M. le président. La parole est à M. André Lejeune.

M. André Lejeune. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde le sait, les agriculteurs sont indispensables à la vie et à l'équilibre économique de nos territoires.

Aujourd'hui, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés sanitaires et climatiques. En outre, ils doivent faire face à des charges en constante augmentation.

Ces difficultés, le Président de la République en faisait le constat dans le discours qu'il a prononcé à Rennes. Il affirmait alors vouloir « porter une nouvelle ambition pour l'agriculture », suscitant ainsi de grands espoirs dans la profession. Hélas, force est de constater qu'il ne s'agissait là que de belles paroles, qui ne se traduisent pas dans le budget que vous nous proposez.

Ce budget connaît en effet une diminution encore plus importante que les années précédentes : plus de 4 % en euros constants. Ce n'est pas un signe encourageant donné à la profession, même si ce budget ne représente qu'un tiers environ de l'ensemble des crédits publics affectés au monde agricole et rural.

Alors que l'actualité montre que la gestion des crises devrait être sérieusement prise en compte, les financements prévus prouvent que tel n'est pas le cas.

Même s'ils sont revalorisés de 2 millions d'euros cette année, les crédits consacrés au développement de l'assurance récolte sont trop faibles pour être efficaces. D'un montant de 32 millions d'euros, ils sont loin des 260 millions d'euros mobilisés par l'État espagnol en 2007. Il aurait pourtant été souhaitable d'augmenter la prise en charge partielle par l'État des primes ou des cotisations des contrats assurantiels protégeant les récoltes contre différents risques climatiques.

Les dispositifs d'aide aux agriculteurs en difficulté et à la gestion des crises imprévisibles, le Fonds d'allègement des charges des agriculteurs, sont sous-dotés, le premier diminuant de 50 %, le second de 15 %. Ils sont très insuffisants au regard des besoins.

La dotation pour les prêts bonifiés pour aléas chute de 75 %. Une paille ! On peut donc légitimement s'interroger sur la volonté du Gouvernement de soutenir les agriculteurs en cas de crise.

Les agriculteurs vivent dans un monde de plus en plus concurrentiel, où ils doivent être de plus en plus compétitifs tout en veillant à préserver l'environnement. Pour ce faire, il leur est nécessaire de moderniser leurs exploitations. Or dans ce domaine non plus, les financements ne sont pas à la hauteur.

Le plan de modernisation des bâtiments d'élevage a rencontré un vif succès, mais il convient de résorber rapidement les files d'attente.

Il est regrettable que les taux de subvention et les montants pouvant être subventionnés aient été réduits, malgré des promesses régulièrement réitérées.

Le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, en diminution de 3 millions d'euros, ne permettra pas de satisfaire toutes les actions volontaires des dizaines de milliers d'éleveurs. Leurs efforts risquent d'être anéantis.

Pour ce qui est de l'installation des jeunes agriculteurs, qui est en augmentation, on constate que les mesures d'accompagnement ne répondent pas à cette volonté, pourtant si nécessaire à l'occupation de l'espace et du monde rural. En effet, l'enveloppe pour les prêts bonifiés est, selon le terme même de la FNSEA, « insignifiante ». Par ailleurs, la dotation aux jeunes agriculteurs voit ses crédits fortement diminuer. C'est vraiment incompréhensible ! Cela ne traduit pas une grande confiance en l'avenir.

Il a fallu une très forte pression de la profession pour que vous déposiez un amendement à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, tendant à redéployer 5 millions d'euros sur les prêts bonifiés. Toutefois, cette mesure n'est pas suffisante. Elle ne satisfait pas les jeunes agriculteurs, qui se battent pour obtenir plus de financement pour l'installation et pas uniquement pour les prêts bonifiés.

Finalement, 2 millions d'euros risquent de manquer sur des programmes qui sont déjà sous-dotés : le Fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture, les aides à la transmission, les stages à l'installation, etc. Pouvez-vous au moins remédier à ce problème et doter la ligne « renouvellement des générations » de 5 millions d'euros supplémentaires ?

Les moyens destinés à conforter la compétitivité de l'agriculture enregistrent eux aussi une baisse importante.

Les crédits des offices agricoles, qui permettent d'adapter les filières à l'évolution des marchés, déjà fortement diminués l'an dernier, accusent une baisse de 67 millions d'euros. Ils sont d'ailleurs qualifiés de « fantomatiques » par la FNSEA, qui a bien compris que la vente de l'ancien siège de l'Office des céréales ne devait pas occulter la diminution récurrente de cette ligne budgétaire.

Les crédits de promotion à l'international, quant à eux, enregistrent une baisse de 8 millions d'euros. L'effort en faveur des actions agro-environnementales est lui aussi beaucoup trop faible.

La prime herbagère agro-environnementale, la PHAE, permettra seulement de renouveler les contrats souscrits, mais pas d'accueillir de nouveaux éleveurs.

La mesure rotationnelle est remise en cause, ce qui est difficilement compréhensible au moment où les mesures de préservation de la biodiversité figurent parmi les propositions du Grenelle de l'environnement.

Les indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, si elles sont reconduites - pour combien de temps ? -, ne sont toujours pas revalorisées à 50 % pour les vingt-cinq premiers hectares, contrairement aux engagements pris par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Une fois de plus, du fait des nouvelles contraintes pour accéder à la prime herbagère et de l'insuffisance des ICHN, c'est l'élevage extensif qui est sacrifié. Ce sont pourtant ces exploitations qui participent le plus à l'aménagement du territoire et qui maintiennent la vie dans les zones difficiles.

Vous savez, monsieur le ministre, que la conjoncture s'annonce défavorable pour les productions animales, en particulier bovines, ovines et porcines. Ces productions risquent de voir leur prix encore chuter, alors qu'elles doivent faire face à un coût d'alimentation de plus en plus élevé en raison de l'augmentation du prix des céréales.

J'ai reçu récemment les éleveurs de porcs creusois. Ils m'ont fait part de la situation catastrophique dans laquelle ils se trouvent et de leur inquiétude pour l'avenir de leur exploitation, car ils se sentent proches du dépôt de bilan. C'est une réalité ! Votre budget n'apporte pas de réponse à leurs interrogations. Il ne répond pas non plus aux attentes des territoires ruraux, qui ont besoin de solidarité. De même, il ne permettra pas à l'agriculture de relever les défis auxquels elle sera confrontée dans les années à venir.

Il est facile de dire aux agriculteurs qu'ils doivent vivre de leur travail, mais comment le peuvent-ils alors que 50 % à 80 % de leur chiffre d'affaires proviennent des aides françaises et européennes ? Ces aides sont d'ailleurs réparties de façon injuste puisque 80 % d'entre elles vont à 20 % des agriculteurs, favorisant ainsi l'agriculture intensive, au détriment de l'élevage, notamment celui du Massif central. Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que vous aviez l'intention de revoir cette question. Il faudra aller assez loin !

À la veille d'une réforme décisive de la PAC, quelle position entendez-vous défendre ? Quelles mesures pensez-vous prendre pour permettre enfin à nos exploitants agricoles de vivre dignement de leur travail ? Comment envisagez-vous de préserver l'équilibre de nos territoires ?

Vos orientations budgétaires ne nous rassurent pas. Elles confirment l'abandon de l'agriculture au marché et un certain désintérêt du Gouvernement pour les zones rurales défavorisées et les agriculteurs les plus fragiles. Nous n'y trouvons pas de signes d'une volonté d'aller à l'encontre de la politique libérale menée par Bruxelles.

Il s'agit d'un budget de renoncement, monsieur le ministre, qui ne permet même pas d'assurer les besoins actuels au niveau local, par exemple en termes de mise aux normes et d'installation. Il ne donne aucun message d'espoir à la profession, comme si vous-même et le Gouvernement aviez déjà décidé de sacrifier des pans entiers de notre agriculture.

C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste ne votera pas ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité liée à la filière agricole dans notre économie nécessiterait à elle seule plusieurs heures de débat. Ses différents aspects sont ou seront abordés par l'ensemble de nos collègues suivant leurs centres d'intérêt et parfois - souvent - leur origine géographique. Pour ma part, je me limiterai, dans les dix minutes dont je dispose, à évoquer les préoccupations des professionnels des productions végétales et des productions animales.

J'ai de nombreuses questions à vous poser, monsieur le ministre.

La première question est fondamentale : quel avenir le Gouvernement français et l'Union européenne entendent-ils réserver à notre agriculture ?

Faut-il encore encourager les jeunes à s'installer dans ce métier ? Peuvent-ils espérer, contrairement à la génération de leurs parents, vivre de leurs productions et non des aides publiques ?

Quels outils de stabilisation et de gestion des marchés agricoles avez-vous l'intention de développer ?

Comment rendre compatible une agriculture dynamique, productrice, capable de satisfaire les besoins alimentaires de l'humanité, mais aussi les besoins industriels nécessaires à notre économie, tout en préservant l'environnement dans tous ses aspects ?

Comment nos dirigeants peuvent-ils imaginer que notre agriculture peut vivre de sa production, alors que, en 2006, le prix de la tonne de céréales s'élevait à 90 euros, et que, dans le même temps, le prix du baril de pétrole s'envolait vers les 100 dollars, que le prix de l'acier explosait et que les normes environnementales ne cessaient de s'alourdir, plombant du même coup tous les coûts de production ?

Comment permettre aux salariés de l'agriculture et aux agriculteurs eux-mêmes de « gagner plus en travaillant plus », une formule souvent utilisée depuis quelque temps, alors que leur activité, par sa nature et sa spécificité, les fait travailler 30 %, 40 %, voire 50 % de plus que dans de nombreux autres métiers ? Ils travaillent déjà, pour la plupart, au maximum de leurs capacités !

La profession connaît un effet de ciseau. Les prix de vente des productions sont au plus bas - c'est le cas aujourd'hui pour les éleveurs, c'était le cas en 2006 pour les céréaliers - et les coûts de production, qu'il s'agisse de l'énergie, du matériel agricole, des engrais, des produits phytosanitaires, des taxes - elles s'envolent - ou des impôts, ne cessent d'augmenter.

Cela rend cette profession extrêmement fragile à chaque fois qu'elle subit des aléas climatiques ou que le marché mondial s'effondre en raison de l'absence de préférence communautaire ou de l'ouverture de nos frontières à des produits venant de pays dont les contraintes sociales et salariales, les normes et les exigences de traçabilité, ne sont pas les mêmes que les nôtres.

Où en sont, monsieur le ministre, les négociations conduites dans le cadre de l'OMC ? Quel prix l'agriculture européenne, en particulier l'agriculture française, devra-t-elle payer pour permettre au Brésil et à l'ensemble des pays qui l'accompagnent de commercialiser leurs produits agricoles chez nous, en échange d'une ouverture de leur marché à nos produits industriels ?

Que faut-il attendre du Grenelle de l'environnement ? À quelle pluie de taxes notre agriculture doit-elle s'attendre dans ce cadre ? Ces taxes seront-elles compatibles avec le prix de revient des productions végétales et animales ?

En ce qui concerne la production végétale, certains commentateurs se sont inquiétés de la flambée du prix des céréales et des conséquences qui allaient en résulter pour les transformateurs et les consommateurs.

Il faut le savoir, mes chers collègues, le prix moyen qui sera payé par les coopératives agricoles aux producteurs atteindra à peine 200 euros la tonne pour l'année 2007, ce qui reste à un niveau de prix inférieur de 12 % à celui qui était en vigueur dans les années quatre-vingt, soit voilà plus de 20 ans ! De combien le coût de la vie a-t-il augmenté depuis ?

Même si l'indice devrait être corrigé des gains de productivité que la recherche et la profession ont réussi à grignoter au fil du temps, il faut reconnaître que le compte n'y est pas !

Quel est le salarié, le fonctionnaire, le professionnel libéral ou le chef d'entreprise qui accepterait de voir son salaire ou son revenu diminuer de 30 %, 40 % ou 50 % sans compensation intégrale par les aides publiques, puisque telle a été la politique agricole voulue par nos dirigeants européens dans les années quatre-vingt-dix ?

Quand le prix de l'acier et du pétrole progresse, les sociétés de service comme l'industrie du machinisme agricole répercutent la hausse sur leurs prestations ou produits ! Mais les éleveurs et les agriculteurs, pour leur part, ne peuvent pas en faire autant.

Par conséquent, monsieur le ministre, comme vous le confirmez dans votre lettre adressée le 27 novembre dernier aux parlementaires, il y a lieu d'exiger le « maintien d'une grande politique agricole » qui soit d'abord économique, en permettant d'assurer l'indépendance alimentaire de l'Europe et le développement équilibré et durable de nos territoires.

De même est-il indispensable de disposer d'outils de gestion des crises. Comment pourrait-il en être autrement alors que les éleveurs traversent une crise économique préjudiciable à leur avenir, avec une augmentation du prix de l'alimentation animale, à laquelle s'ajoutent les effets désastreux sur les plans sanitaires et économiques de la fièvre catarrhale qui touche les secteurs ovin et bovin ?

Monsieur le ministre, à la suite d'une question posée par notre collègue Henri de Richemont, vous avez répondu à une partie des préoccupations des éleveurs par la mise en place d'un plan sanitaire de grande ampleur, afin non seulement de traiter les difficultés actuelles, mais également de prévenir le développement du risque futur. Je vous donne acte de cette initiative, dont nous ne pouvons que nous réjouir, car elle montre à quel point vous avez saisi le problème à bras-le-corps. Mais nous restons tout de même sur notre faim.

C'est pourquoi, à l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales », je souhaiterais bénéficier de votre part d'un éclairage sur les mesures économiques que le Gouvernement a l'intention de prendre pour aider les éleveurs à faire face à cette dépression économique, qui se traduit aujourd'hui par une baisse des prix de vente à la production animale de 25 % à 30 %. C'est notamment le cas pour la vente des broutards ou des ovins. Certes, par votre action, vous avez réussi à permettre le chemin de l'exportation vers l'Italie. Dont acte ! Pour autant, les cours ont du mal à se redresser et ils n'ont pas encore retrouvé le niveau de l'année dernière.

Monsieur le ministre, je vous invite à porter autant d'attention aux agriculteurs-éleveurs dont l'activité principale réside dans l'élevage qu'à ceux pour lesquels cela constitue une activité secondaire. Même dans ce dernier cas, l'élevage fait vivre des salariés qui y consacrent la totalité de leur temps. D'ailleurs, mon collègue Joël Bourdin, qui est élu de l'Eure, département voisin de l'Oise, où l'élevage ovin est souvent une activité secondaire par rapport à la production végétale, ne me contredira sans doute pas. (M. Joël Bourdin, rapporteur spécial, acquiesce.)

C'est la raison pour laquelle, quelle que soit la nature de l'activité, c'est-à-dire principale ou secondaire, elle devrait retenir l'attention du Gouvernement de la même manière et bénéficier des mesures économiques que vous prendrez.

Je voudrais évoquer un autre sujet, qui a été abordé par quelques collègues au travers du problème des retraites.

Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître le résultat de la réflexion que vous avez menée avec M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur le FFIPSA, en particulier s'agissant des recettes nouvelles qui pourraient être affectées à ce fonds dans une dynamique équivalente à celle des dépenses ?

Vous le savez, mes chers collègues, nous avons un flux annuel de déficit de 2,3 milliards d'euros, alors qu'il était à l'origine de 1,7 milliard d'euros. Cela n'ira pas en diminuant !

Je me réjouis que le passage du BAPSA au FFIPSA ait été soldé, mais la question du devenir de l'équilibre de ce fonds, qui assure le paiement des retraites et une partie de l'assurance maladie, reste entière.

Monsieur le ministre, pensant vous avoir posé suffisamment de questions pour alimenter votre réponse, je vous remercie de toute l'attention que vous y aurez apportée.

Je vous remercie également de votre investissement et de votre détermination pour défendre les intérêts de l'agriculture française.

La présidence française devrait être pour le Gouvernement l'occasion de démontrer sa volonté d'agir structurellement pour l'avenir de l'agriculture européenne, et française en particulier.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en bon paysan, je resterai vigilant, mais, malgré tout, confiant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures dix, sous la présidence de M. Philippe Richert.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales » et du compte spécial « Développement agricole et rural ».

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Daniel Soulage.

M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà longtemps que ce budget n'avait pas été présenté dans un contexte économique aussi favorable.

En effet, cette année, une envolée spectaculaire des cours tire l'ensemble du secteur vers le haut : en juillet, les prix pour les grandes cultures étaient en hausse de plus de 38 % par rapport à 2007, ceux des vins d'appellation l'étaient de près de 10 %, et l'on a assisté, en septembre, à une augmentation des prix des fruits et légumes, des produits carnés, des oeufs et du beurre. Les agriculteurs ne sont pas responsables de cette hausse des prix, qui limite le pouvoir d'achat des consommateurs, sujet dont on parle beaucoup actuellement.

Nous avons donc des raisons de nous réjouir, même s'il convient que nous restions prudents.

Tout d'abord, si cette hausse spectaculaire des prix des céréales résulte de la conjonction de plusieurs facteurs, à la fois économiques et climatiques, elle est aussi le résultat de forts mouvements de spéculation qui pourraient s'inverser rapidement.

Mais surtout, c'est en s'appuyant sur cette nouvelle conjoncture économique que la Commission européenne entend proposer la révision, à mi-parcours, des instruments de régulation des marchés agricoles, à l'occasion du « bilan de santé » de la PAC, alors que, parallèlement, elle semble réticente à s'engager dans l'instauration de mécanismes de gestion des risques et des aléas à l'échelon communautaire.

En présentant officiellement sa feuille de route pour le « bilan de santé » de la PAC, le 20 novembre dernier, Mariann Fischer Boel a, en fait, ouvert un nouveau cycle de négociations qui déboucheront sur une réforme annoncée, en principe, pour la fin de l'année 2008.

On connaît les grands traits des objectifs de la Commission : quotas laitiers vidés progressivement de leur effet, intervention limitée au blé tendre, jachère rayée de la carte, amplification de la conditionnalité des aides, plafonnement, modulation, accent mis sur le développement rural... En clair, on fait confiance au marché pour réguler les équilibres économiques.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, j'ai beaucoup apprécié votre intervention ce matin lorsque, évoquant le développement de l'agriculture, vous avez indiqué que l'on ne pouvait se satisfaire d'un libéralisme absolu. J'espère que votre voix sera entendue et écoutée au niveau européen.

Ce mécanisme ne peut fonctionner si nous voulons conserver une agriculture productive. L'agriculture est au coeur de tous les défis de nos sociétés : croissance, sécurité alimentaire, développement durable, indépendance énergétique. Mais sa fonction première est de produire pour satisfaire les besoins vitaux de l'humanité, qui seront multipliés par deux d'ici à 2050. Elle justifie, plus que jamais, des outils de stabilisation des marchés adaptés et renouvelés.

La dernière réforme de la PAC, avec le découplage des aides, a déjà introduit un système très pervers. En caricaturant à peine, monsieur ministre, je peux vous assurer que, si le découplage s'appliquait à la lettre, il n'y aurait plus un seul prunier dans mon département du Lot-et-Garonne !

À cet égard, je me félicite que le Gouvernement ait obtenu un dispositif transitoire pour les fruits transformés, notamment pour le pruneau, dont la profession se satisfait. Je souhaite que ce règlement se poursuive au-delà des cinq ans qui viennent, afin que la filière perdure.

Jusqu'ici, les aides étaient versées au kilo. En 2008, pour la première année, l'aide sera versée intégralement à l'hectare. Néanmoins, et fort heureusement, l'entretien du verger sera exigé. Au bout de la troisième année, un quart de l'aide sera découplé et donnera droit au versement de droits à paiement unique, ou DPU. Nous souhaitons vivement que vous puissiez obtenir la limitation du découplage à ce seuil.

Monsieur le ministre, je salue votre engagement en faveur des cultures territoriales. Il est nécessaire, en effet, que les régions conservent les cultures traditionnelles qui font partie de leur patrimoine. Le découplage met en danger des équilibres fragiles et nous risquons de voir disparaître des pans entiers de notre agriculture, et, avec eux, le secteur agroalimentaire.

Par ailleurs, le Grenelle de l'environnement, qui a permis certaines avancées, ne doit pas conduire à remettre en cause l'activité agricole conventionnelle. Il est, certes, possible de progresser encore sur les quantités de matières actives utilisées par les agriculteurs. Toutefois, monsieur le ministre, il ne faut pas sous-estimer les progrès importants qui ont déjà été réalisés par la profession en la matière et la motivation même des agriculteurs.

Cela étant, ces intrants sont nécessaires pour préserver la productivité de l'agriculture, à moins de faire le choix des OGM, mais c'est un autre débat ...

De même, je regrette que les crédits pour l'hydraulique soient aussi limités. Il ne peut y avoir d'agriculture sans eau. L'enveloppe allouée à l'hydraulique agricole est, depuis de nombreuses années, largement inférieure aux besoins. Par ailleurs, les aides qui sont accordées dans ce domaine entrent dans le cadre du programme de développement rural hexagonal et sont limitées aux retenues de substitution. Or, localement, des besoins existent pour l'adaptation au changement climatique et/ou pour le développement de nouvelles filières. C'est particulièrement vrai dans le Sud-Ouest.

En ce qui concerne l'assurance récolte, sujet qui me tient particulièrement à coeur, la hausse de 2 millions d'euros des crédits constitue un signal positif. Là encore, la bonne conjoncture pourrait reléguer cette question au second plan.

Néanmoins, si l'on doit s'orienter, comme le préconise dans son excellent rapport notre collègue Dominique Mortemousque, vers l'abandon du régime des calamités agricoles et vers une diffusion rapide de l'assurance récolte, de nombreuses questions restent en suspens. L'accompagnement du développement de l'assurance et l'octroi d'une enveloppe limitée posent, en effet, le problème de la capacité des assureurs à surmonter un événement de grande ampleur. Une réassurance demeure indispensable, de même qu'une meilleure couverture des productions les plus sensibles, même si ces dernières ne se sont pas regroupées en organisations de producteurs.

Sans volontarisme visant à augmenter l'assiette des primes de risque, il n'y aura pas de développement à long terme de l'assurance en France. À titre d'illustration, l'État espagnol a versé 260 millions d'euros au titre de l'assurance récolte en 2007.

La question de l'articulation du fonds des calamités avec l'assurance récolte mérite également d'être repensée dans la perspective du prochain décret, en 2008. Il faut veiller, en particulier, à ne pas exclure de ce fonds les cultures où le taux de pénétration de l'assurance récolte est très faible ; je pense, notamment, chez moi, aux cultures légumières et fruitières. Cela est d'autant plus important que les enveloppes des dispositifs AGRIDIFF et du fonds d'allègement des charges ont été drastiquement diminuées. Ces dispositifs sont pourtant essentiels.

Il en est de même du budget des fruits et légumes. La dotation à VINIFLHOR a baissé de près de 40% et devrait être en partie compensée par la vente du siège de l'ONIC, l'Office national interprofessionnel des céréales.

M. André Lejeune. On vend les bijoux !

M. Daniel Soulage. Je ne reviendrai pas sur les arguments qu'a développés M. le rapporteur spécial, auxquels j'adhère complètement.

Cette situation se traduit, en région, par une baisse importante pour la filière fruits et légumes en matière d'organisation économique, de recherche et de promotion.

Vous le savez, monsieur le ministre, les fruits et légumes ne bénéficient que très peu du financement communautaire, soit 3,7% du financement européen agricole. Leurs prix à la production n'ont pas connu de hausses similaires à celles des céréales et du lait. Ces productions restent fragiles et ont besoin d'un soutien. Or, depuis cinq ans, les crédits ont presque été divisés par deux. Il ne reste que 10 millions d'euros pour la communication collective : c'est peu !

Je sais que, sur le plan national, votre ministère oeuvre pour la mise en place d'associations d'organisations de producteurs pour les productions importantes. Je me permets tout de même d'insister sur l'importance de l'échelon régional. C'est à ce niveau que de nombreuses initiatives peuvent être prises et c'est le seul où l'on retrouve les responsables agricoles, l'interprofession à l'échelon national étant largement contrôlée par les différents représentants du commerce.

J'aborderai rapidement la question des biocarburants.

Lors de l'examen de la première partie du projet de budget, la défiscalisation dont bénéficient les différentes filières de biocarburants a été diminuée. Je déplore la remise en cause partielle de ce dispositif, alors que les différentes filières sont en train de se structurer sur le plan industriel.

Il est absolument indispensable que la France soit présente sur ces filières en particulier et, plus généralement, mette en place une véritable expertise dans le secteur de la « chimie verte » pour faire face à la montée en puissance des États-Unis et du Brésil. II est primordial que nous nous investissions tous dans ce secteur, qui non seulement représente une solution de rechange, moins polluante et moins coûteuse, aux énergies fossiles que nous utilisons actuellement, mais offre également un avenir très prometteur à l'agriculture française.

Je me félicite également des avancées qui ont été faites en un an en ce qui concerne les huiles végétales pures. Le décret du 25 mars 2007 clarifie, en effet, les mesures auxquelles doivent se conformer les distributeurs et les utilisateurs d'huiles végétales pures, garantissant ainsi un cadre juridique à cette troisième filière de biocarburants.

Enfin, je reviendrai brièvement sur un aspect de la mission « Sécurité sanitaire », que je n'ai malheureusement pas pu rapporter. Les éleveurs français d'ovins et de bovins sont confrontés à une épidémie de fièvre catarrhale durable et d'ampleur encore inégalée. Or le projet de budget ne tient à l'évidence ni compte du développement ni de l'installation durable de la maladie de la langue bleue dans le paysage national.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Daniel Soulage. Je termine, monsieur le président !

Il ne comporte pas les crédits indispensables, que l'on se place dans l'hypothèse où un vaccin serait disponible et diffusé dans tout ou partie du cheptel avant le début de la saison vectorielle ou dans celle, plus regrettable, où une reprise de la maladie aurait lieu faute d'une campagne de vaccination menée dans les temps.

Pour terminer, je tiens à saluer l'excellent travail réalisé par le rapporteur spécial, M. Joël Bourdin, et par les rapporteurs pour avis, MM. Gérard César, Jean-Marc Pastor et Gérard Delfau.

Je veux également souligner, monsieur le ministre, la qualité de votre action ainsi que votre engagement personnel sur des sujets qui nous passionnent. En outre, je salue votre initiative d'instaurer des assises de l'agriculture, qui permettront notamment de préparer la position française sur le « bilan de santé » de la PAC en 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi de saluer notre nouvelle collègue, Mme Catherine Dumas, qui remplace M. Philippe Goujon, et qui participe pour la première fois à l'une de nos séances. (Applaudissements.)

C'est la soixantième sénatrice à siéger parmi nous, ce qui me donne l'occasion de souligner une nouvelle avancée vers plus d'égalité, pour ne pas dire vers la parité.

M. Paul Raoult. Nous faisons mieux que l'Assemblée nationale !

M. le président. Nous verrons ce que les échéances futures nous réserveront. En tout cas, je suis persuadé que nous continuerons à faire progresser la représentation des femmes au Parlement.

Ma chère collègue, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat et nous espérons que vous aurez beaucoup de satisfaction dans l'exercice de vos responsabilités.

Mme Catherine Dumas. Je vous remercie, monsieur le président !

M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.

Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de la mission « Agriculture, pêche, forêt et affaires rurales », mon intervention portera uniquement sur la pêche.

Ce débat intervient dans un contexte particulièrement difficile, c'est-à-dire sur fond de crise due à l'augmentation du coût du gazole.

Vous tentez, monsieur le ministre, après la visite du Président de la République au Guilvinec et les engagements qu'il a pris, de mettre en musique ce que le chef d'orchestre a proposé. Mais nous sommes dans un domaine très complexe, avec des limites imposées par l'Union européenne, et dans un monde où tout est aléatoire, d'où les crises et explosions sociales récurrentes et la fragilité de ce métier. Je m'explique.

Pour un marin pêcheur, rien n'est assuré, ni la météo, ni la ressource, ni le financement des bateaux, ni le prix du gazole, ni la vente du poisson, sans compter les difficultés de recrutement qu'il rencontre. Combien de bateaux restent à quai faute d'équipage ? Combien de chalutiers naviguent avec quatre hommes à bord au lieu de cinq « habituellement », sinon « réglementairement » ? À cela s'ajoutent les difficultés de formation et la dangerosité du métier que vous avez évoquées ce matin.

Le tableau que je brosse est bien noir, mais il correspond à une réalité, celle de l'activité de pêche dans notre pays. Elle mérite donc une politique volontariste de la part du Gouvernement.

Vous nous avez dit que le budget était stable à 60,5 millions d'euros - 1 million d'euros de plus qu'en 2007 - et qu'il s'agissait d'un bon budget, puisque l'an passé il avait doublé. Certes ! Mais il faut le comparer à l'ensemble de la mission. Il faut aussi le comparer aux fonds européens attribués à la France, soit 63 millions d'euros en 2008. Il convient également d'analyser à quoi ont servi les fonds octroyés l'an passé. Quel est leur intérêt si l'essentiel sert à la casse des bateaux ?

Je constate parallèlement la baisse des sommes consacrées à la modernisation et à la restructuration de la flottille.

Les crédits alloués devaient servir à faire vivre le plan d'avenir pour la pêche présenté en juin 2006. Constitué de dix mesures, il fixait des objectifs et proposait de nouveaux outils pour adapter les filières des pêches maritimes aux contraintes, qui se multiplient ; il devait aussi leur permettre de se moderniser.

Aujourd'hui, peu d'actions sont en cours, en particulier sur la rentabilité des entreprises, qui est une urgence. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce point ?

Autre interrogation : le fonds européen pour la pêche, mis en place en 2006 - en remplacement de l'IFOP, l'instrument financier d'orientation de la pêche - pour la période 2007-2013, n'est toujours pas effectif. Or il est supposé soutenir les restructurations nécessaires et faciliter la mise en oeuvre de la nouvelle politique commune des pêches. Dans le contexte actuel, particulièrement sensible, nous sommes en droit de nous inquiéter.

Comment, dans un environnement très libéral, permettre à une filière de vivre de façon pérenne ? Car, il s'agit bien d'une filière, et il est essentiel de rappeler qu'un emploi en mer en induit près de quatre à terre ! Malgré une division par deux du nombre de bateaux de pêche en vingt ans, le volume capturé est resté stable grâce aux gains de productivité.

Rappelons aussi que la France importe 80 % de son poisson. Les 20% restants de ce marché en expansion servent à faire vivre une filière sur l'ensemble de notre littoral. Il faut maintenir un niveau d'activité dans les ports si l'on ne veut pas fragiliser les équipements et, par conséquent, l'existence de l'économie nationale de la pêche.

Je veux, d'ailleurs, saluer la responsabilité d'un département comme le mien, le Finistère, et de la région Bretagne, qui mènent une politique d'accompagnement résolument active. Il est à noter également que, lors de la crise récente, les collectivités locales et les chambres de commerce et d'industrie ont accepté des baisses significatives des redevances portuaires. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'État ne doit pas se désengager sur les collectivités !

J'en viens aux actions indispensables qu'il convient de mettre en oeuvre pour garantir une pêche durable dans notre pays.

Tout d'abord, il faut maintenir et moderniser la flottille. Or on note, dans le projet de budget pour 2008, seulement 1,3 million d'euros en crédits de paiement.

Ensuite, il convient de mener une politique de recherche et de développement permettant de « pêcher autrement ». Ce serait une garantie de préservation de la ressource, d'une part, et un gain important de dépense d'énergie, d'autre part.

À cet égard, je vous donnerai un exemple tout simple : pour la pêche au chalut, on compte en moyenne deux litres de gazole pour un kilo de poissons. On sait aussi qu'un chalutier naviguant à dix noeuds utilise cent litres de gazole et, à 10,5 noeuds, cent cinquante litres. Cela illustre bien la nécessité de naviguer autrement, d'une prise de conscience et d'une formation pour pêcher différemment.

Des mesures simples et de bon sens s'imposent donc ; je pense, notamment, à l'installation d'économètres sur tous les bateaux et à des contraintes concernant les chaluts, mais je pourrais en ajouter d'autres. Toutefois, cela prendra du temps.

En attendant, vous avez créé un groupe de travail afin d'étudier la possibilité d'une éco-contribution, qui se répercuterait sur le prix du poisson à l'étal. On annonce une taxe de 1 % à 2 %. Mais jusqu'à quand le consommateur assumera-t-il une hausse récurrente dans le contexte difficile de pouvoir d'achat que nous connaissons ? Le poisson va-il devenir un produit de luxe ? Tout cela n'est acceptable ni pour la santé des Français ni pour le maintien de la filière.

En outre, quelles marges de manoeuvre l'Union européenne vous laisse-t-elle ? Quelle est la compatibilité du mécanisme proposé avec les règles communautaires ?

Des évolutions structurelles majeures pour sortir la pêche de cette situation sont indispensables.

Des techniques de pêche plus économes en énergie permettant d'améliorer la situation économique des entreprises de pêche sont indispensables. Car pêcher autrement impose non seulement un nouveau regard sur la ressource, mais aussi une valorisation de l'image de la pêche et du métier de pêcheur. Ce métier doit être attractif pour les jeunes afin de favoriser le renouvellement des équipages et des patrons de pêche.

La pêche est aussi un gisement d'emplois au service d'une filière clairement positionnée sur la qualité des poissons pêchés et sur la gestion durable de la ressource.

L'État doit affirmer sa volonté d'avoir une véritable politique portuaire, qui doit s'inscrire dans une authentique politique d'aménagement du territoire. On ne peut se contenter d'annonces ponctuelles, concédées durant la crise récente, alors que des mesures structurelles, gages de pérennisation de la filière, auraient dû être mises en place depuis quelques temps déjà.

Tels sont les éléments, monsieur le ministre, que je souhaitais vous soumettre sur ce sujet difficile.

Vous nous l'avez dit ce matin : vous croyez en l'avenir de la pêche et de l'aquaculture. Je m'en réjouis ! Cependant, même si le projet de budget que vous nous proposez affiche un certain nombre d'intentions louables, les retards pris dans la mise en oeuvre des mesures attendues nous conduisent à nous interroger sur votre volonté réelle de constituer une filière de la pêche française qui soit solide et durable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)