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CONséquences économiques de l'épidémie de grippe aviaire sur la filière avicole

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 14 de M. Dominique Mortemousque à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les conséquences économiques de l'épidémie de grippe aviaire sur la filière avicole.

La parole est à M. Dominique Mortemousque, auteur de la question.

M. Dominique Mortemousque. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'entrer dans le vif du débat, je veux remercier celles et ceux qui ont contribué à la tenue de cette discussion.

Je remercie d'abord M. Dominique Bussereau, dont nous connaissons la remarquable implication et la grande compétence.

Je remercie ensuite les organisations professionnelles représentatives de l'amont et de l'aval du secteur avicole, c'est-à-dire la Confédération française de l'aviculture et la Fédération des industries avicoles.

Enfin, je remercie mes collègues de la commission des affaires économiques avec qui j'ai eu, voilà deux semaines, une très intéressante discussion qui a nourri mes réflexions sur ce sujet.

Pour en revenir à l'objet de ce débat, je résumerai ainsi la situation actuelle de la filière avicole : elle est grave, mais tout de même porteuse d'avenir.

Mon intervention sera structurée autour de trois points : le constat de l'état des lieux, les initiatives qui ont déjà été prises pour faire face à la crise et quelques pistes pour l'avenir.

S'agissant tout d'abord du constat de l'état des lieux, la situation est indéniablement grave, l'épidémie de grippe aviaire atteignant un secteur structurellement fragile.

Pour ce qui est des contraintes conjoncturelles liées au virus H5N1, elles sont marquées par plusieurs éléments.

Premièrement, on constate une baisse sensible de la consommation depuis six mois. Cette dernière, qui avait chuté d'environ 35 % au plus fort de la crise, est actuellement en baisse de 5 % à 10 %, selon la Fédération du commerce et de l'industrie.

Deuxièmement, on enregistre une réduction des quantités commercialisées, du fait de la baisse de la consommation intérieure, mais également en raison de la diminution des commandes étrangères à la suite de nombreux embargos.

Troisièmement, on note une diminution des quantités produites, qui se traduit par une réduction des mises en place, un allongement des vides sanitaires et une baisse de l'activité des entreprises d'abattage et de transformation.

Enfin, conséquence des trois constats précédents, les pertes de chiffre d'affaires sont importantes. Elles sont estimées à 40 millions d'euros par mois pour l'ensemble de la filière.

À cela, viennent s'ajouter des conséquences sociales lourdes, puisque 15 % des emplois du secteur seraient, à terme, menacés. Ces emplois concernent aussi bien les grosses que les petites exploitations.

Ces difficultés se trouvent aggravées par la fragilité structurelle du secteur, marquée par plusieurs tendances.

Le premier élément de fragilisation est la montée en puissance des producteurs concurrents.

Du point de vue des exportations, la tendance est à la baisse continue depuis sept ans, alors que le volume du marché mondial a quadruplé depuis 1990. Cette baisse de l'exportation est constatée aussi bien vers les pays de l'Union européenne - Grande-Bretagne, Allemagne - que vers les pays tiers du Proche et du Moyen-Orient, ou encore d'Afrique.

Du point de vue des importations, les approvisionnements communautaires en provenance du Brésil, de la Thaïlande et des pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, ont explosé ces dernières années, passant de 172 000 tonnes en 1992 à 853 000 tonnes en 2000 - soit cinq fois plus !

Le deuxième élément de fragilisation est la fin programmée - en 2013 exactement - des restitutions à l'exportation, en raison des exigences de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC : 200 000 tonnes de production annuelle seraient potentiellement touchées, tandis que 3 000 à 4 000 éleveurs seraient, à terme, condamnés à arrêter leur activité.

Le troisième élément de fragilisation est une baisse de la consommation de 5 % entre 2001 et 2003, sachant par ailleurs qu'un Français mange deux fois moins de viande blanche chaque année qu'un Américain !

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Ce n'est pas bien ! (Sourires.)

M. Dominique Mortemousque. Certes !

Le quatrième élément de fragilisation est l'augmentation des contraintes liées au bien-être animal.

Le respect d'une telle exigence est légitime, et fait d'ailleurs l'objet d'une stricte législation nationale. Toutefois, il convient d'être vigilant au regard des projets de nouvelles réglementations communautaires tendant à renforcer encore ces contraintes, car elles risqueraient d'augmenter les coûts de production et donc les distorsions de concurrence avec les pays tiers.

Enfin, le dernier élément de fragilisation est l'insuffisance des efforts en termes d'innovation, de recherche et de développement. Longtemps à la pointe pour son travail sur les souches aviaires, notre pays s'est laissé progressivement distancer par ses plus proches concurrents.

En ce qui concerne maintenant les initiatives déjà prises, la filière s'est organisée.

D'une part, elle a réduit ses capacités de production par le non-renouvellement des contrats de travail temporaires ou intérimaires, la modulation des horaires de travail, le recours à des mesures de chômage partiel.

D'autre part, elle a lancé dans les médias des campagnes d'information auprès du grand public et des campagnes de promotion chez les distributeurs.

De son côté, le Gouvernement a mobilisé une enveloppe de 63 millions d'euros - que M. le ministre va nous détailler -, tandis que certaines collectivités ont financé en partie des campagnes d'information sur le plan local.

En ce qui concerne enfin les pistes pour l'avenir de la filière, je vous ferai part des raisons qui nous incitent à demeurer confiants.

D'une façon générale, il faut rappeler que la France occupe les tous premiers rangs mondiaux dans le secteur. Notre pays est, en effet, le premier producteur européen et le cinquième exportateur mondial.

Deuxième source de confiance, la baisse de la consommation en France, certes notable, est demeurée modérée par rapport à celle d'autres pays européens. Certains d'entre eux, en effet, ont connu des chutes de consommation allant de 70 % à 80 % !

En outre, les personnes auditionnées ont fait état de prévisions anticipant une nette hausse du marché de la volaille pour les années à venir.

Troisième source de confiance, le réseau sanitaire français, sans doute l'un des meilleurs au monde, a démontré sa capacité à dépister très rapidement les foyers d'infection et à les circonscrire efficacement. Cela explique peut-être qu'ils soient demeurés très rares. En effet, pour l'instant, un seul cas a été recensé dans un élevage.

Dans la mise en place de la stratégie de communication, il nous faudra insister davantage sur cet atout, car il s'agit d'un élément propre à rassurer les consommateurs et les partenaires commerciaux à l'export.

Quatrième source de confiance, l'expression d'une solidarité européenne est en cours.

La Commission européenne, soyons honnêtes, s'est longtemps retranchée derrière le caractère restrictif de la législation communautaire sur les périodes de crise pour justifier son inaction.

Cependant, les choses ont évolué dernièrement - je tiens d'ailleurs à vous remercier, monsieur le ministre, pour l'action forte, efficace et soutenue que vous avez menée en ce sens. La commissaire européenne à l'agriculture, Mariann Fischer Boel, a en effet proposé d'aménager l'organisation commune de marché « oeufs et volaille » pour faire face à la crise du secteur.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous assurer que cette réforme sera validée lors du prochain Conseil des ministres « agriculture et pêche », le 25 avril, et nous apporter des précisions quant aux modalités de sa mise en oeuvre ?

Par ailleurs, pensez-vous pouvoir obtenir le déplafonnement des 3 000 euros d'aides par exploitation, demandé avec force par l'ensemble de la profession ?

Cinquième source de confiance, la filière française continue de bénéficier d'avantages comparatifs.

Certes, il sera très difficile, voire impossible, aux producteurs français de lutter à armes égales sur le terrain de la production de masse avec des concurrents dont les charges sont deux fois moindres que les leurs, surtout depuis que se profile à l'horizon la suppression des restitutions à l'exportation.

Cependant, notre pays peut l'emporter sur les marchés de gamme supérieure, en valorisant encore mieux la qualité, le goût, l'origine, la traçabilité, le respect de l'environnement et du bien-être animal. Ce sont autant d'éléments pour lesquels les consommateurs, aujourd'hui perdus et inquiets au sujet de leur alimentation, sont prêts à payer plus cher.

Dernière raison d'être confiants - la plus importante -, la filière manifeste aujourd'hui sa volonté de s'organiser. Le secteur avicole souffre traditionnellement de l'absence d'interprofession générale, ce qui oblige les syndicats représentatifs ou des interprofessions partielles à se mobiliser ponctuellement, pour des résultats souvent faibles.

Un mal apportant souvent un bien, l'épidémie de grippe aviaire a mis en lumière cette carence, et il semble que les professionnels affichent désormais une réelle volonté de construire une interprofession.

Pour ma part, j'estime qu'il faut, avec le soutien des pouvoirs publics, impérativement bâtir cette structure interprofessionnelle puissante et reconnue de tous les acteurs de la filière. Elle doit être associée en amont à l'élaboration de toute législation, nationale comme communautaire. Cette condition est incontournable pour regagner la confiance de tous les acteurs de la filière.

Monsieur le ministre, tels sont les points essentiels que je souhaitais aborder. En conclusion, je veux indiquer que, bien que la situation soit très préoccupante, elle est en même temps, si nous agissons comme il convient, porteuse d'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur spécial.

Mme Nicole Bricq, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite vous faire part de deux considérations préliminaires au propos que je tiendrai en ma qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurité sanitaire » : La première concerne la nature macroéconomique de la crise et la seconde est d'ordre budgétaire.

Les dernières données macroéconomiques de l'INSEE, communiquées au début du mois de mars dernier, font une première estimation des effets économiques de la grippe aviaire en France.

Estimant ainsi que « l'impact global serait toutefois très limité », l'INSEE précise que, d'un point de vue économique, la grippe aviaire touche la production agroalimentaire avicole, qui représente 4,1 % de la production agricole et 2,2 % de l'industrie agroalimentaire. Dans l'hypothèse où le virus resterait cantonné aux animaux, la grippe aviaire aurait essentiellement un impact sur les exportations avicoles de la France. Eu égard à l'embargo total des pays qui l'ont signifié à ce jour et à un repli prévisible de 10 % des importations des autres pays, les exportations avicoles diminueraient de 22 % dès le premier trimestre 2006, soit une perte d'environ 70 millions d'euros.

En outre, l'INSEE souligne que l'impact de la grippe aviaire devrait être également sensible sur la production de l'industrie agroalimentaire, via l'indice de la production industrielle de cette branche. Le repli devrait surtout être enregistré au deuxième trimestre. Dans un premier temps, les abattages de volailles ne cesseraient pas et la chute des demandes interne et externe se traduirait par une montée des stocks. Dans un second temps, l'adaptation de la production interviendrait, faisant chuter l'activité.

Ainsi, en termes de production, l'impact sur les exportations avicoles se traduirait par une baisse de 0,02 % de la croissance du PIB du premier trimestre 2006. Selon l'ampleur de la chute de la consommation de volailles, mais aussi selon le degré et l'orientation de la substitution de la consommation alimentaire, l'impact final sur le produit intérieur brut pourrait être plus important d'après l'INSEE.

Si l'impact macroéconomique de cette crise doit être relativisé, l'impact économique sur la filière avicole est bien réel, comme en témoigne le décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits publié par le Gouvernement le 27 mars 2006, destiné à financer, à hauteur de 68 millions d'euros, les mesures relatives à l'épizootie de grippe aviaire et sur lequel la commission des finances du Sénat a été amenée à se prononcer, en vertu des dispositions de la LOLF.

Ce décret d'avance a en effet permis l'ouverture de 52 millions d'euros au titre du soutien économique en faveur de la filière avicole - vous avez évoqué ce point, monsieur Mortemousque -, et de 16 millions d'euros au titre du programme « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » de la mission dont j'ai l'honneur de présenter les crédits. Cette dernière somme doit permettre de financer les visites sanitaires obligatoires dans les exploitations situées en zone de protection, la vaccination des palmipèdes dans certains élevages ainsi que l'indemnisation des éleveurs dont l'élevage doit être abattu.

À cet égard, je tiens à souligner que, si cette ouverture de crédits était nécessaire, elle aurait pu être anticipée par le Gouvernement puisque j'avais moi-même proposé au Sénat, lors de l'examen du budget de la sécurité sanitaire le 6 décembre dernier, un amendement visant à transférer un montant de 15 millions d'euros du programme « Veille et sécurité sanitaires » vers le programme « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ». Cet amendement avait été repoussé par le Sénat, notamment à la suite de l'intervention du ministre de la santé et des solidarités, qui avait précisé ceci : « l'abondement de 15 millions d'euros auquel vous souhaitez procéder, madame Bricq, est [...] inutile, puisque nous serions tout à fait en mesure de faire face au risque lié à l'épizootie ».

Le décret d'avance publié au cours du mois dernier n'a fait que confirmer l'analyse formulée par la commission des finances à la fin de l'année 2005.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq, rapporteur spécial. Le Gouvernement a rectifié le tir, et je lui en donne acte. Cependant, il serait quelquefois bien avisé d'écouter les parlementaires, qui parlent en connaissance de cause !

J'interviens aujourd'hui dans ce débat en tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurité sanitaire » parce que j'ai entamé, au début du mois de mars, au nom de la commission des finances, un contrôle budgétaire sur la mise en oeuvre par l'État et les services déconcentrés des mesures de lutte contre la grippe aviaire. Je rendrai compte de ma mission à ladite commission avant l'été.

J'ai donc été amenée, lors de mes nombreuses auditions et de mes quatre déplacements dans les départements de Saône-et-Loire, de Vendée, des Côtes d'Armor et de Seine-et-Marne, mon département, à rencontrer l'ensemble des acteurs de la filière avicole qui ont manifesté à la fois une grande inquiétude mais aussi une réelle combativité.

J'ai pu également constater, je dois le souligner, l'efficacité et l'implication des services de l'État, que ce soient les services vétérinaires ou les services économiques. Les premiers, forts de l'expérience tirée des grandes crises sanitaires précédentes, qu'il s'agisse de celles de l'ESB ou de la fièvre aphteuse, disposent aujourd'hui d'une organisation administrative efficace, à la hauteur des enjeux sanitaires actuels.

S'agissant du volet économique, les aides débloquées par le Gouvernement, considérées comme un premier « acompte » par les représentants des organisations professionnelles, ont pu être distribuées rapidement grâce au recours à une procédure accélérée faisant intervenir les directions de l'agriculture et le trésorier-payeur général de chaque département.

À ce jour, l'inquiétude des acteurs de la filière porte essentiellement sur la durabilité de la crise et sur l'effet économique à long terme des renforcements des mesures sanitaires.

Je voudrais articuler mon propos autour de deux idées majeures.

Tout d'abord, la crise de la grippe aviaire, que traverse aujourd'hui notre pays, s'inscrit dans un contexte plus global de recrudescence des épizooties au niveau mondial au cours des dix dernières années notamment, et doit donc être analysée comme un phénomène potentiellement durable.

Par ailleurs, la durabilité de cette crise impose de réévaluer son impact économique et de réfléchir, à plus long terme, à la « soutenabilité » économique des mesures sanitaires prises par les pouvoirs publics.

La recrudescence des épizooties au niveau mondial, au cours des dix dernières années, est le résultat d'une conjonction des différents facteurs suivants : la densité animale liée à l'intégration de plus en plus poussée des systèmes d'élevage dans certains pays où les mesures de biosécurité ne sont pas toujours respectées, voire mises en oeuvre, le rapprochement de certaines espèces animales, notamment des espèces sauvages et domestiques, l'évolution de la démographie humaine mondiale et la concentration des populations dans certaines régions, enfin - c'est un point très important -, la globalisation des échanges internationaux, qu'ils soient liés au commerce ou à la migration des populations.

Ces différents facteurs associés à l'émergence de conditions environnementales favorables à celle d'un nouveau virus ou d'un nouvel agent pathogène expliquent la recrudescence des épizooties au niveau international. Ces dernières se sont développées non seulement dans les pays en voie de développement, par exemple dans le Sud-Est asiatique, mais aussi en Europe. Ainsi, en 2003, les Pays-Bas avaient dû faire face à une épizootie d'influenza aviaire sans précédent, liée au virus H7N7, qui avait abouti à l'abattage d'un tiers du cheptel avicole hollandais, tandis qu'au Royaume-Uni, en 2001, l'épizootie de fièvre aphteuse avait grandement fragilisé et même pratiquement anéanti la filière bovine.

L'actuelle épizootie d'influenza aviaire hautement pathogène, issue du virus H5N1, est apparue en Asie du Sud-Est dès 1997 et a proliféré sur divers continents, si bien que l'on peut aujourd'hui parler de situation de panzootie, caractérisée par la présence simultanée de l'épizootie sur plusieurs continents. Les États-Unis s'y préparent activement, bien que le continent américain ne soit pas encore touché.

En outre, les facteurs d'émergence des épizooties sont également à l'origine de la multiplication, à l'échelle internationale, des zoonoses, à savoir des maladies transmissibles de l'animal à l'homme. C'est pourquoi - et je voudrais vraiment insister sur ce point -, agir en amont pour préserver la santé animale est une nécessité si l'on veut protéger la santé humaine. Dès lors, la mise en oeuvre de mesures renforcées de sécurité sanitaire, dans le but de préserver la santé animale et dans le respect du bien-être animal, est une priorité, à l'échelle aussi bien nationale qu'internationale.

Ainsi, l'aide internationale en direction des pays en voie de développement touchés par l'épizootie d'influenza aviaire est primordiale. Au mois de janvier dernier, au cours de la conférence de Pékin organisée conjointement par l'Organisation mondiale de la santé animale, ou OIE, et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, ou FAO, les grands bailleurs de fonds internationaux se sont engagés à débloquer une aide de 1,9 milliard de dollars, dont la moitié devait être consacrée à l'amélioration de la santé vétérinaire dans les pays les plus touchés, en Asie du Sud-Est et surtout en Afrique. Si certains pays d'Asie du Sud-Est ont mis en place des méthodes de lutte efficaces de nature à rassurer sur leur capacité à maîtriser l'évolution de l'épizootie, d'autres, comme l'Indonésie et surtout la plupart des pays africains touchés, sont dans l'incapacité technique, économique et politique de contenir la maladie.

Or, en dépit des engagements financiers qu'ils ont pris au moment de la conférence de Pékin, les pays industrialisés tardent à financer la lutte contre l'épizootie dans les pays les plus démunis. L'Union européenne, notamment, a été pointée du doigt pour n'avoir pas décidé assez rapidement des critères d'attribution des aides promises, alors qu'elle devrait être en première ligne, compte tenu des échanges commerciaux et humains qu'elle entretient avec le continent africain. Je note toutefois avec satisfaction que la France est, avec le Japon, l'un des premiers pays donateurs à avoir débloqué une aide en faveur de l'Afrique, à hauteur de près de 5 millions d'euros. Le caractère certes modeste de cette contribution doit être relativisé, eu égard à l'aide apportée par les autres pays.

Cette imbrication entre santé humaine et santé animale plaiderait, selon moi, en faveur d'une nouvelle organisation administrative de l'État qui pourrait se doter d'un pôle de santé publique afin d'appréhender simultanément les problématiques de santé animale et de santé humaine en évitant de minimiser la dimension animale, comme l'a fait, monsieur le ministre, votre collègue chargé de la santé, et de « diluer » le pôle vétérinaire au sein du pôle de la santé humaine. La réforme de l'architecture budgétaire en cours, qui consiste à définir des missions interministérielles, en l'occurrence celle de la sécurité sanitaire, devrait logiquement répondre à cet objectif. Mais nous en sommes bien loin. Nous reverrons le problème ultérieurement.

La recrudescence des épizooties, au niveau mondial, impose donc aujourd'hui de s'installer dans la durée. J'en veux pour preuve, même si la crise relative au CPE qui a frappé notre pays a fait quelque peu oublier ce fait, la découverte d'un foyer de grippe aviaire en Saxe qui a entraîné des abattages.

L'interrogation formulée par l'ensemble des acteurs de la filière avicole que j'ai pu rencontrer sur le terrain est la suivante : « comment pourra-t-on vivre durablement avec cette crise ? »

En effet, aujourd'hui, la question se pose de savoir comment la filière avicole française pourra supporter l'impact économique des mesures sanitaires rendues nécessaires par l'apparition du virus hautement pathogène sur notre territoire.

Par un arrêté du 16 février 2006, le Gouvernement a décidé d'imposer la claustration, dite « confinement », des élevages sur l'ensemble du territoire. Toutefois, il a prévu qu'au confinement à l'intérieur de bâtiments fermés « il peut être dérogé [...], lorsque ce maintien n'est pas praticable. Dans ce cas, le détenteur des oiseaux doit faire procéder à une visite par un vétérinaire sanitaire ». Le déconfinement intervenu dans la Bresse s'inscrit dans ce cadre.

Le renforcement des mesures sanitaires et des contrôles vétérinaires a un coût, non seulement pour l'État mais aussi pour la filière, surtout s'il a vocation à durer.

Aujourd'hui - j'ai pu m'en rendre compte en me déplaçant dans les élevages, les abattoirs et les basses-cours -, tous les acteurs économiques de la filière avicole sont touchés : l'amont, la production et l'aval. En effet, cette crise affecte d'abord le premier maillon de la filière que sont les entreprises de sélection génétique - les reproducteurs - et les accouveurs, qui ne peuvent faire face à une évolution brutale du marché en raison de cycles de production longs de plusieurs années. Il en est de même pour les producteurs et les industries d'abattage, dont les cycles de production de plusieurs mois ne permettent pas d'adaptation de la production au niveau de la consommation, ce qui conduit la filière à stocker les viandes de volaille aujourd'hui non commercialisables.

Enfin, il faut souligner que l'élevage de qualité, qui constitue une spécificité française, devrait également souffrir de la crise de manière disproportionnée, car ses structures de production ne sont en rien adaptées aux mesures de confinement. À cet égard, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur un point précis : les éleveurs de qualité qui ne peuvent plus respecter certaines obligations de leur cahier des charges en raison d'exigences de sécurité sanitaire seront-ils autorisés par la Commission européenne à continuer à commercialiser leurs produits sous la même dénomination et avec les mêmes mentions valorisantes, labels ou AOC ? Je crois savoir que la Commission européenne devait se prononcer à cet égard aujourd'hui même.

La filière avicole française est d'autant plus fragilisée que son organisation, fortement intégrée dans les départements d'aviculture « industrielle », notamment ceux du grand Ouest, ne lui permet pas forcément la solidarité en son sein. Ainsi, elle ne dispose pas d'une interprofession et ne participe à aucun groupement de défense sanitaire, contrairement à la filière bovine, par exemple. En outre, elle doit faire face à un accroissement de la concurrence internationale, comme l'a rappelé Dominique Mortemousque.

Dès lors, la crise actuelle devrait sans doute redessiner les contours économiques de la filière et modifier son positionnement commercial, européen et, plus largement, international.

Si l'on intègre la dimension de la durée, que se passera-t-il le 31 mai 2006 lorsque les mesures de confinement décidées par le Gouvernement viendront à expiration ? C'est la question que l'on nous pose de manière lancinante quand nous nous déplaçons.

Nous savons que la claustration à long terme n'est pas tenable. Des solutions alternatives existent : soit le confinement sélectif et temporaire réservé aux zones et aux périodes à risque, soit la vaccination préventive. Cependant, il n'y a pas, à l'heure actuelle, de véritable consensus scientifique sur le rapport entre les coûts et les bénéfices de la vaccination préventive. Toutefois, on peut estimer que, dans certaines zones où le confinement étanche aurait un coût économique et social exorbitant, la vaccination préventive constitue une option valable et une solution satisfaisante lorsqu'elle reste ciblée.

Quelle que soit la solution retenue, une réflexion devra être menée quant à l'évolution des aides économiques distribuées à la filière, notamment à la filière de qualité. Des aides structurelles seront nécessaires pour permettre l'adaptation des installations aux mesures de claustration. Ainsi, dans mon département, la Seine-et-Marne, les éleveurs m'ont indiqué que des investissements à hauteur de 200 000 euros, sur l'ensemble d'un département qui n'est pas réputé pour sa filière avicole, seraient nécessaires pour installer des mécanismes spécifiques de ventilation.

Je tiens à attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les effets indirects de cette crise sur des activités particulières. Ainsi, en Seine-et-Marne, les directeurs d'école n'acceptent plus d'envoyer les enfants dans les fermes pédagogiques que compte ce département périurbain, ce qui entraîne un manque à gagner de 15 000 euros par mois pour ces fermes. Je vous laisse imaginer ce que cela représente pour une exploitation agricole !

M. Gérard César. C'est énorme !

Mme Nicole Bricq, rapporteur spécial. Du point de vue sanitaire, le décret d'avance du 27 mars 2006 a été utile sur le court terme ; mais, si l'on s'installe dans la durée, les moyens de veille sanitaire devront être encore renforcés et développés.

Nous avons la chance, en France, de disposer d'un maillage vétérinaire unique en son genre, qui comprend 4 400 agents répartis dans 100 directions départementales, des services vétérinaires et 8 600 vétérinaires sanitaires libéraux exerçant un mandat de service public et réalisant l'essentiel des tâches de surveillance, de dépistage et de police sanitaire. Il faut préserver cette organisation, et même la renforcer, ce qui aura évidemment un coût. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

La parole est à M. Bernard Barraux.

M. Bernard Barraux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce bon département de l'Allier spécialisé dans l'élevage du Charolais, la production avicole s'est développée chez des éleveurs dont les exploitations étaient trop petites et qui avaient absolument besoin d'une activité d'appoint pour parvenir à un équilibre financier.

En trois ou quatre décennies, la production a pris une place très importante, puisque, avant cette crise, l'Allier produisait, en tonnage, presque autant de viande de volaille que de viande de boeuf.

Nous possédons un important parc de volailles dites « standard » et, grâce à la mise en place du poulet « Label Rouge », dont la qualité est universellement reconnue, nous disposons d'un parc très important de poulaillers « Labels ».

Toute la filière s'est mise en place en un temps record, accédant aux installations et à la technique qui étaient indispensables. Cela a demandé à chacun des acteurs de considérables investissements matériels et immatériels.

S'agissant de productions de consommation courante, les marges sont extrêmement faibles et le moindre incident dans un élevage se traduit irrémédiablement par une perte. De plus, le poussin n'arrive pas au poulailler par un coup de baguette magique : à la naissance de son premier poussin, une poule pondeuse reproductrice a déjà coûté en investissement 1 500 euros pour la nourriture et les soins divers.

Chaque membre de cette filière est complètement lié à son collègue d'amont et d'aval.

En effet, pour que cette filière fonctionne, il faut un éleveur possédant des installations parfaitement codifiées ainsi qu'une technicité de haut niveau ; il faut aussi un accouveur, qui doit prévoir d'une année sur l'autre la livraison de ses poussins ; il faut également un fabricant d'aliments pour les volailles, aliments qui obéissent à des règles d'une rigueur incroyable avec un contrôle permanent et drastique de toutes les matières premières utilisées ; il faut en outre un abattoir qui applique des principes sanitaires d'une hygiène parfaite et qui doit prévoir la vente et la livraison des volailles dès la mise en place de ces dernières dans les élevages ; il faut, de plus, des surfaces de vente qui gèrent, mais obéissent souvent aux impulsions d'une clientèle quelquefois versatile et toujours influençable ; il faut, enfin, des vétérinaires, des laboratoires d'analyses et des techniciens qui suivent et qui contrôlent en permanence tous ces élevages.

On peut presque dire que chacun de ces partenaires travaille à flux tendus, la moindre défaillance de l'un des maillons pouvant entraîner un effondrement de l'ensemble de la chaîne.

Dans la région Auvergne, ce sont plus de 4 000 personnes qui s'activent autour de la volaille.

Par considération et par respect pour tous ces gens, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait hautement souhaitable que nos excellents journalistes caméramans tournent sept fois leur caméra dans leurs mains avant de filmer ce qu'ils croient être du sensationnel et qui, en l'occurrence, était souvent factice et destructeur ?

M. Bernard Barraux. Quand le présentateur déclare que la consommation de volaille ne présente aucun danger à condition d'être consommée cuite - vous la mangez souvent crue la volaille, vous ?- et que, simultanément, le caméraman montre un tractopelle chargeant des volailles crevées ou anesthésiées dans un camion poubelle, une telle séquence vous étant servie à différentes reprises lors du journal télévisé de 20 heures, c'est-à-dire à l'heure de votre dîner, avouez que les conditions ne sont pas réunies pour lutter contre la sous-consommation de volaille !

Les conséquences ne se sont pas fait attendre et, depuis la mi-octobre, on peut craindre un effondrement complet de cette filière, laquelle est donc en très grand danger.

Jusqu'à maintenant les éleveurs n'ont pas encore trop souffert, car il a bien fallu élever les poussins qui avaient été mis en place et qui sortent actuellement. Certes, les vides sanitaires se sont déjà allongés - ils sont passés de trois semaines à neuf ou dix semaines - et vont encore s'allonger, mais cela constitue un manque à gagner, et non une perte.

Les abattoirs ont perdu 30 % de leur clientèle. Ils stockent, ils congèlent, et les frigos sont pleins. Les fabricants d'aliments ont pu livrer ces derniers jusqu'à maintenant, mais ils vont bientôt commencer à supporter les conséquences de la baisse de 30 % de l'activité. Quant aux accouveurs, c'est un véritable désastre, un véritable carnage économique, car ils ont dû jeter les oeufs et tuer la moitié de leurs poules pondeuses reproductrices, dont l'investissement, je vous le rappelle, s'élève à 1 500 euros au premier oeuf produit.

À moins de savoir lire dans le marc de café, il est impossible d'imaginer la durée de cette crise !

Ceux qui s'en sont le moins mal sortis sont les surfaces de vente qui, par crainte de ne pas écouler la marchandise achetée, ont anticipé, contribuant ainsi à amplifier quelque peu la crise. En effet, pendant plusieurs mois, il n'y avait plus de volailles en fin de matinée sur la plupart des étals.

Il y a bien eu l'opération « deux poulets pour le prix d'un » destinée à résorber les stocks, mais, monsieur le ministre, vous savez bien qui l'a payée ! Seuls en ont profité les consommateurs qui ne s'étaient pas laissé influencer par la télévision : ils ont rempli leurs congélateurs dans des conditions financières optimales et vont consommer tranquillement les volailles ; cela retardera d'autant la reprise, si toutefois reprise il y a un jour. Les autres consommateurs, influencés par ce dégoût collectif, n'ont pas acheté un seul poulet, les produits de substitution, tels le veau et le saumon, ne manquant pas.

La baisse de 30 % de l'activité de toutes ces entreprises va provoquer des pertes énormes. Les 63 millions d'euros que vous avez accordés à la filière ne suffiront pas à sauver cette dernière, monsieur le ministre, car la pire des catastrophes pour nos éleveurs serait l'effondrement de la filière avicole, et un seul maillon défaillant pourrait en être à l'origine.

Aujourd'hui, 1 000 emplois sont fragilisés en Auvergne : chômage complet ou partiel, licenciements, non-renouvellement de certains contrats. Telles sont les conséquences actuelles de cette situation.

Il est absolument impératif d'envisager une prise en charge de la filière pour en sauver tous les éléments. Le déplafonnement des 3 000 euros par exploitation doit être autorisé par la Commission européenne.

L'augmentation des restitutions doit se poursuivre, la congélation et le stockage privé des produits avicoles doivent être soutenus.

Jusqu'à ce jour, la Commission européenne n'a débloqué aucune aide en faveur des éleveurs victimes des conséquences de la médiatisation intempestive de la grippe aviaire, car aucun élevage n'a dû appliquer les mesures vétérinaires comme l'embargo ou l'abattage, qui ont été préconisés par l'Union européenne.

Monsieur le ministre, il faut absolument rassurer les consommateurs pour que cesse cette absurde situation de crise. Votre ministère, à l'époque de la crise de la vache folle, avait réussi une opération de communication qui avait très largement contribué à la reprise de la consommation de la viande bovine. Alors, au boulot, monsieur le ministre ! (Sourires. -M. Pierre-Yvon Trémel applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mondialisation du commerce induit une âpre concurrence. De plus, l'aviculture française doit faire face à de fortes baisses de consommation, qui sont directement liées à la psychose de la grippe aviaire.

Je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les conséquences économiques de l'infuenza aviaire sur la filière avicole française, et plus particulièrement sur la crise que traverse l'aviculture fermière gersoise.

L'aviculture française représente 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont 600 millions d'euros d'exportations.

En février 2006, la consommation de volaille a chuté de 20 % et les exportations ont diminué de 20 % à 30 % pour les mois de janvier et de février. Une baisse de consommation de 20 % entraîne 60 millions d'euros de perte sèche mensuelle pour la filière. En dépit de l'allongement obligatoire des vides sanitaires, la production reste excédentaire, car la consommation peine à retrouver son niveau habituel.

L'équilibre n'est donc pas rétabli. C'est l'avenir de toute une filière, l'emploi de milliers d'hommes et de femmes et la survie de nombreuses exploitations et entreprises qui sont menacés, car ces élevages sont souvent le complément indispensable aux petites exploitations céréalières.

L'origine du dysfonctionnement réside principalement dans la chute des volumes de consommation. La confiance du consommateur est essentielle : comment éviter qu'il ne déserte à nouveau les rayons « volaille » si de nouveaux foyers de grippe aviaire se révélaient ?

Il faut souligner que le droit à l'information ne doit pas dégénérer en une sur-médiatisation frisant l'hystérie, due surtout à l'absence de sujets majeurs, et provoquer une psychose chez les consommateurs.

Gardons notre sang-froid ! En effet, si la grippe aviaire a fait 91 morts dans le monde depuis son début, chaque année, en France, 3 000 personnes sont victimes de la grippe classique.

Il faut prolonger la campagne nationale d'information lancée par le ministère de l'agriculture par des relais locaux, en particulier dans les bassins régionaux de production : le Gers, les Landes, le pays de Loué, pour ne citer que les principaux d'entre eux.

En effet, les associations professionnelles avicoles, notamment celles du Gers, ont déjà des stratégies de communication prêtes, jouant la transparence et insistant sur la sécurité et la traçabilité de leurs produits.

Les professionnels attendent également que la campagne nationale s'appuie sur des arguments irréfutables, comme la vigilance sanitaire constante de 5 000 vétérinaires sur le territoire français. Ils sont attentifs et informés pour faire face à l'hypothèse d'un volatile infecté dans leur élevage.

Cette vigilance des autorités sanitaires françaises est, de plus, portée au maximum de ce qu'il est possible de mettre en place aujourd'hui au regard de l'évolution de l'influenza sur notre territoire.

Dans ce contexte perturbé, les professionnels les plus touchés sont, en amont, les éleveurs de volailles, en particulier ceux dont les investissements sont lourds et récents, comme les jeunes exploitants et les producteurs sous label de qualité.

Le Gers, qui tire 18 % de son revenu brut de l'activité avicole, est particulièrement ébranlé. On estime à 5 millions d'euros mensuels, dont 2 millions pour la partie production, les pertes de la filière dans le département. De nombreux éleveurs, travaillant souvent dans des exploitations familiales et de taille modeste, craignent aujourd'hui à juste titre pour la survie de leur exploitation.

L'allongement obligatoire des vides sanitaires se répercute fortement sur leur revenu : jusqu'à 30 %.

Les éleveurs ont donc besoin en urgence d'aides financières afin de compenser leurs coûts structurels. Ces coûts pourront être réduits par un regroupement de la production et donc la fermeture d'un certain nombre de bâtiments, mais il faudra faire face aux conséquences sociales induites.

La plupart des groupes de la filière ont ajusté leur production au niveau de la demande et cinq grands groupes nationaux ont déjà annoncé des mises au chômage partiel pour fin avril. De nombreux contrats à durée déterminée ou contrats en intérim ne seront pas renouvelés.

Afin de limiter le coût social de la crise avicole, il faut prévoir des plans de formation et de reclassement. Je pense particulièrement aux salariés de mon département, habitant un territoire très rural et ayant passé parfois plusieurs dizaines d'années dans un abattoir : leur reconversion et leur reclassement sans formation sont difficiles. Il faut absolument les aider.

Pour ce qui est des outils industriels, les deux abattoirs du département annoncent des mesures de chômage partiel et un regroupement en un seul site, pour lequel ils ont besoin d'une aide de l'État.

Il faut écouler les stocks en trouvant de nouveaux débouchés et vider les congélateurs sans casser le marché national. Les instances européennes doivent réexaminer et redéfinir les conditions d'exportation.

La volaille française, extrêmement sécurisée, est victime des embargos décidés sans aucune concertation par les pays importateurs, alors même que les volailles étrangères entrent en Europe sans des contrôles d'origine et d'identification aussi rigoureux.

Dans mon département, l'aviculture fermière est une tradition ; les éleveurs travaillent dans le respect de leur environnement et du consommateur. Il serait catastrophique que cette branche traditionnelle de l'aviculture, tenant une place majeure dans l'économie locale, disparaisse.

Certes, monsieur le ministre, vous n'êtes pas resté inactif. Depuis le mois de novembre, vous avez débloqué, sur le plan national, 63 millions d'euros pour la filière. En février, une enveloppe de 20 millions d'euros, à laquelle s'ajoutent les 5 millions d'euros annoncés en janvier 2006, a ainsi été consacrée au financement de nombreuses mesures en faveur des éleveurs : indemnisations pour le manque à gagner résultant d'une réduction volontaire de production, allégement des charges d'emprunts pour les éleveurs qui ont investi récemment et pour les jeunes aviculteurs, ou encore prise en charge des cotisations de la Mutualité sociale agricole pour les producteurs en difficulté.

Ces mesures étaient vitales, et je me félicite de la réactivité du Gouvernement.

Toutefois, d'autres acteurs de la filière avicole ne bénéficient pas d'une telle aide, alors qu'ils se trouvent dans une situation financière particulièrement délicate. Tel est le cas de grands accouveurs et de petits abattoirs.

Comment le Gouvernement entend-il donc soutenir ces acteurs économiques aussi essentiels de la filière avicole ? Leur accordera-t-il des aides spécifiques, notamment une indemnisation de pertes d'exploitation, un allégement ou une exonération de charges ? Le cas échéant, pouvez-vous nous dire quand et comment seront calculées puis réparties ces aides ?

Par ailleurs, vous avez annoncé une avance de 1 000 euros par exploitation. Or les conditions d'accès à ces aides sont vivement critiquées par la profession : il semble que de nombreux éleveurs en soient exclus ou partiellement écartés, notamment ceux qui ont choisi de diversifier leurs productions mais pour qui l'atelier « volaille » représente une grande partie du revenu de l'exploitation.

Quoi qu'il en soit, ces dispositions d'urgence ne doivent constituer qu'une première étape, car elles ne suffiront pas à couvrir les pertes déjà enregistrées et à venir de la filière. Je le rappelle, ces pertes sont de l'ordre de 40 millions d'euros par mois.

Enfin, qu'en est-il, monsieur le ministre, des mesures de gestion de marché ? La profession les réclame depuis novembre.

Vous avez alerté le conseil des ministres européens en janvier et en février, mais la Commission tarde à réagir. Le Conseil européen du 20 mars dernier a pris une décision : surtout, ne rien décider !

Quand l'Europe va-t-elle se réveiller ? Espérez-vous des mesures adaptées dès ce mois d'avril et seront-elles rétroactives ?

Pour que l'État soit efficace dans son soutien à la filière, une concertation doit être mise en place avec la profession afin de définir les actions indispensables au maintien de cette activité.

Monsieur le ministre, vous avez prouvé que vous étiez un homme de dialogue. Nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat était nécessaire et urgent, et je remercie notre collègue M. Dominique Mortemousque d'avoir posé cette question orale avec débat : nous pouvons ainsi faire ici les constats nécessaires, surtout interroger le Gouvernement et, via celui-ci, l'Europe sur les mesures à venir en vue de soutenir la filière avicole.

L'épizootie d'influenza aviaire ne date pas d'aujourd'hui : à l'image de la grippe humaine, qui revient chaque année sous des formes diverses, elle frappe ici et là régulièrement depuis plus d'un siècle. Sa première description date de 1878, en Lombardie. Depuis 1959, vingt-cinq épisodes d'épizootie ont été enregistrés dans le monde.

En 1983, les États-Unis furent touchés et durent abattre plus de 17 millions d'oiseaux et dépenser 54 millions d'euros. On se souviendra également de l'épidémie, aux Pays-Bas, en février 2003, qui a coûté, selon mes sources, le décès d'un vétérinaire et près d'un milliard d'euros de pertes pour seulement 200 millions d'euros d'aides.

Enfin, l'épidémie de l'été 2005 est partie des Philippines, gagnant la Chine en novembre, puis la Thaïlande.

La suite, nous la connaissons tous : en Europe et en France, les cas se sont multipliés chez les oiseaux, en particulier, chez les chats et dans quelques élevages. La transmission à l'homme du virus H5N1, les dizaines de décès humains qui ont été enregistrées et l'ampleur géographique du phénomène nous permettent malheureusement d'employer le terme de panzootie.

Fort heureusement, jusqu'à présent, le virus H5N1 ne semble pas se transmettre entre humains. Il faut cependant rester très prudents, car les trois grandes épidémies du XXe siècle sont soupçonnées d'être d'origine aviaire par des biologistes moléculaires et virologistes américains : la grippe espagnole de 1918 était un virus de sous-type H1N1, la grippe asiatique de 1957 un virus H2N2 et celle de 1968, dite de « grippe de Hong-Kong », un virus H3N2. Ces virus ont tous trois trouvé les clés d'entrée dans les cellules humaines.

L'expérience nous amène à constater que les pays riches éradiquent plutôt bien les pandémies, alors que les pays pauvres demeurent des foyers permanents, faute de moyens de détection précoce, de logistique vétérinaire et de moyens financiers d'indemnisation.

Ce constat nous amène à plaider fortement pour que les pays riches affectent des ressources et des moyens aux pays pauvres, comme le préconise M. Bernard Vallat, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé animale.

La dimension mondiale semble indispensable, tant pour la prévention que pour la mise en oeuvre de moyens curatifs. Ce type de mondialisation, que je qualifierais de positive si elle se mettait en place, se heurte violemment aux fabricants d'antiviraux, aux grands groupes pharmaceutiques, qui préfèrent grossir encore leurs fortunes en vendant des centaines de millions de doses de Tamiflu. Chacun se souvient encore du comportement de ces groupes à l'égard du virus du sida et de la possibilité pour les pays pauvres de fabriquer des génériques ou d'y accéder.

Les brevets des vaccins deviennent un véritable obstacle à la lutte contre les pandémies. La mobilisation des organisations non gouvernementales et d'un certain nombre de pays a cependant permis que les choses bougent quelque peu dans ce domaine. Ainsi, les groupes Roche et Gilead ont enfin rendu publiques les techniques de fabrication du Tamiflu et négocient avec les industriels du générique.

Cet exemple montre bien qu'il n'y a pas de fatalité pour que les monopoles en tous genres reculent au profit du bien-être de l'humanité.

En novembre 2005, quelque cent trente pays se sont engagés à apporter 2 milliards de dollars sous forme de dons et de prêts aux pays les plus démunis et les plus exposés. Le 4 avril dernier, on pouvait lire, dans le journal Le Monde, que l'Europe était « le plus mauvais élève » et qu'elle n'avait même pas décidé comment attribuer les sommes promises. C'est seulement le 30 mars dernier que nous avons appris qu'elle proposait de financer 50 % des aides nationales aux éleveurs sans pour autant dégager de budget spécifique.

Cette attitude de l'Union européenne est incompréhensible et irresponsable. Elle n'engage pas à la confiance la filière avicole française, qui attend des aides !

Les effets psychologiques liés à l'évolution géographique de la maladie ont conduit à des baisses très sensibles de la consommation, qui s'établissaient de 15 % à 30 % dès le mois de novembre, selon les segments, pour se situer aujourd'hui à environ 5 %, et ce dans le contexte d'une aviculture française encore fragilisée par les délocalisations au Brésil, les importations de viandes saumurées de Thaïlande et du Brésil, et l'accord de Marrakech sur le commerce international, qui a « plombé » les facilités par les vides juridiques européens en matière d'importation.

La découverte d'un premier canard mort et infecté par le virus H5N1 dans l'Ain, le 21 février dernier, puis la contamination de l'élevage de Versailleux ont eu pour effet d'aggraver la crise de confiance et de voir se fermer de nombreux créneaux à l'exportation. Cet élevage étant le seul à avoir été infecté, les présomptions sont très lourdes pour que la principale cause de contamination soit due aux allées et venues des journalistes, qui, pour le moins, n'ont pas rendu service à la profession.

Dès le 28 février dernier, une vingtaine de pays fermaient leurs frontières à la volaille française ; le 2 mars, ils étaient quarante-trois à décider un embargo, ce qui a eu pour effet d'amplifier la crise sur le terrain.

Accouveurs, éleveurs de volailles et de gibier à plumes, sélectionneurs, transporteurs, abatteurs, transformateurs et salariés ont tous été touchés.

À ce titre, l'exemple de la Bretagne, qui représente 33 % de la production française, est particulièrement évocateur, et ce n'est donc pas un hasard si quatre sénateurs bretons sont inscrits dans ce débat ! Entre 10 000 et 20 000 emplois y sont menacés, en premier lieu les plus fragiles, à savoir ceux des intérimaires et les contrats à durée déterminée ; le port de Brest lui-même a vu son trafic à l'exportation de volailles chuter de 33 %.

De nombreux abattoirs pratiquent le chômage partiel, ce qui touche durement des salariés à faible revenu. L'allongement des vides sanitaires va se répercuter pendant de longs mois sur le revenu des éleveurs, qui subissent déjà les dures conditions des intégrateurs. Les ventes de volailles démarrées aux particuliers ont chuté de 70 %, si bien que le stock de volailles invendues atteint 400 000.

Cet exemple montre bien les conséquences de la crise sur le plan national, auxquelles s'ajoutent des effets en cascade : chute de 8,5 % de la production d'aliments du bétail en janvier et en février, mise à mal du secteur de la sélection, frais liés au coût des stockages industriels, notamment.

Venons-en aux aides indispensables. Il faut souligner ici l'implication financière de nombreux départements et régions, en particulier dans le secteur de la communication.

La profession attend désormais, au-delà des premières aides débloquées par le Gouvernement, des mesures à la hauteur de la crise : le maintien du potentiel de production, d'abattage et des emplois y afférant ; la compensation intégrale des pertes subies par les salariés, les aviculteurs et les entreprises ; la prise en charge sociale et fiscale des personnes pénalisées ; la poursuite de la démarche vers des produits de qualité, de gamme supérieure ; le renforcement de l'organisation professionnelle ; l'engagement des banques pour la baisse des taux d'intérêt, des découverts et des prêts ; l'instauration d'un grand débat public sur l'avenir de la filière, son évolution et la reconquête de l'indépendance des producteurs vis-à-vis des intégrateurs ; le renforcement de la communication sur les plans national et international ; enfin, le déblocage immédiat de l'embargo, qui ne se justifie plus, dans les pays où il a été instauré.

Je voudrais aussi attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les aides qu'il est nécessaire d'apporter aux entreprises d'abattage et de transformation, afin que celles-ci échappent aux effets d'aubaine et que les emplois y soient préservés. Trop souvent, en effet, les crises constituent, dans certaines entreprises, un bon prétexte pour mettre en oeuvre un plan de licenciement concocté des mois à l'avance.

La dimension européenne et mondiale de la crise devrait amener les dirigeants politiques à modifier leurs politiques d'aide traditionnelles. Ainsi, les sommes allouées de 3 000 euros par exploitation et de 150 000 euros par entreprise ne suffiront pas. Les négociations internationales doivent fixer un objectif qualitatif et quantitatif de sécurité alimentaire.

Cette crise sanitaire, qui fait suite à d'autres crises, nous conduit à réfléchir sur la modification indispensable des règles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, sur la nécessaire solidarité internationale, ainsi que sur la durabilité et l'aménagement de nos territoires, au sein desquels vivent des hommes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'évoquer les conséquences économiques de l'épidémie de grippe aviaire sur la filière avicole, je voudrais revenir sur le traitement médiatique de celle-ci. En effet, le zèle dont il a été fait preuve à cet égard, dès l'apparition de foyers d'infection en Turquie, en octobre dernier, a provoqué chez les consommateurs une peur totalement irraisonnée.

Certes, la transparence s'impose sur ce type de problème, car rien n'est pire pour l'opinion publique que d'avoir le sentiment qu'on lui cache des choses. Mais de là à fonder la communication autour de cet événement sur une situation purement hypothétique, il y a une marge que l'on n'aurait pas dû franchir.

Dès le 3 novembre dernier, j'écrivais au Premier ministre afin de relayer l'inquiétude réelle de la filière avicole face à cette déferlante politico-médiatique. Dans cette lettre, restée à ce jour sans réponse, je qualifiais la course à l'information de « virus bien plus virulent » que l'influenza aviaire, maladie connue des éleveurs de volailles depuis des décennies.

Je citerai simplement, comme exemples de communication dévastatrice, les reportages télévisés montrant la capture de volailles par des personnes habillées en cosmonautes (Sourires), la simulation de l'évacuation de personnes contaminées par la grippe aviaire, opération supervisée par le Premier ministre lui-même, sans parler des prédictions de prétendus experts, beaucoup plus alarmistes que pédagogiques, nous annonçant des effets pires que ceux de l'épidémie de grippe espagnole de 1918, voire l'extermination d'un tiers de la population mondiale ! Si l'on ajoute à cette liste l'annonce de la préparation de millions de doses de vaccins, il va de soi que tous ces éléments de communication ne pouvaient qu'entraîner la peur et la catastrophe économique !

Et que dire de la circulaire adressée en janvier aux préfets, que beaucoup d'entre eux ont d'ailleurs hésité à transmettre aux maires, leur recommandant tout simplement, en phase d'alerte pandémique - nous en sommes pourtant toujours bien loin -, « d'identifier les sites potentiels permanents qui pourraient recevoir des corps sans mise en bière ». Tous les maires ici présents ont reçu ce courrier. (Murmures d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Le résultat, c'est que tous les propos de bon sens tenus par des élus et des responsables de terrain ont été finalement battus en brèche.

Comprenez-moi, monsieur le ministre : je critique non pas le plan gouvernemental de réaction à la grippe aviaire, mais bel et bien son traitement médiatique. « Heureusement », pourrait-on dire de façon cynique, les événements urbains de novembre puis la crise du CPE ont détourné les esprits de cette préoccupation. On ne parle plus beaucoup de la grippe aviaire, mais les dégâts sont faits.

Pour illustrer mon propos, permettez-moi d'évoquer le cas concret d'un abattoir de volailles situé dans mon canton. Les contraintes sanitaires auxquelles cette entreprise est soumise depuis de nombreuses années sont draconiennes. Savez-vous par exemple, monsieur le ministre, qu'il existe en différents endroits de ce bâtiment industriel des dispositifs de piégeage d'insectes et que, chaque soir, les mouches attrapées sont pesées afin de s'assurer que tout est normal ?

Je regrette d'ailleurs que les normes de sécurité sanitaire et les protocoles de désinfection mis en oeuvre dans ce type d'installation n'aient jamais fait l'objet d'une réelle information dans les médias, car elle suffirait à rassurer pleinement le consommateur ! D'ailleurs, j'en profite pour rappeler que la France est l'un des pays où les règles sont les plus draconiennes en matière de sécurité alimentaire et que la volaille a toujours été considérée, jusqu'à récemment, comme le produit le plus sûr, celui dont la traçabilité était la mieux assurée.

Avant la « crise », l'abattoir en question employait entre 210 et 250 personnes selon les saisons et abattait, puis découpait 200 000 volailles par semaine. Celles-ci provenaient d'environ 200 élevages, utilisant la production de quelque 3 600 hectares de céréales. Cet abattoir faisait également travailler 25 entreprises régionales de service, dont 4 sociétés de transport routier. C'est dire l'importance de l'enjeu économique que représente ce secteur !

Les pertes subies par cet abattoir entre le 1er novembre 2005 et le 1er mars 2006 sont estimées par son directeur à plus de 987 000 euros. Outre cette perte sèche, l'entreprise doit également faire face au gonflement de ses stocks et au coût supplémentaire de congélation qui en résulte. Tirant les conséquences d'une baisse de son chiffre d'affaires de 15 %, elle a dû réduire ses effectifs de 14 %, principalement en mettant fin aux emplois d'intérimaires et aux contrats à durée déterminée. Enfin, elle n'a pas embauché de personnel supplémentaire pendant la période des fêtes de fin d'année, contrairement à son habitude.

Aujourd'hui, cette entreprise vend non seulement moins en volume mais également à moindre prix, et ses responsables doivent lutter pour sauvegarder ses parts de marché. Cette bataille se déroule sur le marché intérieur mais aussi à l'export, où le Brésil, principal exportateur de cette filière, tente d'écouler 10 % de surproduction.

L'abattoir dont je vous ai parlé n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Vous me direz, monsieur le ministre, que la solidarité nationale va jouer et que cette entreprise, comme toute la filière, est soutenue économiquement.

Son directeur a effectivement déposé un dossier de demande d'aide à la Direction régionale de l'agriculture et de la forêt, la DRAF, en se fondant, comme je l'indiquais à l'instant, sur un impact de 987 000 euros sur quatre mois. La DRAF lui a répondu que, pour l'ensemble de la région Champagne-Ardenne, 200 000 euros seraient distribués, en direction de tous les acteurs de la commercialisation - rôtisseurs, grossistes, revendeurs, abattoirs, etc -, ce qui représente des centaines de dossiers.

Aussi, quels que soient les critères retenus pour l'attribution des aides et quelle que soit l'issue de la répartition entre tous les acteurs concernés, nous savons d'ores et déjà que cette aide ne sera pas à la hauteur des besoins d'une filière qui représente, dans nos territoires, de nombreux emplois directs et indirects. Il y a là un enjeu important en termes d'aménagement du territoire.

Ce débat, lancé par notre collègue Dominique Mortemousque, me semble donc bienvenu et indispensable pour prendre conscience des effets de cette grave crise qui, n'en doutons pas, laissera des traces, et dont nous devrons tirer les conséquences. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début du mois de novembre, une question orale avec débat sur ce sujet avait déjà été posée à M. le ministre de la santé et des solidarités. J'avais alors attiré son attention sur les conséquences économiques de cette crise, et pas seulement sur ses risques sanitaires, en lui indiquant que les premières victimes de ce fléau seraient les producteurs et tous les salariés du secteur agro-alimentaire.

Pour ma région, la Bretagne, il s'agit d'une question absolument essentielle. Comme l'a dit Gérard Le Cam, ce n'est pas un hasard si les sénateurs des quatre départements bretons sont présents aujourd'hui.

Je tiens à remercier M. Mortemousque d'avoir pris l'initiative de ce débat sur les conséquences économiques de la grippe aviaire, débat d'autant plus important qu'il a lieu alors que nous disposons enfin du recul nécessaire, après une pause médiatique due à la présence d'autres sujets au premier plan de l'actualité. Ce débat va nous permettre de faire un premier état des lieux et de commencer à tirer les enseignements de cette crise conjoncturelle qui touche un pan entier des secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire, déjà fortement secoués par des crises plus structurelles.

Cette crise conjoncturelle pourrait d'ailleurs elle-même devenir structurelle si, tous les ans, à la même époque, le risque de la grippe aviaire devait refaire son apparition. En effet, il ne faut pas oublier que la situation actuelle fait écho à une autre période très difficile, qui a déjà provoqué une restructuration de grande ampleur dans cette même filière, notamment en Bretagne.

Ainsi, entre 1998 et 2003, la filière régionale bretonne a perdu 200 000 tonnes en abattage, 400 000 mètres carrés de surface de poulaillers et, ce qui est une conséquence logique, 2 000 emplois dans l'agroalimentaire à cause des fermetures définitives de plusieurs sites.

Cette filière a donc déjà beaucoup donné, notamment en Bretagne, et ce deuxième choc économique en est d'autant plus difficile à supporter.

M. Pierre-Yvon Trémel. Tout à fait !

Mme Odette Herviaux. Permettez-moi d'ailleurs de vous indiquer, monsieur le ministre, que les nombreux mètres carrés fermés chez nous ont vraisemblablement dû être ouverts ailleurs puisque, durant la même période, la production nationale totale n'avait pas baissé !

Mme Odette Herviaux. Je souhaite donc qu'à l'occasion de plans de cessation soutenus par l'État, le ministère de l'agriculture veille à ce que les efforts consentis ici, par les uns, ne soient pas compensés par une augmentation de la production ailleurs.

Aussi, lorsque j'entends Mme Fischer Boel, commissaire européen de l'agriculture, dire qu'elle va tenter d'obtenir des éleveurs une réduction de la production tout en soutenant le marché afin d'assurer un revenu stable aux producteurs, je suis inquiète. Je vous demande donc, monsieur le ministre, comment vous pensez concilier, au sein de cette filière, le conjoncturel et le structurel.

Une action cohérente et une vision globale sont absolument nécessaires, en plus de l'indispensable solidarité. Tel est le rôle du Gouvernement, d'une part, et de l'interprofession, d'autre part.

Pourtant, des avancées ont été faites par la Commission européenne, qui a adopté dernièrement une proposition permettant un cofinancement à hauteur de 50 % des dispositifs de soutien du marché en faveur des éleveurs de volailles et de producteurs d'oeufs. Ces mesures exceptionnelles devraient permettre à chaque État membre de prendre les dispositions les mieux adaptées à sa situation particulière.

Dans ce cadre, monsieur le ministre, envisagez-vous de mieux adapter les aides aux situations particulières, soit à l'intérieur de la filière, selon les secteurs, soit au niveau géographique, qu'il soit départemental ou régional ?

Pour en revenir à des considérations plus générales, je me félicite avec M. Mortemousque de ce que la consommation, qui avait baissé très sensiblement, soit légèrement remontée : par rapport à celle de mars 2005, elle atteint le taux de moins 12 %.

Mme Odette Herviaux. Malheureusement, le mal est fait et on ne peut pas rayer d'un trait de plume, notamment dans la comptabilité d'une exploitation agricole ou d'une entreprise agroalimentaire, les manques à gagner de plusieurs mois.

Dois-je vous rappeler que, selon les types de production, les signes de qualité et la présentation à la vente de la volaille - entière, découpée, fraîche ou congelée -, cette baisse a pu atteindre jusqu'à 50 % et que les cours ont baissé jusqu'à 40 % ? Comme l'ont dit plusieurs de mes collègues, les producteurs ont vu la durée de leur vide sanitaire s'allonger, ce qui représente autant de semaines sans revenu.

Les conséquences sociales, on le voit partout, sont déjà très lourdes. Et pourtant, la consommation de volaille semble avoir moins chuté en France que dans d'autres pays d'Europe, ce qui pose à nouveau les problèmes de l'exportation et de l'embargo imposé par les pays étrangers.

Il faut donc continuer à affirmer que notre filière est parfaitement sécurisée, que nos producteurs sont des professionnels sérieux et compétents qui ne prendraient jamais de risques inutiles, car ils savent bien qu'ils seraient encore une fois les premiers touchés. L'excellence de notre réseau sanitaire, assurée notamment par l'AFSSA, la traçabilité totale et la qualité de nos produits doivent être valorisées et soutenues. Mais je ne suis pas sûre, monsieur le ministre, comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen de la loi de finances, que les crédits votés sur ces postes lors du dernier budget de l'agriculture le permettent.

Dans son intervention, M. Mortemousque a passé en revue les diverses mesures d'aide financière ou de trésorerie que vous avez prévues, et c'est bien. Mais il a évoqué également, comme vous-même, monsieur le ministre, la mobilisation des collectivités territoriales, et notamment des régions, ce qui montre bien l'importance de l'enjeu économique auquel nous devons faire face.

Encore une fois, je me permettrai d'étayer mon propos à partir de l'actualité et des chiffres de notre région.

Chez nous, cette filière représente encore 16 650 emplois directs répartis de la façon suivante : 3 100 aviculteurs de chair, 750 producteurs d'oeufs, 720 emplois en service à la production, 880 emplois en couvoirs, 11 200 emplois en abattage, transformation et découpe.

Le parc breton de bâtiments destinés à la volaille de chair représente plus de 5 millions de mètres carrés. La production de 2005 a été de 623 148 tonnes, soit 36 % de la production nationale de volailles, et 58 % de cette production a été exportée. C'est d'ailleurs peut-être là que réside vraiment le problème.

Mme Odette Herviaux. À lui seul, mon département, le Morbihan, regroupe 60  % des effectifs des 61 établissements industriels de Bretagne.

Enfin, il faut savoir que 100 emplois à la production génèrent 386 emplois en amont et en aval de la filière.

Tous ces chiffres démontrent combien la crise est importante et combien sont grandes les inquiétudes, car on peut toujours parler de réorientation de la production à moyen et à long terme, mais, à très court terme, il nous faut bien gérer les problèmes du quotidien et ne pas laisser les plus fragiles, c'est-à-dire les producteurs intégrés, notamment les petits producteurs, et les salariés de l'agroalimentaire, supporter le poids de cette crise.

Ces chiffres permettent aussi de comprendre pourquoi la plupart des professionnels, des syndicats et des élus de la région ont été surpris par la faiblesse de l'enveloppe de 3,6 millions d'euros pour les éleveurs bretons. Certes, les calculs ont été établis sur la base d'une surdotation pour les élevages de qualité et de plein air, et c'est normal ; mais -  je le répète, car l'enjeu est crucial - une réorientation rapide de la production n'est pas possible, et, même si nous souhaitons plus de signes de qualité - c'est possible même dans les filières de production massive - et plus de gammes de produits supérieurs, ce n'est envisageable qu'à moyen et à long terme. Or notre souci immédiat est bien de sauver cette filière si importante, ses emplois et son impact sur l'aménagement de notre territoire.

C'est pourquoi il est prévu que notre engagement régional soit plus particulièrement ciblé, pour accompagner les mesures de l'État, sur les productions sous signe de qualité mais également sur les jeunes agriculteurs ayant investi récemment, car ces derniers représentent pour partie l'avenir de la filière, qui devra bien, d'une manière ou d'une autre, redémarrer demain, avec le risque de voir se reproduire périodiquement le problème de la grippe aviaire.

De même, les reproducteurs et les accouveurs sont des pièces maîtresses du système, car ils sont eux aussi le gage de l'avenir et notre indépendance par rapport aux concurrents. Notre potentiel génétique est reconnu de tous, même s'il est de plus en plus fortement concurrencé, et nous devons absolument le préserver par une déclinaison spécifique du plan national de soutien à la filière.

Pour n'avoir évoqué jusqu'à présent que le volet amont de cette filière, je n'oublie évidemment pas le côté industriel, qui est absolument indispensable à l'échelon national et qui structure une grande partie de notre espace rural. Dans bon nombre de bassins de vie, il représente la seule activité importante en capacité de fournir un travail régulier à ces salariés de l'agroalimentaire qui ont peut-être été les oubliés de la crise, c'est-à-dire à tous ces intérimaires et ces employés en CDD qui en ont été les premières victimes et dont on a si peu parlé.

M. Pierre-Yvon Trémel. C'est exact !

Mme Odette Herviaux. À cela s'ajoutent maintenant les mesures de chômage partiel, mais je laisserai ma collègue Yolande Boyer vous parler plus en détail de la situation des salariés ainsi que des problèmes soulevés par les mesures de déstockage.

Là aussi, monsieur le ministre, contrôles et transparence seront absolument nécessaires. Pourquoi, par exemple, faire venir dans certaines entreprises des salariés en heures supplémentaires le samedi, quand d'autres sont au chômage partiel, pour abattre et conditionner des stocks ? Je n'ose imaginer que l'objectif soit de produire un maximum de quantité pour ensuite bénéficier d'un maximum de soutien public !

Sur ce sujet encore, j'en appelle à votre vigilance, car cette crise ne doit pas servir d'alibi à certains groupes et être l'arbre qui cache la forêt.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Absolument !

Mme Odette Herviaux. Tout le monde sait depuis longtemps - depuis les accords de Marrakech - que la fin des restitutions est prévue pour 2013. Peu nombreux sont ceux qui ont commencé à anticiper une réorientation de leurs activités. Je souhaiterai donc connaître votre positionnement s'agissant du fonds européen d'ajustement à la mondialisation, destiné à aider les travailleurs. Pourrait-il venir en aide aux salariés victimes des restructurations ?

J'ai beaucoup utilisé le terme « filière » dans mon intervention. Il faut en effet une interprofession solide, représentative et plurielle, où chacun puisse trouver sa place. Qu'en est-il, monsieur le ministre, de la mission que vous aviez confiée à ce sujet en septembre 2005 à trois spécialistes ? Avez-vous un échéancier à nous proposer à la suite de leur rapport ?

Enfin, avez-vous l'intention d'apporter des soutiens supplémentaires ou plus spécifiques à certaines productions, voire à certains secteurs géographiques ? La seule réponse de la restructuration ou de l'aide au départ n'est pas satisfaisante, car nous savons bien que ces mots-là cachent la disparition de centaines d'agriculteurs et de milliers d'emplois.

Comme M. Mortemousque, je veux cependant rester optimiste. Je crois que, si elle arrive à s'imposer sur les marchés de gammes supérieures dans toutes les productions, si elle sait valoriser les atouts que sont la qualité, la traçabilité, l'origine, le respect de l'environnement et le bien-être animal, notre filière avicole a encore un bel avenir, pour peu qu'on l'aide aujourd'hui à passer le cap et, surtout, qu'on l'aide efficacement demain dans sa réorientation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du CPE aura eu au moins une conséquence positive : elle nous a subitement guéris de la grippe aviaire ! (Sourires.)

M. Robert Bret. Un bon vaccin...

M. Philippe Nogrix. Plus exactement, elle nous a guéris de la peur panique qui s'était emparée du pays à l'idée d'une pandémie grippale venue des airs.

Si nous semblons revenus de notre phobie, la filière avicole, elle, souffre, hélas ! plus que jamais. C'est la raison pour laquelle je remercie Dominique Mortemousque d'avoir posé cette question orale. J'aimerais cependant rappeler, monsieur le ministre, que notre collègue du groupe UC-UDF Jean Boyer avait déjà attiré votre attention le 7 mars dernier, dans une question orale sans débat, sur les difficultés rencontrées par la filière avicole à la suite des menaces de grippe aviaire.

Toute cette affaire de grippe du poulet laisse une désagréable impression de flou et d'irrationnel.

Nous pouvons comprendre le flou. Les données scientifiques ne semblent pas permettre d'évaluer précisément le risque de pandémie. Faiblement probable, donc fortement improbable, la mutation du virus en un agent hautement pathogène transmissible entre humains est aujourd'hui totalement imprévisible.

Dans ces conditions, il est bien naturel que le principe de précaution inscrit dans notre Constitution trouve à s'appliquer.

Le Gouvernement a, il est vrai, réagi rapidement, avec un plan « pandémie grippale » pertinent et adapté, pour faire face à la crise à tous ses niveaux de développement.

Les mesures prises dans le cadre de ce plan, telles que l'interdiction d'importation de produits potentiellement porteurs du virus, le renforcement de la surveillance des oiseaux migrateurs et leur vaccination, l'approfondissement des contrôles sanitaires dans les aéroports, la commande d'importantes quantités d'antiviraux, le confinement de tout le territoire métropolitain depuis le 18 février dernier, la constitution de stocks de masques de protection et la mise en réserve de 62 millions de vaccins prêts à être distribués dès l'apparition du virus, ne nous paraissent pas excessives.

Elles le sont d'autant moins qu'à la fin du mois de février ont été signalés les premiers cas d'élevages infectés en France.

En revanche, le principe de précaution doit être appliqué de façon maîtrisée, progressive et adaptée. Or ce n'est pas ce à quoi nous avons assisté.

À partir du moment où des risques de pandémie ont été évoqués, s'est développée dans le pays une peur panique irraisonnée, largement entretenue plusieurs fois par jour par les médias. Alors qu'à la Réunion l'épidémie de chikungunya faisait des ravages réels, ici, on ne se préoccupait que d'une très hypothétique pandémie grippale. Cette dimension irrationnelle, nous ne pouvons la tolérer et il faut la combattre.

Nous ne pouvons la tolérer parce qu'elle a suscité chez nos concitoyens une défiance relativement absurde à l'encontre de tout produit avicole. Résultat : sans raison valable, c'est toute une filière qui se trouve sinistrée, comme les chiffres très alarmants que Mme Herviaux, qui est originaire de la même région que moi, vient de citer le démontrent.

On sait pertinemment que le poulet et les oeufs cuits ne font courir absolument aucun risque au consommateur. Qui mange du poulet cru et, hormis les chanteurs d'opéra, qui gobe des oeufs ? Pourtant, les ventes de volailles ont chuté de 10 % depuis deux mois, après avoir atteint un creux de moins 25 % à la fin de l'année.

Éleveurs professionnels, accouveurs, personnels d'établissements d'abattage, revendeurs, ce sont des milliers d'emplois qui, dans mon département, l'Ille-et-Vilaine, pourraient être menacés.

L'industrie avicole française est la troisième du monde et la première de l'Union européenne, avec un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros chaque année et un cheptel de 125 millions de têtes.

Elle souffre déjà fortement de la concurrence brésilienne, qui lui a imposé depuis 2002 une baisse des prix de vente de 5 % à 8 % par an. Tous les ans les prix baissent ! On conçoit à quelle évolution la profession a été contrainte et quelle maîtrise elle a dû acquérir. Sans qu'elle ait commis la moindre faute, voilà que, sans raison, la grippe aviaire risque de faire disparaître 15 % des emplois de cette filière d'excellence, voire, à terme, si rien n'est fait, l'ensemble de la filière.

Pis, la crise de la filière avicole rejaillit sur les producteurs de céréales. Une partie importante de l'ensemble de l'agriculture de notre pays pourrait ainsi être atteinte. Allons-nous rester les bras croisés, sans rien faire ? Une telle attitude correspondrait-elle à notre tempérament ? Allons-nous laisser tomber notre agriculture, alors qu'elle a fait la preuve de son sérieux, de sa capacité à répondre aux défis qui lui ont été lancés ? Certainement pas !

Le Gouvernement a commencé à réagir. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et vous en féliciter, monsieur le ministre.

Les mesures financières que vous avez annoncées, bien qu'encore trop timides à notre avis - mais il en va toujours ainsi -, sont vitales pour la filière avicole. Les éleveurs devront être totalement indemnisés. Je rappelle qu'ils n'ont commis aucune faute. Au contraire, et c'est un exemple bien nécessaire aujourd'hui, ils nous ont démontré ce qu'était un métier, ce qu'était le travail, ce qu'était la ténacité, ce qu'était la volonté de s'adapter.

Si les éleveurs n'étaient pas indemnisés, la nation ne comprendrait qu'ils doivent faire face seuls à de tels dégâts. Mais nous ne sommes pas certains que les 20 millions d'euros prévus soient suffisants.

M. Philippe Nogrix. Les 30 millions d'euros annoncés pour l'aide aux entreprises en aval de la filière doivent pouvoir être débloqués au plus vite. Chacun sait comment réagissent les banquiers ! Un chef d'entreprise qui, par malheur, n'a plus d'argent ne peut plus emprunter et ne peut plus faire face ; faute de pouvoir continuer à lui donner du travail, il risque alors de devoir renvoyer l'équipe qui apporte à son entreprise tout son savoir-faire.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le ministre, dans votre réponse à la question orale sans débat de notre collègue Jean Boyer, vous aviez indiqué que ces sommes ne constituaient qu'un « premier train de mesures ». Qu'en est-il aujourd'hui ? Êtes-vous capable d'ajouter quelques wagons à ce premier train ?

Par ailleurs, toutes ces mesures financières nous paraissent indispensables, mais elles sont seulement de nature à réparer les dégâts constatés de façon conjoncturelle. Si l'on veut sortir de la crise de manière pérenne, c'est à notre avis dans une autre direction qu'il faut impérativement agir aussi : celle de l'information.

Dans ce domaine, il faut bien reconnaître que des erreurs ont été commises. Force est de constater que la communication en direction du consommateur n'a pas été optimale. Nos concitoyens ont eu peur. Il fallait les rassurer. Il y va de l'avenir de toute la filière. Tant que la confiance dans les produits avicoles ne sera pas restaurée, la crise ne sera pas terminée. Nous avons tous en mémoire ce maire qui a interdit la consommation de volailles dans sa cantine. Comment a-t-on pu laisser faire cela ? (M. Pierre-Yvon Trémel acquiesce.) Il est de notre responsabilité, de votre responsabilité, d'éviter que la panique ne se répande. Pour cela, il est capital de communiquer, sans lésiner sur les moyens. On a su le faire sur d'autres sujets quand des fautes avaient été commises. Raison de plus pour ne pas lésiner quand on n'en a pas commis. Des spots télévisés ont été diffusés. Le journal de 13 heures de TF1 a consacré une série de reportages à des recettes de volailles, et Jean-Louis Debré a fait donner un banquet 100 % volaille à l'Assemblée nationale. Je pense que c'étaient des poulets labellisés bleu, blanc, rouge. (Sourires.)

Est-ce suffisant ? Certainement pas ! Monsieur le ministre, allez-vous financer, en partenariat avec l'INPES, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, une grande campagne d'information publicitaire sur le modèle de celle de la prévention routière, pour enrayer les effets néfastes de la psychose? Comme toute la filière avicole, nous vous attendons sur le sujet. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.

Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité du CPE a relégué au second plan le délicat dossier des conséquences de la grippe aviaire sur la filière avicole.

Pour autant, même si les feux de l'actualité se sont éteints, les problèmes demeurent. Ils touchent de nombreuses familles dans l'ensemble de la filière, de l'accouveur au transporteur en passant par les éleveurs, les industries agroalimentaires et leurs salariés. Voilà un mois, j'interrogeais le Gouvernement lors d'une question d'actualité.

Quelques jours auparavant, monsieur le ministre, je vous avais saisi par courrier. Vous le savez, je suis maire de la commune de Châteaulin, dans le Finistère, commune où se trouvent le siège social et le premier site industriel du groupe Doux-Père Dodu, leader européen pour l'exportation de volailles. Je vis donc au quotidien la situation de chômage partiel imposée aux salariés par la crise et les difficultés des agriculteurs et de l'entreprise.

Je souhaite revenir sur les divers problèmes soulevés.

Je traiterai tout d'abord du chômage partiel et de ses conséquences pour les salariés de l'entreprise.

À l'heure actuelle, ces salariés travaillent en 1 x 8 au lieu des 2 x 8 habituels. Certains salariés que j'ai rencontrés la semaine dernière m'ont affirmé que leur salaire de mars avait été amputé de 150 euros. Je rappelle qu'il s'agit, dans la grande majorité des cas, de petits salaires - SMIC ou légèrement au-dessus -, auxquels s'ajoutent des primes.

Or, malgré les affirmations de M. Loos lors de sa réponse à ma question le 9 mars dernier, les salaires ne sont pas entièrement compensés.

Monsieur le ministre, vous avez longuement répondu à mon courrier, et dans des délais brefs, ce dont je vous sais gré. Vous aussi avez affirmé ceci : « par ailleurs, en accord avec les représentants de l'industrie avicole, les mesures d'indemnisation de chômage partiel ont été assouplies et une nouvelle instruction permettra dans les tout prochains jours une indemnisation du coût total de chômage partiel ». Pouvez-vous me rassurer sur ce point ?

J'en viens aux conséquences de la crise pour les sous-traitants.

Je pense, en tout premier lieu, aux transporteurs. À ma connaissance, et selon les informations données par les personnes concernées que j'ai rencontrées récemment, les entreprises de sous-traitance semblent être ignorées de ce dispositif. La perte de salaire pourrait aller jusqu'à 50 %, en tenant compte de la perte des primes ; celles-ci sont en effet significatives pour de nombreux postes de travail, les chauffeurs par exemple. Cela est également le cas pour les ramasseurs de volailles dans les élevages ; la chambre d'agriculture du Finistère, dans la presse d'aujourd'hui, dénonce cet « oubli ».

Le dispositif spécifique dont vous parlez dans votre courrier - enveloppe de 30 millions d'euros, mesures fiscales, indemnisations spécifiques pour les entreprises d'exportation -peut-il s'appliquer aux sous-traitants ? Je pense, en outre, à d'autres sous-traitants concernés, comme les fabricants de cartonnages notamment.

J'en viens à la destruction des stocks, qui est largement entamée. Je trouve choquant, je le rappelle, de détruire des produits sains et tout à fait consommables qui permettraient de nourrir des personnes en situation de désarroi. Pourquoi n'a-t-on pas accordé des aides nationales et européennes plutôt que d'aider à la destruction et à la transformation de ces produits en farines ? Celles-ci ont une valeur marchande et seront probablement commercialisées.

L'État exerce-t-il un contrôle à cet égard, et lequel ? Ces dispositions impliquent-elles des obligations pour l'entreprise concernant notamment les mesures de soutien au revenu des salariés ?

S'agissant des craintes sur l'avenir de la filière avicole à l'export, la crise révèle le caractère structurel des difficultés de la filière. Aujourd'hui, si les marchés du Moyen-Orient se ferment, la filière se trouve en grand danger, voire en situation de cessation d'activité. Vous assurez, monsieur le ministre, que le Gouvernement met tout en oeuvre pour obtenir la levée des embargos.

Je n'ai aucune raison de ne pas vous croire, mais je voudrais savoir où en est le projet de régionalisation des marchés. La Bretagne, comme d'autres régions, est épargnée. Comment le Gouvernement envisage-t-il de soutenir la reprise des exportations au départ de ces régions ? Connaît-on les délais sous lesquels ce principe pourra être mis en oeuvre ?

Monsieur le ministre, vous avez présenté le 20 mars au Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne un mémorandum français pour autoriser la mise en oeuvre de mesures structurelles de gestion de la crise avicole. Pouvez-vous préciser ce qu'il faut en attendre, pour quand, et qui en seront les bénéficiaires ?

Enfin, fait surprenant et incompréhensible s'il était confirmé, on m'a indiqué que des mesures d'embargo auraient été prises sous couvert de l'administration française pour fermer les marchés des DOM-TOM, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie notamment, au poulet produit en métropole. Pouvez-vous nous préciser ce qu'il en est réellement ?

S'agissant de la formation et de la qualification des salariés, il faut les favoriser.

Face au caractère structurel de la crise, les inquiétudes des salariés sont grandes. Ces derniers expriment en effet un besoin en formation dans la perspective d'un reclassement à terme dans un autre secteur d'activité ou de l'acquisition d'une qualification nouvelle, et cela en vue d'accompagner l'évolution de l'entreprise.

Les attentes en termes de formation vont du bilan de compétences en passant par le renforcement du niveau de culture générale, à l'acquisition de techniques et de qualifications. Des outils, des centres de formation existent. Des secteurs, l'agriculture par exemple, proposent des emplois et peinent à satisfaire les offres des employeurs. Le conseil régional de Bretagne a affirmé son accord pour soutenir tout effort de formation des salariés dans le contexte actuel.

Puisque les moyens de former existent et que les salariés cherchent à se former, envisage-t-on de faciliter la mise en oeuvre de formations ?

Dans le même esprit, la plus grande vigilance est de mise face à la fragilité de la filière. Il faut donc se donner les moyens d'une veille permanente et d'une recherche prospective de nouvelles filières et de nouveaux métiers à promouvoir.

Comment se positionne l'État dans ce contexte ? Est-il prêt, et comment, à accompagner des initiatives dans ces domaines ?

Une délibération de la chambre d'agriculture du Finistère qui m'est parvenue aujourd'hui dénonce vivement l'inadéquation des moyens débloqués par rapport au sinistre réel subi par la filière. Dans le Finistère, l'enveloppe ne couvrirait que 40 % des pertes économiques réelles !

Monsieur le ministre, seriez-vous prêt à faire un effort supplémentaire et à prendre toute la mesure de la crise structurelle ? En effet, au-delà des effets d'une conjoncture défavorable, la filière avicole française est en grand danger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je tiens à remercier M. Dominique Mortemousque d'avoir provoqué ce débat par cette question orale afin de faire le point sur les conséquences économiques et en termes d'emplois de cette épidémie d'influenza aviaire dans notre pays.

Comme cela a été dit par beaucoup d'entre vous, les consommateurs ont manifesté leurs inquiétudes, lesquelles ont entraîné dès la mi-octobre une baisse de la consommation française de viandes de volaille. Cette consommation s'est rétablie au cours des fêtes de fin d'année, diminuant ensuite à nouveau.

Que peut-on dire aujourd'hui ? Que la baisse de consommation s'est stabilisée la semaine passée en moyenne à moins 11 % selon les industriels et les représentants de la distribution. Naturellement, c'est encore trop, et nous devons poursuivre notre effort.

La baisse des ventes en volume de poulets en label est tombée à moins 4 % la semaine dernière en raison, notamment, des promotions commerciales.

Comme Mme Herviaux l'a rappelé, ces baisses de consommation sont heureusement moindres que celles que connaissent à nos frontières d'autres pays européens, avec des diminutions de l'ordre de 30, de 40 ou de 50 %. Cela n'empêche pas que nous devons naturellement réagir, comme vous l'avez toutes et tous indiqué.

Sur la partie sanitaire et vétérinaire, la gestion de l'épidémie a été organisée en complète transparence par le Gouvernement, comme le souhaitait le Premier ministre. Elle a eu lieu en temps réel et en informant nos concitoyens, ce qui, naturellement, entraîne parfois quelques désagréments dans les réactions psychologiques. Mais cette gestion a eu le mérite de donner aux consommateurs des informations en temps réel. C'est la raison pour laquelle la consommation a repris plus rapidement chez nous que dans les autres pays voisins.

Cela m'amène à dire quelques mots en réponse à Mme Bricq sur le confinement. Nous avons pris des mesures de prévention et de précaution dès le mois d'octobre, au moment où l'épizootie était encore loin de nous. Ces mesures sont ensuite montées en puissance au fur et à mesure que l'épidémie se rapprochait. La suite des événements nous a, hélas ! donné raison. Nous avons d'ailleurs pu, pendant cette période, améliorer notre connaissance de la maladie, de son épidémiologie, notamment le rôle des oiseaux migrateurs.

Cela permettra, en liaison avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, ou AFSSA - nous nous conformerons à son avis -, d'affiner et d'adapter ces mesures de prévention, notamment le confinement, pour les rendre supportables dans le temps.

Nous allons voir ce que nous faisons à compter du 31 mai. À cet égard, le rapport publié aujourd'hui à l'Assemblée nationale par la commission présidée par M. Le Guen, et dont le rapporteur général est M. Jean-Pierre Door, montre bien que ce dispositif a été jugé efficace.

Au-delà de la veille sanitaire et des mesures de précaution, il y a l'aspect économique : beaucoup de Français ont découvert à cette occasion l'importance de la filière avicole. La France est en effet le premier pays producteur de viandes de volaille de l'Union européenne. Ce secteur emploie 50 000 salariés, et 15 000 éleveurs professionnels, auxquels s'ajoutent des éleveurs privés, sont présents sur l'ensemble du territoire.

Face à cette filière, le Gouvernement s'est assigné trois objectifs : d'abord, relancer la consommation de viandes de volaille en France par des campagnes d'information et de promotion; ensuite, assurer un soutien national de la filière avicole ; enfin, renforcer ce plan de soutien par des aides structurelles communautaires.

S'agissant de la première orientation, informer pour relancer la consommation, l'État a engagé des campagnes de communication non négligeables : 4,5 millions d'euros depuis le mois d'octobre. Il s'agissait notamment - vous avez raison, monsieur Détraigne - de lutter contre les effets néfastes de certaines images de personnes en tenue de cosmonaute, dignes d'On a marché sur la lune.

Les premières campagnes radiodiffusées de promotion des volailles festives ont été lancées dès l'automne et ont permis de rétablir la consommation durant les fêtes de fin d'année.

Nous avons par ailleurs beaucoup travaillé avec le Centre d'information des viandes, qui avait montré toute son utilité et son efficacité pour la reprise de la consommation de viandes bovines après la crise de l'ESB. Ainsi, durant la première quinzaine du mois de février, une plaquette d'information a été transmise à huit millions de foyers français. Des messages radio d'informations sur la consommation de viandes de volaille ont par ailleurs été diffusés durant cette période.

Enfin, une campagne télévisée intitulée « s'informer pour mieux consommer » a été diffusée, sur notre initiative, entre le 25 mars et le 7 avril sur TF1, France 2, France 3, M6, autrement dit sur les grandes chaînes de télévision. Cette campagne a d'ailleurs porté ses fruits, puisque le sondage IFOP qui a été réalisé par la suite nous a montré que la proportion de consommateurs qui restaient inquiets quant à la consommation de volailles était passée de 30 % à 10 % après cette campagne.

En outre, nous allons entamer une nouvelle campagne de promotion avec l'ensemble de la filière à compter du 25  avril, donc juste après la période pascale ; nous avons en effet interrompu la mise en oeuvre de ce programme pendant cette dernière période, qui voit toujours la consommation d'agneau augmenter, mais nous la redémarrerons aussitôt après.

L'AFSSA s'est également montrée très claire dans un avis du 23  février, en précisant que la consommation de volailles et d'oeufs ne présentait aucun risque dans notre pays, ce qui, je crois, a été compris par tout le monde.

Pour ma part, j'ai réuni à deux reprises toutes les associations de consommateurs pour les informer des mesures prises par la Gouvernement, et je dois dire qu'elles ont été dans ce domaine un très bon relais. De la même façon, j'ai écrit à tous les maires afin de les sensibiliser à cet avis rendu par l'AFSSA.

Comme l'a rappelé l'un des intervenants, il est vrai qu'un maire avait pris un arrêté pour suspendre la consommation de viande de volaille dans les cantines municipales ; mais il est finalement revenu sur sa décision après l'intervention immédiate du préfet. En revanche, un autre maire a été, lui, moins courageux, en organisant un référendum auprès des parents d'élèves, croyant que ceux-ci allaient lui demander de retirer les viandes de volaille des cantines scolaires. Or, manque de chance pour lui, et heureusement pour la filière, les parents d'élèves, qui se sont montrés fort sages, ont décidé que la consommation de viande de volaille dans les cantines de cette commune ne posait pas de problème. En fait, un maire de gauche et un maire de droite étaient tous deux impliqués dans une attitude coupable, chacun ayant réagi ensuite comme il le fallait.

M. le Premier ministre a lui-même réuni les organisations concernées par la consommation de viande de volaille - les restaurateurs, les associations de parents d'élèves, les consommateurs, les représentants des collectivités territoriales. À cette occasion, nous n'avons cessé de marteler que les volailles présentes sur notre marché étaient saines et faisaient l'objet de contrôles sanitaires rigoureux de la part de des directions départementales des services vétérinaires. À cet égard, je remercie Mme Nicole Bricq d'avoir souligné la mobilisation exemplaire de ces services. Nous avons pu montrer que notre pays dispose d'un bon modèle sanitaire reposant sur un trépied formé d'éleveurs - ils ont manifesté un sens civique formidable -, de vétérinaires privés et de vétérinaires d'État.

Il en est résulté que nous n'avons eu à subir aucun ravage comparable à celui de la fièvre aphteuse au Royaume-Uni, en 2001, ou encore - on l'a parfois oublié - de l'influenza aviaire aux Pays-Bas, en 2003, qui a décimé presque tout l'élevage de ce pays.

Bien entendu, il nous reste à traiter le problème du soutien à la filière avicole sur lequel vous êtes intervenus les uns et les autres, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je rappelle les chiffres : 11 millions d'euros en novembre ; 52 millions d'euros supplémentaires le 23 février ; enfin, l'annonce faite le 23 mars dernier de 20 millions d'euros supplémentaires.

Il s'agit là d'un plan que nous avons élaboré avec les professionnels, dans le respect des mesures prises par l'Union européenne et sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

Le premier volet concerne, naturellement, les éleveurs de volailles auxquels nous avons accordé, en plus des 20 millions d'euros, 5 millions d'euros supplémentaires.

Par ailleurs, nous avons délégué aux préfets une enveloppe de 18  millions d'euros dès le 7 mars pour le paiement d'avances - j'insiste bien sur le fait qu'il s'agit d'« avances » - de 1 000 euros aux éleveurs. Pour ce faire, il nous a fallu définir un critère, ce qui n'est jamais facile. Celui qui a été retenu est le nombre de mètres carrés de bâtiments ainsi que l'importance des productions en label.

Dans l'Ain, seul département à avoir été touché par l'épizootie, nous avons naturellement indemnisé en totalité M. et Mme Clerc, propriétaires d'un élevage dans la commune de Versailleux. Ce couple d'éleveurs bénéficiera, par ailleurs, d'aides destinées à se reconvertir dans la production de lait puisqu'il souhaite abandonner la filière avicole.

Nous avons, en outre, complètement indemnisé les éleveurs situés dans le périmètre de protection autour du foyer découvert dans l'Ain, dans la mesure où les zones de surveillance mises en place les empêchaient de laisser sortir leur volaille ; ainsi, ils nourrissaient des volailles qu'ils ne pouvaient vendre par la suite. Cette mesure est d'ailleurs d'ores et déjà étendue aux couvoirs et aux éleveurs de gibiers de la zone de protection de la Dombes, dans le département de l'Ain.

Nous avons également pris une mesure de soutien spécifique en faveur des éleveurs de volailles en plein air, engagés dans des filières de qualité et qui se trouvent particulièrement affectés par l'obligation de confinement. Cette mesure a été notifiée à la Commission européenne et devrait permettre d'indemniser les baisses de densité en élevages de plein air au-delà du plafond habituel de minimis, c'est-à-dire au-delà de 3 000 euros.

Enfin, nous avons demandé aux préfets de procéder à la répartition d'une enveloppe de 3 millions d'euros supplémentaires afin de venir en aide aux éleveurs ayant investi récemment, et qui sont donc en période de démarrage professionnel, ainsi qu'aux jeunes agriculteurs qui doivent pouvoir bénéficier d'allégements de leurs charges d'emprunts. Nous prendrons en charge les cotisations à la MSA de ceux qui sont le plus en difficulté. Voilà pour l'amont du dispositif.

J'en viens maintenant à l'aval, avec un soutien en direction des entreprises de la filière : une enveloppe de 30 millions d'euros a été mobilisée pour les entreprises dès le 23 février, et le Premier ministre a complété ce dispositif par une enveloppe de 20 millions d'euros le 23 mars dernier.

Ce volet comprend, en outre, deux outils complémentaires. Il s'agit tout d'abord d'une aide directe aux entreprises de la filière gérée par les préfets de région dans le cadre, dans un premier temps, du plafond de minimis de 150 000 euros. Aux quatre sénateurs de Bretagne qui se sont exprimés sur ce point, je puis répondre que cette aide sera gérée directement par Mme Bernadette Malgorne. La circulaire d'application a été signée le 9 mars, et la répartition régionale d'une première enveloppe de 18 millions d'euros a été notifiée ; elle est actuellement en cours de consommation, après examen individuel des dossiers.

Quant au second outil proposé, il s'agit d'une aide nationale au sauvetage des entreprises en difficulté dont la situation financière mettrait en péril les emplois de sites de production français et qui présenteraient un projet de restructuration.

Je répondrai à MM. Aymeri de Montesquiou et Gérard Le Cam que les petits abattoirs peuvent d'ores et déjà bénéficier du premier volet de ce dispositif de soutien et les grands accouveurs, du second volet.

Cela étant dit, au-delà de cette enveloppe, se pose le problème de la situation des salariés et de celle des entreprises de manière générale.

Des reports ou dispenses des échéances fiscales du premier semestre ont été prévus pour les entreprises du secteur avicole.

Par ailleurs, en matière de TVA et de taxes assimilées - taxe d'abattage, redevances sanitaires -, des délais de paiement ont naturellement été accordés.

S'agissant des salariés des entreprises de la filière avicole qui auraient perdu leur emploi ou qui subiraient des baisses de rémunérations - en parlant de perte d'emploi, je pense à tous ceux qui sont employés en CDD -, ils seront traités d'une manière bienveillante par les comptables du Trésor s'ils ne sont pas en mesure de régler leurs impôts, notamment l'impôt sur le revenu.

Madame Yolande Boyer, des mesures d'indemnisation totale du chômage partiel ont été mises en oeuvre dès le 26 janvier, puis assouplies. À l'heure actuelle, 53  établissements se sont manifestés auprès des directions du travail et 1 281 salariés sont concernés.

Nous avons également décidé d'élargir le soutien initialement prévu. C'est ainsi que seront éligibles au dispositif de report de charges fiscales les entreprises de prestations de services, d'alimentation animale et de commerce de détail - les rôtisseurs, notamment - du secteur avicole.

Nous allons aussi faire bénéficier du dispositif de soutien direct, dans le cadre du plafond de minimis de 150 000 euros, les éleveurs qui commercialisent les volailles vivantes dites « démarrées » - voilà qui devrait répondre au souci exprimé par M. Le Cam - et, par dérogation, les entreprises prestataires de services, en particulier les transporteurs.

Je n'aurai garde, madame Bricq, d'oublier les fermes pédagogiques. À cet égard, nous avons demandé au ministère de l'éducation nationale de sensibiliser les enseignants au fait que les visites de ces fermes par les élèves n'avaient pas à être interrompues. Les fermes pédagogiques pourront donc, comme vous le souhaitez, madame la sénatrice, bénéficier de ce soutien.

En outre, afin de contribuer à l'assainissement du marché, nous avons souhaité que les associations caritatives puissent disposer gratuitement de 1 060 tonnes de volailles congelées. Un appel d'offres a été lancé le 20 mars pour acheter ces stocks, qui sont équivalents à la demande totale de leurs besoins actuels.

Enfin, je tiens à remercier les collectivités territoriales, notamment les régions et les départements, qui participent au financement complémentaire de ces mesures de soutien.

En matière d'exportation, une soixantaine de pays ont placé nos produits sous embargo, et l'on estime la diminution de consommation de viandes de volaille dans le monde entre 20 % et 30 %, à laquelle il faut ajouter la baisse des prix de la viande de volaille au niveau mondial.

Dans cette perspective, nous avons engagé des négociations, qui sont actuellement en cours. Chaque fois que je rencontre des ministres étrangers, je discute avec eux de ce problème - et je n'oublie pas le très gros travail réalisé par nos ambassadeurs - afin que, dans le strict respect des règles de l'Organisation mondiale de la santé animale, l'OIE, les embargos soient limités aux volailles du département de l'Ain et ne concernent pas des départements dans lesquels l'épizootie n'a pas été constatée.

Dans le cadre du plan de soutien à la filière, nous avons prévu 10 millions d'euros pour soutenir les entreprises exportatrices les plus en difficulté. Plusieurs d'entre elles, après avoir adressé une demande de soutien le 24 mars à la Commission européenne, ont reçu un avis favorable. Il convient ici de rappeler que ces aides au sauvetage des entreprises ont permis de préserver des bassins d'emplois importants, et je pense en particulier à la commune de Châteaulin, administrée par Mme Yolande Boyer.

La Commission européenne a, de surcroît, décidé d'augmenter progressivement les restitutions à l'export de poulets entiers : ces dernières s'élèvent actuellement à 48 euros pour 100 kilos.

Nous avons également diffusé, auprès des autorités des pays importateurs, des documents traduits concernant notre système de contrôle sanitaire.

Par ailleurs, toutes les interventions internationales visant une mobilisation pour lever les embargos ont été mises en oeuvre : nos ambassadeurs et nos conseillers agricoles effectuent des démarches pour présenter notre dispositif de prévention et demander la levée des embargos.

Le délégué interministériel à l'industrie agroalimentaire, M. Nicolas Forissier, s'est rendu la semaine dernière en Algérie. Il sera la semaine prochaine au Yémen et dans les Émirats arabes unis. Quant à Mme Christine Lagarde, elle a, pour sa part, entamé une tournée dans les pays du Maghreb et en Égypte ainsi qu'auprès des autorités d'Arabie saoudite, du Koweït et des Etats-Unis, où elle se trouve encore aujourd'hui même.

Pour répondre à la question posée par Mme Yolande Boyer, qui m'interrogeait sur le cas particulier de nos collectivités territoriales ultramarines, je rappellerai que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie disposent de gouvernements autonomes qui, en matière sanitaire, édictent leurs propres règles, distinctes de celles qui sont établies par l'État central. Madame Boyer, ce sont malheureusement ces gouvernements locaux qui ont adopté les mesures d'embargo que vous avez évoquées. Ils disposent, en effet, de compétences importantes, qui ne sont plus du ressort de l'État, notamment en ce qui concerne les plantes et la lutte contre les maladies.

M. Jean Arthuis. C'est ça, la solidarité ? On s'en souviendra !

M. Dominique Bussereau, ministre. Vous le direz à vos collègues de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie !

S'agissant de l'aide apportée par l'Union européenne, j'ai déjà eu l'occasion d'employer une formule un peu imagée mais qui correspond, me semble-t-il, à la réalité, en affirmant que l'Europe était en quelque sorte victime d'une panne d'allumage. En effet, l'Union européenne a pris du retard, bien que la France, comme de nombreux autres pays, soit intervenue lors des conseils des ministres de janvier et février derniers.

Lors du dernier conseil des ministres, qui s'est tenu au mois de mars, j'ai déposé un mémorandum qui a été soutenu par douze pays de l'Union européenne sur vingt-cinq. Il vise à réformer l'organisation commune de marché pour l'adapter au contexte actuel, en instituant une aide au stockage privé, une indemnisation de la réduction volontaire d'activité, ainsi que, comme l'a réclamé M. Barraux, un déplafonnement de l'aide de minimis allouée aux éleveurs.

J'attends à présent la réponse que m'apportera la Commission le 25 avril prochain. J'ai rencontré Mme Fischer Boel la semaine dernière pour évoquer ce problème, et je pense que les réponses qui nous seront fournies le 25 avril seront intéressantes.

Je demanderai également à la Commission d'assouplir les règles relatives aux aides d'État et de mettre en oeuvre la clause de sauvegarde. Ainsi, pendant toute la durée de la crise, les importations de l'Union européenne en provenance des pays tiers n'augmenteront pas, ce qui évitera d'aggraver les difficultés que connaît la filière aviaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les parlementaires européens sont d'accord pour réformer l'organisation commune de marché et permettre le cofinancement des nouvelles mesures structurelles restant à définir. Ces décisions seront adoptées lors du prochain conseil des ministres, le 25 avril prochain. J'ai naturellement demandé que toutes ces mesures soient rétroactives pour la France.

Pour répondre à votre question très précise, monsieur Mortemousque, la Commission semble également favorable à la mise en oeuvre rapide de deux mesures nouvelles de soutien à la filière, à savoir, d'une part, une aide à la destruction des oeufs à couver, qui concernerait les accouveurs, particulièrement touchés par cette crise, et, d'autre part, une aide à l'allongement du vide sanitaire pour les éleveurs.

Je demanderai en outre à la Commission d'autoriser l'application rétroactive de ces dispositions et le cofinancement de mesures d'indemnisation du stockage privé pour les entreprises.

De même, nous sommes très actifs dans les négociations qui se tiennent actuellement dans le cadre de l'OMC. Nous y défendons fermement, vous le savez, les intérêts de la filière aviaire, et j'ai déjà eu l'occasion de faire le point à plusieurs reprises sur ce dossier devant la Haute Assemblée.

Madame Bricq, vous m'avez interrogé sur les volailles label. Les appellations de volailles label en plein air ne sont pas affectées, puisque la Commission a institué au mois de janvier dernier une dérogation permettant le maintien de ces appellations pour ces volailles.

Madame Herviaux, vous avez évoqué la création d'une interprofession. Nous nous apercevons effectivement en ce moment que l'existence d'une interprofession volailles est véritablement indispensable. À cet égard, j'ai nommé deux médiateurs afin d'accompagner la mise en place de cette interprofession. Deux projets de statuts ont été proposés, qui sont actuellement soumis pour validation aux syndicats de la filière. J'ai bon espoir que, à l'occasion de cette crise, la véritable interprofession dont nous avons besoin voie enfin le jour.

En conclusion, je soulignerai que, tout au long de cette crise, nos éleveurs ont été formidables. Ils ont respecté avec un grand civisme les règles de confinement des volailles et les consignes de sécurité, et ce parfois au détriment de leurs intérêts financiers. Ils ont ainsi parfaitement joué le jeu de la protection sanitaire.

Nos concitoyens ont manifesté également un civisme certain, et ils continuent de le faire, comme le prouve la reprise de la consommation de viande de volaille. Je ne dirai pas, comme Mme Royal voilà quelques jours, qu'il faut manger du poulet deux fois par semaine, car cela rappellerait trop une célèbre formule du roi Henri IV ! (Sourires.) Toutefois, je suis d'accord, une fois n'est pas coutume, avec Mme Royal pour reconnaître qu'il est nécessaire d'augmenter la consommation de viande de volaille.

Le plan de soutien à la filière aviaire, j'y insiste, constitue une première étape. Ainsi que l'a clairement indiqué M. le Premier ministre, ce plan sera adapté au fur et à mesure des besoins. Pour le moment, nous mettons en oeuvre intégralement les dispositifs qui ont été décidés, mais nous sommes prêts à leur donner plus d'ampleur et à accroître les moyens engagés si cela se révèle nécessaire.

En effet, comme l'ont souligné tous les intervenants, en particulier MM. Détraigne et Nogrix, il est évident qu'une filière ne doit pas être sanctionnée, au motif, précisément, qu'elle a parfaitement joué le jeu de la sécurité sanitaire et du respect des règles de confinement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons un devoir de solidarité, et soyez certains que le Gouvernement y sera fidèle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.