M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. La commission ne peut pas être favorable à ces amendements qui visent à supprimer la programmation des effectifs telle qu’elle est prévue dans le projet de loi.

Elle émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Nous avons déjà largement débattu de cette question. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 82 et 126.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

CHAPITRE II

Organisation des pouvoirs publics dans les domaines de la défense et de la sécurité nationale

Article 4
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense
Article 6

Article 5

Le code de la défense est ainsi modifié :

1° L'article L. 1111–1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 1111–1. - La stratégie de sécurité nationale a pour objet d'identifier l'ensemble des menaces et des risques susceptibles d'affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l'intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter.

« L'ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale.

« La politique de défense a pour objet d'assurer l'intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale. Elle pourvoit au respect des alliances, des traités et des accords internationaux et participe, dans le cadre des traités européens en vigueur, à la politique européenne de sécurité et de défense commune. » ;

2° Aux articles L. 1111–3, L. 1122–1 et L. 1321–2, la référence au : « conseil de défense » est remplacée par la référence au : « conseil de défense et de sécurité nationale » ;

3° Le deuxième alinéa de l'article L. 1111–3 est ainsi rédigé : 

« Les décisions en matière de direction générale de la défense et de direction politique et stratégique de la réponse aux crises majeures sont arrêtées en conseil de défense et de sécurité nationale. » ;

4° L'article L. 1111–3 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « de », le mot : « la » est supprimé ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Les orientations en matière de renseignement sont arrêtées en conseil national du renseignement, formation spécialisée du conseil de défense et de sécurité nationale. » ;

5° L'article L. 1121–1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 1121–1. - Le conseil de défense et de sécurité nationale, de même que ses formations restreintes ou spécialisées, notamment le conseil national du renseignement, sont présidés par le Président de la République, qui peut se faire suppléer par le Premier ministre. » ;

6° L'article L. 1121–2 est abrogé ;

7° L'article L. 1131–1 est ainsi modifié :

a) Au début de l'article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement en matière de sécurité nationale. » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le Premier ministre prépare et coordonne l'action des pouvoirs publics en cas de crise majeure. Il coordonne l'action gouvernementale en matière d'intelligence économique. » ;

8° À l'article L. 1141–1, après le mot : « responsable », sont insérés les mots : «, sous l'autorité du Premier ministre, » et les mots : « de la défense » sont remplacés par les mots : « de défense et de sécurité nationale » ;

9° Le chapitre II du titre IV est ainsi rédigé :

« CHAPITRE II

« Dispositions particulières à certains ministres

« Section 1

« Défense

« Art. L. 1142–1. - Le ministre de la défense est responsable de la préparation et de la mise en œuvre de la politique de défense. Il est en particulier chargé de l'infrastructure militaire comme de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition d'emploi et de la mobilisation des forces armées.

« Il a autorité sur les armées et leurs services. Il veille à ce que les armées disposent des moyens nécessaires à leur entretien, leur équipement et leur entraînement. Il est responsable de leur sécurité.

« Il est également chargé :

« - de la prospective de défense ;

« - du renseignement extérieur et du renseignement d'intérêt militaire ;

« - de l'anticipation et du suivi des crises intéressant la défense ;

« - de la politique industrielle et de recherche et de la politique sociale propres au secteur de la défense.

« Il contribue à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique d'exportation des équipements de défense.

« En matière de communication, de transports, et pour la répartition des ressources générales, le ministre de la défense dispose, dès la mise en garde définie à l'article L. 2141-1, d'un droit de priorité.

« Section 2

« Intérieur

« Art. L. 1142–2. - Le ministre de l'intérieur est responsable de la préparation et de l'exécution des politiques de sécurité intérieure et de sécurité civile qui concourent à la défense et à la sécurité nationale et il est, à ce titre, sur le territoire de la République, responsable de l'ordre public, de la protection des personnes et des biens ainsi que de la sauvegarde des installations et ressources d'intérêt général.

« À ce titre :

« 1° Il est chargé de l'anticipation et du suivi des crises susceptibles d'affecter la sécurité intérieure et la sécurité civile ;

« 2° Il contribue à la planification interministérielle en matière de sécurité nationale. Il prépare les plans à dominante d'ordre public, de protection et de sécurité civiles ;

« 3° Il assure la conduite opérationnelle des crises ;

« 4° Il s'assure de la transposition et de l'application de l'ensemble de la planification gouvernementale par les représentants de l'État dans les zones de défense et de sécurité, les départements et les collectivités d'outre-mer ;

« 5° Il est responsable du renseignement intérieur, sans préjudice des compétences des ministres chargés de l'économie et du budget.

« En matière de sécurité économique, sous réserve des compétences du ministre de la défense dans le domaine de l'armement, le ministre de l'intérieur assure la protection du patrimoine matériel et immatériel de l'économie française.

« Son action s'exerce sur le territoire en liaison avec les autorités militaires en s'appuyant sur le représentant de l'État dans les zones de défense et de sécurité.

« Section 3

« Économie et budget

« Art. L. 1142–3. - Le ministre chargé de l'économie est responsable de la préparation et de l'exécution de la politique de sécurité économique. Il prend les mesures de sa compétence garantissant la continuité de l'activité économique en cas de crise majeure et assure la protection des intérêts économiques de la Nation.

« Il oriente l'action des ministres responsables de la production, de l'approvisionnement et de l'utilisation des ressources nécessaires à la défense et à la sécurité nationale.

« Conjointement avec le ministre chargé du budget, il assure la surveillance des flux financiers.

« Art. L. 1142–4. - Le ministre chargé du budget contribue à la défense et à la sécurité nationalenotamment par l'action des services placés sous son autorité en matière de contrôle douanier.

« Art. L. 1142–5. - Le ministre chargé de l'économie et le ministre chargé du budget arrêtent les mesures d'ordre financier que nécessite la conduite de la guerre.

« Section 4

« Affaires étrangères

« Art. L. 1142–6. - Le ministre des affaires étrangères traduit, dans l'action diplomatique au niveau européen et au niveau international, les priorités de la stratégie de sécurité nationale et de la politique de défense.

« Il anime la coopération de défense et de sécurité.

« Il coordonne la gestion des crises extérieures ainsi que la planification civile de celles-ci avec le concours de l'ensemble des ministères et des services de l'État concernés.

« Il continue d'exercer ses attributions en matière d'action à l'étranger dans les cas prévus à l'article L. 1111-2.

« Section 5

« Justice

« Art. L. 1142–7. - Le ministre de la justice assure en toutes circonstances la continuité de l'activité pénale ainsi que l'exécution des peines.

« Il concourt, par la mise en œuvre de l'action publique et l'entraide judiciaire internationale, à la lutte contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.

« Section 6

« Autres ministres

« Art. L. 1142–8. - Le ministre chargé de la santé est responsable de l'organisation et de la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la connaissance des menaces sanitaires graves, à leur prévention, à la protection de la population contre ces dernières, ainsi qu'à la prise en charge des victimes.

« Il contribue à la planification interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale en ce qui concerne son volet sanitaire.

« Art. L. 1142–9. - Les ministres chargés de l'environnement, des transports, de l'énergie et de l'industrie sont responsables, chacun en ce qui le concerne, en matière de maîtrise des risques naturels et technologiques, de transports, de production et d'approvisionnements énergétiques ainsi que d'infrastructures, de la satisfaction des besoins de la défense et de la sécurité nationale et, en toutes circonstances, de la continuité des services. »

M. le président. La parole est à M. André Vantomme, sur l'article.

M. André Vantomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois depuis fort longtemps, la gendarmerie n’a pas sa place dans la loi de programmation militaire.

M. André Vantomme. En effet, la loi de programmation militaire, couplée avec la loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale qui a détaché la défense nationale de l’essentiel des missions de la gendarmerie, organise la toute-puissance du ministère de l’intérieur sur celui de la défense.

Le groupe socialiste le regrette, car nous sommes attachés à ce que deux forces concourent à la défense de la sécurité intérieure : la police, force civile, et la gendarmerie, force militaire pourvue des pouvoirs de police.

La dualité des forces de police est un grand principe républicain. C’est la garantie que les pouvoirs de police et de maintien de l’ordre ne relèvent pas tous d’une seule et même personne. C’est ce qu’on appelle un garde-fou, je dirais une garantie républicaine.

Le rattachement au ministère de l’intérieur met en danger l’existence même de la gendarmerie. Dans les prochaines années, la tentation sera forte de regrouper au sein de ce ministère l’organisation de la sécurité et les moyens qui y sont consacrés.

Les sénateurs, socialistes notamment, ont été très actifs pour combattre un dispositif qui, à terme, remettra en cause le statut militaire de la gendarmerie.

Dans les quelques minutes qui me sont réservées, je n’entends pas revenir sur un débat qui nous a longtemps occupés et divisés.

Je ne reprendrai pas les propos des uns et des autres, mais je veux adresser un message de sympathie et d’amitié à nos gendarmes.

Curieuse situation que vous réservez, monsieur le ministre, à ces femmes et à ces hommes qui ont choisi de servir la France sous l’uniforme, avec constance et dévouement, et qui se trouvent aujourd'hui exclus de la loi de programmation militaire.

Habitués à servir dans l’obéissance et la loyauté républicaine, ils retiendront très probablement leur sentiment et leur amertume.

Pour autant, il ne sera pas dit qu’ici, au Sénat, des sénatrices et des sénateurs qui auraient voulu une orientation différente quant à l’évolution de ces dossiers n’auront pas tenu à adresser un message de sympathie et de profond respect à la gendarmerie pour sa façon de servir la République, …

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Démagogie !

M. André Vantomme. … même si votre loi de programmation militaire, monsieur le ministre, les ignore aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 83 est présenté par MM. Boulaud, Carrère, Vantomme, Badinter, Berthou, Besson, Boutant, Reiner et Guérini, Mmes Cerisier-ben Guiga, Voynet, Durrieu, Tasca et Klès, MM. Madrelle, Mauroy, Mazuir, Mermaz, Piras, Auban, Godefroy, Cazeau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 125 est présenté par Mme Demessine, MM. Hue, Billout et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Bernard Piras, pour présenter l'amendement n° 83.

M. Bernard Piras. Cet amendement tend à supprimer l’article 5.

Permettez-moi, à cet instant, de rappeler la définition d’une loi de programmation militaire, que je n’ai pas inventée, puisque je l’ai trouvée en surfant sur le site du ministère de la défense.

« La loi de programmation militaire, couvrant une durée égale à six années, est l’acte solennel par lequel le Parlement, sur proposition du Gouvernement, consacre l’adhésion de la Nation à la constitution de l’instrument militaire de la politique de défense. La loi de programmation militaire est ainsi au point de convergence de plusieurs domaines, politique, militaire, mais également industriel, économique et financier. Elle est également un sujet majeur d’intérêt pour un grand nombre d’acteurs de ces sphères. La programmation pluriannuelle des crédits permet à la Défense de planifier l’acquisition des équipements nécessaires à l’accomplissement des missions des armées. »

Après la lecture de cette définition, nous devrions tous nous interroger sur l’opportunité de l’article 5.

Cet article bouleverse l’organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité. Il modifie le code de la défense suivant les nouvelles orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale relatives à l’organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité nationale. Il organise, autour du Président de la République, une concentration inédite des pouvoirs, impliquant l’extension du domaine réservé.

Le rôle du Premier ministre et le vôtre, monsieur le ministre de la défense, se trouvent amoindris à la faveur d’une redistribution des responsabilités inspirée du modèle américain de « sécurité nationale ».

Seul le ministre de l’intérieur tire son épingle du jeu. Il existe un glissement des pouvoirs vers le ministre de l’intérieur qui, grâce au concept flou de sécurité nationale, voit ses compétences considérablement grossies en matière de « réponse aux crises majeures », tout en assurant « la conduite opérationnelle des crises ».

D’ailleurs il faudrait analyser de près cette notion de « crises majeures ». S’agit-il de la mise en cause des intérêts de la nation, de la sécurité de la population, d’une catastrophe naturelle ou industrielle ? Y aurait-il la tentation d’employer différemment les forces armées dans les situations de crise intérieure ?

Et vous, les RPR, et vous, monsieur le ministre, que pensez-vous de cette notion ?

Ce chapitre est, en réalité, « hors programmation » et pourrait mériter un traitement ad hoc et un débat particulier.

Il modifie le contenu de l’ordonnance n° 59–147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, alors que cette ordonnance, intégrée dans le code de la défense, était devenue au fil du temps l’un des fondements du relatif consensus national sur les questions de défense.

En réalité, cet article est là pour faire adopter, sans véritable débat, les mesures préconisées par le Livre blanc du Président de la République.

Nous pensons qu’une autre démarche est possible : le Gouvernement devrait soumettre à la représentation parlementaire un projet de loi sur la nouvelle organisation des pouvoirs publics en matière de défense.

La Constitution n’est pas officiellement et légalement modifiée, mais sa pratique le sera. D’ailleurs, vous vous souvenez certainement, monsieur le ministre, que les parlementaires socialistes membres de la commission de rédaction du Livre blanc avaient démissionné pour protester contre l’ingérence du Président de la République dans les travaux de la commission.

Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, compte tenu de vos origines, je vous mets en garde sur l’intention de cette suppression.

Je sais que vous êtes tenus à un vote conforme, ce qui empêche tout débat, mais ce problème mérite sérieusement d’être débattu entre nous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous rappelle, mon cher collègue, que, aux termes du règlement du Sénat, le signataire d’un amendement dispose d’un temps de parole de trois minutes pour en exposer les motifs !

M. Bernard Piras. Monsieur le président, le sujet méritait bien un temps de parole suffisant !

M. le président. Je ne vous ai pas interrompu, mais je le ferai la prochaine fois !

La parole est à Mme Michelle Demessine, pour présenter l'amendement n° 125.

Mme Michelle Demessine. L’article 5 est un des articles majeurs de cette loi.

On pourrait s’étonner de le voir figurer dans une loi de programmation militaire, car il traite d’une question institutionnelle de fond, qui est la réorganisation des pouvoirs publics pour les adapter à la nouvelle stratégie dite de « la sécurité nationale ».

Conscient du fait que votre projet de loi ne traitait pas que de programmation militaire, vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, prudemment ajouté dans son intitulé : « et diverses dispositions concernant la défense ».

Cela vous permet donc, par exemple, de modifier l’organisation des pouvoirs publics, de privatiser deux entreprises, ou encore de limiter le pouvoir d’investigation des juges.

Cette nouvelle notion de sécurité nationale est issue des réflexions menées dans le cadre du Livre blanc élaboré l’an dernier et approuvé par le Président de la République.

C’est une notion directement importée des États-Unis et qui est à l’origine de toutes les politiques publiques américaines de sécurité et de défense. Elle inspire aussi la réflexion actuellement en cours au sein de l’OTAN pour renouveler ses concepts stratégiques.

Bien que nous vivions dans un monde globalisé, je suis loin d’être persuadée qu’une telle notion corresponde à la vision que nous avons en France des risques et des menaces contre nos intérêts nationaux.

Mais je voudrais surtout, avec cet amendement de suppression, marquer notre profonde opposition aux modifications institutionnelles qu’implique cette notion, ainsi que notre refus de la concentration des pouvoirs qu’elle entraîne.

À travers cet article, on assiste en effet à une extension du champ de la sécurité et du champ des compétences du Président de la République. La défense nationale devient un sous-ensemble de la sécurité du pays, qui englobe déjà la sécurité intérieure.

Cet élargissement des notions implique une concentration pyramidale des pouvoirs du Président de la République. Sur les questions de sécurité, tout remonte à lui et tout procède de lui.

C’est ainsi que cet article 5 vise notamment à remplacer l’actuel conseil de défense, ainsi que le conseil de sécurité intérieure, par un seul organisme qui englobera l’ensemble.

Le champ de compétence de ce nouvel organisme sera extrêmement étendu, puisqu’il couvrira toutes les questions et toutes les politiques ayant trait à la défense et à la sécurité nationale.

Quand on sait que ce nouveau conseil de défense et de sécurité nationale, présidé par le chef de l’État, se déclinera en formations spécialisées restreintes qui seront toutes, elles aussi, présidées par lui, en particulier pour le renseignement, on mesure l’étendue du contrôle et des pouvoirs présidentiels sur la sécurité du pays.

J’ajouterai enfin que nous débattons aussi de la création d’un organisme qui existe déjà depuis quelques mois, puisque le conseil national du renseignement, l’une des formations spécialisées du conseil de défense et de sécurité nationale, est déjà en place ; son coordonnateur a été nommé il y a quelques mois. Il s’agit, là encore, d’un bel exemple d’organisme fonctionnant avant même que la loi ne soit votée !

Ne voulant ni cautionner ce déséquilibre institutionnel ni approuver cette présidentialisation sans partage et sans contrôle de la sécurité du pays, nous vous demandons, mes chers collègues, d’adopter cet amendement de suppression de l’article 5.

M. Didier Boulaud. Cela s’appelle la monocratie !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. La commission ne souhaite pas de modification au texte de l’article 5, tel qu’elle l’a approuvé. Elle est donc défavorable à l’ensemble des amendements déposés sur cet article, qu’il s’agisse des deux amendements actuellement en discussion ou des suivants.

Je voudrais revenir sur un certain nombre d’arguments qui ont été avancés à l’encontre de cet article 5, qui actualise sans les bouleverser les dispositions sur l’organisation des pouvoirs publics en matière de défense qui dataient de l’ordonnance de 1959.

Il y a d’abord le débat sur la notion de « défense et sécurité nationale », qui a été mise en avant par le Livre blanc et dans laquelle certains voudraient voir un changement fondamental de nos conceptions politiques.

Il faut, sur cette question, revenir aux explications extrêmement précises qui ont été données dans les travaux du Livre blanc. La stratégie de sécurité nationale prend en compte « tous les phénomènes, risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation », quelles que soient leur nature – militaire ou non militaire – et leur origine, intérieure ou extérieure.

Il s’agit simplement de constater une réalité, à savoir qu’il n’y a plus de césure tranchée entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure, et que les vulnérabilités qui affectent notre territoire ou notre population sont non plus le fait de moyens militaires classiques, mais au contraire celui de modes opératoires qui cherchent à contourner nos moyens militaires ou notre puissance technologique.

Il est donc nécessaire d’avoir une vision plus globale de notre sécurité et de décloisonner les pouvoirs publics pour accélérer les processus de décision et de réaction face aux crises. C’est d’ailleurs ce qu’attendent nos concitoyens, qui ne se soucient pas de savoir si tel ou tel moyen relève plutôt de la défense que de la sécurité !

Par ailleurs, la sécurité nationale ne se confond pas avec la sécurité intérieure. Cela est dit très clairement dans le Livre blanc : la sécurité quotidienne et individuelle des personnes et des biens, c’est-à-dire l’action courante des forces de police et de gendarmerie, ne relève en rien de la sécurité nationale. Il ne peut pas y avoir de confusion sur ce point.

À l’inverse, on voit bien que les moyens importants que la programmation consacre à la fonction « connaissance et anticipation » participent à la sécurité nationale, au sens large, et pas seulement à la défense, au sens strictement militaire du mot, ce qui est bien évidemment le cas du renseignement et de ses moyens humains et techniques.

En outre, on ne peut que s’étonner du trouble que suscite l’association des mots « défense » et « sécurité », alors que depuis des années chacun parle d’une « politique européenne de sécurité et de défense », sans que cela provoque le moindre état d’âme ou la moindre discussion ! Nous souhaitons donc conserver cette notion de « défense et sécurité ».

Une autre objection émise à propos de l’article 5 réside dans l’idée que cet article entraînerait une excessive concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République.

M. Didier Boulaud. C’est pourtant vrai !

M. Josselin de Rohan, rapporteur. La Constitution n’a pas changé sur ce point. Elle donne au Président de la République des responsabilités éminentes. Il est, selon son article 5, « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités », ce qui le place, pour tout ce qui touche à la défense et à la sécurité nationale, dans une situation particulière, très différente de celle qu’il peut avoir dans les autres domaines de l’action gouvernementale. Il est ainsi, conformément à l’article 15 de la Constitution, le chef des armées et il « préside les conseils et comités supérieurs de la défense nationale. » Son élection au suffrage universel direct, puis le quinquennat, n’ont fait que renforcer sa responsabilité en la matière.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas une réussite !

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Par ailleurs, le rôle du Premier ministre n’est pas modifié ; il est même précisé. En effet, le Premier ministre est étroitement associé, avec les ministres concernés, aux travaux placés sous l’autorité du Président. Il n’y a donc pas lieu de voir dans l’adaptation du dispositif le signe d’une quelconque dérive.

L’un des points importants est la création du conseil national du renseignement, qui remplace effectivement une instance qui relevait de Matignon – le comité interministériel du renseignement –, dont chacun s’accorde à dire qu’elle ne parvenait pas à jouer son rôle.

La coordination du renseignement depuis l’Élysée, avec la mission qui a été confiée à M. l’ambassadeur Bernard Bajolet, constitue, de mon point de vue, une avancée très positive.

L’inscription du conseil national du renseignement dans la loi, grâce à l’article 5, me semble donc particulièrement utile. Par conséquent, la commission est défavorable à tous les amendements déposés sur cet article. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Il est tout de même heureux que ce projet de loi de programmation militaire soit en cohérence avec le Livre blanc. C’est la moindre des choses !

J’ai déjà évoqué, notamment hier, en réponse à M. Chevènement, à propos du conseil national du renseignement, la nécessité d’une coordination.

À cet égard, le fait que nous ayons, comme aujourd’hui, un « conseil de défense », ou bien, comme ce sera le cas demain, un « conseil de défense et de sécurité nationale », ne change en rien les responsabilités et les attributions du Président de la République, qui, sous toutes les majorités et quel que soit le titulaire de la fonction, a toujours eu une place éminente dans la définition des grandes orientations en matière de défense et de sécurité de notre pays.

Le présent article 5, d’une part, tire les conséquences du Livre blanc et, d’autre part, redéfinit les attributions de chaque ministre. Voilà qui me semble aller plutôt dans le bon sens, cinquante ans après l’ordonnance de 1959 !