M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les universités vivent à nouveau un de ces psychodrames dont seule la France a le secret. Il n’est pas l’heure de disserter sur les raisons vraies ou supposées de ce fait révélateur de l’ossification de notre société ; espérons seulement que celle-ci n’est pas inéluctable !

La loi sur l’autonomie des universités avait suscité quelques espoirs. Comme cela était prévisible, ces espoirs sont fort déçus. Les personnels n’ont guère constaté d’amélioration de leur situation, ne serait-ce qu’en termes de considération morale. S’il faut sans doute relativiser le sentiment de mépris dont ils se sentent victimes, force est de constater qu’il a tout de même quelques fondements.

De plus, cette autonomie, qui n’est que mi-chèvre mi-chou, est très limitée parce qu’on ne lui a pas donné de vrais moyens d’exister et que, les habitudes aidant, on l’a assortie de tant de conditions qu’elle est en fait en liberté surveillée.

Ce qui manque le plus, c’est la confiance, pas seulement celle des citoyens ou des représentants des personnels, mais aussi, car l’exemple vient d’en haut, celle de l’administration de l’État, qui veut toujours tout régenter depuis Paris alors qu’elle n’en a pas les moyens ; il nous faut au moins passer du contrôle a priori au contrôle a posteriori.

Cela suppose aussi que les présidents d’université, qui sont d’éminents personnages, aient tous des compétences de gestion et de management, ou qu’ils soient assistés par des personnels disposant de ces compétences.

Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel des textes, on s’est arrêté au milieu du gué, et l’autonomie n’est qu’une fiction dont les intéressés voient bien les inconvénients, mais ne perçoivent pas les avantages.

Pour qu’il y ait vraiment autonomie, deux éléments, que l’on n’a pas voulu considérer jusqu’alors, sont indispensables : les moyens financiers et la sélection.

Certes, les moyens financiers ont progressé et l’État a fait quelques efforts qu’il ne faut pas méconnaître. Mais l’avenir n’est guère assuré, d’autant que, chacun le sait, l’impécuniosité de l’État ne peut que s’aggraver et celui-ci est condamné à plus ou moins brève échéance à une sévère cure d’amaigrissement. Quelques mesures d’économie sont néanmoins possibles quand on sait que certains enseignants, sans charge de recherche, sont loin du maximum des 128 heures de cours possibles.

Les deux seuls leviers qui existent viennent du financement privé.

Celui qui provient des entreprises est aléatoire, compte tenu de la conjoncture, et sélectionnera immanquablement les domaines immédiatement utilisables sur le plan économique : inutile de dire que les juristes et les littéraires ne peuvent guère compter figurer parmi les élus !

Le second a pour source les droits d’inscription. Quand on dit cela, les défenseurs acharnés du statu quo poussent des cris d’orfraie. Pourtant, toutes les grandes universités dans le monde exigent des droits beaucoup plus élevés que les universités françaises. L’augmentation des droits d’inscription dans des proportions suffisantes présenterait quelques avantages : d’abord, des moyens dont la pérennité est relativement assurée ; ensuite, une motivation des universités pour être plus attractives ; enfin, une motivation des étudiants qui, en tant qu’usagers, ont intérêt à obtenir un retour convenable sur leur investissement financier.

Cela suppose, bien sûr, que les étudiants d’origine modeste puissent bénéficier d’un système de bourses digne de ce nom. Ces bourses devraient au départ être attribuées, comme c’est le cas actuellement, sur des critères sociaux, mais ensuite renouvelées sur des critères académiques, incitation nécessaire pour que les étudiants soient assidus et efficaces.

Cela permettrait probablement aux enseignants d’avoir des bureaux pour recevoir les étudiants, d’avoir accès à des moyens informatiques en dehors de ceux qui leur sont personnels, et aux bibliothèques universitaires d’être ouvertes le samedi, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Cela mettrait aussi fin à de grandes inégalités, où les moins favorisés paient pour les plus favorisés.

Quant à la sélection, elle favoriserait un fonctionnement plus démocratique dans la jungle actuelle Mais ce gros mot heurte notre mentalité égalitariste, laquelle, pourtant, ne s’émeut guère des inégalités existantes, car elle admet malgré tout que certains sont plus égaux que d’autres…

Il me semble que les universités doivent pouvoir sélectionner les étudiants pour mettre fin à une hypocrisie peu glorieuse, sous réserve d’une sérieuse réforme du lycée pour que celui-ci forme des jeunes aptes à faire des études supérieures.

D’ailleurs, une grande partie des études supérieures ne se fait qu’après sélection. On peut citer, pêle-mêle, les BTS, les IUT – il faut se souvenir que ceux-ci devaient s’adresser à l’origine aux bacheliers technologiques, qui ont maintenant beaucoup de mal à y accéder –…

M. Jacques Legendre. C’est vrai !

M. André Lardeux. … les grandes écoles – pour certains, il y a d’ailleurs double sélection, avant et après les classes préparatoires –, les études médicales et paramédicales, les écoles de formation sociale, les établissements relevant de certains ministères, les instituts d’études politiques. Et cette énumération est loin d’être exhaustive.

Dans ce contexte, envisager la sélection à l’université n’a donc rien d’incongru. Le maintien de la situation actuelle est une faute vis-à-vis des jeunes. En effet, il est peut-être souhaitable d’augmenter le nombre de diplômés, mais pour quels diplômes ? Il ne faut pas oublier qu’avec le système actuel beaucoup quittent l’université sans rien.

Parmi ceux qui obtiennent un diplôme, pour combien celui-ci n’est-il qu’un passeport pour nulle part, avec un visa pour l’inconnu ? Certes, l’université est là pour la culture générale, mais il y a des limites à la tartufferie.

Je ne citerai pas d’exemples pour ne pas faire de peine à certaines filières, mais tout le monde ici pourrait le faire. Je me contenterai de dire que, voilà quelques années, j’ai procédé au recrutement d’un conservateur de musée. Plus de quatre-vingts candidats se sont présentés, dont les dossiers, au moins sur le papier, étaient recevables. Je voudrais bien savoir ce que sont devenus les soixante-dix-neuf postulants que je n’ai pas retenus.

Ayons le courage de développer certaines formations en BTS ou en IUT, même si elles sont plus coûteuses que l’université, et d’empêcher trop d’étudiants de s’engager dans des voies sans issue.

Bien sûr, avec une certaine mauvaise foi, d’aucuns prétendront que je veux limiter l’accès à l’enseignement supérieur. À mon sens, il n’en est rien, si la sélection est réalisée sérieusement en tenant compte des besoins sociaux et économiques. Le nombre d’étudiants ne diminuerait pas, mais chacun pourrait trouver sa place.

Dans les années à venir, des changements dans l’organisation territoriale du pays vont s’amorcer. Ceux-ci pourraient être l’occasion d’associer davantage les régions à l’établissement de la carte des formations universitaires.

Pour terminer, j’évoquerai deux points particuliers concernant l’enseignement supérieur privé.

Il apparaît que, à l’heure où l’on veut donner un peu de liberté aux universités publiques, on en retire aux établissements privés. Jusqu’alors, les facultés libres et les établissements qui en relèvent, en vertu de la loi de 1875, pouvaient passer convention avec n’importe quelle université publique pour la validation des examens ou recourir à un jury nommé par le recteur d’académie. Or l’administration vient d’imposer que cela se fasse avec l’université la plus proche. Il est dommage que le Gouvernement accepte ce recul de la liberté d’enseignement.

Dans le même ordre d’idée, pourriez-vous nous dire, madame la ministre, quelle interprétation fait le Gouvernement de l’accord passé en matière universitaire entre le ministère des affaires étrangères et le Saint-Siège ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Daniel Raoul. Ça, c’est une bonne question !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les universités sont depuis plus de six semaines le lieu d’une mobilisation forte et transversale contre les textes du Gouvernement et leurs conséquences sur le terrain.

La communauté universitaire demande qu’on la respecte. Les phrases prononcées le 22 janvier par le Président de la République ne sont pas de ce registre, et la question gratuite « les prix Nobel ne sont-ils pas l’arbre qui cache la forêt ? » révèle, outre le mépris, une profonde sous-estimation de l’importance de la transmission des savoirs pour une société cultivée, ainsi qu’une grande ignorance des mécanismes de l’émergence des découvertes, qu’elles soient de connaissance ou d’innovation.

M. Daniel Raoul. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. Comme en matière de biodiversité, c’est la forêt qui permet l’arbre exceptionnel, grâce à sa diversité, précisément, et à son fonctionnement systémique. S’accrocher à un désir d’arbre exceptionnel et répandre le défoliant est, par essence, contradictoire. (Sourires.)

La communauté universitaire n’est pas respectée quand elle voit ces mots repris pour servir de cheval de Troie à des concepts très libéraux de mise en concurrence des campus, des laboratoires, des équipes, des individus, par un système mixte de précarisation et de management fondé sur le mérite, à partir de critères qui ne sont ni pensés ni gérés par la communauté scientifique.

Vous qui parlez « résultats », n’avez-vous pas vu que, selon l’OCDE, en dépit d’investissements français qui se situent au dix-huitième rang mondial, le CNRS est au premier rang européen et au quatrième rang mondial ?

Dans ce contexte de raréfaction des moyens et de management compétitif, chacun est sous tension, non pas pour être le meilleur, c’est-à-dire le plus curieux, le plus pédagogue, le plus attentif aux difficultés des autres, mais pour être le plus performant, celui que l’on voit, celui qui publie, celui qui répond aux critères d’un conseil d’administration où la parole de la communauté scientifique et les attentes des étudiants s’effacent devant le souci du président d’avoir pour son site de quoi remplir le meilleur dossier afin de pouvoir prétendre aux justes subventions qui lui permettront de rénover un bâti vétuste.

Ce management relève de l’esprit entrepreneurial et franchit allègrement les limites qui garantissaient un véritable service public de l’enseignement supérieur et de la recherche : c’est la fin des garanties de l’emploi et de l’évolution de carrière ; c’est aussi la fin de la nécessaire étanchéité entre les moyens des ressources humaines et ceux de la logistique.

Dès lors, la variable d’ajustement devient l’enseignant qui exige de faire de la recherche, le chercheur qui n’a pas publié depuis deux ans, le laboratoire qui dénonce des risques sanitaires, l’équipe qui ne décroche pas de partenariat avec une entreprise, la discipline qui ne débouche pas sur des brevets…

Avec cette idéologie, les spécialistes de l’archéologie ne pèsent pas lourd ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Ce management joue mécaniquement la carte de l’utilité immédiate. Dans cette logique, il faut pouvoir prendre et laisser des enseignants au rythme des inscriptions, prendre et laisser des chercheurs au fil des modes de l’Agence nationale de la recherche, mais surtout ne pas être obligé de conjuguer la dualité fertile de la mission de recherche et de la mission d’enseignement.

Vous sous-estimez l’importance, pour un chercheur, de confronter ses explications avec les capacités de compréhension de ses étudiants, tout comme vous sous-estimez la richesse que porte en lui chaque jeune thésard, que l’on ne saurait brider en lui confiant seulement des tâches d’enseignement.

Vous jouez la carte de la rentabilité à très court terme, et c’est ainsi que la richesse intrinsèque du CNRS vous a échappé. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.) Tout au plus avez-vous repéré quelques domaines visibles, que vous avez souhaité rapprocher des départements semblables de grands organismes.

Or la richesse du CNRS, c’est sa diversité, ses échanges, sa possibilité de pluridisciplinarité ; et c’est précisément cette souplesse que vous entamez.

C’est un grand manque d’anticipation au regard des mutations profondes qui nous attendent : changement climatique, démantèlement de l’organisation du travail, érosion de la biodiversité, migrations des peuples du Sud. Ces défis-là ne relèvent assurément pas d’un empilement de solutions techniques, fussent-elles brevetables !

Ces défis-là ont également bien peu de chance d’être éligibles au crédit d’impôt, meilleur moyen que le Gouvernement a trouvé pour gonfler l’apparence de son budget.

La communauté universitaire veut être respectée, et quand elle mesure sur le terrain les suppressions de postes, l’érosion des subventions, un pilotage non éclairé, des fusions à marche forcée, des mises en concurrence contre-nature, il faut l’écouter, entendre ses représentants, lui donner de vrais interlocuteurs, non la diviser et l’égarer dans des instances éphémères et sans légitimité.

Cette communauté veut une réforme ambitieuse, une réforme qui repose la question des grandes écoles, qui revisite le pilotage et le rôle de l’ANR, qui s’appuie sur des évaluations repensées et qui articule intelligemment les organismes et l’Université.

Elle conçoit l’appui aux entreprises, mais en contrepartie du développement de l’emploi scientifique et de vrais débouchés pour les doctorants.

Elle imagine de meilleurs processus pour dialoguer avec la société, répondre à ses attentes tout en gardant sa nécessaire autonomie.

Elle aspire à pouvoir être mieux impliquée dans la définition et la mise en œuvre des synergies européennes.

De la scandaleuse réforme que vous projetez pour la formation des professeurs, qui nie l’importance de l’apprentissage pratique de la pédagogie, je ne donnerai qu’un exemple : la connaissance du spectrographe de masse n’est pas une condition suffisante pour installer un terrarium pour les collégiens !

M. Yannick Bodin. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. Je parlerai des étudiants, qui, eux aussi, veulent être respectés. Ils sont issus de cette classe que l’on appelle « les jeunes », celle dont un membre sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.

Certains, révoltés par le sort qui leur était fait, ont eu le malheur de vous croire, le temps d’une négociation, pendant la discussion de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, la loi LRU. Ils ont vite appris ce qu’est une politique de communication : malgré les promesses, ils attendent toujours les logements !

Un an après, le document budgétaire pour 2009 ne prévoyait aucune construction, tandis que les inscriptions de 2008 n’avaient été qu’à moitié affectées.

À côté des 7 % d’hébergés dans les logements universitaires, il y a 93 % d’étudiants livrés au marché, et à la spéculation sur les loyers qui sévit dans les grandes villes.

Voilà un an, huit étudiants se sont installés dans un immeuble vide depuis onze ans ! Aujourd’hui, le tribunal, sur la demande de la riche propriétaire, les a condamnés à payer 6 000 euros par mois et 53 000 euros pour immobilisation de biens. Leurs ressources vont de 0 à 800 euros par mois. Leurs comptes sont donc bloqués. Cherchez l’erreur, cherchez qui les a mis dans cette impasse ! C’est sur la santé, puis sur la culture, puis sur la nourriture qu’ils économisent. Et, recherchant toutes les ressources possibles, ils se font exploiter par des employeurs peu scrupuleux, acceptant des horaires qui ne peuvent que nuire à leurs études.

De vrais pôles de recherche et d’enseignement supérieur commenceraient par construire du logement étudiant, commenceraient aussi par aider aux démarches pour les étudiants étrangers, si mal accueillis chez nous.

Un vrai souci de démocratisation de l’accès aux études supérieures doit conduire à une proposition de revenu étudiant – c’est le cas au Mali ! – et à envisager un revenu pour les jeunes.

Il est une dernière catégorie, madame la ministre, qu’il vous faut respecter : celle des parlementaires, en répondant à nos questions que justifie, une fois de plus, la colère du terrain.

Combien de postes supprimés au CNRS en 2008 ? En 2009 ? Combien de suppressions prévues pour les années à venir parmi les ingénieurs, les chercheurs, les techniciens ? Combien dans les autres organismes ?

Et ne nous parlez pas de départs à la retraite non remplacés ! Ce n’est pas une excuse, c’est un handicap transmis aux générations futures.

Autres questions précises : où est le milliard de plus par an prévu dans la loi de programme pour la recherche de 2006 ? Et le milliard d’euros du Grenelle vient-il en plus ou se cache-t-il dans le même milliard ?

Une suggestion : si les 600 millions d’euros de crédit d’impôt ne sont pas fictifs, peut-être est-il temps d’en réorienter une partie pour des postes ? Car vous conviendrez que consacrer 0,23 % du plan de relance à la recherche, en dehors, bien sûr, des engagements déjà pris, ce n’est pas digne de notre ambition.

Des réponses sans détour donneront à voir la réalité du soutien à l’Université et l’utilité du nouveau règlement du Sénat, qui, paraît-il, nous permet de contrôler sur pièces le travail du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je compte revenir sur la réforme de la formation des enseignants ; mon propos s’adressera donc aussi, à travers vous, à M. Darcos, et je vous laisserai faire le tri des reproches qui s’adressent à l’un et à l’autre.

Madame la ministre, quel talent ! Réaliser pareille unanimité, contre vous, de tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à l’éducation n’est pas à la portée de tout le monde !

Ainsi en va-t-il de votre projet de réforme : des étudiants à la Société des agrégés en passant par les enseignants et leurs syndicats, les présidents d’université, les directeurs d’IUFM, les sociétés savantes, les associations de spécialistes et j’en passe, l’opposition est générale. Seul varie le niveau de langage.

Vos intentions étaient pourtant pures puisque, selon M. Darcos, il s’agissait d’assurer aux enseignants français « une formation universitaire comparable à celle de l’ensemble de leurs collègues européens au terme de cinq années d’études », de mettre en place « une meilleure qualité de la formation des enseignants pour assurer une meilleure qualité de l’enseignement délivré à nos élèves ». Et, sublime effort, d’augmenter leur rémunération !

Malheureusement, c’est du bluff !

Actuellement, si l’on totalise formation universitaire, préparations spécifiques aux concours de recrutement et formation professionnelle en IUFM, quels enseignants, des professeurs des écoles aux professeurs agrégés, n’ont pas déjà au minimum cinq années d’études supérieures derrière eux ? Beaucoup d’ailleurs, y compris parmi les professeurs des écoles, en ont bien plus !

Alors, si votre objectif est de donner un sésame européen aux enseignants français, pourquoi ne pas vous contenter, au lieu de cette réforme dont personne ne veut, d’une simple reconnaissance par un mastère des années de formation initiale des enseignants, comme le demandent unanimement et depuis longtemps les directeurs d’IUFM ? Accessoirement, d’ailleurs, vous pourriez augmenter leurs salaires !

C’est à se demander si l’objectif final n’est pas l’organisation d’un vaste marché des étudiants demandeurs d’emplois, selon le modèle anglo-saxon, grand marché dans lequel les établissements d’enseignement pourront puiser directement. Il deviendra alors possible de recruter sur la base de CDI, voire de CDD, une main-d’œuvre qui n’aura plus rien à voir avec les fonctionnaires de l’éducation nationale d’aujourd’hui. Belle modernisation !

Je caricature ? Mais alors, comment interpréter cette réponse de DRH faite par le ministre de l’éducation nationale aux présidents d’université réticents : « On va les trouver, les gens pour passer nos concours. […] Donc moi, je n’ai pas absolument besoin d’entrer dans des discussions sibyllines… » – je pense qu’il voulait dire « byzantines » – « …avec les préparateurs à mes concours. Je suis recruteur. Je définis les concours dont j’ai besoin. Je garantis la formation professionnelle des personnels que je recruterai. Après, chacun nous suit, ou pas. »

Vous garantissez la formation professionnelle des personnels que vous recrutez ; mais peut-on appeler formation professionnelle des bouts de stage et des remplacements dispersés sur les deux années de mastère sans la cohérence d’ensemble que pourraient assurer les IUFM ? Particulièrement fâcheuse est la disparition de l’actuelle année de formation professionnelle après la réussite au concours de recrutement. Les nouvelles recrues seront immédiatement mises devant une classe. Ah ça, ils ne seront pas dans un simulateur ! Ce luxe est désormais réservé aux pilotes de ligne et de chars Leclerc, qui, il est vrai, manipulent des engins coûteux !

Critiquable, la formation professionnelle des IUFM ? Certes ! Mais l’absence de formation professionnelle, est-ce mieux ? Disons que cela coûte moins cher !

À ces défauts rédhibitoires de la réforme s’ajoutent deux effets pervers moins immédiatement visibles.

D’abord, repousser d’une année l’accès aux concours de recrutement de l’éducation nationale, c’est demander un effort financier supplémentaire aux étudiants issus des classes populaires, pour qui ces concours représentent un débouché professionnel traditionnellement important, et cela sans véritable plus-value en matière de formation académique. C’est particulièrement vrai des futurs professeurs des écoles, par définition polyvalents. Une année de plus dans leur discipline d’origine ne leur donnera pas plus de compétence dans celles qu’ils ne maîtrisent pas, mais qu’ils devront néanmoins enseigner ! Tous les cautères, sous forme de bourses ou de rémunérations accessoires des stages, n’y changeront rien.

Ensuite, le projet signifie aussi, à terme, la disparition des IUFM, en tout cas de leurs antennes départementales, maintenues à bout de bras par les collectivités locales parce qu’elles sont l’une des rares institutions universitaires du département. La réforme n’est pas encore passée dans les faits que le déménagement du territoire a commencé !

C’est en tout cas ce que j’observe dans mon département, le Var, avec la suppression de la moitié des postes de professeur des écoles maître-formateur associés au centre IUFM de Draguignan. J’aimerais, madame la ministre, que vous me répondiez sur ce point : la disparition des IUFM et de leurs antennes départementales est-elle programmée ?

Madame la ministre, pour conclure, je vous proposerais bien de méditer les propos que Mme de La Fayette, si admirée du Président de la République, prête à la princesse de Clèves lorsqu’elle prend congé de Nemours : « Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. »

Madame la ministre, la sagesse commande de remettre votre projet de réforme des formations en chantier. Si vous ne le faites pas par conviction, faites-le au moins pour votre repos ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de cette nouvelle procédure de contrôle parlementaire, qui nous permet de réaffirmer les priorités fixées au Gouvernement par le Président de la République, en l’occurrence la priorité absolue donnée, durant ce quinquennat, à l’enseignement supérieur et à la recherche.

M. Daniel Raoul. Il ne suffit pas de le dire !

Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est une priorité absolue parce que, dans une société mondiale de la connaissance, il est impératif que nos universités et nos organismes de recherche soient en mesure de rayonner davantage, que les recherches fondamentales puissent se dérouler dans un large continuum qui va du plus fondamental jusqu’à l’appliqué, de la recherche en laboratoire jusqu’à l’application et à l’innovation.

Cette priorité donnée à la connaissance, à la transmission des savoirs et à la jeunesse est confirmée par les faits, et j’entends, en réponse à toutes les questions qui m’ont été posées, montrer comment elle se traduit concrètement.

Nous voulons placer les universités au cœur de notre dispositif d’enseignement supérieur et de recherche, ce que n’a fait aucun des précédents gouvernements au cours des quarante dernières années. Cela suppose que nos universités aient un grand rayonnement. Il nous fallait donc d’abord leur donner les moyens juridiques de ce rayonnement.

Je le répète parce que c’est à la fois mon devoir et ma conviction, le moyen juridique qui permet à une université de rayonner, c’est l’autonomie.

L’autonomie, c’est le mode de fonctionnement qui, dans le monde entier, permet aux universités de rayonner. L’Union européenne a d’ailleurs adopté, durant la présidence française, une résolution en ce sens.

L’autonomie est le moyen juridique qui donne le pouvoir de définir une stratégie de recherche et une stratégie de formation, d’accéder à la liberté, mais aussi, selon le très bel intitulé donné à la loi par le Sénat lui-même, d’assumer ses responsabilités, car c’est le corollaire de cette liberté.

Dès 2007, je m’étais engagée à accompagner cette autonomie par la concrétisation de cinq chantiers. Je les rappelle : la réussite des étudiants en licence ; un grand plan de rénovation de l’immobilier universitaire ; un grand plan pour les carrières de tous les personnels de l’Université ; une réponse aux jeunes chercheurs, qui, aujourd’hui, ont du mal à engager des études doctorales ; enfin, un grand plan pour la vie étudiante.

Sur ces cinq chantiers, nous avons réalisé des avancées concrètes extrêmement significatives, même si leur traduction sur le terrain ne sera sensible que dans les mois et les années qui viennent.

Sur la mise en œuvre de la loi, permettez-moi, monsieur Assouline, de vous indiquer où nous en sommes.

Aujourd’hui, la loi du 10 août 2007 est appliquée par l’ensemble des quatre-vingt-trois universités. Le calendrier est respecté. Tous les nouveaux conseils d’administration sont en place et travaillent.

Les dispositions relatives à l’autonomie prévoient un processus progressif de passage aux compétences élargies en matière financière et de ressources humaines dans un délai de quatre ans, avec une date butoir au 1er janvier 2012.

D’ores et déjà, depuis le 1er janvier 2009, vingt universités sont autonomes. Cela signifie qu’aujourd’hui les emplois et la masse salariale correspondante leur ont été transférés. La stratégie et la politique scientifiques et de formation se décident désormais dans chacune de ces universités.

Trente-quatre autres universités candidates à l’autonomie – nous avions plus de quarante demandes pour 2010 – bénéficient actuellement d’audits destinés à vérifier leur capacité à acquérir ces nouvelles compétences au 1er janvier 2010. La liste en sera donnée en juin 2009.

S’agissant de l’accompagnement des universités passées à l’autonomie, chacune des vingt universités d’ores et déjà concernées a reçu une subvention de 250 000 euros pour lui permettre de l’aider à se préparer aux changements indispensables, de mettre en œuvre une politique indemnitaire pour les personnels qui se sont impliqués avec courage et volontarisme dans la préparation de ce grand passage et d’opérer les recrutements de compétences professionnelles qu’elle n’avait pas en son sein. En 2009, ces 250 000 euros leur seront de nouveau alloués.

L’encadrement a été renforcé par des mesures de requalification des emplois, nécessaires dans toutes les universités ; cela a concerné 800 personnes. Le même processus de requalification des emplois, par promotion interne, est en cours pour septembre prochain.

Un plan triennal de formation a été mis en place pour l’ensemble des personnels d’encadrement supérieur et administratif. Depuis le printemps 2008, il a concerné plus de 1 500 agents et coûté plus de 1,5 million d'euros.

Les services du ministère ont créé une cellule de soutien particulier des universités autonomes, en assurant le suivi des plans d’action élaborés par chaque université, pour la mise en œuvre des recommandations des audits.

Quels moyens avons-nous mis en œuvre en faveur du passage à l’autonomie ? C’est l’une des principales priorités du budget de 2009, qui acte le transfert de 1,890 milliard d’euros de masse salariale et de 34 175 emplois de l’État aux vingt universités intéressées.

La réussite de cette autonomie est liée à l’accompagnement des établissements au moment du passage : 16 millions d'euros y seront consacrés en 2009 et 52 millions d'euros entre 2009 et 2011.

La réforme des modes de financement des universités est primordiale pour réussir ce passage à l’autonomie, car elle doit rénover les liens entre l’État et les universités, qui seront désormais contractuels : un contrat d’objectifs et de moyens liera l’État et les universités.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, il n’y a aucune privatisation des universités puisque 95 % de la dotation des universités restera une dotation d’État contractualisée sur la base des objectifs et des engagements de formation et de recherche.

Les mesures en faveur du plan Carrière – 250 millions d'euros sur 2009-2011 – font partie intégrante de ce passage à l’autonomie parce qu’elles vont permettre de valoriser la richesse humaine de chaque université.

Enfin, le plan de relance permettra d’entrer dans la phase 2 de l’autonomie puisque, dans le cadre de ce plan, 30 millions d'euros sont consacrés à la préparation du transfert de l’immobilier pour les universités qui souhaiteraient prendre cette compétence.

MM. Renar et Lardeux ont particulièrement insisté sur la question des moyens de l’enseignement supérieur.

Je rappelle que le budget de 2009 a été construit sur l’hypothèse d’une inflation à 0,4 %. Ce chiffre est à mettre en regard de crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche qui augmenteront, à travers le projet de loi de finances et le plan de relance, de 9 % en crédits budgétaires et de 26 % au total, en incluant la mobilisation anticipée du crédit d’impôt recherche et son augmentation. Il s’agit évidemment là d’une augmentation exceptionnelle : quasiment dix-huit fois le maintien du pouvoir d’achat ! Quel autre département ministériel dispose d’autant de moyens ?

Il ne faut pas oublier que les budgets des universités qui ne disposent pas de l’autonomie aujourd'hui ne comprennent ni l’immobilier ni la masse salariale. Ces crédits figurent dans le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans lequel on trouve également les contrats de projet État-région, qui permettent de faire de l’immobilier universitaire et qui seront « boostés » par le plan de relance puisque ce dernier permettra de financer une annuité et demie de contrats de projet État-région pour toutes les universités.

Quant aux crédits en faveur des carrières, qui s’élèvent à 250 millions d’euros, ils sont inscrits dans le budget de l’État et non pas dans le budget des universités.

S’agissant du budget des universités à proprement parler, un chiffre traduit notre engagement : en 2007, la France dépensait 7 500 euros par étudiant ; en 2009, elle dépensera 8 500 euros en moyenne, soit un effort budgétaire de plus de 1 000 euros par étudiant.

En 2009, les universités bénéficieront de 117 millions d'euros de crédits de fonctionnement supplémentaires et de 150 millions d'euros de crédits de mise en sécurité, soit au total 267 millions d'euros, contre 78 millions d'euros l’an dernier : cette année, les universités auront donc trois fois plus d’argent.

Monsieur Dupont, vous avez évoqué les petites universités. Elles bénéficient, elles aussi, de moyens totalement inédits. En effet, si l’on totalise les crédits de fonctionnement et de mise en sécurité des locaux – nombre d’entre elles ont des locaux très dégradés – les dix-sept universités pluridisciplinaires les plus petites bénéficient en moyenne de 11 % d’augmentation, contre 3 % l’an dernier.

À l’université d’Avignon, par exemple, le budget augmente de 13 %, contre 3 % en 2007, et nous avons conclu un contrat de projet État-région pour le centre de recherche en agrosciences. Au Havre, le budget augmentera de 13 %, contre 8 % en 2008. L’université a reçu le label « campus prometteur » et disposera de 20 millions d'euros au titre de la rénovation de son campus.

Par ailleurs, je tiens à dire que je suis ouverte à la discussion sur les universités pluridisciplinaires des villes moyennes, qui ont un rôle tout à fait spécifique et primordial de formation de proximité.