M. Guy Fischer. Nous devons avoir ici – nous tenterons d’y participer – un débat sur l’orientation de l’argent, car cette question est primordiale. C’est pour cela que nous présenterons un amendement de suppression de cet article 61, qui est vraiment un article scélérat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Oh là là !

M. Alain Gournac. Vive la liberté ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.

M. Jean-Pierre Godefroy. Depuis l’adoption de cet article à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous allez de studios de radio en plateaux de télévision pour nous expliquer – cela n’a, à mon avis, pas grand-chose à voir – que notre pays compte des milliers d’anonymes qui, comme le furent Guy Roux ou le professeur Montagnier, sont empêchés de poursuivre leur activité professionnelle au-delà de soixante-cinq ans, et doivent s’expatrier pour continuer à travailler.

Pour ma part, je doute qu’ils soient si nombreux.

Franchement, je n’en ai pas vu beaucoup parmi les salariés du bâtiment,…

M. Alain Gournac. Cela existe !

M. Jean-Pierre Godefroy. … chez les travailleurs des chantiers navals touchés par l’amiante,…

M. Alain Gournac. Cela existe !

M. Jean-Pierre Godefroy. … chez les ouvriers des chantiers routiers ou ferroviaires, de la sidérurgie, de l’industrie automobile…

M. Alain Gournac. Cela existe !

M. Jean-Pierre Godefroy. … de la métallurgie, parmi les marins pêcheurs, les employés de supermarchés ou encore les salariés agricoles ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ils ne sont pas nombreux, ceux-là, à prendre un Boeing pour aller travailler aux États-Unis !

M. Alain Vasselle. Et les salariés agricoles ?

M. Jean-Pierre Godefroy. En revanche, monsieur le ministre, monsieur Vasselle, j’ai rencontré, dans toutes ces professions, des salariés fatigués, brisés par un parcours professionnel harassant, par des conditions de travail difficiles…

M. Alain Gournac. Mais ils s’arrêteront, ceux-là !

M. Jean-Pierre Godefroy. … et qui ont souvent connu des périodes sans emploi. Oui, j’en ai rencontré de ces salariés inquiets qui espèrent en la solidarité nationale pour partir à la retraite à soixante ans décemment.

M. Alain Gournac. C’est honteux !

M. Jean-Pierre Godefroy. Honteux ? Monsieur Gournac, honte à vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Les chiffres sont plutôt têtus : ils laissent apparaître clairement que l’âge moyen de départ à la retraite dans notre pays est de cinquante-huit ans et que le taux d’emploi des seniors, à savoir 38 %, reste très en deçà de l’objectif de 50 % fixé par l’Union européenne dans la stratégie de Lisbonne et encore plus loin de celui qui est coutumier chez certains de nos voisins européens, 70 % en Suède ou 60 % au Danemark.

La légère augmentation de 1 % observée depuis 2003 s’explique entièrement, de l’aveu même du Gouvernement – j’en veux pour preuve le rapport du 31 décembre 2007 – par des effets démographiques.

La réalité, monsieur le ministre, est que près de deux tiers des salariés ne sont plus en activité au moment où ils font leur demande de départ en retraite : ils sont au chômage, ou arrêtés pour cause de maladie ou d’invalidité.

La question est donc non pas de savoir s’il faut repousser l’âge de mise à la retraite d’office, mais bien plutôt de déterminer comment permettre aux salariés de travailler suffisamment longtemps pour acquérir une retraite à taux plein sans que les entreprises se débarrassent d’eux lorsqu’ils ont passé cinquante-cinq ans.

Le fait est que le problème est pris à l’envers : vous essayer ici de détourner l’attention de l’échec de votre politique en faveur de l’emploi des seniors. (Protestations sur les travées de lUMP.)

Or, l’équation est simple : sans amélioration de l’emploi des seniors, pas de retour durable à l’équilibre financier des retraites. Si les Français ne travaillent pas plus longtemps, l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite à taux plein se traduira surtout par des retraites plus basses.

Les salariés auront-ils réellement le choix de rester en activité ou d’arrêter leur travail ? Seront-ils vraiment « libres », comme vous le dites ?

La réponse est clairement « non » pour la majorité d’entre eux. La baisse continue du niveau des retraites les contraindra à prolonger leur activité aux seules fins, comme le reconnaît la présidente de la CNAV elle-même, Mme Danièle Karniewicz, « de repousser leur rendez-vous avec la précarité ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

C’est le second problème majeur que pose cet article : comme le précédent, qui tend à libéraliser complètement le cumul emploi-retraite, il vise en fait à habituer les Français à l’idée que, lorsqu’ils seront arrivés à soixante ans, leur retraite ne sera pas suffisante et qu’il leur faudra travailler plus longtemps, éventuellement jusqu’à soixante-dix ans, pour s’assurer un niveau de vie décent, si toutefois ils vivent jusque-là. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Cette disposition doit être replacée dans une évolution globale qui voit s’accroître les inégalités entre ceux que leur état de santé et leurs compétences rendent employables et leur permettent donc de travailler plus longtemps, et les autres, qui devront se contenter de pensions de plus en plus faibles. C’est en cela que cette disposition est inacceptable.

Présenter le départ en retraite comme un libre choix, ce que vous ne cessez de faire, suppose d’organiser avec volontarisme le maintien d’un taux de remplacement élevé pour une retraite à taux plein et non de miser, comme vous le faites trop systématiquement, sur le cumul emploi-retraite ou l’épargne privée.

Dans un contexte où le taux de remplacement n’a cessé de se dégrader depuis la réforme Balladur de 1993, c’est un signal politique inquiétant qui augure mal de la détermination du Gouvernement à faire en sorte que la sécurité sociale continue à garantir à tous les retraités un niveau de vie décent.

Cette évolution à la baisse n’est plus acceptable et il est aujourd’hui urgent de conforter un socle élevé de retraite par répartition qui puisse assurer aux salariés un niveau de vie correct une fois à la retraite, en proportion de leur niveau de vie en activité.

Que l’on arrête de nous faire croire qu’il n’y a point de salut en dehors de la capitalisation et de l’épargne privée !

La crise financière actuelle illustre parfaitement les failles d’un tel système et devrait vous convaincre de la gravité du risque encouru par les pays qui confient le sort de leurs retraités aux fonds de pension et à l’épargne privée.

M. Guy Fischer. Très juste !

M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, la mutation démographique et l’augmentation de l’espérance de vie – inégale selon les catégories socioprofessionnelles – auxquelles nous sommes confrontés exigent une dynamique d’efforts pour faire face à l’augmentation mécanique du nombre d’années passées à la retraite par rapport au nombre d’années passées à cotiser et à produire des richesses.

Cependant, une fois de plus, monsieur le ministre, vous vous trompez de réponse en préférant la dérégulation à la solidarité.

Par cet article, vous prétendez donner de la liberté. Non, c’est tout le contraire !

M. Jean-Louis Carrère. Ils ne savent pas ce que c’est, la liberté ! Ils savent juste en parler…

M. Jean-Pierre Godefroy. Malcolm X résumait en une formule saisissante le sort des esclaves : leur liberté était d’apprendre à aimer leurs chaînes ! C’est ce que vous voulez pour nos concitoyens. En conséquence, vous comprendrez notre opposition résolue à l’article 61. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Nous, nous le voterons !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.

M. Jean Desessard. Je n’aurai pas grand-chose à ajouter aux interventions de mes collègues, tant ils ont exposé clairement les convictions de la gauche sénatoriale, mais, en politique, la répétition est de mise, surtout en l’occurrence, car nous ne rappellerons jamais assez à quel point cet article suscite notre mécontentement.

Près de la moitié des retraités, soit environ 6 millions de personnes, vivent aujourd’hui en France avec une pension inférieure au SMIC. Leur pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader, avec une diminution de plus de 10 % en dix ans.

La revalorisation minimale des petites retraites, de 1,1 % au 1er janvier et de 0,8 % au 1er septembre de cette année, n’a même pas permis de compenser l’augmentation des prix à la consommation de 3,3 % entre juillet 2007 et juillet 2008.

Qu’en est-il de la promesse du Président de la République – on a beaucoup parlé de ses promesses ! – d’augmenter les petites retraites de 25 % avant 2012 ? Aucune des promesses du candidat Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007 n’a encore été tenue,…

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. C’est faux !

M. Jean Desessard. …qu’il s’agisse de l’ouverture des négociations sur la pénibilité du travail,…

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est faux !

M. Jean Desessard. … ou de la réforme des pensions de réversion.

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est faux !

M. Jean Desessard. Quant à la loi Fillon de 2003, elle n’a pas réussi à produire de résultats significatifs.

En effet, son financement n’est pas assuré – le déficit de la branche vieillesse le prouve – et elle n’a pas permis de garantir un niveau de vie décent aux retraités, car elle a pris le sens inverse de ce qu’il fallait faire : au lieu de tout miser sur l’augmentation de la durée de cotisation, il aurait fallu chercher d’autres sources de financement.

Mais le Gouvernement s’entête à appliquer les vieilles recettes, injustes et inefficaces. En effet, vous voulez sans cesse repousser l’âge légal de départ à la retraite, cette limite virtuelle qui, dans les faits, n’est pas appliquée, puisque l’âge moyen de départ à la retraite est toujours de cinquante-huit ans. Au final, tout cela a pour effet non pas d’allonger la durée réelle de cotisation, mais bien de diminuer le montant des pensions dans la mesure où les carrières sont incomplètes.

De ce fait, on comprend encore moins l’utilité du déplafonnement du cumul emploi-retraite. Auparavant, ce cumul était plafonné à 1,6 fois le SMIC, soit environ 2 100 euros. Vous proposez désormais de supprimer toute limitation. À qui cela va-t-il profiter ? Certainement pas à ceux dont les pensions sont trop faibles pour leur permettre de vivre décemment et qui seront donc contraints de trouver un complément de revenu pour arriver à joindre les deux bouts.

La suppression de ce plafonnement va plutôt bénéficier aux cadres retraités qui souhaitent reprendre une activité rémunérée au niveau de leur ancien salaire, lequel dépasse en général largement le plafond des 2 100 euros, auquel s’ajoutera une pension de vieillesse payée par la collectivité.

D’ailleurs, monsieur le ministre, à combien avez-vous chiffré le coût de cette mesure pour la collectivité ?

Dans le texte initial, vous espériez pouvoir supprimer, sans faire de vagues, l’âge légal de mise à la retraite d’office. Mais les députés UMP ont donné l’alerte, bien malgré eux, en votant un amendement visant à ne repousser la limite que jusqu’à soixante-dix ans. L’une comme l’autre de ces propositions sont de mauvaises solutions. On ne peut pas remettre en cause l’âge légal de mise à la retraite d’office à soixante-cinq ans.

Dans la crise actuelle, ce sont les jeunes qui sont les premiers frappés par le chômage et qui ont des difficultés de plus en plus grandes à trouver un premier emploi. Or la baisse du chômage constatée ces dernières années résulte non pas de la politique de la droite, mais seulement de l’effet naturel du départ à la retraite des générations nées pendant les trente glorieuses. (M. Alain Gournac s’exclame.)

En laissant les gens travailler jusqu’à soixante-dix ans, vous empêchez les jeunes d’entrer sur le marché du travail. C’est à la fois injuste et contre-productif.

Et je n’ai pas encore parlé de ce qui n’est pas inscrit dans le texte, mais qui attend immanquablement nos concitoyens en 2009, à savoir l’augmentation de la durée de cotisation à quarante et un ans, que le Gouvernement veut faire passer par décret pour éviter d’avoir à justifier devant le Parlement son refus de trouver de nouvelles recettes pour le régime des retraites.

Ce ne sont pourtant pas les idées qui manquent ici, au Sénat ! Par exemple, nous vous avons déjà proposé de taxer les stock-options, les parachutes dorés, l’intéressement et la participation, mais vous n’avez rien voulu entendre.

M. Jean-Louis Carrère. Eh oui ! Écoutez nos propositions !

M. Jean Desessard. Voilà pourtant des ressources qui permettraient à nos concitoyens de prendre une retraite bien méritée, à soixante ans, avec 37,5 annuités de cotisations, et de laisser la place aux jeunes.

Mais, je le répète, vous préférez continuer avec de vieilles recettes, injustes et inefficaces, plutôt que d’admettre que, dans notre société, il faudrait travailler moins pour vivre mieux, mais aussi diminuer l’exploitation abusive des ressources naturelles.

Monsieur le ministre, on reconnaît la grandeur d’une civilisation à la façon dont elle traite les personnes âgées : ce n’est pas en les forçant à travailler jusqu’à n’en plus pouvoir que vous grandirez notre société ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Vasselle. Il ne s’agit pas de les forcer !

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Travailler jusqu’à soixante-dix ans, voilà bien, mes chers collègues, un réflexe rétrograde, qui, compte tenu de la réalité sociale, est d’ailleurs pris comme une provocation.

Notez bien que les Français ne sont nullement étonnés qu’une telle mesure provienne de cette majorité-là. Cela ne surprend personne, m’a-t-on dit, du côté de la « France d’en bas ». Cette disposition s’inscrit effectivement dans la logique d’un gouvernement qui a lancé un train de mesures plus inquiétantes les unes que les autres, avec la remise en cause des 35 heures, le projet de généralisation du travail le dimanche et les attaques contre le code du travail. Je m’arrête là, mais j’en oublie sûrement !

Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, en fait, vous avez une idée fixe : revenir sur les avancées sociales de ces dernières années, sur les acquis sociaux du gouvernement Jospin et de la majorité plurielle, sur ceux de la période Mitterrand. Allez-vous remonter jusqu’à Léon Blum et au Front populaire ?

M. Guy Fischer. Ils l’ont déjà fait !

M. Roland Courteau. Pousser ainsi les salariés à travailler jusqu’à soixante-dix ans, c’est bien dans la logique de dérégulation du droit du travail que promeut cette majorité. (M. Alain Gournac s’exclame.) Vous reconnaissez ainsi que les pensions, déjà notoirement insuffisantes, le seront de plus en plus.

Alors, votre réponse est simple : vous voulez pousser les salariés à travailler plus, à cotiser plus longtemps, et ce, si nécessaire, jusqu’au quatrième âge !

Tout cela n’est pas sans rappeler un certain slogan. Mais, dans ce cas précis, mieux vaudrait l’adapter à la réalité de demain, car, avec vous, monsieur le ministre, ce sera : « Travailler plus pour vivre moins longtemps » !

Prenez garde, en effet, car cinq années d’activité professionnelle en plus risquent de mettre en péril la progression générale de l’espérance de vie observée depuis vingt-cinq ans, laquelle a été obtenue, en partie, grâce à la conquête de la retraite à soixante ans.

Chacun, ici, sait très bien que l’espérance de vie, dans certains métiers pénibles, est inférieure de dix ans à celle d’autres catégories. Mon collègue Jean-Pierre Godefroy vous l’a parfaitement bien expliqué, un certain nombre de femmes et d’hommes sont usés et cassés dès l’âge de soixante ans.

Monsieur le ministre, chers collègues membres de la majorité, votre stratégie en matière de retraites, celle que vous avez choisie en 2003, repose sur l’allongement de la durée des carrières. Or deux limites d’âge – soixante ans pour le droit de partir à la retraite, soixante-cinq ans pour la mise à la retraite d’office –, avaient tout de même été maintenues en 2003. Cela renforce le caractère rétrograde de la mesure que vous soutenez aujourd'hui !

Certes, le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale ne procède pas à une remise en cause directe de ces seuils, mais convenons qu’il la prépare rudement bien !

Vous nous rétorquerez sans doute que les salariés auront le choix. En réalité, seront-ils si libres que cela face à l’insuffisance des retraites dont ils pourront disposer ?

Là encore, Jean-Pierre Godefroy a été très clair : aujourd'hui, 50 % des retraités perçoivent une pension inférieure ou nettement inférieure au SMIC ; parmi les 13 millions de retraités, un million vivent sous le seuil de pauvreté.

Votre discours est rodé, et vous direz aux salariés qu’ils sont libres, libres de partir à la retraite quand ils le souhaitent. Mais que vaut ce libre choix, cette prétendue liberté, pour le salarié qui sait qu’il va percevoir une pension de retraite de misère ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. En fait, vous allez plutôt dire aux salariés, oui, qu’ils peuvent partir à la retraite quand ils le veulent, mais, attention, que le montant de leur pension dépendra de l’âge de leur départ. C’est ainsi que vous allez procéder !

M. Jean-Louis Carrère. C’est Règlement de comptes à OK Corral !

M. Roland Courteau. Dès lors, l’on mesure mieux ce que vaut réellement ce prétendu libre choix, surtout pour un salarié fatigué, brisé par des années d’un dur labeur, et conscient que sa pension de retraite sera scandaleusement basse. (M. le ministre s’entretient avec un sénateur.)

Monsieur le ministre, vous ne m’écoutez pas, mais, tant pis, je continue !

Mon grand-père maternel est mort usé, brisé, exténué par une vie de travail très dure. Il était alors âgé d’un peu plus de soixante-cinq ans, ce qui était, à l’époque, l’âge légal de départ à la retraite. Il n’a donc profité de sa retraite que durant quelques semaines, et c’était il n’y a pas si longtemps !

M. Jean-Louis Carrère. M. le ministre n’écoute pas !

M. Roland Courteau. Visiblement, monsieur le ministre, ce que je dis ne vous intéresse pas !

M. Alain Gournac. C’est répétitif !

M. Roland Courteau. Quelle sera donc la durée de vie de celles et de ceux qui auront exercé des métiers pénibles jusqu’à soixante-dix ans ?

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, on vous parle !

M. Alain Gournac. Mais ce que vous dites est répétitif !

M. Bernard Frimat. Monsieur le ministre, votre comportement est scandaleux !

Mme Raymonde Le Texier. C’est une stratégie qu’il faut dénoncer !

M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je vous remercie de ne pas m’écouter !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Courteau !

M. Roland Courteau. Monsieur le président, il est vraiment irritant et même décourageant de parler devant un ministre qui ne vous écoute pas !

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est honteux, surtout sur un tel sujet !

M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je vous pose tout de même la question : est-ce si scandaleux que des travailleurs puissent disposer de quelques années de repos ?

M. Alain Vasselle. Mais ils auront le choix !

M. Roland Courteau. En définitive, la seule réponse que le Gouvernement a trouvée face au problème des pensions de retraite insuffisantes, c’est d’inviter les salariés à travailler plus longtemps. Mais s’est-on au moins demandé, au Gouvernement, si tous ces travailleurs en sont encore capables ?

M. Alain Vasselle. Il n’y a rien d’obligatoire !

M. Roland Courteau. Il est très préoccupant aussi que cette mesure fixant à soixante-dix ans au lieu de soixante-cinq ans l’âge au-delà duquel un salarié peut être mis à la retraite d’office nous ait été proposée sans qu’aucune consultation, notamment avec les syndicats, ait été organisée.

Monsieur le ministre, quelle étrange conception du dialogue social !

En fait, un représentant du MEDEF avait vu juste lorsqu’il affirmait que le désordre de la politique gouvernementale n’était qu’apparent puisque, précisait-il, il s’agissait bien, en vérité, de remettre en cause certains des acquis sociaux de ces dernières années. Sans commentaire, monsieur le ministre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne, sur l’article.

M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Roland Courteau vient de le dire, le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale ne modifie pas les seuils. Pour ma part, je comprends tout à fait que ceux qui n’approuvent pas une telle rédaction puissent s’interroger sur les intentions réelles de ses promoteurs.

M. Jean-Claude Etienne. Mais ce ne sont pas sur les intentions que nous sommes appelés à voter, c’est sur le texte ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Permettez-moi de rappeler cette réalité fondamentale, qu’il convient tout de même de prendre en compte : l’espérance de vie évolue, et très vite, ce qui est une chance extraordinaire pour notre société. Les statistiques couramment données en la matière sont les suivantes : quatre-vingt-trois ans, pour les femmes, et soixante-dix-huit ans, pour les hommes. Mais c’est la longévité moyenne qui est calculée ici, c'est-à-dire de la naissance jusqu’au terme de la vie.

Or, au travers de cet article 61, ce qui nous intéresse, c’est l’espérance de vie à partir de soixante ou de soixante-cinq ans. C’est cela qu’il faut prendre en compte.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Jean-Claude Etienne. Sur cette base, on arrive à des chiffres sensiblement différents, qui méritent toute notre attention : pour les femmes, l’espérance de vie passe alors de quatre-vingt-trois à quatre-vingt-sept ans et, pour les hommes, de soixante-dix-huit à quatre-vingt-deux ans.

Autrement dit, aujourd'hui, quand on arrive à l’âge de soixante ou soixante-cinq ans, on a encore devant soi environ un quart de siècle d’espérance de vie.

Dès lors, comment voulez-vous envisager vos projets de vie comme on le faisait il y a quinze ans ? Après tout, il n’est pas illogique de se poser la question, car il n’y a rien d’aberrant à se dire que de nouveaux éléments sont à prendre en compte pour organiser sa vie. Pourquoi ne pourrions-nous pas discuter des nouveaux choix qui nous sont offerts ?

Cela étant, chers collègues de l’opposition, je suis d’accord avec vous sur le maintien des seuils. Sur ce sujet, M. le ministre doit prendre position et s’engager. Il l’a déjà fait, me semble-t-il, mais il serait bon qu’il nous le confirme.

Autre problème : s’il est vrai que l’espérance de vie s’améliore, la question des années supplémentaires réellement vécues en bonne santé reste posée. Sur ce point, je rejoins les sénateurs des différents groupes qui se sont exprimés.

Selon l’étude de l’INSERM, les hommes vivent en moyenne, sans gros ennuis de santé, jusqu’à soixante-huit ans, et les femmes jusqu’à soixante-neuf ans.

Ce travail, mené dans le cadre de l’Observatoire européen des espérances de santé, est fondé sur un questionnaire répertoriant, entre autres, les habitudes de vie quotidienne domestique, de travail et d’activité physique et sportive, définissant ainsi des critères de « bonne santé ».

Selon les conclusions de cette étude, les hommes se jugent en bonne santé jusqu’à soixante-huit ans et les femmes jusqu’à soixante-dix ans.

Au Danemark et au Royaume-Uni, cette moyenne est largement dépassée, atteignant soixante-quatorze ans dans le premier cas et soixante et onze ans dans le second.

En ce sens, vous avez raison, mes chers collègues (Ah !sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) : d’une manière globale, il est courant que les cadres souhaitent prolonger leur activité professionnelle au-delà de soixante ans, alors que, dans le monde ouvrier, au contraire, où la pénibilité de l’activité professionnelle est plus grande, les salariés souhaitent plus souvent mettre fin assez tôt aux contraintes liées à leur activité professionnelle, ce qui est bien normal. Il n’y a là rien d’étonnant au regard de la réalité que nous connaissons tous.

Il est évident que le ressenti personnel de la pénibilité relative de l’activité professionnelle influe considérablement sur l’appréciation de chacun d’entre nous.

Au-delà du risque physique lié aux contraintes professionnelles, il faut également prendre en considération les déterminants psychosociaux de l’individu lui-même. Ainsi, chez certains salariés, l’activité professionnelle reste source de certitudes psychosociales sédatives. Chez d’autres, c’est tout le contraire, et vous avez raison aussi sur ce point, on voit augmenter la fréquence des pulsions et des angoisses, nourries par la perspective d’une fin de vie qui se rapproche inéluctablement.

Nous ne sommes pas encore parvenus à bien typer les paramètres qui constituent les cohortes de personnes susceptibles d’être répertoriées, ce qui permettrait de guider notre choix. Que voulez-vous, mes chers collègues, au moins, là, on ne prétend pas savoir ce que l’on ne sait pas !

À partir du moment où l’on nous aura assurés que les seuils seront maintenus en l’état, alors je rejoindrai Bentham lorsqu’il écrit : « À tout âge, chacun est le meilleur juge de ce qui est bon pour lui ».

Puisqu’il n’est pas question de définir un cadre général qui s’appliquerait à tous, comme une sorte de carcan réglementaire – on sait combien le manquement à ce principe a pu être source de contraintes dans l’histoire des collectivités humaines ! –, nous devons affirmer que le choix doit être laissé à chaque individu de se déterminer librement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article.

Mme Patricia Schillinger. Cet article 61, qui prévoit de supprimer, à compter du 1er janvier 2010, la possibilité pour les employeurs de mettre d’office à la retraite leurs salariés âgés, est l’un des plus scandaleux de ce texte, du fait même de ses non-dits.

À l’Assemblée nationale, les députés ont estimé que la suppression pure et simple de la procédure de mise à la retraite pourrait causer des difficultés pour les entreprises. Ils ont donc voté un amendement laissant la possibilité aux salariés qui le souhaitent de prolonger leur activité au-delà de soixante-cinq ans, dans la limite de cinq années, sous réserve qu’ils en aient préalablement manifesté l’intention auprès de leur employeur. À soixante-dix ans, le salarié pourra être mis à la retraite d’office, comme il l’est aujourd’hui à soixante-cinq ans !

Cette mesure est particulièrement choquante et constitue une provocation de la part du Gouvernement. Les salariés qui le souhaitent pourront désormais travailler jusqu’à soixante-dix ans, mais ne nous y trompons pas : nous savons parfaitement que de moins en moins de salariés auront une retraite suffisante une fois arrivés à l’âge de soixante-cinq ans. Ils devront donc continuer à travailler, voire cumuler emploi et retraite.

Cette possibilité ne doit pas devenir progressivement une obligation.

Selon un sondage de l’Institut CSA, 66 % des Français considèrent le fait de « permettre aux salariés qui le souhaiteraient de travailler jusqu’à soixante-dix ans » comme « une mauvaise chose, parce que cela entraînera, à terme, la remise en cause de l’âge légal de départ à la retraite ».

Ainsi, l’argument du « libre choix », appliqué par le Gouvernement et les députés UMP, ne passe pas. Les Français ne sont pas dupes ! Nous savons bien que c’est la porte ouverte à toutes les dérives et que, demain, on demandera à tout le monde de travailler jusqu’à soixante-dix ans !

Selon le Gouvernement, la solution miracle est de « travailler plus » ou « toujours plus » ! Après la fin des 35 heures, les heures supplémentaires, le travail le dimanche et les quarante et une annuités, il décide maintenant de passer l’âge de la retraite à soixante-dix ans ! Où va-t-on ?

Quant au dossier de la pénibilité, il est toujours au point mort, alors que de nombreux salariés usés par des travaux pénibles attendent, eux, leur départ en retraite anticipée.

Certains salariés, comme les maçons, usés par la pénibilité de leur travail au terme de quarante ans d’activité, ont besoin d’une retraite, et à taux plein ! Cette pénibilité physique existe aussi pour ceux qui travaillent sur des chaînes de montage et n’en peuvent plus dès l’âge de quarante ans. Il est nécessaire de leur proposer une mesure de justice, car on observe de véritables inégalités sociales en ce qui concerne l’espérance de vie. En effet, celle d’un ouvrier est en moyenne inférieure de sept ans à celle d’un cadre.

Monsieur le ministre, où en êtes-vous avec la pénibilité ? Quand on analyse ce texte, on a envie de vous demander : à part la précarité, que proposez-vous ?

Et tout se fait sans la moindre concertation ni le moindre dialogue social avec les partenaires sociaux, comme je l’ai relevé à plusieurs reprises au cours de nos débats.

Oui, monsieur le ministre, il aurait fallu un vrai débat, au lieu de négocier sur un coin de table !

Comment un gouvernement qui ne cesse, dans ses discours, de prôner les vertus du dialogue social, peut-il faire voter à la sauvette un amendement d’une telle importance ?

Pourquoi cette mesure, alors que nous sommes en période de crise ? Chacun sait que le taux d’emploi des seniors âgés de cinquante-cinq à soixante-quatre ans n’est que de 37,8 % en France, contre 42,5 % en moyenne en Europe, et que seulement 10 % des personnes âgées de soixante à soixante-cinq ans sont encore en activité.

Les plus de cinquante ans peinent à retrouver du travail et les moins de vingt-cinq ans ne peuvent accéder à l’emploi. Alors, encore une fois, pourquoi une telle mesure ? La seule explication possible semble être la volonté de retarder le paiement des retraites !

Cet article pose un autre problème. Il remet en cause le principe de solidarité intergénérationnelle, en vertu duquel les salariés travaillent et cotisent avant l’âge de la retraite pour financer les retraites à taux plein de leurs aînés.

Selon ce principe, ce n’est sûrement pas aux anciens de continuer à travailler au-delà de soixante-cinq ans pour financer les allocations versées aux jeunes chômeurs en recherche d’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)