M. Charles Revet, rapporteur. C'est vrai !

M. Henri de Richemont. Il est donc profondément regrettable que l'on ait essayé de détruire ce pavillon bis en le déclarant comme pavillon de complaisance. Je me bornerai à cet égard à citer M. Le Drian, qui, dans son passionnant rapport rédigé au nom de la commission d'enquête, présidée par M. Daniel Paul, sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants, à la suite du naufrage de l'Erika, écrivait, à propos du pavillon norvégien et du pavillon bis, qui est semblable au RIF : « Ce dernier offre un attrait comparable aux pavillons de libre immatriculation, notamment en matière d'emploi des marins, tout en évitant la création d'un pavillon au rabais, en maintenant à la fois des contrôles stricts en matière de sécurité, et en associant les partenaires sociaux à la fixation des rémunérations. »

M. Le Drian estime donc que les pavillons bis jouent en faveur de la sécurité maritime parce qu'ils permettent aux États d'exercer leur fonction de contrôle. Comment dès lors Mme Lebranchu a-t-elle pu dire qu'il fallait supprimer le RIF parce qu'il était un pavillon de complaisance ? Encore une fois, c'est parce qu'il n'y a pas assez de navires sous notre pavillon ou sous pavillon européen et que l'administration n'exerce pas suffisamment son contrôle sur les navires qu'il y a un problème d'insécurité maritime.

Plus de souplesse permettra effectivement d'éviter le « dépavillonement ». C'est le mérite de ce texte.

Mais, comme je l'ai dit, ce texte a aussi une faiblesse : on ne peut pas, monsieur le secrétaire d'État, se satisfaire du nombre insuffisant de marins français, d'autant que, si le transport maritime se porte bien aujourd'hui, le fret peut diminuer demain. Or, puisque les économies concernent toujours d'abord les salaires, qui constituent le premier coût d'exploitation, la recherche des salaires les moins chers se fera alors au détriment des marins français.

C'est la raison pour laquelle - et, monsieur le rapporteur, je vous remercie de l'avoir souligné - il n'est pas possible de prétendre s'aligner sur les autres pays européens s'agissant des règles de nationalité sans faire comme eux, c'est-à-dire sans mettre intégralement en oeuvre les aides permises par la Commission européenne.

M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !

M. Henri de Richemont. Je veux, bien sûr, parler du salaire net.

Grâce au salaire net, on compte 70 % de marins danois à bord des navires danois et de marins italiens à bord des navires italiens. Le privilège de nationalité n'est donc pas nécessaire si l'on utilise les aides de la Commission ; par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi l'abolir sans mettre en oeuvre les aides autorisées par Bruxelles dans notre pays ?

Certes, cela coûte cher, mais la sécurité coûte cher !

Et, comme l'a dit Charles Revet, si on ne le fait pas, l'avenir de la filière maritime française sera compromis, car, je le répète, il passe par le maintien de commandants français. Vous-même, monsieur le secrétaire d'État, vous avez voulu que les inspecteurs de la navigation soient d'anciens navigants ; mais si, demain, il n'y a plus de navigants français, il n'y aura alors plus d'inspecteur, plus de pilote, plus de capitaine d'armement pour aider le préfet maritime !

Je le dis très franchement : peut-être nous faut-il aller dans le sens de cette évolution ; mais alors, utilisons les moyens que nous offre Bruxelles pour rendre compétitif l'emploi de marins français !

Cependant, je sais bien, monsieur le secrétaire d'État, que, compte tenu du coût budgétaire de cette disposition, nous n'allons pas mettre en place le salaire net tout de suite. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement de compromis, qui vise à maintenir le principe de la nationalité française du capitaine -  il est en effet délégataire de la puissance publique pour les questions de sûreté et de sécurité - mais ouvre une possibilité de dérogation : il vaut mieux en effet, si un armateur justifie ne pas pouvoir trouver d'officier français, lui éviter d'avoir à « dépavillonner » en lui accordant une exonération.

Tel est l'objet de cet amendement, qui, je l'espère, sera adopté. (M. Jean Desessard s'exclame.) Je précise qu'une telle possibilité de dérogation au profit d'un marin européen existe en Belgique même. Or, que je sache, il n'y a pas de recours en manquement contre l'État belge ! Je demande donc que l'on adopte en France une pratique que la Commission européenne n'a pas réprimée en Belgique...

En définitive, monsieur le secrétaire d'État, la question la plus importante est celle de la sécurité maritime, et celle-ci dépend avant tout des possibilités données à nos nationaux de remplir les rôles et les fonctions qui sont les leurs. Ainsi, devant la mission d'information du Sénat chargée d'examiner l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage du navire Erika, le commandant Charles Claden a souligné les risques pris par les marins bretons à bord de son remorqueur pour défendre nos côtes...

Le présent projet de loi est certes important, mais nous devons absolument tout faire pour assurer demain notre sécurité par la présence d'un nombre important de navigants français à bord de nos navires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe CRC.)

M. Jean Desessard. C'est perdu d'avance, monsieur de Richemont !

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui entend mettre un terme à la règle selon laquelle le capitaine d'un navire battant pavillon français et l'officier chargé de sa suppléance doivent être de nationalité française.

Ce texte, présenté, à tort selon nous, comme la traduction de la mise en conformité du droit français au droit communautaire, s'inscrit dans le sillon de la loi de 2005 portant création du registre international français.

M. Jean Desessard. Dans le sillage plutôt ! (Sourires.)

M. Gérard Le Cam. Lors de ces débats, débutés en 2003, nous avions vivement dénoncé la possibilité d'employer des marins étrangers aux conditions de leur pays d'origine sur des bâtiments battant pavillon national. Avec la mise en place du registre international français, les parlementaires cautionnaient l'engagement de personnels étrangers dans des conditions souvent moins favorables que les personnels nationaux, alors que ces derniers couraient le risque de voir remis en cause tant leur statut que leur emploi.

Malgré cette aubaine offerte aux armateurs, la création du RIF n'a pas eu, vous en conviendrez, les effets escomptés. Le rapport sur le projet de loi avance deux explications à cet échec. Il souligne tout d'abord la classification par l'International Transport Workers Federation du registre international français en pavillon de complaisance ; mais cette analyse, quoique flatteuse, au regard de l'influence qui est ainsi attribuée à l'organisme concerné, paraît quelque peu fantaisiste quand on connaît le succès des pavillons de complaisance. En revanche, le retard pris dans l'agrément du GIE fiscal par la Commission explique sans doute mieux la retenue des entreprises concernées...

Toujours est-il que le RIF engendre des problèmes sans atteindre les objectifs fixés. Peut-être serait-il opportun dès lors d'envisager d'autres solutions. En effet, le développement du pavillon national et de l'activité maritime ne peut pas se concevoir comme une harmonisation par le bas des normes sociales et des règles de sécurité. Or c'est bien de cela qu'il est question, comme vient de le souligner M. de Richemont.

À titre d'exemple, il est indiqué à la page 17 du rapport que le succès du RIF serait « l'une des clés du maintien de la filière maritime française et de la lutte pour la sécurité maritime, puisque c'est l'État français qui est compétent pour contrôler le respect des règles de sécurité et des normes sociales à bord des navires immatriculés au RIF ». Nous pensons au contraire que ce contrôle, bien que nécessaire, n'est pas suffisant, car, en l'état actuel de la législation, les entreprises de travail maritimes sont soit agréées par l'État d'implantation, soit soumises au contrôle de l'armateur.

Nous souhaitons que l'État français puisse contrôler en amont ces entreprises pour vérifier qu'elles respectent les règles minimales de protection des personnels qui travaillent sur les bâtiments battant pavillon français. La France a été à plusieurs reprises le théâtre d'abandons de navire dont les personnels impayés n'avaient pas les moyens de regagner leur pays : le Kifangondo au Havre, l'Obo Basak à Dunkerque, l'Oscar Jupiter à Nantes ou le City of London à Marseille sont autant d'exemples malheureux. C'est dire la précarité des conditions de travail et de vie de certains équipages !

Nous devons donner l'exemple, assurer aux personnels navigants de bonnes conditions de travail et non pas organiser notre législation pour faire du dumping social. D'ailleurs, la convention du travail maritime approuvée le 23 février 2006 par l'OIT en vue de remplacer les soixante-huit conventions et recommandations adoptées depuis 1920 portant sur les conditions de travail des gens de mer attribue plus clairement à l'État du pavillon la responsabilité de toutes les questions de travail et des questions sociales à bord des navires.

Il est essentiel de revaloriser les conditions de travail et de rémunération au regard de la dureté des métiers et des enjeux humains, environnementaux et économiques liés à l'exercice des métiers de la mer.

Le texte que vous proposez aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'État, va dans un tout autre sens. Il poursuit le mouvement engagé en 2005 en invoquant le respect du droit communautaire alors même que les jurisprudences sont les mêmes. À cette époque, tant le Gouvernement que les différents rapporteurs sur le texte au Sénat affirmaient l'importance de la nationalité française du capitaine et de son second. Lors de son intervention sur l'affaire Anker, l'État français avait expliqué très justement, en faisant référence à l'affaire Reyners et à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 21 juin 1974, que les prérogatives de puissance publique dont dispose le capitaine d'un navire ne sont pas séparables de ses autres activités et qu'un emploi relève de l'exception prévue à l'article 39, paragraphe 4, du traité CE, dès lors qu'il comporte des prérogatives de puissance publique.

Le projet de loi, sous prétexte de se conformer aux exigences communautaires et d'échapper aux foudres d'une action en manquement, risque, dans les faits, de faire du principe qui prévalait jusque-là une exception.

Ce faisant, le Gouvernement va au-delà des exigences communautaires.

En effet, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes accepte qu'il soit dérogé au principe de libre circulation des travailleurs dans la mesure où les prérogatives de puissance publique sont effectivement exercées de façon habituelle et ne représentent pas une part réduite de leur activité. Cette jurisprudence ne pose en aucun cas une interdiction absolue de réserver la nationalité française à ces personnels. C'est également ce qui ressort de la lecture des extraits de la requête de la Commission européenne quand elle demande à la Cour de « constater que, en maintenant dans sa législation l'exigence de la nationalité française pour l'exercice des emplois de capitaines et officiers sur tous les bateaux battant pavillon français, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 39 CE ».

De plus, en l'état, la future loi risque d'être déclarée inconstitutionnelle, et cela malgré les précautions apportées en ce qui concerne les prérogatives en matière pénale et de sécurité des navires. En effet, les pouvoirs conférés au capitaine ou à son second en qualité d'officier ministériel et d'officier d'état civil restent des prérogatives de puissance publique.

L'activité maritime, au regard de l'immensité des territoires qu'elle recouvre, de la multitude des sujets de droit qu'elle concerne et des droits qui sont applicables, requiert une volonté forte des États si l'on ne veut pas céder à la tentation d'une irresponsabilité facile à organiser.

La convention de Genève sur la haute mer de 1958 et la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 prévoient qu'un lien substantiel doit exister entre l'État et le navire. Or, nous considérons que la réserve de nationalité française du capitaine du navire et de son suppléant est un élément constitutif de ce lien.

Le navire, rattaché par le pavillon qu'il bat à un seul État, soumis à la seule juridiction de ce dernier, est en droit de naviguer sur toutes les mers du globe et de se déplacer hors des frontières de l'État dont il a la nationalité pour évoluer dans un espace de liberté où s'affrontent d'autres pavillons, et donc d'autres nationalités. Le droit international public s'applique dans cet espace pour assurer, entre autres choses, la sécurité et la sûreté de la navigation ainsi que la protection de l'environnement marin.

Le drame, dans lequel un patron pêcheur français a été tué, causé par le naufrage au large de l'île d'Ouessant du Sokalique, navire immatriculé dans les îles Kiribati, montre les problèmes que soulèvent les lacunes de la justice internationale en matière de droit de la mer et la compétence juridictionnelle de l'État pavillon.

Les difficultés pour trouver les responsabilités dans l'affaire de l'Erika constituent un autre exemple malheureux mais prévisible. En effet, le rapport sur le naufrage du pétrolier remis au gouvernement de Lionel Jospin en janvier 2000 faisait apparaître que le propriétaire du navire était une société maltaise contrôlée par deux sociétés libériennes au capital détenu par des personnes dont l'identité n'était pas clairement établie, et que ce navire était exploité par un ressortissant italien, conduit par un capitaine et un équipage indiens, sous pavillon de libre immatriculation maltais !

Il devient urgent de se mobiliser à l'échelle européenne et internationale contre les pavillons de complaisance et contre la justice de complaisance qui en découle.

Il incombe aux États de veiller à ce que les navires battant leur pavillon respectent les règles et les normes internationales applicables, ainsi que les lois nationales adoptées conformément à la convention.

Or le capitaine est responsable à bord de l'application des diverses conventions internationales, s'agissant en particulier de la sécurité du navire, des biens, des hommes, et de la préservation de l'environnement.

Force est de constater que les fonctions de capitaine sont indissociables de l'exercice de prérogatives de puissance publique. En cas de violation de ces obligations par le navire, la responsabilité de la France pourra donc être engagée.

De plus, pour des raisons pratiques de communication et de réactivité, il apparaît essentiel que les personnes qui exercent ces fonctions soient en mesure de connaître non seulement la langue de l'État pavillon, mais également le contenu des lois nationales.

Le compte rendu du colloque international sur le pavillon qui s'est tenu à Paris les 2 et 3 mars 2007, compte rendu disponible sur le site de l'Association française des capitaines de navires, l'AFCAN, fait état du « point de vue du capitaine » d'un navire sous pavillon de complaisance, s'agissant de l'autorité : « L'autorité, ce n'est pas le pavillon : le capitaine n'a aucun contact avec lui. Par certains côtés, l'autorité, c'est la société de classification, qui agit pour le compte de l'État du pavillon. L'autorité, c'est surtout le gestionnaire du navire, ainsi que l'affréteur, c'est-à-dire les donneurs d'ordres. »

C'est pourquoi le lien substantiel ne peut se limiter à un contact pour l'immatriculation et au paiement d'une taxe. Or, en disloquant encore le lien entre l'État et le navire, c'est ce à quoi nous conduit ce projet de loi.

En outre, la voie choisie par le Gouvernement fait peser des dangers sur la pérennité du savoir-faire maritime français. Pour occuper le poste de capitaine, une expérience acquise pendant de nombreuses années dans des fonctions intermédiaires est nécessaire. Les capitaines restent peu de temps en poste. Les fonctions sont écrasantes de responsabilité et la rémunération n'est pas à la hauteur des sacrifices. D'ailleurs, le déficit des candidats à la relève est symptomatique du désintéressement pour cette fonction.

Là où vous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, de chercher des candidats ailleurs, candidats qui ne seront pas formés par nos écoles, nous pensons, pour notre part, qu'il faudrait revaloriser ces métiers afin de garder le savoir-faire français et de créer des emplois dans cette filière économiquement prometteuse.

Enfin, en ce qui concerne la question de la langue - c'est en effet le coeur du problème si l'on ouvre les fonctions de capitaine à d'autres nationalités -, on peut lire, toujours sur le site de l'AFCAN, dans un document traitant du thème « le RIF et la nationalité du capitaine », ces lignes très instructives : « Le deuxième volet de nos préoccupations est le résultat de la mixité linguistique des équipages. L'analyse de la situation actuelle est rapide : ce n'est pas vrai, tous les marins ne parlent pas suffisamment anglais ! » [...] « Dans l'analyse des causes des accidents maritimes, l'incompréhension des communications échangées est un élément dominant ! ».

Ainsi perçoit-on les dangers résultant d'un commandement opéré soit dans une langue qui n'est pas comprise par la majorité de l'équipage, soit dans un mauvais anglais dont l'accent rend les phrases incompréhensibles.

Dès lors, monsieur le ministre, vous comprendrez que, à la fois pour des raisons très simples de sécurité, pour tenir compte des exigences essentielles de qualité de la formation et d'exercice des professions concernées par ce projet de loi ainsi que pour préserver le savoir-faire français, nous soyons résolument hostiles à l'ouverture que vous prônez et que, en conséquence, nous votions contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Marie-Christine Blandin et M. Jean Desessard applaudissent également.)

(M. Guy Fischer remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La parole est à M. Charles Josselin.

M. Charles Josselin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la relation à l'espace et au temps est à la confluence de toute action politique.

S'agissant de politique maritime, et singulièrement du sujet qui nous réunit en cet instant, à savoir la nationalité des équipages de navires, ce lien est particulièrement avéré.

En ce qui concerne l'espace maritime, les quatre cinquièmes de la surface du globe sont parcourus librement pour l'essentiel, les eaux internationales étant seulement bordées par des eaux territoriales sous souveraineté nationale. Voilà pour l'espace.

Le temps, c'est celui du déclin de la flotte marchande française commencé depuis un demi-siècle et qui a vu notre pays régresser - M. le rapporteur le rappelait à l'instant - du quatrième au vingt-neuvième rang mondial.

Deux événements majeurs y ont certainement contribué : d'une part, la fin de notre empire colonial, qui a profondément modifié la relation de la France au reste du monde et, d'autre part, l'invention des pavillons de complaisance bâtie sur l'inégalité du monde et que le capitalisme maritime a exploité sans vergogne, faisant le lit des protections sociales durement gagnées par le mouvement syndical des marins.

Il restait aux pays occidentaux à tenter de sauver les meubles par le recours aux pavillons bis. Or ceux-ci n'ont empêché ni la régression sociale ni le recul de l'emploi des équipages nationaux.

Plus que tout autre secteur, avant les autres, l'activité maritime a été balayée par le grand vent de la mondialisation. Un bateau est en effet, par nature, délocalisable ; il va là où le commerce l'entraîne, et l'on sait le poids de l'Asie dans l'explosion du commerce maritime.

Le porte-containeurs, filiale flottante des multinationales, peut naviguer toute une vie sans toucher une seule fois son port d'attache théorique.

Le concept même de port d'attache a-t-il encore une signification ?

Au lien avec l'armateur se substitue peu à peu l'embauche à temps partiel par une société de services, le capitaine par intérim allant à l'autre bout du monde prendre livraison d'un nouveau navire - qui n'est pas toujours neuf - et découvrant un équipage philippin ou maltais avec lequel il va devoir affronter les événements de mer en endossant la formidable responsabilité non seulement de la sécurité de ses hommes, de celle de sa cargaison dont le contenu lui échappe parfois, mais aussi et surtout -  je suis d'accord sur ce point avec ce que disait à l'instant notre collègue Henri de Richemont - de la sécurité des côtes que le navire va frôler. Les Bretons le savent mieux que d'autres qui ont dû payer cher le prix d'une longue série de catastrophes venues souiller durablement leurs rivages !

Du point de vue de la sécurité, je ne voudrais pas incriminer systématiquement tous les pavillons de complaisance. En effet, il est des sociétés de classification - pas toutes, hélas ! - qui font convenablement leur travail. Cela étant dit, on ne peut mettre au débit des seules coïncidences le fait que presque tous les navires fracassés au cours des dernières années sur les récifs du Finistère ou des Côtes-d'Armor aient battu pavillon de complaisance avec des équipages le plus souvent hétéroclites dont la formation était incertaine et les moyens de communiquer approximatifs, sans oublier la difficulté rencontrée par certains pour lire les notices apposées sur les pièces du navire par le constructeur...

Nous soutiendrons bien évidemment les dispositions du présent projet de loi relatives à la maîtrise de la langue française à bord des navires immatriculés au RIF ainsi que les amendements destinés à les renforcer.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la relation à l'espace, c'est aussi, en l'espèce, la relation à l'Europe.

À cet égard, je dois à la mémoire de Pierre-Yvon Trémel, que je remplace sur les travées de la Haute Assemblée depuis son décès survenu en juin 2006 et qui était le porte-parole du groupe socialiste lors du débat d'avril 2005, comme je dois à la cohérence politique à laquelle est attaché le groupe socialiste de rappeler ce que le sénateur des Côtes-d'Armor disait alors : « Nous estimons qu'il faut s'orienter vers un registre européen ». (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

C'est la seule réponse, c'est la seule riposte véritablement efficace que nous puissions apporter au déferlement mondial de la complaisance.

Or, curieusement, cette référence à l'espace communautaire était absente du rapport de notre estimé collègue Charles Revet lors de la deuxième lecture, en avril 2005, de la proposition de loi relative à la création du RIF que j'ai lue avec beaucoup d'attention , comme elle était absente, cher collègue Henri de Richemont, en première lecture, en décembre 2003. Pourtant, l'Europe était déjà là, et elle s'exprimait sur ce sujet.

Or c'est précisément cet autisme par rapport à la réalité européenne qui nous vaut d'être à nouveau réunis.

Le Parlement consacre trop peu de temps aux questions maritimes pour considérer ce débat comme superflu. Toutefois, je ferai observer que, si l'Assemblée nationale avait adopté en janvier 2005 la proposition du député Jean Gaubert - il a été à bonne école puisqu'il fut mon suppléant pendant seize ans ! (Sourires.)  - tendant à ce que, à l'article 5 de la proposition de loi relative à la création du RIF, le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance soient ressortissants communautaires, le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui aurait perdu l'essentiel de son objet. En effet, à quoi le Gouvernement nous invite-t-il sinon à rendre le RIF eurocompatible ?

Contrairement à son rapport de 2005, notre collègue Charles Revet parle aujourd'hui abondamment, à juste raison, de l'Europe, et pour cause puisque c'est par obligation européenne que le Gouvernement agit en l'occurrence, et nous avec !

Or il est intéressant d'observer, à la lecture du même rapport, que la question de la réserve de nationalité a déjà une longue histoire commencée dès 1974 à la Cour de justice des communautés européennes, poursuivie en 1996, marquée en 2003, à la suite des arrêts Anave et Anker, par la position de principe de la juridiction européenne selon laquelle l'article 39, paragraphe 4, du traité CE doit être interprété comme n'autorisant un État membre à ne réserver à ses ressortissants la fonction de capitaine ou de suppléant qu'à condition que la prérogative de puissance publique soit effectivement exercée de manière habituelle et ne représente pas une part réduite de leurs activités.

En décembre de la même année, la Commission, reprenant à son compte la position de la Cour de justice, adressait à l'État français une lettre de mise en demeure et rappelait que la réserve de nationalité était incompatible avec l'article 39 dès lors que les prérogatives de puissance publique ne représentaient qu'une part réduite des activités du capitaine et de son second.

Comment nier l'évidence ? Il est clair que, à côté des attributions techniques, commerciales, de sûreté maritime, les prérogatives de puissance publique - comprenons l'état civil des marins et les mesures de sécurité en lien avec les crimes ou les délits  - ne sont que la partie congrue.

En février 2004, la France persiste dans sa tentative de résistance, mais annonce avoir engagé une réflexion sur la conformité de la législation française avec les règles communautaires.

En février 2005, une nouvelle lettre de la Commission demande aux autorités françaises de lui transmettre un calendrier de mise en conformité.

Le 13 juillet 2005, la France, par avis motivé de la Commission, se voit rappeler qu'elle manque aux obligations qui lui incombent, et c'est en décembre 2006 que les autorités françaises annoncent, enfin, un projet de loi tout en précisant bien que l'examen des questions de constitutionnalité obligerait à reporter l'examen du texte en question au second semestre 2007. Mes chers collègues, nous sommes le 18 septembre : pour un peu, nous serions en avance ! (Sourires.)

En réalité, comment expliquer que cette question n'ait pu être résolue plus tôt, notamment lors de l'examen de la proposition de loi relative à la création du RIF, tout au moins au cours de la seconde lecture du texte, en avril 2005 ?

J'ai rappelé à l'instant toutes les mises en garde, pour ne pas dire les rappels à l'ordre, dont nous avons fait l'objet alors que l'issue du bras de fer était connue d'avance : il n'y avait qu'à regarder comment les autres pays avaient bel et bien dû se conformer à cette législation !

Je me hasarderai à une explication conforme à mon postulat initial : la relation de l'espace politique avec l'espace et avec le temps, en l'occurrence le calendrier, celui du référendum sur le traité constitutionnel européen.

La loi relative à la création du RIF est datée du 3 mai ; le référendum sur le traité européen était prévu le 29 du même mois. M. Bolkestein et le plombier polonais étaient déjà bien installés dans le paysage français, et pas seulement maritime, faisant lever le vent du souverainisme. En bref, on a considéré que, pour ce texte, l'opportunité politique n'était pas au rendez-vous.

Au-delà des aspects juridiques, nous devons aussi garder présent à l'esprit ce que représente notre marine marchande en termes d'activité économique, d'emploi, de mise en valeur et de mise en mouvement de nos productions comme de nos services.

Or, en dépit des avantages financiers et fiscaux importants qui ont été consentis à nos armements, la réalité demeure préoccupante, notamment du point de vue de l'emploi. Pis, les armateurs de nos propres navires déclarent éprouver de graves difficultés à recruter des officiers français, et nos écoles de marine marchande connaissent, nous le rappelions à l'instant, une crise des vocations.

Certes, en rendant possible un recrutement communautaire, le texte qui nous est soumis aidera peut-être à combler certains vides dans l'encadrement des navires, y compris sur les bâtiments français.

Toutefois, notre pays peut-il se satisfaire de voir disparaître à moyen terme une filière française d'officiers de la marine marchande si ancienne ? À l'évidence, non ! Cette formation est indispensable, non seulement parce qu'il faut des officiers qualifiés et compétents sur la passerelle de commandement des navires, mais aussi parce que nos ports en ont absolument besoin, notamment leurs services d'inspection, dont les moyens aujourd'hui insuffisants contredisent tous les discours sur la protection de nos côtes, des rivages comme des eaux littorales.

La condition première pour garantir la pérennité de la filière française est de rendre espoir et confiance en l'avenir à la flotte marchande, en garantissant et en protégeant par un authentique registre européen, entre autres, ses conditions d'emploi, de sécurité, de rémunération, de formation, y compris la responsabilité des capitaines.

Je ne mésestime pas la difficulté de convaincre de cette nécessité certains de nos partenaires, qui croient avoir déjà résolu leurs propres problèmes. Toutefois, puisque, après tout, c'est la direction que nous devons emprunter, la France ne pourrait-elle pas, lorsqu'elle exercera la présidence de l'Union européenne, profiter de l'occasion pour réinscrire cette question à l'ordre du jour de l'agenda européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. le secrétaire d'Etat acquiesce.)

Voilà deux ans, Pierre-Yvon Trémel exprimait, au nom du groupe socialiste, son scepticisme face à la création du RIF. Il pointait les faiblesses de ce dispositif, par exemple la référence aux effectifs déclarés, qui ne correspondent pas toujours aux effectifs embarqués.

Il était réticent aussi parce que le pourcentage de marins communautaires se trouvait sensiblement en deçà de ce que le dialogue social avait laissé espérer. Il avait même proposé que l'on cesse de faire un distinguo entre les navires s'agissant de la proportion minimale de marins communautaires au sein de leur équipage - 35 % pour ceux qui ont bénéficié d'une aide fiscale lors de leur acquisition, 25 % pour les autres - , afin que la règle des 35 % s'applique uniformément à tous les bâtiments, comme le souhaitaient d'ailleurs les représentants des gens de mer.

Mes chers collègues, tous ces arguments demeurent pertinents, et nous voulons continuer à les rappeler. Toutefois, il est vrai également que le texte qui nous est présenté aujourd'hui vise d'abord à mettre le droit français en conformité avec la législation européenne, à laquelle la France ne peut se soustraire, et nous ne voudrions pas donner l'impression d'aller à contre-courant de l'Europe.

Parce que nous approuvons également certaines des dispositions de ce projet de loi, comme celles qui garantissent une meilleure maîtrise du droit ou de la langue française par les capitaines des navires, le groupe socialiste s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat a déjà débattu le 14 avril 2005 de ce problème, que l'on pourrait intituler : « le déclin du pavillon national et la disparition programmée de la marine marchande française ».

Je voudrais replacer la proposition de loi adoptée en 2005 dans son contexte politique. En réalité, pour éviter la baisse constante du nombre des navires portant pavillon français et pour s'adapter à la concurrence, la proposition de loi relative à la création du RIF tendait à abaisser les contraintes sociales et juridiques.

C'était en partie la victoire du laisser-faire, l'acceptation du non-droit en matière maritime, l'alignement sur les conditions des pavillons de complaisance, soit le dumping social, fiscal et environnemental ainsi que la réduction de la sécurité maritime !

Dans ce texte, le seul garde-fou, défendu à l'époque par M. de Richemont, était la garantie d'un commandement français. Monsieur de Richemont, vous devez vous sentir floué aujourd'hui, et je comprends votre colère, car cet unique garde-fou, nous allons le supprimer !

Aujourd'hui, plus de 80 % des navires sont armés « à la complaisance », dans l'un des quarante « États complaisants ». Un chiffre révèle la nature de ce phénomène : 70 % des navires sous pavillon de complaisance se trouvent en mauvais état et continuent pourtant de faire du commerce dans les ports européens.

Historiquement mis en place pour contourner la pression des syndicats de marins américains après la Seconde Guerre mondiale, les pavillons de complaisance sont devenus aujourd'hui un phénomène mondial.

Les marées noires de l'Erika, un pétrolier qui était la propriété d'une société-écran, coquille vide enregistrée à Malte, qui se trouvait affrété par une société helvético-panaméenne et qui transportait une marchandise appartenant à une filiale de Total aux Bermudes, ainsi que du Prestige, un navire libérien battant pavillon des Bahamas, s'expliquent en grande partie par ces failles de la réglementation.

Tout récemment encore, l'actualité nous a rappelé ce problème, à l'occasion du décès du marin Bernard Jobard, dont le navire a été percuté par le cargo Ocean Jasper, immatriculé dans les îles Kiribati.

Nicolas Sarkozy, Président de la République, a certes eu le sens du symbole, en assistant aux funérailles du marin-pêcheur. Toutefois, au-delà de la compassion, il serait urgent de saisir nos partenaires européens de ce problème afin qu'un tel drame ne se reproduise pas. En effet, au sein même de l'Union européenne, certains États, en particulier Malte et Chypre, ont décidé de brader leur souveraineté pour attirer des capitaux et développer leur commerce.

À cet égard, des premières vacances passées sur un yacht au large de Malte ne constituent pas un symbole très encourageant, surtout quand on sait que ce navire était prêté par M. Vincent Bolloré, qui, en tant qu'armateur, immatricule ses bateaux aux Bahamas ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)