compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Serge Vinçon

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Avenir de la recherche

Discussion d'une question orale avec débat

(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 1.

M. René Trégouët appelle l'attention de M. le ministre délégué à la recherche sur le malaise actuellement perceptible dans le monde de la recherche publique en France, dont l'expression récente a été la pétition électronique intitulée « Sauvons la recherche » qui a recueilli un très grand nombre de signatures de chercheurs.

D'après les signataires de la pétition, la recherche française ferait face à une paupérisation administrative des laboratoires publics - manque de personnel administratif qualifié pour épauler les chercheurs -, à une insécurité sociale des jeunes chercheurs - un avenir bouché du fait, notamment, d'une pénurie de postes-, et à une recherche fondamentale maltraitée - niveau d'investissements trop faible comparé aux Etats-Unis et à certains de nos partenaires.

Or la volonté de réformer du Gouvernement est réelle : il a clairement annoncé vouloir passer d'une logique de financement de structures - 90 % des moyens budgétaires du ministère étaient jusqu'à présent distribués à des organismes autonomes - à une logique de financements sur projets. Il a annoncé un train de mesures le 27 février dernier parmi lesquelles 294 millions d'euros de crédits dégelés, la création de 120 postes statutaires supplémentaires de chercheurs et la mise en place du comité national pour l'avenir de la recherche.

Le gouvernement précédent a fait preuve d'un vrai courage politique en la matière quand on sait toute la difficulté à réformer dans notre pays : partant du constat de la crise des vocations actuelles pour la filière scientifique, aussi bien du côté des enseignants que des élèves, qui a comme corollaire un phénomène de « fuite des cerveaux » vers les Etats-Unis, le gouvernement a entrepris des réformes de structures.

Il y a en effet urgence en la matière. Le commissaire européen chargé de la recherche a récemment rappelé que si l'Europe veut faire armes égales avec les Etats-Unis d'ici à 2010, plusieurs centaines de milliers de postes de chercheurs se devaient d'être pourvus.

C'est pourquoi M. Trégouët demande à M. le ministre délégué à la recherche, après l'annonce d'un premier train de mesures destiné à répondre aux attentes de la communauté scientifique, de bien vouloir nous rappeler les objectifs et la méthode du nouveau Gouvernement pour réussir pleinement la nécessaire réforme des structures de la recherche française.

La parole est à M. René Trégouët, auteur de la question.

M. René Trégouët. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise profonde dans laquelle la recherche publique française s'est trouvée plongée depuis le début de l'année a des origines budgétaires qui ne sont pas faciles à analyser.

Les causes profondes de ces difficultés budgétaires sont structurelles et anciennes.

Tout d'abord, la part de l'Etat dans le financement de l'effort national de recherche par rapport à celle des entreprises est déjà élevée en France si on la compare à ce qu'elle est dans les autres pays de l'OCDE.

Ensuite, les dépenses publiques pour la recherche sont très rigides, puisqu'elles sont à 90% versées directement aux organismes, seuls les 10 % restants finançant des projets à partir de fonds incitatifs.

A côté des organismes publics de recherche figurent les universités. Insuffisamment pourvues, ces universités sont cependant dévoreuses de crédit, mais les moyens ne sont pas entièrement dévolus à de réelles investigations scientifiques, loin s'en faut, car ils sont largement sollicités par les besoins d'encadrement des très nombreux étudiants du premier cycle de l'enseignement supérieur.

Dans ces conditions, la majorité précédente, alors que la croissance était forte, n'a pas significativement augmenté les dépenses publiques de recherche.

M. Claude Allègre, lorsqu'il était ministre chargé de ce secteur, avait déclaré vouloir faire de la réforme des structures de financement des activités concernées un préalable à une forte progression de leurs moyens.

De fait, on constate depuis 1993, quels que soient les partis politiques au pouvoir, une lente érosion de l'effort national de recherche en France.

Mais la majorité actuelle - c'est là la cause immédiate de la présente crise - s'est trouvée confrontée d'emblée à un contexte budgétaire particulièrement difficile, dû au ralentissement de la croissance et au creusement concomitant des déficits publics.

Aussi a-t-elle jugé prioritaire de tenter de mobiliser, d'une part, de façon progressive, par de fortes incitations fiscales, des ressources privées actuellement insuffisantes et, d'autre part, de façon immédiate - ce qui était plus difficile à justifier -, les réserves des organismes publics de recherche. Certes, ces réserves étaient souvent importantes, en raison de la nécessité de pouvoir faire face rapidement à des dépenses imprévues, mais aussi grâce au développement, méritoire, des ressources propres des laboratoires, que ces derniers trouvaient légitime de pouvoir utiliser à leur gré.

Les problèmes de financement que ces mesures ont causés aux autorités de recherche ont été le détonateur de la crise. Celle-ci s'est ensuite concentrée sur l'une des mesures de la dernière loi de finances qui prévoyait le remplacement de 550 postes statutaires par autant de postes de contractuels, afin d'accélérer le recrutement de jeunes chercheurs et d'introduire davantage de souplesse dans la gestion des ressources humaines des organismes publics de recherche.

Cette initiative, pourtant bien intentionnée, n'était sans doute pas très heureuse, il faut le reconnaître, dans la mesure où, le « profil » des emplois en cause ne correspondant pas de façon optimale aux besoins, les débouchés, déjà très limités, offerts aux jeunes docteurs pouvaient s'en trouver restreints.

La fronde des chercheurs déclenchée par des mesures courageuses mais mal comprises a eu de grands mérites.

Tout d'abord, elle a suscité un débat national sur la recherche, permettant d'en souligner l'importance, non seulement en tant que facteur de compétitivité économique, mais aussi dans sa dimension socioculturelle à laquelle nos concitoyens sont très sensibles, comme l'a prouvé le soutien massif qu'ils ont apporté au mouvement des chercheurs.

Ensuite, cette fronde a permis de poser le problème de l'insuffisance du financement global de la recherche et d'insister sur la primauté des ressources humaines. Les problèmes de statut et de rémunération des chercheurs ont été abordés, ainsi que celui de la fuite des cerveaux vers l'étranger.

Enfin, elle a donné l'occasion à de nombreux spécialistes des questions de recherche de formuler des analyses ou des propositions de réforme particulièrement audacieuses et de nature à inspirer les réflexions et les actions des décideurs en la matière.

Mais le mouvement des chercheurs, par la façon dont il s'est déroulé, notamment du fait de sa médiatisation importante, pourrait également avoir des retombées négatives.

Le nécessaire geste d'apaisement du Gouvernement consistant à reconvertir en emplois statutaires les 550 postes de contractuels dont la création était prévue par la loi de finances ne doit pas être interprété comme un renoncement aux réformes de fond, qui sont indispensables.

Vous-même, monsieur le ministre, avez déclaré que l'on n'avancerait pas dans la modernisation de la recherche sans une réforme de l'université. Devant notre assemblée, M. François Fillon a, pour sa part, proclamé que « la recherche exige des moyens mais aussi une organisation efficace ».

Le collectif « Sauvons la recherche » a estimé, de son côté, que le mouvement des chercheurs avait créé « une occasion exceptionnelle de refonder la place de la recherche dans le dispositif national ». Acceptons-en l'augure ! Il ne faudrait pas, notamment, laisser penser qu'il n'existe pas d'autre perspective pour les thésards et les jeunes docteurs que celle du statut de chercheur à vie.

Au-delà des difficultés budgétaires et de la préservation du quota de postes statutaires, la crise récente est révélatrice tout à la fois du malaise des chercheurs et de la nécessité de réformer en profondeur notre dispositif de recherche.

Le malaise des chercheurs s'exprime sur le déroulement de carrières des plus anciens, qui ne récompense pas assez les mérites, dans la diversité des expériences, des métiers et des responsabilités de la recherche, notamment en raison d'une évaluation insuffisamment objective.

Mais une forte angoisse étreint aussi les plus jeunes. En effet, comme dans tous les pays, le nombre de postes vacants de fonctionnaires est inférieur, en France, à celui des docteurs formés chaque année. Les contrats ne sont pas assez attractifs et les entreprises ont une préférence pour les ingénieurs issus de nos grandes écoles. Les débouchés dans le secteur privé sont donc trop restreints.

Une crise des vocations affecte la recherche fondamentale, dans les domaines de la physique, de la chimie et surtout des sciences de la vie, où nous sommes pourtant très en retard. En revanche, concernant la recherche appliquée, le nombre d'étudiants en informatique ou en sciences pour l'ingénieur, par exemple, est en augmentation.

A cause et au-delà du malaise des chercheurs, le besoin de réformer notre recherche est incontestable.

En tout premier lieu, et je ne cesse de le répéter chaque année dans mes rapports budgétaires, nous manquons d'outils d'analyse et d'aide à la décision.

Les statistiques disponibles sont anciennes ; les études qui les exploitent sont trop peu rigoureuses et trop peu nombreuses, notamment en ce qui concerne les exemples étrangers. Il manque, auprès de l'exécutif, un comité d'orientation stratégique qui puisse éclairer les choix à effectuer en fonction d'une vision prospective de l'évolution de la recherche française et d'un examen lucide de ses faiblesses, de ses atouts et de son potentiel.

Si nous ne pouvons pas tout faire, il existe des domaines, qu'il faut pouvoir identifier, dans lesquels nous ne pouvons pas ne pas être présents. Je pense, par exemple, aux sciences de la vie et aux nanotechnologies.

Une fois dotés de moyens de diagnostic, nous pourrons mener plus efficacement les réformes nécessaires, qui concernent aussi bien les structures et le potentiel humain que les modes de financement de notre recherche.

Les structures sont trop morcelées, avec des chevauchements entre les compétences des organismes publics et des cloisonnements entre ces derniers et les universités ainsi qu'entre établissements publics et entreprises privées. Il en résulte une grande complexité et une faible lisibilité de notre dispositif de recherche ainsi que des dysfonctionnements au sein, par exemple, d'unités mixtes soumises aux réglementations différentes applicables aux universités et aux autres institutions publiques de recherche dont elles dépendent conjointement.

L'éclatement des structures conduit à leur surajouter des instances de coordination qui compliquent davantage encore le système. En outre, les règles de fonctionnement propres à chaque entité sont souvent excessivement lourdes et contraignantes.

En ce qui concerne les ressources humaines, il conviendrait de parvenir à une répartition plus équilibrée des différentes formes d'emploi, en étoffant, compte tenu des rigidités de la formule statutaire, les effectifs des post-doctorants. Leurs contrats devraient être rendus beaucoup plus attractifs et offrir plus de débouchés dans le privé. En effet, ce sont les thésards et les jeunes docteurs qui font tourner nos laboratoires et assurent l'indispensable réorientation de notre recherche vers les disciplines émergentes. Tous n'ont pas pour autant vocation à demeurer chercheur à vie.

En ce qui concerne maintenant les crédits, la multiplication des sources de financement de la recherche en complique la gestion. Une amélioration substantielle et, si possible, homogène de la comptabilité des organismes devrait permettre de connaître, en temps réel, la situation financière des laboratoires, toutes ressources confondues, et d'ajuster au plus près les dotations qui leur sont versées pour faire face à leurs besoins. En contrepartie d'une évaluation plus rigoureuse de leurs projets et de leurs résultats, une plus grande autonomie de gestion pourrait leur être consentie, ce qui faciliterait leur fonctionnement, les contrôles étant exercés a posteriori plutôt qu'a priori.

Il est à espérer que la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances débouche sur une meilleure synergie entre les différentes dépenses, qu'elles émanent des universités et des organismes ou qu'elles soient civiles ou militaires.

Par ailleurs, il est essentiel que soient définis des indicateurs pertinents permettant d'évaluer l'efficacité des dépenses.

Vous êtes conscient, je le sais, monsieur le ministre, non seulement de la nécessité de procéder à de profondes réformes de la recherche française, mais aussi de la difficulté de les mener à bien étant donné l'hypersensibilité des personnes concernées.

Aussi avez-vous déclaré, de façon très avisée, dans un entretien avec des journalistes du quotidien Le Figaro qu' « il faudrait passer au préalable par une phase de diagnostic, de dialogue et d'expérimentation ».

Quels doivent être les principaux sujets de réflexion de cette phase préalable ?

Je crois qu'il faudra, tout d'abord, s'interroger sur l'articulation qui doit exister entre l'augmentation des moyens, qui sera prévue par la future loi d'orientation et de programmation, et les réformes de structures, qui permettront d'améliorer l'efficacité des dépenses.

L'architecture générale de notre système de recherche sera-t-elle revue ?

De nombreuses propositions audacieuses ont été avancées à ce sujet, qui impliqueraient des restructurations sous forme d'éclatement ou de regroupement de services de différents organismes, notamment dans le domaine des sciences de la vie, la création d'agences d'objectifs et de moyens et une autonomie des unités de base de notre recherche.

Ces éléments de base devraient être, pour certains, les universités, pour d'autres, les campus ou pôles d'innovation regroupant, sur une thématique et dans des limites territoriales précises, les moyens des universités et ceux des entreprises, des organismes et des collectivités territoriales.

Le problème de la dimension optimale des laboratoires a également été posé : doivent-ils rester à « dimension humaine » pour demeurer créatifs ou doivent-ils atteindre une certaine « dimension critique » ?

Quelles doivent être les parts respectives des secteurs public et privé ? Il faut, à ce sujet, tout à la fois reconnaître le rôle prépondérant des fonds publics, y compris européens, dans le financement de la recherche fondamentale et des très grands équipements, et la complémentarité des deux secteurs.

La valorisation des résultats de la recherche académique profite, bien entendu, à l'industrie, mais elle contribue aussi au financement de cette recherche qu'elle stimule, par ailleurs, par ses questionnements. Certaines recherches finalisées peuvent faire l'objet de partenariats entre les organismes publics et des entreprises, ces dernières acceptant de contribuer à long terme au financement des travaux considérés en amont et de collaborer, en aval, à leur développement, en échange d'une cession exclusive des droits d'exploitation des découvertes effectuées.

D'autres idées ont été émises concernant l'opportunité d'opérer un rapprochement entre, d'une part, les grandes écoles et les universités, auxquelles une plus grande autonomie devrait être accordée, notamment en matière de recrutement, et, d'autre part, le statut et les obligations des personnels de ces universités et celui des organismes publics de recherche.

Davantage de mobilité vers les universités et les entreprises permettrait aux chercheurs des organismes publics d'acquérir une plus grande ouverture sur la société et de se contraindre, de façon stimulante, à la fois à mieux maîtriser et à remettre en cause leurs savoirs par la confrontation avec les étudiants et une meilleure approche des besoins de l'industrie.

En conclusion, monsieur le ministre, comptez-vous associer le Parlement à la préparation de la future loi d'orientation et de programmation de la recherche, dont vous avez annoncé qu'elle serait élaborée avec les chercheurs ?

En effet, il est bien naturel que vous proposiez aux chercheurs de les associer étroitement à cette nouvelle loi de programmation et d'orientation, mais la représentation nationale voudrait savoir, monsieur le ministre, car elle est là au coeur de sa légitimité s'agissant d'un problème qui détermine fortement l'avenir de la France, quel est le rôle que vous voudriez lui faire jouer dans cette « coproduction », pour reprendre votre propre expression. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 50 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;'

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 10 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en annonçant, au lendemain des élections de mars dernier, la requalification prochaine des 550 contrats à durée déterminée en postes contractuels, ainsi que la création de 1 000 postes universitaires d'ici à 2005, le Gouvernement a mis un terme au mouvement de révolte des chercheurs.

Grâce à une mobilisation sans précédent - je rappelle que la pétition émise par le collectif « Sauvons la recherche » a, en trois mois, recueilli quelque soixante-dix mille signatures de responsables de laboratoires et d'unités et d'étudiants du troisième cycle - les chercheurs, soutenus par l'opinion publique et par de nombreux scientifiques étrangers, ont réussi à obtenir satisfaction. La phase aiguë de la crise de la recherche française est ainsi achevée.

Pour autant, il ne s'agit pas de laisser croire que la situation est définitivement réglée. Les chercheurs eux-mêmes se gardent de t

out triomphalisme. Et si les responsables de laboratoires ont renoncé à leur démission administrative, ils n'ignorent cependant pas que la victoire qu'ils ont obtenue ne leur assure qu'un répit momentané. Car les mesures annoncées par le Gouvernement ne font que préserver l'état actuel de notre recherche et n'en garantissent ni l'avenir ni la compétitivité au niveau international.

Remarquons également que la requalification des 550 contrats à durée déterminée suffit juste au remplacement des départs à la retraite dans les organismes publics de recherche, départs qui vont s'accentuer dans les cinq années à venir.

De même, la création des postes d'enseignants-chercheurs relève de l'effort qu'exige la mise en oeuvre de la réforme LMD - licence, master, doctorat - qui va entraîner une augmentation du nombre d'heures d'enseignement, donc de l'effectif des enseignants. Cela étant, de très nombreuses interrogations restent en suspens. On a simplement arrêté l'hémorragie ; maintenant, ils s'agit de soigner le malade plus en profondeur.

En effet, qu'en est-il de l'avenir de notre système de recherche ? C'est sur cette question, entre autres, que travaillent actuellement les chercheurs engagés dans la préparation des états généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur. Leur réflexion porte sur la place de la recherche et de la science dans la société, sur l'organisation de la recherche publique et sur les liens à établir entre les grands organismes tels que le CNRS, l'INSERM, les établissements publics à caractère scientifique et technologique et les universités.

Est également examiné le problème de l'emploi scientifique, notamment le statut et le déroulement de la carrière des personnels de la recherche, ainsi que les conditions de rémunération et de travail des doctorants et post-doctorants.

Loin d'être d'ordre corporatiste, ces questions relèvent d'une démarche qui vise à enrayer au plus vite la fuite des cerveaux vers l'étranger, voire à encourager certains de nos compatriotes expatriés à revenir en France pour y poursuivre leurs travaux.

Les chercheurs, soucieux de parfaire le système de recherche national, s'interrogent aussi sur la pertinence des modes d'évaluation actuels des travaux scientifiques et se sont engagés dans une analyse destinée à définir de nouvelles modalités d'appréciation des résultats obtenus.

On voit donc que les chercheurs et les universitaires, loin de se satisfaire des mesures annoncées par le Gouvernement, demeurent largement mobilisés, considérant avec justesse que le mouvement historique de ces derniers mois constitue une formidable opportunité de « refonder la place de la recherche dans le dispositif national ». Car, n'en déplaise à leurs détracteurs, ces scientifiques, quel que soit leur champ d'étude, sont pleinement conscients de la nécessité de réformer notre système de recherche national.

Sans anticiper les propositions et recommandations qui émergeront à l'automne de ces états généraux, il me paraît néanmoins utile d'énoncer quelques remarques qui devraient être prises en compte par le projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche prévu pour la fin de l'année.

Ainsi est-il indispensable qu'apparaisse dans ce texte la nécessaire distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée, qui relève, le plus fréquemment, du secteur privé. La recherche fondamentale est un but en soi, qui doit être sans rapport avec l'économie marchande ; elle ne peut être soumise à la constante pression économique et à la course aux résultats à court terme. Comme le dit Axel Kahn, « le capitalisme moderne refuse les recherches qui n'ont pas de rentabilité prévisible à court terme », seule susceptible de convaincre les actionnaires. Aussi, la recherche fondamentale, génératrice de nouvelles connaissances et de nouveaux savoirs, ne peut être abandonnée à la logique du marché. A contrario, c'est à l'Etat que revient l'initiative de conduire une politique de grands programmes ciblés.

En ce sens, il me semble intéressant d'entendre le témoignage de M. Jean-Louis Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain, selon lequel placer la recherche « au premier rang de nos priorités » est « le seul moyen de maintenir une dynamique industrielle et économique ». Cela suppose de relancer en premier lieu l'effort de recherche publique, et non pas de multiplier les crédits incitatifs à destination des entreprises. En effet, l'investissement privé s'aligne surtout sur les perspectives à court terme, alors que le financement de la recherche et de la technologie n'est générateur de richesse qu'à moyen ou à long terme.

Une fois n'est pas coutume, le Gouvernement serait bien inspiré d'observer ce qui s'est passé outre-Atlantique. Aux Etats-Unis, l'investissement privé dans les technologies nouvelles a non pas précédé, mais suivi un soutien public massif aux infrastructures et à la recherche fondamentale.

A l'heure actuelle, on constate dans l'Hexagone que la logique de la rentabilité et du profit à court terme, qui prévaut dans le secteur privé, amène les entreprises à réduire leurs investissements à long terme. Ainsi les dépenses de recherche et développement de nombreuses sociétés françaises connaissent-elles une stagnation, voire une baisse, compte tenu du rythme de l'inflation, même s'il est vrai que, à l'inverse, certaines de ces sociétés ont pris conscience de l'importance qu'il y a à investir dans ce domaine, garantissant ainsi la pérennité de leur activité.

Je pense ici, par exemple, à l'entreprise agro-alimentaire Roquette, du Nord-Pas-de-Calais, qui, forte d'un pôle de recherche de quatre cents personnes, a compris l'intérêt de s'engager massivement dans la recherche-développement.

Face au désengagement plus général des entreprises, il faut que les pouvoirs publics, en premier lieu l'Etat, réagissent dans les meilleurs délais, en respectant l'engagement de consacrer 3 % du produit intérieur brut à l'effort de recherche d'ici à 2010 et en impulsant une politique de grands programmes.

Par ailleurs, il est plus que souhaitable que l'effort de recherche soit mené dans la perspective d'un aménagement harmonieux du territoire. Il conviendrait de mieux répartir géographiquement le potentiel de recherche. A cet égard, la région Nord-Pas-de-Calais offre un exemple intéressant du déséquilibre existant : elle ne compte, en effet, que 573 personnels rétribués par le CNRS, dont 142 emplois précaires, soit 2 % des effectifs des chercheurs du CNRS, alors que ses habitants représentent près de 7 % de la population nationale. A l'évidence, un rééquilibrage est nécessaire !

Sur un autre plan, il faudra veiller à ce que la loi d'orientation et de programmation de la recherche à venir prenne bien en compte la spécificité du rôle joué par l'enseignement supérieur dans le système de recherche national, les universités en étant le véritable pilier : 80 % de la recherche sont réalisés dans les locaux de l'université, soit en collaboration avec des équipes propres aux universités, soit en collaboration avec les organismes de recherche. Les trois quarts des chercheurs sont des enseignants-chercheurs, c'est-à-dire des femmes et des hommes qui participent à la fois aux progrès et à la diffusion de la connaissance.

Il est donc clair que l'avenir de la recherche en France passe par les universités. Demain, il n'y aura plus de chercheurs si les étudiants n'ont pas été bien formés ; il n'y en aura pas non plus si on les sépare des enseignants-chercheurs. Recherche et université sont donc indissociables : ce sont les deux versants d'une même réalité.

L'enseignement supérieur - c'est son originalité - est à la fois un enseignement par la recherche et à la recherche. Les chercheurs ont pour mission, bien sûr, de chercher et, éventuellement, de trouver, mais aussi de transmettre leurs connaissances aux étudiants.

Rappelons néanmoins qu'un récent rapport du Conseil d'analyse économique a montré que le financement des universités françaises était dramatiquement en retard par rapport à ce qui se prévaut dans les grands pays comparables. L'urgence consiste donc à remédier à cette situation.

En ce sens, le dégel des crédits de 2002 et la création d'un millier de postes d'enseignants-chercheurs, bien que répondant à une situation d'urgence, constituent d'ores et déjà des signes encourageants, même s'ils doivent être rapidement suivis de nouvelles mesures plus audacieuses, s'inscrivant dans un projet de développement de l'enseignement universitaire.

En outre, du point de vue de l'organisation, de nombreux scientifiques préconisent le renforcement des liens entre l'enseignement supérieur et la recherche, la création d'un seul et même ministère de tutelle pouvant, par exemple, y contribuer.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Tout à fait !

M. Ivan Renar. Cela ne vous mettrait pas au chômage pour autant, monsieur le ministre !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Au contraire ! (Sourires.)

M. Ivan Renar. Cela étant, l'investissement en moyens financiers et humains en faveur de la recherche doit être réalisé à l'échelon européen.

Cet effort est d'autant plus impératif que l'écart se creuse rapidement entre les Etats-Unis et l'Europe dans des champs de recherche tels que les biotechnologies, la génétique, l'informatique ou l'industrie des logiciels. Ces activités étant le moteur de l'innovation et de la croissance mondiales, la menace existerait d'une dépendance technologique si l'Europe, faute d'une politique volontariste, se retrouvait à la remorque des Etats-Unis, du Japon et d'autres grands pays émergents.

Je rappelle, à titre indicatif, que la France compte six chercheurs pour mille habitants, contre neuf au Japon : si nous voulions atteindre le niveau de ce pays, il nous faudrait augmenter les recrutements de 50 %. La France comme l'Union européenne sont aujourd'hui loin du compte ! Pour être vraiment compétitive, l'Europe devrait créer des centaines de milliers d'emplois de chercheurs d'ici à 2010.

Sans vouloir jouer les Cassandres, je peux affirmer que, à défaut d'investissements massifs dans la recherche, les pays européens ne parviendront pas à enrayer le phénomène actuel de contraction de l'emploi et du développement. Aujourd'hui, tout comme la plupart de ses voisins de l'Union, la France subit d'autant plus durement les conséquences des délocalisations qu'elle ne crée pas d'emplois à haute valeur ajoutée, si bien que, la destruction des emplois peu qualifiés n'étant pas compensée, il s'ensuit une hausse sensible du taux de chômage dont les incidences, à l'heure où le Gouvernement remet en cause l'ensemble du système de protection sociale, sont de plus en plus dramatiques.

Aussi, au risque de me répéter, j'affirmerai que le Gouvernement tout comme le secteur privé et, dans la mesure des moyens qui sont mis à leur disposition, les collectivités territoriales se doivent d'investir massivement en faveur de la recherche et de l'innovation.

Ce n'est qu'au prix d'une politique ambitieuse, audacieuse, menée dans le cadre d'une coopération avec ses partenaires européens, que la France retrouvera le rang qui fut longtemps le sien dans le domaine scientifique et qu'elle maintiendra son indépendance technologique.

Vouloir réaliser des économies dans le secteur de la recherche ne peut que coûter excessivement cher à notre pays, et ce dans un avenir proche. Pour reprendre les propos de M. Axel Kahn : « Chacun sait qu'un peuple ne peut compter dans l'avenir si le pays ne consent pas des efforts suffisants pour interroger et bâtir le futur. »

Je soulignerai, pour conclure, que l'objectif du Gouvernement, sa priorité, doit être de créer les conditions favorables à la poursuite de l'édification d'une société de la connaissance, d'une République du savoir soucieuse de n'exclure aucun de ses membres.

Outre qu'il lui faut attribuer aux laboratoires et aux universités les nécessaires moyens financiers et humains, l'Etat doit mettre en oeuvre des mesures favorisant l'initiation de nos jeunes concitoyens aux sciences afin de susciter chez eux des vocations scientifiques. Aussi, en écho à un autre débat que nous avons tenu ici même, j'insisterai à nouveau sur l'importance de la diffusion de la culture scientifique par tous les biais possibles, à l'heure où les filières scientifiques attirent de moins en moins de lycéens et d'étudiants.

Enfin, l'Etat devrait être l'ardent promoteur de l'enseignement à tous les citoyens d'un « savoir commun », d'un « grand récit unitaire de toutes les sciences » tel que le définit Michel Serres, car, « sans la science, la philosophie ne peut saisir le monde contemporain et l'anticiper. Mais sans la philosophie, la science est myope ». On comprend le sens de la démarche de cet historien des sciences : en investissant dans la recherche, en encourageant l'échange et l'enseignement des connaissances, la France peut et doit redevenir le pays des Lumières !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut investir résolument dans la matière grise, c'est l'une des questions parmi les plus politiques de celles auxquelles nous sommes confrontés. Et quand je dis « politique », je pense à une politique au meilleur sens du terme, à une politique qui permet d'assumer son destin et non pas de le subir.

Tout est peut-être à refaire : la science, la politique, la philosophie... En attendant, mes chers collègues, moi, j'aimerais avoir dix-huit ans ! (Sourires et applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis du budget de la recherche et des nouvelles technologies au nom de la commission des affaires culturelles, je bataille depuis près de vingt ans dans cette enceinte, avec conviction et ténacité - parfois avec l'impression de prêcher quelque peu dans le désert -, pour la recherche et pour l'innovation. Cela a trop souvent conduit nombre de mes collègues à considérer qu'il n'était pas utile qu'ils examinent les sujets traités puisque, estimaient-ils, un spécialiste technique ou scientifique s'en occupait ! (Sourires.)

Une telle situation est d'autant plus triste qu'il ne s'agit pas de matières techniques réservées à des spécialistes. C'est au contraire un problème de société dont l'importance, capitale, n'est pas encore assez prise en compte.

Il y a cinquante ans, nul en France, ni à droite ni à gauche, ne s'insurgeait contre le progrès : on s'insurgeait contre le manque de progrès, et on avait un grand respect pour la compétence, pour la science, pour l'enseignement, pour l'excellence. Les grands projets, notamment ceux qu'avait lancés le général de Gaulle et que la IVe République a poursuivis, étaient au coeur de la politique nationale.

En sont nées un certain nombre d'opérations dont, parfois quarante ans plus tard, nous pouvons être fiers. Ainsi, en matière d'énergie nucléaire, nous sommes considérés dans le monde entier comme étant à la pointe. Il en va de même pour les transports, qu'il s'agisse des transports à grande vitesse terrestres ou de l'aviation. Je pourrais également citer toute une série de technologies, notamment liées au parapétrolier, dans lequel, alors que notre territoire ne recèle pas de pétrole, nous sommes le numéro 2 mondial.

Si nous avons su créer de telles industries, c'est grâce à des grands projets liés à une politique à long terme qui était une politique à la fois industrielle, scientifique et technologique.

L'innovation, qui est inséparable de la recherche, est un immense facteur de développement économique. Il suffit d'observer ce qui se passe chez nos amis d'outre-Atlantique pour constater à quel point une politique d'innovation délibérée, qu'elle soit civile ou militaire - la recherche militaire duale ! -, permet des redressements extraordinairement rapides, à condition, évidemment, qu'elle soit continue. Or, l'innovation fait peur, si bien que nombre de financiers eux-mêmes préfèrent privilégier le court terme au détriment du long terme.

Bien entendu, dans un tel état de la société, l'immense majorité des politiques reflètent cette désaffection vis-à-vis du progrès, vis-à-vis de la science, vis-à-vis de l'innovation.

Pourtant, nos concitoyens, qui sont si prompts à réclamer des avantages corporatifs, utilisent les innovations sans aucune vergogne, mais pour autant ne cherchent pas à les comprendre : passe encore le téléphone portable ; mais la propagation des ondes électromagnétiques ou les bandes de fréquences et leur affectation, non, ce n'est pas intéressant, c'est trop technique ! (Sourires.)

Et c'est ainsi que la culture scientifique et technique régresse au moment même où ses applications envahissent tous les aspects de la vie contemporaine. Il y a là un illogisme qui nous entraîne bien loin des pratiques des Encyclopédistes !

Nous sommes donc confrontés à des problèmes majeurs que la commission des affaires culturelles du Sénat, à différentes reprises déjà, a essayé de résoudre.

Ainsi, une mission d'information dont M. Trégouët était le rapporteur et que je présidais a permis d'aboutir à la création de la chaîne de télévision La Cinquième - à l'époque, elle s'appelait « La Cinq ». Certes, son objet premier a été quelque peu dévoyé, puisqu'elle est devenue non pas une chaîne du savoir, comme nous l'avions voulu, mais une chaîne quasi généraliste. Elle reste tout de même considérée comme l'une des meilleures à l'heure actuelle.

Plus récemment, une autre mission d'information a été constituée pour étudier « la diffusion de la culture scientifique ». Ses rapporteurs étaient Mme Blandin et M. Ivan Renar et elle était placée sous ma présidence. Vous voyez que nous nous retrouvons, ...

M. Ivan Renar. Oui, tout de même !

M. Pierre Laffitte.... ce qui montre bien l'universalité du sujet. (Sourires.) Les résultats de nos travaux ont été consignés dans un rapport intitulé : La culture scientifique et technique pour tous : une priorité nationale.

Si nos conclusions n'ont pas encore eu toutes les suites que nous en attendions, nous constatons cependant avec plaisir - c'est un exemple - que la lettre de mission du président de la Cité des sciences précisait que sa fonction devait tendre à être non pas simplement parisienne, mais nationale. Je suis convaincu, monsieur le ministre, que vous-même et les différents ministres concernés, le ministre de l'éducation nationale, mais aussi le ministre de la culture aurez à coeur de donner suite à nos propositions.

Heureusement, il y a eu la grogne, la révolte des chercheurs. Mon collègue M. Trégouët vient de souligner à quel point, au fond, ce mouvement avait été important, parce que d'une certaine façon, il a réveillé notre société et ranimé l'intérêt de tous les politiques pour la question des moyens à affecter à la recherche et pour celle de ses structures.

Cette révolte a eu ceci de particulier qu'en même temps que les chercheurs demandaient des moyens supplémentaires, - monsieur le ministre, vous avez eu, avec votre collègue M. Fillon, la grande sagesse de résoudre ce problème dans l'immédiat -, ils demandaient l'adaptation des structures.

Je ne vous livrerai pas ici toutes les réflexions que cela m'inspire : mon temps de parole n'est pas illimité, alors qu'il faudrait plusieurs heures pour décortiquer la question. (Sourires.) Peut-être le ferons-nous avec vous, monsieur le ministre, puisque le Sénat, dans sa sagesse, a décidé de mettre en place un groupe de réflexion - les trois rapporteurs pour avis des budgets concernant la recherche, tous trois présents ici, y siégeront - afin de préparer l'examen du fameux projet de loi que vous êtes en train d'élaborer.

Je me contenterai aujourd'hui d'affirmer que nous n'échapperons pas à une réforme profonde - elle est nécessaire et urgente - de la gouvernance des universités : nous ne pourrons pas modifier le comportement des universités si elles ne peuvent exercer de responsabilités, comme l'a d'ailleurs fait valoir, elle aussi dans sa sagesse, la commission des présidents d'université.

Cette réforme est fondamentale, et il nous faut la mener avec succès, à l'instar de ce qu'a notamment réalisé l'Allemagne voilà un peu plus d'un an. Désormais, dans ce pays, un président d'université a les pouvoirs nécessaires pour développer telle ou telle politique, sous le contrôle, bien entendu, de son conseil d'administration. Et, si le président ne donne pas satisfaction, on en change à l'issue des trois ans ! Mais il a le pouvoir d'agir, ce qu'empêche en France la complexité actuelle du fonctionnement d'une université.

On pourrait imaginer de créer des centres interuniversitaires - c'est ce que souhaitent, en particulier, un certain nombre de prix Nobel et de responsables de grands organismes -, structures qui déboucheraient sur la mise en place d'agences de moyens et permettraient la coopération entre établissements publics de recherche et établissements d'enseignement supérieur.

Les possibilités sont immenses, et ce qui est vrai pour la France l'est aussi pour l'Europe.

Enfin, les responsables scientifiques sont très inquiets de constater que nous formons à grands frais des chercheurs, parfois excellents, et que les meilleurs d'entre eux sont « aspirés » aux Etats-Unis ou au Canada, séduits qu'ils sont par les conditions de travail, notamment, qu'ils y trouvent.

Cette perte de substance est encore pire chez certains de nos voisins. Ainsi, en Italie, les meilleurs éléments sont pré-recrutés dès le début de leur thèse soit par des universités, soit par des entreprises américaines que je ne nommerai pas.

Or il existe en France et dans toute l'Europe des possibilités phénoménales, ne seraient-ce que celles qui tiennent à ce facteur supplémentaire de créativité qu'est la diversité culturelle. Ce qui nous fait défaut, c'est la capacité d'organiser la recherche de façon non bureaucratique, de combiner harmonieusement recherche publique et recherche privée.

Ce qui nous manque, en particulier, c'est un bon usage des fondations. Mais je sais, monsieur le ministre, que cela fait partie de vos préoccupations. Il faut très rapidement faire en sorte que les fondations qui existent puissent abriter des structures dotées de moyens publics et de moyens privés, de façon à pallier les difficultés tenant aux lourdeurs bureaucratiques que doivent affronter nos organismes de recherche et nos institutions d'enseignement supérieur.

Tout le monde, à droite comme à gauche, souhaite que la recherche publique ainsi que, éventuellement, la recherche privée aient, par ce moyen, la possibilité de recueillir des moyens supplémentaires.

Par ailleurs, il est de multiples opérations pour lesquelles l'Europe devra disposer de moyens plus importants que ceux qu'elle consacre actuellement à la recherche.

Dans cette perspective, je milite pour un grand projet d'emprunt par le biais de la Banque européenne d'investissement, la BEI. Cet emprunt devrait en tout cas être d'un niveau suffisant pour nous permettre d'adresser un signal fort à tous les chercheurs français, allemands, anglais, espagnols, italiens, polonais, et autres qui se trouvent actuellement aux Etats-Unis. Il faut savoir qu'ils sont plus de 500 000 et que cela représente l'équivalent d'un financement des Etats-Unis par l'Europe de l'ordre de 500 milliards de dollars !

Ce financement peut s'inverser. Le signal fort que j'évoquais permettrait non seulement de faire revenir bon nombre des chercheurs européens qui sont partis aux Etats-Unis, et qui se sentiraient certainement mieux dans leur pays natal, mais aussi des chercheurs indiens, chinois, japonais, coréens qui, aujourd'hui, alimentent exclusivement la recherche américaine, contribuant ainsi à en conforter la suprématie.

Au demeurant, cette suprématie demeurera sans doute, mais elle ne doit pas rester aussi écrasante. En fait, c'est toute l'humanité qui gagnerait à une telle évolution.

Monsieur le ministre, je serais très heureux si, à l'occasion des réunions interministérielles européennes, vous pouviez défendre ce projet d'emprunt, qui va dans le sens d'une relance de l'Europe par l'innovation. Un tel emprunt, qui fait actuellement l'objet d'études détaillées par des financiers et par des personnalités comme M. Jurgensen ou M. Esambert, serait remboursé grâce à un modeste prélèvement sur l'augmentation du produit intérieur brut européen ainsi suscité.

La BEI, pour sa part, a fait savoir qu'il suffirait que les chefs d'Etat européens en formulent la demande pour que cet emprunt devienne effectif.

Ainsi, nous pourrions enrayer le déclin que l'on constate aujourd'hui et qui se poursuivra inéluctablement si rien de réellement décisif n'est fait. En effet, ne l'oublions pas, dans la mesure où les Etats-Unis consacrent chaque année de 40 à 50 milliards de dollars de plus que l'Europe à la recherche, le phénomène est cumulatif et l'attractivité des Etats-Unis au détriment de l'Europe s'accroît sans cesse.

Il me semble qu'il y a là une décision très importante à prendre, outre celles qui concernent la nécessaire réforme structurelle et la non moins nécessaire augmentation des moyens de la recherche publique en France, étant entendu que ce financement européen viendrait compléter ce que nous pouvons espérer par ailleurs. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Je tiens tout d'abord à remercier notre collègue René Trégouët de nous permettre de débattre aujourd'hui de l'avenir de notre recherche, et plus précisément des objectifs et de la méthode du nouveau gouvernement à cet égard.

Le préalable des emplois a été arraché, de haute lutte, aux tout nouveaux responsables de la recherche par le mouvement solidaire de l'ensemble des chercheurs. Reste tout de même à savoir, monsieur le ministre, comment ils seront financés - et notamment sur quels redéploiements -, comment le calendrier avancé par le Gouvernement pourra être tenu et comment seront ventilés les postes entre structures et disciplines.

Précisons tout de même, à titre de comparaison, que les 550 emplois statutaires débloqués pour les organismes en 2004 ne représentent que le tiers de l'emploi scientifique qui aurait dû être créé si l'on avait poursuivi le plan de programmation scientifique pluriannuel du gouvernement Jospin, dont vous ne pourrez plus, monsieur le ministre, faire l'économie, sauf à hypothéquer davantage l'avenir.

La recherche a besoin de visibilité sur plusieurs années et ne peut plus supporter les à-coups budgétaires. Le recul du Gouvernement permet d'entrer enfin dans la phase de débat, débat voulu dès le début par les chercheurs eux-mêmes, à travers la tenue d'états généraux de la recherche. Cela montre, s'il en était besoin, qu'il s'agissait non pas d'une réaction corporatiste, mais d'un mouvement animé par la conscience aiguë du rôle du chercheur dans notre société et de la nécessité de réformes structurelles.

Mais réformer ne signifie pas casser. Ne sabordons pas nos grands organismes au motif qu'ils seraient une exception française. Ce sont nos grandes institutions, que certains chercheurs étrangers nous envient, qui ont une bonne visibilité, en particulier à l'échelon européen, grâce au CLORA, le Club des organismes de recherche associés, présent en permanence à Bruxelles pour assurer l'interface entre l'échelon européen et l'échelon national.

Certes, le lien avec l'université n'est sans doute pas assez développé. Certes, nous devons redéfinir leur mission tant au niveau national qu'au niveau européen. Cependant, parmi les autres atouts, figure la diversité des acteurs, reflet d'activités elles-mêmes diversifiées.

S'enfermer dans une solution binaire - enseignants-chercheurs ou chercheurs non enseignants - est une erreur. La souplesse et la mobilité ne sont pas incompatibles avec le statut de la fonction publique, bien au contraire : pour avancer, un chercheur a besoin de stabilité et de confiance.

C'est pourquoi mobilité ne doit pas rimer avec précarité. Diminuons la distance entre les deux statuts, permettons les allers-retours volontaires et diversifions les critères d'évaluation afin de prendre en compte la diversité des activités.

Le statut de permanent de la recherche devrait permettre la prise de risque, mais elle est de moins en moins tolérée par les instances d'évaluation, notamment du fait de l'objectif de rentabilité à court terme.

Alors, oui à la souplesse, mais à l'intérieur des statuts existants. Nul besoin de casser notre système de recherche pour le réformer ! Appuyons-nous plutôt sur les forces du système afin de procéder à une réforme graduelle et, pour cela, écoutons ce qu'ont à nous dire ses acteurs, plutôt que de regarder vers les Etats-Unis, qui ne sont ni un eldorado de la recherche ni un modèle transposable in extenso. Il est vrai que nous avons une vision de la recherche moins utilitariste que la vision anglo-saxonne.

Si des mesures fiscales peuvent être prises pour encourager les entreprises à investir d'avantage dans la recherche appliquée, l'Etat doit redoubler l'effort financier en faveur des organismes et des universités, pour stimuler la recherche fondamentale et attirer d'avantage les étudiants dans le cadre d'une politique à long terme.

L'avenir de notre recherche passe forcément par les universités, qui souffrent d'un retard de financement chronique parce que l'enseignement supérieur a toujours été le parent pauvre de l'éducation nationale.

Sur ce plan-là aussi, réduisons la distance entre grandes écoles, organismes et universités. Soutenons les initiatives et projets de coopération de nos établissements publics et prenons en exemple la coopération lancée par le Commissariat à l'énergie atomique dans le cadre de Minatec, premier pôle européen pour les microtechnologies et nanotechnologies.

A Grenoble, autour du laboratoire d'électronique et des technologies de l'information du CEA, s'est développée une synergie entre l'Etat, les collectivités locales et trois entreprises leaders des semi-conducteurs pour investir 285 millions d'euros dans un contrat de recherche et développement visant à développer les technologies nanoélectroniques de demain.

Cet exemple montre bien que c'est par la coopération que nous pouvons atteindre les masses critiques indispensables pour nous positionner dans la compétition mondiale.

Néanmoins, il me semble tout aussi nécessaire que la préparation de la future loi d'orientation et de programmation soit l'occasion de s'interroger collectivement sur le dogme de l'utilité, voire de la rentabilité économique de la recherche, dogme qui participe aussi à la crise actuelle de notre recherche.

Bien sûr, la recherche est un moteur de la croissance, mais elle ne doit pas être que cela, sauf à confondre connaissance et technique, science et industrie.

Le long terme n'est pas l'addition de courts termes successifs. Nous devons aborder à la fois la question de l'autonomie et celle de la démocratie dans la recherche ; à défaut, nous courons le risque de nous enfermer dans une vision strictement utilitariste et technicienne de la recherche, qui ne correspond ni à la tradition de notre pays ni aux exigences de connaissance et de compréhension de notre monde.

Là encore, oui à la réforme, mais non à la casse : le fonctionnement du Comité national de la recherche scientifique peut être amélioré, mais faites-le en concertation avec les représentants des chercheurs, monsieur le ministre.

A travers ce débat, se pose aussi la question de la place et du rôle des sciences humaines et sociales, qui ne donnent lieu qu'à peu de recherche appliquée, qui procurent du sens à notre société, mais qui sont peu transposables dans une économie de marché.

La finalité de la recherche, c'est avant tout l'approfondissement des connaissances, le savoir qui appartient à tous, car les idées ne sont pas brevetables. Souvent, l'innovation intervient ensuite comme processus d'appropriation de ces idées.

Les voies de l'innovation sont tortueuses, en tout cas non déterminées à l'avance. Comment, alors, tenir un équilibre entre finalité économique et finalité cognitive, puisqu'il est absurde d'opposer l'une à l'autre ?

M. Serge Lagauche. Enfin, pour atteindre le niveau de financement de la recherche observé aux Etats-Unis ou en Allemagne, ne serait-ce que pour le département des sciences de la vie du CNRS, par exemple, il faudrait plus que doubler les subventions consacrées aux activités de recherche proprement dites.

Nous sommes donc face à un problème d'échelle, de masse critique. C'est pourquoi nous ne pouvons débattre de l'avenir de notre recherche sans parler de l'Europe.

Je suis sensible à l'analyse du commissaire européen à la recherche, Philippe Busquin, sur la nécessité de créer un vrai cadre européen de travail pour les chercheurs, autour d'un statut et d'un environnement attractifs, ainsi qu'une vision européenne de la politique de recherche, statut et vision également fondés sur un équilibre entre compétition internationale et coopération.

Mais nous sommes face à un autre impératif : renforcer la recherche fondamentale. Une fraction trop importante du sixième programme-cadre de recherche et développement technologique est affectée au développement industriel, donc à l'application à des besoins particuliers de production de connaissances déjà obtenues, alors même que, progressivement, les sociétés industrielles européennes transfèrent leurs activités de recherche hors de l'Union. C'est pourquoi une inflexion en faveur de la recherche fondamentale est nécessaire.

Toutefois, le processus d'élaboration et les objectifs mêmes du programme-cadre définis par accord entre les Etats membres laissent peu de place pour soutenir l'émergence de domaines nouveaux nécessitant d'engager rapidement des ressources supplémentaires. De même, sa durée de quatre ans est peu favorable aux recherches à long terme.

Cependant, l'introduction d'un nouveau moyen de financement, les réseaux d'excellence, tente d'y remédier, et des systèmes particuliers, comme le CERN, le laboratoire européen de physique des particules, existent dans certains domaines, certes limités, de la recherche fondamentale.

Il reste qu'aucun organisme européen de recherche d'envergure n'a été lancé depuis vingt ans. D'où de grandes difficultés pour introduire un programme européen fondamental nouveau, d'autant que les outils de gestion pour conduire en commun un tel programme n'existent pas non plus, à l'exception de l'European Science Foundation, l'ESF, qui ne gère que des moyens limités.

En matière de recherche fondamentale, il s'agit donc, en dehors de la question même des financements, de développer l'articulation entre moyens nationaux et moyens européens.

Il est donc urgent que l'Union européenne, afin de combler notre écart croissant avec l'effort de recherche américain en particulier, prenne des initiatives pour stimuler sa recherche et atteindre les ambitieux objectifs que nous nous sommes fixés avec la création de l'Espace européen de la recherche.

Dans cette perspective, le projet relancé en 2001 de création d'un Conseil européen de la recherche, organisme chargé du financement de la recherche à long terme et de la promotion de la recherche fondamentale, aussi bien pour les sciences exactes que pour les sciences humaines et sociales, est essentiel. Une de ses missions devra être de mener, après évaluation stricte, des projets en collaboration européenne dans les aspects les plus fondamentaux et les plus prospectifs de la recherche, projets supposant un effort sur la durée, notamment de manière à éviter les duplications nationales inutiles.

C'est une orientation que notre pays se doit de défendre.

Je souhaiterais donc savoir quelle est la position du nouveau gouvernement sur l'ensemble de ces questions, et en premier sur celle-ci : quel rôle et quelle place pour la France dans l'espace scientifique communautaire ?

Que pensez-vous, monsieur le ministre, de l'idée lancée par notre collègue Pierre Laffitte - il vient de l'évoquer encore à l'instant - d'un emprunt de 150 milliards d'euros auprès de la BEI, idée qui a été approuvée unanimement par les participants au colloque « Pour un plan de relance de ta croissance par l'innovation et la recherche et développement », tenu au Sénat en septembre dernier ?

Le Gouvernement est-il enfin prêt à s'engager dans une vraie politique de soutien à la recherche publique en termes de financement et de continuité, politique qui permettrait, en outre, de stimuler la recherche privée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui s'instaure ce matin grâce à l'initiative de notre collègue René Trégouët intervient à un moment clef.

La recherche vient, en effet, de traverser une crise, sérieuse, qui a marqué les esprits.

Malgré la renommée du prix Nobel Pierre-Gilles de Gennes et du professeur Luc Montagnier, le chercheur, pour le public, c'est encore un peu le savant à l'image de Pasteur et de Marie Curie. Derrière l'image presque sacrée, on aime imaginer l'homme ou la femme dans un laboratoire poursuivant la concrétisation de ce qui fut d'abord une intuition géniale.

Or, soudain, c'est toute une profession qui décide d'exprimer son exaspération face à la rigueur budgétaire. Ainsi, sur plusieurs semaines, on a pu suivre une crise qui a connu son paroxysme avec l'action du collectif « Sauvons la recherche » et la démission d'un grand nombre de directeurs de laboratoire.

Cette forte mobilisation, dont le premier objectif était d'obtenir des moyens supplémentaires, a eu le mérite d'attirer l'attention du pays tout entier sur la recherche et, plus précisément, sur ses structures, sur son avenir, sur son coût et sur son rôle économique.

Je suis heureux, monsieur le ministre, d'ouvrir aujourd'hui avec vous ce débat. Vous allez devoir en effet engager des réformes essentielles pour l'avenir de la recherche et votre expérience est un gage de réussite. Toutefois, je tiens à affirmer que Mme Claudie Haigneré, qui vous a précédé au ministère, n'a pas démérité. Mais, sans crédits, la volonté politique est très vite limitée et le gel de crédits pour le budget 2003 fut d'autant plus regrettable qu'il est intervenu après des années de baisse ou de stagnation.

Voilà quelques semaines, le professeur Etienne-Emile Baulieu rappelait, dans les colonnes d'un quotidien, que, dans les années soixante, le général de Gaulle, qui ne s'intéressait pourtant ni à la science ni à la technologie, avait toutefois une hauteur de vues qui le rendait très favorable à la recherche. La politique de recherche revêtait alors une dimension interministérielle sous l'autorité du Premier ministre. Cette hauteur de vues que, personnellement, je qualifierai également d'ambition pour la France, avait su alors dynamiser le pays dans tous les domaines au niveau tant industriel qu'agricole.

Ainsi, même en période de rigueur budgétaire, réaliser des économies sur les dépenses de fonctionnement peut se révéler une fausse bonne solution lorsque ces mesures mettent en jeu la croissance. Le noeud du problème se situe bien précisément là.

Dans nos pays développés, la connaissance, ainsi que l'innovation, est au coeur des facteurs permettant la croissance. Or la recherche repose sur ces deux réalités.

Le retard de la France est indéniable, à l'image de celui que l'on constate ailleurs en Europe. Dans notre pays, les dépenses publiques et privées en recherche et développement sont en baisse depuis plusieurs années. Alors qu'elles représentaient 2,4 % du PIB en 1990, elles n'en représentent plus que 2,2 % en 2002, contre 4,3 % en Suède, 3,1 % au Japon et 2,8 % aux Etats-Unis.

On peut déplorer le même retard français en termes de moyens humains, puisque nous avons sept chercheurs pour mille actifs en France, contre dix au Japon et neuf aux Etats-Unis, pays pourtant loin derrière la Suède et la Finlande.

C'est lors du sommet de Lisbonne, en 2000, que les Etats européens ont fait de la recherche un objectif prioritaire. Le Gouvernement a affirmé à plusieurs reprises sa détermination à poursuivre en ce sens, en portant l'effort national en matière de recherche de 2 % à 3 % du PIB d'ici à 2010, ce qui représente tout de même un effort de 15 milliards d'euros en six ans. Le Premier ministre a déjà fixé un objectif intermédiaire, à 2,6 % du PIB pour 2006.

Toutefois, il est important de le rappeler, notre faiblesse vient moins de la dépense publique que des financements privés.

Ce malaise « justifié » a mis en évidence le fait que l'attente allait au-delà des demandes de crédits et de postes. Les défaillances qui pénalisent la recherche sont en effet à la fois conjoncturelles et structurelles. Dans les journaux, de nombreux chercheurs se sont exprimés et des réflexions se sont déjà amorcées.

La recherche française s'organise autour de deux pôles. Il s'agit, d'une part, des organismes prestigieux tels le CNRS, l'INRA, l'INSERM, et, d'autre part, des universités.

Cette bipolarité pourrait tout à fait être positive. Pour cela, il faudrait qu'il y ait un équilibre et davantage d'échanges. Or, dans les universités, une partie des enseignants-chercheurs, principalement dans les sciences humaines, ont délaissé la recherche au profit de l'enseignement. Au CNRS, à l'INRA, si certains chercheurs se désintéressent de l'enseignement, d'autres souhaitent enseigner, mais ne peuvent compter directement que sur leur entourage et leurs connaissances personnelles pour trouve un poste. Il n'y a en effet aucune structure prévue pour faciliter cette mobilité, ces échanges, pourtant indispensables.

Il faut donc avant tout réduire l'émiettement et l'isolement de ces structures qui se superposent et s'ignorent.

Les directeurs de laboratoire savent combien les étudiants représentent un sang neuf indispensable et passent un temps considérable à s'attacher les meilleurs éléments. A cette fin, il leur faut trouver des projets multiples pour financer et garder ces jeunes stagiaires.

Au demeurant, au bout de trois ans, ces stagiaires, même les plus brillants, rencontrent de grandes difficultés pour obtenir un poste, d'où la fuite des cerveaux constatée, vers les Etats-Unis notamment. Si une grande partie de nos jeunes thésards et post-doctorants reviennent, cela se produit souvent dix ans après, voire quinze ans. C'est trop tard ! Un an, deux ans de mobilité, c'est une très bonne chose ; au-delà, c'est faire bénéficier un autre pays de la formation acquise en France.

Le fonctionnariat donne du temps, une lisibilité, aux projets et aux carrières. Il compense également les faibles rémunérations, mais il limite les débouchés des plus jeunes générations et, surtout, entraîne une inertie certaine.

Le statut de fonctionnaire devrait pouvoir justifier la mobilité au service d'un établissement public, qu'il soit organisme de recherche ou université. Un enseignant ou un chercheur doit pouvoir, quand il le souhaite, alterner ces deux fonctions au cours de sa carrière, tant dans l'Hexagone qu'en Europe.

Par ailleurs, en ce qui concerne les emplois en contrat à durée déterminée destinés aux organismes de recherche et qui furent objet de discorde, ils auraient permis de recruter des étudiants ou des chercheurs étrangers, qui sont autant d'apports pour notre recherche. Les postes déjà pourvus sont conservés, mais les autres sont suspendus, dans l'attente des discussions sur la réforme du système de recherche, ce qui pénalise les laboratoires et les candidats.

La situation des universités constitue un autre sujet d'inquiétude, eu égard principalement à l'insuffisance du niveau des moyens qui leur sont consacrés, l'un des plus faibles des pays industrialisés. En réalité, seuls quelques pôles d'excellence émergent.

Pourtant, au côté des grands organismes, la recherche universitaire présente trois intérêts majeurs.

Tout d'abord, la recherche universitaire permet l'accès des étudiants à la connaissance des métiers de la recherche par l'intervention du chercheur dans sa fonction d'enseignant. Cet échange est d'une grande richesse, puisqu'il donne la possibilité à l'enseignant d'intégrer dans son cours l'évolution de ses travaux et de diffuser ainsi les dernières connaissances de la discipline. Tout cela est de nature à traduire chez l'étudiant un intéressement à la recherche scientifique et éveille de nouvelles perspectives de carrière.

En outre, la présence sur l'ensemble du pays d'activités de recherche développées dans les universités de province « maille » ainsi le territoire d'une connaissance culturelle, technologique, scientifique accessible aux étudiants, aux populations et, surtout, à l'économie locale.

Ensuite, la recherche universitaire est aussi une composante à part entière de l'aménagement du territoire par la répartition qu'elle offre du savoir. Elle permet d'ailleurs d'organiser le réseau des pôles d'excellence issus de particularismes locaux en apportant aussi un équilibre avec les grands organismes.

Enfin, la recherche universitaire ouvre la voie de la rencontre, indispensable, entre le monde de l'entreprise et celui de la recherche. Elle permet ainsi l'expression de l'initiative privée, se traduisant par l'apport de moyens nécessaires à rapprocher certains fonds publics consacrés au développement de la recherche. Le concept technopolitain est souvent sous-exploité ; il est pourtant généralement le lieu d'une proximité culturelle entre l'industriel et l'enseignant-chercheur.

Nous n'évoquons généralement le rayonnement de la recherche vers son environnement extérieur, notamment économique, qu'à partir de la recherche académique ou fondamentale. Celle-ci peut bien sûr donner lieu au développement de recherches appliquées, en particulier dans le domaine des sciences de l'ingénieur, pour évoluer ensuite vers la phase du transfert technologique et la conception de produit.

Cependant, on oublie parfois trop souvent que les pôles d'excellence qui se sont développés dans les universités de notre territoire, et qui nous permettent d'atteindre souvent la dimension européenne, se sont véritablement créés à partir de savoir-faire industriels locaux.

Le sens inverse de l'évolution du rayonnement de la recherche est à prendre en compte, car il est de nature à structurer une activité de recherche fondamentale, reconnue parfois internationalement, qui rejaillit sur l'environnement économique local, « dopant » ainsi l'innovation tant attendue de nos entreprises.

Dans ma région - vous la connaissez bien, monsieur le ministre ! -, entre les universités de Nantes et d'Angers, j'ai ainsi choisi deux exemples reconnus internationalement dans le domaine des biotechnologies. Le premier porte sur les cellules souches embryonnaires par la production de protéines recombinantes à partir de l'oeuf de poule, en vue d'applications thérapeutiques sur certains cancers et sur le sida. Le second porte sur la physiologie végétale par la transgenèse en culture in vitro d'un méristème qui produit aujourd'hui les plants de palmiers dattiers du Golfe.

Ces activités de recherche fondamentale sont nées d'une relation réussie à la base entre des aviculteurs ayant travaillé la génétique ou des horticulteurs multiplicateurs et des laboratoires locaux issus de l'enseignement supérieur proches de ces activités économiques.

Il nous faut encourager ces mises en relation, car elles forment le réseau territorial des performances tout en apportant une lisibilité européenne.

Même de taille réduite, ces pôles ont des atouts indiscutables. Les technologies de communication permettent en effet un rapprochement par réseaux auprès d'autres pôles français ou européens, qui acquièrent ainsi la masse critique nécessaire à une reconnaissance internationale.

Enfin, je n'oublie pas que les pays qui bénéficient d'un meilleur investissement en faveur de la recherche s'appuient davantage sur le secteur privé. Rappelons que, en 2002, le secteur privé américain a consacré 100 milliards d'euros de plus que le secteur privé européen.

Les fondations peuvent jouer un rôle prépondérant. Certains acteurs du secteur des télécommunications y songent d'ailleurs fortement.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que j'ai souhaité exposer aujourd'hui sur l'avenir de la recherche. Je sais bien que le projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche ne sera pas prêt avant la fin de l'année, mais cette réforme tant attendue est nécessaire.

D'ailleurs, de nombreux pays, même émergents, ont fait de la recherche une priorité absolue, comme c'est le cas de la Chine et de l'Inde. Ce qui motive tous ces pays, c'est l'importance des enjeux. En effet, selon les estimations, si l'Europe atteignait le fameux seuil des 3 % du PIB, elle permettrait la création de deux millions d'emplois supplémentaires dès la première année, 400 000 les années suivantes.

Il faut le souligner, nos investissements dans le secteur de la recherche, du développement et de l'innovation se traduiront en emplois et en croissance.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste s'est félicité de ce que la recherche soit devenue « priorité nationale », car investir dans la recherche permettra d'assurer la compétitivité de la France et sa place dans l'Europe de l'innovation. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de me réjouir à mon tour de l'organisation de ce débat au Sénat. Organisé à la demande de la commission des affaires culturelles que j'ai l'honneur de présider et à partir de la question formulée par notre collègue et ami René Trégouët, il intervient dans une période où le projecteur de l'actualité a été braqué sur les chercheurs et la recherche.

Ce débat doit nous permettre d'exprimer nos intentions et de contribuer à une définition de notre politique nationale de recherche. Il se déroule au lendemain de la prise de mesures d'apaisement que je qualifierais de conjoncturelles et dont le mérite vous revient, monsieur le ministre. Cependant, ces mesures ne doivent pas masquer, aux yeux de la communauté nationale, l'importance des enjeux de la réforme de fond que doit entreprendre notre pays dans ce domaine.

Nous en sommes tous convaincus, la France ne pourra se maintenir au rang des grands pays modernes qu'en fondant son développement sur une politique de recherche ambitieuse et adaptée à notre époque. Il y va de notre croissance économique, du progrès social et culturel, du niveau et de la qualité de vie des générations futures, de la pérennisation des emplois et de l'indépendance de notre pays, comme de celle de l'Europe d'ailleurs.

La crise que la recherche publique française a vécue ces derniers mois a agi comme un révélateur de la situation actuelle et a eu pour mérite de mettre sur la place publique les termes d'un débat qui n'implique pas seulement les chercheurs, mais qui concerne la société dans son ensemble.

Cette crise nous amène véritablement à poser la question de la place de la recherche dans notre pays et de la définition de ses objectifs et de ses moyens.

Je souhaite, monsieur le ministre, que la concertation en cours permette, ainsi que vous l'avez vous-même évoqué, de « lever les tabous » et de ne laisser aucun sujet dans l'ombre, qu'il s'agisse de l'organisation de notre recherche, de ses moyens budgétaires et humains ou des modes d'affectation et d'évaluation de ceux-ci. Au-delà de la question des moyens, il nous faut aussi poser celle, fondamentale, des structures.

Il me semble tout d'abord indispensable de faire l'économie de l'évocation des compétitions entre différents types de recherche, en admettant qu'ils puissent être séparés, alors qu'ils interviennent systématiquement en complémentarité.

Il nous faut donc cesser d'opposer recherche publique et recherche privée, recherche fondamentale et recherche appliquée, recherche menée dans les universités et recherche menée dans les grands instituts. En effet, parmi les pistes d'avenir, figurent le développement des partenariats entre public et privé, la synergie entre recherche fondamentale et recherche appliquée et l'absolue nécessité des transferts des découvertes et des technologies.

Outre la prise de conscience collective des points forts mais aussi des fragilités et des dysfonctionnements structurels de notre système de recherche, plusieurs facteurs doivent faciliter la réforme.

Il s'agit, tout d'abord, de nos engagements européens de faire passer notre effort de recherche de 2,3 % à 3 % du PIB en 2010, engagements qui nous conduiront nécessairement à engager davantage de moyens et à inscrire ceux-ci dans la durée.

Il s'agit, ensuite, de l'ampleur des départs à la retraite des chercheurs et des enseignants-chercheurs dans les dix ans à venir, qui constitue, certes, un défi redoutable du fait de la pyramide des âges, mais qui ouvre aussi des opportunités de carrière pour les jeunes, qu'il faut orienter en plus grand nombre vers les métiers scientifiques.

A cet égard, je vous le rappelle, monsieur le ministre, les propositions de la récente mission d'information de la commission des affaires culturelles sur la diffusion de la culture scientifique, dirigée par Pierre Laffitte, qui tendent à favoriser l'enseignement des sciences et une plus grande ouverture sur les métiers de la recherche.

A titre personnel, je considère, comme certains des orateurs qui m'ont précédé, que la place de l'enseignement supérieur dans l'effort de recherche est stratégique.

Même si l'on observe des progrès sensibles dans ce domaine, notre recherche publique souffre de son morcellement, lié à la pluralité entre les laboratoires des universités, des grandes écoles et des grands organismes scientifiques et technologiques. Une coordination accrue en vue d'établir des pôles d'excellence est indispensable : si des passerelles existent, elles sont insuffisantes.

Par ailleurs, transmission des connaissances et recherche se nourrissent mutuellement. De trop nombreux chercheurs sont éloignés de l'enseignement de haut niveau, qui est le seul à permettre aux étudiants de disposer de connaissances actualisées et à susciter de nouvelles vocations scientifiques. A l'inverse, les enseignants-chercheurs doivent être mieux intégrés aux actions de recherche.

Les chercheurs et les enseignants-chercheurs doivent travailler dans une plus grande osmose. Les chercheurs doivent participer à l'amélioration des enseignements dispensés. Une évolution des statuts doit permettre une flexibilité accrue entre fonctions éducatives et activités de recherche.

Je souhaite, monsieur le ministre, que le projet de loi que le Gouvernement soumettra à notre examen à la fin de l'année apporte un remède à ce problème.

Le dossier du statut des chercheurs proprement dit est au coeur de l'actualité. Il a contribué à la cristallisation de la récente crise.

En 1984, cela a été rappelé, les chercheurs, alors contractuels de la fonction publique, sont devenus fonctionnaires titulaires. Ce statut, quasiment unique au monde, ne présente pas que des avantages, car il s'accompagne de salaires peu attractifs - en particulier pour les jeunes, en début de carrière - et freine la mobilité.

Nos partenaires et concurrents étrangers - européens, américains et, de plus en plus, asiatiques - ne titularisent leurs chercheurs qu'au terme d'un long parcours probatoire et une rigoureuse évaluation.

Aussi ne faut-il pas exclure le recours à des chercheurs contractuels, dans des conditions de rémunération plus intéressantes qu'aujourd'hui, si l'on veut, de surcroît, contenir la fuite des cerveaux, français et européens, et encourager le retour en France des chercheurs expatriés qui le souhaitent.

Parallèlement, il apparaît nécessaire de réfléchir aux moyens d'améliorer la situation des jeunes thésards et des post-doctorants et de renforcer 1'attractivité des carrières scientifiques.

Notre système souffre de rigidités. Nous devrons trouver les moyens de renforcer sa souplesse et son efficacité. La recherche, la recherche fondamentale en particulier, doit s'inscrire dans la durée, mais son organisation doit aussi permettre la réactivité.

Il faut pouvoir mobiliser des moyens et constituer rapidement une équipe pour travailler quelques années sur un sujet d'importance pour la société. Il faut pouvoir aussi changer d'orientation lorsqu'une piste, qui pouvait au départ sembler porteuse, se révèle en définitive peu intéressante.

Or, même s'il convient de ne pas généraliser, le système français semble favoriser le recrutement de chercheurs assurés de pouvoir persévérer, voire parfois de s'enfermer dans des domaines dépourvus de réelle issue, sans les inciter - ou sans le leur permettre -, à se remettre en question, à changer d'orientation, voire d'activités à l'intérieur même de la communauté scientifique.

Lors des auditions récemment menées par la commission des affaires culturelles, des chercheurs nous ont fait part de l'absence des matériels nécessaires à la poursuite de leurs travaux. Des directeurs de laboratoires publics nous ont indiqué que, s'ils avaient le choix, ils préféreraient disposer de moyens financiers qu'ils pourraient affecter soit à des dépenses en personnels, soit à l'entretien des laboratoires, soit à l'acquisition des matériels.

Ce type d'arbitrage est aujourd'hui presque impossible. Or les moyens ne sont pas infinis et le saupoudrage n'est pas la stratégie la plus efficace : la responsabilisation des chefs des laboratoires est à la fois souhaitée et souhaitable.

Cette question est, bien sûr, également liée à celle de l'évaluation, reconnue insuffisante dans notre pays, tant d'ailleurs dans l'enseignement supérieur que dans les organismes de recherche.

Est-il normal, par exemple, que l'évaluation des travaux de recherche des équipes du CNRS soit liée largement à celle des personnels et repose sur des comités élus par ces mêmes personnels ?

Il ne faut pas confondre la défense légitime des intérêts des chercheurs avec la fixation des objectifs ou évaluation de la recherche. Cette dernière devrait être réalisée par des chercheurs, y compris étrangers, n'étant pas exclusivement issus du même établissement. A cet égard, il faut se réjouir des perspectives d'évolution récemment tracées par la direction du CNRS.

On pourrait aussi imaginer, de manière complémentaire, que les équipes dont les travaux auront été évalués positivement pourraient être mieux soutenues financièrement.

Le budget de l'Etat est et sera sollicité à la fois pour financer la recherche publique, fondamentale en particulier, mais aussi pour encourager la recherche privée, insuffisamment présente en France.

Il est légitime de donner aux Français la garantie que les ressources sont utilisées avec pertinence. Mais les citoyens doivent aussi être sensibilisés et informés, d'autant qu'ils s'interrogent sur la place de la science dans un certain nombre de domaines auxquels ils sont particulièrement sensibles, tels que la santé, la sécurité alimentaire ou l'environnement.

La réforme que vous allez proposer, monsieur le ministre, doit affirmer la place stratégique de l'enseignement supérieur dans l'effort de recherche. L'inscription d'un programme « enseignement supérieur - recherche » dans la maquette de la loi organique relative aux lois de finances devrait garantir la cohérence de notre politique dans ce domaine.

Ces nouveaux modèles doivent s'accompagner d'un renforcement de l'autonomie des universités. Le futur projet de loi d'orientation et de programmation doit être l'occasion de moderniser dans ce sens le fonctionnement et l'organisation des universités et d'encourager le développement de pôles régionaux d'excellence forts et visibles à l'échelle internationale.

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, a tenu la semaine dernière, devant la conférence des présidents d'université, la CPU, des propos satisfaisants, plaçant l'université au coeur des enjeux économiques et sociaux, des propos très intéressants aussi, sur le défi à relever de l'excellence internationale.

D'aucuns évoquent, à cet égard, le concept de « campus de recherche ».

M. Pierre Laffitte. Tout à fait !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Si j'y suis relativement favorable, j'estime qu'il faut cependant trouver un terme moyen entre un élitisme forcené, qui serait l'apanage de quelques-uns, et une dispersion excessive.

Cependant, et vous le savez bien, monsieur le ministre, le malaise des chercheurs ne se réduit pas à la seule question des moyens, même si les parlementaires que nous sommes ne peuvent que constater l'effort que le Gouvernement vient d'effectuer avec le rétablissement de 550 postes statutaires, la création de 1 000 postes dans les universités et l'annonce de l'affectation de 3 milliards d'euros supplémentaires à la rechercher d'ici à 2007, ce qui a entraîné une situation plus calme et propice à la réflexion.

La perspective de la sanctuarisation de votre budget cette année devrait nous faire oublier la sévérité du gel d'une partie des crédits que nous avions votés pour 2002 et 2003.

Cependant, à côté des subventions budgétaires attribuées aux organismes et aux laboratoires, le développement, ces dernières années, de deux fonds incitatifs - le Fonds national de la science et le Fonds de la recherche et de la technologie - permet à la France de s'inscrire dans la logique de financement sur projets, adoptée par de nombreux pays étrangers. Introduisant un élément de concurrence dans l'attribution des moyens, cette diversification des sources de financement peut favoriser leur efficacité et soutenir leur dynamisme.

Si l'Etat doit renforcer son effort, il en est de même des entreprises. Il faut se féliciter, à cet égard, de la réforme du crédit d'impôt-recherche, votée dans la loi de finances pour 2004, qui permettra à un plus grand nombre d'entreprises d' avoir recours à ce dispositif.

On peut citer, comme l'a fait Christian Gaudin, de nombreux exemples de transferts réussis. J'ajouterai celui de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA, qui travaille sur la société de l'information : cet organisme a signé 800 contrats de recherche avec l'industrie et a permis la création d'une soixantaine de sociétés.

M. Pierre Laffitte. C'est très juste !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. A Grenoble, à Bordeaux, à Tours, ailleurs également, universités et entreprises, au sein de laboratoires et de centres mixtes, travaillent en symbiose, sous l'égide de l'université ou du CNRS. A Troyes, l'université de technologie a institutionnalisé le concept de transfert de recherche vers l'entreprise, à l'image d'autres pôles universitaires technologiques, notamment l'université de technologie de Compiègne.

D'autres sources de financement peuvent ainsi être dégagées et encouragées. D'ores et déjà, des collectivités territoriales, départements et régions, s'impliquent dans cet effort. Elles ont pris conscience, il est vrai, qu'en termes de soutien aux entreprises l'aide à la recherche peut se révéler plus efficace que les aides directes à l'emploi.

Enfin, comme M. le Premier ministre vient de l'évoquer, de nouvelles mesures - notamment les contrats d'assurance-vie - peuvent être envisagées « afin de mieux orienter l'épargne vers le financement de la recherche ». La création de fondations et le mécénat d'entreprise peuvent être également davantage encouragés, comme le Sénat l'a récemment recommandé.

Mais la réflexion sur le financement de la recherche ne peut être séparée de celle qui porte sur le financement de l'enseignement supérieur. Peut-on atteindre l'excellence, alors que la dépense intérieure d'enseignement de la France par étudiant est 1,4 fois plus faible que la moyenne de celles des pays de l'OCDE et 2,4 fois inférieure à celle des Etats-Unis ?

Enfin, on peut s'interroger sur l'efficacité de ces moyens eu égard, en particulier, à la désaffection des étudiants pour les disciplines scientifiques et au taux élevé d'échec en premier cycle universitaire, partiellement lié à une défaillance manifeste de la politique d'orientation des étudiants.

Seulement 46,2 % des étudiants passent en deuxième année et, au total, deux à cinq ans après la première année d'inscription à l'université, seuls 56,8% d'entre eux réussissent leur premier cycle universitaire.

De surcroît, le malaise que j'évoquais tient aussi au découragement des chercheurs face aux lourdeurs administratives, au morcellement des financements et, surtout, à l'absence de considération de la communauté nationale à leur égard.

C'est dire, monsieur le ministre, combien la concertation, après la crise que la recherche publique a connue, devient fondamentale et urgente. Elle doit être menée avec tous les partenaires concernés : chercheurs, membres de l'enseignement supérieur, acteurs de l'économie, responsables publics nationaux et territoriaux. Les différents comités, collectifs et groupes vont formuler des propositions qu'il faudra analyser, ordonner et rendre cohérentes afin de traduire la volonté de la communauté nationale, celle de l'Etat par rapport à la France, à l'Europe et à la compétition internationale.

Les travaux récents de notre commission, publiés ou en cours, le rapport de M. Christian Blanc sur les pôles de compétitivité, les conclusions du groupe de réflexion intercommission mis en place par le Sénat, notre débat de ce jour, constituent autant de contributions à la fois essentielles et complémentaires.

Monsieur le ministre, soyez assuré que le Sénat suivra avec attention l'évolution de cette réflexion à laquelle il souhaite être étroitement associé. Nous sommes prêts à y apporter notre contribution et nous attendons avec intérêt et sympathie les propositions que vous allez formuler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Henri Revol.

M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été excellemment dit, les activités de recherche sont au coeur de nos sociétés. Principal facteur de progrès technique, économique et social, la recherche est incontestablement une des activités les plus nobles.

Pourtant, la démission des directeurs de laboratoire est venue nous le rappeler, la recherche française est en crise.

Il s'agit, tout d'abord, d'une crise d'identité de nos chercheurs : lors que leur place dans la société française a toujours été éminente au cours des siècles passés, dans la lignée de leurs grands prédécesseurs comme Louis Pasteur ou Marie Curie, ils se sentent aujourd'hui dévalorisés.

Les chercheurs français souffrent également d'une crise de reconnaissance. En effet, les chiffres le montrent à l'envi, le nombre des publications scientifiques, des brevets déposés, des distinctions honorifiques obtenues, vient rappeler régulièrement aux chercheurs la baisse croissante de l'influence de la science française dans le monde.

Or les deux aspects de cette crise sont intimement liés à la question des financements affectés au développement de la recherche française. Cette autre crise, financière celle-là, alimente le mouvement, désormais bien connu, de fuite des cerveaux. Quantité de jeunes chercheurs décident en effet d'aller exercer leurs talents dans des pays où le nombre de postes offerts est largement supérieur à ce qu'il est en France et où, surtout, ils disposent des moyens nécessaires à l'exercice de leurs activités.

Il est vrai que les chercheurs français acceptent de plus en plus difficilement une certaine médiocrité de leurs conditions de travail. Ils jugent également qu'ils ne disposent plus des outils pour participer à armes égales à la concurrence sur un marché qui est désormais international.

Cependant, dans un certain sens, cette crise est salutaire. Elle a, tout d'abord, le mérite de replacer le secteur de la recherche au centre du débat public. Elle constitue également une occasion sans précédent pour analyser l'ensemble des faiblesses, mais aussi des forces, de notre organisation et pour définir collectivement des solutions afin de redonner un nouvel élan à la recherche française.

Je pense, tout d'abord, à l'organisation des structures de recherche publique, qui doivent aujourd'hui impérativement évoluer. Selon moi, le projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche constitue un moment privilégié pour repenser leurs compétences, leur nombre et leur organisation territoriale.

A mon sens, les structures de recherche, les grands organismes tout comme les laboratoires, sont trop dispersées. Elles se superposent bien souvent et mènent leur action sans la coordination pourtant nécessaire à la réalisation des économies d'échelle. Dans cette situation, il est beaucoup plus difficile de définir et de mettre en oeuvre une politique scientifique nationale. Le rapprochement entre certaines équipes travaillant sur des sujets connexes et le regroupement, voire la fusion de certains départements de grands organismes de recherche permettraient ainsi de stimuler le dynamisme de notre recherche publique et de procéder à certaines synergies utiles.

Dans une contribution rendue publique au mois de mars, quatre grands chercheurs, tous membres de l'Académie des sciences, au nombre desquels M. Philippe Kourilsky, directeur de l'Institut Pasteur, faisaient des propositions visant à transformer profondément l'organisation du système de recherche publique.

L'une des propositions les plus remarquables de cette contribution concernait la structuration même de notre recherche sur le territoire français. Ainsi, les auteurs proposaient que, à terme, le système de recherche publique se développe autour de « campus de recherche », sur le modèle de ce qui existe aujourd'hui aux Etats-Unis.

De tels campus, dotés d'une forte autonomie, disposeraient de moyens financiers et humains qui leur auraient été délégués par l'université, par les organismes de recherche ou par tout acteur de recherche national ou régional. Ces campus se constitueraient sur une base régionale, en prenant appui sur les universités et les laboratoires. De ce point de vue, cette proposition renvoie bien évidemment à la question de l'autonomie des universités.

Ces campus, véritables pôles d'excellence thématiques régionaux, pourraient, de surcroît, attirer dans leur sillage des entreprises directement intéressées aux travaux des équipes de chercheurs, afin de développer une activité de valorisation de la recherche. Un tel système faciliterait, au surplus, le passage des chercheurs de la sphère publique vers la sphère privée.

Une autre des propositions de cette contribution concerne directement les grands organismes de recherche qui seraient, dans ce schéma, recomposés en agences de moyens allouant des ressources en fonction de projets élaborés par le campus et leurs laboratoires.

Bien entendu, une telle organisation n'aurait pas vocation à se mettre immédiatement en place. Des expériences pourraient ainsi être menées, à partir de quelques campus régionaux créés autour de pôles d'excellence déjà reconnus. Si un tel schéma venait à être retenu, ce ne serait qu'après un examen attentif du bilan afférent qu'une éventuelle décision d'élargissement de ce modèle pourrait être prise.

La question du statut des chercheurs doit également être réétudiée dans toutes ses dimensions au moment de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation. Nous devons, en effet, avoir une réflexion lucide sur les atouts et les inconvénients du statut du chercheur en France.

Dans un rapport sur la fuite des cerveaux publié à la fin du mois de novembre, la Commission européenne dénonçait la France comme étant incapable d'attirer des profils de haut niveau et décourageant de lourdeurs administratives. Qu'on en juge : démotivés par la faiblesse du nombre de postes offerts tous les ans et par certaines rigidités de fonctionnement, ce sont près de 4 150 chercheurs français qui se sont installés aux Etats-Unis en 2001.

À cet égard, je pense que créer des postes de chercheurs sans procéder aux réformes qui s'imposent, du point de vue tant de leurs conditions de rémunération que de la refonte des structures existantes, ne peut constituer qu'une solution à court terme et n'offre aucune garantie de recruter les scientifiques les plus talentueux. Certes, la décision prise par le Gouvernement était nécessaire pour sortir de l'impasse, et l'on ne peut que s'en féliciter. Toutefois, ces problèmes se reposeront dans les mêmes termes s'il n'est procédé à aucune transformation en profondeur de notre système de recherche publique.

Comme le soulignent les auteurs du rapport que je citais précédemment, le système de l'emploi scientifique en France est devenu caduc. L'insuffisance des salaires, la lourdeur des procédures de recrutement et l'excessive rigidité des circuits administratifs obèrent les capacités de promotion rapide des meilleurs éléments.

Il est ainsi nécessaire de faire enfin prévaloir la reconnaissance de l'excellence dans les carrières scientifiques. Une telle reconnaissance passe tout d'abord par une nette revalorisation du salaire des chercheurs. Elle passe également, et je ne doute pas qu'une telle proposition donnera lieu à de longs débats, par l'augmentation de la part salariale dépendant du mérite du chercheur. Il est enfin nécessaire d'introduire une part de rémunération variable liée à l'exercice de certaines fonctions, de responsabilités, notamment.

Néanmoins, la réforme du statut des chercheurs ne signifie pas la transformation de tous les emplois scientifiques en contrats à durée déterminée. Selon moi, un emploi scientifique stable doit pouvoir être donné au chercheur qui a fait la preuve de ses mérites. Toutefois, le caractère pérenne de l'emploi ne devrait pas être garanti trop tôt dans la carrière. Seules la richesse et la diversité des parcours permettront de renforcer notre appareil de recherche publique. De ce fait, l'instauration de contrats à durée déterminée, sans qu'ils aient vocation à se substituer aux contrats à durée indéterminée, pour des périodes allant de trois à cinq ans, me paraît être une idée à développer. Elle constitue le meilleur moyen pour instiller de la souplesse dans un système, hélas, par trop rigide.

Le passage par de tels contrats pourrait être un bon moyen de sélection, un bon moyen de repérer les chercheurs les plus talentueux qui ont vocation à obtenir un poste disposant d'un caractère pérenne.

Enfin, les conditions d'évaluation scientifique des travaux doivent elles aussi être réexaminées. En effet, une grande liberté dans les conditions de travail ne peut avoir comme contrepartie qu'une évaluation rigoureuse.

Telles sont, mes chers collègues, monsieur le ministre, les quelques réflexions que m'inspire la situation du système français de recherche.

A nouveau, je souhaiterais rappeler que nous devons impérativement saisir l'occasion qui nous est offerte avec le projet de loi d'orientation et de programmation pour redonner une impulsion à ce secteur fondamental pour notre économie.

Comme mes collègues MM. Trégouët et Laffitte, avec lesquels nous avons lancé un forum sur Internet où se sont déjà exprimés près de 500 chercheurs de base, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si vous associerez la représentation nationale à l'élaboration de ce projet de loi. (M. le ministre délégué acquiesce.)

La France dispose d'un important potentiel en matière de recherche. Il est urgent de se saisir du problème et d'apporter des solutions aux questions qui nous sont posées. Il y va, en effet, du prestige scientifique de la France, de sa compétitivité économique et de sa place dans l'Europe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emorine, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.

M. Jean-Paul Emorine, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans revenir sur les exposés précédents, dans ce débat déjà bien dense, je souhaiterais développer quelques pistes de réflexion qui tiennent particulièrement à coeur à la commission des affaires économiques que j'ai l'honneur de représenter ici.

Tout d'abord, laissez-moi vous dire que, eu égard à la profondeur du malaise révélé à l'occasion de la démission des directeurs de laboratoires de recherche publique, des décisions fortes s'imposaient. Le Gouvernement, de ce point de vue, a pris pleinement la mesure de la situation et a déjà apporté la preuve de sa volonté de fournir des réponses aux problèmes posés.

Je pense notamment à la création de postes de chercheurs supplémentaires, au fait que la recherche est exclue du gel des crédits budgétaires et, surtout, au lancement d'une concertation qui devrait aboutir à l'élaboration de la loi d'orientation et de programmation de la recherche.

Toutefois, la plupart des décisions et des réformes engageant la recherche française restent à venir.

Étant donné que l'efficacité de la recherche nationale est la clé de voûte de l'avenir de notre économie, la commission des affaires économiques souhaite jouer pleinement le rôle qui est le sien dans la préparation de ces réformes. Mes observations s'inscrivent donc dans la démarche amorcée par votre prédécesseur, monsieur le ministre, et dans le droit-fil de l'initiative prise par M. Gérard Larcher, qui a conduit à l'instauration d'un groupe de réflexion commun aux trois commissions du Sénat qui suivent avec attention le secteur de la recherche.

Ce groupe de réflexion, piloté par nos collègues MM. Henri Revol, Pierre Laffitte et René Trégouët, devrait vous proposer, avant la fin du mois de juin, monsieur le ministre, une dizaine de pistes à explorer pour la construction du projet de loi d'orientation et de programmation.

D'ores et déjà, je crois qu'il nous faut bien avoir présent à l'esprit que la créativité économique, et donc le dynamisme de l'emploi dépendent directement de notre capacité d'innovation et de recherche.

A trop considérer que cette vérité est un truisme, on a quelque peu tendance à l'occulter. Or elle est encore illustrée par les premières conclusions du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main-d'oeuvre, mis en place par notre commission sur l'initiative de nos collègues MM. Christian Gaudin et Francis Grignon.

Face à la concurrence exercée par les pays à bas coût de main-d'oeuvre, la capacité de notre économie à créer des emplois dépendra de plus en plus, à l'avenir, des secteurs à haute valeur ajoutée, dont le développement dépendra lui-même d'une recherche fondamentale et appliquée du meilleur niveau.

Dans un contexte de perte progressive, mais inéluctable de certains emplois industriels, l'efficacité de notre appareil de recherche tend donc à tenir la place d'une priorité nationale.

Il nous faut ainsi, mes chers collègues, renouer avec les grandes traditions de l'inventivité française qui sont à la source de nos succès industriels dans les domaines aéronautique et nucléaire, mais aussi de la pharmacie et de la santé publique. Et c'est bien au métissage de ce lien entre recherche et développement économique que le projet de loi d'orientation devra s'attacher à répondre.

Dans un premier temps, il convient, bien évidemment, de sécuriser les moyens financiers accordés à la recherche. Au cours de la dernière session extraordinaire, nous avons adopté une loi de programmation relative à la rénovation urbaine qui a permis la mobilisation de financements considérables pour requalifier les quartiers en difficulté. Il est, à mon sens, impératif de faire de même pour le secteur de la recherche.

Ensuite, il convient de se pencher sur la question des financements privés. Conformément aux objectifs européens, les entreprises françaises devraient, d'ici à 2010, consacrer environ 2 % du produit intérieur brut aux dépenses de recherche et de développement. Pour atteindre cet objectif, des dispositions fiscales sont évidemment nécessaires. Il faut également mener une politique de sensibilisation accrue des entrepreneurs français que l'on doit convaincre de l'intérêt d'investissements plus massifs dans le secteur de la recherche. L'Etat doit, bien entendu, favoriser cette prise de conscience et accompagner son épanouissement.

Parallèlement, le projet de loi d'orientation pourrait se nourrir des exemples étrangers qui ont fait la preuve de leur efficacité en matière de recherche. À cet égard, il constitue une occasion à ne pas manquer pour analyser l'organisation même du secteur de la recherche. Je pense ici au statut des chercheurs et aux structures de la recherche publique.

La question du statut des chercheurs doit ainsi faire l'objet d'une réflexion sans a priori et dénuée de toute arrière-pensée. Réformer le statut des chercheurs ne revient pas, dans notre esprit, à remettre en cause la protection et la garantie de l'emploi dont ils bénéficient. En effet, la précarisation d'une profession n'a jamais constitué, et de loin, un moyen de stimuler et de renforcer la motivation et l'efficacité. Toutefois, il importe de se poser quelques questions et d'examiner de plus près la situation des chercheurs dans d'autres pays.

La commission des affaires économiques a, de ce point de vue, commencé à réfléchir au statut des chercheurs afin de mieux cerner les forces et les faiblesses de l'organisation actuelle. Il ressort des premières conclusions de ses travaux que le système français est unique en ce qu'il accorde, dès le départ, et sans avoir pu juger ni de la valeur ni de l'excellence des chercheurs recrutés sur longue période, un emploi à vie.

Or, dans les pays où la recherche est la plus dynamique - aux Etats-Unis, par exemple - les chercheurs, au sein des universités notamment, n'obtiennent un emploi pérenne qu'après avoir fait la preuve de leur excellence. Ainsi, seuls les professeurs les plus méritants, les plus qualifiés, peuvent bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. Dans ce schéma, la grande majorité des chercheurs disposent de contrats à durée déterminée, d'une durée de trois à cinq ans, à l'issue desquels ils peuvent réaliser des mobilités, vers le secteur privé, par exemple.

L'examen attentif des exemples étrangers où la souplesse et la réactivité de systèmes de recherche apparaissent supérieurs à notre propre modèle, ne peut que nous inciter à réfléchir de façon approfondie à l'organisation du CNRS, à sa politique d'emploi scientifique notamment, et, surtout, aux meilleurs moyens d'assurer le renouveau de son dynamisme.

Bien évidemment, un assouplissement des statuts devrait s'accompagner, en contrepartie, d'une augmentation de la rémunération des chercheurs publics français, rémunération qui serait ainsi bien supérieure à celle dont ils disposent actuellement, sans compter le manque de moyens matériels.

Cette insuffisante rémunération nourrit un exode massif des jeunes chercheurs talentueux vers d'autres pays, au nombre desquels les Etats-Unis et le Canada, nous privant par là même de l'une de nos principales richesses : l'intelligence.

Il est encore possible d'endiguer cette hémorragie. Cependant, cela ne pourra se faire qu'en offrant des perspectives à nos jeunes chercheurs, en multipliant les opportunités de carrière, dans le secteur public ou dans le secteur privé, et en leur donnant les moyens d'exercer leurs talents dans de bonnes conditions.

Intimement liée au statut des chercheurs, la question de l'évaluation scientifique de leurs travaux doit être réexaminée. On ne peut que s'étonner en constatant la faiblesse de l'incitation à la découverte dans le secteur public de la recherche. En effet, la rigidité dans la progression des carrières des chercheurs, l'absence d'un quelconque lien entre leur performance et leur rémunération, constituent, à n'en pas douter, un frein à l'émulation.

Une telle organisation ne peut que décourager un grand nombre de chercheurs qui se trouvent dans l'impossibilité de penser leur carrière de manière dynamique. À ce sujet, de nombreuses propositions existent, et je reste persuadé qu'il conviendra de revoir en profondeur le système actuel.

Les structures de recherche sont, quant à elles, aujourd'hui par trop dispersées, le constat est simple. Comment rivaliser avec nos principaux concurrents - les Etats-Unis, par exemple - quand ces derniers sont capables de mobiliser des moyens financiers sans commune mesure avec les nôtres ?

Ainsi, à titre d'illustration, toutes proportions gardées et en tenant compte de la différence démographique, l'Institut américain de recherche biomédicale dispose d'un budget cinquante fois supérieur à celui de notre Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM ! Dans ces conditions, si nous ne prenons pas les mesures qui s'imposent, nous ne pourrons que continuer à déplorer le fameux retard français dans le domaine des biotechnologies.

A cet égard, la recherche biomédicale française s'articule aujourd'hui entre quatre grands organismes. Je suis pleinement convaincu de l'intérêt qu'il y a à créer un grand institut national de la santé qui regrouperait les équipes en place. Une telle entité, qui aurait vocation à se substituer et non à s'ajouter aux structures existantes, pourrait fédérer les moyens humains et financiers nécessaires et atteindre la taille critique.

Voilà, monsieur le ministre, rapidement exposées, les premières réflexions que l'examen de la situation de la recherche française a inspirées à la commission des affaires économiques.

Nous restons persuadés que la France dispose d'un potentiel unique, en raison de la tradition d'excellence de sa recherche publique et de son expérience. Il serait dommageable de ne pas tirer partie de ces atouts.

Nous disposons des moyens nécessaires pour être les leaders dans un grand nombre de secteurs économiques qui vont s'avérer déterminants pour la croissance. C'est pourquoi le temps de l'action est maintenant venu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de participer aujourd'hui à ce débat ouvert par la question passionnante de M. René Trégouët, sur l'avenir de la recherche française.

Grâce donc à une initiative sénatoriale, nous évoquons, dans l'enceinte parlementaire, cette formidable question non seulement d'avenir, mais aussi d'actualité, et ce dans une perspective et des circonstances un peu particulières. Je pense ici au malaise et à la défiance des chercheurs à l'égard de l'action publique en faveur de la recherche, et aussi aux formidables mutations du contexte international dans lequel s'inscrit notre recherche.

La recherche a toujours eu une dimension internationale, eu égard aux constants échanges intellectuels entre les chercheurs. Toutefois, depuis quelques années, un nouvel élément est apparu : une mondialisation de la recherche à laquelle sont liés des défauts spécifiques et en particulier un climat de compétition exacerbée. Or, si l'émulation est souhaitable, la compétition exacerbée est, en revanche, quelquefois périlleuse !

On le constate d'ailleurs tant du côté des laboratoires publics que des grandes entreprises ou des PME qui font de la recherche, cette mondialisation représente un défi difficile à relever. Les solutions apportées par les uns et les autres sont d'ailleurs assez différentes suivant qu'il s'agit d'un groupe américain, européen ou français, et suivant qu'il s'agit d'un laboratoire californien ou d'un laboratoire rattaché à une université ou au CNRS, ici, en France, voire ailleurs en Europe.

Cette nouvelle dimension mondiale modifie le climat dans lequel évoluent les chercheurs français. Certes, leur malaise est lié à des problèmes d'ordre budgétaire et financier, mais il tient aussi à la comparaison permanente qu'ils établissent avec d'autres pays qui, en raison de leur importance et de leur plus grande richesse, consacrent davantage de moyens à la recherche et dont les structures sont peut-être moins complexes que les nôtres.

Nos grandes institutions sont excellentes, mais, créées peu avant ou peu après la Seconde Guerre mondiale, elles souffrent de certaines lourdeurs que les chercheurs subissent dans leurs laboratoires, sur leur terrain, et dont ils se sont fait très largement l'écho.

À l'écoute attentive des chercheurs depuis quelques semaines, j'ai compris combien les relations quotidiennes entre les laboratoires et l'administration de tutelle pouvaient être difficiles. Combien de directeurs de laboratoires nous ont expliqué que la paperasse administrative leur prenait la moitié de leur temps !

L'observation, pour simpliste qu'elle paraisse, traduit cependant bien le fait que nos laboratoires souffrent beaucoup plus qu'on ne l'imaginait des lourdeurs administratives, de la complexité des procédures, notamment en ce qui concerne les appels d'offres. Le principe de la mise en concurrence des laboratoires est une bonne chose, mais son application peut l'être beaucoup moins. On voit ainsi des chercheurs passer des semaines à remplir des dossiers pour obtenir in fine 10 000 ou 15 000 euros, quand ils les obtiennent ! Dans le cas contraire, ils n'obtiennent pas toujours d'explication.

Tous ces éléments contribuent à un malaise et renvoient à la nécessité d'une réforme, j'ose le mot, car, pour le monde de la recherche et chez les chercheurs, il n'est pas tabou comme il l'est peut-être dans d'autres domaines.

Depuis quelques semaines, tous les débats montrent, et j'en ai la confirmation encore aujourd'hui, qu'il existe un formidable besoin de réformes. Il s'exprime sans tabou, mais aussi sans préjugé, sans a priori, après analyse, bien entendu, de la situation française, mais aussi après comparaison avec ce qui se passe en Europe et dans le reste du monde.

Car les uns et les autres sont bien conscients de la nécessité d'avoir désormais une approche de plus en plus européenne et internationale des questions de recherche. Ils prennent en compte ce qui se passe dans les pays qui consacrent le plus de moyens à la recherche, les Etats-Unis, le Japon, sans pour autant estimer qu'il y aurait un modèle unique qui devrait être sinon copié du moins transposé au prétexte qu'il donne de bons résultats du côté de Boston ou de San Francisco.

Nous devons donc envisager un nouveau modèle français de recherche, et ce avec la nation, avec les Françaises et les Français. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a actuellement un léger problème d'incompréhension entre la communauté scientifique et les Français. Ne parlons pas de réconciliation, le mot serait trop fort, car, dans leur grande majorité, nos compatriotes croient au progrès scientifique. Certes, ils expriment davantage de doutes, comme les sondages le montrent. Il y a vingt ans, pour les Français, le progrès, c'était formidable, et on était sûr qu'il serait continu.

Aujourd'hui, ils estiment que, dans le progrès, il y a du bon et du moins bon. Cela étant, ils nourrissent une formidable espérance dans le progrès scientifique, en particulier dans les domaines qui les concernent personnellement, c'est-à-dire la santé, l'environnement, les technologies aussi, dès lors qu'ils peuvent en constater la traduction concrète dans leur vie de tous les jours.

Au-delà de ces considérations, j'ai bien compris que tous réclament que la France, qui est une grande nation, se dote de tous les attributs d'une grande nation. Cela suppose une structure, un système, un poids de la recherche et de l'innovation permettant à la France, d'une part, d'exister sur la scène internationale et, d'autre part, de pouvoir exprimer d'une voix forte sa volonté politique à l'échelon tant européen que mondial.

Ce lien de confiance avec la nation doit être renforcé. Pour cela, il faudrait mettre en place une sorte de contrat de confiance national entre la communauté scientifique et les Français. Ces derniers attendent beaucoup de la communauté scientifique, notamment en ce qui concerne la santé. Mais, pour que ces progrès soient réalisés, il faut un effort national, et pas seulement d'ordre financier, même si cet aspect est essentiel. Non, il faut en outre une sorte d'effort moral pour soutenir la recherche, qui n'est pas un secteur d'activité comme un autre.

D'ailleurs, cette spécificité doit se retrouver dans le langage. Je préfère en effet parler d'investissements plutôt que de dépenses de recherche, car cela montre bien que la recherche est la pierre angulaire de l'avenir de notre pays, y compris s'agissant du progrès de la connaissance pure. Dans les sciences humaines aussi nous devons être à la pointe du progrès, ce qui exige également un effort important.

L'avenir doit se voir aussi en termes d'innovation, de technologies stratégiques qui permettent d'affirmer avec force la place de la France en Europe et dans le monde.

A combien doit s'élever l'effort national de recherche ? Depuis quelques années, il se situe entre 2% et 2,4% du PIB. Ce système de mesure me semble cependant un peu spécieux, car, quand on prend des exemples étrangers, il faut tout comparer. Certes, la Finlande, que l'on cite souvent aujourd'hui en exemple, a un système de recherche-innovation excellent. Mais, pour parler clairement, n'oublions pas qu'un tiers de sa recherche est financé par le gouvernement finlandais et que les deuxième et troisième tiers sont payés respectivement par une grande entreprise de télécommunication et par les autres entreprises.

Notre structure française de l'investissement dans la recherche doit nous permettre d'avoir un système efficace pour aujourd'hui et pour demain.

Nous avons des atouts, il ne faut pas les mésestimer. Il existe un « socle » dans la recherche française qui est exceptionnel par sa qualité. On peut lui trouver certains défauts, mais il faut reconnaître que, dans nombre de domaines, les équipes de chercheurs français sont parmi les meilleures du monde. Cette tradition de recherche est une formidable chance pour préparer l'avenir, y compris pour réformer le système d'innovation et de recherche.

Pourquoi la recherche ? On doit sans cesse reposer la question pour bien faire comprendre à tous que la recherche est essentielle pour l'avenir de notre pays. C'est le moteur de la croissance et de l'emploi. Elle donne au progrès technique un rôle central. Certaines études montrent que l'innovation est à l'origine de 50% à 70% de la croissance, ne l'oublions pas.

Comme certains d'entre vous l'ont dit, cette situation ne peut que se renforcer à l'avenir. La capacité de nos économies à créer des emplois dépendra de plus en plus des secteurs à haute valeur ajoutée. Il est vrai que, en France comme dans le reste de l'Europe, avec la mondialisation, les branches d'activité à faible valeur ajoutée ont tendance à quitter nos territoires, ce qui se traduit par des délocalisations et par des désindustrialisations.

Si nous voulons garder une France solide dans une Europe solide, nous devons développer notre socle de production, de valeur ajoutée intellectuelle, scientifique et technologique. Encore faut-il se donner les moyens de retenir ce qui existe et de capter ce qui serait tenté d'aller ailleurs !

J'évoquais les désindustrialisations et les délocalisations. Il ne faudrait pas que l'étape suivante soit la « délaboratorisation », c'est-à-dire que des laboratoires s'en aillent. Soyons vigilants, car ce mouvement est déjà amorcé. On le sait très bien, les grands groupes industriels sont particulièrement mobiles ; ils comparent les coûts, la qualité de la recherche, y compris en Chine. Pour beaucoup de groupes, la tendance est à acheter sur étagère, c'est-à-dire à se procurer telle molécule en Australie, telle capacité de criblage en Inde, telle notoriété de laboratoire en Chine, du côté de Shanghai ou ailleurs.

On retrouve là cette question de la mondialisation et de la nécessaire volonté de garantir, à l'échelon de l'Europe et de la France, une politique d'intervention forte en faveur de l'innovation.

M. Pierre Laffitte. Très bien !

M. François d'Aubert, ministre délégué. Tout ce qui a été dit tout à l'heure rejoint cette idée qu'il est temps d'agir parce que les choses vont très vite, que les défis sont de plus en plus difficiles à relever et requièrent une attitude particulièrement énergique. Je ne crains pas d'être accusé d'interventionnisme, si l'interventionnisme, c'est faire un peu plus en faveur de l'innovation.

Il n'empêche qu'il y a des signaux forts à donner en faveur de l'innovation et de la recherche. Une cohérence est nécessaire entre l'affichage d'une priorité politique et l'existence de priorités budgétaires. Cela nous semble essentiel.

Depuis quelques semaines, plusieurs de ces signaux, et non des moindres, ont été lancés. Le premier a été la rectification opérée avec le retour des 550 contrats prévus dans la loi de finances pour 2004 transformés en postes statutaires. Ce sont ainsi 200 emplois de chercheurs et 350 emplois d'ingénieurs et de techniciens qui seront recréés en loi de finances rectificative pour 2004. Cela permettra d'avoir un niveau de recrutement statutaire pour 2004 équivalant à la moyenne du recrutement statutaire des cinq années précédentes dans les établissements publics de recherche.

Je m'empresse d'ajouter qu'un certain nombre de postes contractuels seront tout de même créés. En effet, depuis le 1er janvier, un certain nombre de chercheurs et d'ingénieurs ont été embauchés sous contrat par les grands organismes ; il ne s'agit évidemment pas de rompre ces contrats. Ils viendront s'ajouter aux 550 postes statutaires qui sont en cours de rétablissement et dont les titulaires seront recrutés sur des listes complémentaires afférentes aux concours déjà ouverts pour l'année 2004.

Pour autant, la politique des contrats est-elle abandonnée ? Je crois qu'il faut lui donner un autre sens. Les contrats qui étaient proposés avaient un léger défaut de fabrication : leur profil n'était pas suffisamment attrayant. Nous devrons être particulièrement vigilants dans la préparation de la prochaine loi d'orientation et de programmation.

Il faut en effet pouvoir proposer aux chercheurs des packages, pardonnez-moi cet anglicisme, c'est-à-dire un ensemble de mesures comprenant un salaire initial compétitif par rapport à ce que l'on trouve dans les meilleurs laboratoires étrangers.

Il est important d'avoir toujours en tête cette idée d'excellence qui doit faire la différence et qui ne peut être mesurée que par une évaluation par les pairs, et surtout une évaluation internationale. Nous devons aller aussi vers ce système d'évaluation.

Dans cet ensemble, le chercheur doit pouvoir aussi trouver une perspective de carrière. C'est là un paradoxe du statut actuel des chercheurs en France. Il ne s'agit pas de revenir en arrière, mais il faut améliorer, à l'intérieur du statut, les possibilités d'évolution : les carrières proposées aux meilleurs chercheurs, dans le statut actuel, sont loin d'être rapides. Là encore, il faut pouvoir offrir des perspectives de carrière intéressantes, sans oublier des possibilités d'aiguillage à l'intérieur même du statut. Cela doit permettre au chercheur qui le souhaite, à un moment donné de sa carrière, d'enseigner davantage ou de commencer à enseigner, de participer à l'administration de la recherche ou d'assumer d'autres missions dans notre système de recherche.

Il faut aussi, dans cet ensemble, que figurent les moyens nécessaires au bon fonctionnement des laboratoires en assurant une véritable sécurité dans le temps, évidemment entrecoupée d'évaluations. Cela implique d'éviter les gels intempestifs. Plutôt, d'ailleurs, que d'évoquer les moyens des laboratoires, il serait plus simple de raisonner sur les coûts complets. Il n'empêche que des baisses de 20% ou 30% sur ce qui reste de moyens, hors dépenses de personnel, sont difficiles à assumer par les laboratoires.

Parallèlement, il faut prévoir un système qui sécurise la vie des laboratoires du point de vue financier. C'est à ce prix qu'ils pourront assumer les risques inhérents à tout acte de recherche.

Outre les 550 postes statutaires, le Gouvernement a décidé, comme vous le savez, de créer dans les universités, dès la rentrée prochaine, 1 000 emplois supplémentaires, qui se répartissent de la façon suivante : 150 postes ATER, attachés temporaires d'enseignement et de recherche, 150 postes IATOS, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service, et 700 professeurs et maîtres de conférence supplémentaires qui prendront leurs fonctions en janvier 2005 ; il s'agit là d'un signal fort de la part du Gouvernement.

Il est un autre signal qui montre toute l'importance accordée par M. le Président de la République à la recherche, je veux parler du non-gel des crédits pour 2004. Cela concerne aussi d'autres domaines qui ne relèvent pas de la recherche pure, tel le plan cancer. Il y a là une cohérence que nous souhaitons, bien évidemment, voir se poursuivre dans le temps lors de la préparation des prochaines lois de finances.

En tout état de cause, le dossier n'est pas clos. Ces décisions ouvrent au contraire la voie à un débat décomplexé et sans tabou, débat qui est souhaité par tous les acteurs concernés, sur l'avenir de la recherche française. S'il ne s'agit pas uniquement d'une question de moyens, comme cela a été dit justement, il reste que ceux-ci sont importants.

Au cours des derniers mois, les initiatives et propositions provenant tant de l'Université que des principaux établissements et de la recherche privée ont témoigné d'une vaste mobilisation en faveur du changement. Vous avez tous pu prendre connaissance dans la presse des axes de réflexion sérieux, ambitieux, pour la réforme que nous préconisons

Je citerai les propositions du collectif « DU NERF » qui, en tout état de cause, mériteraient, si elles sont retenues, de faire l'objet d'une expérimentation. En effet, le systématisme ici n'est pas de mise ; il faut, au contraire, être très pragmatique et nous efforcer, dans l'approche que nous avons de chaque grand établissement, qu'il s'agisse des établissements publics à caractère scientifique et technologique, ou des établissements publics à caractère public ou commercial, de définir des règles spécifiques.

Certes, un minimum d'uniformité est indispensable pour des raisons juridiques, mais nous devons, dans le même temps, veiller à une adaptation permanente et souple qui tienne compte du respect de la spécificité de chaque établissement. En effet, un établissement tel que l'INRIA, l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, n'a ni la même taille, ni le même mode de fonctionnement, ni tout à fait les mêmes priorités que l'INSERM, qui traite de tout autre chose. Il est donc tout à fait souhaitable de faire du sur-mesure pour les établissements publics de recherche.

Le débat est lancé et se poursuivra à l'occasion des états généraux de la recherche, grâce, notamment, au Comité national d'initiative et de proposition pour la recherche scientifique présidé par les professeurs Baulieu et Brézin qui tiendra, évidemment, un rôle central d'animation et dont la vocation sera de proposer des grandes pistes de réformes indispensables aux yeux de l'ensemble de la communauté des chercheurs.

Il est bien évident que le Parlement aura plus que son mot à dire dans la préparation du projet de loi. De ce point de vue, toutes les initiatives qui pourront provenir du Sénat ou de l'Assemblée nationale seront les bienvenues, de même que seront opportunes les propositions émanant tant des trois commissions sénatoriales -- la commission des affaires culturelles, la commission des affaires économiques et la commission des finances - que de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Le débat sur la recherche est donc également ouvert au Parlement, ce qui nous paraît indispensable en ce qu'il permettra un éclairage de politiques mais aussi de spécialistes et de praticiens de la recherche ou de l'innovation. J'en compte un certain nombre sur ces travées, dont l'expérience est d'une importance majeure. Je pense notamment, mais je ne saurais les citer toutes, aux expériences menées dans le Rhône, dans les Alpes-Maritimes, en particulier à Sophia - Antipolis, ainsi qu'à Bordeaux et en Saône -et- Loire.

En d'autres termes, quand le Parlement s'exprime, c'est aussi à partir d'expériences locales,...

M. Pierre Laffitte. Absolument !

M. François d'Aubert, ministre délégué. ...et les leçons à en tirer peuvent être très fructueuses dès lors qu'il s'agit de proposer des réformes.

Naturellement, cela conduira à faire des choix, à définir des priorités, à mettre fin aux lourdeurs, à éviter qu'elles ne se reconstituent, à éviter aussi la multiplication des sources de financement, qui foisonnent à l'heure actuelle.

Est-il raisonnable que tel ou tel laboratoire de taille modeste, hormis ses crédits récurrents, dépende de subventions provenant de dix appels d'offres ? Ne convient-il pas, dans ce domaine, de simplifier, en affichant, y compris dans les fonds incitatifs du ministère, des priorités plus globales et en laissant aux établissements scientifiques le choix de leurs propres priorités dans ce cadre global ?

Ces grandes priorités seront redéfinies. Nous aurons besoin, en outre, d'une sorte de conseil supérieur qui permette d'éclairer la décision politique au plus haut niveau, afin que ces priorités soient parlantes pour le grand public.

Par exemple, s'agissant des nanotechnologies - il est vrai qu'elles constituent une priorité importante - à qui ce concept parle-t-il vraiment hormis quelques spécialistes ? Si nous voulons définir des priorités qui soient de nature à rétablir la communication et la confiance entre la communauté scientifique et les Français, nous devons avoir des projets concrets qui utilisent les nanotechnologies, pour reprendre cet exemple.

Du côté des sciences de la vie, sans doute avons-nous perdu un peu de temps. D'autres pays, plus rapides que nous, ont su accorder des moyens plus importants à la recherche, voire mettre en place des organisations plus rationnelles et donc obtenir plus vite des résultats. Là aussi, nous devons réfléchir à ce qu'il est possible de faire pour rattraper le temps perdu, car il est sûr que notre secteur biomédical, avec la génétique, mérite d'être mieux exploité.

Sur le plan financier en général, se pose naturellement le problème de l'effort qui doit être consenti par la nation en faveur de la recherche. Nous nous situons aujourd'hui aux alentours de 2,2 % du PIB - selon les chiffres de 2002, car nous ne disposons pas encore des résultats de 2003 -, l'ambition européenne étant de parvenir à 3 % du PIB.

Que dire, de ce point de vue ? D'abord, nous devons nous interroger sur le financement de la recherche fondamentale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre pays a besoin de la recherche fondamentale. A l'heure actuelle, nous lui consacrons 23 % de notre effort de recherche. L'Europe ne parvenant malheureusement pas à établir des statistiques très homogènes, nous ne connaissons pas les sommes que l'Allemagne ou la Grande-Bretagne affectent exactement à leur recherche fondamentale. Nous savons simplement, par exemple, que les Etats-Unis y consacrent 20 % de leur effort de recherche ; nous nous situons donc plutôt au-dessus.

Certes, il nous faut poursuivre notre effort, mais il ne faut par rêver ! Franchement, le secteur privé est-il prêt à soutenir la recherche fondamentale dans l'avenir ? La règle veut que la recherche fondamentale soit financée par des fonds publics. Bien sûr, il peut y avoir à la marge des financements privés, par exemple dans l'industrie pharmaceutique. Toutefois, il est permis de se demander qui, dans le privé, sera prêt à financer, par exemple, la recherche sur des maladies orphelines qui ne touchent que quelques centaines de familles ? Si, d'ailleurs, j'additionnais l'ensemble de ces actions, j'aboutirais à peu de chose près au total de la recherche fondamentale. C'est donc le rôle de la recherche publique, principalement, que de financer ce type de recherche.

J'en viens à la recherche financée par l'argent privé, provenant en particulier des entreprises. Si l'on veut passer de 2,2 % à 3 % du PIB pour l'effort national de recherche, il est évident qu'une part importante du différentiel de 0,8 % devra être comblée par le secteur privé ou d'autres sources de financement, les banques, notamment.

A cet égard, M. Laffitte a suggéré une excellente initiative, encouragé, semble-t-il, par l'ensemble du Sénat.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est tout à fait vrai !

M. François d'Aubert, ministre délégué. Il s'agirait de négocier avec la BEI un grand emprunt de 150 milliards d'euros en faveur de la recherche. La proposition est intéressante, mais il n'est pas facile d'obtenir un prêt de la BEI, car celle-ci - qui est aussi une banque, rappelons-le - n'hésite pas à demander des garanties qui, bien sûr, ne sont pas gratuites.

M. Laffitte, en formulant cette proposition, nous montre qu'il est possible de trouver d'autres sources de financement en faveur de notre effort de recherche.

M. Pierre Laffitte. Merci, monsieur le ministre, de vous intéresser à cette démarche.

M. François d'Aubert, ministre délégué. Il ne faut pas oublier les fondations. Dans ce domaine, une demi-douzaine de projets sont déjà sur les rails ; il ne reste plus qu'à régler les détails financiers quant à la possibilité d'utiliser immédiatement une partie du capital.

Les fondations représentent ainsi un mode de financement important dans les pays anglo-saxons, mais cela ne saurait être vrai du jour au lendemain en France.

Néanmoins, nous pouvons maintenant, grâce, notamment, aux aides fiscales, déclencher un mouvement de grande ampleur, qui montera progressivement en régime, pour financer une partie de la recherche. Il conviendra d'y associer les particuliers et les entreprises, y compris celles qui désireraient s'impliquer à titre quasi philanthropique, comme aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ; dans ce dernier pays, certaines chaînes de grands magasins financent la recherche sur le cancer.

Certes, en France, nous n'en sommes pas encore là, mais il faut lancer le mouvement afin que de nouveaux acteurs économiques investissent dans la recherche, ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'un geste citoyen et de solidarité pour préparer l'avenir.

Nous devons aussi nous efforcer de maintenir l'effort existant dans les grands secteurs. Je suis personnellement préoccupé par la diminution de l'effort de recherche au cours des dernières années dans les télécommunications. Or de nouveaux acteurs, en particulier les nouveaux opérateurs de téléphonie mobile, profitent dans une large mesure, et ce gratuitement, de l'investissement consacré par la France à la recherche depuis quinze ans. Ne serait-ce pas le moment de les inciter à participer à leur tour à cet effort de recherche et de les mobiliser en ce sens ?

D'autres financements ont également été envisagés. Le Sénat a ainsi proposé, l'an dernier, de mobiliser une partie des ressources de l'assurance-vie. Certes, le sujet est un peu délicat,...

M. Pierre Laffitte. Mais capital !

M. François d'Aubert, ministre délégué. ...car les assureurs ne sont pas tout à fait d'accord, mais, là encore, il faut raisonner en termes de politique, voire de morale.

En effet, l'assurance vie bénéficie d'avantages fiscaux très importants. Ne pourrait-on pas proposer qu'en échange de ces avantages un effort citoyen soit accompli par les souscripteurs en vue de financer une partie de la recherche ?

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bonne idée !

M. François d'Aubert, ministre délégué. Il ne s'agit pas d'exiger de gros pourcentages ; des « micropourcentages » suffiraient, dans la mesure où les sommes consacrées à l'assurance-vie représentent aujourd'hui environ 720 milliards d'euros.

M. Pierre Laffitte. Un pour mille, ce serait déjà très bien !

M. François d'Aubert, ministre délégué. Il ne s'agit pas non plus d'éveiller des convoitises démesurées - je ne citerai pas de chiffres -, mais je crois que la proposition est importante.

Le Premier ministre a également proposé qu'une partie des sommes placées sur des contrats dits « DSK » puisse être investie dans des placements à risque.

M. Pierre Laffitte. Dans les fonds communs de placement dans l'innovation, les FCPI !

M. François d'Aubert, ministre délégué. Plutôt que la recherche, il s'agit là de financer l'innovation par le biais de fonds de venture capital.

En effet, je ne sais pas si c'est l'argent qui manque aujourd'hui, ...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est la confiance qui manque !

M. François d'Aubert, ministre délégué. ... mais je constate en tout cas une timidité certaine des financiers, qui n'aiment pas beaucoup le risque. J'en vois ici qui hochent la tête, n'est-ce pas, monsieur Fréville ? (Sourires.) La culture financière française est certainement moins une culture du risque que la culture financière américaine ou anglo-saxonne en général.

Dans le domaine de l'innovation, des financements peuvent sans doute être trouvés. Lorsque l'on parle de recherche, il faut en effet raisonner en terme de continuum de la recherche fondamentale vers l'application, en passant par ce qu'un de mes prédécesseurs, M. Hubert Curien, appelait la « recherche appliquée applicable », ...

M. Yves Fréville. Très bien !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !

M. François d'Aubert, ministre délégué. ... afin de permettre une suite concrète en termes d'innovation, de produits et de technologies. Il faut aussi toutefois se fixer des objectifs, sans pour autant se laisser dicter les choix de la recherche en aval.

Dans le domaine des transports, par exemple, lorsqu'on décide que les émanations de gaz carbonique provenant de l'avion du futur, qui sera prêt dans vingt ans et sera appelé à durer pendant trente ans, devront être diminuées de moitié par rapport à ce que nous connaissons aujourd'hui, on fixe un objectif de recherche.

On peut aussi prendre des exemples dans le domaine de la santé : trouver un vaccin contre le sida est un véritable objectif. Il ne s'agit pas de recherche finalisée, mais cela implique de se donner des directions, ce qui est indispensable.

Cette recherche d'objectifs doit évidemment s'accompagner d'une évaluation encore plus sérieuse, ce qui prouve la nécessité de ce continuum entre la recherche fondamentale et l'innovation, qu'il s'agisse d'innovation thérapeutique, d'innovation préventive face aux menaces en matière d'environnement ou de toute autre forme d'innovation.

Il nous faut avoir de l'ambition pour la recherche, afin que nos chercheurs aient les moyens de travailler, tout en s'inscrivant dans la grande tradition française de la recherche. En effet, ce qui fait la qualité de notre recherche, c'est qu'elle possède tout à la fois des références - cette formidable mémoire qui nous renvoie aux plus grands chercheurs des trois derniers siècles, dans ces domaines où la France excelle et montre toute sa dimension intellectuelle et culturelle - et l'aptitude à relever les grands défis de notre époque.

Je ne saurais terminer sans remercier le Sénat d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat qui a permis aux uns et aux autres d'exposer leurs points de vue, mais aussi de formuler des propositions.

Nous sommes à la veille d'une réforme, voire de deux, puisque la loi organique relative aux lois de finances constituera une incitation très forte à appréhender sur le plan budgétaire, mais aussi sur le plan de l'action publique et de l'action de l'Etat, ...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui, c'est très important !

M. François d'Aubert, ministre délégué. ... de façon plus intelligente et rationnelle, la question de la recherche en utilisant, ce qui est fondamental, des indicateurs d'efficacité.

A l'approche de ces grands rendez-vous que sont le projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche, la nouvelle organisation budgétaire et le projet de loi de finances pour 2005, il était important que ce débat ait lieu, et je tiens à vous en remercier encore une fois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien, monsieur le ministre !

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quinze heure, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)