Article 2 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 3 bis (Nouveau)

Article 3

(Texte modifié par la commission)

Après l'article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé :

« Art. L. 335-7. - Lorsque l'infraction est commise au moyen d'un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, les personnes coupables des infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 peuvent en outre être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques pour une durée maximale d'un an, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur.

« Lorsque ce service est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services.

« La suspension de l'accès n'affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l'abonnement au fournisseur du service. L'article L. 121-84 du code de la consommation n'est pas applicable au cours de la période de suspension.

« Les frais d'une éventuelle résiliation de l'abonnement au cours de la période de suspension sont supportés par l'abonné.

« Lorsque la décision est exécutoire, la peine complémentaire prévue au présent article est portée à la connaissance de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, qui la notifie à la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne afin qu'elle mette en œuvre, dans un délai de quinze jours au plus à compter de la notification, la suspension à l'égard de l'abonné concerné.

« Le fait, pour la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, de ne pas mettre en œuvre la peine de suspension qui lui a été notifiée est puni d'une amende maximale de 5 000 euros.

« Les dispositions du 3° de l'article 777 du code de procédure pénale ne sont pas applicables à la peine complémentaire prévue par le présent article. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 4 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 14 est présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour défendre l’amendement n° 4.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Avec cet article, le Gouvernement réintroduit la suspension de l’abonnement à internet, qui devient ainsi une peine complémentaire à la peine principale applicable en matière de contrefaçon de droits d’auteur.

Malgré la censure du Conseil constitutionnel et la profonde injustice que constituerait la suspension de l’abonnement, le Gouvernement persiste dans sa logique en privant des internautes de leur droit de communiquer librement.

Cette nouvelle peine complémentaire est profondément scandaleuse et reste totalement disproportionnée à la réalité des infractions poursuivies. En outre, elle ne tient absolument pas compte des difficultés techniques qui apparaîtront forcément à la suite de sa mise en œuvre.

Tout d’abord, le problème des offres composites en zone groupée n’a pas été réglé. En effet, aucune garantie n’existe aujourd’hui sur le fait que la télévision et le téléphone ne seront pas coupés. D’une double peine – une amende et la suspension de l’abonnement –, cette sanction se transformera en triple peine en ajoutant la privation de la télévision et du droit à la correspondance.

Ensuite, cet article introduit un cavalier législatif honteux, qui a pour effet d’étendre à toutes les formes de contrefaçon sur internet la sanction de peine complémentaire. Seront donc non seulement visées les pratiques de pair à pair, mais également toute forme de mise à disposition d’un document pour lequel une autorisation n’a pas été demandée à l’auteur. Songez, mes chers collègues, aux millions de vidéos accessibles sur les sites YouTube ou Dailymotion.

Ce texte crée un appel d’air phénoménal qui permet à n’importe quelle chaîne de télévision, à n’importe quel artiste, à n’importe quelle major de demander la condamnation d’une personne qui aura voulu partager avec ses amis une courte vidéo qu’il apprécie ou une musique qu’il aura ajoutée à un film de vacances. Dès lors, la HADOPI sera confrontée non pas à quelques milliers de demandes, mais à des millions, soit bien plus qu’elle ne pourra en traiter.

À ces questions techniques se greffe une injustice terrible qui consiste à obliger une personne à payer un abonnement dont elle ne dispose plus. Le droit pénal vient ici troubler l’exécution d’un contrat où une partie n’aura plus de contrepartie à l’exécution de ses obligations.

En cette période où la majorité fait la promotion du télétravail, même en cas de congé pour maladie, le Gouvernement crée les conditions de la précarité : des milliers de personnes, si on les prive de connexion, perdront par la même occasion leur source de revenus. Dans ce contexte, comment le juge réagira-t-il ?

Après le permis blanc réhabilité par le Conseil d’État, on verra demain l’abonnement blanc rétabli par le juge pour les personnes qui travaillent avec internet. La raison en est simple : cette suspension d’abonnement à internet aura un effet retentissant dans certains foyers. Ces derniers seront privés à la fois de connexion, de revenus, et donc de moyens de subsistance !

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons de supprimer cette peine complémentaire.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 14.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si nous demandons la suppression de l’article 3, c’est pour réaffirmer notre opposition au dispositif proposé par le projet de loi.

Lors du premier débat sur le projet de loi HADOPI, nous avions déjà montré combien la coupure était une sanction disproportionnée et inadaptée aux problèmes posés par internet aux industries culturelles. Avec cet article, il est clair que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le volet pédagogique de ce texte n’est que le masque, bien mince, d’un projet à l’esprit répressif.

Le mécanisme présenté par l’article 3 est à la fois inutile, inapplicable et constitue quasiment une réponse « hors sujet » à la problématique de la transformation des industries culturelles et du droit d’auteur à l’ère numérique.

Il est inutile, parce que la coupure passe, avec cette version du projet de loi HADOPI, du statut de sanction principale à celui de sanction complémentaire. Ce passage s’effectue au sein d’un système pensé pour accélérer l’application de l’arsenal législatif anti-contrefaçon déjà existant. Dans ces conditions, on peut se demander l’intérêt qu’il y a à ajouter cette sanction qui soulève tant de problèmes en termes de droits des individus.

Inapplicable, le projet l’est à divers égards. Pour ce qui concerne l’article 3 en particulier, la disposition visant à ce que la coupure ne concerne que la connexion internet dans les offres composites est, de l’aveu même des professionnels, techniquement impossible à appliquer sur la majeure partie du territoire.

Enfin, le mécanisme présenté par l’article 3 constitue une réponse hors sujet dans la mesure où ce projet de loi, de façon regrettable, fait de nouveau l’impasse sur l’instauration de nouveaux mécanismes de financement de la création au profit d’une réponse mécanique et à courte vue comme celle de la coupure de la connexion internet.

Ériger l’article 3 en réponse aux défis contemporains des industries culturelles est le signe de la volonté d’ignorer l’évidente nécessité d’adapter le régime de la propriété littéraire et artistique à l’ère numérique. C’est également la preuve que le véritable objet du projet de loi est la protection de modèles économiques inadaptés aux nouvelles pratiques culturelles.

Telles sont les raisons pour lesquelles, parmi d’autres que nous soulèverons avec d’autres amendements, nous ne pouvons voter l’article 3.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Après les amendements visant à supprimer l’article 2, voici les amendements de suppression de l’article 3. Comme nous le disions ce matin en commission, en supprimant tous les articles, le débat risque d’être réduit à pas grand-chose ! Reste qu’alors nous n’aurions pas rempli notre mission, à savoir protéger les auteurs et la culture.

Ces amendements tendent à supprimer le cœur du dispositif. L’article 3 tire en effet les conséquences de la décision rendue par le Conseil constitutionnel en confiant au juge, et non plus à une autorité administrative, le pouvoir de sanctionner des auteurs d’actes de piratage d’œuvres protégées par un droit d’auteur sur internet en décidant la suspension de leur accès. Cette sanction pourra être prononcée à titre de peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle pourra compléter ou se substituer aux peines aujourd’hui prévues en cas de délit de contrefaçon, à savoir jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison.

La suspension de l’accès à internet pour une durée d’un an tout au plus nous a semblé, lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, constituer une sanction plus pédagogique et mieux adaptée à la lutte contre le « piratage de masse » que le cadre ultra-répressif actuel, que nous avions jugé disproportionné. Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de ces amendements, l’arsenal juridique n’était pas adapté, et il était donc nécessaire de le compléter.

Par ailleurs, la commission a toujours considéré que la sanction encourue en cas de piratage devait être suffisamment dissuasive pour que le dispositif soit efficace. C’est pourquoi le Sénat avait souhaité, au moment de la réunion de la commission mixte paritaire, que le paiement de l’abonnement soit maintenu pendant la durée de la suspension, comme le prévoit d’ailleurs aujourd’hui le projet de loi.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre. L’article 3 vise simplement à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier en confiant au juge le soin de prononcer la peine de suspension de l’accès à internet. C’est un élément important du dispositif de dissuasion du piratage de masse.

Pour assurer cette dissuasion, pourquoi ne se reposerait-on pas plutôt, comme le sous-entendent ces amendements, sur les peines de prison et d’amende actuellement en vigueur ? Tout simplement, parce que la suspension de l’accès à internet, qui est directement en rapport avec le comportement auquel on veut mettre fin, est plus pédagogique. Je rappelle d’ailleurs que la résiliation de l’abonnement à internet est déjà prévue dans tous les contrats passés par les fournisseurs d’accès avec leurs abonnés pour les cas où ceux-ci ne s’acquitteraient pas de leurs factures ou bien se livreraient à un usage inapproprié.

J’ajoute que l’inconfort occasionné à l’internaute doit être ramené à sa juste mesure. Le retrait du permis de conduire signifie l’impossibilité de recourir à quelque véhicule que ce soit. En revanche, la suspension de l’accès à domicile ne prive bien évidemment pas d’internet. Rien dans le projet de loi ne fait en effet obstacle à ce qu’un abonné ait recours aux services d’un prestataire spécialisé – un cybercafé, par exemple – ou encore à ceux de ses amis ou de sa famille pour consulter sa messagerie ou accomplir des démarches administratives ou commerciales. Il existe donc de nombreuses possibilités de continuer à communiquer par internet en cas de suspension.

J’ai bien entendu ce qui a été dit concernant le paiement du prix de l’abonnement par l’abonné suspendu. Je voudrais y répondre, car ce point a fait débat lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Il convient tout d’abord de circonscrire l’enjeu. Le montant moyen d’un abonnement haut débit triple play est de moins de trente euros. Si l’on admet que l’internet représente un tiers ou un quart de cette somme, le montant en jeu est de sept à dix euros par mois pour l’internaute. De deux choses l’une, soit la suspension est de courte durée, et la somme versée au fournisseur d’accès est de vingt ou trente euros, soit elle est de longue durée, et, dans ce cas, l’internaute peut résilier son abonnement pour éviter des paiements prolongés.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Bien sûr !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Ensuite et surtout, priver le fournisseur d’accès du montant de l’abonnement, alors que son comportement n’est pas en cause, poserait un problème constitutionnel, car il s’agirait d’une atteinte injustifiée à son droit de propriété.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Je soutiens ces amendements, mais je n’aborderai qu’un aspect de la question.

Nous connaissons l’argument qui permet de justifier que l’abonné continue de payer son forfait, même en cas de suspension de l’abonnement : l’usager d’EDF, nous dit-on, ne paie-t-il pas sa facture même en cas de suspension ? Or cette comparaison n’est pas valable. En effet, l’internaute paie à la fois sa connexion et son forfait de consommation alors que, en cas de coupure du compteur électrique, on ne demande pas à l’usager de payer une consommation fictive en plus de son abonnement !

M. le ministre vient de mettre en scène les trente euros que l’internaute doit payer pour un forfait d’abonnement. Je veux donc attirer votre attention, mes chers collègues, sur les affiches publicitaires de plusieurs opérateurs que j’ai récemment vues dans le métro : on peut y lire non seulement que le piratage nuit à la création – cette affirmation va dans le sens des aspirations d’une majorité – mais aussi que, désormais, quarante-cinq euros seront demandés pour le rétablissement de la connexion ! Ce sera ainsi la quadruple peine !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 14.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 17, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle, supprimer (deux fois) les mots :

ou de communications électroniques

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement vise à ce que les mots « communications électroniques » soient supprimés de la définition du champ de téléchargement illicite des fichiers protégés par le droit d’auteur.

Voilà encore une disposition réintroduite subrepticement alors qu’elle avait été unanimement rejetée par le Parlement et que l’ancienne ministre de la culture et de la communication, Mme Albanel, s’était engagée à ce qu’elle ne soit pas maintenue.

Souvenez-vous : à la suite de l’adoption d’un amendement du député Franck Riester par la commission des lois de l’Assemblée nationale, l’expression « communication électronique » avait été ajoutée à l’article 6 du projet HADOPI 1, pour étendre le champ de la surveillance des réseaux.

De nombreux parlementaires s’étaient élevés, à juste raison, contre un élargissement définitionnel aux conséquences importantes. En effet, si l’expression « communication électronique » peut paraître vague, elle est juridiquement très bien établie.

D’après l’article L.32 du code des postes et télécommunications, cette expression désigne les « émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons, par voie électromagnétique ». Ainsi les « communications électroniques » désignent aussi bien les mails ou la messagerie instantanée – c’est donc de la correspondance privée – que la communication au public par voix électronique : téléchargement, mais aussi streaming, par exemple.

Nous ferons deux remarques à ce propos.

Dans la mesure où les échanges de mails ont le statut de correspondance privée, ainsi que la jurisprudence l’a établi, cet élargissement constitue une atteinte à la vie privée, principe établi par l’article 9 du code civil français et par l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

De plus, cet élargissement fait office d’aveu de l’insuffisance du projet HADOPI puisque les dispositifs de contournement du peer to peer qui s’offrent aux internautes sont nombreux – le courrier et le streaming en font partie – et que ce projet de loi, plus qu’inapplicable, est déjà dépassé. Il ne répond pas – nous n’aurons de cesse de le dire – au défi posé à la création par les nouvelles technologies.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Dans sa décision du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne pouvait y avoir de rupture d’égalité injustifiée entre les auteurs d’atteintes à la propriété intellectuelle, selon que ces atteintes seraient commises au moyen d’un logiciel de pair à pair ou d’un autre mode de communication en ligne. C’est sur ce fondement que le texte fait référence aux communications électroniques.

La commission a adopté ce texte, et c’est pourquoi elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Dans sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’était pas possible, sans méconnaître le principe d’égalité, de traiter les auteurs d’infractions commises en utilisant internet de façon différente selon qu’ils utilisent tel ou tel type de service.

Par conséquent, la violation des droits de propriété littéraire et artistique, qu’elle prenne la forme des échanges de pair à pair ou de l’envoi de pièces jointes par messagerie électronique, doit être sanctionnée de la même façon.

C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 15, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme Gonthier-Maurin et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Supprimer les troisième et quatrième alinéas du texte proposé par cet article pour l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Avec les quatrième et cinquième alinéas de l’article 3, les dispositions rejetées par la porte parlementaire reviennent par la fenêtre gouvernementale ! C’est un procédé auquel nous nous trouvons malheureusement trop souvent confrontés, procédé qui est inquiétant au regard de la place donnée à la concertation, à la décision pluraliste et, bien sûr, au travail parlementaire.

Souvenons-nous de ce qu’il est advenu du « blanc » issu des États généraux de la presse concernant le droit d’auteur des journalistes, par exemple.

En l’espèce, il faut rappeler que, à l’occasion de la première lecture du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, les députés avait adopté à l’unanimité un amendement selon lequel, en cas de coupure de l’accès à internet – la sanction finale de la riposte graduée –, l’internaute n’aurait pas à payer cette prestation de service dès lors non assurée. La commission mixte paritaire était revenue sur cette disposition début avril, sans que l’on comprenne bien pourquoi, instituant ce qui a été qualifié de « double peine » par certains parlementaires.

Les alinéas dont nous discutons réaffirment le principe du paiement de l’abonnement, y compris en cas de coupure de l’accès à internet.

Nos protestations contre ces dispositions dépassent bien évidemment la seule critique du procédé : elles valent sur le fond, d’autant plus que nous discutons aujourd’hui du règlement judiciaire et pénal.

En effet, le statut du maintien de l’obligation de paiement est très discutable : soit la peine de coupure est une peine complémentaire et, dans ce cadre, l’obligation de paiement s’assimile à une amende et doit donc être adressée au Trésor public ; soit c’est la coupure seule qui fait office de peine complémentaire, dans un contexte où le code pénal prévoit déjà une peine principale qui peut prendre la forme d’une amende.

Pour reprendre les propos d’un collègue socialiste de l’Assemblée nationale, Christian Paul, qui se référait à ceux du Gouvernement et de la majorité lorsqu’ils comparent le règlement pénal du délit de téléchargement aux délits commis sur la route, ce maintien de paiement pourrait être comparé à l’obligation de faire le plein pour un automobiliste à qui l’on aurait retiré le permis !

On arguera que l’arrêt du paiement lèsera les FAI, qui ne sont pas responsables du délit. On peut répondre que le droit des contrats s’applique en la matière, et que celui-ci prévoit une résiliation en cas de force majeure. Or une suspension par décision pénale est bien un cas de force majeure.

Enfin, convenons-en, la problématique posée par le téléchargement illégal des œuvres soumises au droit d’auteur est plus complexe que la seule culpabilité d’internautes supposés inconscients et égoïstes. N’oublions pas que les industries elles-mêmes ont contribué à la situation, en ne développant pas l’offre légale – mais là, ils ne sont pas les seuls responsables, les propriétaires de catalogues le sont également grandement – et en s’appuyant sur la possibilité du téléchargement pour se développer commercialement.

Dans ces conditions, accepter le maintien du paiement, c’est accepter que seuls les internautes soient responsables d’une situation économique autrement plus complexe.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Le Sénat a longuement débattu sur ce point. Nous en avons conclu que, en cas de suspension de l’accès à internet, l’abonné devra continuer à payer son abonnement, en application du contrat qu’il a souscrit auprès de son fournisseur d’accès à internet.

Je vous rappelle que cette question avait fait l’objet d’un débat serré entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous avions obtenu gain de cause sur ce point en commission mixte paritaire, pour une raison de bon sens.

Pour reprendre une analogie qui a souvent été utilisée dans ce débat, en cas de suspension du permis de conduire, l’automobiliste continue à payer le crédit de sa voiture, celui-ci n’étant pas suspendu en même temps que le permis !

Par ailleurs, si l’internaute ne paye pas son abonnement pendant la suspension, le fournisseur d’accès à internet sera lésé et risque de se retourner contre l’État. Paradoxalement, l’État, et donc le contribuable, serait obligé de payer pour permettre le piratage, qui serait en quelque sorte favorisé.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Eh oui !

M. Michel Thiollière, rapporteur. Ce n’est pas ce que nous souhaitons, et c’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le Gouvernement s’est déjà exprimé à ce sujet lors de l’examen de l’amendement n° 4. Il n’est pas possible du point de vue tant du droit que de la simple équité de priver les fournisseurs d’accès du prix de l’abonnement.

Tout d’abord, la suspension du paiement aurait pour effet de pénaliser les fournisseurs d’accès à cause d’un comportement, celui de l’abonné, dont ils ne peuvent pas être tenus pour responsables. Elle se heurterait donc au principe posé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel nul n’est responsable que de son propre fait.

La suspension du paiement poserait également un problème au regard du respect du droit de propriété des fournisseurs d’accès. En effet, ces opérateurs disposent d’un droit de propriété « incorporelle » sur leur clientèle, constituée de l’ensemble de leurs abonnés. Ce droit est constitutionnellement protégé. Or, suspendre le paiement de l’abonnement, c’est priver le fournisseur d’accès de l’usufruit de son droit de propriété.

Ces atteintes aux droits seraient d’autant moins justifiables que l’enjeu financier pour les abonnés qui se seront placés dans l’illégalité sera très faible, d’une vingtaine d’euros dans le pire des cas.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)