes moderniser nos institutions, mais aussi renforcer la protection des droits fondamentaux des citoyens.

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a prévu un double dispositif dont, j’en suis persuadée, l’importance, cruciale pour la pratique quotidienne de la démocratie et le renforcement des droits de nos concitoyens, apparaîtra d’ici à quelques années.

Le premier élément de ce dispositif est la question prioritaire de constitutionnalité, entrée en application le 1er mars dernier. Le justiciable peut désormais obtenir l’abrogation d’une loi incompatible avec les droits et libertés protégés par la Constitution. Il me semble que l’importance de ce mécanisme est d’ores-et-déjà unanimement reconnue.

Le second élément est le Défenseur des droits, objet des projets de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui. Sa mise en place constituera certainement une avancée de la même ampleur que celle de la question prioritaire de constitutionnalité.

En l’espèce, il s’agit de renforcer les possibilités de recours non juridictionnels dont disposent nos concitoyens. Cette institution nouvelle, il faut le dire, placera notre pays à la pointe de la protection des droits et libertés.

L’institution du Défenseur des droits qui est l’objet des deux textes aujourd’hui soumis à votre examen tire les leçons de près de quarante années d’évolutions juridiques de différentes institutions.

Je mentionnerai en premier lieu l’expérience du Médiateur de la République, dont la création, permettez-moi de le rappeler, avait suscité à l’époque nombre d’interrogations, voire un certain scepticisme. Elle a en fait démontré l’efficacité d’une instance indépendante, proche du citoyen, chargée de défendre, face à l’administration, les droits de ce citoyen qui se retrouvait souvent, qu’on le veuille ou non, dans la position du pot de terre contre le pot de fer.

Mais l’histoire du Médiateur de la République a également montré l’intérêt que pourrait avoir pour nos concitoyens une accessibilité plus large et plus directe à l’instance de défense de ses droits.

D’autres institutions ont été créées par la suite. La multiplicité de ces instances, si elle témoigne de la diversité du sujet, ne garantit pas forcément une protection optimale dans chaque situation.

Quelle cohérence d’action en faveur d’un meilleur respect des droits des concitoyens peut-on construire, si des instances multiples aboutissent à des analyses, voire à des décisions, divergentes ? Quelle vision d’ensemble peut-on avoir de la défense des libertés, ou des menaces qui peuvent peser sur elle, dès lors qu’elle s’élabore selon une approche éclatée, sectorielle, et compartimentée ? Quelle peut-être la facilité d’accès du citoyen s’il ne sait pas à qui s’adresser précisément pour traiter de son problème ?

La création du Défenseur des droits tend à répondre à ces trois questions, en s’appuyant sur les expériences de ces dernières années.

Les projets de loi soumis à votre examen ont fait l’objet d’un travail approfondi de votre commission et, tout particulièrement de votre rapporteur, que je tiens à saluer.

Par rapport aux institutions qu’il remplace, le Défenseur des droits disposera de moyens renforcés et renouvelés. Sa mise en œuvre, je l’ai déjà dit, tirera les leçons de l’expérience des institutions antérieures.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à le souligner, le Défenseur des droits tient son autorité de la Constitution. C’est une nouveauté et il convient, dès lors, d’en tirer les conséquences. En effet, le Défenseur des droits doit disposer de moyens à la hauteur de sa mission. Pour cette raison, il bénéficie, par rapport aux institutions antérieures, de pouvoirs accrus, et d’une saisine plus facile.

Quels sont ces pouvoirs accrus ?

Premièrement, il s’agit des pouvoirs d’investigation et de contrôle. Les textes aujourd’hui soumis à votre examen prévoient de doter le Défenseur des droits d’un droit d’accès aux locaux, publics et privés, des personnes mises en cause, et ce évidemment sous le contrôle du juge. En conséquence, les personnes s’opposant aux contrôles effectués par le Défenseur des droits encourront des sanctions pénales, prévues dans le projet de loi complétant le projet de loi organique.

Deuxièmement, le Défenseur des droits dispose de pouvoirs d’injonction. Si les recommandations qu’il adresse aux personnes mises en cause ne sont pas suivies d’effet, il pourra leur enjoindre de prendre les mesures qui s’imposent et, en cas d’inertie, rédiger un rapport spécial susceptible d’être rendu public. De même, si, malgré les éléments portés à sa connaissance, une autorité administrative refuse d’user de son pouvoir disciplinaire, le Défenseur des droits pourra établir et publier un rapport spécial afin de garantir l’effectivité des sanctions.

Troisièmement, le Défenseur des droits jouit de pouvoirs d’intervention directe dans le règlement des litiges. Il pourra ainsi proposer à la personne mise en cause de conclure une transaction pour mettre fin au litige, mais également intervenir devant toute juridiction, dès lors qu’il l’estimera utile pour la protection des droits et des libertés. En outre, il pourra saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis pour couper court aux difficultés qui proviendrait d’une divergence d’interprétations des textes applicables. À mes yeux, il s’agit d’une mesure pragmatique et utile.

Par ailleurs, au-delà du renforcement de ses pouvoirs, le Défenseur des droits voit sa saisine facilitée. En effet, toute personne s’estimant lésée au regard de ses droits et de ses libertés pourra le saisir directement. Bien entendu, je le rappelle, les parlementaires disposeront toujours d’un pouvoir de saisine, mais leur intervention ne sera pas obligatoire, comme c’est le cas pour le Médiateur aujourd’hui. La saisine du Défenseur des droits sera ainsi accessible à tous et, bien entendu, gratuite.

Le Défenseur des droits pourra même s’autosaisir dans les domaines de sa compétence lorsqu’il aura connaissances de difficultés. Bien entendu, un certain nombre de précautions seront prises afin d’éviter qu’il n’intervienne si l’intéressé ne le souhaite pas. Celui-ci devra avoir été averti et ne pas exprimer d’opposition à l’intervention du Défenseur.

Une exception a néanmoins été prévue afin de tenir compte du fait que les difficultés peuvent résulter de la famille elle-même. Pour défendre l’intérêt supérieur d’un enfant, le Défenseur aura donc la possibilité d’intervenir sans l’accord de ses représentants légaux.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Défenseur des droits est un acteur nouveau dans notre paysage institutionnel. Pour autant, il ne s’agit pas de faire table rase du passé. Il faut au contraire utiliser celui-ci pour enrichir une institution nouvelle et forte, laquelle bouleverse la situation de nos concitoyens face aux administrations, aux institutions ou aux personnes qui voudraient mettre en cause leurs droits ou leurs libertés, ou qui seraient susceptibles de le faire. L’instauration du Défenseur des droits s’inscrit donc dans la continuité du développement des institutions antérieures.

Il est prévu que le Défenseur des droits exerce les compétences du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, celles de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, ainsi que celles, comme l’a souhaité la commission des lois, de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE. Pour autant – et c’est important –, cela ne signifie pas que les compétences et les missions de ces différentes institutions seront diluées dans l’institution nouvelle. Il ne s’agit pas de réduire ou d’atténuer la défense des droits et des libertés, mais au contraire de la conforter grâce à une institution plus forte et plus cohérente.

Pour prendre en compte la spécificité des différents domaines, le Défenseur sera assisté de collèges de personnalités qualifiées qui lui apporteront leur expertise. Ils seront consultés sur le traitement des réclamations en matière de déontologie de la sécurité, de protection de l’enfance et de lutte contre les discriminations.

De la même façon, le fonctionnement de l’institution favorisera la mise en commun des expériences et des bonnes pratiques. Ce que nous voulons, c’est conforter la défense. Il n’est pas question que chacun travaille dans son domaine et se cache de l’autre, car c’est souvent le manque de cohérence qui nuit à l’efficacité.

Les personnels et les dossiers des institutions antérieures seront donc transférés au Défenseur des droits. Chacun pourra faire valoir ses compétences dans le cadre d’une approche globale et mieux coordonnée de la protection des droits.

Le Sénat a souhaité renforcer la visibilité des différentes missions.

L’individualisation des missions renforcera l’efficacité de l’action du Défenseur des droits. Au-delà des collèges prévus par la Constitution, le projet de loi organique prévoit désormais que le Défenseur des droits s’appuiera sur des adjoints. Je salue l’amélioration apportée par la commission des lois sur ce sujet.

La place accordée au Défenseur des droits par la Constitution sera confortée dès lors que chacun restera dans son rôle. Le Défenseur des droits défend les droits, les adjoints et les collèges l’assistent et l’éclairent dans sa mission, chacun dans son domaine. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ma présentation générale sera brève, car M. le rapporteur et les différents orateurs qui interviendront dans la discussion générale ne manqueront pas d’approfondir chacun des points que j’ai évoqués. Je soulignerai simplement que le Défenseur des droits donnera une ampleur totalement inédite à la protection des droits et des libertés des Français. Moderniser le fonctionnement de la démocratie, c’est se donner des institutions fortes. Tel est l’équilibre qui a été voulu par le Constituant.

Le Défenseur des droits permettra très concrètement de faire entendre la voix de nos concitoyens face à des administrations qui apparaissent parfois trop indifférentes au sort des personnes. En tant qu’élus, nous voyons de nombreuses demandes arriver régulièrement sur nos bureaux.

Il est indispensable que le citoyen se sente bien dans l’État, qu’il sache qu’il est pris en compte et qu’il est reconnu ; il ne doit plus se heurter à des murs, à des interlocuteurs qui refusent de voir la réalité telle qu’il la perçoit.

Le Défenseur des droits sera le défenseur de tous les droits, de tous les citoyens. C’est important pour la cohésion nationale. Personne ne doit se sentir ignoré, personne ne doit penser que ses droits et sa liberté sont mis en cause par l’attitude d’une institution, d’une administration ou d’une personne.

Le Défenseur des droits a donc vocation à étendre sa mission à tous les domaines couverts par les autorités administratives chargées de défendre les droits de nos concitoyens et par celles qui ne le seraient pas encore.

Pour ma part, je suis persuadée que le Défenseur des droits confortera nos principes, nos valeurs et nos ambitions en matière de liberté et de démocratie. Il contribuera à garantir la pérennité de notre pacte social et la cohésion de la nation, ainsi qu’à préserver l’unité de tous les Français, car, ne l’oublions jamais, l’unité de la nation est certainement notre bien le plus précieux. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la Haute Assemblée se préoccupe du sort des autorités administratives indépendantes.

Ainsi, en 2005, le défunt Office parlementaire d’évaluation de la législation m’avait chargé de rédiger un rapport sur ces autorités, ce qui m’avait alors conduit à constater qu’il y en avait trop – depuis, d’autres encore ont vu le jour – et qu’il était nécessaire d’envisager le regroupement de certaines d’entre elles statuant dans des domaines voisins.

Ce rapport avait ensuite donné lieu à un important débat au Conseil économique et social et au sein de l’Académie des sciences morales et politiques. Cette question a depuis lors été abordée par le comité Balladur, qui a proposé, dans son rapport intitulé Une République plus démocratique, de créer un défenseur – non pas des droits, un autre intitulé avait été trouvé – disposant de larges compétences afin de lui permettre de mieux assurer la défense des droits.

À cet égard, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a considérablement modifié les rapports entre l’État et le citoyen, même si on ne s’en est pas encore rendu compte. Ainsi, les questions prioritaires de constitutionnalité se développent. M. le président vient d’ailleurs de nous communiquer la liste des questions dont vient encore d’être saisi le Conseil constitutionnel. C’est là un bouleversement, une transformation considérable. Le Conseil supérieur de la magistrature pourra lui aussi être saisi par nos concitoyens. L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ce droit nouveau.

Le Défenseur des droits fait partie de cette catégorie nouvelle de protections améliorées des droits des citoyens dans une République plus démocratique.

Je me suis replongé dans les débats sur la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en particulier dans ceux portant sur l’article 71-1. L’examen en première lecture à l’Assemblée nationale de cet article n’avait pas apporté beaucoup d’éléments. C’est son examen par le Sénat qui a donné toute sa dimension à cet article instaurant le Défenseur des droits.

Permettez-moi de vous donner lecture de cet article, car il est capital pour la suite : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. » Le projet de loi organique peut attribuer au Défenseur des droits des compétences allant au-delà de celles qui sont prévues par la Constitution, ce que prévoit d’ailleurs le texte de la commission.

Je poursuis : « Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office.

« La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions.

« Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.

« Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement. »

Je dirai un mot sur la nomination du Défenseur des droits. Comme le président de la HALDE, le président de la CNDS, le Défenseur des droits des enfants ou le Médiateur de la République, le Défenseur des droits sera nommé par le Président de la République, mais – et c’est une nouveauté – après son audition par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat et leur vote. Ces commissions peuvent donc s’opposer à une nomination.

Jusqu’à présent, personne –  et pourtant de nombreux articles ont été publiés sur ce sujet ces temps derniers – ne s’est plaint du manque d’indépendance du Médiateur de la République, de la Défenseure des enfants ou du président de la CNDS. Au contraire, tout le monde vante leur indépendance ! Or je rappelle que tous ont été choisis par le Président de la République, sans intervention du Parlement.

Je suis certain que, si l’une des commissions compétentes du Sénat ou de l’Assemblée nationale s’opposait, à la majorité relative, à la nomination d’une personnalité choisie par le Chef de l’État, celui-ci ne pourrait pas la nommer, d’une part parce que l’autorité de cette personnalité s’en trouverait diminuée, d’autre part parce que les médias jetteraient le discrédit sur cette nomination.

Par conséquent, je fais confiance au mécanisme constitutionnel. J’estime qu’il a fait ses preuves puisque personne ne reproche quoi que ce soit aux différentes personnalités qui se sont succédé à la tête des institutions que j’ai évoquées. Je ferme cette parenthèse. Je ne reviendrai pas sur ce sujet.

Je souhaite maintenant attirer votre attention sur le fait que l’article 71-1 s’impose à nous, législateurs organiques : nous devons le rendre applicable et faire en sorte que le Défenseur des droits puisse exercer la plénitude de ses attributions, telles que le Constituant les a définies. Si nous le « détricotions », le Conseil constitutionnel nous censurerait, car nous nous serions alors accaparés d’une compétence négative. Nous devons remplir la mission qui est la nôtre, c'est-à-dire rendre possible l’application de l’article 71-1.

Permettez-moi d’attirer votre attention sur l’appellation « Défenseur des droits ». Le Défenseur des droits n’est pas le défenseur des droits des citoyens, des apatrides, des enfants ou des personnes ayant fait l’objet d’une discrimination. Il est le défenseur de tous les droits. En vertu de la Constitution, il a une compétence générale, qui se substitue donc à celle des autres autorités, lesquelles seront désormais en situation d’infériorité par rapport à lui.

Ainsi, une autorité constitutionnelle va être mise en place.

Pour ma part, je comprends très bien le point de vue de ceux qui n’ont pas voté la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; ils restent simplement fidèles à la position qu’ils avaient adoptée à l’époque. Je tiens par exemple à saluer Mme Boumediene-Thiery, qui a parfaitement exprimé son opinion à l’égard du Défenseur des droits depuis 2008. Il y a une totale continuité dans son discours et sans doute dans le message qu’elle nous adressera aujourd'hui. De même, je salue l’attitude du groupe CRC-SPG, qui traduit elle aussi une continuité et une fidélité à une décision prise antérieurement. Ceux qui n’étaient pas favorables à la création du Défenseur des droits hier maintiennent leur position aujourd'hui. Très bien !

Toutefois, je souhaite préciser un élément. Nous sommes là non pas pour nous prononcer sur la création de cette nouvelle autorité, mais pour appliquer la Constitution ! Et comme la Constitution prévoit l’existence du Défenseur des droits, nous devons adopter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui en déterminent les modalités d’application !

Cela étant, comme vous le savez, j’ai demandé à la commission d’adopter certains amendements déposés par le groupe CRC-SPG, par le groupe RDSE ou par le groupe socialiste. Vous voyez donc que je ne suis pas systématiquement hostile aux initiatives des opposants aux deux projets de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui.

Simplement, ceux qui ont voté la révision constitutionnelle doivent à présent faire en sorte qu’elle puisse s’appliquer, en adoptant la loi organique.

Nous sommes en présence d’une institution nouvelle. Notre première interrogation a concerné le champ de compétences du Défenseur des droits.

En recensant les différentes autorités administratives indépendantes qui ont justement pour mission d’assurer d’une manière ou d’une autre la défense des droits et des libertés du citoyen, nous nous sommes aperçus que, outre les structures initialement visées par le projet de loi – en l’occurrence, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la CNDS –, nous devions également nous intéresser à d’autres organes.

Je pense en particulier à la HALDE. Comme je l’ai déjà indiqué – j’y reviendrai tout à l’heure –, je souhaite que cette autorité soit intégrée dans la nouvelle institution, et ce pour plusieurs raisons.

En revanche, nous n’avons pas souhaité intégrer, du moins dans l’immédiat, en raison de leur complexité, d’autres institutions pourtant également chargées de défendre les droits et libertés des citoyens.

En l’occurrence, je fais d’abord référence au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont la création remonte à deux ans seulement, autorité tout à fait intéressante qui a permis un certain nombre d’avancées. Selon l’actuel titulaire du poste, il serait logique que cette institution soit intégrée à terme. Dans l’immédiat, c’était visiblement prématuré ; deux ans d’expérience, ce n’est pas assez ! Il faut laisser se poursuivre un début d’expérience qui est très positif, même si M. Delarue ne sait pas toujours comment ses décisions sont appliquées par la suite.

Tout comme des délégués du Médiateur de la République sont présents au sein des établissements de détention, le Défenseur des droits, dont le champ de compétence couvrira tous les domaines, aura des représentants dans les prisons. Il sera également à l’écoute des enfants et des personnes victimes de discriminations. En d’autres termes, il sera chargé d’une mission générale, globale, de défense des droits !

Nous n’avons pas non plus retenu la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et ce pour une raison simple. Cette instance, gigantesque machine dont les fonctions ne cessent d’ailleurs d’augmenter, est un outil plus de régulation que de médiation ou de contrôle. Il était donc difficile de l’intégrer au sein du Défenseur des droits.

En revanche, madame le garde des sceaux, je souhaiterais que la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, soit fusionnée dans les plus brefs délais avec la CNIL. Cela va de soi, car les missions de la CADA sont de plus en plus liées à l’informatisation et à la numérisation. Il serait donc logique de l’intégrer à la CNIL.

Par conséquent, le projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission, intègre le Médiateur de la République, le CNDS, le Défenseur des enfants et la HALDE au sein du Défenseur des droits.

À ce stade du débat, je voudrais naturellement rendre hommage à chacune des institutions que je viens de mentionner. À l’évidence, aucune d’elle n’a démérité, et leurs responsables, leur président ou celui qui en tient lieu, sont dignes de toute notre admiration. D’ailleurs, nous avons entendu le Médiateur de la République, et nous allons bientôt entendre la Défenseure des enfants ou le représentant de la CNDS. Nous savons bien qu’ils ont effectué un travail important et qu’ils mènent une action positive.

Mais, justement, certains se sont plaints de l’absence de transparence de leurs décisions et de l’absence de suites efficaces donnée par l’administration à leur action.

Dès lors, le statut constitutionnel du Défenseur des droits renforcera toutes ces institutions, qui ont mérité à la fois l’admiration et le respect, du point de vue tant de leur fonctionnement que de la qualité des personnes nommées.

Dès lors, nous nous sommes livrés à un important travail de vérification, afin de nous assurer que le projet de loi reprenait bien l’ensemble des prérogatives, compétences et missions des autorités administratives indépendantes ainsi fusionnées. Nous avons donc réintégré les éléments qui avaient été oubliés dans le projet de loi. Nous avons évidemment conservé tout ce qui nous a semblé positif, y compris la référence aux traités internationaux qui nous lient, notamment en matière de défense des droits de l’enfant.

Nous avons mis en place les collèges, qui n’existaient pas auparavant, et nous en avons même créé un nouveau. Aujourd'hui même, nous avons démocratisé la composition de ces collèges en adoptant plusieurs amendements qui visent à permettre aux personnalités nommées de coopter, en raison de leurs compétences, un certain nombre de membres pour compléter les collèges.

Nous avons étendu l’ensemble des compétences des uns et des autres à chacune des missions, s’agissant notamment des visites et du droit de saisine. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit tout à l’heure par Mme le garde des sceaux ; c’était parfait ! Il suffit de se reporter à notre rapport pour se rendre compte que nous avons intégré tous ces éléments.

À cet égard, je proteste énergiquement et violemment contre les assertions contenues dans un certain nombre d’articles, parfois rédigés par des personnalités particulièrement éminentes qui ont raconté n’importe quoi ! Les auteurs de tels articles se sont uniquement fondés sur le texte présenté par le Gouvernement, sans tenir compte de la version issue des travaux de la commission. Ce n’est pas admissible ! En effet, on a diffusé de fausses informations. Certaines interviews de personnalités étaient biaisées d’emblée et ont contribué à instaurer un climat qui n’avait pas lieu d’être !

Permettez-moi également de m’élever vigoureusement contre les comportements, que je trouve inadmissibles, consistant à publier des pages complètes dans les plus importants journaux de notre pays pour la défense de tel ou tel organisme ! Ce n’est pas acceptable ! Pour notre part, nous n’avons pas fait cela. Nous n’avons pas acheté des pages dans les journaux Le Figaro, Le Monde ou Libération pour affirmer que le texte rédigé par la commission était le meilleur. Nous n’avons pas non plus téléphoné à chacun de nos collègues, les uns après les autres, pour leur indiquer dans quel sens il fallait voter…

Aujourd’hui, je lisais sur Facebook – d’ordinaire, c’est bien Facebook ! (Sourires.) – que le Sénat était un lieu de périls et qu’il valait donc mieux s’adresser à l’Assemblée nationale ! De tels comportements sont, je le répète, inadmissibles !

Je n’admets pas que de hautes autorités, comme celles que j’ai citées tout à l’heure comme étant exemplaires, aient eu recours à des pratiques aussi inacceptables ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Dans la discussion des articles, nous serons saisis d’un certain nombre d’amendements visant à supprimer l’intégration de telle ou telle institution au sein du Défenseur des droits.

Un tel détricotage, que je comprends lorsqu’il émane de nos collègues de gauche, ne me paraît pas justifié de la part de ceux qui ont voté la révision constitutionnelle. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’a pas constitutionnalisé le Médiateur de la République, ce qui n’aurait d’ailleurs servi à rien ; elle a institué un Défenseur des droits et l’a investi d’une série de prérogatives et de missions !

Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, si le rôle du Défenseur des droits se limitait à celui du Médiateur, nous ne remplirions pas notre mission, qui est d’adopter une loi organique rendant possible l’application de l’article 71-1 de la Constitution !

De surcroît, le Défenseur des droits dispose d’une compétence générale. Dès lors, si nous maintenons un certain nombre d’organismes, il pourra s’y substituer à tout moment, en assurant la défense des enfants, des personnes discriminées ou des victimes de violation de la déontologie de la part des autorités de police…

Quelle serait l’utilité de maintenir de telles structures à part, alors que nous avons intégré, avec toutes les garanties possibles et inimaginables, tout ce que ces autorités ont de positif dans les attributions du Défenseur des droits ?

Nous sommes en présence d’une institution nouvelle, dont nous n’avons pas encore examiné les compétences, et nous ignorons pour le moment ce que cela donnera.

Mais, au final, nous aurons une autorité forte, puissante, fondée sur un réseau de délégués bénévoles sur tout le territoire national. Que ces délégués soient issus de la HALDE, du Défenseur des enfants ou du Médiateur de la République, nous allons les récupérer et ils travailleront ensemble, formant ainsi un réseau tel qu’il n’en existe nulle part ailleurs dans le monde, pour assurer en permanence la défense de tous les droits !

Alors, soyons optimistes et faisons en sorte de croire en cette institution, qui constitue un progrès démocratique indiscutable ! (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste.)