PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce débat sur le projet de loi pénitentiaire n’est banal ni par son objet ni par les conditions dans lesquelles s’engage la discussion, mais, sur ce sujet extrêmement urgent, je ne me prononcerai pas sur la déclaration d’urgence ! (Sourires.)

En effet, cela a été rappelé, c’est la première fois sous la Ve République que la discussion en séance publique s’engagera, en application de l’article 42 de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, sur le texte élaboré par la commission, et non sur celui qui a été initialement déposé par le Gouvernement.

La commission des lois s’est longuement préparée à cette novation constitutionnelle, dont les conséquences n’ont peut-être pas été complètement appréhendées par tous ses promoteurs.

M. Charles Gautier. La preuve !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je me permets de souligner au passage qu’il eût été bien plus facile de délibérer si les lois organiques avaient été votées en temps utile. Mais fermons là la parenthèse.

Pour lever les doutes sur l’application immédiate de cette novation et après avoir intégré dans le texte de la commission nombre d’amendements du rapporteur et des membres de la commission, nous avons examiné les amendements dits « extérieurs », tant ceux des sénateurs que ceux du Gouvernement – nous vous avons d’ailleurs entendue ce matin, madame le garde des sceaux. M. le président du Sénat l’a rappelé tout à l’heure, la commission des lois a confirmé le texte de la commission, et celui-ci est désormais proposé à votre délibération puisque l’article 42 de la Constitution est entré en vigueur depuis le 1er mars. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Sauf pour l’urgence !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, ce rappel ne vous est pas destiné ; nous sommes tous au courant de la nouvelle procédure ! Il s’adresse au Conseil constitutionnel, lequel a parfois besoin d’être éclairé sur le sens dans lequel nous allons ! (Sourires.)

Une telle démarche, qui lève toutes les objections à la procédure que nous avons initiée pour permettre l’examen de ce projet de loi si important pour le Sénat dès cette semaine, est presque expérimentale. Elle devrait permettre – c’est mon souhait – que notre débat en séance publique se concentre sur les enjeux importants du texte en discussion.

Madame le garde des sceaux, combien avons-nous attendu cette loi pénitentiaire ! Nous en avons d’ailleurs souvent parlé à vos prédécesseurs. Songeons que le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur ce sujet a été remis le 28 juin 2000. Hélas ! il demeure globalement d’actualité, malgré les efforts non négligeables accomplis au cours de ces dernières années.

À mon avis, il y a deux manières d’appréhender ce débat de société : on peut déplorer la surpopulation carcérale et la dégradation des conditions de détention, qui interdisent trop souvent à la prison d’assumer sa mission de réinsertion et de contribuer ainsi de manière efficace à la lutte contre la récidive ; mais, une fois ce constat réalisé, on peut – ou non ! – remettre à plus tard une réforme nécessaire et ambitieuse.

L’histoire de la prison en France, sur laquelle le président Badinter a écrit un ouvrage de référence, La prison républicaine – ou, plutôt, si peu républicaine… –, est très éclairante pour comprendre que, souvent, la punition justifiée par des actes que la société considère comme des manquements graves aux valeurs et aux règles de la vie en commun revenait uniquement à la mise à l’écart, pour un temps ou à vie, des criminels et des délinquants. Et je ne parle pas, bien entendu, de ce qui se passait avant l’abolition de la peine de mort.

Une question a toujours dominé : comment utiliser le temps de la prison pour permettre la réinsertion, voire l’insertion, des détenus ? Le législateur y a certes parfois répondu de façon positive et bon nombre d’humanistes se sont penchés sur ce sujet depuis cent cinquante ou deux cents ans. Mais une telle réponse a, bien vite, été contredite par les faits, et oubliée.

La bonne réponse est la suivante : il faut respecter la dignité des personnes détenues et, donc, améliorer les conditions de détention. Il importe, par exemple, de garantir un droit aux soins médicaux, pour lequel la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a tout de même constitué un progrès considérable, on pourrait même aller jusqu’à dire une vraie révolution, même si le président About nous en a rappelé tout à l’heure les lacunes et nous a montré combien il était nécessaire d’aller plus loin dans ce domaine. Il convient également de favoriser le travail pénitentiaire et la formation, seuls gages d’une réinsertion possible, et, bien entendu, de lutter contre la surpopulation carcérale, qui sévit principalement et depuis longtemps dans les maisons d’arrêt.

En effet, comme nous l’avions noté en 2000, entre autres paradoxes – il y en a malheureusement beaucoup en la matière –, les prévenus, qui sont « normalement » présumés innocents, sont plus mal traités que les condamnés !

Des événements graves, qui sont encore survenus récemment, ponctuent la vie carcérale. Ils sont, tout comme les apparences, révélateurs de la gravité de la situation. Il faut néanmoins rappeler l’effort considérable entrepris, notamment, pour réhabiliter le parc pénitentiaire.

Madame le garde des sceaux, sans remonter au programme mis en œuvre par Albin Chalandon, suivi de celui qui avait été défini par Pierre Méhaignerie en 1995, la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice lancée par Dominique Perben, dont nous voyons déjà les résultats aujourd'hui et qui produira ses effets jusqu’en 2012, correspond à la nécessité d’avoir une stratégie immobilière ayant si souvent fait défaut et dans laquelle il faut, à l’évidence, intégrer la maintenance. Nous avons pu voir combien coûtait la rénovation des prisons qui ont été abandonnées pendant trente ou quarante ans. Vous pouvez vous-même en témoigner, madame le garde des sceaux, si Fleury-Mérogis avait fait l’objet de travaux de maintenance au cours de cette période, vous n’auriez pas dû engager un programme énorme de rénovation ! Je rappelle d’ailleurs que le partenariat public-privé permet d’assurer cette maintenance.

Nous avons soutenu avec beaucoup de force non seulement la création d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que vous avez proposée, mais aussi le développement du bracelet électronique, qui, je le rappelle, a pour origine une initiative du Sénat et dont l’administration pénitentiaire de l’époque – elle a bien changé ! – ne voulait à aucun prix. Elle a ainsi tout fait pour empêcher que cette expérience, pourtant bien connue au Canada et dans d’autres pays, réussisse en France.

L’un des aspects important de votre projet est de développer les alternatives à l’incarcération. Vous le savez, la commission a très largement approuvé ces mesures. Elles devraient contribuer en elles-mêmes à lutter contre la surpopulation carcérale et, surtout, s’agissant des courtes peines, dont je pense qu’elles sont bien souvent génératrices de récidive plutôt que d’exemplarité, à trouver d’autres solutions que la détention.

J’en viens aux dispositions relatives aux conditions de détention. Je tiens à ce propos à souligner l’excellent travail du rapporteur, notre collègue Jean-René Lecerf,…

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. …qui n’a ménagé ni son temps, ni son engagement sur ce sujet, ni son intelligence de la situation dans les établissements pénitentiaires. Dans la ligne du projet de loi, la commission des lois vous fera un certain nombre de propositions innovantes, en ce qui concerne tant les droits des détenus – c’est pour cette raison, monsieur About, que les dispositions de ce texte relèvent du domaine législatif – que l’obligation d’activité. Nous nous sommes longuement interrogés sur cette question, mais je crois qu’une telle obligation, qui existe à peu près partout, n’est absolument pas contraire, comme certains l’ont affirmé pendant longtemps, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Bien entendu, madame le garde des sceaux, nous aurons à nous prononcer sur le maintien du principe de « l’encellulement individuel », lequel existe depuis 1875. Nous comprenons que cet objectif, qui n’a jamais été atteint, puisse paraître irréaliste. Certes, ce principe peut, pour des raisons positives, être aménagé, selon les modes de détention et les besoins des détenus, mais nous espérons que le nombre de prévenus continuera à diminuer et que les alternatives à l’incarcération prévues par votre projet trouveront toute leur dimension. Pour notre part, nous croyons à ce que nous proposons !

Nous nous sommes efforcés d’appréhender la réalité d’un service public singulier, en nous gardant, bien sûr, de tout angélisme. Il faut tout de même le rappeler de temps en temps, la plupart des détenus sont emprisonnés à la suite d’actes criminels ou délictueux graves, pour avoir tué, violé, blessé, abusé, fraudé, trafiqué. Toutes les sociétés ont le droit et le devoir de se protéger de ces personnes dangereuses qui violent gravement leurs lois.

Cela étant, la prison doit-elle demeurer le système confus qui fait que les établissements pénitentiaires sont à la fois des asiles, des hospices ou des hôpitaux ?

Sur ce sujet, MM. Lecerf et About l’ont évoqué, nous réfléchissons à une réforme de l’article 122-1 du code pénal. Madame le garde des sceaux, j’ai participé, comme nombre de parlementaires, à la révision du code pénal. À l’époque, nous avions pensé que cet article 122-1, qui se substituait notamment à l’ancien article 64 et qui ne faisait plus référence à la notion de démence, était une formidable avancée.

Or, je me demande si nous ne nous sommes pas trompés, dans la mesure où, comme M. le rapporteur l’a bien démontré, aujourd'hui, plus les personnes ont des troubles mentaux graves, plus elles sont lourdement condamnées.

Pour protéger la société, qui est un objectif somme toute compréhensible, on finit par condamner plus lourdement ceux qui ont les troubles psychiatriques les plus graves. Cela pose tout de même un réel problème ! Des tentatives ont déjà été réalisées. Mais la loi pénitentiaire en est un bon exemple : les essais peuvent se révéler concluants. Nous attendons donc aussi une loi sur l’hospitalisation psychiatrique.

Bien entendu, nous ne pouvons pas parler de la loi pénitentiaire sans évoquer les personnels.

Les surveillants d’aujourd'hui n’ont plus rien à voir avec les gardiens d’hier. Ils sont beaucoup mieux formés, ont un niveau supérieur et, souvent, sont beaucoup plus engagés dans la réinsertion des détenus que par le passé. Bien sûr, tout n’est pas rose et rien n’est évident, car, il faut le dire, c’est un métier difficile, que l’on n’a pas forcément choisi par vocation. Toutefois, tous ceux qui visitent les prisons régulièrement font, me semble-t-il, le même constat, les personnes qui ont accepté de travailler dans ce service public difficile font preuve d’un engagement fort.

Par ailleurs, il convient, bien sûr, de faire un effort supplémentaire pour développer le service pénitentiaire d’insertion et de probation, si l’on veut vraiment faire réussir la politique de diversification et d’aménagement des peines.

Madame le garde des sceaux, telles sont les quelques brèves observations qu’il me paraissait nécessaire de faire après les interventions de M. le rapporteur et de M. le rapporteur pour avis. Votre politique pénale doit être considérée dans son ensemble. À cet égard, ce projet de loi en est le dernier volet et constitue le pendant indispensable des textes votés antérieurement, comme celui sur la lutte contre la récidive. Je souhaite que sa mise en œuvre permette à la prison d’être plus utile et plus efficace, en donnant une chance à ceux qui se sont coupés de la société. J’attends qu’elle ne soit plus « une humiliation pour la République ».

C’est une ambition que nous partageons, et ce, j’en suis sûr, sur toutes les travées de cette assemblée. C’est une ambition digne de la France des droits de l’homme. Notre politique pénitentiaire doit savoir non seulement être ferme, pour « protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ». Nul doute que cet extrait d’une décision du Conseil constitutionnel en date du 20 janvier 1994 rappellera un souvenir particulier à l’un de nos éminents collègues ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. François-Noël Buffet. En juin 2007 – ce n’est pas si vieux ! –, devant le tribunal de Bobigny, vous déclariez, madame le garde des sceaux : « La justice ne peut être ferme si elle n’est pas humaine. Une justice humaine, c’est aussi une justice qui respecte totalement ceux qui sont condamnés ». Naturellement, nous souscrivons tous à de telles intentions et nous les partageons.

Après avoir examiné le projet de loi instaurant des peines minimales pour les récidivistes, après avoir adopté la loi mettant en place un contrôleur indépendant des lieux privatifs de liberté, nous sommes aujourd’hui saisis d’un texte fondateur dans le domaine pénitentiaire. Ces textes de loi, complémentaires, constituent le socle d’une justice que vous souhaitez, à juste titre, à la fois plus ferme et plus humaine.

Si la fermeté à l’égard des délinquants et des récidivistes est une nécessité, si notre arsenal juridique doit être renforcé afin de nous prémunir face à des cas de récidive parfois extrêmement graves, il convient toutefois de respecter pleinement les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

La sanction doit être sévère et aller jusqu’à l’enfermement, parce que la gravité de l’acte commis l’exige et parce que le comportement de l’auteur de l’acte incriminé le nécessite. Pour autant, notre justice se doit de toujours garder un visage humain et de rester attentive, non seulement aux victimes, mais également à la situation des personnes qui ont été condamnées au nom de la République, en notre nom.

L’emprisonnement doit toujours s’effectuer dans des conditions qui s’accordent avec le respect de la personne humaine. Ainsi, la privation de liberté ne signifie pas la privation de l’accès au droit.

Notre assemblée a toutes les raisons de se réjouir que ce projet de loi soit enfin soumis à son examen.

L’adoption de ce texte, déposé – faut-il le rappeler ? – le 28 juillet 2008 sur le bureau du Sénat, ne pouvait être plus longtemps différée. Il est aujourd’hui devant notre assemblée, qui a eu largement le temps de l’analyser.

Vous étiez venue, madame le garde des sceaux, devant la commission des lois, à l’automne dernier, lorsque celle-ci procédait à des auditions. Ce matin, vous êtes venue à nouveau devant elle pour soutenir vos amendements, comme le prévoit désormais notre procédure législative. Nous avons donc eu suffisamment de temps pour travailler sur ce texte.

Depuis le 22 juin 1987, aucun autre gouvernement n’avait mis en chantier un texte relatif au droit pénitentiaire. En effet, la loi pénitentiaire soulève de très fortes attentes de la part de nos concitoyens, des professionnels de la justice et des élus, qui se sont beaucoup investis sur ce sujet.

C’est avec constance, et depuis de nombreuses années, que le Sénat accorde une attention toute particulière à la situation des établissements pénitentiaires.

Voilà neuf ans, le Sénat décidait la création d’une commission d’enquête sur ce sujet, présidée par Jean-Jacques Hyest. Dans son rapport d’enquête intitulé « Prisons : une humiliation pour la République », cette commission soulignait la nécessité absolue d’améliorer sans attendre les conditions de détention dans nos prisons. Sa conclusion était sans appel : « Il y a urgence... Il y a urgence depuis deux cents ans ».

Je tiens donc à saluer l’initiative du Gouvernement, qui permet aujourd’hui au Parlement de débattre d’une grande loi fondamentale sur le service public pénitentiaire.

Vingt-deux années ont passé depuis que M. Albin Chalandon, alors garde des sceaux, a fait adopter la loi pénitentiaire du 22 juin 1987. Or, en vingt-deux ans, tout a changé : le profil des détenus, l’administration pénitentiaire, notre société et les normes européennes et internationales, qui sont désormais plus précises.

Le projet de loi que vous nous proposez a pour vertu de mettre en conformité notre droit interne avec nos obligations européennes.

Le 11 janvier 2006, le Conseil de l’Europe énonçait en effet 108 règles pénitentiaires européennes, qui, malheureusement, n’avaient aucune valeur juridiquement contraignante. Votre texte, madame le garde des sceaux, permet de généraliser la mise en œuvre de ces recommandations.

Votre projet de loi comporte des avancées majeures qu’il convient de souligner et qui s’inscrivent dans une politique d’ensemble visant à moderniser le système pénitentiaire français.

Il reconnaît, tout d’abord, un ensemble de droits fondamentaux aux détenus, en consacrant le principe selon lequel la personne détenue conserve, comme tout citoyen, le bénéfice de ses droits, même si elle est privée de sa liberté, et à condition que le tribunal l’ait autorisée à conserver ces droits.

Votre texte multiplie les dispositions tendant à améliorer la vie quotidienne des détenus au sein de l’établissement pénitentiaire. Je pense à la possibilité offerte à tous les prisonniers de téléphoner, ou encore à l’incitation à exercer une activité professionnelle, sportive ou culturelle.

Il comporte également de sérieuses avancées pour les personnels pénitentiaires, auxquels nous souhaitons rendre collectivement un hommage appuyé, car ils exercent leurs missions dans des conditions souvent extrêmement difficiles : ils méritent incontestablement la reconnaissance de la société tout entière pour l’action qu’ils mènent au quotidien.

L’un des principes essentiels qui inspire le projet de loi est que la prison est une sanction nécessaire mais ultime. Une peine d’emprisonnement doit pouvoir être exécutée en dehors de la prison. C’est l’objet des alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine destinés à favoriser la réinsertion des détenus et à lutter plus efficacement contre la récidive.

Ainsi, ce projet de loi institue l’assignation à résidence avec surveillance électronique, qui constituera une nouvelle alternative particulièrement crédible à la détention provisoire, permettant aussi une surveillance plus efficace qu’un placement sous contrôle judiciaire.

À l’heure où la surpopulation carcérale est, à juste titre, quotidiennement dénoncée, notre groupe ne peut qu’approuver, madame le garde des sceaux, des mesures alternatives à la détention qui ne représentent pas une menace pour la sécurité des personnes.

Enfin, ce projet de loi place la réinsertion des détenus au cœur de l’intervention du service public pénitentiaire, en favorisant le développement de la formation et du travail en prison.

Sur l’initiative de notre rapporteur, que je souhaite féliciter, au nom du groupe UMP et en mon nom personnel, de son travail de très grande qualité, la commission des lois a modifié certaines dispositions du texte du Gouvernement afin de donner au présent projet de loi toute sa portée.

Les propositions de Jean-René Lecerf suscitent une large adhésion, tant elles permettent d’améliorer de façon significative les conditions de détention.

Ainsi, la commission des lois a souhaité conserver le principe de l’encellulement individuel, imposé par le code de procédure pénale, mais auquel la France déroge en raison de la surpopulation carcérale.

Inscrit depuis 1875 dans le code de procédure pénale, l’encellulement individuel est un droit fondamental, qui, jusqu’à présent, n’a jamais atteint. S’il convient d’affirmer ce principe, il semble toutefois nécessaire de prévoir une certaine souplesse afin de permettre, dans des proportions restreintes, aux détenus qui supportent mal l’isolement carcéral d’être placés dans une cellule à usage collectif. Sur ce point, le débat qui se poursuit aujourd’hui devrait permettre de rapprocher les points de vue, au demeurant peu éloignés, de la commission et du Gouvernement.

Il est temps d’accorder toute leur place aux impératifs d’insertion et de réinsertion à la sortie de prison, parce qu’il importe d’assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues.

Pour l’ensemble de ces raisons et sous réserve des observations que je viens de présenter, les membres du groupe UMP adopteront le texte proposé par la commission des lois sur le projet de loi pénitentiaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comment faire de la prison un lieu d’espérance, alors qu’elle est aujourd’hui un lieu de désespérance, si ce n’est en ayant le sens de l’humain ?

Je tiens tout d’abord à rendre hommage au rapporteur de la commission des lois, Jean-René Lecerf, car son action et son discours ont été ceux d’un homme de conviction, qui sait faire entendre à la fois le cœur et la raison. Nous avons tous été touchés par sa force de conviction et par le caractère particulièrement humain de son travail. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Le texte intitulé « projet de loi pénitentiaire » ne saurait être appréhendé hors du contexte général de la politique pénale de notre pays. Il ne saurait être un instrument de communication destiné à masquer la réalité : la situation catastrophique des prisons françaises et une justice française considérée en Europe comme l’un des plus mauvais exemples. N’oublions pas ce qu’est notre univers carcéral, qui sont les détenus, quelles sont leurs origines – 95 % d’hommes, 50 % d’illettrés ! – et de quels milieux ils sont issus. La réalité, c’est cela !

Ce constat est la résultante non pas de la politique d’un seul gouvernement, mais d’une responsabilité nationale collective, découlant aussi du fait que nos concitoyens ne s’intéressent à la justice que lorsqu’ils sont personnellement ou familialement concernés.

Mettre à la disposition de la justice les budgets nécessaires, telle est la condition préalable à toute amélioration de la situation et tel est le moyen de respecter les règles pénitentiaires européennes adoptées le 11 février 2006.

On peut aussi, madame le garde des sceaux, illustrer ces problèmes par l’insuffisance du plan de relance pour la partie « justice » : 80 millions d’euros seulement, dont 30 millions d’euros pour les travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires, et 15 millions d’euros pour le lancement anticipé des quartiers de courtes peines.

En Europe, la France est montrée du doigt pour les dysfonctionnements de sa justice.

Le bâtonnier de Paris a qualifié publiquement les prisons françaises de « pourrissoirs » et a conclu ainsi son éditorial du 16 janvier 2009 : « Nous taire ou nous abstenir équivaudrait à nous rendre nous-mêmes complices de cette indignité ».

Dans son rapport, M. Delarue, nouveau contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont la nomination nous semble à tous très positive, établit ce même constat : surpopulation carcérale, nombreux lieux de non-droit où toutes les violences se propagent, taux de suicide en progression exponentielle, désarroi des personnels dont la tâche devient impossible...

Quelle est la réponse de l’État ? Que peut-on attendre de ce projet de loi pénitentiaire ? Résout-il le problème de la prison en France ?

Ce texte apporte un progrès sur la question du droit des détenus et sur celle des alternatives à la prison. Toutefois, faire un projet de loi dite « pénitentiaire » en remettant en cause l’encellulement individuel, ce n’est pas raisonnable !

Concilier la protection de la société, l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif d’un travail de réinsertion sociale et des conditions satisfaisantes d’exercice professionnel des personnels est l’objectif de toute politique générale pénitentiaire équilibrée et raisonnable.

Le déséquilibre, mes chers collègues, intervient lorsqu’on privilégie le volet sécuritaire, autrement qualifié de « populisme pénal », ou, à l’inverse, le laxisme libertaire. Nous ne voulons ni de l’un ni de l’autre.

Ce projet de loi constitue-t-il uniquement une réponse médiatique aux multiples observations émanant d’organismes internationaux et nationaux, ou permettra-t-il de mettre en pratique dans les prisons lesdites recommandations, comme le souhaitent la commission, son rapporteur et son président ?

Le texte de la commission des lois constitue incontestablement un progrès par rapport au texte initial, et j’ai déjà dit tout le bien que nous pensions du travail effectué par M. le rapporteur.

Ce texte apporte certaines améliorations, au niveau tant des principes que d’une partie des droits reconnus aux détenus, droits inhérents à la personne humaine.

Il en est ainsi de l’article 1er A, de la garantie donnée à tout détenu, par l’administration pénitentiaire, du respect de ses droits, de l’article 2 relatif aux moyens de contrôle externe et interne, d’un meilleur encadrement des restrictions dont les droits des détenus peuvent faire l’objet, d’une communication plus facile avec la famille, l’avocat, des progrès concernant certains droits sociaux ainsi que les familles.

L’affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme et de la nécessité de prévoir son aménagement est mise exergue par l’article 32. L’inscription au niveau législatif des principes du régime disciplinaire relève aussi du retour à la voie de droit, mais ne nous ramène pas au niveau européen.

Un débat, révélateur de l’échec de notre système, revient comme un serpent de mer : celui qui porte sur l’encellulement individuel.

Le livre du docteur Vasseur, en 2000, et le scandale qui suivit amenèrent les parlementaires à prohiber l’encellulement collectif, ce qui revenait à appliquer la loi de 1875, mais avec une entrée en vigueur au 15 juin 2003, reportée à 2008 par un cavalier législatif dans la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière !

Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose en fait de revenir sur le principe de l’encellulement individuel. Aux termes de l’article 59, un moratoire de cinq ans est prévu pour l’application de l’encellulement individuel.

Il est facile, mes chers collègues, de dire que nous n’avons pas les moyens financiers d’appliquer l’encellulement individuel. Mais renoncer à ce principe, est-ce le moyen de préparer les budgets de demain ? Certainement pas !

En réalité, ce qui existe, c’est le droit, lorsque l’on est en cellule collective, à être transféré, souvent après plusieurs mois de procédure, dans une cellule individuelle n’importe où en France.

Conforter le principe du droit à l’encellulement individuel, c’est mettre l’État devant ses responsabilités.

La loi pénitentiaire ne sera qu’une déclaration d’intention sans plan d’urgence pour en finir avec la surpopulation carcérale, sans moyen nouveau pour assumer les dispositions relatives au travail en prison, à la surveillance électronique, au suivi sociojudiciaire.

Nous le savons tous, la situation actuelle, c’est l’entassement des prévenus et des condamnés en cellules collectives de maisons d’arrêt dans des conditions humiliantes et dégradantes – nombre important de détenus par cellule, matelas par terre, etc. –, la promiscuité, la loi du plus fort, l’arbitraire découlant de cette surpopulation, l’insuffisance de moyens d’une politique de réinsertion, le nombre de décès et de suicides, l’augmentation des affections contagieuses, y compris chez les surveillants : récemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a été saisi d’une requête de sept surveillants pour des problèmes de tuberculose.

Lorsqu’on atteint certains seuils de surpopulation carcérale, il faut savoir ouvrir les portes et prendre les décisions nécessaires pour ce faire.

Tout un volet du projet de loi tend à développer les aménagements de peines privatives de liberté. C’est positif, mais, là encore, l’expérience incite à un certain scepticisme si l’on se réfère à la chute du nombre de libérations conditionnelles ces dernières années et au fait que la mise en place de la surveillance électronique, surtout mobile, nécessite des infrastructures, ainsi qu’un suivi humain et un matériel coûteux.

Comment, en dehors des avancées que contient ce texte et que nous soulignons, ne pas noter la contradiction qui existe entre la politique d’affichage sécuritaire aboutissant à l’augmentation du nombre des détenus – « peines plancher », rétention de sûreté, carcéralisation du soin psychiatrique – et le projet de loi qui nous est soumis ?

Est-ce d’ailleurs une contradiction ou bien s’agit-il de la caractérisation d’une politique visant à faire du système répressif une noria où le flux d’entrées est augmenté pour répondre au message punitif et le flux de sorties en partie accéléré pour raison d’embouteillage humain ? Car telle est la réalité !

La dérive de l’institution est manifeste ! Comment préparer à la réinsertion lorsque des dizaines de milliers de petits délinquants entrent ou reviennent en prison pour purger des peines de quelques mois ? On prépare la récidive plus que la réinsertion.

La justice, mes chers collègues, est incompatible avec le suivisme de la médiatisation, avec le développement de la notion d’insécurité que la recherche du chiffre accentue plus qu’elle ne la diminue : les 577 000 gardes à vue de 2008 en sont l’illustration.

Dans son traité De la clémence, Sénèque affirmait : « Quant aux mœurs publiques, on les corrige mieux en étant sobre de punitions ; car le grand nombre des délinquants crée l’habitude du délit ; ».

Aujourd'hui, dans le concert des pays développés, la France est montrée du doigt en raison non pas du nombre de détenus proportionnellement à la population, mais des déplorables conditions de détention, inacceptables pour le pays des droits de l’homme.

Plutôt que d’accumuler les lois modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, l’urgence, mes chers collègues, c’est de considérer enfin que l’état de nos établissements pénitentiaires relève d’une véritable priorité nationale. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)