PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport d'activité pour 2002 de la commission nationale d'évaluation relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, établi en application de l'article L. 542-3 du code de l'environnement.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

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POLITIQUE DE LA MONTAGNE

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 6.

M. Jean-Paul Amoudry appelle l'attention de M. le Premier ministre sur les conclusions et propositions formulées par la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne dans son rapport rendu public le 16 octobre 2002.

En effet, si les travaux conduits par la mission depuis le mois de février dernier ont souligné l'infinie diversité des territoires des montagnes de France, qui couvrent 28 % du territoire et regroupent 13,5 % de la population de notre pays, ils ont également mis en évidence de très nombreuses caractéristiques communes aux terres d'altitude.

Ces points communs et les préoccupations qui en découlent apparaissent comme autant de questions urgentes posées aux responsables politiques dans des domaines déterminants pour l'avenir des zones de montagne françaises :

- le niveau des soutiens publics à l'agriculture, inférieur à la moyenne nationale, et donc en totale contradiction avec les principes de légitime compensation du « handicap montagne » affirmés depuis plusieurs décennies par le législateur ;

- la préservation d'une activité industrielle, souvent fortement enracinée, qui aspire à continuer à vivre dans des territoires incapables de surmonter sans aide extérieure le handicap de l'enclavement, et qui ressentent un fort déficit de solidarité nationale ;

- la poursuite du développement touristique, freiné par l'absence des politiques fiscales et sociales adaptées à la saisonnalité et d'un véritable régime de la pluriactivité ;

- la quasi-inexistence de politiques nationales et européennes pour régler la question de la traversée des massifs frontaliers, ce qui inflige aux populations sédentaires les nuisances induites par la croissance du trafic routier sans perspective d'amélioration ;

- l'absence de concertation avec les responsables locaux, constatée dans certaines initiatives environnementalistes, telle la réintroduction du loup, au mépris d'activités ancestrales, comme le pastoralisme, entretenant ainsi le sentiment que les « grandes » décisions concernant la montagne relèvent d'un processus centralisé ;

- la lente, mais apparemment inéluctable, disparition de services - publics, médicaux et privés - qui, dans beaucoup de massifs, entraîne puis accroît la dévitalisation démographique ;

- l'excès de rigueur, enfin, dans l'application des dispositions d'urbanisme de la loi « montagne », devenue la pomme de discorde permanente entre élus locaux et représentants de l'Etat.

Aussi, il demande à M. le Premier ministre de bien vouloir lui faire connaître les initiatives et les mesures que le Gouvernement qu'il dirige entend engager, pour répondre aux interrogations et aux légitimes inquiétudes des élus, responsables et populations des départements de montagne, et pour leur apporter l'aide et le soutien qu'ils attendent afin de relever les défis auxquels ces territoires sont confrontés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Jean-Paul Amoudry, permettez-moi de me féliciter du fait que la conférence des présidents ait inscrit, sur mon initiative, cette question orale à l'ordre du jour de notre séance mensuelle réservée.

Ce débat nous donnera l'occasion d'un échange fructueux, du moins je l'espère, entre le Sénat et le Gouvernement sur la politique de la montagne, qui, ne l'oublions pas, est l'un des piliers de la politique d'aménagement du territoire, laquelle fera bien sûr l'objet d'un prochain débat.

Avec cette question orale, chacun d'entre nous et vous-même, monsieur le ministre, aurons la possibilité de prendre position sur les propositions de la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne, conduite par nos collègues M. Jacques Blanc, président,...

M. Jean Chérioux. Bravo !

M. le président. ... et M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur.

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. le président. Une fois de plus, notre assemblée affirme son rôle de contrôle, d'évaluation et de prospective, qui est et doit être la seconde nature du Sénat, comme j'aime à le rappeler très souvent.

La recherche d'une meilleure articulation entre les travaux d'information des commissions et des missions d'information et la séance plénière doit être notre préoccupation constante. La séance publique, permettant à tous les groupes d'intervenir, donne une résonance particulière aux rapports d'information, fruit d'un travail de terrain - j'en ai été le témoin - dont la qualité honore l'ensemble des membres de notre assemblée.

Au vu de ce débat, il appartiendra aux auteurs du rapport d'information de concrétiser leurs réflexions dans une proposition de loi, qui serait le dernier volet du « triptyque » de la méthode sénatoriale : réflexion en amont, débat en séance - ce que nous faisons aujourd'hui - et discussion législative, avec le dépôt, que j'espère prochain, d'une proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Jean Chérioux. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry, auteur de la question.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez et ainsi que cela vient d'être rappelé, le Sénat a entrepris, l'an dernier, un travail de réflexion en profondeur sur la montagne.

Partant du constat que, depuis une vingtaine d'années, sont intervenus tant d'événements nouveaux d'ordre climatique, sociologique ou politique, sur le plan européen en particulier, les promoteurs de cette initiative sénatoriale ont voulu, d'une part, mettre en débat l'actualité de la loi du 9 janvier 1985 et, d'autre part, dresser le bilan de son application, et plus généralement de l'ensemble des politiques de la montagne.

C'est ainsi que notre Haute Assemblée a institué une mission d'information, présidée par notre collègue Jacques Blanc et dont j'ai eu l'honneur de rapporter les travaux.

Anticipant le voeu de notre mission, le président Poncelet a exprimé très tôt, lors de la venue de notre mission dans les Vosges, son intention d'organiser le débat qui nous réunit aujourd'hui. Je veux donc vous remercier très vivement, monsieur le président Poncelet, de cette initiative, ainsi que les ministres - tout particulièrement vous-même, monsieur Hervé Gaymard - qui, autour du chef du Gouvernement, veulent bien porter une attention particulière à nos travaux et, plus largement, aux dossiers relatifs à la montagne.

La question que, au nom du groupe « montagne » du Sénat, j'ai adressée à M. le Premier ministre et que je souhaite développer ici s'inscrit naturellement dans la continuité et l'esprit du rapport de la mission.

Cette question rappelle que, par-delà leur extrême diversité géographique, climatique, naturelle et humaine, nos massifs présentent de nombreux points communs et partagent des problématiques qui constituent autant de questions posées aux responsables politiques, dans trois grands domaines : le patrimoine naturel, l'économie et l'aménagement du territoire.

J'aborderai, tout d'abord, le patrimoine naturel. Il comporte, à nos yeux, trois dimensions : sa mise en valeur, sa protection et la prévention contre les risques naturels.

S'agissant de la valorisation de cette inestimable richesse, la mission d'information a illustré sa position par les exemples de l'eau et de la forêt.

En ce qui concerne l'eau, il lui paraît urgent de mettre en place des schémas de gestion pour les hauts bassins versants fondés sur le dialogue et la solidarité des riverains à tous les niveaux du bassin. Les questions liées aux conflits d'usage de l'eau trouveront ainsi plus facilement et plus naturellement des solutions.

A cet égard, il serait opportun qu'à l'heure du développement durable et de la diversification des ressources énergétiques soit reconsidérée la fiscalité pesant sur l'hydroélectricité. Cette dernière fournit 14 % de la production électrique nationale, mais ses perspectives sont freinées par le poids des taxes, qui représentent environ 40 % du coût de la production.

S'agissant de la forêt de montagne, dont la multifonctionnalité doit être garantie, la mission préconise notamment l'accroissement des moyens d'intervention foncière des communes et associations forestières, l'amélioration des conditions d'exploitation et la mise en place d'un véritable soutien à la filière bois.

Pour ce qui est de la protection des espaces naturels, notre mission affirme la nécessité de substituer aux procédures d'interdit et de zonage des démarches concertées avec les élus locaux, se traduisant par des objectifs de gestion contractualisés.

Trop souvent, en effet, les décisions prises en matière d'environnement relèvent de centres de décisions anonymes, centralisés, et donnent aux montagnards le sentiment qu'ils ne sont concernés par ces mesures que pour les appliquer. On comprend donc aisément que la protection des milieux naturels ait entraîné tant d'affrontements.

C'est pourquoi, et à titre d'exemple, les parcs nationaux gagneraient à être gérés par les collectivités, sur la base de conventions passées avec l'Etat.

S'agissant de Natura 2000, dont le manque de transparence des procédures est souvent fortement critiqué, la mission demande la mise en oeuvre de règles et pratiques conventionnelles, associant les acteurs locaux à la gestion d'un environnement qui les concerne.

Ainsi pouvons-nous espérer tourner enfin la page de ces affrontements pour ouvrir celle du dialogue et de la responsabilité partagée, dans le cadre de politiques partenariales.

La prévention et la maîtrise des risques naturels est une autre question particulièrement sensible en montagne.

Dans ce domaine, il apparaît nécessaire de renforcer les moyens du service de restauration des terrains en montagne, dont la dimension interministérielle devrait être reconnue, et d'associer plus largement les responsables locaux à des plans de prévention des risques plus fréquemment établis sur le territoire.

J'en viens à l'économie.

Depuis toujours, en ce domaine, les montagnards doivent surmonter des handicaps particulièrement lourds, qu'avait bien identifiés la loi de 1985.

S'agissant de l'agriculture, activité la plus ancienne, intimement liée à la culture et aux valeurs de la montagne, force est de constater que le principe de compensation des handicaps n'a pas été appliqué.

Rappelons simplement, pour illustrer ce constat, que les aides à l'hectare en montagne sont inférieures à celles qui sont accordées ailleurs, et qu'à une époque où les politiques agricoles sont plus que jamais soucieuses de santé, de qualité des produits et de respect du milieu naturel les agriculteurs de montagne, qui satisfont le plus souvent à ces préoccupations, perçoivent néanmoins des revenus de 20 % à 30 % inférieurs à la moyenne nationale.

Ces écarts devraient néanmoins être réduits grâce aux mesures que vous avez récemment prises, monsieur le ministre, et dont, avec les agriculteurs de montagne, nous vous savons gré.

De ce dossier essentiel, que d'autres orateurs après moi ne manqueront pas de traiter de manière experte et plus approfondie, je voudrais relever simplement trois questions qui, parmi d'autres, conditionnent l'avenir de l'agriculture de montagne.

Tout d'abord, des assurances sont attendues quant à la pérennité des quotas laitiers, avec un dispositif d'affectation prioritaire à l'installation des jeunes agriculteurs.

Ensuite, une clarification dans l'application du décret « montagne » du 15 décembre 2000 est ardemment souhaitée, en même temps qu'un soutien à la politique des filières de production.

Enfin, il apparaît injuste que l'agriculture de montagne, caractérisée par une grande majorité d'élevages de taille petite ou moyenne, ayant réalisé d'importants efforts de qualité, n'ait pu, à de rares exceptions près, bénéficier des financements d'Etat prévus au titre de la maîtrise des pollutions d'origine agricole. Une plus grande équité est légitimement réclamée en ce domaine.

Le tourisme constitue le deuxième grand secteur d'activité en montagne.

Activité économique essentielle, il a permis de fixer des populations qui, sans lui, étaient vouées à un exode que la politique de rénovation rurale menée entre 1960 et 1970 a permis d'endiguer.

Or, après une période de forte croissance au cours des décennies soixante-dix et quatre-vingt, des courbes de développement plus irrégulières apparaissent.

En effet, alors qu'au milieu de la décennie quatre-vingt-dix la montagne était au second rang des destinations touristiques, toutes saisons confondues, elles est devenue, en 2000, la quatrième destination derrière la mer, la campagne et la ville.

Les raisons avancées le plus souvent pour expliquer cette préoccupante évolution sont : une concurrence plus âpre due à la mondialisation du tourisme ; l'évolution rapide et profonde des attentes de la clientèle ; l'accessibilité de la montagne ; l'aléa climatique et ses effets sur l'enneigement ; le coût des séjours ; enfin, une forte diminution du nombre de classes de neige, qui jouaient anciennement un rôle fondamental pour développer le tourisme d'hiver auprès des jeunes générations.

Pour relever tous ces défis, collectivités et professionnels du tourisme doivent - et je pense qu'ils y sont prêts - déployer de nouveaux efforts, mais ceux-ci ne produiront leur plein effet que s'ils sont accompagnés d'une adaptation du cadre juridique du tourisme en montagne et de mesures appropriées.

Ainsi la mission préconise-t-elle l'élaboration de plans de réorganisation, ou de reconversion des centres touristiques de moyenne montagne, associant l'Etat et les collectivités locales. Cette démarche est nécessaire pour sauvegarder l'offre de formation destinée aux skieurs, mais aussi pour préserver la fonction d'aménagement du territoire et le rôle économique et social de ces sites touristiques. Dans cette perspective, il serait utile que l'Etat consente un effort financier particulier de recherche et d'ingénierie pour la montagne.

Par ailleurs, nous avons suggéré que les contraintes juridiques puissent être réformées et allégées. Je pense en particulier à la procédure des unités touristiques nouvelles, les UTN, dont les modalités sont inadaptées à des opérations modestes par leur ampleur, mais pourtant indispensables pour la vie au pays.

Il apparaît également nécessaire de réviser la législation applicable aux conventions de délégation de service public dans le domaine des remontées mécaniques, où se heurtent les principes de maîtrise publique issus de la loi « montagne » et ceux de libre concurrence tirés de la loi dite « Sapin ».

De même, il serait opportun de réformer l'article 53 de la loi du 9 janvier 1985, relatif aux servitudes applicables aux propriétés privées situées sur les domaines skiables, pour résoudre les difficultés rencontrées par les activités de ski nordique et de ski alpin.

S'agissant du coût des séjours, de meilleures conditions pourraient être proposées en exploitant mieux les potentiels touristiques, ce qui nécessite un meilleur étalement des vacances par un aménagement du calendrier scolaire, y compris à l'échelle européenne.

En outre, la mission estime que la neige de culture est une solution utile pour limiter les effets des aléas climatiques, notamment en début et en fin de saison, et pour sécuriser le domaine skiable. Naturellement, cette pratique, largement en usage dans les stations concurrentes des pays européens voisins, doit veiller à respecter les équilibres naturels.

Enfin, il apparaît que l'activité touristique est fortement pénalisée par l'absence d'une politique fiscale adaptée, en particulier dans le domaine de la transmission des entreprises hôtelières saisonnières, comme par les difficultés à mettre en oeuvre un véritable régime de la pluriactivité. Nous savons d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous êtes familier de ces questions et que vous connaissez mieux que quiconque la pluriactivité, et sa particulière complexité.

J'en arrive au troisième grand secteur d'activité économique : l'artisanat et l'industrie.

On a trop tendance à oublier que nos montagnes recèlent de fortes traditions artisanales et industrielles, qui ont contribué à la prospérité de notre pays.

Or, plus qu'ailleurs, ce secteur souffre, en montagne, de l'éloignement et de l'enclavement, ces handicaps étant aujourd'hui plus pénalisants que jamais en raison des impératifs liés à l'ouverture des marchés et à la concurrence.

Réclamé très fréquemment sur le terrain et traduisant un sentiment de déficit de solidarité nationale, le désenclavement est devenu la condition sine qua non de nombre d'activités économiques. Celles-ci conditionnant le maintien de la présence humaine dans les vallées et sur les massifs, on mesure l'importance d'une véritable politique de desserte par le rail, la route, les liaisons aériennes et les réseaux d'information.

En résumé, l'avenir économique et social en montagne repose sur une réelle politique d'aménagement du territoire.

Définir une telle politique nécessite à nos yeux la définition d'objectifs clairs dans cinq domaines, en particulier : les communications, la situation des collectivités locales, les services publics et privés, l'urbanisme, et les institutions.

S'agissant des communications, je ne reviendrai pas sur l'enjeu fondamental que représente leur qualité pour nos activités économiques comme pour l'équilibre des territoires montagnards.

Puis-je demander que soit portée une attention toute particulière à tous les dossiers de désenclavement routier et autoroutier, et que les freins multiples qui les paralysent soient levés ?

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Jean-Paul Amoudry. Ce qui est vrai de l'accessibilité de nos massifs l'est aussi de la politique de transport et de traversée des massifs proches de nos frontières où sont ressentis, d'une part, l'insuffisance, voire l'absence de réelle politique des transports ainsi qu'un défaut de vision à la dimension des massifs, et, d'autre part, une absence de recherche d'équilibre entre le ferroviaire et le routier.

Cette carence inflige aux populations sédentaires des nuisances causées par une forte croissance du trafic routier sans laisser entrevoir, à échéance raisonnable, des perspectives de solutions alternatives susceptibles d'apaiser les tensions locales.

De grandes infrastructures, telles les liaisons par TGV Lyon - Turin et Perpignan - Figueiras, s'imposent.

J'illustrerai mon propos par l'exemple du projet Lyon - Turin. Comme l'a souligné la déclaration commune des huit départements et des villes-centres de la région Rhône-Alpes, le projet de ligne TGV Lyon - Turin « représente, par ses capacités structurantes, un aménagement majeur pour l'Europe, la France et l'Italie ». En effet, la construction de ce « maillon manquant » du réseau à grande vitesse européen nord-sud et est-ouest permettra d'améliorer très sensiblement l'accessibilité des principaux pôles économiques et de structurer les territoires français et sud-européen. Au-delà, cette réalisation constitue une urgente nécessité pour sécuriser le transport de marchandises dans les Alpes et protéger l'environnement.

Le drame du tunnel du Mont-Blanc et les difficultés rencontrées depuis lors ont démontré la nécessité de ré-équilibrer les transports entre la France et l'Italie au bénéfice du rail. Or la future ligne TGV permettra d'acheminer entre 40 et 60 millions de tonnes de fret par an dans un contexte de forte croissance du trafic poids lourds transalpins et de saturation, dès 2015, de la ligne ferroviaire existante.

En outre, cette liaison permettra de protéger les sites exceptionnels que sont les vallées alpines françaises et italiennes, aujourd'hui saturées par le trafic routier.

Enfin, ce projet présente un intérêt majeur pour le transport de voyageurs, à la fois par la desserte du pôle intermodal de Lyon-Saint-Exupéry et pour la fréquentation touristique dans les Alpes du Nord.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaitons que les engagements pris lors du sommet du Turin, en novembre 2001, soient confirmés et qu'une solution de financement puisse être mise en place dès cette année.

Pour clore ce chapitre des communications, je veux souligner les handicaps que connaît la montagne, encore trop souvent privée de connexion au réseau Internet à haut débit et de desserte par la téléphonie mobile. Celles-ci apparaissent comme le bon moyen, pour les activités existantes, de s'affranchir des contraintes géographiques et, pour les activités nouvelles utilisant ces technologies, de s'implanter en montagne. Là encore, la montagne a un retard à rattraper !

J'évoquerai maintenant la situation des collectivités locales. Avec l'appui des départements, les communes de montagne remplissent une fonction irremplaçable de service de proximité et de maintien du lien humain et social. Or, confrontées aux lourdes charges de gestion de territoires ouverts, à titre exclusif ou accessoire, aux populations citadines, ces collectivités manquent des moyens suffisants.

Pour que soit réellement pris en compte l'engagement de ces collectivités dans la conservation d'un patrimoine naturel considérable, les collectivités de montagne pourraient bénéficier, en particulier, d'une réforme des critères d'attribution des dotations de l'Etat, par exemple en retenant des références superficiaires.

J'en viens au maintien des services, lesquels - nous en avons tous conscience - conditionnent la survie des communautés de montagne.

S'agissant des services publics fondamentaux, tels que l'école ou La Poste, notre mission plaide pour une prise de conscience de la nécessité d'assurer leur maintien, le cas échéant par des solutions innovantes. A cet effet, elle propose d'améliorer le cadre de définition des besoins de service public, ce qui pourrait se traduire par l'élaboration de contrats d'objectifs entre l'Etat et les collectivités.

Les services privés, qu'ils soient médicaux, commerciaux ou artisanaux, méritent, dans les régions les plus menacées de dévitalisation, des mesures courageuses et innovantes, peut-être de type zones franches, et une adaptation de la loi d'urbanisme, dont la traduction rigoureuse, notamment du fait des décisions de la juridiction administrative, peut contribuer au déclin de certains secteurs.

Il est d'ailleurs symptomatique que bien souvent, dans l'esprit de nos concitoyens, la loi « montagne » soit exclusivement associée à la problématique de l'urbanisme et synonyme d'interdits. Cela tend à prouver que les leviers qu'elle avait instaurés pour favoriser l'auto développement, pour compenser les handicaps, pour promouvoir une politique d'équilibre entre développement et environnement, ont peu ou insuffisamment fonctionné.

M. Raymond Courrière. C'est clair !

M. Jean-Paul Amoudry. En revanche, les règles d'encadrement de la construction n'ont pas permis une gestion sereine du droit de l'urbanisme. Un contentieux extrêmement abondant, de nombreuses incompréhensions et la remise en cause de droits acquis nous incitent à proposer des aménagements et des assouplissements dans ce domaine.

M. Raymond Courrière. Oui !

M. Jean-Paul Amoudry. Ces propositions seront développées dans quelques instants, en particulier par M. Pierre Jarlier. En citant ainsi notre collègue élu du Cantal, membre de notre mission d'information et nouveau président de l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM, l'occasion m'est donnée de saluer l'engagement assidu et le travail de qualité accompli par tous les membres de la mission d'information et de les en remercier chaleureusement, ainsi que les conseillers et les administrateurs du Sénat qui ont apporté un précieux concours à nos travaux.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous le bénéfice des développements attendus de M. Jacques Blanc, président de la mission d'information, et de nos collègues, les principales questions recensées par notre mission et quelques-unes de nos propositions pour rénover notre politique en faveur de la montagne et pour favoriser un « développement équilibré dans un environnement préservé ».

Cette nouvelle dynamique, monsieur le ministre, est conditionnée par un préalable et suppose de prendre en compte trois grandes dimensions.

En préalable, la France doit reconnaître officiellement la spécificité de la montagne et, ainsi, le bien-fondé d'une politique adaptée.

Les trois dimensions qui déterminent cette nouvelle dynamique sont les suivantes : tout d'abord, la recherche et la formation, pour faire de la montagne le terrain d'expériences novatrices et tendre aussi souvent que possible vers un niveau d'excellence ; ensuite, la décentralisation, en souhaitant que les travaux du Sénat prennent place dans le processus engagé par le Gouvernement et l'enrichissent ; enfin, la dimension européenne, pour obtenir la reconnaissance de la spécificité de la montagne dans l'Union ; Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute aux attentes ainsi exprimées et, d'avance, de votre réponse, que nous attendons avec le plus grand intérêt. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est au président de la mission d'information.

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'excellente intervention de M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la mission, je souhaite, en tant que président non seulement de cette mission mais aussi du groupe d'études sur le développement de la montagne, témoigner de l'important travail accompli par l'ensemble des membres de la mission, qui se sont rendus dans tous les massifs. Je citerai tout d'abord M. Amoudry auquel je tiens à rendre hommage, mais aussi notre collègue président de l'ANEM, M. Pierre Jarlier, qui a été en partie à l'origine de cette idée, nos collègues des Pyrénées, notamment M. Cazalet, qui nous ont montré les ours, ou presque (Sourires), Mme André, qui nous a accompagnés, et M. Hérisson, qui nous a apporté le fruit de son expérience dans les télécommunications.

Nos collègues ont donc beaucoup travaillé. Et je dois dire, pour être tout à fait honnête, que le président de cette mission d'information a été très impressionné par la qualité de ce travail, lequel a été grandement facilité par les administrateurs du Sénat, auxquels je tiens ici à rendre hommage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe CRC.)

M. le président. Je m'associe à ces compliments, mon cher collègue.

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Lors de nos visites dans les massifs, nous avons tous beaucoup appris et avons eu le grand bonheur d'être toujours accueillis de manière très chaleureuse, en particulier par le président du conseil général des Vosges (Exclamations et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE), qui nous a consacré toute une journée et nous a permis de découvrir ce merveilleux département qu'il aime et pour lequel il se mobilise.

M. Jean-Claude Carle. Bravo ! (Sourires.)

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Il nous avait assuré que tout serait fait pour qu'un débat soit organisé ; ce débat a lieu, et je l'en remercie donc.

M. le président. Merci, monsieur le président !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Voyez-vous, en montagne, on dit ce que l'on pense et ce que l'on ressent. Pour ma part, j'ai vraiment ressenti un grand bonheur. Et permettez-moi d'avoir une pensée pour celle qui fut avant moi présidente du groupe d'études sur le développement de la montagne, Mme Bardou, sénateur de la Lozère, et qui, pour des raisons de santé, ne s'est pas représentée. Cela m'a permis de siéger au Sénat et d'y découvrir un rythme de travail n'ayant rien à envier à celui de l'Assemblée nationale : pour avoir été député pendant vingt-huit ans, je puis dire que l'on travaille ici dans des conditions plus sereines mais à un rythme parfois accéléré, et c'est ce que nous avons vécu au sein de cette mission d'information.

M. Adrien Gouteyron. Moins d'agitation et plus de détermination !

M. le président. Vous allez améliorer nos relations avec l'Assemblée nationale ! (Sourires.)

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Nous faisons un travail sérieux, avec la volonté qu'il débouche. Et dans le domaine qui nous intéresse pour l'instant, nous avons une immense chance, monsieur le ministre, celle de vous avoir !

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Merci !

M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Auditionné par la mission d'information, vous avez tenu à cette dernière non pas des propos artificiels, mais un message fait de tout ce que vous portez en vous-même, de votre expérience riche et forte de président de conseil général - et c'est un président de région qui le dit ! Je tiens ici à vous rendre hommage, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement.

M. Henri de Raincourt. Eh oui !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. En effet, se voyant remettre par nos soins, à Gap, ce rapport, qui est épais,...

M. Adrien Gouteyron. Oui !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... M. le Premier ministre a mesuré l'ambition qu'il porte - et j'ai quelques raisons de pouvoir affirmer ici que ce n'était pas dans sa bouche des paroles artificielles - d'une politique nouvelle de la montagne, non pas une politique dictée par une vision étroite tendant à répondre simplement aux attentes des montagnards - et Dieu sait si elles sont légitimes ! -, mais une politique tendant à répondre au besoin d'un équilibre nouveau en France,...

M. Raymond Courrière. On verra !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... dans un monde où la perte des valeurs spirituelles engendre des angoisses existentielles.

Le besoin pour les hommes de se réconcilier avec eux-mêmes en retrouvant un environnement naturel de qualité, en harmonie avec ce qu'ils ont au fond d'eux-mêmes, me paraît essentiel. La politique de la montagne doit répondre à notre détermination de maintenir la vie dans ces zones de montagnes, dans le respect de l'environnement, et de garantir un développement durable. Elle doit viser à l'équilibre dans l'aménagement de notre territoire. Il y a là - cela ressort des travaux de la mission d'information - une véritable exigence, presque un impératif national, au moment où - et c'est une chance extraordinaire - le Gouvernement lance la décentralisation afin que puisse s'exprimer « la France d'en bas », expression aucunement péjorative, car il y a des élites, des acteurs économiques, sociaux, culturels, partout et pas seulement à Paris - je tiens d'ailleurs à saluer les sénateurs parisiens, pensant à Montmartre qui est un peu une montagne parisienne (Sourires) -, cette France d'en bas que l'on entend rarement et à qui il faut permettre d'apporter une contribution à la construction de notre pays en répondant au besoin de proximité. Hier, d'ailleurs, lors d'une journée exceptionnelle, nous avons entendu M. le président du Bundesrat et M. le président du Bade-Wurtemberg rappeler l'exigence de la subsidiarité : or cette subsidiarité est importante non seulement entre l'Europe et les différents Etats mais aussi à l'intérieur de notre pays.

Nous avons l'immense chance que M. le Premier ministre et son gouvernement, sous l'impulsion et selon la volonté de M. le Président de la République, ait lancé la décentralisation. Celle-ci nous conduira naturellement, monsieur le ministre, à positionner la montagne.

Je prendrai un seul exemple : les comités de massif qui sont aujourd'hui présidés par des préfets -, soyez assurés que je les respecte -, ne répondent pas à l'attente et aux besoins qui sont ressentis partout. En revanche, si on les transforme en instruments de coopération interrégionale ouverts aux départements et ouverts au secteur socio-économique, on pourra leur donner la dimension naturelle de moteur dans le développement de nos massifs et même leur assigner - mais mon collègue Pierre Jarlier y reviendra sans doute - un rôle dans les grandes directives d'urbanisme.

Nous sommes donc à un moment où la France s'engage résolument dans la décentralisation. Or, parallèlement, l'empilement des décisions, la complication des mécanismes, l'inadaptation des évolutions législatives aux réalités de la montagne aboutissent à un blocage et à une attente.

Aussi, face à cette situation, nous qui voulons la réforme dans ce pays - et je sais que vous la souhaitez aussi, monsieur le ministre -, nous pensons qu'il y a plusieurs voies pour progresser et pour créer une nouvelle dynamique par rapport à la montagne.

La première voie consisterait à vous demander le dépôt d'un projet de loi global que nous soutiendrions si nous y retrouvions les éléments fondamentaux de notre rapport et qui serait susceptible de répondre à la forte attente que suscite la question. Ce n'est pas forcément la solution la plus rapide.

La seconde voie consisterait, dans la mesure où le Gouvernement nous a annoncé une série de projets de loi, à ce que ces derniers reconnaissent tous la spécificité de la montagne, de façon à satisfaire nos demandes.

Vous avez annoncé - et je connais votre détermination sur ce point, monsieur le ministre - un projet de loi sur la ruralité. Si ce dernier prenait en compte la spécificité de la montagne - la ruralité, ce n'est pas la montagne, mais la montagne est un élément de la ruralité -, il pourrait alors constituer une réponse rapide.

De même, les textes sur la décentralisation peuvent, à l'évidence - je l'évoquais à propos des comités de massif -, traduire, eux aussi, la reconnaissance de cette spécificité. Ce peut être également le cas des textes sur l'urbanisme, qui sont déjà presque prêts, ou de textes sur l'environnement, sur lesquels nous fondons beaucoup d'espoir.

Le Gouvernement a donc le choix - et nous respectons sa liberté - entre deux voies : soit déposer un projet de loi global, soit prendre en compte, sans la banaliser, la réalité de la montagne à travers différents textes.

Pour ma part, j'estime, en accord avec le groupe d'études du Sénat sur le développement de la montagne que j'ai l'honneur de présider, que si votre choix, monsieur le ministre, se porte sur le dépôt de projets de loi multiples comportant des mesures spécifiques pour agir plus vite et mieux, cette solution serait compatible avec la préparation d'une proposition de loi qui donnerait une cohérence à l'ensemble. Seraient ainsi manifestement exprimées la volonté politique - elle est noble - qui nous anime et notre détermination à agir dans les trois grands secteurs qui viennent d'être évoqués.

En fonction des réponses que vous nous donnerez, monsieur le ministre, et que nous respecterons, notre mission d'information adoptera la démarche la plus adaptée, faisant comprendre à chacun que le rapport qu'elle a déposé n'est pas destiné à rester dans les bibliothèques, mais qu'il nous engage dans une voie nouvelle pour redonner du sens à une politique globale de la montagne.

J'en viens au volet européen de la politique de la montagne.

Tout d'abord, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous féliciter de votre capacité à vous battre sur les dossiers européens et, en particulier, à résister au mouvement que certains voudraient peut-être induire en Europe, mouvement consistant à abandonner petit à petit une vraie politique agricole commune.

Hier, la Commission a sorti - ou ressorti - un certain nombre de ses propositions. Nous sommes au coeur d'un grand débat européen. Mais nous vous faisons confiance pour défendre notre agriculture.

La célébration du quarantième anniversaire du traité de l'Elysée nous a conduits, bien entendu, à nous projeter vers cette nouvelle Europe que nous attendons et dont nous avons besoin. Mais elle ne peut pas se faire par l'abandon de ce qui a été le ciment de l'Europe, de ce qui a été la première des politiques européennes communes, je veux parler de la politique agricole commune. (M. Adrien Gouteyron applaudit.)

J'affirme, pour ceux qui l'auraient oublié, que c'est grâce à cette politique agricole commune que l'Europe a cessé de paraître lointaine, que c'est grâce à elle que l'Europe est parvenue à l'autosuffisance et que de véritables atouts ont été donnés à l'aménagement du territoire.

Le « pétrole vert » de la France - pour employer les termes utilisés par le président Giscard d'Estaing à Vassy - est une réalité qui doit rester vivante. A l'époque, on avait expérimenté une première monnaie européenne, on l'a oublié, comme on a oublié que l'euro est une réussite. A ce propos, si l'on reprenait les discours que certains ont prononcé, voilà seulement quinze ou seize mois, on serait un peu surpris !

On avait donc expérimenté des mécanismes de monnaie avec la monnaie verte. Ce fut l'époque difficile des montants compensatoires monétaires, qu'il nous a fallu démanteler à un moment où le mark montait et où le franc baissait un peu. J'en ai passé, des nuits, aux côtés de Pierre Méhaignerie, à discuter avec M. Hertel, ministre allemand, sur ce démantèlement des montants compensatoires monétaires !

La politique agricole a enraciné l'Europe. Vous la défendez, et nous vous faisons confiance.

L'élargissement de l'Union européenne, qui constitue un atout, va conduire, dans des délais rapides, à une refonte des politiques européennes : politique agricole et politiques régionales.

Or, monsieur le ministre, il semble que l'Europe s'oriente vers une concentration de ses crédits sur ce que l'on appelle des régions, des zones ou des territoires à handicaps naturels permanents. Il est donc indispensable que la spécificité de la montagne soit reconnue au niveau européen.

N'oublions pas, d'ailleurs, qu'il revient à l'Europe d'avoir mis en place, pour la première fois, sur l'initiative d'un ministre de l'agriculture qui a marqué notre pays, puisque c'était Jacques Chirac, la prime à la vache tondeuse. Il s'agissait en fait d'une mesure agri-environnementale. Les pseudo-intellectuels un peu fatigués qui voudraient nous donner des leçons d'écologie, qui oublient que les agriculteurs sont les premiers gardiens de l'environnement, devraient s'en souvenir.

On a commencé à aider l'élevage en montagne pour empêcher que les sols ne se dégradent. C'est ainsi qu'est née l'indemnité spéciale montagne, devenue l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, l'ICHN. Vous vous êtes d'ailleurs engagé, monsieur le ministre, à vous mobiliser pour que cette indemnité soit revalorisée et nous sommes très sensibles à cet engagement.

Ainsi, à l'échelon européen, en jouant à la fois sur la politique agricole, sur le deuxième pilier, ainsi que sur l'évolution de la politique régionale, la France pourra faire reconnaître la spécificité de la montagne si elle-même a reconnu cette spécificité.

Vous permettrez au président du conseil régional du Languedoc-Roussillon, sénateur de la Lozère, c'est-à-dire du seul département a être exclusivement classé en zone de montagne, de regretter que ce département ait été quelque peu maltraité. Il faudra veiller à l'avenir à ce que la montagne ne soit pas écartée des primes d'aménagement du territoire.

M. le président. Très bien !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Il faudra concevoir des processus adaptés. En effet, quand on enlève la Lozère de certains mécanismes pour mettre à la place des grandes villes, on ne peut plus parler de politique d'aménagement du territoire ! Mais ce reproche ne s'adresse pas à vous, monsieur le ministre.

Par ailleurs, si 60 % du territoire du Languedoc-Roussillon est en zone de montagne, il ne faut pas oublier son rivage littoral. Je pense qu'un combat doit être mené pour que, dans la nouvelle politique régionale, la montagne d'un côté, les zones périphériques et maritimes de l'autre, soient reconnues comme zones prioritaires et bénéficient des fonds européens !

Soyons clairs en la matière ! L'objectif 5 B concernait la montagne. Le transformer pour y inclure un peu tout a été un coup terrible pour les zones de montagne. Nous fûmes peu nombreux à dénoncer le procédé. Il est tellement plus facile de dire que l'on va accorder des crédits importants à une ville pour réaliser un grand projet que de parler du « saupoudrage » de la politique de la montagne !

On le sait très bien, en montagne, ce sont de multiples opérations qui permettent de maintenir la vie ; je pense aux actions de défense du patrimoine naturel, de développement économique, de développement agricole ou touristique, de soutien aux petites et moyennes entreprises, d'entretien des équipements de base.

M. Amoudry a certes bien fait de rappeler les grands besoins de communication et d'évoquer le TGV reliant Turin à Barcelone. Mais je dirai pour ma part que les problèmes d'adduction d'eau ou d'assainissement sont parfois tout aussi majeurs. Il n'est pas de bon ton d'en parler, parce que cela fait un peu rural, mais ce sont de vrais problèmes. Vous les connaissez d'ailleurs, monsieur le ministre, parce que vous les avez traités.

A cet égard, permettez-moi, en cet instant, d'aborder un sujet dont on parle peu mais qui a été cité dans le rapport. Le premier concerne la santé.

Au cours des visites que j'ai effectuées dans les différents massifs, j'ai pris conscience du risque qu'il y avait pour les populations de montagne d'être privées de médecins,...

M. Adrien Gouteyron. Eh oui !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... voire d'infirmières. Il en va ainsi dans le Cantal, monsieur Jarlier,...

M. Adrien Gouteyron. Dans la Haute-Loire !

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. ... dans la Haute-Loire, effectivement, en Lozère, dans chaque massif montagneux.

Une nouvelle approche des besoins des services de santé est donc indispensable pour résoudre les problèmes de réseau, les problèmes d'entente entre les cliniques privées et les hôpitaux.

Par ailleurs, la vocation climatique de la montagne, sa vocation d'accueil des personnes les plus lourdement handicapées doivent être reconnues.

Ne prendre en compte que les pourcentages entre le nombre de lits et la population revient à nier cette vocation d'accueil sanitaire et social. Or la montagne a un effet bénéfique sur ceux qui y viennent.

Cette vocation d'accueil crée - c'est vrai - de la vie et de l'emploi, mais quand, à Font-Romeu, on voit les jeunes enfants retrouver une respiration normale, quand on visite les établissements qui accueillent les multi-handicapés, comme celui qui existe en Lozère, on mesure l'ampleur de la générosité des femmes et des hommes de la montagne, qui, les premiers, se sont mobilisés au service de ces handicapés, et on se dit qu'on n'a pas le droit, au nom de ratios, de remettre en cause cette mission d'accueil sanitaire et social.

Nous demandons donc la mise en oeuvre d'une politique nationale en faveur de la montagne, la reconnaissance de la montagne dans les politiques européennes et que soit donnée une réponse aux attentes des femmes et des hommes qui ont besoin de garder cette montagne non pas seulement intacte, mais protégée.

Je terminerai mon intervention par ce voeu : faisons de la montagne un modèle de développement durable !

Cela signifie qu'il ne faut pas accumuler les interdictions permanentes et qu'il faut faire confiance aux élus de la montagne. Pourquoi les maires de montagne seraient-ils plus suspects que d'autres ? Pourquoi ne pas admettre qu'ils sont suffisamment sensibilisés aux questions environnementales pour ne pas faire n'importe quoi, conscients qu'ils sont de posséder un capital naturel qu'il leur appartient de protéger ?

Car c'est cela la richesse de la montagne ou, plutôt, des montagnes, parce qu'elle sont diverses, vous le savez bien, et nous avons essayé, dans nos travaux, de refléter cette diversité. Mais elles ont aussi des points communs, et c'est sur eux que nous avons voulu, monsieur le ministre, non pas attirer votre attention, car elle était déjà forte, mais accroître votre détermination.

La mission d'information sur la montagne, consciente de ses responsabilités, a donc fait preuve d'initiative. M. le président a parlé, lui, tout à l'heure de « prospective ».

Notre assemblée est vigilante sur tout ce qui se déroule autour d'elle. Elle est capable de porter des idées et de répondre aux préoccupations du monde moderne. Or le monde moderne a besoin de la montagne. A cet égard, je sais, monsieur le ministre, que l'on peut compter sur vous et sur le Gouvernement. Sachez qu'une volonté forte anime également le Sénat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport qui a été déposé par la mission d'information mérite d'être reconnu comme un document de grande qualité, en raison tant des constats établis que des nombreuses pistes proposées. Certes, celles-ci doivent être approfondies, et c'est dans ce sens que les groupes de travail qui se mettent actuellement en place vont engager leur réflexion.

Je tiens tout d'abord à saluer l'excellente ambiance qui a régné au sein de la mission et à relever la disponibilité, l'écoute dont a fait preuve notre rapporteur, M. Jean-Paul Amoudry.

Je n'ai pas la prétention, dans le temps qui nous est imparti aujourd'hui, d'aborder tous les problèmes ni d'entrer dans le détail de ceux que je vais développer. Je m'exprimerai donc sur des sujets plus spécifiques au Massif central et, plus particulièrement, au Puy-de-Dôme, département dont je suis l'élue.

Faut-il se réjouir de lire dans le rapport que le Massif central et le massif corse sont les moins favorisés des massifs français ? Non, bien sûr, mais nous savons tous que de nombreux Auvergnats, Creusois, Ardéchois, Aveyronnais et autres montagnards du Massif central se sont résignés à partir ailleurs gagner une vie que la dureté des saisons et de la terre rendait âpre.

Etre maçons, marchands de bois et charbon, patrons de bistrots à Paris, certains d'entre eux l'avaient bien sûr choisi. Mais le monde paysan a grandement subi la saignée de la Grande Guerre, comme en témoignent aujourd'hui les monuments aux morts de nos villages. Les femmes ont alors tenté d'assurer au mieux, souvent seules, les travaux de la ferme.

Qui mieux que moi peut comprendre les générations de femmes qui ont choisi ensuite de quitter cette terre pour les villes, même si, comme le chante Jean Ferrat, c'était parfois seulement pour « du formica et du ciné » ? En fait, c'était déjà pour l'emploi. Lorsque des jeunes femmes quittent le pays pour trouver mieux ailleurs, un meilleur confort, des mentalités plus évoluées, il est bien facile de comprendre que l'hémorragie ne pourra que s'amplifier, qu'en tout cas elle ne s'arrêtera pas toute seule.

Le Massif central s'est désertifié ; il est peuplé de personnes plus âgées, souvent de femmes seules. Il suffit de constater les difficultés que connaissent certains conseils généraux, notamment ceux de la Creuse ou du Cantal, devant l'impossible bouclage de leur budget en raison de la forte demande d'APA, d'allocation personnalisée d'autonomie, pour en avoir la preuve.

Y avait-il moyen de faire autrement ? Y a-t-il encore aujourd'hui moyen de faire autrement ? Je prétends que oui si, ensemble, décideurs économiques et politiques, nous savons faire les bons constats et regarder les problèmes avec réalisme.

L'emploi féminin est une question pertinente : il s'agit de l'appréhender non pas comme une mode dont certains avaient espéré qu'elle passerait, pas plus qu'en tant que salaire d'appoint, comme certains le considèrent avec un brin de dédain ou de distance, mais comme un élément central, dynamique et favorable au secteur tertiaire, dans les domaines notamment du tourisme, de la santé et de l'action sociale.

Il arrive que des cadres d'entreprise ou de la fonction publique reçoivent comme une punition ou une catastrophe une affectation en zone de montagne. Je me souviens des réactions qui se sont manifestées lorsque le CEMAGREF, le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, fut délocalisé à Clermont-Ferrand, dont l'agglomération compte pourtant 250 000 habitants et est située en plaine.

Si l'on analyse au fond les raisons de ces refus ou au moins de ces réticences, on trouve l'emploi de l'épouse du cadre, parfois elle-même cadre dans une autre entreprise ou un autre secteur. J'ai vu de brillants universitaires quitter l'Auvergne devant l'impossibilité pour leur épouse de trouver un emploi. Voilà une piste sérieuse, de l'importance de laquelle je voudrais vous convaincre : il faut accorder une égale importance à l'emploi des femmes qu'à celui des hommes.

Je suis sûre que nous aborderons ainsi avec moins de résignation les questions de la démographie, de la carte scolaire et, d'une manière générale, les questions sur lesquelles je veux plus particulièrement réfléchir avec vous.

Sans négliger le devenir du thermalisme ou du tourisme, qu'il soit d'hiver ou d'été, dont, j'en suis sûre, nous reparlerons, je voudrais plus précisément aborder quelques points touchant à l'agriculture, aux services publics et privés d'offre commerciale et artisanale, d'urbanisme, de communications, en y associant la téléphonie mobile, le haut débit et, enfin, sujet typique du Massif central, les sections communales, au sujet desquelles je vous promets de ne pas tout dire parce que ce serait, pour le coup, beaucoup trop long.

En ce qui concerne l'agriculture, bien sûr, la montagne est cause de surcoût d'exploitation et de moindre rendement, mais elle est parfois le dernier moyen d'empêcher la désertification.

Il faut reconnaître que bien des agriculteurs trouvent peu motivant et parfois bien triste de vivre uniquement sur les aides publiques et qu'ils ne souhaitent pas devenir de simples « entreteneurs » de paysages, même si cela rend service au tourisme.

L'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, qui fait souvent l'objet d'une politique volontaire des conseils généraux - en tout cas c'est le cas de celui du Puy-de-Dôme - mérite d'être évoquée.

J'insisterai d'abord sur la nécessité de revoir les taux bonifiés, pour les rendre encore plus incitatifs.

Une politique de gestion foncière permettant les installations doit être également envisagée. La vitalité dont sont aujourd'hui porteuses les communautés de communes peut être un puissant moteur en la matière.

Une véritable politique de la forêt doit en outre être entreprise. Le Massif central est la première réserve de bois en France. Or les trois millions de mètre cubes d'accroissement naturel ne sont pas exploités ; il y a pourtant là un gisement potentiel d'environ 10 000 emplois.

Il convient également de favoriser les produits agricoles de qualité. Ne l'oublions pas, les deux tiers des fromages d'appellation d'origine contrôlée sont produits en montagne. L'image des produits de montagne doit donc être encore mieux valorisée. La dégustation à laquelle certains d'entre nous ont participé hier soir dans vos salons, monsieur le président, est un bon exemple de ce qu'il faut faire à cet égard.

Les producteurs qui se regroupent pour atteindre un poids économique suffisant dans les négociations avec les distributeurs ou pour mettre au point des solutions de distribution directe méritent d'être soutenus. Je pense au lait qui est, en montagne, par définition, un produit de qualité mais qui a impérativement besoin du maintien des quotas.

J'en viens aux services publics et privés, à l'offre commerciale et artisanale.

C'est une banalité de dire que, du fait de déplacements plus importants, liés à un habitat dispersé, le commerce et l'artisanat supportent certains surcoûts. Cela est vrai dans toutes les zones rurales, mais, en montagne, les conditions climatiques et l'enclavement rendent les contraintes à cet égard encore plus importantes. Dans certaines zones de certains départements, les déplacements s'évaluent plus en temps qu'en distance. Je pense au Cézallier, au Livradois-Forez ou aux Combrailles, mais nous avons tous des exemples en tête.

Le petit commerce est fragile. Or le consommateur automobiliste n'est pas toujours conscient qu'il ne peut exiger la présence d'une épicerie à côté de chez lui pour le dépanner s'il va faire habituellement ses courses dans la moyenne ou la grande surface du chef-lieu de canton ou de la sous-préfecture, où il pense trouver des produits moins chers !

Je crois qu'il faut décentraliser la gestion du FISAC, le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, pour accélérer et mieux adapter les procédures.

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Très bien !

Mme Michèle André. Lorsque l'épicerie de Miremont, commerce multiple de la commune, veut étendre sa surface de quelques mètres carrés pour mieux servir de point Poste - il n'y en a plus à dix kilomètres à la ronde - et de dépôt de pressing, la question pourrait être plus rapidement traitée au niveau local.

M. Adrien Gouteyron. Certes !

Mme Michèle André. Nous le savons bien, ces points multiservices, pour peu que les gérants soient dynamiques et s'adaptent au pays, deviennent un des derniers lieux de rencontre pour les habitants.

La question de la transmission des commerces, et surtout des entreprises artisanales, est tout à fait préoccupante.

Le département du Puy-de-Dome a mené, en collaboration avec la chambre des métiers, une étude cartographique qui montre le bien-fondé de cette préoccupation et prouve la plus grande fragilité des zones d'altitude. Des mesures ont certes été prises, mais elles méritent d'être accompagnées. Pourquoi ne pas envisager une dotation à l'installation des jeunes commerçants, comparable à la prime à l'installation des jeunes agriculteurs ?

Les départements aident souvent à l'investissement pour l'acquisition ou la rénovation de camions adaptés aux tournées. En effet, l'institution de normes, même si l'on en comprend la justification, a accéléré l'abandon de cette pratique commerciale par certains commerçants proches de l'âge de la retraite.

Je ne dirai que quelques mots des services publics, sachant que d'autres collègues y reviendront plus amplement.

Nous sommes là devant un cercle vicieux : on ferme le bureau de poste faute de clients suffisamment nombreux, ce qui dissuade l'installation de nouveaux habitants ou encourage le départ des anciens résidents. La polyvalence est une réponse qu'ont déjà utilisée nombre de maires ruraux des départements de montagne avec, il faut le reconnaître, plus ou moins de succès. Je pense qu'il faut malgré tout persévérer dans ce sens.

Ce dont nous entendons le plus souvent parler, c'est de règles d'urbanisme, de complications, de tracasseries et d'incompréhension entre les services de l'Etat et les maires. Les communes ont plus ou moins publié leurs documents d'urbanisme, mais elles font état de situations parfois ubuesques. Je suis sûre, monsieur le ministre, que vous connaissez des exemples de telles situations. Les nouvelles dispositions ne sont pas toujours adaptées à la spécificité de la montagne. Elles placent les futurs habitants dans l'insécurité juridique.

J'évoquerai le cas d'un jeune couple ayant deux enfants qui a déposé une demande de permis de construire dans le village natal d'un des parents. La commune en question perd progressivement ses habitants permanents, qui ne sont plus aujourd'hui qu'au nombre de 260. Les deux parents ont une activité professionnelle à proximité et les deux enfants sont en âge d'aller à l'école. Perdant l'espoir de voir leur demande traitée, ils s'apprêtent aujourd'hui à partir pour la ville la plus proche, ce qui risque de précipiter la fermeture d'une classe.

Il est temps de préciser et d'harmoniser, par la voie de règlements et de circulaires, un certain nombre de notions - continuité, adaptation, réfection, extension limitée, patrimoine naturel, hameaux, etc. - utilisées dans la loi « montagne » et qui ne sont pas adaptées à la moyenne montagne. La loi « montagne » était destinée à protéger les zones naturelles de haute montagne. Je me demande parfois s'il ne nous faudra pas envisager de légiférer pour protéger la vie humaine dans les zones de moyenne montagne.

MM. Raymond Courrière et Claude Domeizel. Très bien !

Mme Michèle André. Ainsi, le principe de continuité n'est guère adapté au Massif central, où certains secteurs ne sont pas exploités par l'agriculture. Il faudrait nuancer et permettre aux conseils municipaux d'autoriser les constructions pour lutter contre le dépeuplement, comme nous l'avons proposé récemment dans un amendement tendant à modifier l'article L. 111-1-2 du code de l'urbanisme.

J'aborderai maintenant la question des communications.

Certes, la situation du Massif central en matière de liaisons routières et aériennes a évolué dans un sens favorable. Mais faut-il se satisfaire des trois heures quinze de train encore nécessaires aujourd'hui pour aller de Paris à Clermont-Ferrand ou des deux heures trente que représente le trajet entre Clermont-Ferrand et Lyon ? Assurément non !

L'aéroport d'Aulnat, quant à lui, a prospéré. Nous avons salué, il y a quelques jours, son millionième passager, mais des rumeurs persistantes, non démenties par les faits, font craindre la perte du hub qu'avait bâti Regional Airlines, avant sa reprise par Air France, alors qu'il permet de relier entre elles un certain nombre de villes moyennes, qui l'apprécient beaucoup.

Par ailleurs, si une certaine impatience se manifeste quant à l'ouverture de l'autoroute A 89 vers Bordeaux et, au sud, s'agissant de la mise en service du viaduc de Millau, on peut dire aujourd'hui que le Massif central n'est plus isolé. Cela dit, aller de Clermont-Ferrand à Limoges, c'est encore « faire un voyage » !

Reste un défi de taille : l'accès au haut débit pour les entreprises déjà présentes ou pour celles qui pourraient s'implanter à l'avenir. Il y a là un véritable enjeu pour nos zones de montagne.

L'exemple du CETIR, le centre européen des technologies de l'information en milieu rural, lancé par notre collègue Josette Durrieu dans les Hautes-Pyrénées, est à méditer pour des zones de piémont et de moyenne montagne : conseils, pépinières et incubateurs d'entreprises pourront ainsi trouver leur place dans nos zones.

Il faut inciter au développement des réseaux, tenir l'objectif du précédent gouvernement d'équiper toute la France en haut débit en 2005 et, bien sûr, achever l'équipement en téléphonie mobile. On ne peut se contenter de la couverture annoncée de 80 % des habitants : il faut arriver à 100 % des territoires.

J'en viens au problème des sections communales, casse-tête qui concerne particulièrement le Massif central. Il y a ainsi plus de mille sections communales dans le Puy-de-Dôme.

Deux types de biens sectionnaux doivent être distingués : ceux qui procurent des revenus - estives, forêts, carrières - et les autres. Il faut clarifier la nature juridique de la section, définie précisément l'habitant et l'ayant droit. Devant la masse des problèmes à résoudre, il semble évident que ces sections n'ont plus aujourd'hui leur raison d'être et que leurs patrimoines devraient être transférés aux communes.

M. Jacques Blanc, président de la mission d'information. Très bien !

Mme Michèle André. Le groupe de travail départemental du Puy-de-Dôme a déposé, à ce sujet, de très intéressantes conclusions que je ne peux énumérer ici mais que je tiens à votre disposition.

Je conclurai en évoquant quelques points qui méritent de retenir l'attention, à notre niveau et à d'autres.

Quid de la fin des fonds européens de soutien spécifique à la montagne, prévue pour 2006 ?

Il est impératif d'étudier les problèmes de la moyenne montagne dans leur réalité et, à ce titre, de considérer le Massif central avec ses atouts et ses handicaps.

Notre comité de massif a besoin de véritables moyens humains et financiers. A défaut, cet outil, qui pourrait être intéressant, n'est qu'une coquille vide, car il ne rencontre aucune réalité concrète.

Au moment où les régions signent les contrats de plan, il est indispensable de bâtir, pour le Massif central, un projet qui ne soit plus l'addition de contrats de région, mais bien un programme où les aspects sociaux, économiques et culturels seront pris en compte de manière plus globale. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je m'associe à l'hommage qui a été rendu devant l'ampleur du travail effectué et les perspectives d'une amélioration de la politique de gestion de la montagne. Cependant, je n'approuve pas la totalité des propositions issues de ce travail.

La montagne, avec ses sommets et ses paysages de toute beauté, est un endroit privilégié pour des milliers de personnes, qui y trouvent un lieu de détente et d'évasion. Elle est un espace propice à la contemplation esthétique et au partage. Toutefois, si la richesse de ses milieux naturels est irremplaçable, elle est aussi et surtout un lieu de vie pour une partie de notre population.

La politique de la montagne se doit donc de prendre en considération ces différents aspects et de reconnaître ainsi la spécificité des zones de montagne.

La notion de développement durable peut nous aider à mieux appréhender cette spécificité, qui comporte trois volets : économique, social et environnemental. Aujourd'hui il ne tient qu'à nous de considérer la montagne d'un point de vue global, pour en faire à la fois un lieu de vie et un espace naturel. Je rejoins ainsi les conclusions de la mission, qui préconise « un aménagement équilibré et harmonieux du territoire, dépassant l'affrontement stérile opposant les défenseurs exclusifs de l'environnement aux partisans acharnés d'un développement exponentiel, afin de prendre en compte les besoins des générations futures ».

Pour autant, je n'adhère pas à certaines propositions qui tendraient, à mon avis, à réduire l'équilibre entre les espaces naturels et les espaces aménagés et à favoriser un développement exagéré de l'urbanisation et du tourisme. Ces propositions laissent penser que chaque décision peut s'appliquer uniformément à toutes les situations. Elles remettent en cause le fondement même de la loi « montagne » de 1985.

Je préconise pour ma part, un assouplissement de cette loi. Il faut rappeler qu'elle avait été votée dans un contexte particulier, caractérisé par une urbanisation à outrance, irrespectueuse de l'environnement. Si la loi s'avère rigide et qu'elle s'applique de manière stricte pour certains aspects, elle reste sans effet pour d'autres.

Aujourd'hui, la prise de conscience collective du caractère vital de notre environnement devient compatible avec l'activité économique et permet d'envisager une révision de cette loi « montagne ».

Je vous rejoins, monsieur Amoudry, lorsque vous proposez de soutenir le tourisme comme vecteur du développement local, permettant de donner un second souffle à de nombreuses communes isolées de montagne.

Cependant, une importance excessive donnée au tourisme se révèle néfaste pour l'ensemble des populations et pour l'environnement. Les UTN, les unités touristiques nouvelles, ont joué jusqu'à présent leur rôle de régulateur, mais on peut envisager aujourd'hui, dans certains cas, un assouplissement à cet égard. Toutefois, l'assouplissement des procédures ne doit pas vider de sa substance la philosophie des UTN, à savoir la préservation de l'environnement alliée à la rentabilité économique du site concerné. Dans cette perspective, je proposerai un soutien actif aux stations de moyenne altitude, qui sont confrontées à une pénurie de neige.

Il serait vain, et contraire à l'objectif de développement durable, de continuer à soutenir les seules activités de neige : le réchauffement climatique et la remontée de l'altitude moyenne de l'enneigement qui en découle, l'extension des domaines skiables et, en France, une offre supérieure à la demande ont entraîné une utilisation de plus en plus importante des canons à neige.

Je rappelle que l'Organisation des Nations unies a proclamé l'année 2003 « année internationale de l'eau douce ». L'ONU, les gouvernements et tous les autres acteurs s'engagent ainsi, cette année, à améliorer la prise de conscience de l'importance de l'utilisation durable, de la gestion et de la protection de l'eau douce. Or l'utilisation trop fréquente des canons à neige va à l'encontre de cette orientation.

La France se doit de favoriser et de promouvoir une meilleure gestion intégrée des ressources en eau, en développant, entre autres, les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE.

Néanmoins, il est impératif de soutenir ces stations, dans un objectif de diversification de leur offre d'activités, ce qui correspond d'ailleurs aussi à une demande croissante du public. Pour cela, il faut, dans un premier temps, réaliser un bilan de l'existant, massif par massif. Il convient de prendre en compte leurs spécificités et les structures déjà présentes. Dans un second temps, il faut évaluer la demande potentielle pour réaliser les structures manquant à chacun des sites, afin qu'ils deviennent complémentaires. Cela nécessite une organisation à l'échelle du territoire, qui permettrait à ces stations non pas de survivre mais de se développer, et répondrait également au besoin d'implanter des activités nouvelles, enjeu réel pour le développement de la montagne.

Par ailleurs, vous proposez de lever l'obligation de construire en continuité et à une certaine distance des berges des lacs de montagne. Or il me semble que de telles mesures ne peuvent s'appliquer systématiquement à tous les sites : chaque situation doit être étudiée dans une perspective de développement durable et d'intérêt général. C'est pourquoi, plutôt que de lever cette obligation, il me semblerait plus judicieux de l'aménager en intégrant une clause d'exception. Elle autoriserait certaines constructions qui répond à des critères permettant une préservation des espaces et milieux naturels ; une valorisation des ressources naturelles, tout en prenant en compte les risques naturels, fréquents en zone de montagne. Cette proposition fait simplement écho à l'introduction de votre rapport, monsieur Amoudry.

Je voudrais aborder maintenant la gestion forestière.

Vous le savez, les forêts ont deux fonctions : de production, d'une part, et de protection, d'autre part.

La forêt de protection joue un rôle majeur sur le plan écologique : contention ou limitation de différents phénomènes naturels, préservation d'espèces végétales et animales très variées, ce qui lui confère également une fonction culturelle. Il faut reconnaître cette utilité ; pourquoi pas par la mise en oeuvre d'une aide aux propriétaires ? Ce geste permettrait d'ailleurs d'être plus exigeant quant à l'entretien de la forêt.

Pour ce qui est de la fonction productive, la prise en compte du handicap « montagne » dans la gestion de la forêt est une étape nécessaire pour rentabiliser les activités concernées. Pourquoi ne pas envisager de relancer des programmes prenant en compte la difficulté des zones de montagne, tels les programmes « compétitivité plus » ?

En outre, l'une des résolutions prises à Johannesburg met l'accent sur le développement des énergies renouvelables. A ce titre, la forêt de montagne ouvre des perspectives intéressantes. Il faut donc non seulement conforter les financements de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, en faveur de projets soutenant le bois-énergie, comme vous le proposez, mais également organiser un réel partenariat entre l'ADEME et les différents acteurs de cette filière, favorisant ainsi une meilleure gouvernance locale.

Vos propositions, dans leur ensemble, me paraissent répondre à cette volonté. J'émettrai toutefois une réserve sur l'une d'entre elles : le droit de préemption au profit des communes, compte tenu de la charge financière que cela représente. La commune qui ferait jouer ce droit doit pouvoir s'appuyer sur l'aide de l'Etat, quels que soient les développements de la décentralisation.

S'agissant maintenant de la protection du patrimoine naturel, vous proposez de déléguer, par voie de convention, la gestion des parcs nationaux aux collectivités territoriales. Cette proposition, qui s'inscrit dans le cadre de la décentralisation, doit être mise en oeuvre avec prudence.

En effet, même si cette mesure correspond à une volonté de gestion des parcs au plus près de leurs activités, cela ne doit pas se faire à leur détriment. Les collectivités territoriales et les régions qui deviendraient ainsi les délégataires, effectivement plus proches des réalités du terrain, mais également soumises à certaines pressions, risqueraient alors de rendre des arbitrages allant à l'encontre de l'intérêt général.

Par ailleurs, à travers son engagement, pris également lors du sommet de Johannesburg, de préserver la diversité biologique, la France a une obligation, au regard de la planète, de développer et de préserver ses parcs nationaux naturels. Il ne faut pas occulter le fait que les parcs nationaux sont un bien public et qu'ils doivent le rester, ils contribuent au rayonnement international de la France.

C'est pourquoi l'Etat se soit d'être le garant de l'unité nationale afin d'être au-dessus d'arbitrages régionaux, tout en menant une action différenciée pour prendre en compte l'hétérogénéité des territoires. Les parcs nationaux doivent donc demeurer dans le domaine de compétence de l'Etat, l'enjeu étant d'y associer plus étroitement les collectivités et les régions.

Concernant les propositions relatives à l'agriculture, vous dénoncez le niveau insuffisant des soutiens publics à ce secteur, dérogeant ainsi aux principes mêmes de légitime compensation du handicap « montagne » ; or c'est à ce titre que l'agriculture de montagne doit bénéficier d'un droit spécifique, afin qu'elle puisse se développer. En effet, l'agriculture de montagne, tout en fournissant des produits de qualité, assure la pérennité des espaces naturels et des paysages remarquables.

Je rappelle que l'agriculture de montagne doit pouvoir s'appuyer sur une agriculture de plaine en parfaite santé et qu'il faut lier, tout en les différenciant, ces deux activités.

Ainsi le soutien à l'agriculture doit-il passer, en premier lieu, par la préservation des terres agricoles et par la reconquête de nouvelles zones face à l'urbanisation croissante. Bien que je sois d'accord avec vous, vos propositions, devront intégrer les modifications relatives à la transformation des contrats territoriaux d'exploitation en contrats d'agriculture durable. En outre, elles n'auront de valeur que si des moyens financiers suffisants sont dégagés pour permettre leur réalisation. Pourquoi ne pas envisager la mise en oeuvre d'une « charte d'engagement », énonçant clairement les objectifs et les moyens consentis par l'Etat ?

Mais l'urbanisation croissante n'est pas la seule source d'inquiétude pour les agriculteurs de montagne : le retour naturel du loup en est une autre. Il faut impérativement trouver un compromis entre l'intérêt des éleveurs et la préservation de cette espèce animale. Autrement dit, il serait souhaitable de réguler la reproduction du loup, ainsi que le préconise la convention de Berne. Dans le même temps, il conviendrait de redéfinir le mode de pâturage en intégrant cette nouvelle réalité, la présence du loup, et en promouvant un nouveau système pastoral, fondé sur un encadrement plus important du troupeau. La mise en oeuvre de ce nouveau système doit, bien entendu, s'accompagner, pour les éleveurs, d'une aide financière et technique.

J'aborderai maintenant les propositions relatives à la pluriactivité.

Je me félicite des propositions émises dans ce rapport, notamment en termes de formation, de possibilités de multi-affiliation et de développement des groupements d'employeurs, qui profitent tant à l'employeur qu'aux saisonniers.

Par ailleurs, en matière de logement, j'approuve les propositions du rapport de M. Anicet Le Pors et le programme d'actions qui en découle, notamment la création de 6 000 logements ou places. En effet, l'une des grandes difficultés que rencontrent les saisonniers itinérants est le logement.

Ce nouveau prolétariat du tourisme, composé pour la plupart d'une population jeune et peu qualifiée, loue souvent chez son employeur ou connaît des conditions d'accueil précaires, paie des loyers très élevés tandis que son droit au logement est souvent bafoué. L'activité touristique étant particulièrement rentable, il est normal que tous ceux qui produisent cette richesse soient logés dans des conditions dignes.

En outre, faciliter l'accès au logement pour les saisonniers permettrait de pallier les difficultés de recrutement auxquels les employeurs sont confrontés.

A la difficulté d'obtenir un logement s'ajoutent les problèmes liés au salariat et à la protection sociale.

Vous proposez de rétablir le temps partiel annualisé, le TPA or ce type de contrat, supprimé par la loi Aubry, est contraire à l'intérêt des saisonniers. D'une part, il ne donne pas plus droit à l'indemnisation au titre du chômage que les contrats de travail intermittent et, d'autre part, il crée une grande dépendance des employés à l'égard de leurs employeurs. Je regrette le déficit de réflexion sur ce point.

Il faudrait permettre l'amélioration de l'indemnisation du chômage en prévoyant une indemnité de fin de contrat accompagnée d'une formation, afin de professionnaliser et de valoriser ce type d'emplois.

Enfin, la question de l'encadrement médical des saisonniers se pose de façon aiguë et suppose son renforcement. En effet, la majeure partie des employés ne bénéficie d'aucun suivi médical du fait de la multiplicité des employeurs. De par leurs conditions de vie, ces personnes sont fragilisées et, comme le montrent certaines enquêtes, souvent touchées par la drogue ou par l'alcool.

J'aimerais aussi évoquer la question du statut des médecins de montagne. Leurs conditions d'exercice sont difficiles et ils sont confrontés à la diversité des actes médicaux.

Lors de son passage à Gap, le 17 janvier dernier, M. Mattei a indiqué, en réponse aux revendications des médecins de montagne, qu'il fallait mettre en oeuvre une structure médicale appropriée qui serait à la charge financière des communes, des communautés de communes et des collectivités.

Dans le domaine primordial de la santé, la spécificité de la montagne et les liaisons difficiles compliquent l'exercice de la médecine. Mais, là comme ailleurs, l'Etat se doit de répondre aux exigences de la santé publique.

En ce qui concerne le soutien à l'artisanat, à l'industrie et au commerce, les propositions ne sont pas, me semble-t-il, à la hauteur du défi à relever. Le problème de l'infrastructure n'est pas suffisamment abordé alors que le développement économique passe obligatoirement par une bonne desserte locale, comme l'a d'ailleurs dit M. Amoudry.

En outre, le développement économique dépend étroitement de l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication C'est un enjeu vital pour l'avenir du territoire lui-même. L'Etat doit prendre en compte, là encore, la spécificité de la montagne en assurant l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication dont ces territoires sont exclus.

La réflexion sur l'artisanat de montagne n'est pas développée. A ce titre, il me semble que l'activité du bâtiment, notamment, devrait être soutenue, car elle offre de nombreuses perspectives de développement.

Le cas du commerce de proximité n'est pas non plus abordé.

Vous avez souligné la lente disparition des services publics dans ces territoires. Souvent, du fait du désengagement de l'Etat, les communes en sont réduites à assumer financièrement le surcoût d'un service relatif à l'éducation à la santé ou à La Poste. Si on empêche la population de montagne d'avoir accès aux services publics, on risque d'assister à une désertification de ces régions. Pourquoi développer le tourisme, l'artisanat, l'agriculture,... si aucun effort n'est engagé pour maintenir la population ?

Je vous rejoins sur ce constat et sur certaines de vos propositions, notamment celles qui portent sur les dotations de l'Etat. Mais il me semble que l'on peut pousser plus loin la réflexion en proposant des « régies de territoire ».

Cet outil, inspiré du fonctionnement des régies de quartier, a pour objet de répondre aux besoins de ceux qui tentent de construire des dispositifs de gestion concertée.

Cette régie est un réel dispositif partenarial qui s'inscrit dans la construction d'un développement local durable et dans l'économie solidaire en associant les trois démarches suivantes : une démarche de coordination tendant à articuler différents partenaires en coopération et en compétition pour rendre des services d'intérêt général, une démarche d'entreprise visant à compléter l'offre de services sur le territoire et, enfin, une démarche de solidarité afin de stimuler les partenaires et le lien social, notamment à faire une place aux personnes en difficulté.

La mise en place de régies de territoire peut permettre le maintien de certains services publics dans des lieux où ils sont aujourd'hui en recul. Il faudrait alors s'interroger sur les modalités de leur mise en oeuvre à travers, peut-être, une Maison des services publics.

En conclusion, vous l'aurez compris, mon intervention va dans le sens d'un assouplissement de la loi « montagne » de 1985, qui est trop rigide sous certains aspects, mais qui doit continuer à jouer son rôle de régulateur.

Il ne faut pas perdre de vue que tous les volets de la loi « montagne » sont en étroite corrélation entre eux.

Nous devons donc adopter une vision globale et procéder à une analyse cohérente pour réaliser un aménagement des territoires de montagne harmonieux et viable.

Cette démarche implique impérativement la prise en compte de la spécificité des massifs dans le respect de l'hétérogénéité des populations et des territoires.

Cette reconnaissance nationale d'un droit différencié doit aboutir à une reconnaissance européenne des zones de montagne.

Dans une perspective de développement durable, la montagne doit rester un lieu de vie, de partage et de détente pour notre génération, mais aussi pour les générations futures.

A mon sens, les élus locaux et les collectivités locales constituent bien évidemment le vecteur le plus approprié pour mettre en oeuvre cette loi de façon cohérente et rationnelle. Je ne saurais terminer mon intervention sans souligner leur importance.

Toujours en prise directe avec la réalité quotidienne de la population, ils sont le relais permanent entre les instances de l'Etat et leur territoire. Les femmes et les hommes de nos montagnes ont une expérience et ils ont engagé des réflexions qu'il faudra intégrer dans les orientations politiques futures qui présideront à l'avenir de la montagne.

Il s'agit d'un patrimoine national dont la préservation et le développement sont devenus un enjeu de civilisation supranational : l'Etat doit prendre ses responsabilités face aux enjeux de ces territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.

M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l'avenir de la montagne est particulièrement d'actualité et il est opportun au terme de l'année internationale de la montagne et dans le prolongement des initiatives prises par le Sénat.

L'année 2002 aura permis, un peu partout dans le monde, de franchir une étape décisive dans une prise de conscience universelle des enjeux que représente la montagne pour notre société.

Mais, dans notre pays, c'est le Sénat qui a été au tout premier plan de cette reconnaissance, grâce à votre volonté, monsieur le président, grâce à la mobilisation de la mission d'information de la Haute Assemblée autour du président Jacques Blanc, de notre rapporteur Jean-Paul Amoudry et de tous les sénateurs qui s'y sont associés, mais aussi de tous les élus de la montagne rassemblés au sein de l'ANEM, l'Association nationale des élus de la montagne.

Le rapport qui nous a été présenté se fait l'écho des attentes et des réflexions attendues par l'ensemble des élus locaux et des acteurs de terrain.

Cette mobilisation collective a été d'autant plus forte que ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est l'identité même de la montagne, la pérennité de son économie et de sa tradition agricole ainsi que sa capacité à s'ouvrir à de nouvelles perspectives de développement. Car la montagne n'est pas seulement une réserve naturelle dans laquelle la notion de développement durable serait associée à un immobilisme dicté par la seule loi de la protection.

Les massifs de montagne sont, d'abord, des territoires habités, riches de leurs cultures et des savoir-faire des hommes et des femmes qui ont choisi d'y vivre et qui ont droit - comme ceux qui habitent ailleurs - à un développement équitable résolument inscrit dans la modernité.

L'enjeu est donc clair pour nous les montagnards : c'est la conception d'une nouvelle notion du développement durable fondée sur l'équité et sur l'égalité des chances, un développement certes durable mais aussi équitable de nos massifs.

Ce nouveau projet, dont les montagnards doivent incarner l'ambition et conserver la maîtrise, est fondé non seulement sur un renforcement du rôle des collectivités locales et des acteurs locaux, mais aussi sur un partenariat renforcé avec l'Etat, dans un cadre décentralisé et contractualisé.

Pour donner cette nouvelle chance à la montagne, une relance de la politique de la montagne est devenue urgente, grâce à un nouveau cadre législatif, et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, la situation de certains massifs est très préoccupante. C'est le cas de la moyenne montagne, qui est confrontée à un risque de fracture territoriale avec le déclin démographique, le retrait des services, la faiblesse des revenus, le poids de charges territoriales insupportables pour les collectivités.

Ensuite, il convient de remédier au déséquilibre entre la protection et le développement.

La loi « montagne » de 1985 était considérée comme une loi de développement. Mais, au fil des ans, la protection a pris le pas sur l'incitation au projet et nous sommes parvenus le plus souvent à une opposition génératrice de nombreux conflits entre promouvoir et contrôler, entre protéger et développer.

Les collectivités ont perdu peu à peu la maîtrise de l'aménagement de leur territoire alors même qu'elles disposent souvent des compétences nécessaires en matière d'urbanisme et de gestion de l'espace.

Enfin, la troisième raison qui justifie une relance de la politique en faveur de la montagne est le désengagement progressif de l'Etat.

Dans le passé, la montagne bénéficiait de fonds d'intervention spécifiques. Mais ces fonds ont été dilués peu à peu dans les fonds d'aménagement du territoire ouverts aussi - malheureusement - à d'autres secteurs.

Relancer la politique de la montagne, c'est aussi remettre en chantier la loi « montagne » de 1985. Nous attendons beaucoup de vous sur ce point, monsieur le ministre, d'autant que le projet de loi sur le développement rural que vous proposez est déjà un signe fort.

Mais, si la montagne et la ruralité appartiennent à la même famille, la nature, elle, n'offre pas les mêmes conditions de vie dans le secteur rural et à la montagne.

Les attentes des populations, à la ville comme à la montagne, ont considérablement évolué et, dans le même temps, les exigences légitimes des montagnards en faveur d'un égal accès à la modernité sont aujourd'hui de plus en plus fortes et conditionnent désormais leur volonté de rester au pays au-delà même des opportunités d'emploi.

Enfin, l'environnement institutionnel de notre politique de montagne a aussi profondément évolué.

Sur ce point, les lois sur l'intercommunalité et sur l'aménagement du territoire ou la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains ont bouleversé l'organisation des territoires en suscitant de nouvelles logiques de projet territorial.

Il faut cependant que les collectivités bénéficient des marges d'action indispensables dans cette nouvelle logique, d'autant plus que la montagne est soumise à une forme de tutelle de l'Etat dans de nombreux domaines.

Nous savons que le Savoyard que vous êtes, monsieur le ministre, est déjà convaincu de ces attentes fortes. Nous comptons sur vous pour que, dans ce nouveau texte, la montagne soit identifiée comme un territoire spécifique de la ruralité.

Bien entendu, nous souhaitons que les acquis fondamentaux de la loi de 1985 soient maintenus, notamment, bien sûr, le droit à la différence.

Mais plusieurs priorités qui conditionnement une nouvelle chance pour la montagne se dégagent de nos débats.

J'en retiendrai six, qui rejoignent les conclusions de l'excellent rapport de Jean-Paul Amoudry. Il s'agit de l'accompagnement indispensable des grands défis économiques auxquels doit faire face la montagne ; de l'augmentation des responsabilités des collectivités et de la concertation avec les acteurs locaux pour la gestion des ressources de l'espace montagnard ; de l'égal accès aux services publics pour les populations de montagne ; de l'indispensable désenclavement de la montagne, qu'il soit routier, ferroviaire ou numérique, notamment en matière de téléphonie mobile et de lignes à haut débit, qui conditionnent souvent maintenant l'installation d'entreprises en montagne ; il s'agit encore de l'adaptation des ressources affectées par l'Etat aux collectivités de montagne pour tenir compte des charges territoriales auxquelles ces dernières ont à faire face ; il s'agit, enfin, du renforcement des politiques de massif, considérées comme de véritables outils de coordination interrégionale au service des collectivités, notamment des régions.

Pour compléter utilement le propos de notre rapporteur et en accord avec lui, je me limiterai à quelques précisions sur deux points particuliers : l'économie et l'urbanisme.

Au premier rang des grands défis économiques figure l'agriculture de montagne, dans le contexte de la mondialisation. L'enjeu est majeur, car il s'agit d'un pilier de notre économie, surtout en moyenne montagne. Le handicap de l'agriculture de montagne doit être reconnu et l'agriculture dans cette zone doit bénéficier d'un rééquilibrage des aides en sa faveur.

Je rappelle à cet égard que, en 1992, un agriculteur de montagne percevait une prime à l'hectare supérieure de 50 % à celle que percevait un agriculteur de la région parisienne. En 1999, il percevait une prime inférieure de 30 %.

L'ICHN, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, est un outil parfaitement adapté pour pallier ce déséquilibre, mais son mode d'attribution ne doit pas susciter de surenchère à l'agrandissement. Sur ce point, la revalorisation significative des 25 premiers hectares que vous avez engagée, monsieur le ministre, contribuera à favoriser le maintien des petites exploitations, qui sont les plus nombreuses chez nous.

De la même façon, la reconduction de la réévaluation cette année de la prime herbagère agri-environnementale de plus de 50 % a rassuré nos producteurs et sera de nature à réduire l'écart, encore trop important, entre les subventions aux différentes formes d'alimentation du bétail.

Mais, au-delà des nécessaires aides directes pour accompagner notre agriculture de montagne, la notion de projet d'exploitation contractualisé répond aujourd'hui parfaitement bien à la nécessaire adaptation de nos exploitations agricoles aux nouvelles attentes de la société. De très nombreux agriculteurs se sont engagés dans cette voie, tout en revendiquant un dispositif plus simple et moins contraignant.

Le nouveau contrat d'agriculture durable que vous proposez, monsieur le ministre, répond bien à ces attentes. Néanmoins, les surcoûts des investissements en montagne par rapport à la plaine justifient pleinement un plafond différencié du volet économique.

En bref, c'est un contrat d'agriculture durable adapté à la montagne que nous souhaitons.

Quant au PMPOA, le programme de maîtrise des productions agricoles, auquel a fait référence à l'instant M. Amoudry, il est paradoxal et incompréhensible. Alors que nos agriculteurs de montagne sont reconnus pour leur mode d'exploitation respectueux de l'environnement, ils sont exclus du champ du PMPOA 2 lorsqu'ils souhaitent mettre aux normes leurs bâtiments, notamment pour s'intégrer dans les filières de qualité qui aujourd'hui l'exigent.

J'en viens à l'installation des jeunes agriculteurs, qui reste le socle de la pérennité de notre agriculture de montagne.

La mise en place de prêts bonifiés associés à des démarches simplifiées et à de nouvelles conditions de transmission des exploitations aux jeunes agriculteurs serait de nature à favoriser les installations.

En effet, le nombre des installations diminue fortement et la surenchère sur les territoires primables empêche souvent le démarrage de nouvelles exploitations.

Enfin, et j'en terminerai par là au sujet de notre agriculture, le développpement des filières de qualité est une voie d'avenir pour que la valeur ajoutée sur les productions permette à nos agriculteurs de vivre de leur travail.

Cette démarche est capitale alors que les aides directes risquent d'être moins déterminantes lorsque vingt-cinq pays d'Europe en disposeront.

Dans le même sens, la reconnaissance du décret « montagne » par l'Europe et son adossement à des certifications de qualité permettront aux consommateurs d'identifier la différence positive de ces produits et d'accepter d'en payer le prix à l'étal.

Enfin, les agriculteurs, même organisés en coopératives, ont beaucoup de mal à développer ces filières, car les outils de transformation coûtent cher et nécessitent un appui très lourd en termes d'ingénierie, y compris pour le suivi des productions.

Dans ce domaine, de nouveaux partenariats entre les acteurs locaux pourraient être développés : les collectivités et l'Etat pourraient, dans un cadre contractuel, être associés aux projets de territoires locaux.

Pour terminer sur ce point, je voudrais souligner que les défis économiques à relever en montagne sont aussi d'ordre industriel et commercial.

Certains secteurs en grande difficulté, notamment en moyenne montagne, nécessitent que soient prises des mesures urgentes pour arrêter la désertification.

La mise en place des zones franches, à l'image des zones franches urbaines, ou de mesures fiscales spécifiques pourrait favoriser la création d'emplois et faciliter la transmission des entreprises, qui sont souvent fermées en raison de l'absence de repreneurs.

Cette démarche devrait s'accompagner - comme l'a souligné tout à l'heure M. le président de la mission d'information - d'une remise à plat du zonage pour la prime d'aménagement du territoire, la PAT, ou des aides en faveur de la revitalisation rurale. Ce zonage n'est absolument pas adapté aux réalités du terrain. C'est le cas en Haute-Loire, en Lozère et dans le Cantal.

Je voudrais également dire quelques mots d'une autre priorité : la gestion des ressources de l'espace montagnard.

La gestion des ressources doit pouvoir être assurée pleinement par les acteurs locaux dans un cadre décentralisé et concerté. C'est tout l'équilibre entre protection et développement qui en dépend.

Si la loi de 1985 tendait légitimement à maîtriser l'urbanisation pour empêcher le bétonnage sauvage des stations, son application uniforme et extrêmement restrictive provoque de nombreux blocages, notamment dans les massifs qui ne sont soumis à aucune pression foncière.

La notion de continuité des constructions ainsi que les distances à respecter par rapport aux rivages et aux lacs, qui sont appliquées de façon arbitraire, ne correspondent pas à la réalité du terrain et méritent d'être appréciées de façon beaucoup plus qualitative lors de la préparation des documents d'urbanisme.

Un secteur sensible qui aurait vocation à être aménagé pourrait faire l'objet d'une approche paysagère spécifique qui permettrait de définir précisément l'adaptation du projet aux contraintes environnementales du site. Après concertation et enquête publique, les dispositions applicables à ces secteurs seraient intégrées aux documents d'urbanisme et deviendraient opposables au tiers.

Il s'agit là d'appliquer le même principe que celui qui a été retenu pour l'urbanisation en respectant des distances par rapport aux routes avec l'amendement Dupont, ce qui signifie que la règle générale reste, mais que l'exception existe. En disant cela, je veux rassurer Mme Annie David.

La mise en oeuvre des prescriptions de massif pourrait aussi contribuer à fixer des règles mieux adaptées à l'identité de chaque massif et à donner une définition juridique sûre des hameaux, dans lesquels, souvent, nous ne pouvons pas construire du fait de l'impossibilité de trouver une formule juridique fiable.

Dans les communes qui ne sont pas dotées de documents d'urbanisme - et ce sont les plus nombreuses en montagne -, la situation est encore plus caricaturale, car les possibilités de construction y sont extrêmement restreintes. Nous sommes, là aussi, confrontés à un paradoxe inacceptable : celui d'une commune qui voit sa population baisser et qui ne peut accueillir de nouvelles familles faute de pouvoir construire !

La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, a réglé cette question en zone rurale : dans les communes en perte de population, après délibération du conseil municipal et lorsque l'intérêt de la commune le justifie, une autorisation de construire peut être délivrée en dehors des zones urbanisées. Toutefois, cette disposition, qui suscitait de réels espoirs, ne s'applique pas en montagne parce que l'administration oppose la loi « montagne » aux règles générales d'urbanisme.

Les chalets d'alpage, les burons d'estive font partie de notre patrimoine culturel et, à ce titre, ils méritent une attention particulière, d'autant qu'ils sont bien souvent aujourd'hui en ruine. Malheureusement, leur restauration est très difficile, car les impératifs de viabilité qui y sont associés et qui sont aussi inadaptés au terrain rendent difficile l'obtention d'un permis de construire.

L'instauration d'une servitude administrative d'utilisation, publiée aux hypothèques, pourrait favoriser leur restauration et éviter d'engager la responsabilité des élus en cas de contentieux.

Enfin, j'en viens aux procédures UTN, les unités touristiques nouvelles. Au moment où nous parlons de simplification administrative, je dirai qu'elles offrent un beau contre-exemple !

Certes, les UTN sont indispensables à la qualité des aménagements en montagne, et nous souscrivons à cette démarche. Mais est-il normal que les dossiers à constituer et les modalités d'instruction soient les mêmes pour la création d'une nouvelle station que pour la modification d'une remontée mécanique ou, encore mieux, pour l'aménagement d'un petit centre d'accueil ? Nous proposons donc un dispositif simplifié pour les petites opérations.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le voyez - mais vous le savez aussi -, nos attentes, à nous, montagnards, sont fortes car, même si nous sommes persévérants et mobilisés, notre différence mérite d'être soutenue.

Le Premier ministre lui-même, M. Jean-Pierre Raffarin, l'a affirmé lors du congrès de Gap, devant les élus de la montagne : « La montagne peut être une chance pour la France. » Cette reconnaissance peut être, aujourd'hui, un message fort en direction de l'Europe, qui réfléchit déjà à de nouveaux modes d'intervention pour l'après-2006.

Cette reconnaissance - dans une nouvelle loi - sera surtout une nouvelle chance pour la montagne. Les élus que nous sommes veulent y contribuer fortement, mais nous attendons maintenant du Gouvernement des propositions concrètes dans ce sens. Nous savons que nous pouvons compter sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Jean-Paul Amoudry. Très bien !

M. Jean-Claude Carle. Très bonne intervention, monsieur Jarlier !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été heureuse, avec les experts réunionnais auditionnés, de participer, en juillet dernier, à la mission commune d'information chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne. Le rapport qu'elle a rédigé souligne avec clarté et précision les défis auxquels la montagne est confrontée. Comme nous le rappelait tout à l'heure notre collègue M. Jean-Paul Amoudry, ces défis méritent d'être pris en compte et relevés sans tarder, à l'échelle tant nationale que communautaire.

En tant qu'élue de la Réunion, je veux ici témoigner de la réalité économique et sociale de cette île, qui correspond plus généralement à celle de la France insulaire.

La Réunion offre aux touristes et à ses habitants autant les plaisirs de la mer que ceux de la montagne : 30 kilomètres à peine séparent l'océan Indien du piton des Neiges, qui culmine à 3 069 mètres. L'originalité de la Réunion tient à l'existence de ses zones de montagne, aussi vastes que diverses. Ce sont à la fois de vastes espaces naturels, un espace de vie et un lieu de travail.

La loi « montagne » de 1985 énonce, dans son article 4, que « les zones de montagne comprennent les communes et les parties de communes situées à une altitude supérieure à 500 mètres ». Par décret du 26 décembre 1994, de nouvelles limites pour les zones de montagne ont été fixées pour tenir compte de la présence de handicaps structurels - relief, enclavement -, et de nouveaux enjeux de développement pour la mise en valeur de l'espace montagnard.

Ainsi, parler des collectivités locales en zone de montagne à la Réunion revient à parler de presque toutes les collectivités locales, puisque vingt-trois communes sur vingt-quatre sont concernées.

Les zones de montagne, que l'on appelle chez nous « les Hauts » par opposition aux zones littorales appelées « les Bas », représentent un potentiel important qu'il faut valoriser : un potentiel d'espace - 2 000 kilomètres carrés, quatre cinquièmes de la superficie de l'île pour un cinquième de la population -, un potentiel humain - 139 790 habitants, soit 20 % de la population jeune, dont 50 % a moins de vingt-cinq ans et dont le niveau de formation s'accroît -, enfin un potentiel économique, avec 60 % de la surface agricole utile, 90 % du potentiel forestier, 90 % du potentiel d'élevage, 60 % des exploitations agricoles et aussi des zones de productions vivrières, maraîchères, horticoles et arboricoles, complémentaires à celles des Bas.

Mais ce potentiel est fragile : le mitage des terres agricoles s'accentue ; l'agriculture traverse une crise grave, conduisant à la disparition de nombreux emplois agricoles, et, même si globalement la population augmente, une partie des jeunes continue à quitter les Hauts.

Il faut, ici plus qu'ailleurs, renforcer le tissu économique et social : 10 % seulement des entreprises sont implantées dans les Hauts. Le taux de chômage est préoccupant : 49 % pour l'ensemble des zones de montagne, 55 % dans ma commune de Cilaos et 34 % pour l'ensemble du département.

La Réunion compte aujourd'hui plus de 700 000 habitants, et des études récentes prévoient qu'en 2020 la population réunnionnaise atteindra près d'un million d'habitants. Face à une zone littorale saturée, l'espace rural représente une alternative pour un développement harmonieux et équilibré du territoire, qui doit se traduire par des orientations politiques fortes : une politique de rattrapage en équipements structurants pour réduire le déséquilibre entre les Hauts et les Bas, et une dynamique économique performante qui diversifie et conforte les activités.

Comme dans les autres zones de montagne, le rapport de la mission l'a montré, les Hauts de la Réunion présentent donc des atouts, mais aussi des handicaps, que des mesures politiques peuvent relever.

Je souhaiterais maintenant vous exposer les difficultés que rencontrent les communes les plus éloignées du littoral et qui se situent, dans l'ensemble, à plus de mille mètres d'altitude : La Plaine-de-Palmistes, Salazie et Cilaos sont les plus enclavées et souffrent des mêmes handicaps.

Elles trouvent leur origine dans une accumulation de facteurs communs.

L'absence ou l'insuffisance d'industrie entraîne une faible ressource fiscale pour les communes et une inactivité pour les populations concernées.

Le fort taux de chômage confronte la municipalité à une forte demande de contrats aidés. Les charges de personnel représentent 60 % des charges de fonctionnement dans nos communes, contre 40 % pour la moyenne nationale.

Le relief et le climat particulier sont un autre facteur, car les fortes pentes entraînent des frais supplémentaires pour la réalisation d'infrastructures, notamment la voirie et les adductions d'eau potable, en raison des dégâts fréquents dus aux glissements de terrains dans des secteurs difficilement accessibles, lors des périodes cycloniques ou pluviales. Enfin, la protection contre les crues des ravines met en évidence un important programme de travaux à réaliser.

L'enclavement constitue également un frein au développement économique. L'année dernière, la commune de Cilaos s'est trouvée coupée du monde pendant plus de deux semaines après que le cyclone Dina a emporté une partie de la route nationale. Monsieur le président, vous avez pu le constater vous-même, puisque vous étiez sur place à cette époque.

M. le président. Je confirme, madame !

M. Jean-Claude Carle. Vous prenez des risques, monsieur le président !(Sourires.)

Mme Anne-Marie Payet. Les travaux nécessaires à la consolidation et à la sécurisation de cette unique voie d'accès n'ont été que partiellement réalisés, faute de crédits suffisants, alors que nous sommes à nouveau en pleine saison des pluies.

L'absence ou l'insuffisance de structures de loisirs favorisent, par ailleurs, des séjours touristiques plus longs.

En outre, des difficultés d'aménagement sont à prendre en compte. Les politiques d'aménagement et d'équipement des zones des Hauts sont confrontées à de nombreuses contraintes physiques, techniques et financières qui rendent leur mise en oeuvre complexe.

Le problème foncier est d'abord d'ordre spatial et s'exprime à travers la difficulté de dégager du terrain pour répondre aux besoins d'équipement sans nuire aux surfaces agricoles utiles. Il est également financier, puisqu'on note ces dernières années une augmentation significative des coûts des terrains dans les Hauts, qui influe fortement sur l'équilibre budgétaire des opérations de logement ou d'équipement.

La question du surcoût de l'aménagement est liée aux caractéristiques topographiques désavantageuses lorsqu'il s'agit d'aménager ou de construire. L'utilisation des surfaces pentues exige d'importants investissements en termes d'adaptation et de sécurisation. Dans les Hauts, la construction a un coût bien supérieur que dans les Bas.

Le problème crucial des réseaux se pose aussi avec une acuité certaine. L'absence d'assainissement collectif pèse aujourd'hui sur la faisabilité de projets d'aménagements structurants. Ce déficit de réseaux et d'équipements entraîne la mise en place de systèmes individuels d'épandage.

En matière d'alimentation en eau potable et en électrification, la prise en compte des besoins nouveaux des populations nécessite, pour les communes qui rentrent progressivement dans un mouvement d'urbanisation, d'importants travaux de renforcement et d'extension de réseaux.

A ces difficultés d'aménagement s'ajoute la question du logement social dans les Hauts. La prise en compte de cet enjeu s'inscrit dans le cadre des propositions formulées par la mission pour « adapter les contraintes en matière d'urbanisme ».

La construction de logements sociaux en milieu rural nécessite au préalable des sols disponibles, et souvent de lourds travaux d'aménagement et de viabilisation.

La mise en oeuvre de projets de cet ordre appelle une prise en compte de multiples enjeux : la préservation des terrains agricoles et des milieux naturels sensibles en évitant le mitage, quels que soient l'importance et le caractère prioritaire des projets d'équipement ; la satisfaction d'une demande en habitat social ; l'éradication des constructions sauvages ; le développement structuré des quartiers et bourgs à mi-hauteur et des Hauts.

En raison des contraintes évoquées précédemment, les communes et les opérateurs doivent faire face à un coût du logement social de plus en plus important.

J'en viens à la question cruciale du financement et au nécessaire renforcement des mesures d'intervention des collectivités.

Concernant la région, le fonds régional d'aménagement foncier et urbain, le FRAFU, crée en 1994 dans une optique de rattrapage des retards constatés en matière d'aménagement, d'équipement de base ainsi que de constitution de réserves foncières, s'élève, pour la période 2000-2006, à 115,87 millions d'euros. Or les besoins, qui doivent également tenir compte de l'évolution démographique, ont été estimés à plus de 533 millions d'euros.

Le conseil général de la Réunion favorise lui aussi le développement des Hauts : d'abord par la mise en valeur du domaine « départemento-domanial » - 40 % de la superficie de l'île -, géré par l'ONF, puis par le soutien aux initiatives privées souhaitant exploiter ce potentiel touristique et, enfin, par l'encouragement à la pluriactivité, fondée sur l'agriculture mais de plus en plus tournée vers le tourisme.

Toutefois, l'ensemble de ces mesures peine à couvrir les nombreux et coûteux besoins, et la mise en place de mesures spécifiques ainsi qu'une reconnaissance communautaire sont nécessaires.

En fait, bien qu'aidées par des dispositifs financiers, nos collectivités sont confrontées à des investissements si lourds que beaucoup d'entre elles ne peuvent mettre en place dans les délais souhaités les équipements et infrastructures nécessaires à la protection de la population et au développement économique.

Les collectivités réunionnaises ont su prévoir le développement de notre département, mais cela nécessite des moyens financiers très importants. Une aide plus importante de la part de l'Europe en faveur des zones de montagne est souhaitable.

Je conclurai mon propos en insistant sur l'opportunité que présenterait, pour les zones de montagne, d'une part, l'émergence d'une nouvelle génération de parcs nationaux, conciliant développement et protection de territoires spécifiques, et, d'autre part, une meilleure assistance de la population locale dans la protection contre les risques naturels.

Comme cela a été mis en lumière lors de la récente réunion sur le projet de parc national des Hauts autour de Mme Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, le projet réunionnais doit préfigurer une évolution de la politique des parcs nationaux telle que le Gouvernement l'envisage.

S'inspirant de l'expérience des parcs régionaux, le parc national pourrait répondre aux enjeux multiples que nous avons soulevés : une participation plus active au développement local, protégeant à la fois le centre et sa périphérie ; la reconnaissance conférée par le label et son impact sur l'emploi, sur le tourisme et sur les aides, notamment communautaires ; une association plus étroite et plus efficace des différents acteurs, Etat, région, département.

S'agissant des risques naturels, nous souhaitons la création d'une antenne de restauration des terrains en montagne, comme il en existe dans d'autres zones de montagne.

J'espère vous en avoir convaincus, la Réunion constitue un exemple éminent des zones de montagne qui, si elles présentent des atouts inestimables, n'en restent pas moins des zones en difficulté nécessitant une attention et des mesures particulières. En effet, les spécificités et les contraintes de la montagne qui peuvent justifier une politique nationale, ajoutées aux réalités climatiques et cycloniques, y sont exacerbées.

Je forme le voeu sincère que les légitimes attentes des territoires et des populations de montagne seront satisfaites, que ce soit par la création de nouveaux parcs nationaux, par le vote d'une loi ou par toute autre mesure que le Gouvernement entendra mettre en place.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de l'attention que vous porterez à chacune des remarques dont vous font part aujourd'hui, au nom de leur population et de leur collectivité, les élus des zones de montagne. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, M. Jean-Paul Amoudry appelle l'attention de M. le Premier ministre sur le rapport rendu public le 16 octobre 2002.

Si les travaux conduits par la mission depuis le mois de février dernier ont souligné l'infinie diversité des territoires de montagne, qui couvrent 28 % du territoire et regroupent 13,5 % de la population de notre pays, ils ont également mis en évidence de très nombreuses caractéristiques communes aux terres d'altitude.

Ces points communs et les préoccupations qui en découlent apparaissent comme autant de questions urgentes posées aux responsables politiques dans des domaines déterminants pour l'avenir des zones de montagne : le niveau des soutiens publics à l'agriculture, inférieur à la moyenne nationale, et donc en totale contradiction avec les principes de légitime compensation du handicap « montagne » affirmés depuis plusieurs décennies ; la préservation d'une activité industrielle, souvent fortement enracinée ; la poursuite du développement touristique, freiné par l'absence de politiques fiscales et sociales adaptées à la saisonnalité et d'un véritable régime de pluriactivité ; les nuisances infligées aux populations sédentaires par la traversée des massifs frontaliers et la croissance du trafic routier ; l'absence de concertation avec les responsables locaux, constatée dans certaines initiatives environnementalistes ; la lente, mais apparemment inéluctable disparition de services publics, médicaux et privés qui, dans beaucoup de massifs, entraîne puis accroît la dévitalisation démographique ; l'excès de rigueur, enfin, dans l'application des dispositions d'urbanisme de la loi « montagne », devenue la pomme de discorde permanente entre élus locaux et représentants de l'Etat, d'où les interrogations et les légitimes inquiétudes des élus.

Personnellement, je regrette beaucoup que les élus des parcs régionaux dont le territoire est tracé en montagne ou en demi-montagne ne puissent s'opposer à certaines décisions créant des nuisances - il faudrait revoir ce point - en raison de leur pouvoir, qui est faible et limité. Il s'arrête en effet à l'identification, à la promotion, à la valorisation, à la protection de leur patrimoine naturel, bâti, culturel, etc. Il est en réalité plus pédagogique que contraignant. Je le constate tous les jours, il ne permet même pas de s'opposer à l'enracinement intensif qui transforme le Morvan en une vaste sapinière, laquelle modifie le climat, le régime des eaux et porte atteinte à la flore et à la faune !

En ce qui concerne l'agriculture, les difficultés rencontrées par les exploitants agricoles en zone de montagne sont importantes. Les multiples handicaps naturels liés à l'exercice de l'agriculture entraînent en effet de grandes disparités entre les revenus des exploitants agricoles de montagne et ceux des plaines.

L'agriculture de montagne présente deux caractéristiques essentielles : en premier lieu, le relief et le climat dessinent depuis longtemps une agriculture extensive et orientée vers les productions de qualité, je crois que cela a déjà été dit. En même temps, du point de vue technique et financier, les exploitants agricoles ne luttent pas à armes égales. Le climat et la pente sont générateurs de surcoûts importants qui demeurent imparfaitement compensés et, conséquence logique, freinent la modernisation de l'équipement et ne rémunèrent pas les services rendus.

Le revenu des exploitations agricoles de montagne est de 30 % inférieur à la moyenne nationale. On ne peut donc parler ni de véritable compensation des handicaps ni de respect de la « parité des revenus et des conditions de vie entre la montagne et les autres régions ». Il faudrait pourtant bien se garder, monsieur le ministre, de mettre uniquement en avant des solutions extra-agricoles pour tenter de renverser la tendance. En effet, l'idée de devenir des agents rémunérés sur fonds publics pour entretenir le territoire suscite peu d'enthousiasme chez les exploitants agricoles. La présence des agriculteurs reste le dernier rempart, dans bien des cas, contre une totale désertification.

J'en viens aux aides dont ils bénéficient.

Les indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, sont considérées, depuis leur création, comme la mesure essentielle de la politique de soutien à l'agriculture. Le principe de ces indemnités est de compenser financièrement les surcoûts de production des exploitations liés aux handicaps naturels permanents qu'elles subissent par rapport aux régions de plaine. L'objectif est donc de placer les exploitations agricoles de montagne sur un pied d'égalité avec les autres exploitations, tout au moins en matière des conditions de production. Nous sommes loin du compte, et la disparition des exploitations est patente.

Cette diminution a été particulièrement notable dans les zones les plus élevées, où elle a atteint 30 %. Elle entraîne une concentration spatiale du cheptel et une dégradation inquiétante de la gestion de l'espace.

Des modifications sont intervenues quant au paiement des indemnités, qui s'effectue désormais selon le nombre d'hectares de surface fourragère et non plus en fonction des têtes de bétail et qui recentre ces indemnités sur les zones de montagne au détriment d'autres zones défavorisées, comme les zones de piémont.

Ces modifications réduisent les aides aux éleveurs de bovins laitiers purs et provoquent la course à l'agrandissement. En outre, elles excluent certains éleveurs pour des raisons diverses, comme le fait de ne pas satisfaire aux seuils de chargement ou aux bonnes pratiques agricoles.

J'en viens aux aides à l'installation et aux propositions en faveur des jeunes agriculteurs.

Conformément à une logique de projet et d'entreprise agricole, le rapport - et on ne peut qu'y adhérer - a souhaité mettre l'accent sur les aides à l'installation des jeunes agriculteurs sous forme de prêts à taux réduits, en complément des dotations actuelles dont le montant est nécessairement limité. Un effort particulier doit être accompli en leur faveur. Ils ont quelque mérite, actuellement, à rester sur leur terre, tout le monde doit en convenir.

Par ailleurs, les aides à la modernisation des exploitations en zone de montagne concernent les bâtiments d'élevage et la mécanisation. Ces subventions sont réservées aux seules zones de montagne. La mission commune d'information, prenant acte de ce chiffrage sur l'évolution des crédits, a cependant constaté sur le terrain que les besoins subsistent, en particulier quant à la modernisation et à la constitution de filières de production et de commercialisation, élément essentiel pour cet élevage de qualité. A quoi servirait-il de produire si l'on ne peut vendre dans de bonnes conditions ?

Le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA, vise à éviter les pollutions des effluents d'élevage et il bénéficie d'un nouveau programme. Ce nouveau programme, dans son classement, exclut un grand nombre de zones de montagne du bénéfice des aides prévues et, par là même, de l'accès aux aides publiques des exploitations.

Paradoxalement, le caractère non polluant de l'agriculture de montagne - c'est en effet une agriculture non pas céréalière mais d'élevage - risque d'entraver le financement de sa modernisation. Les agriculteurs ont la sensation d'être des « non-pollueurs-payeurs », d'où la pertinence du rapport qui suggère de soutenir la mise aux normes des exploitations de montagne ne bénéficiant pas du PMPOA pour ne pas entraver leur modernisation et leur éligibilité aux aides européennes.

La prime à l'herbe cessera d'exister au 1er avril 2003 en raison de son caractère national et peu environnemental. On ne peut pourtant qu'approuver à la réaffirmation de la nécessité de conduire une politique de l'herbe généreuse et, surtout, proposer aux éleveurs de souscrire des engagements agri-environnementaux en dehors du contrat territorial d'exploitation. Le remplacement de la prime à l'herbe par la prime herbagère agri-environnementale sera bienvenu. Mais il convient de voir comment cette dernière sera appliquée.

S'agissant des perspectives des contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, après avoir suscité l'inquiétude concernant leur éventuelle remise en question, récemment, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que les contrats seraient maintenus sous une autre forme et sous une autre appellation, ce qui nous satisfait. Ils consacrent la pluriactivité de l'agriculture.

Si le principe d'un plafonnement du montant global des aides perçues se justifie pleinement, il convient de prendre en compte, dans le volet économique, le surcoût des investissements en zone de montagne tel qu'il a été démontré de manière incontestable.

La montagne a, par nature, anticipé les évolutions de l'économie agricole de ce début du xxe siècle. Ses pratiques respectueuses de l'environnement et synonymes de qualité constituent des atouts indéniables. Encore faut-il que les pouvoirs publics soutiennent le maintien de ces pratiques ! Les aides du deuxième pilier, à commencer par l'ICHN, doivent donc être garanties, et bien garanties.

En terminant ce chapitre agricole, je souhaite dire un mot sur la forêt. J'ai assisté lundi dernier, à Dijon, à une conférence concernant le Morvan et dont les conclusions peuvent être intéressantes sur le plan culturel et touristique - je ne les développerai pas - mais aussi quant à la forêt de résineux et de feuillus, ou ce qu'il en reste.

Une charte forestière sera élaborée en cohérence avec la révision du contrat de plan pour définir un soutien coordonné à la politique forestière pour l'organisation de la filière bois. Il y aurait beaucoup à dire sur ce bois exploité dans le Morvan, mais non transformé sur place, non travaillé, et dont la valeur ajoutée nous échappe.

J'en viens aux services publics. L'évolution de l'implantation des services de proximité est un facteur essentiel de maintien ou de départ des personnes installées en montagne. On se trouve en effet trop souvent prisonnier d'une spirale implacable.

La faible densité de population en montagne est invoquée pour y légitimer l'insuffisance des services de proximité. Ainsi s'accentuent encore les départs de personnes résidentes. Si l'implantation des services publics administratifs est relativement stable, tel n'est pas le cas des services publics industriels et commerciaux. En particulier, dans le cas de La Poste, on peut s'inquiéter des conséquences de la libéralisation progressive du marché du courrier. Nous y reviendrons, car la situation locale face à la restructuration de La Poste résume bien la problématique des services publics dans nos massifs.

Le rapport, dans sa proposition n° 52, souhaite améliorer le cadre de la coopération en matière de services publics, en passant, à l'échelon national, par l'adoption de dispositions législatives ou la conclusion d'un accord-cadre. Je crois que ce sont là de bonnes idées.

On connaît déjà trop bien, hélas ! les résultats concrets de ces voeux de maintien des services publics dans leur intégralité. Par ailleurs, le maintien des services publics n'est que l'un des aspects de la question plus globale des services de proximité. Il convient ainsi, comme il est indiqué dans le rapport, de souligner le rôle essentiel des services de santé pour le maintien de la population sur le territoire. Force est de constater que celui-ci est trop souvent insuffisant : manque de médecins en zone rurale, alors qu'ils sont trop entassés dans les villes, pénibilité du métier, isolement, bref autant de repoussoirs.

Il convient également d'insister sur le fait que le renforcement des moyens de la politique de développement des services de proximité passe aussi par le soutien à l'artisanat et au petit commerce traditionnel, et non pas uniquement à la grande distribution, comme la tendance actuelle semble le montrer.

Je dirai un mot également sur les nouvelles technologies.

Les handicaps naturels sont connus, mais qu'en est-il des handicaps technologiques ? Je parle non pas uniquement de la téléphonie mobile, dont on attend toujours la véritable généralisation, mais également de ce qu'il est convenu d'appeler la société de l'information. Cette dernière peut constituer, pour les territoires de montagne, un facteur de développement ou de déclin selon qu'ils y ont ou non accès. Il est aujourd'hui essentiel pour une entreprise de disposer de l'accès aux réseaux de télécommunications modernes, donc que les zones rurales en soient dotées.

D'une manière plus générale, la sauvegarde du service public est aujourd'hui fortement menacée. Les services publics sont pourtant au coeur du combat pour l'égalité et contre l'exclusion. Ils représentent un atout pour la cohésion sociale et territoriale et sont seuls capables de garantir l'accès de tous aux droits fondamentaux. Ils contribuent à un environnement favorable et au développement de notre pays. Les Français veulent que leurs enfants puissent s'instruire, que leurs malades soient bien soignés, que leur sécurité soit assurée, que chacun ait accès au sport, à la culture, etc.

L'Etat est seul à même de financer, pour tous, des investissements à long terme, d'où notre refus de toute privatisation des services publics.

M. le président. Monsieur Signé, vous avez épuisé votre temps de praole, mais je vous accorde quelques minutes supplémentaires...

M. René-Pierre Signé. Je n'en abuserais pas, monsieur le président.

Avant de conclure, je reviens sur un acteur important de l'aménagement du territoire, à savoir La Poste. La Poste est souvent le dernier service public, et parfois même le dernier commerce en activité dans de nombreuses zones rurales. Nous sommes très attachés à sa présence.

Malheureusement, la démographie décroissante en milieu rural et en montagne, les habitudes de consommation et la dématérialisation des opérations postales paraissent condamner, à moyen terme, le réseau postal dans son ossature actuelle. Il est donc primordial, effectivement, d'anticiper, d'imaginer un service postal tel qu'il pourrait être plus diversifié, intégré dans des maisons de service public - et non pas de défendre le service postal tel qu'il est aujourd'hui. Il est également primordial que ce ne soient pas les collectivités les plus pauvres qui paient le prix de la présence postale.

L'ouverture européenne de La Poste à la concurrence entraîne, dans les différents pays, des restructurations profondes qui s'accordent mal avec les missions de service public et avec l'aménagement du territoire. Il faudra donc rester vigilant.

A entendre le Gouvernement, monsieur le ministre, la décentralisation serait en train de devenir la panacée Sans entrer dans ce débat, je dirai que le problème de la montagne et des zones rurales est tout de même lié à l'aménagement du territoire, donc à la décentralisation. On se doit de souligner l'importance de l'égalité territoriale quand on aborde ces questions. Il faut donc faire attention à l'expérimentation en montagne, et surtout veiller à traiter équitablement les différents massifs. D'une manière générale, il serait irresponsable de laisser des handicaps financiers aggraver les handicaps naturels. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Vous l'avez constaté, monsieur Signé, personne ne vous a interrompu ! (Sourires.) La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue tout d'abord notre collègue de Haute-Savoie Jean-Paul Amoudry et je le fécilite pour les propositions qu'il vient de formuler.

Mon collègue Jean-Claude Carle et moi-même souhaitons apporter notre contribution au débat, car ce sujet relève un peu de notre spécialité.

Pour ma part, j'interviens à la fois en tant que nouveau président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, la CSSPPT, et comme président du groupe d'étude sur l'avenir de La Poste et des télécommunications du Sénat.

A l'heure où nous discutons de la compensation des handicaps, de la réduction des différentes fractures et de la nécessité de procéder à un rééquilibrage, il faut accorder une attention particulière aux populations de montagne en ce qui concerne non seulement la téléphonie mobile, le haut débit, mais aussi, globalement, les nouvelles technologies, car, en ce domaine, le handicap est important. Il est dû, à l'évidence, au relief, à la dispersion des habitations sur le territoire et à l'impossibilité, ne serait-ce que pour des raisons économiques et financières, d'assurer la couverture de certains endroits, s'agissant du haut débit, avec de la fibre optique.

En revanche, nous avons la possibilité d'utiliser toutes les technologies adaptées pour desservir l'ensemble du territoire montagnard. A ce sujet, je dresserai d'abord un constat et je formulerai ensuite quelques propositions.

Bien sûr, des zones blanches existent en montagne pour la téléphonie mobile. Les populations mais aussi nombre d'élus s'interrogent sur l'arrivée du haut débit, sur la couverture totale pour ce qui est de la télévision, sur l'évolution de la diffusion des télévisions locales, dans la mesure où le législateur va favoriser cette possibilité d'information et de communication entre les gens en zone de montagne.

Sur ce point précis, nous devons à la fois faire preuve de plus de cohérence et prendre en compte un certain nombre de verrous qui, pour certains, sont plus idéologiques que techniques ou financiers.

Aujourd'hui, les zones de montagne disposent de supports qui permettent d'assurer la distribution de l'énergie. Nous avons donc la possibilité d'y régler quasiment en totalité le problème de l'implantation des pylônes et de la couverture en matière de téléphonie mobile, de haut débit et de télévision.

A l'heure actuelle, les experts s'accordent à reconnaître qu'il n'existe plus ni interférences - il n'y en a peut-être jamais eu, d'ailleurs - ni contraintes, ni difficultés à utiliser un même pylône pour le transport de l'énergie, y compris la haute et la très haute tension, et pour la diffusion hertzienne terrestre, dans de bonnes conditions de sécurité.

Au-delà du problème de la montagne, je ne souhaite pas que la France soit le dernier pays de l'Union européenne à rester bloqué pour des raisons idéologiques. Car, lorsque nous avons discuté de la gestion du transport de l'énergie, nous avons quasiment interdit, à l'époque à Electricité de France - aujourd'hui, il s'agit du Réseau de transport d'électricité, le RTE -, d'assurer la couverture de la diffusion hertzienne.

Une simple modification législative permettrait, me semble-t-il, d'utiliser les huit cent mille pylônes du territoire national. Ainsi serait réglée la question du coût : cela représenterait à chaque fois une économie de 150 000 euros, soit plus de la moitié du coût actuel de l'implantation d'une antenne de téléphonie mobile. En outre, nous éviterions les polémiques sur la forêt de pylônes qu'il faudrait construire pour assurer une bonne couverture du territoire, plus particulièrement en zone de montagne où, compte tenu du relief, la densité des pylônes au kilomètre carré est nettement supérieure à celle des autres secteurs. L'ensemble des pylônes du réseau des remontées mécaniques pourrait également servir de support.

J'en arrive à la conclusion que tous les supports nécessaires existent en zone de montagne. Il suffit de les équiper d'antennes et de trouver l'autorité qui sera chargée d'en assurer la bonne répartition et la coordination.

Au préalable, il faudra, bien entendu, je le répète, procéder à une modification législative. A cet égard, je précise que l'article 16 de la loi « montagne » de 1985 permet déjà d'apporter des aménagements techniques particuliers en matière de radiodiffusion ou de télévision par voie hertzienne, afin d'assurer une bonne réception des émissions en zone de montagne, sous réserve, bien entendu, du respect des conventions internationales.

Il suffirait d'adapter cet article 16 et d'en élargir le champ d'application pour régler le problème de la couverture complète de la zone de montagne : cela concerne non seulement la téléphonie mobile, mais aussi le satellite et le numérique hertzien terrestre. Pour une fois, la montagne serait en avance sur le reste du territoire dans ce domaine.

Ce serait l'occasion de traiter globalement la question de la téléphonie mobile et du haut débit. Il faut arrêter d'imaginer que l'on peut utiliser la fibre optique dans certains secteurs ! C'est comme si l'on proposait, pour les déplacements en haute montagne, de remplacer le transport routier par le transport fluvial. Il y a des limites à ne pas dépasser ! Parfois, certains arrivent à faire croire que le transport ferroviaire constitue la panacée pour remplacer le transport routier. Or on s'aperçoit aujourd'hui que peu de gens nous parlent de la nécessité d'augmenter les réseaux, de doubler les voies. Nous nous sommes tous intéressés à l'idée et au caractère politique de cette innovation sans prendre suffisamment en compte les capacités techniques

En zone de montagne, monsieur le ministre, nous disposons de tous les moyens pour réaliser rapidement les aménagements nécessaires, à une condition : modifier l'article 16 de la loi « montagne » et en élargir le champ d'application.

Bien entendu, parallèlement, il faudrait donner aux collectivités territoriales la possibilité de définir l'autorité d'une intercommunalité ainsi que d'une interrégionalité. Or, à ce point de mon propos, je ne suis pas sûr que la région soit l'échelon idéal pour régler les problèmes de massifs. Nous avons plus besoin d'une interrégionalité cohérente avec les espaces à couvrir que d'un découpage régional, fût-il intéressant sur le plan politique, administratif, ou en termes de découpage électoral !

Je voudrais également dire quelques mots en ce qui concerne la couverture postale du territoire. Nous devons communiquer clairement sur ce que sera le prochain contrat de plan entre l'Etat et La Poste, indiquer les conditions dans lesquelles il pourra s'appliquer à nos zones de montagne, préciser les intervenants et les différents interlocuteurs financiers.

Nous devons également sortir nos collègues élus des communes de montagne et des communes rurales du piège dans lequel ils sont pris : les populations réclament le maintien du bureau de poste, mais elles ne jouent pas nécessairement complètement le jeu de la présence postale sur le territoire.

Il nous faut tenir un discours peut-être un peu tranché sur le sujet, mais nous ne pouvons pas laisser les élus locaux impuissants, comme ils le sont depuis plusieurs années, ou n'avoir d'autre alternative que de payer, dans un domaine qui est probablement le dernier service public.

Encore faut-il que les usagers qui réclament le maintien de ce service public l'utilisent dans des conditions satisfaisantes pour que, au terme d'un légitime rééquilibrage financier, il corresponde à la réalité des besoins exprimés par les populations.

Je terminerai par quelques réflexions sur la logique interrégionale.

J'ai rappelé que l'intercommunalité me paraissait être le bon interlocuteur, y compris financier.

Cependant, la logique interrégionale prime en matière de téléphonie mobile et de haut débit dans les zones de montagne. Elle constitue, en effet, le seul moyen de reprendre l'initiative sur les trois opérateurs qui, si nous n'y prenons pas garde, ne manqueront pas, dans les secteurs où ils étaient prêts à investir sans aide des collectivités locales ou de l'Etat, d'abandonner toute initiative et de faire supporter le poids des équipements envisagés par les collectivités locales et territoriales.

Cette approche est actuellement défendue par les SGAR, les secrétariats généraux aux affaires régionales. Il est impératif de reprendre la main activement à l'échelon interrégional.

La deuxième enveloppe de 30 millions d'euros, qui doit être distribuée prochainement, je l'espère, doit être ventilée non pas par régions, mais à l'échelon cohérent d'une interrégionalité par massifs. Il est, en effet, dans la logique de notre spécificité de traiter des massifs et non pas des régions. Il faut à cette fin, d'une part, renforcer le poids des comités de massif - les moyens dont disposent les commissariats, en ce domaine, sont insuffisants - d'autre part, les décharger de l'ensemble des tâches de gestion qui consomment l'essentiel du temps qu'ils pourraient valablement consacrer à vous faire des propositions, monsieur le ministre, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement.

Vous le voyez, au terme de nos réflexions, nous ne réclamons aucune modification législative ou réglementaire, mais simplement une volonté politique affirmée d'utiliser avec plus d'efficacité les moyens dont nous disposons ainsi que ceux de l'Etat. En effet, il nous faut rétablir une capacité d'impulsion et d'innovation en réduisant les charges de gestion, que nous pouvons peut-être envisager de transférer aux SGAR ou à d'autres structures.

Quoi qu'il en soit, une évolution s'impose !

Outre cette contribution, modeste, que je tenais à apporter au débat, je rejoins, bien sûr, les propositions de mes collègues de la majorité sénatoriale. Il est vrai que les zones de montagne souffrent de tout un ensemble de handicaps, mais nous jouissons au moins d'un avantage : nous sommes, par définition, du fait de l'altitude, plus près des étoiles, et nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)