SEANCE DU 5 DECEMBRE 2002


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la fonction publique et la réforme de l'Etat.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Gérard Braun, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen des crédits de la fonction publique appelle deux analyses distinctes.
La première, verticale, porte sur la présentation des crédits du ministère pour la gestion de la fonction publique, qui sont individualisés dans le budget des services généraux du Premier ministre au sein de l'agrégat « fonction publique ». Ces crédits s'élèvent à 211 millions d'euros en 2003, en diminution de 2 %.
La seconde analyse, horizontale, concerne l'ensemble des charges de personnel de l'Etat, c'est-à-dire les crédits de rémunération, les charges sociales et les pensions. Ils s'établissent à près de 121 milliards d'euros en 2003, représentant 44,1 % des dépenses du budget général, après 43,8 % en 2002.
Concernant les crédits de l'agrégat « fonction publique », il faut retenir que la modération de l'évolution de la dépense et la décision d'utiliser une partie des reports existants ont permis de baisser les crédits demandés.
Compte tenu de la démarche adoptée, et malgré la récente dégradation du solde de la loi de finances, il ne me semble pas raisonnable de solliciter de nouvelles diminutions de crédit, sauf à compromettre l'exécution de ce budget. Je ne m'attarderai pas davantage sur l'agrégat « fonction publique » - je vous renvoie à mon rapport écrit, qui analyse l'évolution de ses composantes -, sinon pour souligner la relance bienvenue du Fonds pour la réforme de l'Etat.
Concernant les charges globales de personnel de l'Etat, j'indiquerai préalablement qu'elles sont passées de 40,7 % des crédits du budget général en 1997 à 44,1 % pour 2003. La tendance à l'accroissement indéfini des charges de fonction publique demeure, même si la volonté de l'infléchir est aujourd'hui réelle.
Cette inflexion est d'autant plus nécessaire qu'il faut parvenir, sinon à diminuer, du moins à stabiliser la charge de la dette, qui s'élève à 15 % du budget général, proportion exorbitante pour une dépense stérile.
L'inertie des dépenses de fonction publique est principalement due à des facteurs structurels désormais bien identifiés : le dynamisme des rémunérations individuelles et, pour les charges de pension, la démographie.
Cette inertie est aggravée par les mesures de résorption de l'emploi précaire et par le fait que le passage aux 35 heures a fatalement entamé les marges de productivité existantes.
J'en viens à mes observations.
Première observation : l'année 2003 est une année d'attente.
D'une part, le Gouvernement a annoncé une baisse symbolique des effectifs. Elle ressort, pour l'ensemble des ministères civils, à 1 089 emplois, soit moins de 2 % des départs à la retraite prévus en 2003. En réalité, les « véritables » diminutions d'effectifs sont attendues à l'issue de la réflexion engagée par le Gouvernement sur le périmètre de l'Etat.
D'autre part, les négociations concernant l'ensemble des retraites, qui engageront l'avenir, devront être menées au premier semestre de 2003.
Ainsi, pour 2003, le budget général n'enregistre pas les effets de la politique de fond qui sera destinée à freiner l'évolution de la dépense de fonction publique.
Deuxième observation : l'Etat doit d'abord diminuer le nombre des fonctionnaires.
La montée en charge du coût des pensions à court terme est inexorable. Pour contenir le coût de la fonction publique, il faut donc nécessairement jouer sur les frais de rémunération.
Les fonctionnaires sont-ils trop payés ? Une étude figurant dans le fascicule jaune « fonction publique » annexé au projet de loi de finances pour 2003 pourrait le laisser entendre. Elle montre que, dans les années quatre-vingt-dix, le salaire moyen par tête a augmenté nettement plus vite dans le secteur public que dans le secteur privé. Mais, dans le même temps, la proportion de cadres s'est fortement accrue dans la fonction publique. Je me garderai de toute conclusion définitive au regard de l'équité.
En réalité, je pense que les fonctionnaires sont surtout trop nombreux parce que l'Etat ne s'est pas encore réformé.
Il faut savoir qu'un recrutement visant au simple maintien des effectifs détournerait une part croissante des jeunes diplômés du secteur marchand. Par ailleurs, le nombre de départs à la retraite des agents de l'Etat augmentera jusqu'en 2008 et il se maintiendra à un niveau historiquement élevé jusqu'en 2015. Voilà une occasion privilégiée de diminuer les effectifs de l'administration sans coût social.
La réforme de l'Etat est censée pourvoir à cette diminution, car elle doit conduire à un « redimensionnement » de l'action de l'Etat. Cependant, la situation critique des finances publiques ne permet pas de ne s'en remettre qu'à un concept. Je souhaiterais qu'un indicateur soit mis en place afin d'asseoir une politique de baisse des effectifs dont la lisibilité soit immédiate. Il permettrait de décomposer les gains d'emplois en fonction de leur cause : meilleure productivité, actions de décentralisation ou privatisation.
Troisième observation : l'Etat devra rapidement contenir l'augmentation des charges de pension. J'illustrerai ce point par quelques chiffres.
Une personne sur cinq a plus de soixante ans aujourd'hui, et l'on en comptera une sur trois en 2040. L'allongement de la durée de vie est évaluée à un an et demi tous les dix ans.
Concernant le régime de l'Etat, le rapport effectif cotisant sur effectif pensionné passerait de 1,9 en 1998 à 1,1 en 2020 et à 0,9 en 2040. Autrement dit, à réglementation constante, il y aurait plus d'un pensionné par cotisant en 2040, et à peine moins en 2020 !
Parallèlement, le volume des pensions des fonctionnaires de l'Etat est appelé à doubler en 2020, et à tripler en 2040.
Que faire, alors ?
Il est vrai que les règles de liquidation du régime de l'Etat sont plus favorables que celles du régime général.
Pourtant, en 1999, le rapport Charpin sur l'avenir des retraites avait montré que, à salaires identiques, les retraites étaient légèrement supérieures pour les salariés du privé. Pourquoi ? Du fait de l'existence de régimes complémentaires obligatoires pour les salariés du privé, d'une part, et parce que les primes des fonctionnaires ne sont pas prises en compte pour le calcul de leur retraite, d'autre part.
Cependant, le raisonnement du rapport Charpin était fondé sur l'hypothèse d'une carrière complète. Or, si la retraite est proportionnelle au nombre d'annuités dans les deux régimes, il existe un mécanisme de décote supplémentaire par annuité manquante qui ne s'applique qu'aux salariés du privé.
Certes, l'alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des autres salariés corrigerait une première iniquité : leur durée de cotisation serait ainsi portée de trente-sept ans et demi à quarante ans. Mais l'absence de décote supplémentaire constitue une autre iniquité.
Le plus important, c'est que, sans décote, il est peu probable que le seul allongement de la durée de cotisation permette d'infléchir de façon significative l'évolution du coût des pensions des fonctionnaires.
En effet, il est vraisemblable que beaucoup de fonctionnaires ne différeront pas leur départ s'il ne leur est appliqué qu'une réduction proportionnelle. Je préconise donc l'instauration d'une décote dans le régime de l'Etat.
Quatrième observation : l'incontournable relance de la réforme de l'Etat est programmée par le Gouvernement.
Sur le plan des relations entre les services publics et les usagers, la réforme de l'Etat est, à certains égards, bien engagée. En revanche, sur le plan de la gestion publique, le retard de la France s'est accentué sous la précédente législature.
Aujourd'hui, le Gouvernement veut un « saut qualitatif » en matière de réforme de l'Etat. En effet, une nouvelle avancée s'impose absolument : d'abord, parce que l'état des finances publiques y oblige, le redressement passant par une réduction du format de l'Etat ; ensuite, parce que le droit y oblige. La loi organique relative aux lois de finances de 2001 ne prévoit-elle pas l'instauration de « projets annuels de performance » pour chaque « programme » budgétaire ? Il est d'ailleurs prévu de joindre un « rapport annuel de performance » au projet de réglement afin de confronter les résultats aux objectifs.
Ce passage d'une logique de moyens à une logique de résultat implique un bouleversement de la gestion publique. Dès lors, la mise en place d'une gestion prévisionnelle des effectifs devient indispensable. Le Gouvernement est ainsi appelé à réformer profondément le statut de la fonction publique.
Enfin, il est prévu de mener une réflexion globale sur le périmètre de l'action publique. Cette réflexion doit être conduite en cohérence avec les futures avancées en matière de décentralisation. Dans le même temps, il est envisagé de repenser l'organisation des services de l'Etat, et tout particulièrement leur implantation territoriale. Il conviendra alors de faire la chasse aux « doublons » entre les services déconcentrés de l'Etat et ceux des collectivités territoriales.
Il est également prévu de poursuivre une réflexion autonome sur la carte administrative française. La présence de certaines administrations au niveau infra-départemental sera remise en cause.
En conclusion, la commission des finances a retenu de ce projet de budget que les crédits dévolus à la gestion de la fonction publique sont en baisse que la politique du Gouvernement tend à réduire les effectifs et que celui-ci s'engage à réformer les retraites.
Aussi vous propose-t-elle, mes chers collègues, d'adopter ce budget.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 15 minutes ;
Groupe socialiste : 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 5 minutes ;
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser 10 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget que nous examinons aujourd'hui enregistre une baisse des moyens mis à disposition de la fonction publique et de la réforme de l'Etat de 2,12 %, et même, en tenant compte de l'inflation prévisionnelle, de 4,5 %. Etrangement, cette baisse est revendiquée par M. le ministre, attitude qui me laisse assez dubitatif : ce doit être un effet secondaire de la « nouvelle gouvernance » !
Ce budget ne trouve en fait de substance que dans le report des crédits non consommés, « vérité comptable » sans doute légitime, mais qui n'en masque pas moins l'absence de moyens supplémentaires, et je crains que ce manque d'ambition n'obère l'avenir. La non-consommation des crédits n'est certes pas un fait nouveau, mais l'effort de « sincérité budgétaire » devrait vous imposer, monsieur le ministre, une évaluation précise des actions sociales interministérielles.
Si les crédits alloués à ces actions progressent globalement, je m'interroge néanmoins sur la baisse notable des dotations destinées aux aides au logement, alors même que le bénéfice en a été étendu, depuis septembre 2001, aux agents en zones urbaines sensibles. J'avoue ne pas m'expliquer cette contradiction !
S'agissant toujours du logement, il semble que la politique de réservation soit à revoir. Pourquoi ne pas explorer la piste d'un cautionnement auprès des offices et sociétés d'HLM, ce qui faciliterait grandement l'accès à un premier logement pour les jeunes fonctionnaires ?
En revanche, je ne peux que saluer la forte augmentation des dépenses en faveur du développement de l'emploi et de l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique. Cet effort s'inscrit dans la droite ligne des politiques déjà engagées par le gouvernement de Lionel Jospin.
Je m'étonne cependant que vous estimiez, monsieur le ministre, que le ratio uniforme d'emploi des handicapés n'est pas pertinent dans certaines administrations compte tenu des missions imparties. Je rappelle que ce ratio n'est que de 6 % !
Au-delà des moyens strictement affectés à votre ministère, cette discussion budgétaire nous offre l'occasion d'embrasser de manière plus large les perspectives qui s'offrent à la fonction publique.
Or, les partenaires sociaux que nous avons rencontrés partagent nos inquiétudes.
Après les nombreuses déclarations de principe, plus ou moins tonitruantes, des leaders de la droite durant la campagne électorale, puis tout au long de l'été, nous pourrions nous réjouir de constater que la réduction annoncée des effectifs se limite à la suppression de 1 089 postes budgétaires, si certaines annonces ou décisions ne faisaient peser une lourde menace sur l'avenir du service public.
Vous avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, ne pas vouloir remplacer tous les départs à la retraite, qui seront pourtant très nombreux dans les années à venir.
Vous souhaitez mettre fin au dispositif des emplois-jeunes. Dans la fonction publique de l'Etat, ce sont 92 000 emplois qui vont disparaître, alors qu'ils répondaient à de réels besoins et offraient un précieux soutien, au point d'être devenus souvent indispensables. Cela concerne massivement l'éducation nationale avec 62 000 aides-éducateurs... mais vous préférez ériger des clôtures autour des établissements scolaires ! (Protestations sur plusieurs travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Seulement ce gouvernement qui préfère la répression à l'éducation s'en prend aussi fortement à la justice et la police : les créations de postes annoncées au ministère de l'intérieur ne compenseront pas la disparition de nombre d'adjoints de sécurité. Je ne peux que partager l'inquiétude des employeurs comme des jeunes concernés. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer sur leur avenir ?
Vous nous vantez aujourd'hui les mérites de la décentralisation, mais derrière la décentralisation engagée par le Premier ministre, c'est le démantèlement de l'Etat et du service public qui se profile. Le transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales sans garantie de moyens supplémentaires, dans des secteurs déjà déficitaires en personnels, risque de se traduire par l'alourdissement des impôts locaux et le transfert de personnels de l'Etat vers les collectivités territoriales - moyen discret de réduire le poids de la fonction publique de l'Etat et de faire des coupes claires dans ses finances.
La question des personnels et des moyens financiers aurait dû être un préalable à toute nouvelle étape de la décentralisation.
Celle que vous nous proposez risque de mettre à mal l'unité de la fonction publique, de compromettre la mobilité des agents et l'égal accès au service public, sans parler des problèmes que cela posera pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
S'agissant des personnels, j'aimerais connaître le traitement que vous entendez réserver aux personnels administratifs, techniciens, ouvriers et de service, ATOS. Le double langage des différents membres du Gouvernement sur cette question génère une incertitude insupportable chez ces agents et semble conduire tout droit vers une externalisation, voire une privatisation de ces services.
En ce qui concerne les retraites, je pense qu'il conviendra d'être attentif à ne pas créer de concurrence artificielle entre secteurs privé et public. La réforme à venir doit préserver le système par répartition, tout en introduisant plus d'égalité et en maintenant le niveau de la retraite.
Je m'interroge sur la méthode qui consiste à annoncer des négociations sur les retraites et à ouvrir le débat dès maintenant en prenant la décision unilatérale d'une « extinction progressive du congé de fin d'activité ». J'ose espérer, monsieur le ministre, que ce n'est pas là votre conception du dialogue social et que vous avez des positions moins tranchées que celles de votre collègue M. François Fillon, qui estime, pour sa part, que « les préretraites sont une catastrophe pour l'économie nationale et pour nos régimes de retraite ». Vous n'ignorez pas que le congé de fin d'activité, le CFA, est aujourd'hui intégré dans la carrière de nombre d'agents qui approchent de l'âge de la retraite. Ceux qui ont cotisé au moins trente-sept ans et demi, voire quarante ans, tout en étant nés après 1946, se sentent donc lésés par une limite d'âge qu'ils jugent arbitraire, d'autant qu'ils étaient éligibles au CFA l'an passé !
Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à réfléchir à ces situations « objectivement difficiles », selon vos propres termes. Quelle réponse comptez-vous leur apporter ?
S'agissant de la politique salariale, vous vous contentez de confirmer la hausse de 0,7 % au 1er décembre, hausse promise par Michel Sapin, en annonçant, là aussi, des négociations pour le début de 2003. Or sur quelles bases comptez-vous mener ces négociations qu'aucun crédit ne provisionne ? Comment envisager des revalorisations salariales en l'absence totale de toute marge de manoeuvre budgétaire ?
Les revalorisations pour l'année 2002 seront de 1,2 ou 1,3 point, tandis que l'INSEE prévoit une inflation de 2,3 % ! Le pouvoir d'achat des fonctionnaires ne sera même pas maintenu, contrairement à ce qui s'est passé durant l'ensemble de la législature précédente, qui a même vu les rémunérations les plus basses revalorisées de 12,5 %. Ne trouvez-vous pas injuste que les agents risquent ainsi d'être les victimes de la quadrature budgétaire ?
Je voudrais savoir comment le collectif budgétaire annoncé prochainement - peut-être dès le mois de janvier - pourrait être positif, alors que M. Mer estime, lui, qu'on fera des économies, car on ne dépensera pas en cours d'année.
Quant à la réforme de l'Etat, si nous sommes d'accord pour dire qu'elle est indispensable, je crois que personne ne nous contestera la responsabilité de l'avoir largement engagée. Permettez-moi, là encore, de douter que la décentralisation que vous préconisez soit le moyen d'y parvenir. Au contraire, marquée au coin du libéralisme, elle risque fort d'aboutir à un désengagement de l'Etat et à un accroissement des inégalités entre les territoires, notamment en ce qui concerne l'accès aux services publics.
L'annonce de deux projets de loi d'habilitation pour légiférer par ordonnances, concernant des sujets aussi importants que variés, semble faire peu de cas du rôle du Parlement.
Par ailleurs, je ne peux que constater la poursuite des démarches entamées, que ce soit en matière de simplification administrative ou d'administration électronique. J'aimerais savoir ce qu'il advient des maisons des services publics, qui semblent être les grandes oubliées des discours et rapports.
Enfin, je souhaite abonder dans le sens de M. Plagnol, qui souhaite « moins légiférer pour mieux légiférer ». Je regrette seulement que le message ne soit pas entendu de l'actuel gouvernement, si l'on en juge par l'encombrement de l'ordre du jour par des textes en urgence, voire par des textes d'ambition constitutionnelle dont l'utilité est contestée par la majorité elle-même !
Il est vrai que certains cantonnent la réforme de l'Etat à une réduction drastique des moyens de l'Ecole nationale d'administration l'ENA, alors même qu'une fois la polémique retombée le budget de cette école augmente !
Ce n'est malheureusement pas le cas de votre budget dans son ensemble, monsieur le ministre. Non seulement il baisse, mais il est marqué de lourdes inquiétudes pesant sur l'avenir et la qualité du service public. Ces trop nombreuses zones d'ombre engagent donc le groupe socialiste à rejeter un tel budget. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Hilaire Flandre. C'est un scoop !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le ministre, votre vision libérale vous conduit à présenter un budget de la fonction publique pour 2003 défavorable aux agents de la fonction publique et aux citoyens.
Ainsi, les crédits sont en baisse de 1,98 %, ce qui marque clairement le sens de votre politique. Cela augure mal de ce que vous voulez faire de la France, au travers de la décentralisation telle que vous la proposez.
Pourtant, les services publics sont au coeur de notre modèle de société. Ils concourent à la cohésion sociale et nationale. Ce sont les éléments structurants de l'économie et du lien social, un outil décisif pour répondre à l'évolution des besoins des usagers, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la culture, de l'information, des transports, de l'environnement et de l'eau. C'est à remplir ces missions que se consacrent quotidiennement les agents de la fonction publique. C'est pourquoi la qualité et la modernisation des services publics doivent reposer sur une politique de l'emploi dynamique. Ce n'est pas en affaiblissant les moyens de l'Etat que vous répondrez aux attentes des citoyens. Déjà, la communauté scolaire a fait entendre son mécontentement devant la disparition programmée des aides-éducateurs et de 5 600 maîtres d'internat et surveillants d'externat. Et les enseignants seront à nouveau dans la rue dimanche prochain.
Avant la fin de cette décennie, 30 % des fonctionnaires seront admis à la retraite. Au lieu d'organiser leur remplacement, de budgétiser la préparation du nécessaire passage de témoin entre générations, vous programmez une réduction des effectifs au rythme de ces départs.
Actuellement, tous les postes budgétaires ne sont pas occupés : c'est dire notre crainte pour les années qui viennent. Le dispositif emplois-jeunes est supprimé. Nous sommes d'autant plus inquiets que leur intégration via les concours de troisième voie décidée sous la précédente législature risque d'être ajournée par la remise en cause du congé de fin d'activité.
En vous attaquant à ce système de préretraite des fonctionnaires, vous augurez mal du dialogue social sur les retraites, un dialogue qui commence par la tentative d'opposer le public et le privé. Mais le discours anti-fonctionnaire, arme privilégiée du libéralisme contre les services publics, n'est pas nouveau, et il est clair que les uns et les autres n'ont rien à gagner à votre politique, monsieur le ministre.
Emplois-jeunes, contrats emploi-solidarité, surveillants, départs en retraites : en réalité, ce sont des milliers d'emplois qui sont supprimés, un nombre bien plus important que celui qui est annoncé.
Vous ne pouvez pas soutenir, encourager, valoriser la fonction publique en imputant aux fonctionnaires - comme en témoignent certains propos sur leur « rémunération au mérite » - certaines insuffisances de l'administration et des services publics. Les citoyens ne sont pas dupes : les infirmières débordées ou les agents de l'équipement surchargés ne sont pas en cause.
Monsieur le ministre, votre projet de budget ne prévoit aucune marge de manoeuvre pour les négociations salariales, qu'il est légitime, au vu des revalorisations des traitements limitées à 1,2 % en 2002, de rouvrir. L'Etat possède pourtant là un levier sur la croissance économique qu'on annonce très faible, levier qu'il se refuse à utiliser pour soutenir la consommation des ménages. Les négociations salariales à venir au printemps 2003 s'annoncent plutôt comme une dualité « salaires contre emplois », comme M. Géard Braun vient de le laisser sous-entendre.
L'Etat est le premier pourvoyeur d'emplois précaires. Il n'applique pas la loi relative à la résorption de l'emploi précaire adoptée le 3 janvier 2001, qui nécessiterait pourtant une action politique forte.
Monsieur le ministre, votre projet de budget prépare une régression du rôle de l'Etat. L'inquiétude des agents est grande quant à la décentralisation, aucune garantie ne leur est donnée sur leur statut. Alors qu'on connaît leurs compétences et leur profond attachement aux missions qui leur sont confiées, la décentralisation que M. le Premier ministre déclare vouloir mener en cent cinquante jours semble se faire sans eux.
A l'inverse de votre politique, nous proposons de développer les droits et les garanties des fonctionnaires, qui sont de puissants remparts contre les modes de gestion « privée », de renforcer leur formation et la reconnaissance de leur rôle social, qui sont une dimension du contrôle citoyen sur les « experts ».
Monsieur le ministre, votre projet de budget tourne le dos aux besoins des agents, réduit la capacité d'intervention de l'Etat, rabougrit les services publics. En conséquence, nous voterons contre. M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il convient tout d'abord de prendre acte du fait que ce projet de budget du ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat est un budget de transition. Il ne pouvait en être autrement, à moins d'avoir la volonté de tout chambouler sans savoir quoi mettre à la place.
Le Gouvernement a la sagesse de dresser au préalable un état des lieux, et on se doit d'approuver une telle attitude. Pour ma part, j'apporte mon soutien aux propositions que vous formulez, monsieur le ministre.
En effet, un bon gouvernement n'est pas celui qui dépense plus, mais celui qui dépense mieux. Nous devons, les uns et les autres, sortir de cette logique qui consiste à dire : « Je dépense, donc je suis. »
Il faut souligner que si ce projet de budget ne présente pas, d'ores et déjà, les inflexions que les plus impatients attendaient, il offre, malgré tout, des pistes qui sont autant de symboles porteurs d'espoir pour l'avenir : pour la première fois depuis longtemps, en effet les effectifs de la fonction publique civile n'augmentent pas, ce qui contraste avec le record de 2002, année où près de 16 000 emplois ont été créés.
Tout le monde est bien conscient que de telles dérives sont devenues insupportables pour le budget de l'Etat et pour les contribuables : au cours des cinq dernières années, le poids de la fonction publique s'est accru, passant de 40,7 % à 43,4 % du budget général.
De plus, parmi les bombes à retardement pesant sur les finances publiques, deux concernent directement l'emploi public : l'aménagement et la réduction du temps de travail, d'une part, les emplois-jeunes, d'autre part.
Le prochain budget, en 2004, après la pause que représente 2003, devra amorcer la baisse réelle des effectifs de la fonction publique. Pour cela, il faut utiliser la situation démographique favorable - elle pose d'autres problèmes que j'évoquerai plus loin -, à savoir les premiers forts départs en retraite.
Pour autant, la baisse ne doit être ni uniforme ni homothétique, elle doit s'appuyer sur une réforme des méthodes et des modes de gestion de l'Etat ainsi que sur la modernisation de son organisation pour un meilleur service de l'usager au meilleur coût.
Une diminution doit intervenir, notamment au niveau central, ce qui nous soulagerait peut-être de ce que Grimm dénonçait déjà en 1753 : « L'esprit de règlement nous obsède et nos maîtres des requêtes ne veulent pas comprendre qu'il y a une infinité d'objets dans un grand Etat dont le gouvernement ne devrait jamais s'occuper. »
La question de la raison d'être de nombreux services, agences, instituts se pose. Le service de la redevance télévision n'en est qu'un modeste exemple parmi un océan d'organismes du même genre.
En corollaire, cela permettrait d'assurer une meilleure présence sur le terrain des services essentiels, comme ceux de sécurité ou de justice.
La décentralisation qui va se mettre en place à partir de l'an prochain doit être aux collectivités locales l'occasion de voir non seulement ce qu'il faut transférer en vertu du principe de subsidiarité, mais aussi les économies d'emploi à réaliser.
Il y a lieu aussi de s'interroger sur la question de la rémunération dans la fonction publique. Les dépenses de ce secteur ont augmenté beaucoup plus vite que le budget général et sensiblement plus que la croissance économique. C'est économiquement absurde. Pourtant, cela n'empêche pas nombre de fonctionnaires de manifester une certaine insatisfaction quant à leur rémunération.
Le statut et l'avancement général pour tous ne sont pas particulièrement mobilisateurs. Accorder plus de poids au mérite, à l'investissement personnel dans l'évolution de la carrière permettrait de retrouver les gains de productivité que les 35 heures ont largement absorbés. Cela réparerait des injustices, ce que Vauban a fort bien formulé en son temps en faisant remarquer à Louvois que « le vrai moyen de dégoûter ceux qui servent bien est de moins bien les récompenser que ceux qui servent mal ».
Par ailleurs, pourquoi ne pas faciliter les travaux supplémentaires, source de revenus complémentaires, notamment pour les jeunes fonctionnaires ? Une telle mesure pourrait permettre, dans un certain nombre de domaines, d'accentuer la réduction des effectifs et de mieux organiser le travail pour rendre un meilleur service au public, notamment en ce qui concerne les horaires. Ainsi, on peut s'interroger quand, dans une préfecture, le service des cartes grises ferme dès seize heures quinze !
J'en viens maintenant à une question relative à la haute fonction publique. Rassurez-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne tomberai pas dans la facilité et l'absurdité de suggérer la suppression de l'Ecole nationale d'administration. Mais je crois que celle-ci doit se réformer, d'abord pour réaliser des gains de productivité dans son fonctionnement propre, mais surtout pour mieux adapter sa formation aux exigences de notre société.
Ainsi, les stages devraient être un véritable service civil, l'occasion d'une immersion dans des secteurs difficiles de notre pays. Le cocon d'une préfecture est beaucoup trop protecteur. Se colleter avec les difficultés d'une commune rurale, sans moyens humains, avec la dureté du métier des assistants sociaux, le stress des enseignants en zone d'éducation prioritaire ou la vie en entreprise serait susceptible d'apporter un peu de sens pratique et de sens de la réalité.
Par ailleurs, dans un monde comme le nôtre, le recrutement de la haute fonction publique d'Etat doit être concurrentiel. Des personnes n'ayant reçu d'autres formations doivent pouvoir y accéder, fût-ce pour un temps limité. De même, l'accès des fonctionnaires de la fonction publique territoriale devrait être aussi facile que l'est pour les agents de l'Etat, le passage au service des collectivités locales.
La dernière question est bien sûr celle des retraites, problème difficile s'il en est. Le système actuel est moribond et on a déjà perdu trop d'années. Le décalage croissant entre l'évolution des rémunérations et celle des pensions le confirme. Ce constat concerne non seulement la fonction publique, mais aussi les régimes spéciaux qui, certes, ne sont pas à l'ordre du jour aujourd'hui. Mais ce qui a pu justifier ces particularismes a, la plupart du temps, disparu.
La simple évolution démographique rend nécessaire la réforme. On peut agir sur trois paramètres. On peut, tout d'abord, augmenter les contributions qui pèsent sur l'activité, mais celles-ci sont déjà difficilement supportées et supportables. On peut, ensuite, diminuer les pensions, mais ce ne serait pas forcément équitable et productif. Reste un troisième moyen, le seul à mon sens : il est inéluctable d'allonger la période d'activité, c'est-à-dire la durée effective de la cotisation avec, pour corollaire, une décote sensible pour départ anticipé.
M. Gérard Braun, rapporteur spécial. Très bien !
M. André Lardeux. Quoi qu'il en soit, cette réforme est urgente, notamment pour les fonctionnaires récemment recrutés qui doivent savoir à quoi s'en tenir sur le déroulement de leur carrière.
Pour terminer, je veux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, attirer votre attention sur un point particulier : le CFA, le fameux congé de fin d'activité.
Vous avez introduit, lors de la discussion à l'Assemblée nationale, un amendement sur ce point. J'en comprends l'utilité et j'en approuve la finalité.
Il ne faudrait pas cependant qu'un tel amendement entraîne une injustice pour quelques fonctionnaires nés après 1946. Mais, dans votre réponse au rapporteur de l'Assemblée nationale, vous avez montré que vous aviez bien perçu la difficulté.
Pour illustrer mon propos, je me permettrai de citer le cas du directeur des finances de ma collectivité. Né en 1947, il a pourtant déjà cotisé pendant plus de quarante ans, puisqu'il a commencé à travailler à quatorze ans. Nul doute que, pour lui et pour quelques autres qui ont commencé à travailler très tôt, la brutalité du couperet est assez injuste. Aussi, je vous remercie de l'éventuel dispositif transitoire que vous pourriez proposer pour éviter une telle situation.
Nonobstant cette dernière remarque, il est bien évident que j'apporte mon soutien au projet de budget que vous nous présentez et, avec mon groupe, je le voterai. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de confesser mon émotion : c'est le premier budget que je défends en tant que ministre devant une assemblée que je connais bien et à laquelle j'adresse mes cordiaux sentiments.
Mon intervention prendra la forme d'une réponse à toutes les interrogations, à toutes les affirmations des uns et des autres.
Je voudrais vous remercier, monsieur le rapporteur, pour la qualité de vos analyses et pour avoir soulevé les problèmes essentiels qui se posent aujourd'hui à la fonction publique.
J'entends bien à travers les propos de M. Jacques Mahéas, de Mme Josiane Mathon, mais aussi de M. André Lardeux qu'en réalité la dimension symbolique de ce budget est bien plus importante que son poids financier.
Je crois qu'il convient effectivement d'aller à l'essentiel.
Vous avez, les uns et les autres, invité le Gouvernement à réfléchir à la maîtrise des effectifs, aux retraites et à l'attractivité de la fonction publique. Mais vos interrogations portaient en réalité sur la place du service public dans ce pays et sur la considération que lui porte le Gouvernement.
Madame Mathon, j'ai bien entendu votre accusation : le service public serait « rabougri », avez-vous dit. Mais, très objectivement, un constat s'impose au vu des résultats du premier tour des élections présidentielles : nos concitoyens ont exprimé un sentiment de douleur et de désespérance, ils ont estimé qu'un certain nombre de secteurs étaient abandonnés par le service public et que celui-ci était impuissant à régler les problèmes liés à la violence.
Selon moi, ce n'est ni avec des discours ni avec plus d'effectifs que l'on défend le service public, c'est avec plus d'efficacité et en obtenant de meilleurs résultats.
Lorsque je vois des enseignants qui ont la « tripe » service public mettre leurs enfants dans le privé, lorsque je vois l'hôpital être en rupture de service public parce que, du fait de l'application brutale et irréfléchie des 35 heures, il manque 40 000 personnes et que l'on est obligé de fermer certains services (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE), lorsque je vois tous ces services publics fragilisés, en particulier La Poste, parce que les décisions nécessaires n'ont pas été prises, je m'interroge très honnêtement et je me demande qui sont les vrais défenseurs du service public. (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Josiane Nathan. Ils applaudissent et ils ont déposé des amendements !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Pour notre part, nous avons confiance dans le service public et nous sommes animés par le souci de lui permettre d'être le plus efficace possible. Et pour qu'il en soit ainsi, il faut que les fonctionnaires soient plus épanouis, que leurs missions soient très clairement déterminées et qu'ils aient les moyens de travailler.
M. Jacques Mahéas. Et la possibilité de partir à la retraite !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Monsieur Mahéas, aujourd'hui, le ministre de l'intérieur a pris en considération les conditions de travail des policiers pour éviter que ceux-ci ne soient obligés de demander l'aumône aux collectivités locales afin d'assurer leurs fins de mois. De telles pratiques étaient-elles dignes d'un service public de l'Etat ? La réponse est non ! (M. Jacques Mahéas s'exclame.)
Nous sommes convaincus, les uns et les autres, qu'un pays performant a besoin d'un service public performant.
Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons été contraints de financer des mesures qui avaient été certes annoncées à grands coups de clairon et qui figuraient dans des budgets d'affichage mais qui n'avaient absolument pas été financées. Aujourd'hui, nos concitoyens exigent de nous, à juste titre, transparence, vérité et responsabilité.
M. Jacques Mahéas. Il vous reste de l'argent !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Si je revendique la baisse de mon budget, c'est parce que, derrière le budget, il y a les impôts des contribuables.
M. Jacques Mahéas. Vous êtes en contradiction !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Monsieur Mahéas, vous qui connaissez le fonctionnement des collectivités locales, vous savez très bien que si j'inscris 75 millions d'euros sur une ligne budgétaire qui comporte 150 millions d'euros de report de crédits non consommés, cela veut dire que mon propre ministère a levé 150 millions d'euros d'impôts qui n'ont pas été utilisés. Or nos concitoyens veulent aujourd'hui que l'impôt soit évalué, consommé et serve à financer des politiques. Faire des réserves budgétaires, c'est tricher avec les contribuables et affaiblir le service public. Cela ne va dans le sens de la responsabilisation ni des ministres, ni de l'administration, ni des contribuables. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Mahéas. Et Bercy !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Nous voulons renverser les habitudes qui prévalent au sein de l'administration, faire en sorte que le bon gestionnaire soit non pas celui qui cherche à camoufler des magots par crainte qu'on les lui prenne, mais celui qui dit : « je demande 1 euro parce que je sais que cet euro sera efficace et je suis prêt à évaluer les résultats ».
Bien administrer, ce n'est pas non plus vouloir gonfler les effectifs au point de neutraliser l'action publique. Nous avons le souci de la vérité, de la transparence et de l'efficacité. C'est la raison pour laquelle, au lieu d'entrer dans un débat sur les effectifs, nous posons le vrai problème : la fonction publique pourra-t-elle demain attirer les compétences dont elle aura besoin ?
Dans la société du xxie siècle, société de l'intelligence, la qualité du service public sera déterminante pour l'avenir de ce pays. Nous avons donc besoin de dégager de l'argent pour financer, entre autres, la recherche publique. Gonfler ou laisser gonfler les frais de fonctionnement c'est, à l'évidence, réduire les capacités d'investissement. Et réduire les capacités d'investissement de l'argent public, c'est fragiliser l'avenir du pays.
Dans les dix à quinze ans qui viennent, on aura besoin de 4 % de PIB supplémentaires pour financer les retraites. On aura également besoin de quelques points de PIB supplémentaires pour financer les dépenses de santé ou encore les infrastructures, les nouvelles technologies, la recherche. Pour préserver la place de la France sur l'échiquier mondial, il faut soutenir celles et ceux qui créent de la richesse afin d'avoir un service public compétent.
M. Jacques Delors, à qui l'on ne peut pas reprocher de ne pas être de vos amis, disait : « Pour que la France soit solidaire, il faut qu'elle soit forte sur le plan économique. »
Alors, ayons un discours courageux et rigoureux. La défense du service public passera par la puissance de l'économie de la France et le service public ne doit pas être opposé au service privé. Cessons ce faux débat !
Je ne vois pas, madame Mathon, au nom de quoi vous nous accuseriez d'être systématiquement anti-public alors que vous vous réserveriez le privilège et le monopole d'être systématiquement anti-privé. Il n'y a pas, d'un côté, le public, porteur de toutes les vertus et, d'un autre côté, le privé, porteur de tous les défauts. Il y a des Françaises et des Français qui participent, dans le secteur public et dans le secteur privé, à l'accroissement de la richesse de ce pays au profit de tous. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Laisser déraper les dépenses publiques, c'est commettre un crime contre l'avenir de nos enfants, c'est commettre un crime contre l'avenir de notre pays.
Pour ce qui est des retraites, vous avez raison de poser la question. Mais au lieu d'avoir une attitude consistant à dire, comme Michel Rocard, que « tout gouvernement sautera », et surtout à ne jamais rien faire et demander des rapports pour mieux reculer la décision, le Gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, parce qu'il estime que ne pas régler le problème des retraites est un signe d'affaiblissement majeur pour ce pays et une source d'inquiétude permanente pour les Françaises et les Français qui se demandent de quoi demain sera fait, a pris la décision d'arrêter au mois de juin notre position en ce domaine.
Notre méthode est très claire, elle repose sur l'écoute, sur le dialogue. Nous souhaitons interpeller les Françaises et les Français : ce formidable système de la répartition, qui est un contrat entre les générations, ceux qui travaillent payant pour ceux qui sont à la retraite, comment le sauver au moment où, comme vous l'indiquez, monsieur le rapporteur spécial, il y aura à l'évidence de plus en plus de retraités et de moins en moins de travailleurs ?
Pour remédier à ce déséquilibre, le courage politique consiste à affronter la réalité et à regarder effectivement comment on peut sauver ce système de retraites.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. Vouloir en permanence défendre des intérêts catégoriels, souhaiter défendre uniquement le présent en occultant tous les problèmes de l'avenir, c'est avoir un discours politicien irresponsable.
J'invite l'opposition à ne pas opposer systématiquement les Françaises et les Français. Nous avons besoin aujourd'hui, pour relever le défi de la compétition mondiale, de rapprocher ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, ceux qui sont au chômage de ceux qui travaillent, ceux qui sont à la retraite et ceux qui étudient. Il n'est pas bon de vouloir en permanence faire des discours pour défendre des intérêts corporatistes, des intérêts catégoriels. C'est la mobilisation de tous, de toutes les intelligences au service de l'intérêt général qui est aujourd'hui en cause.
C'est la même chose pour le congé de fin d'activité, le CFA. Il existe aujourd'hui deux dispositifs pour la cessation anticipée du travail : la cessation progressive d'activité et le congé de fin d'activité.
La cessation progressive d'activité permet à un fonctionnaire de travailler à mi-temps tout en conservant 80 % de son traitement.
Le congé de fin d'activité quant à lui n'est pas un dispositif permanent. Pour qu'il le devienne, vous auriez dû le voter. Ce dispositif est en effet voté en loi de finances tous les ans. C'est donc un dispositif fragile. Or il est incohérent que l'Etat rétribue des gens pour qu'ils partent à la retraite plus tôt et en même temps recrute de nouveaux salariés.
Il convient de se demander - c'est ce que nous avons décidé de faire - pourquoi des fonctionnaires ont envie de partir plus tôt à la retraite alors qu'ils se sont engagés dans la fonction publique avec passion, détermination et honneur. La lutte contre la lassitude de certains fonctionnaires, notamment dans l'éducation nationale, nous invite aujourd'hui à réfléchir, avec les syndicats, sur une seconde carrière, une seconde mission. Comment leur permettre de rebondir et de découvrir un autre épanouissement, plutôt que de les laisser attendre impatiemment la retraite, ce qui est absolument incroyable ? Comment redonner aux fonctionnaires la passion de leur métier, de leur mission ? Comment les aider à retrouver la reconnaissance de leurs concitoyens ? Voilà ce à quoi nous travaillons, car c'est, je crois, la meilleure défense du service public ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Monsieur Lardeux, vous m'avez posé des questions tout à fait intéressantes sur la souplesse. Quand je constate aujourd'hui que la RTT fragilise brutalement les services de police, les hôpitaux, je me demande qui paie. Les fonctionnaires, par un blocage des salaires. Les citoyens, par la disparition des services publics. Avec Jean-François Mattei, nous faisons en sorte, avec le compte épargne-temps, en responsabilisant les ministres, gestionnaires de la ressource humaine, les directeurs d'hôpital et leurs organisations syndicales, que la priorité soit non plus l'idéologie des 35 heures, mais la défense du service public dans ce qu'il a de plus noble, c'est-à-dire sa continuité au service des citoyens, grâce à des ajustements après des négociations en souplesse.
Nous avons déjà ouvert avec les syndicats quatre grands chantiers.
Le premier concerne la gestion des ressources humaines, avec des modifications dans le recrutement et la possibilité de valider les acquis.
Le deuxième concerne la décentralisation pour que les transferts des ressources humaines indispensables qui l'accompagnent n'aboutissent pas à rendre le fonctionnaire ou le citoyen perdant. Tout le monde doit être gagnant, les coûts de fonctionnement doivent être rationalisés et le statut des fonctionnaires maintenu. Nous vous proposerons un certain nombre de solutions dans ce sens.
Le troisième chantier concerne les salariés. Je suis ravi, monsieur Mahéas, que vous m'ayez interrogé sur la façon dont nous allons mener les négociations. Je vous rappelle qu'aucun accord salarial n'est intervenu depuis 1998 avec le Gouvernement précédent.
M. Jacques Mahéas. Il l'était pour trois ans !
M. Jean-Paul Delevoye, ministre. D'ailleurs, la première réaction des représentants des organisations syndicales que j'ai rencontrés a été de me dire qu'enfin ils ne ressentaient plus le mépris dans lequel les avait tenus les précédent gouvernement.
Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que les collectifs budgétaires servent à préciser les chiffres et à inscrire les décisions votées !
En revanche - je le dis devant le président de la commission des finances qui a été un ardent défenseur de la LOLF -, je souhaite que les négociations salariales soient closes avant l'ouverture de l'examen du budget, afin d'y concrétiser les accords salariaux et de ne plus être obligé de le faire par la suite. Nous engagerons ces réflexions au cours du premier semestre 2003.
Enfin, le quatrième et dernier chantier concerne les retraites. M. le Premier ministre a très clairement indiqué que, de fin janvier à juin, nous ouvrirons avec les organisations syndicales, mais également avec l'opinion publique et les parlementaires, le débat sur les retraites : il faudra poser le problème très clairement, comme l'a fait M. Lardeux.
Nous savons bien, aujourd'hui, les uns et les autres - et M. Marc Blondel l'a reconnu lui-même -, qu'une augmentation de quarante points de PIB est nécessaire pour financer les retraites. La vraie question est la suivante : qui paie ? Le contribuable ? L'employeur ? L'employé ? Le retraité ? Ce type de débats, en réglant le problème des retraites, permettra d'éclairer l'avenir des fonctionnaires et, de fait, celui des investisseurs. Cela participe de l'attractivité du site France.
Je vous remercie du soutien que la majorité nous apporte sur ce budget, que nous avons souhaité sincère, responsable, transparent. Il reflète une très grande détermination : celle de rendre leur fierté aux fonctionnaires, de renforcer la qualité du service public, de redonner aux Françaises et aux Français confiance dans le service public. J'ai un grand et profond respect pour toutes celles et tous ceux qui, quotidiennement, travaillent pour le service public, c'est-à-dire pour la France ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, à mon tour, dans le très bref délai qui m'est imparti, tenter de vous convaincre de la détermination du Gouvernement à réformer l'Etat.
Si le Premier ministre a tenu à créer un secrétariat d'Etat à la réforme de l'Etat auprès du ministre en charge de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, c'est précisément pour marquer la priorité qu'il accorde à cet immense chantier. La restauration de la crédibilité de l'action publique, à la suite de la dernière élection présidentielle, est au coeur des préoccupations du Président de la République.
Plutôt que d'exposer dans le détail les orientations du modeste fonds pour la réforme de l'Etat, j'expliciterai brièvement les trois priorités qui sont les miennes : aller vers un Etat plus performant, plus proche, plus simple.
L'Etat doit impérativement être plus performant - vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur - pour que notre pays puisse assumer ses engagements européens et que le service public soit en mesure de relever les défis à venir. Pour augmenter, à moyens constants, la performance de l'action publique, nous nous appuierons sur la loi organique relative aux lois de finances, qui a été adoptée, je le rappelle, à l'unanimité par les deux assemblées au cours de la précédente législature. Il s'agit de passer d'une culture de moyens à une culture de résultats, d'aller vers une contractualisation des objectifs pluriannuels fixés par les assemblées, tout en permettant un véritable contrôle de la dépense publique, de manière rigoureuse et transparente.
Qui dit objectif dit évaluation des résultats, puis adaptation en conséquence des moyens. Il s'agit là d'une vraie révolution culturelle, laquelle suppose, bien entendu, et vous l'avez souligné, une gestion prévisionnelle des effectifs, et donc une conception managériale de la ressource humaine différente de celle qui est en vigueur depuis trop d'années dans la fonction publique.
Il s'agit en effet, choix que le Gouvernement assume pleinement, de passer d'une logique d'augmentation constante des moyens - dans laquelle le bon ministre est celui qui augmente son budget, ses effectifs, et qui, éventuellement, attache son nom à une loi - à la logique inverse, dans laquelle le bon ministre est celui qui maîtrise son budget, qui s'interroge sur la pertinence de ses effectifs par rapport aux missions qui lui sont dévolues et qui, plutôt que de faire une loi de plus, essaie de simplifier la réglementation.
C'est le sens d'une récente circulaire, en date du 2 décembre, que le Premier ministre vient d'adresser à l'ensemble des ministres, afin qu'ils mettent en oeuvre un plan de réforme de leur administration. Ces plans, conçus sur la durée d'une législature, donneront lieu chaque année - je suis heureux de l'annoncer dans cette enceinte - à un examen devant les assemblées. Ainsi, le ministre deviendra le premier responsable de son administration.
Nous voulons un Etat plus performant, mais aussi un Etat plus proche de nos concitoyens. Dans ce domaine, les attentes sont immenses.
Le principal levier de la réforme de l'Etat, de ce point de vue, c'est le chantier constitutionnel, ouvert ici même par M. le Premier ministre, pour aller vers davantage de décentralisation.
L'introduction du droit à l'expérimentation est également une opportunité historique pour réformer l'Etat. Avec Jean-Paul Delevoye, nous avons la ferme intention, dès la première loi qui arrêtera le choix des expérimentations, de nous appuyer sur ce levier pour vous proposer de tester un certain nombre de pistes de réformes du service public. C'est un enjeu essentiel que d'aller, en accompagnement de la décentralisation, beaucoup plus loin vers la déconcentration. L'Etat doit parler d'une seule voix sur un territoire si l'on veut qu'il soit un partenaire efficace des collectivités locales. Cela suppose de donner aux représentants de l'Etat les vrais contrôles des deux leviers de l'action publique.
Le premier, ce sont les crédits. En la matière, nous avons l'intention, conformément au voeu du ministre de l'intérieur, d'accélérer la généralisation de la globalisation des crédits de façon à ce que les préfets contrôlent les dépenses de l'ensemble des services publics d'Etat dans un territoire donné.
M. Gérard Braun, rapporteur spécial. Très bien !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Le second levier, c'est la gestion des ressources humaines, des emplois publics. Là encore, il faut faire en sorte d'introduire davantage de mobilité, au sein d'un département ou d'une région, à l'intérieur des services de l'Etat. A cet égard, nous procéderons par expérimentation.
Un Etat plus proche est aussi un Etat qui accorde davantage d'attention à l'accueil de nos concitoyens et à la qualité des services publics. C'est pourquoi, dès mon arrivée au secrétariat d'Etat, j'ai donné instruction à la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat d'insérer systématiquement, dans les plans de réforme de chaque administration, un volet « qualité » qui inclurait une certification de qualité, c'est-à-dire l'évaluation par une instance externe de la réalisation des objectifs de qualité fixés au service public.
Pour réussir, ces démarches « qualité » devront s'appuyer sur une nouvelle approche de la gestion des hommes et des femmes de la fonction publique s'orientant le plus possible vers une gestion participative, afin de faire adhérer ces derniers aux objectifs.
Notre priorité absolue sera l'accueil dans les services publics. Le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, souhaite que nous allions vers une administration à visage plus humain. Il faut revaloriser les personnels de l'accueil, leur accorder davantage de considération et se donner des objectifs quantifiables précis : réduire les délais d'attente au téléphone et les délais de traitement des courriers, faciliter les prises de rendez-vous. Voilà des indicateurs de qualité concrets et parlants pour nos concitoyens.
Enfin, notre dernière priorité est d'aller vers un Etat plus simple. On ne peut pas se résigner à l'actuelle prolifération réglementaire que plus personne ne maîtrise. On ne sait pas assez que les préfets reçoivent en moyenne, chaque semaine, plus de dix circulaires qui comptent souvent de vingt à quarante pages. Cela signifie qu'il n'y a plus aucune lisibilité ni hiérarchisation des priorités des fonctionnaires sur le terrain.
Pour restaurer la clarté, libérer les initiatives, faire davantage confiance aux hommes et aux femmes qui sont chargés de mettre en oeuvre les priorités de politique publique, il nous faut alléger et simplifier.
C'est pourquoi, dès le début de l'année prochaine, j'aurai le plaisir de présenter à l'Assemblée nationale et au Sénat la première loi d'habilitation qui nous permettra de procéder à des simplifications par ordonnances. Elle sera consacrée prioritairement à la simplification de tout ce qui entrave le travail des artisans, des commerçants et des petits entrepreneurs. Elle comportera aussi un volet ambitieux pour la simplification de la vie quotidienne des Français et des dispositions visant à faciliter la vie des élus locaux, notamment en raccourcissant les délais de la commande publique et en allégeant la réglementation sur les marchés publics.
Une seconde loi d'habilitation suivra, qui portera sur l'ensemble du domaine social. L'ambition du Gouvernement est donc bien de simplifier la vie de nos concitoyens.
M. Gérard Braun, rapporteur spécial. Très bien !
M. Henri Plagnol, secrétaire d'Etat. Il nous faut aussi parvenir à légiférer moins et mieux. Pour ce faire, nous avons besoin du concours des deux assemblées. Nous devons nous demander, avant chaque projet de loi, si la loi est indispensable, s'il existe des moyens financiers et humains pour l'appliquer, si elle ne va pas se traduire par un surcroît de réglementation paralysant et contrariant ses propres objectifs et, enfin, s'il n'existe pas, chez nos voisins européens, d'autres méthodes pour atteindre le même but. Ces quelques questions très simples devraient guider l'action du législateur.
Vous l'avez compris : nous sommes décidés à réformer l'Etat, non pas pour affaiblir le service public, mais, au contraire, pour le restaurer et pour restaurer la confiance de nos concitoyens envers la fonction publique.
Au coeur de ma mission, j'en ai bien conscience, il y a l'avertissement que les Français nous ont donné lors de la dernière élection nationale. Notre conviction est que, restaurer la crédibilité de l'action publique suppose d'avoir suffisamment de courage et de persévérance pour la moderniser, de lui donner les moyens d'épouser son temps et d'être plus efficace au service des aspirations des Français ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant les services du Premier ministre : I. - Services généraux.
Je vous rappelle que le Sénat a déjà examiné le lundi 2 décembre les crédits relatifs aux services généraux du Premier ministre et le samedi 30 novembre les crédits relatifs à la communication.

ÉTAT B



M. le président. « Titre III : 24 151 649 euros. »