Mme Nicole Bricq. … ce qui pèse sur les comptes publics. Ceux-ci ne feront que se dégrader, comme nous le constaterons lorsque nous examinerons le collectif budgétaire de fin d’année. Ce texte constitue donc bien une loi de finances rectificative.

Néanmoins, je centrerai, moi aussi, mon intervention sur l’article 6 du projet de loi, qui nous conduit à poser plusieurs questions relatives tant au mécanisme d’appel en garantie qu’à l’impact de ces mesures sur les finances publiques.

L’appel en garantie de l’État sera-t-il ou non comptabilisé dans la dette publique au sens des critères de Maastricht ? Ce débat est peut-être superficiel ; il n’en reste pas moins qu’à l’Assemblée nationale, cela ne m’a pas échappé, le ministre chargé des comptes publics a utilisé le conditionnel : l’appel en garantie de l’État « devrait » être comptabilisé hors dette publique. Quoi qu'il en soit, c’est une certitude, il n’améliorera pas la situation de nos finances !

Monsieur le rapporteur général, je sais que vous vous en remettez sur ce point à Eurostat.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, ce problème m’est indifférent, car cela ne change pas la réalité !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La seule chose qui compte, c’est la réalité !

Mme Nicole Bricq. Nous sommes d'accord ! Mais la réalité, c’est que nos finances sont déjà très dégradées et que l’accroissement de la dette pèsera énormément sur le service de celle-ci – c’est d'ailleurs déjà le cas – et nous privera de toute marge de manœuvre pour soutenir les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales dans la récession qui est déjà perceptible.

Nos interrogations portent aussi sur les garanties qui seront apportées par l’État au refinancement des banques. L’article 6 du projet de loi évoque les fameuses conventions qui seraient signées entre l’État et les établissements faisant appel à cette garantie. Or ces dispositions nous posent véritablement un problème.

En effet, ces conventions seraient assorties de « conditionnalités », pour reprendre le terme que vous avez utilisé, monsieur le rapporteur général, qui porteraient sur l’éthique et sur la destination de ces liquidités, afin de soutenir l’économie réelle. Il ne vous aura pas échappé, mes chers collègues – et M. le rapporteur général nous l’a rappelé tout à l'heure –, que ce texte porte dans son titre non pas seulement la mention de « projet de loi de finances rectificative », mais aussi celle de « financement de l’économie ».

En ce qui concerne les conditions liées au respect de règles éthiques – un point qui est tout de même essentiel –, pensez que nous parlons de centaines de milliards d'euros ! Or, quand un particulier, une entreprise ou une collectivité territoriale négocie un crédit, on lui demande d’apporter un certain nombre de garanties ; et le prêt n’est pas accordé facilement, surtout dans la période actuelle.

J’ai bien écouté tout à l'heure Mme Lagarde : comme elle l’avait d'ailleurs déjà fait auparavant, elle a affirmé que la convention renverrait à un code de bonne conduite (M. le secrétaire d'État manifeste son désaccord), qui pourrait être celui qui a été proposé par le MEDEF.

Souffrez, monsieur le secrétaire d'État, que nous préférions un mécanisme législatif ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ici même, depuis des mois, nous ne cessons de vous proposer de limiter les rémunérations indirectes, comme les stock-options, les parachutes dorés et les « retraites-chapeau », et jamais vous ne nous avez écoutés ! Nous en tirons la conclusion que vous ne souhaitez pas inscrire une telle mesure dans la loi. Si vous voulez l’inclure dans les conventions, pourquoi ne pas le faire dès maintenant ?

De notre côté, nous utiliserons la première ou la deuxième niche parlementaire qui sera réservée au groupe socialiste afin de déposer une proposition de loi relative à la rémunération des dirigeants, car la situation actuelle ne peut perdurer.

Certains pays – j’attire votre attention sur ce point, mes chers collègues – ont déjà adopté de telles dispositions. Et quand on observe les plans d’action concertés qui sont engagés en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, on constate que les conditionnalités imposées aux banques sont beaucoup plus strictes que celles qui nous ont été annoncées par Mme la ministre de l’économie. Par exemple, nous savons que le Parlement néerlandais a légiféré dès le mois de septembre dernier afin de limiter les rémunérations des dirigeants, et qu’il a utilisé précisément l’outil de la fiscalité. Nous devons adopter une mesure de ce genre et nous ferons une proposition en ce sens, comme vous auriez pu le faire depuis longtemps !

L’autre condition porte sur l’orientation de ces liquidités vers l’économie réelle. Toutefois, disons-le, rien dans la rédaction qui nous est proposée ne va en ce sens : nous n’avons que l’engagement verbal que ces liquidités iront effectivement aux ménages, aux entreprises et aux collectivités territoriales.

Ce matin même, en compagnie de notre collègue Jean-Jacques Jégou, j’ai participé à un petit-déjeuner avec la Fédération bancaire française : pour l’instant, nous ne disposons d’aucune garantie écrite, ce qui nous conduira lors de la discussion des articles à proposer plusieurs amendements.

En effet, nous ne voulons pas seulement que les commissions des finances des assemblées soient associées à la rédaction des conventions types qui seront déclinées ensuite pour chaque établissement. Nous souhaitons aussi – et je crois, si j’ai bien écouté votre discours d’hier, monsieur le président, que vous serez sensible à cette préoccupation – que l’opposition ne soit pas mise à la portion congrue dans le contrôle que le Parlement doit exercer sur ces conventions.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous les contrôlerons ensemble !

Mme Nicole Bricq. Il s'agira là d’un premier gage de votre bonne volonté, qui orientera la suite des débats menés entre l’opposition et la majorité.

En effet, nous sommes particulièrement sceptiques quant aux codes de bonne conduite généraux et aux conventions particulières qu’ils inspireraient.

Nous nous interrogeons aussi, comme l’a fait ce matin notre collègue Alain Lambert, dont nous aurions pu reprendre les propos à notre compte, sur ce que j’appellerai la « condition de territorialité ». À quel type d’établissements s’appliqueront ces conventions ? En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, les établissements bancaires qui se trouvent présents en France sont soit des filiales de grands groupes, soit des sociétés qui possèdent elles-mêmes des filiales, y compris dans des paradis fiscaux.

Or un grand groupe dont une filiale est implantée dans un paradis fiscal ou un établissement qui serait lui-même la filiale d’une société ayant son siège dans un tel pays auront-ils accès à ces financements s’ils les sollicitent ? Il s'agit là, me semble-t-il, d’une question importante.

Nous nous interrogeons également sur les actifs qui seraient apportés par les établissements ayant accès à la caisse de refinancement. On nous a affirmé que ces actifs devraient être « de qualité », ce qui nous amène à vous poser deux questions, monsieur le secrétaire d'État.

Tout d'abord, qu’appelle-t-on un « actif de qualité » à l’heure où les banques affirment ne pas forcément connaître tous les titres qu’elles détiennent en portefeuille, compte tenu des « pilules toxiques » qui ont irrigué l’ensemble de la finance mondiale ? Y a-t-il une liste de ces valeurs ?

Ensuite, s’il existe de bons actifs, il en reste de mauvais. Où sont-ils ? Cette mesure ne va-t-elle pas entraîner une dégradation de la cotation de l’établissement et, partant, de son accès au marché des capitaux ?

Nous nous interrogeons sur la gouvernance, sur le rôle que la Banque de France ou la Commission bancaire seraient appelées à jouer, et que vous devez clarifier, monsieur le secrétaire d'État.

Quelle sera la place de l’État ? Selon nous, il doit être très présent, car l’expérience montre qu’on ne peut s’en remettre aux seuls acteurs de marché.

Nous nous interrogeons enfin sur le vingtième alinéa de l’article 6, qui prévoit un cas de « super-urgence », dans lequel le ministre chargé de l’économie et des finances peut agir seul, immédiatement, sans passer par le mécanisme quelque peu complexe prévu par la loi. Cette clause de « super-urgence » peut parfaitement se comprendre compte tenu de la nécessité de faire face à la crise, mais elle n’est nullement encadrée et nous ne disposons d’aucun élément concernant sa mise en œuvre.

J’en arrive à ma conclusion. Monsieur le secrétaire d'État, allons-nous enfin être entendus quand nous soulignons qu’« il est temps de remettre l’économie dans le bon sens », une expression que j’emprunte à M. Michel Camdessus et qui se trouve dans un très intéressant entretien qu’il a accordé aux Échos. Voilà tout de même un an et demi que nous vous le répétons, et jusqu’à présent, nous n’avons pas été entendus !

Certes, l’urgence est financière. C’est vrai, sans financement, il n’y a pas d’économie. Mais la crise économique qui était déjà latente est désormais patente, et nous allons vers la récession.

La Commission européenne a revu de moitié les prévisions de croissance de la zone euro, notre pays traverse – ce n’est d'ailleurs pas une nouveauté – une grave crise sociale. Or vous ne changez rien aux choix que vous avez opérés voilà dix-huit mois. Aucune annonce ne nous donne à penser, non pas que vous allez renier ce que vous avez fait – vous aviez pris des engagements, nous le comprenons, et vous suiviez votre logique –, mais que cette crise sert au moins à rectifier les erreurs qui ont été commises.

Monsieur le secrétaire d'État, on ne peut pas continuer de cette façon ! Voilà dix-huit mois que, de loi de finances en projet de loi, vous persistez dans cette voie. J’ai encore dans les oreilles notre discussion du mois de juillet dernier sur la loi de modernisation de l’économie. Vous nous proposiez à cette époque, qui n’est pas lointaine, un texte visant, selon vous, à « libérer les énergies ». (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. On peut en parler !

Mme Nicole Bricq. Rappelez-vous, c’était là votre expression fétiche ! Et la place financière de Londres était sans cesse votre référence. Vous affirmiez que la place de Paris devait la concurrencer.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Grâce à la crise, ce sera encore plus le cas !

Mme Nicole Bricq. Toutes les mesures que vous avez votées, et que nous avons combattues, sur l’attractivité, la défiscalisation et l’encouragement aux hauts revenus ne visaient que cet objectif.

M. François Marc. De même que le bouclier fiscal !

Mme Nicole Bricq. Quand le Premier ministre, voilà quelques jours, nous a appelés à l’union nationale et en a appelé à notre sens du devoir, …

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il avait raison !

Mme Nicole Bricq. … n’était-ce pas une défense, ne s’agissait-il pas de masquer votre responsabilité, votre défaillance à répondre à la fois à la crise économique et à l’urgence sociale ?

M. Robert Badinter. Très bien !

Mme Nicole Bricq. Nous reconnaissons qu’il y a urgence à légiférer. Mais bien des questions restent pendantes au moment où vous nous demandez de nous prononcer sur ce projet de loi de finances rectificative.

J’ai entendu dire que, dans la majorité, vous vous plaigniez de notre comportement : « Les socialistes, on ne sait jamais ce qu’ils pensent ! Ils vont s’abstenir au Sénat comme ils l’ont fait à l’Assemblée nationale ! » Eh bien, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si je ne vous ai pas permis de comprendre les raisons pour lesquelles nous nous abstenons alors que nous saluons ce plan d’urgence, c’est que nous peinons vraiment à nous faire entendre de la majorité et du Gouvernement. Écoutez-nous, et tout ira bien mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aborderai la discussion de ce texte de la façon la plus humble qui soit : d’éminents spécialistes ayant détaillé avant moi l’historique de la crise que nous traversons et toutes les mesures qui nous sont proposées, je me bornerai à expliquer pourquoi le plan qui nous est soumis semble bon au groupe de l’Union centriste.

Les grands techniciens de la finance sont probablement quelque peu responsables de la chute qui nous a entraînés dans le gouffre que nous savons. Cette crise financière sans précédent, qui a conduit au blocage du système de financement de l’économie réelle, est avant tout due à la « surtechnicisation » de l’économie financière.

Il est tout de même permis de s’interroger : pourquoi Dexia, banque chargée du financement des collectivités locales en Belgique et en France, est-elle allée acheter au fin fond des États-Unis une banque chargée du crédit hypothécaire ? (M. Jean-Claude Peyronnet applaudit.) À chacun son métier ! Or des produits financiers de plus en plus sophistiqués ont été inventés sans que personne ne sache avec exactitude en quoi ils consistaient, ni ce qu’ils représentaient, non plus que ce qu’étaient leurs liens avec l’économie réelle.

Après le blocage de l’économie financière est donc très naturellement survenu celui de l’économie réelle. C’est pourquoi, en participant, à la place qui est la nôtre, à la réalisation du plan que le Gouvernement nous soumet, nous avons le souci non pas seulement de l’économie financière, mais aussi de l’économie réelle. Le blocage du marché interbancaire, qui est au cœur de la crise, signifie le passage de la crise financière à la crise économique.

Tout au long de ces derniers jours, nous avons assisté à une crise systémique : les choses chancelaient les unes après les autres, sans que nul ne puisse enrayer ce processus.

Plusieurs plans nationaux se sont succédé. Les responsables américains ont présenté le plan Paulson – sûrement très bon –, qui, bien que doté d’un nombre impressionnant de milliards de dollars, n’a à peu près rien résolu.

Il en va exactement de même pour les solutions strictement nationales mises en œuvre en Europe. L’échec du plan allemand en est la preuve.

Ce qui nous semble très intéressant, c’est la mise en œuvre d’une solution coordonnée au niveau européen : elle a été de nature sinon à arrêter la crise financière, du moins à nous permettre d’en sortir.

Monsieur Gouteyron, je comprends qu’il vous soit un peu difficile d’admettre ce caractère européen (M. Adrien Gouteyron le conteste), mais le plan est européen, et c’est parce qu’il est européen qu’il a réussi.

M. Jean-Pierre Chevènement. L’Europe des nations !

M. Michel Mercier. Je m’exprime au nom d’un groupe qui croit à la construction européenne et qui ne prône donc pas l’effacement des États et des nations. Deux exemples extrêmement différents et intéressants – celui du conflit en Géorgie et celui de la crise financière que nous venons de vivre – prouvent que le seul cadre pertinent d’action est le cadre européen : un État qui agit seul ne peut pas réussir et, a contrario, des États qui œuvrent de concert dans le cadre européen peuvent trouver une solution.

Cette relance de l’Europe, qui a su se faire entendre, notamment face aux États-Unis, et montrer ce qu’elle sait faire, nous redonne espoir.

Je sais que la crise n’est pas terminée ; je sais que les difficultés techniques dues à la vente de produits tellement alambiqués qu’ils se sont révélés n’être que des coquilles vides, ce qui a encore fait grimper leur prix, va perdurer pendant de nombreux mois encore. Ce qui nous redonne espoir, c’est cette action que les États européens ont su mener ensemble, qu’il s’agisse du G4, du G7, de l’Eurogroupe ou des Vingt-Sept.

Cette réunion des États dans le cadre européen est probablement la meilleure façon de relancer l’Europe, de lui permettre de s’exprimer et, de ce fait, de redonner l’espoir aux citoyens français, comme à l’ensemble des citoyens européens.

Nous avons ainsi assisté à l’avènement d’un mode de gouvernance européenne extrêmement intéressant.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Michel Mercier. L’Europe, désormais, répond aux situations de crise et s’affranchit de ses propres procédures. C’est là quelque chose de fondamental. L’Europe a prouvé qu’en cas d’urgence elle était capable de trouver en elle-même les ressources pour aller à l’essentiel, sortir de la crise, en dépassant ses règles et ses procédures, qui nous ont tellement fâchés avec la construction européenne. Voilà ce que nous avons vu cet été et cet automne.

Nous avons assisté, ces derniers jours, à l’émergence, à côté de l’euro, d’un gouvernement économique européen, émergence que, ici même, nous avions si souvent appelée de nos vœux.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !

M. Michel Mercier. Nous la devons aussi – il faut le reconnaître, même si ce n’est pas mon style de faire ce genre de compliment – au Président de la République, qui préside l’Union européenne.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Michel Mercier. Il faut savoir dire les choses telles qu’elles sont si l’on veut que des améliorations s’ancrent dans la réalité.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !

M. Michel Mercier. Nous aurons, demain, encore beaucoup de pain sur la planche. Si la crise financière a quelque chose d’artificiel, la crise économique est, elle, bien réelle et va peser sur les citoyens, notamment les épargnants, les déposants et les petites et moyennes entreprises – ce sont eux qu’il nous faut aider et sauver –, ainsi que, plus largement, sur toute notre économie.

La relance de l’économie ne pourra se faire, elle aussi, qu’au niveau européen, voire mondial. Élaborer un nouveau système financier, renforcer la régulation et favoriser le retour des politiques est fondamental.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est très technique, nous l’avons vu, mais, au-delà de ce caractère technique, il fait partie d’un plan global.

Selon le groupe de l’Union centriste, si tel ou tel point de ce projet de loi peut, techniquement, être repris – certains des problèmes que Mme Bricq a abordés sont effectivement susceptibles de susciter des interrogations –, il n’en demeure pas moins que ce qui est essentiel et va expliquer notre souhait d’un vote conforme, c’est que ce texte fait partie d’un plan coordonné à l’échelon européen et qu’en modifier un seul point conduirait à le remettre en question tout entier.

M. Jean-Pierre Bel. Pas du tout !

Mme Nicole Bricq. Les remèdes diffèrent d’un pays à l’autre !

M. Michel Mercier. Notre groupe accordera donc toute sa faveur à ce texte, maillon du plan européen qui a été élaboré à Paris et qui sera confirmé lors du Conseil européen qui se tient aujourd’hui et demain. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’y a pas quinze jours, nous avions demandé au Président du Sénat l’organisation dans les délais les meilleurs d’un débat sur la grave crise financière que connaît le système bancaire international.

Nous voici aujourd’hui, après de nombreuses péripéties, appelés à examiner un projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie : le Gouvernement vient donc de se rendre compte qu’un projet de loi était nécessaire, alors que qu’un simple débat sans vote semblait suffisant la semaine dernière.

Dès que le dépôt de ce projet de loi a été annoncé, les appels à l’unité nationale se sont faits pressants, le Gouvernement espérant que Sénat et Assemblée nationale voteraient d’un même élan unanime le texte qui nous est présenté.

Chers collègues, il ne faut pas compter sur nous pour donner un chèque en blanc à ceux-là mêmes qui ont provoqué la situation de crise que nous connaissons. L’union nationale ne peut se faire autour des recettes libérales qui sont à la racine même de la crise.

Dans le débat, certains ont avancé des propositions surprenantes, le président de l’Assemblée nationale allant jusqu’à appeler à l’amnistie fiscale des fraudeurs spécialistes de la fuite des capitaux.

M. Guy Fischer. C’est scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vraiment la meilleure !

M. Bernard Vera. Cette étonnante proposition, ce coup d’éponge sur la délinquance financière de haut vol, prétendument destiné à cimenter l’unité nationale, a profondément choqué, comme choque d’ailleurs le présent texte. N’oublions pas que ce dernier est un collectif budgétaire et que le valider revient aussi, de fait, à valider la traduction des choix budgétaires du Gouvernement depuis 2007 – paquet fiscal de la loi TEPA, bouclier fiscal, par exemple – et à valider l’option d’austérité qui la sous-tend.

Ainsi, l’article 2, notamment, vise à consacrer l’aggravation du déficit des comptes publics. Le déficit de l’État approche les 50 milliards d’euros. À ces 50 milliards d’euros de déficit de l’État s’ajoutent plus de 10 milliards d’euros de déficit de la sécurité sociale et plus ou moins 50 milliards d’euros de déficit de notre commerce extérieur : beau bilan, au bout d’un an et demi, à mettre à l’actif d’un Gouvernement grâce auquel, en effet, « tout devient possible »… surtout le pire !

Les sommes en question sont très importantes, mais finalement, ne faudrait-il pas les relativiser ?

En effet, quand on est prêt à mettre 360 milliards d’euros, levés sur les marchés financiers, là où se développe le cancer de la spéculation, pour sauver la cause perdue de l’impéritie bancaire, tout devient très vite relatif.

L’aggravation de la situation économique n’est pas seulement liée au yoyo du CAC 40, et cela fait déjà longtemps que l’économie boursière s’est éloignée de l’économie réelle, cette économie boursière où les indices se nourrissent de rumeurs, de bruits de couloir et de spéculations diverses, où les valeurs progressent à la faveur des plans de licenciement et de l’attente de dividendes sans cesse accrus. Elle est d’abord et avant tout une réalité, traduite en termes de récession économique, en chute de l’emploi salarié, en ralentissement des investissements.

Où sont passés les communiqués victorieux sur la croissance dont nous avons été abreuvés en début d’année ? Où sont passés les discours fustigeant le pessimisme des conjoncturistes de l’INSEE ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Tout va bien », disait Mme Lagarde !

M. Bernard Vera. Les banquiers ont leur part de responsabilité dans cette situation, avec leur fâcheuse habitude de refuser aux entreprises les crédits dont elles ont besoin pour faire face à leurs coûts d’exploitation, pour financer leurs investissements et penser à leur développement.

Combien de dépôts de bilan, de procédures collectives diverses, de licenciements, de missions d’intérim interrompues, derrière la « bonne volonté » de nos établissements de crédit, dont le Gouvernement et la majorité applaudissent par ailleurs les résultats ?

Nos banques ne seraient pas trop exposées à la crise, selon le Gouvernement. Et pour cause : le coût du crédit aux entreprises s’est redressé, sans parler de celui des crédits accordés aux ménages.

Les fonds propres des banques françaises sont plutôt dans le vert, même lorsque leur valeur boursière chute, parce qu’emprunter est toujours plus cher pour les entreprises et pour les particuliers.

Tout cela a une traduction budgétaire immédiate : ce sont les moins-values fiscales que consacre le présent projet de loi, pour 5 milliards d’euros ; c’est la hausse de 4 milliards d’euros du service de la dette ; ce sont les 7 milliards d’euros de plus que l’État va devoir consacrer aux remboursements et dégrèvements d’impositions diverses.

La bonne santé de nos banques, c’est donc aussi le déficit budgétaire !

De plus, comme il faut, dans ce contexte, tenir les critères de Maastricht et de Lisbonne, 300 millions d’euros de dépenses sont annulés.

Pour le Gouvernement, il paraît donc préférable de dérouler le tapis rouge sous les pieds des spéculateurs financiers plutôt que de financer, ici, les transports en commun en site propre, là, des constructions de logements sociaux, ailleurs, la formation supérieure de notre jeunesse !

M. Bernard Vera. Ce sont ces champs d’intervention de l’État qui sont, une fois encore, frappés par la régulation budgétaire.

De la même manière, l’article 4 du présent texte consacre le report d’un prêt d’environ 1,5 milliard d’euros à la Côte d’Ivoire. Faut-il en conclure que la coopération internationale et l’aide au développement passent après la stabilisation des marchés financiers ?

Venons-en maintenant à ces fameux 360 milliards d’euros prévus à l’article 6.

Les chiffres donnent le vertige, ou le tournis, mais osons quelques comparaisons : 360 milliards d’euros, c’est dix fois le montant du programme de rénovation urbaine de l’ANRU (Mme Annie David s’exclame), trente fois le montant du budget de la solidarité qui paie les minima sociaux, cent fois le montant du plan Pécresse pour les universités. (Mme Christiane Hummel exprime son désaccord.)

Ainsi, alors que l’on nous dit depuis des années que les grands équilibres budgétaires ne permettent pas de consacrer, ici, 100 millions d’euros, là, un milliard d’euros, pour satisfaire les besoins sociaux, voici que l’on est prêt à engloutir 360 milliards d’euros pour sauver les banques qui ont spéculé impunément.

Et par quel biais le fait-on ? Tout simplement, en créant deux structures, l’une de refinancement, l’autre de capitalisation, dont l’État va garantir l’intervention.

Ces deux sociétés ont des fonctions différentes. J’évoquerai surtout ici le cas de la première.

Cette structure est une sorte de lessiveuse à crédit bancaire, et, comble du paradoxe, pour ne pas risquer de voir son endettement figurer dans la dette publique au sens européen du terme, voici que son capital sera majoritairement détenu par les banques elles-mêmes.

En définitive, c’est une banque que l’on nous appelle à créer.

Car, enfin, une société de refinancement qui lève des ressources sur les marchés financiers, à titre onéreux, et qui prête aux établissements de crédit suffisamment solvables, moyennant une marge d’intermédiation, qu’est-ce que c’est ? Une banque, évidemment !

Cette « banque », majoritairement détenue par les auteurs de la crise financière eux-mêmes, lève des ressources sur les marchés, sans doute à un taux proche du taux directeur actuel de la BCE, cette même BCE qui veille à la stabilité des prix et qui propose un taux directeur supérieur de trois points, donc quatre fois plus élevé que le taux de croissance de la zone euro.

La « banque des banques » prête aux banques, lesquelles, compte tenu de leur obligation de reconstituer leurs fonds propres à la suite de leurs mésaventures hypothécaires américaines, en profitent pour en rajouter en termes de taux d’intérêt.

Qu’est-ce que cela va changer pour les PME qui se feront prêter de l’argent par les banques disposant de ressources « garanties » par l’État ? Eh bien, rien, ou presque, en termes de taux d’intérêt : l’application du texte dont nous débattons ne manquera pas de conduire aux mêmes résultats sur le moyen terme.

À la vérité, adopter ce collectif budgétaire, dans cet état de fait, conduira à jeter par les fenêtres des milliards d’euros et à constater sur deux ou trois ans une dégradation sensible de la situation économique réelle du pays.

Derrière ce collectif budgétaire et le plan de sauvetage des banques, il y a des milliers de chômeurs en plus, il y a des investissements en panne, il y a encore et encore des difficultés accrues pour les salariés, les retraités et leurs familles !

La récession est déjà là, après deux semestres de régression du PIB, et le texte plie à la seule volonté des marchés financiers l’ensemble de la sphère sociale.

On ne peut se contenter, comme le fait le Gouvernement, de boucher en catastrophe les trous qui se multiplient, sans remettre en cause l'ensemble de la construction bancaire.

Il ne s’agit pas d’éponger, aux frais des contribuables, l’ardoise des spéculations pour repartir sur la même base, avec des critères de crédit identiques. C’est à une refonte du système qu’il faut s’attaquer.

Mes chers collègues, le peuple de France a assez subi. Il est grand temps de changer les règles du jeu. Nous ne voterons pas ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)