SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2002


L'amendement II-20, présenté par MM. Arthuis, Marini et Doligé, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
« Augmenter la réduction des crédits du titre IV de 1 000 000 euros.
« En conséquence, porter le montant des mesures nouvelles négatives à moins 32 226 761 euros. »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Eric Doligé, rapporteur spécial. Cet amendement est le résultat d'un long travail effectué en concertation avec M. le ministre et ses services. Nous demandons de réduire de 1 million d'euros les crédits du titre IV, qui s'élèvent à 260 millions d'euros, ce que représente 1/260e de ces crédits. Cette réduction devrait porter sur l'article 60 relatif au fonds de revitalisation économique.
Tout à l'heure, M. le ministre nous a dit que les crédits affectés à ce fonds n'étaient pas entièrement utilisés et qu'au fil des années ils se sont additionnés. J'estime, dans ces conditions, que la réduction que nous proposons n'imposera qu'un effort supplémentaire tout à fait raisonnable au ministère de la ville. Je crois que notre volonté a été très bien comprise car elle ne remet pas du tout en cause l'action préconisée par M. le ministre, action que nous accompagnons de tous nos voeux et que nous soutiendrons de nos votes unanimes.
Tel est, monsieur le ministre, le sens de notre proposition. D'après les échanges que nous avons pu avoir, il me semble que vous êtes favorable à cet amendement. Si tel est le cas, je vous en remercie par avance.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons essayer, en 2003, de consommer les crédits du FRE. Je signale que, pour l'heure, ils n'ont été totalement utilisés que dans un seul département français.
Bien sûr, je ne peux nous garantir que nous allons consommer l'intégralité des reports et des 20 millions d'euros que nous avons prévus dans ce projet de budget, mais nous espérons que la diffusion des crédits nous aidera à réussir.
Pour l'instant, c'est vrai, le FRE n'est pas une réussite, et je m'en remettrai, sur l'amendement de la commission des finances, à la sagesse du Sénat.
Pour relativiser les choses, je peux vous dire que la Commission européenne s'est montrée favorable à la création ou la réouverture de 84 zones franches urbaines dans notre pays.
Sur le plan financier, il est évident que c'est sans commune mesure avec ce million d'euros dont il est proposé de priver le FRE. Dans ces conditions, si le Sénat, qui sera appelé à se prononcer, m'apporte son soutien sur les zones franches urbaines, cela ne me pose aucun problème de m'en remettre aujourd'hui à sa sagesse.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, contre l'amendement.
M. Roland Muzeau. Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, qu'en vous en remettant à la sagesse du Sénat vous prenez un risque : en effet, depuis hier, la majorité du Sénat vote d'une seule main les réductions de crédits demandées par la commission des finances, même si les crédits proposés sont déjà en recul par rapport à 2002.
C'est ainsi qu'il a encore réduit les crédits de la jeunesse et de l'enseignement scolaire, ceux de l'enseignement supérieur et ceux de la recherche, et c'est ce qu'il va certainement faire de nouveau, tout à l'heure, avec le budget de la culture.
Il me semble donc que vous êtes bien imprudent !
Je ne mets nullement en question la volonté que vous avez exprimée, mais, si vous cédez dès aujourd'hui sur la baisse de votre budget, qui est un budget en stagnation - et même en régression de 3 % si l'on considère l'ensemble de la politique de la ville -, je pense qu'il sera difficile de mettre en oeuvre des actions nouvelles, d'opérer des redéploiements et de redonner confiance aux élus locaux, pour reprendre vos propres termes.
Je demande donc au Sénat de ne pas accepter cette réduction de crédits, de façon que, ensemble, monsieur le ministre, nous essayions de mettre en pratique les idées que vous avez énoncées du haut de la tribune.
M. Ivan Renar. Ce serait cela, la vraie sagesse !
M. le président. La parole est à Mme Nelly Olin, pour explication de vote.
Mme Nelly Olin. Je m'exprime là à titre personnel.Si, tout à l'heure, nous avons eu quelques états d'âme, nous n'en aurons pas en ce qui concerne le FRE.
Quand on a vu de quelle façon le système a fonctionné, quand on voit tout l'argent qui est inutilisé, on est nécessairement conduit à penser que cette réduction des crédits ne pourra pas remettre en cause la politique de la ville.
J'aurais aimé que mes collègues de l'opposition fassent, eux, preuve d'un peu plus de sagesse politique. L'année dernière, j'avais émis un avis de sagesse sur le budget de la ville, en expliquant que, s'il y avait un domaine qui ne se prêtait pas à la polémique politique, c'était bien celui-là. Je crois qu'ils devraient montrer un peu d'humilité et considérer que nous avons là un certain travail à faire tous ensemble. C'est pourquoi ce débat me paraît un peu vain.
Je tiens surtout à vous remercier, monsieur le ministre, de vous être battu pour obtenir des zones franches. En effet, si nous avions suivi le rapport de l'inspection générale des affaires sociales, les zones franches auraient été purement et simplement assassinées. Or je n'ai pas le souvenir que, à l'époque, sur les travées de gauche ou au gouvernement de la gauche dite « plurielle », quiconque s'en soit ému. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote.
M. Jack Ralite. J'irai dans le sens de ce qu'a dit mon collègue Roland Muzeau. Je pense à l'année prochaine, monsieur le ministre : l'habitude de diminuer les budgets, cela se prend mais, en général, cela ne se corrige pas.
Vous risquez donc, la diminution de crédits étant intervenue, d'être engagé sur une route parsemée d'autres diminutions, lesquelles se produiront quand certaines des idées que vous venez de nous exposer commenceront à germer.
Vous nous dites que tous les crédits n'étaient pas consommés. Soit ! Moi, je suis de la Seine-Saint-Denis, d'Aubervilliers, vous le savez, je l'ai souvent rappelé ici : sur l'article 55 de la loi SRU, je ne sais pas quelle sagesse s'est exprimée, mais la majorité du Sénat était contre. Si bien qu'il a fallu se battre, la semaine passée, pour que M. de Robien apporte un correctif in extremis , faute de quoi l'article 55 se serait « évaporé ».
La majorité veut moins d'argent pour construire des logements sociaux tout simplement, parce qu'elle ne veut pas en construire, à de rares exceptions près. Il y a donc une grande bataille à mener sur le logement social.
J'habite en HLM depuis 1955, et je ne suis pas près de quitter mon logement ! Je ne suis pas de ceux qui crient sur les HLM : je sais trop ce que c'est que d'être passé d'un hôtel meublé à un petit logement HLM.
Cela dit, aujourd'hui, se posent effectivement les problèmes que vous avez fort justement décrits, et votre expérience de maire vous permet incontestablement d'en parler de façon avertie. Cependant, il faut tout de même construire des logements sociaux là où il n'y en a pas ou presque pas. Sinon, des villes comme la mienne - 41 % de logements sociaux -, Saint-Denis - 51 % de logements sociaux - et d'autres encore...
Mme Nelly Olin. Chez moi, c'est 60 % !
M. Jack Ralite. ... devront démolir pour reconstruire. Or, d'abord, il n'y a plus de terrains disponibles et, ensuite, il faut bien assurer le relogement ! Il y a là une question dramatique.
Vous l'avez noté à juste titre : il y a une espèce d'aimantation autour de l'habitat insalubre. Cela veut-il dire que les gens ne se battent pas ? Absolument pas ! Dans ma ville, une organisation de copropriétaires s'est créée il y a trois ans - parce qu'il y avait peu de syndics et que les syndics bénévoles n'en pouvaient plus -, qui regroupe 1 000 adhérents ; c'est la plus grosse organisation de la ville. Cela laisse imaginer ce que sont les difficultés dans ces copropriétés !
Diminuer les crédits, arithmétiquement, c'est déjà grave, mais symboliquement, dans ces populations-là, ce sera très mal vécu. Pourtant, elles pourraient vous écouter, adhérer à un nouveau commencement ou à une prolongation de ce qui avait démarré dans certains domaines.
A Aubervilliers, par exemple, il existe une CGLS - une caisse de garantie du logement social - qui fait des choses très intéressantes ; il existe aussi un accord sur la résorption de l'habitat insalubre. Mais c'est avec les réparations que je ne parviens pas à m'en sortir ! Pourtant, nous envisageons une OPAC dans le cadre de la communauté de communes à laquelle nous appartenons. Mais nous sommes pris à la gorge !
En un an, quarante et une entreprises se sont installées dans la ville. Malheureusement, les emplois créés ne correspondent pas à ces habitants qui, déjà mis sur le côté avant, souffrent encore plus aujourd'hui de voir que, même lorsque des entreprises s'installent, ils n'ont pas accès aux emplois offerts. Ils ont l'impression d'être « en trop » dans la société. Et cela crée des vengeances imaginaires, dont le 21 avril dernier a bien montré où cela risquait de conduire.
Je le dis aux maires qui siègent ici : nous avons le devoir républicain et humain de construire partout un minimum raisonnable de logements sociaux, faute de quoi une partie de la population se sent nécessairement exclue.
Toute soustraction opérée dans les crédits est un coup porté à ces populations. J'en suis, je vis avec elles, et depuis longtemps, dans le même habitat qu'elles. Ce n'est pas un HLM rose, celui dans lequel j'habite !
M. Jean-Philippe Lachenaud. C'est un HLM rouge ! (Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jack Ralite. Je voudrais vraiment vous convaincre tous qu'une telle réduction créera une très vive émotion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je voterai cet amendement ainsi, naturellement, que les crédits du ministère de la ville.
Je voudrais d'abord saluer le ministre de la ville, Jean-Louis Borloo, et rendre hommage à la conviction qui l'anime et qu'il a su exprimer ce soir avec talent devant le Sénat. Nous lui faisons confiance pour redonner l'espoir dans les cités.
Je voudrais dire à M. Muzeau et à M. Ralite qu'il faut mettre un terme à ces annonces budgétaires telles qu'on les a connues ces dernières années et qui ne sont que des opérations d'affichage.
Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a fait le choix de la sincérité, le choix de la vérité, le choix du réalisme. C'est ainsi qu'il est venu devant le Sénat nous expliquer que les estimations de ressources fiscales pour 2003 devaient être revues à la baisse : moins 700 millions d'euros.
La commission des finances du Sénat a considéré que, dans ces conditions, nous devions, les uns et les autres, nous efforcer de rechercher des économies à l'occasion de l'examen des fascicules budgétaires.
C'est un exercice difficile. C'est un exercice qui nous contraint à assumer pleinement nos responsabilités de parlementaire.
Nous ne pouvons perpétuellement nous contenter de tenir des discours sur la nécessité de réduire le poids des prélèvements obligatoires pour redonner à notre territoire sa compétitivité et endiguer les tentatives de délocalisation ou de non-localisation qui ruinent l'emploi et la croissance, mettant à rude épreuve toute politique sociale, toute recherche de cohésion sociale. Nous estimons que nous avons à tirer les conséquences de cette nécessité et à rechercher des économies.
La réussite du Gouvernement ne sera pas appréciée seulement à l'aune du montant des crédits dépensés : c'est une autre façon d'administrer et de gérer l'Etat qui est en jeu ; c'est la réforme de l'Etat qui est ainsi engagée.
N'ayons pas de nostalgie pour ces périodes récentes où le Gouvernement, faute d'agir, s'en sortait en affichant des crédits qu'il ne savait pas engager et qu'il ne dépensait pas. Il faut sortir de cette espèce de duperie.
Pour construire, il faudra, monsieur le ministre, mobiliser d'autres ressources, revoir tous ces fonds de financement. Je pense, par exemple, au 1 % construction. Ne pourrait-on envisager la mutualisation des moyens des organismes d'HLM ?
Il nous faudra aussi revoir certains détails. Ainsi, lorsqu'on démolit pour reconstruire, dans le secteur social, la TVA est de 5,5 %. Mais lorsqu'on démolit sans reconstruire, la TVA sur les frais de démolition est de 19,6 %. Qu'est-ce qui justifie cela ?
Nous aurons, dans les mois qui viennent, à revenir sur toutes ces questions afin de donner une pleine cohérence aux différentes actions menées.
Enfin, s'agissant des zones franches, infiniment plus prometteuses que le million d'euros que nous vous demandons de soustraire au titre IV, nos excellents collègues Eric Doligé et Pierre André ont conduit des missions d'information dont les conclusions étaient sans ambiguïté : il faut recréer des circuits économiques dans ces quartiers afin que, pour les jeunes qui y vivent, la découverte de l'économie ne se fasse pas seulement par le commerce parallèle, notamment celui de la drogue.
Nous serons donc à vos côtés, monsieur le ministre, pour mener ces actions en profondeur et redonner à ces quartiers l'espoir et la dignité. Voilà pourquoi je me réjouis que vous consentiez à cet effort de réduction de un million d'euros de vos crédits. Mais ne doutez pas de l'appui que vous apportera le Sénat pour que réussisse votre politique ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre André, pour explication de vote.
M. Pierre André. Moi aussi, je voterai cet amendement sans états d'âme.
En effet, lorsque le FRE a été mis en place, il s'agissait avant tout d'offrir une sucette pour consoler les maires qui n'avaient pas eu de zone franche urbaine, car il est bien évident qu'un tel avantage ne pouvait être accordé aux 36 000 communes de France !
De plus, le gouvernement précédent avait pensé, en mettant en place ce fonds de revitalisation économique, concurrencer fortement les zones franches urbaines. Il avait « gonflé les pectoraux » en expliquant : « Vous allez voir, les zones franches urbaines, cela ne sert à rien, mais le FRE, au moins, ça c'est une idée ! »
L'idée était si bonne que, vous nous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les fonds ne sont totalement utilisés que dans un seul département !
Si je n'ai aucun état d'âme, c'est aussi parce que je sais que la situation, malgré votre engagement et votre bonne volonté, monsieur le ministre, ne s'améliorera pas. Le FRE est d'une telle complexité qu'aucune entreprise ne peut comprendre à quoi il sert : les fonds ne seront donc pas utilisés. Alors, excusez-nous de donner ce petit coup de canif dans votre budget !
S'agissant des zones franches urbaines, je vous remercie des propos sympathiques que vous avez tenus, et sachez que nous serons non pas derrière vous, mais bien devant ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-20.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifiés, les crédits figurant au titre IV.

(Ces crédits sont adoptés.)

ÉTAT C



M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 240 000 000 euros ;