M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l'amendement n° 38 est-il maintenu ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 38 est retiré.

Monsieur Bret, l'amendement n° 56 est-il maintenu ?

M. Robert Bret. Il est également retiré, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 56 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 39 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 57 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 462-11 du code pénal.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 39.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le nouvel article 462-11 du code pénal pose le principe que n’est pas constitutif d’un crime de guerre le fait, pour la France, de recourir à l’arme nucléaire ou à toute autre arme qui n’est pas interdite par une convention à laquelle la France est partie.

Cet article n’a d’autre objet que de rendre licite, dans notre droit interne, une question qui fait l’objet d’un débat encore brûlant à l’échelon du droit international, y compris dans la doctrine.

Permettez-moi de rappeler le contexte juridique international lié à cette question.

Saisie par l’Assemblée générale des Nations unies, la Cour internationale de justice a rendu le 8 juillet 1996 un avis sur cette question simple : la menace de l’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires est-il licite au regard du droit international ?

Après avoir précisé que la menace de l’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires est généralement contraire aux règles du droit international général, c’est-à-dire aux articles 2 et 51 de la Charte des Nations unies, ainsi qu’au droit international des conflits armés et au droit conventionnel, c’est-à-dire aux traités de non-prolifération, la Cour internationale de justice, dans son avis, a pourtant répondu ainsi à la question qui lui était posée : « Au vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause. »

De cette conclusion confuse, les puissances possédant l’arme nucléaire ont conclu à la licéité du recours à l’arme nucléaire dans cette circonstance de légitime défense.

En d’autres termes, ces États, dont la France, en ont conclu que s’il n’existe pas de règle explicite interdisant la menace du recours à l’arme nucléaire, ce dernier est permis en vertu du principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.

La réaction du Quai d’Orsay ne s’est pas fait attendre, puisque, le 8 juillet 1996, un communiqué interprète ainsi l’avis rendu par la Cour : « La Cour reconnaît que l’emploi ou la menace de l’emploi de l’arme nucléaire peuvent être licites dans des circonstances exceptionnelles qui relèvent de la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies. »

La France a converti l’avis de la Cour internationale de justice, qui constituait une absence de réponse, en reconnaissance de la licéité de la menace de l’emploi ou de l’emploi de l’arme nucléaire en situation de légitime défense.

En résulte le nouvel article 462-11 du code pénal inséré dans le présent projet de loi, qui vise à codifier mot pour mot la position de la France, j’y insiste, et non l’état du droit international en la matière, car cette question, qui fait encore débat au regard du droit international, n’a pas été tranchée sur le plan juridique. Il est donc très malvenu de le faire dans le cadre de notre code pénal.

D’abord, cet article fait dire à l’avis de la Cour internationale de justice ce qu’il n’a pas dit.

Ensuite, cette question de la licéité relève non pas du droit pénal interne, mais du droit international, qui lui est supérieur.

Une codification ne doit avoir pour effet ni de priver le droit international de son effectivité ni de codifier une position politique de la France.

Soit on codifie des règles existantes et reconnues du droit international – c’est le cas pour une grande partie du projet de loi –, soit on codifie de manière aléatoire, en fonction de considérations politiques – c’est le cas pour l’article 462-11.

Il convient donc de laisser cette question à l’appréciation de la Cour internationale de justice et aux instances internationales, plutôt que de chercher à tout prix à obtenir une validation de cette règle en droit interne.

Pour l’heure, le consensus n’existe pas. D’ailleurs, dans cet avis de la Cour internationale de justice, seuls trois juges considèrent que la menace de l’emploi ou l’emploi de l’arme nucléaire est conforme au droit international, alors que cinq sont d’opinion contraire : c’est ce que nous apprend la lecture des opinions individuelles et dissidentes jointes à l’avis.

Il ne faut pas confondre, en effet, politique et droit, notamment droit international. Cette question est éminemment conflictuelle : sa résolution n’a pas sa place dans le code pénal. Laissons l’ordre juridique international régler ce problème et décider, le moment venu, si oui ou non l’emploi de l’arme nucléaire dans la circonstance de légitime défense est licite au regard du droit international.

L’amendement n° 39 vise donc à supprimer le nouvel article 462-11 du code pénal, qui procède à la codification d’une règle inexistante en droit international. En la circonstance, le silence ou les « errements » du droit international ne doivent pas avoir pour effet de donner à la France un blanc-seing en la matière.

Ne faisons pas dire aux conventions de Genève et à ses protocoles ce qu’ils ne disent pas. Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale, notamment sur cette question de l’arme nucléaire ou sur celle de la légitime défense préventive.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 57.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La question soulevée est tout à fait d’actualité, compte tenu de l’évolution des conceptions de la défense préventive.

L’article 462-11 vise à exclure du champ des crimes ou des délits de guerre l’utilisation par notre pays, en cas de légitime défense, de sa force de frappe nucléaire ou de toute autre arme dont l’utilisation n’est pas prohibée par une convention internationale que nous avons signée.

À mes yeux, l’introduction de cette disposition permet d’invoquer la légitime défense pour constituer un principe absolu d’immunité pénale, et ce quelle que soit la nature de l’arme utilisée.

Nous sommes fortement opposés à cette disposition, pour deux raisons.

La première est une raison de forme.

En effet, comme l’avait à juste titre relevé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, autorité incontestée en la matière, cette disposition risque d’introduire une confusion des genres entre les cas dans lesquels il serait admis de recourir aux armes nucléaires et les comportements interdits pendant un conflit. La distinction bien connue des juristes entre le jus ad bellum et le jus in bellum pourrait ainsi s’estomper.

La seconde raison concerne le fond.

Comment définir avec précision la légitime défense alors que notre doctrine d’emploi de l’arme nucléaire évolue depuis quelques années ? Celle-ci reposait, en effet, sur la notion de dissuasion dite « du fort au faible », qui sous-entendait que l’on n’ait pas à se servir de ce type d’arme.

Cependant, en janvier 2006, dans un discours prononcé à Brest, le Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, avait modifié les hypothèses d’emploi des armes nucléaires en élargissant la définition des « intérêts vitaux » du pays et en autorisant l’utilisation de ces armes sur les « centres de pouvoir » d’États liés à des mouvements terroristes.

Ces orientations ont été confirmées, depuis, par l’actuel chef de l’État. Dans ces conditions, la notion de légitime défense change de signification.

Pour cet ensemble de raisons, je vous demande d’adopter cet amendement, ce qui empêcherait que la légitime défense ne soit considérée comme un principe absolu d’immunité pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements identiques ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je ne veux pas faire de politique militaire, mais ces deux amendements visent tout simplement à remettre complètement en cause notre politique de défense et notre stratégie de dissuasion.

L’article 462-11 vise à exclure du champ des crimes ou des délits de guerre le fait, pour la France, d’user de l’arme nucléaire ou de toute autre arme dont l’utilisation n’est pas prohibée par une convention internationale à laquelle la France est partie, dès lors que cela est lié à l’exercice de la légitime défense.

Cette disposition est d’ailleurs conforme à la déclaration interprétative faite par la France lors du dépôt de son instrument de ratification afférent à la convention de Rome.

Elle paraît pleinement justifiée et n’interdit nullement que dès lors que le recours à la force serait admis, les comportements prohibés par la convention de Rome et incriminés par le projet de loi engagent la responsabilité pénale de leurs auteurs.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur les deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La prohibition de certaines armes n’inclut pas l’arme nucléaire. La France a d’ailleurs fait une réserve expresse lors de la ratification de la convention de Rome créant la Cour pénale internationale.

Le Gouvernement tient à préserver le droit à l’usage de l’arme nucléaire pour assurer la sécurité et la défense de la France. Il émet donc un avis défavorable sur les deux amendements.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Je comprends la préoccupation des auteurs des amendements.

Je rappelle que le principe même de la dissuasion repose sur l’utilisation ultime du recours à l’arme nucléaire face à une agression qui peut être considérable, mais pas nécessairement nucléaire.

Il suffit d’envisager ce qui se passerait si une puissance détenant un grand nombre de missiles non nucléaires, mais suffisamment destructeurs, nous menaçait ou commençait à nous bombarder. Seule l’évocation du recours à l’arme nucléaire nous permettrait d’exercer la dissuasion.

Dans la mesure où il s’agit de la légitime défense internationale, on ne peut pas suivre, à mon sens, les auteurs des amendements sur ce point.

M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l'amendement n° 39 est-il maintenu ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. Oui, monsieur le président.

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 57 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 39 et 57.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 8

Articles additionnels après l'article 7

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par MM. Fauchon et Zocchetto, est ainsi libellé :

I. - Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article 689-11 ainsi rédigé :

« Art.689-11 - Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, toute personne qui se trouve sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée.

La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à  la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

« Chapitre...

« Disposition modifiant le code de procédure pénale

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Nous en arrivons à cette fameuse question de la compétence universelle, comme on la désigne un peu improprement, qui est l’un des aspects relativement novateurs de ce texte.

J’ai pensé qu’il fallait progresser dans cette direction d’une compétence territoriale d’une forme nouvelle, qui, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, va au-delà de nos habitudes et de nos principes généraux. Cela me paraît justifié par des circonstances sur lesquelles il est inutile de revenir.

Il s’agit donc d’affirmer que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne – je réserve la question de la définition de la relation territoriale – « qui s’est rendue coupable à l’étranger de l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l’État où ils ont été commis ou si cet État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée ».

Cela étant, comment définir la relation territoriale ? C’est sur ce point que l’on peut hésiter.

Dans une première rédaction, j’avais visé toute personne résidant sur le territoire national, parce que cela me semblait plus précis que viser « toute personne qui se trouve sur le territoire de la République » et plus conforme à mes préoccupations. Je ne voulais pas que la France apparaisse comme un pays d’accueil ou un refuge pour de grands criminels, et une telle rédaction pouvait, me semble-t-il, avoir un effet de dissuasion.

Cependant, en commission des lois, ce matin, bien que les commissaires n’aient pas été au complet, le choix entre les verbes « se trouve » et « réside » a été significatif. C’est l’idée de se trouver sur le territoire de la République qui l’a emporté très largement, il faut bien le dire, et ce en dépit de l’avis et des explications du rapporteur. En conséquence, j’ai cru devoir rectifier mon amendement.

Depuis lors, cependant, ma réflexion s’est poursuivie au gré d’entretiens avec des juristes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je me disais aussi …

M. Pierre Fauchon. Chère collègue, on est autorisé à réfléchir, tout de même ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Peut-être pas vous (Protestations sur les mêmes travées.), …

M. Pierre-Yves Collombat. Nous aussi, nous réfléchissons !

M. Pierre Fauchon. … mais, moi, certainement ! Et ma réflexion est continuelle. Cela prouve que nous n’avons pas tout à fait la même culture démocratique ; ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je m’en aperçois ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

J’ai donc poursuivi ma réflexion. Éclairé par les explications qui m’ont été données, je suis maintenant très disposé à revenir à ce qui était, je vous le signale, ma rédaction initiale.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est lamentable !

M. Pierre Fauchon. Monsieur Sueur, je ne peux pas accepter ce qualificatif. Le retirez-vous ? Sinon, je vais réagir vivement, je vous préviens ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce qui est lamentable, monsieur Sueur, c’est votre façon d’envahir le débat avec des propos déplacés ! Malheureusement, ce n’est pas la première fois, et il est à craindre que ce ne soit pas la dernière.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, vous êtes bien placé pour parler !

M. Pierre Fauchon. J’en reviens à mon propos.

Je suis donc tout à fait à mon aise, car c’est en fait ma rédaction initiale que je suis tenté de reprendre. Ce n’est donc pas une découverte de dernière minute, chers collègues. J’ai eu le droit d’hésiter après les délibérations de la commission ; c’est d’ailleurs notre droit à tous, comme c’est notre devoir de bien réfléchir avant de nous prononcer.

J’avais été amené à rectifier une première fois mon amendement, malgré ma réticence, dès l’origine, à utiliser le verbe « se trouver ». Je suis maintenant prêt à revenir à la rédaction proposée par le rapporteur, à savoir le verbe « résider », bien que l’adverbe « habituellement » me pose problème ; je trouve en effet que la résidence habituelle, cela fait beaucoup ! Mais je suis d’autant plus disposé à entrer dans les vues de M. le rapporteur que l’on m’a fourni des explications.

Je souhaite cependant entendre Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur sur ce point précis, afin que les explications qui m’ont été données à titre personnel, et qui ne peuvent donc renseigner ceux qui suivent nos débats, figurent au procès-verbal.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le MRP n’est pas mort !

M. le président. Mon cher collègue, ces explications figureront bien au procès-verbal, en effet, mais j’invite les uns et les autres à ne pas polluer un débat qui, jusqu’à présent, a été de haute tenue.

M. Pierre Fauchon. Monsieur Dreyfus-Schmidt, l’injure ne vous grandit pas et elle ne me diminue pas !

M. le président. Jusqu’à présent, chacun a pu s’exprimer et le débat a été intéressant. Je voudrais que cesse cet échange d’invectives !

L'amendement n° 61, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. - Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article 689-11 ainsi rédigé :

« Art. 689-11. - Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée.

« La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

« Chapitre...

« Disposition modifiant le code de procédure pénale

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement n° 61 reprend la rédaction de la commission avant adoption du sous-amendement déposé par M. Robert Badinter.

Le statut de Rome créant la Cour pénale internationale n'exige pas que les États se reconnaissent une compétence universelle pour juger tous les auteurs de crimes contre l'humanité et tous les criminels de guerre, même sans aucun lien de rattachement avec leur pays.

Une telle compétence ne serait pas acceptable à bien des égards.

Toutefois, il convient également d'éviter que ces criminels ne résident en France sans pouvoir être inquiétés.

Une compétence extraterritoriale de la France pour juger des faits étrangers à sa compétence habituelle pourrait donc être instaurée en droit interne pour ce genre de faits, à condition qu’elle reste circonscrite dans des limites raisonnables qui rendent notre action légitime. C’est ce qu’ont fait tous les États qui ont adopté le principe de la compétence dite « universelle », mais qui n’a rien de vraiment universel.

Pour y parvenir sans concurrencer la CPI, qui a une compétence universelle de premier rang et dispose des moyens juridiques que n'ont pas les États pour l'exercer, le présent amendement introduit une compétence de la France subsidiaire par rapport à la compétence de la CPI et à celle des autres juridictions internationales ou nationales qui pourraient être mieux placées pour juger les criminels concernés.

La rédaction proposée prévoit un encadrement strict de la compétence des juridictions nationales.

Il faut ainsi que la personne ait une résidence habituelle sur le territoire ; je vous renvoie aux articles du code pénal sur le tourisme sexuel, les activités de mercenaire et le clonage commis à l'étranger.

Est également requise une double incrimination ou le fait que la personne soit justiciable de la CPI, et ce pour respecter la légalité des délits et des peines.

Nous prévoyons aussi le monopole du ministère public : c’est le principe général pour la poursuite des infractions extraterritoriales, même lorsque celles-ci sont commises par nos nationaux, dans le cas de corruption internationale, par exemple.

Enfin, nous réservons les poursuites au cas d’un déclinatoire de compétence exprès de la CPI et d'absence de demande de remise par une autre juridiction internationale ou d'extradition par un autre État.

Seule une compétence subsidiaire de la France peut alors se justifier.

M. le président. Le sous-amendement n° 62, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de l'amendement n° 61 pour l'article 689-11 du code de procédure pénale, remplacer les mots :

réside habituellement

par les mots :

se trouve

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes ici au cœur du débat.

Tout ce qui a été évoqué concernant la mise en œuvre du statut et l’alignement plus précis des infractions était important, mais ce n’était pas essentiel. Quant à la prescription, la Cour pénale internationale pourra poursuivre au-delà de la période de trente ans que nous avons choisie pour sauvegarder la spécificité du crime contre l’humanité.

Avec cet amendement et ce sous-amendement, ce qui est en jeu est d’une tout autre importance. Je vais m’efforcer d’être aussi précis et clair que possible.

En droit interne, la règle de compétence est simple : la justice française est compétente quand l’auteur de l’infraction est français, quand la victime de l’infraction est française ou quand les faits, ou une partie des faits, se sont déroulés sur le territoire français.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà ! C’est le principe de territorialité.

M. Robert Badinter. C’est logique et on le conçoit.

Toutefois, pour certains crimes qualifiés d’« internationaux », dont la gravité est si évidente qu’elle alerte les consciences et mobilise la communauté internationale, la position du législateur français a toujours été constante. On voudrait la démentir aujourd’hui et la changer au profit des pires criminels qui soient.

Avant de rappeler cette position du droit français s’agissant de crimes qui font l’objet de conventions internationales, je précise qu’il s’agit d’actes de torture, de certaines formes de corruption, d’actes de pirateries aériennes ou maritimes – c’est très important – ainsi que de détournements d’actifs au détriment de la Communauté européenne.

Or, et il est bon de bien le garder à l’esprit, chaque fois qu’une convention internationale de cette nature a appelé la communauté internationale à se mobiliser contre ce type de crimes, la position du législateur français a été la suivante : si l’auteur présumé se trouve sur le territoire français, alors il y a compétence de la justice française.

Ce n’est que l’expression d’un devoir majeur pour une société comme la nôtre, qui rappelle toujours son attachement aux droits de l’homme et sa volonté de ne pas laisser les pires crimes impunis, je veux dire le devoir de juger.

Prenez le code de procédure pénale et vous y trouverez toute la liste des conventions qui se réfèrent à l’article de principe, l’article 689–1, lequel prévoit : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. »

Voilà pourquoi la justice française doit agir si la personne se trouve sur le territoire français.

J’ai ici un texte soumis à l’heure actuelle par le Gouvernement à l’Assemblée nationale et relatif à une infraction majeure, la disparition forcée, que l’on retrouve d’ailleurs dans le statut.

Ce projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées est signé, en date du 7 mai 2008, de M. François Fillon, Premier ministre, et de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

Que précise en son article 9, relatif aux clauses de compétence, cette convention internationale dont nous aurons bientôt à connaître pour autoriser sa ratification ?

« 2. Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître d’un crime de disparition forcée quand l’auteur présumé de l’infraction se trouve sur tout territoire sous sa juridiction,… ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. Robert Badinter. Voilà ce qu’est le devoir de juger ! Le texte est aussi clair que possible. Sous une réserve que j’évoquerai tout à l’heure, nous nous sommes engagés internationalement à réprimer - donc à user de notre compétence à l’encontre de leurs auteurs -, les crimes tels que les disparitions forcées, les tortures et, a fortiori, les pires qui soient, les crimes contre l’humanité.

C’est une constante. Pourquoi y dérogerions-nous ? Parce qu’il y a la Cour pénale internationale, me répond-on

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Robert Badinter. Je ne fais rien d’autre que de reprendre les termes mêmes de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour prévoir que, si la Cour pénale internationale ou un autre État, l’État national, a été saisi de la situation, alors la France n’a bien entendu pas à exercer sa compétence, et cela pour une raison simple : l’existence en effet de la Cour pénale internationale. Mais l’obligation d’arrêter les auteurs, de les poursuivre et de les juger est, dans ce cas-là, inscrite dans la Convention.

Or conserver la condition de résidence habituelle signifie, je demande à chacun de le mesurer, que nous ne nous reconnaissons compétents pour arrêter, poursuivre et juger les criminels contre l’humanité, c'est-à-dire les pires qui soient, que s’ils ont eu l’imprudence de résider de façon quasi permanente sur le territoire français. Autrement dit, nous considérons que le simple fait, pour l’auteur de tortures, de se trouver sur le territoire français justifie la compétence de la juridiction française, sous réserve de la Cour pénale internationale, mais que son « patron », en quelque sorte, son supérieur hiérarchique, celui qui a déclenché la vague de tortures et d’assassinats, devrait, lui, pour être inquiété, s’être établi de façon habituelle sur le territoire français !

Disons-le brutalement, cela reviendrait à traiter mieux le criminel contre l’humanité que l’auteur des tortures !

Pouvons-nous accepter cela ? Bien évidemment non ! Voilà la raison pour laquelle, ce matin, la commission des lois, au sein de laquelle l’opposition n’était par définition pas majoritaire, a accepté ce sous-amendement n° 62. Pour le reste, je me rallie à l’amendement n° 61 de la commission des lois.

Au demeurant, si je souhaite remplacer les mots « réside habituellement » par les mots « se trouve », c’est que, ce faisant, je reprends l’expression qui figure, mes chers collègues, dans toutes les conventions internationales dont l’objet est de permettre la répression de crimes si graves qu’ils sont insupportables à la conscience internationale. Ces conventions, la France les a ratifiées. Vous ne pouvez tout de même pas faire une exception, je dirais même une faveur, pour les criminels contre l’humanité après toutes les positions que nous avons prises et que nous allons encore prendre en matière de disparition forcée !

Nous n’avons pas à avoir de complaisance à l’égard de ces criminels. Non, nous n’avons pas à traiter Himmler mieux que Barbie !

Voilà le motif du dépôt de ce sous-amendement et voilà la raison pour laquelle la commission des lois, dans sa majorité, a confirmé ce matin qu’il fallait s’aligner sur ce qui s’est toujours fait dans les conventions de cet ordre et non réserver un sort privilégié, car ce serait bien un sort privilégié, aux criminels contre l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)