M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d’abord me réjouir de l’occasion qui nous est donnée, aujourd’hui, de débattre d’enjeux stratégiques fondamentaux pour notre pays. Cette occasion, nous la devons à l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la base du travail très approfondi et des conclusions, très largement approuvées par notre commission, de l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.

Pour ma part, mes chers collègues, je me limiterai à quelques observations.

Tout d’abord, je crois que les analyses de M. Jean-Pierre Chevènement démontrent la cohérence de la démarche française.

En effet, la France soutient les efforts en matière de désarmement au travers d’une approche réaliste, tout en veillant à préserver ses intérêts de sécurité et le rôle fondamental que doit continuer à jouer, dans sa stratégie de défense, la dissuasion nucléaire.

Depuis une quinzaine d’années, cela a été souligné, elle a contribué de manière très concrète et significative au désarmement. Elle ne relâche pas son appui à cet objectif, comme en témoignent les propositions qu’elle a formulées, notamment avec ses partenaires européens, en vue de la conférence d’examen du TNP.

Pour autant, nous devons garder à l’esprit qu’il y a très loin de la vision d’un monde sans armes nucléaires, à laquelle le Président Obama a donné un large écho, à la réalisation des conditions qui rendraient cette perspective accessible, possible à moyen terme.

Nous vivrons encore, durant plusieurs décennies, avec des arsenaux américains et russes considérables. Jusqu’à présent, les puissances nucléaires asiatiques, à commencer par la Chine, ne se situent pas dans une logique de réduction, ni même de plafonnement de leurs capacités nucléaires militaires. L’apparition de nouveaux états nucléaires est un risque réel, tant que ne sera pas garanti le plein respect du régime de non-prolifération. Enfin, l’entrée en vigueur de traités de désarmement majeurs est encore hypothétique.

Je pense bien sûr au traité d’interdiction complète des essais nucléaires, que neuf États, dont les États-Unis, doivent encore ratifier, mais également à un futur traité d’interdiction de la production de matières fissiles militaires, dont la négociation n’est toujours pas ouverte du fait des préalables posés par le Pakistan et promet d’être longue et difficile.

Dès lors, la posture nucléaire française conserve sa pertinence, dans le cadre du principe de stricte suffisance.

Ce principe a de nouveau été illustré, il y a quelques mois, avec la réduction d’un tiers de la composante aéroportée. Il me paraît essentiel que, dans le respect de ce format, beaucoup plus réduit qu’il y a une vingtaine d’années, la crédibilité de notre dissuasion soit maintenue et que les orientations fixées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et par la loi de programmation militaire soient strictement respectées.

M. Jean-Pierre Chevènement, à juste titre, a insisté sur les conditions à réunir pour aller vers ce qu’il a qualifié de « zone de basse pression nucléaire ». La première d’entre elles réside dans la poursuite du désarmement américano-russe. Celui-ci devra aller très au-delà du traité, en cours de conclusion, qui doit succéder au traité START et porter sur le volume global des deux arsenaux, en incluant les armes en réserve et les armes tactiques.

Nous le voyons bien, la question de la défense antimissile est d’ores et déjà au cœur des discussions entre les États-Unis et la Russie. Nous avons eu à plusieurs reprises des débats en commission sur ce sujet.

Dès lors qu’ils visent uniquement à se protéger des puissances régionales développant leurs propres moyens balistiques, les projets américains de défense antimissile auraient tout intérêt, me semble-t-il, à faire l’objet d’une véritable concertation avec la Russie, voire avec la Chine, afin que ces pays n’y voient pas une source d’affaiblissement pour leur dissuasion.

Je reconnais que la question de la mise en place d’un système de défense antimissile à l’échelle de l’Europe mérite une approche extrêmement prudente, notamment en termes d’appréciation des coûts et de fiabilité au regard de la réalité des menaces. Pour autant, il ne faut pas opposer d’objections de principe à des technologies qui sont appelées à se développer et qui peuvent finalement jouer un rôle complémentaire par rapport à la dissuasion, mais en aucun cas s’y substituer. La France, en raison de son expérience en matière balistique, ne peut ignorer ce domaine, sur lequel la réflexion doit être poursuivie.

Je partage les conclusions du rapporteur sur la nécessité de renforcer le régime international de non-prolifération nucléaire. À ce sujet, je souhaiterais insister sur le caractère essentiel du dossier iranien.

Bien évidemment, personne ne conteste à l’Iran le droit de développer des activités nucléaires civiles et de mettre en œuvre des technologies associées. Mais cela suppose une adhésion pleine et entière à la règle du jeu posée par le TNP, dont le contrôle revient à l’AIEA. L’Iran a mené de manière clandestine trop d’activités dont la finalité civile est loin d’être démontrée pour que ne pèse pas un doute majeur sur ses intentions.

La confiance, qui est à la base du TNP, fait gravement défaut. Tant qu’elle ne sera pas rétablie, nous ne pouvons pas laisser se poursuivre sans réagir des programmes pouvant potentiellement déboucher sur des applications militaires.

L’unité de la communauté internationale est indispensable pour éviter une situation qui ne manquerait pas d’alimenter le risque de prolifération en chaîne, particulièrement dans la région si sensible du Moyen-Orient.

Au-delà du cas iranien, il paraît urgent de mettre en place des mécanismes permettant de prévenir de manière plus précoce et plus efficace ce type de situations. Je soutiens, bien entendu, les recommandations contenues à ce sujet dans le rapport de M. Chevènement.

Le protocole additionnel qui donne à l’AIEA des pouvoirs de contrôle renforcés apparaît aujourd'hui comme un instrument de vérification indissociable du TNP. Son universalisation, ainsi que le renforcement des moyens humains et techniques de l’Agence, doivent constituer un objectif prioritaire. Il est également nécessaire d’encadrer le droit de retrait du TNP qui constitue l’une des faiblesses du traité, comme l’a montré l’exemple nord-coréen.

Je souscris également aux propositions du rapporteur visant à rapprocher les trois États non signataires du TNP du régime international de non-prolifération, au travers d’un ensemble d’engagements comparables à ceux que l’Inde a pris devant l’AIEA et le Groupe des fournisseurs nucléaires. Le rôle des réseaux pakistanais dans le programme nucléaire de l’Iran souligne a contrario l’intérêt d’amener ces États à exercer des contrôles stricts sur leurs exportations de biens ou de technologies nucléaires ou à double usage.

Enfin, nous devrions apporter des réponses fermes lors de la conférence d’examen à certains pays émergents qui s’opposent au renforcement des règles de contrôle, dans lesquelles ils voient un obstacle à un plus large accès aux technologies nucléaires civiles.

C’est au contraire le plein respect des règles de transparence et la mise en œuvre des mécanismes internationaux de vérification qui permettront un développement des coopérations et la diffusion de technologies dans le domaine nucléaire civil, pour le bénéfice de tous.

Je me félicite qu’en organisant il y a quelques jours à Paris une Conférence internationale sur l’accès au nucléaire civil, qui a d’ailleurs reçu un soutien appuyé du nouveau directeur général de l’AIEA, la France ait de nouveau montré très clairement sa disponibilité vis-à-vis des pays souhaitant recourir à ce type d’énergie.

Avec la non-prolifération et le désarmement, il s’agit du troisième pilier du TNP, qui n’a peut-être pas recueilli au cours des dernières années toute l’attention qu’il aurait méritée.

Le développement du nucléaire civil et la lutte contre la prolifération ne sont pas des objectifs antagonistes. Bien au contraire ! L’expérience a d’ailleurs montré que les pays tentés par le développement de capacités nucléaires militaires ont le plus souvent suivi d’autres voies que le passage par un programme civil. Il faut par ailleurs encourager les technologies, déjà très largement présentes sur le marché, qui répondent à des standards très élevés en termes de sureté, de sécurité et de non-prolifération.

Comme l’a souligné à plusieurs reprises le Président de la République, il n’y a aucune raison de limiter notre assistance et la mise en place de coopérations technologiques dès lors que les pays demandeurs souhaitent développer un programme électro-nucléaire crédible, répondant à leurs besoins énergétiques, et qu’ils se soumettent à une gamme complète des contrôles prévus par les instruments internationaux.

Un engagement plus résolu en ce sens serait de nature à renforcer le consensus de la communauté internationale autour du TNP.

Pour conclure, je note que des avancées sont possibles sur chacun des trois volets du TNP. Le rapport de M. Chevènement les a bien identifiées. Je souhaite que la France s’attache à les promouvoir lors de la prochaine conférence d’examen au cours de laquelle elle jouera – nous en sommes certains ! – un rôle actif et constructif. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le désarmement est un sujet d’une grande importance qui, malheureusement – nous en sommes tous conscients – est peu présent dans le débat public.

J’ai soutenu l’initiative prise par le président de la commission des affaires étrangères et de la défense qui a abouti à l’excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement – que je remercie très sincèrement de la pertinence de ses constats et de l’excellence de ses recommandations –, puis au débat de ce jour.

Dans mon esprit, il ne s’agit que d’une étape, non de la fin du processus : je propose que notre commission demeure saisie du dossier du désarmement sous tous ses aspects, mais également que le Gouvernement, avant les prochaines échéances diplomatiques, informe le Sénat des propositions françaises et de l’état des négociations.

Pourquoi faut-il faire avancer coûte que coûte le désarmement ? Quelles sont les tendances lourdes qui structurent d’ores et déjà l’évolution du système international ? Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne tenterai pas d’être exhaustif : pour cela, je vous renvoie au rapport de M. Chevènement.

Je tenais à le faire remarquer, nous nous trouvons immergés dans une mondialisation qui, dans un même mouvement, structure et ébranle le système international. L’instabilité semble être le maître mot pour décrire l’état de la planète.

Nous assistons à des événements de natures fort diverses et même disparates, qui produisent des ruptures multiples et parfois violentes : les catastrophes naturelles, la faillite du système bancaire et financier international, la prolifération nucléaire, les risques de pandémie mondiale, les conflits militaires dits régionaux, les crises sociales et ses victimes innombrables que sont les chômeurs et les migrants. Et je pourrais poursuivre l’énumération !

Ces événements font planer une forte incertitude sur l’ensemble du système, alors que les institutions de régulation et de gouvernance mondiale semblent pour le moins inadaptées et que nous assistons à une montée en puissance des conflits d’intérêts entre les États.

Incertitude, instabilité, affrontements étatiques : nous savons hélas ! comment cela peut finir. Voilà pourquoi la question du désarmement conventionnel et nucléaire se trouve au cœur des problématiques relatives à la sécurité collective, pourquoi il est nécessaire d’informer nos concitoyens de l’urgence et pourquoi nous devons inciter le Gouvernement à œuvrer très rapidement pour relancer ce dossier.

Il faut, d’abord, énoncer clairement les principes.

Oui, nous devons soutenir fermement les fondements mêmes du traité de non-prolifération, le désarmement nucléaire général étant inscrit à l’article VI de ce traité.

Oui, le désarmement général a toujours été un objectif majeur des socialistes, comme les gouvernements de gauche sous la présidence de François Mitterrand et celui de Lionel Jospin l’ont prouvé par des actes concrets. Il faut que ce désarmement soit maîtrisé et contrôlé et qu’il apporte plus de sécurité.

Oui, il faudra veiller en permanence à associer le désarmement et la sécurité collective, pour éviter que l’un ne prospère au détriment de l’autre.

Non, le processus de désarmement ne doit pas se traduire par un accroissement des déséquilibres dans d’autres domaines stratégiques. C’est la raison pour laquelle la démarche du désarmement doit être élargie progressivement à l’ensemble des armements conventionnels et à la limitation de la militarisation de l’espace.

Oui, il convient de lier les questions relatives à la prolifération balistique et au désarmement nucléaire à la mise en place des défenses antimissiles balistiques.

Oui, le concept de « stricte suffisance » appliqué à notre dissuasion nucléaire reste en vigueur. Il faut cependant veiller à ne pas isoler notre pays au sein de l’Union européenne en matière de nucléaire et envisager d’aborder l’ensemble de la problématique de sécurité continentale avec nos voisins.

Oui, la France doit faire entendre sa voix conformément aux objectifs énoncés dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, afin d’encourager la stabilité internationale, sur la base du principe d’une sécurité non diminuée pour tous. Notre pays ne doit pas, de grâce, rester spectateur.

Washington et Moscou sont actuellement en train de négocier l’adoption d’un nouveau traité de désarmement nucléaire destiné à succéder à START, qui a expiré en décembre. Cependant, les discussions ont été compliquées par des désaccords sur un certain nombre de sujets, dont, notamment, le projet américain de défense antimissile en Europe de l’Est.

Récemment, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que le nouveau traité russo-américain fixera un lien « juridiquement contraignant » avec le projet américain de bouclier antimissile en Europe.

Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur un accord qui réglerait, par-dessus la tête des Européens, et donc des Français, le sort de la sécurité de notre continent !

Le secrétaire général de l’OTAN, M. Rasmussen, a confirmé que l’Alliance occidentale discutera du dispositif nucléaire les 22 et 23 avril prochain à Tallinn. Le débat portera sur la manière dont l’OTAN peut contribuer au contrôle des armes et au désarmement nucléaire dans le cadre du concept stratégique, en cours d’actualisation, de l’Alliance.

Certains alliés, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-Bas, ne font pas mystère : ils souhaitent, à moyen terme, le retrait des dernières armes atomiques américaines d’Europe.

Leur intention est d’éliminer les armes nucléaires que, d’après des experts, les États-Unis stockent encore dans cinq pays de l’OTAN : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. Mais la question a aussi une dimension politique, et c’est sans doute pourquoi deux des pays où ces bombes sont stockées, l’Italie et la Turquie, n’ont pas cosigné la lettre.

Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement consacre un long développement fouillé à cette question ; pour l’OTAN, la question se posera dans les prochaines années, à partir de 2012, de la modernisation ou du retrait de ses armes nucléaires tactiques stationnées en Europe.

Des voix se font entendre pour dénucléariser les pays de l’OTAN où sont stationnées les armes nucléaires « tactiques » américaines. Certaines vont même jusqu’à demander une Europe exempte d’armes nucléaires.

Monsieur le ministre, le prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Lisbonne à la fin de 2010, aura à approuver le nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique, et, vous le savez bien, il devra aborder aussi la question du nucléaire militaire en Europe. Quelle est la position de la France en la matière ? Quelles sont les propositions du Gouvernement ?

Je n’oublie pas ces propos du Président de la République : « Plus de France dans l’OTAN, c’est, en effet, plus d’Europe dans l’Alliance ». Mais il est vrai qu’il dit tant de choses !

M. Didier Boulaud. Il parle beaucoup trop !

M. Jean-Louis Carrère. Il ne faudrait pas que les négociations en cours aboutissent à « moins de France partout et notamment en Europe » !

De plus, j’ai le sentiment que, si l’on donne l’impression que certaines puissances cherchent simplement à conforter leur supériorité nucléaire, il est évident que l’on ne pourra pas aboutir.

Alors, comment faire entrer dans le TNP les trois pays non-signataires que sont l’Inde, le Pakistan et Israël ? Ce sera le grand défi des mois à venir …

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu pour la France de présenter un acte fort et utile, symboliquement important, capable de s’adresser au monde entier, comme le fut le Plan global de maîtrise des armements et de désarmement présenté devant les Nations unies, le 3 juin 1991, par François Mitterrand. Il annonça à cette occasion l’adhésion de la France au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. La France signa d’ailleurs ce traité le 3 août 1992. Entre-temps, le 6 avril 1992, il avait décidé proprio motu de suspendre pour un an les essais nucléaires français, avant de les arrêter définitivement en mai 1994.

Oui, le moment est venu pour notre pays de prendre à nouveau des initiatives dans le sens de l’intérêt général et de la sécurité collective dans le domaine du désarmement nucléaire. N’attendons pas que d’autres nous imposent leur vision et leurs propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Didier Boulaud. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un premier temps, je n’avais pas prévu d’intervenir. En effet, le président de Rohan connaît parfaitement ce dossier et son intervention forte tout à l’heure a montré son engagement et celui de notre commission dans ce domaine.

Par ailleurs, pour l’UMP, Xavier Pintat, notre spécialiste du secteur spatial et du nucléaire, a réalisé un état des lieux complet et ouvert des perspectives réalistes.

Enfin, le rapport précis et les préconisations de Jean-Pierre Chevènement, qui a tenu à lier « désarmement, non-prolifération et sécurité de la France », font autorité. À cet égard, je salue l’immense travail de notre collègue et ses convictions.

Intervenant parmi les derniers, je serai parfois redondant. Toutefois, si je me suis résolu à prendre la parole quelques instants devant vous, c’est parce que je n’accepte plus que, depuis la déclaration d’intention du Président Obama évoquant « un monde sans armes nucléaires », un certain nombre d’idéologues, de journalistes mal informés ou de politiciens orientés donnent maintenant des leçons à la France dans ce domaine.

Tout d’abord, je rappelle que l’intervention du Président Obama se situait dans une perspective lointaine : « Je ne le verrai pas de mon vivant », disait-il.

Ensuite, deux éléments qui ont échappé à beaucoup doivent être pris en compte : la préparation du nouvel accord bilatéral de désarmement entre les États-Unis et la Russie, portant sur une réduction des armes stratégiques – et non pas tactiques, je le signale au passage – et surtout la prochaine conférence d’examen du TNP en mai 2010.

Or, vous le savez, les États-Unis ne seront pas au rendez-vous. S’ils ont bien signé le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le TICE, ils ne l’ont toujours pas ratifié, et le Sénat américain est pour le moins réservé sur cette ratification. Certains parlent d’une ratification en 2011. Soyons optimistes … Toujours est-il que celle-ci pourrait conduire certains pays comme le Pakistan, la Chine ou l’Inde à ratifier à leur tour.

Je veux d’ailleurs souligner que, dans le monde, une douzaine d’États qui mènent des activités nucléaires significatives n’ont toujours pas signé le protocole additionnel du TNP.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Les États-Unis et la Russie, au travers des accords successifs SALT, FNI, START, puis SORT ont progressivement réduit de deux tiers le volume de leur arsenal nucléaire, et il faut s’en féliciter. Mais ils représentent toujours à eux deux 96 % du stock mondial des armes nucléaires.

Le Royaume-Uni et la France ont également entrepris un effort de diminution de leur arsenal nucléaire. Notre pays est d’ailleurs allé beaucoup plus loin, et j’y reviendrai.

Ces réductions, pourtant fortes, de ces quatre pays majeurs dans le domaine nucléaire ont-elles limité sur cette période la prolifération des armes nucléaires ? Malheureusement, non !

L’Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l’arme nucléaire et n’ont pas signé d’accord dans le sens d’une limitation, même s’il faut souligner que l’Inde a accepté de négocier avec l’AIEA un protocole additionnel et consenti au contrôle des exportations des techniques nucléaires. Je vous rappelle que, il y a quelques mois, le Sénat s’est prononcé sur ce point particulier.

Dans le club des possesseurs de l’arme nucléaire, il faut ajouter la Corée du Nord, qui posséderait a priori une dizaine de têtes et qui se dote de missiles balistiques et dont les deux derniers essais ont défrayé la chronique.

Nous savons tous que l’Iran, malgré la pression internationale, continue sa progression dans le domaine nucléaire et balistique et surtout que la possession de ces armes par l’Iran conduirait certainement la Turquie et l’Arabie saoudite à s’engager dans une démarche identique.

Le monde de 2010 n’est donc pas plus sûr, bien au contraire, que celui de 2005, qui avait vu l’échec de la précédente conférence quinquennale d’examen du TNP.

Les diverses estimations qui se recoupent semblent indiquer que ces pays restent très largement surarmés dans ce domaine.

Il est bon de rappeler que la Russie posséderait près de 13 000 armes nucléaires, dont un tiers opérationnel et deux tiers en réserve ou en attente de démantèlement ; les États-Unis disposeraient de près de 9 400 armes, dont 5 200 déployées ou en réserve et 4 200 en attente de démantèlement ; la Chine cumulerait 400 armes nucléaires, dont 145 actives.

La France, quant à elle, a 348 têtes nucléaires actives au travers des missiles embarqués dans les quatre SNLE et des armes tactiques de la composante aérienne. Le Président de la République envisage d’ailleurs de réduire notre arsenal à moins de 300 têtes. Le Royaume-Uni, pour sa part, détient un peu plus de 200 armes, dont une grande partie active. Reste qu’Israël posséderait entre 100 et 200 têtes, l’Inde ainsi que le Pakistan, qui se surveillent, aux alentours de 60 chacun et la Corée du Nord entre 5 et 10.

Comme je le disais, le monde n’est pas plus sûr !

Dans cet environnement difficile, la France n’a de leçon à recevoir de quiconque. Elle milite activement pour des progrès effectifs en matière de désarmement et de non-prolifération. M. Chevènement rappelait tout à l’heure notre action dans la démarche conjointe des vingt-sept pays européens auprès du secrétaire général des Nations unies avec une série de propositions concrètes dans ce domaine.

La France a accompli des pas très importants, souvent de manière unilatérale, en matière de désarmement. Il faut insister sur ce point : nous avons abandonné nos ICBM du plateau d’Albion, contraint le nombre de nos SNLE et, l’an dernier, le Président de la République a diminué d’un tiers le volume des forces nucléaires tactiques aériennes, passant de trois à deux escadrons. De plus, en quinze ans, nous avons réduit de moitié le nombre de nos armes nucléaires.

Mais nous sommes allés plus loin : nous avons définitivement arrêté les essais nucléaires et totalement démantelé nos sites d’essais, nous avons définitivement arrêté la production d’uranium et de plutonium pour les armes nucléaires et nous avons réalisé le démantèlement de nos usines de Marcoule et de Pierrelatte. C’est une première pour une puissance nucléaire, que les experts et les journalistes internationaux invités sur place ont pu constater.

Nous travaillons sur un programme de simulation avec le laser mégajoule, que la commission a pu voir, et un supercalculateur. En outre, nous sommes les seuls à avoir rempli les obligations prévues à l’article VI du TNP.

Vous le savez, nous conduisons une approche pragmatique et constructive dans ce domaine avec trois axes forts : non-prolifération, accès aux usages pacifiques de l’atome, désarmement et lutte contre la prolifération balistique. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que nous ferons des propositions concrètes et offensives dans ce sens en mai prochain.

La France est donc très favorable à l’engagement du Président Obama en faveur du désarmement, mais nous sommes aussi en totale concordance avec lui lorsqu’il ajoute : « Tant que les armes nucléaires existeront, les États-Unis conserveront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire et garantir la défense de leurs alliés. »

La France s’en tient à une posture de « stricte suffisance nationale ». Elle s’est positionnée en dehors de l’OTAN, même avec sa réintégration dans le commandement intégré et elle a déjà fait des efforts de son côté. Il n’est donc pas question que nos forces nucléaires soient prises en compte dans je ne sais quel processus multilatéral de désarmement nucléaire.

Il appartient aux deux grandes puissances surarmées de réduire très significativement leur arsenal jusqu’à quelques centaines d’armes avant de demander à des pays comme la France d’accompagner ce mouvement. Notre pays doit être jugé sur ses actes, sur ses efforts incontestables et ses initiatives et non sur des a priori, des préjugés ou des idéologies. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, foin des préjugés, des a priori et des idéologies dans cet important débat !

Nous sommes invités à débattre du désarmement nucléaire et de la sécurité de la France sur le fondement d’un rapport d’information, dont il faut noter qu’il n’a été distribué que mercredi dernier, le 17 mars, soit cinq jours avant le débat, et non le 24 février comme l’indique le site internet du Sénat. « Nucléaire et transparence », le débat ne date pas d’hier. Qu’importe ...

Ce débat tombe à point nommé, puisqu’il a lieu entre le vote, il y a quelques mois seulement, de la loi relative à la programmation militaire, qui se voulait l’expression du Livre blanc définissant la stratégie de défense et de sécurité de la France, et la conférence quinquennale d’examen du traité de non-prolifération, qui se déroulera au mois de mai à New York, alors que les traités START sont arrivés à échéance en décembre dernier.

J’ai lu votre rapport avec un réel intérêt, monsieur Chevènement. Décidément, ai-je pensé, il a coulé beaucoup d’eau dans le lit de la Savoureuse à Belfort depuis que nous manifestions ensemble contre l’implantation de missiles Pluton à Bourogne… J’ai été convaincue de la chausse-trape dans laquelle nous conduisent vos recommandations et d’où il sera ensuite difficile de s’échapper.

Ce rapport est suffisamment honnête pour admettre que, si le TNP constitue effectivement la clé de voûte de l’ordre nucléaire mondial, il n’a finalement pas permis d’empêcher la prolifération nucléaire, ce qui constituait pourtant son principal objectif.

Le principal effort de désarmement nucléaire accompli dans le monde ne peut d’ailleurs être porté de façon directe au crédit du TNP. Il découle plutôt des accords bilatéraux entre les États-Unis et la Russie, qui ont pu, après la fin de la guerre froide, réduire ainsi considérablement leurs stocks de têtes nucléaires. Parmi les trois autres pays qui détenaient déjà l’arme nucléaire avant la signature du TNP en 1968, le Royaume-Uni et la France ont certes diminué aussi leurs arsenaux, mais la Chine est au contraire dans une phase de développement en la matière.

Le rapport rappelle aussi que d’autres États ont finalement eu accès à l’arme nucléaire. Israël, l’Inde et le Pakistan, non signataires du traité, ont bénéficié de l’appui politique et technologique plus ou moins discret des cinq premiers détenteurs de l’arme nucléaire. Par le TNP, ces cinq pays s’engageaient pourtant à ne pas contribuer à la prolifération.

De ce fait, alors que les fondements mêmes du TNP sont ainsi reniés, par opportunité politique, d’autres pays ont revendiqué, eux aussi, un droit à l’arme nucléaire. La Corée du Nord a mené à bien son programme nucléaire militaire, au nez et à la barbe de l’AIEA. En Iran, il a fallu que l’opposition politique, au sein même du pays, alerte l’AIEA, jusque-là aveugle et sourde, sur l’existence d’installations d’enrichissement d’uranium à Ispahan et à Natanz.

Ce rapport admet d’ailleurs volontiers que la finalité exclusivement civile des activités d’enrichissement d’uranium, en Iran, n’a pu être attestée.

Il reconnaît aussi que, devant un pays comme l’Iran, qui revendique, conformément au TNP, le droit de développer sa technologie nucléaire civile, il n’est pas clair de déterminer à partir de quel moment une situation de non-respect du traité peut être établie, si ce n’est devant le fait accompli, lorsque l’État en question finit par annoncer qu’il détient l’arme nucléaire.

Et pour cause, car on sait que l’usage civil et l’usage militaire de l’énergie nucléaire requièrent tous deux des combustibles similaires, obtenus par des filières identiques. Ce qui distingue sa fonction militaire de son seul volet civil, c’est l’ampleur de l’enrichissement de la matière.

Une fois ce constat établi, et sauf à renoncer à l’espoir d’un monde sans armes nucléaires de notre vivant, il convient de se pencher, au-delà des discours convenus sur la nécessité d’un désarmement nucléaire total, sur les solutions concrètes à mettre en œuvre.

Or, vous recommandez, monsieur Chevènement, de poursuivre et d’amplifier la logique qui a mené à la montée des tensions que nous connaissons aujourd’hui. Vous êtes certes favorable à la diminution des stocks d’armes nucléaires, mais vous ajoutez que, compte tenu de la disproportion qui existe et que personne ne nie, entre les arsenaux des États-Unis et de la Russie et ceux des autres pays dotés de l’arme nucléaire, ces deux pays doivent montrer le chemin en suivant l’exemplarité française. Mais, permettez-moi de vous le demander, de quelle exemplarité parlons-nous ? De celle qui a fait de la France un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ? De celle qui lui a fait attendre un demi-siècle avant de reconnaître que ses essais nucléaires avaient fait des victimes ?

Vous appelez aussi au renforcement des mesures préventives et coercitives pour lutter contre la prolifération, mais vous souhaitez dans le même temps promouvoir l’accès au nucléaire civil, en écho aux propos récents du Président de la République se déclarant prêt à « aider tout pays qui veut se doter de l’énergie nucléaire civile », et ce alors que le nucléaire civil – c’est un fait, pas une opinion – constitue dans la plupart des cas l’antichambre du nucléaire militaire.

Certes, le traité le permet. Mais convenez qu’il y a un fossé profond entre le fait de répondre aux demandes d’États qui manifesteraient un intérêt pour ces technologies et le fait de « relancer la promotion de l’énergie nucléaire », dites-vous, « des activités nucléaires pacifiques », dit le traité.

Est-ce bien raisonnable ? La liste des États avec lesquels coopère la France apporte un début de réponse : après le Japon, la Russie, la Chine ou le Brésil, les nouveaux venus sont la Libye, l’Inde, l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis ou la Syrie. La plupart d’entre eux sont déjà ou seront bientôt des états du seuil, capables de se doter d’armes nucléaires au cours des années à venir. Comment, dès lors, nier le caractère potentiellement proliférant de toute industrie nucléaire civile ?

Votre posture vous conduit à affirmer qu’il ne saurait être question de demander à notre pays de poursuivre la réduction de ses capacités aussi longtemps que les forces nucléaires américaines et russes, tous types d’armes confondus, ne seront pas ramenées à des niveaux de l’ordre de quelques centaines d’armes nucléaires, elle vous conduit à douter à voix haute de l’engagement de Barack Obama, pris à Prague, un engagement dont vous analysez de façon fine les ambiguïtés bien réelles et les arrière-pensées. Cette posture est largement contestée, d’un point de vue politique comme d’un point de vue militaire, par des hommes comme Alain Juppé et Michel Rocard en passant par Alain Richard. Tous pointent l’intérêt de signaux clairs destinés à consolider la foi et la détermination en matière de désarmement de Barack Obama et de Dmitri Medvedev. Il n’est pas exclu d’ailleurs que, dans ce domaine comme dans d’autres, la question se pose bientôt de façon assez différente, au regard du coût de ces armes et du souci d’utilisation optimale des ressources dans un contexte de crise économique et financière sévère. Il n’est pas étonnant, à cet égard, que des initiatives, qui permettront de réduire le recours aux armes nucléaires, soient prises de façon pragmatique. Je pense aux discussions en cours entre Britanniques et Français pour organiser de façon coordonnée la « permanence à la mer ».

Vous appelez enfin à l’entrée en vigueur de nouveaux traités interdisant à l’avenir les essais nucléaires et la production de matières fissiles. Il semble effectivement positif d’encourager ces démarches mais, tant que des pays pourront dissimuler le volet militaire de leur exploitation de l’énergie nucléaire, on peut craindre que ces vœux ne restent pieux.

En réalité, ce rapport pose ouvertement, en introduction de son titre II, la question de l’intérêt même du désarmement nucléaire, qui pourrait causer la perte de la capacité de dissuasion. Or, si la stratégie de dissuasion nucléaire de la France pouvait stratégiquement, sinon déontologiquement ou éthiquement, se justifier dans le contexte de la guerre froide, les réalités géopolitiques ont changé. La dissuasion nucléaire n’est plus adaptée aux nouvelles menaces qui pèsent à présent sur les États. Pire, elle favorise la prolifération ; son coût est exorbitant et nuit du même coup au développement des forces d’interposition et de maintien de la paix, ainsi qu’à la contribution française à l’Europe de la défense.

Votre rapport insiste sur le lien entre le désarmement et la résolution des conflits, mais convenez avec moi que reporter la dénucléarisation de la région à l’établissement d’une paix juste au Proche-Orient, au moment ou Benjamin Netanyahu, à Washington, confirme son intention de poursuivre des constructions destinées aux colons à Jérusalem-Est, a quelque chose de désespéré.

Pour conclure, je ne vais pas vous surprendre en déplorant à nouveau que la position française soit largement liée à la volonté de promouvoir le nucléaire civil, sans précautions suffisantes. Il est temps pour la France de se montrer responsable, comme le prétend ce rapport, et d’en finir avec cette habitude si peu démocratique, mise en évidence par Jean-Louis Carrère, de régler les questions nucléaires en cénacle restreint, sans que l’opinion semble décidée à s’en emparer, ce que, pour ma part, je souhaiterais.

L’idéologie abolitionniste est dans l’air du temps, dites-vous avec ce mélange de mépris et cette distance ironique dont vous gratifiez toute opinion différente de la vôtre. Il se trouve pourtant que c’est celle de nombreux pays européens, notamment notre allié le plus proche et le plus ancien, l’Allemagne. Sont-ils tous irresponsables ou inconscients ? Je ne le crois pas.

Soyons pragmatiques ! Prenons des initiatives, que ce soient celles qu’ont suggérées nos collègues communistes ou bien d’autres qui s’inscrivent dans un cadre multilatéral, au niveau européen ou international : je les appelle de mes vœux. (Mme Michelle Demessine applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.