SEANCE DU 26 NOVEMBRE 2002


M. le président. Mes chers collègues, ce débat sur les recettes des collectivités locales est extrêmement important, surtout pour nous, sénateurs, qui avons pour vocation de veiller aux légitimes intérêts des collectivités territoriales.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les recettes des collectivités locales dans le cadre de la discussion de la première partie du projet de loi de finances a lieu conformément au souhait exprimé voilà cinq ans déjà par M. le président Christian Poncelet.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des finances, de le rappeler ; j'y suis sensible.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Rendons à César ce qui est à César ! (Sourires.)
Tenir ce débat apporte beaucoup à la lisibilité de nos travaux, et ce pour deux raisons principales.
D'abord, à l'image du prélèvement européen, les concours financiers de l'Etat aux collectivités locales sont pour les deux tiers des prélèvements sur les recettes de l'Etat.
Ensuite, c'est dans le cadre de la première partie du projet de loi de finances que sont discutées les dispositions affectant la part « déterminante » des recettes des collectivités locales, les recettes fiscales.
Concours financiers de l'Etat, recettes fiscales : le débat d'aujourd'hui est l'occasion d'évoquer de manière globale les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales ainsi que le système de financement des collectivités locales.
S'agissant des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales, lorsque, le 3 décembre prochain, le Sénat examinera en séance publique les crédits de la décentralisation inscrits au budget du ministère de l'intérieur, le vote qu'il exprimera alors ne portera que sur environ 15 % du total des concours de l'Etat aux collectivités inscrits dans le projet de loi de finances, soit 1,8 milliard d'euros.
Nous l'oublions trop souvent, le fascicule budgétaire sur lequel est inscrit le montant le plus élevé de concours financiers aux collectivités locales n'est pas celui du ministère de l'intérieur, mais celui des charges communes, qui comprend les crédits destinés à la prise en charge des dégrèvements d'impôts locaux, soit environ 10 milliards d'euros, ainsi que, sans raison apparente, la dotation de l'Etat au Fonds national de péréquation.
Mais on trouve aussi des concours de l'Etat aux collectivités locales au sein du budget du budget du ministère de la culture et de la communication, et d'autres au sein du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Bien que ce point relève plutôt de la deuxième partie du projet de loi de finances, je profite de l'occasion, monsieur le ministre, pour vous indiquer qu'il serait souhaitable qu'à l'avenir les crédits de la DGD « culture » et de la DGD « formation professionnelle » soient regroupés au sein de la DGD de droit commun du ministère de l'intérieur, afin de donner une vue globale des sommes consacrées par l'Etat au financement des compétences transférées aux collectivités locales.
La singularité de notre système de concours financiers aux collectivités locales, c'est qu'en passant en revue les fascicules budgétaires les uns après les autres, mes chers collègues, vous ne trouverez qu'environ le tiers des sommes en cause. Nous nous prononçons sur le montant des deux autres tiers souvent sans le savoir, lorsque nous adoptons l'article d'équilibre, qui fixe le montant des prélèvements sur les recettes de l'Etat en faveur des collectivités locales : 36,3 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2003.
Dans ces 36,3 milliards d'euros, se trouve le principal concours de l'Etat aux collectivités locales, la dotation globale de fonctionnement, pour environ 18 milliards d'euros. Les principales compensations d'exonérations d'impôts locaux y figurent également, en particulier la compensation de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle qui jouera pleinement en 2003, et ce pour 9 milliards d'euros.
La technique des prélèvements sur les recettes de l'Etat, souvent contestée par le passé, car considérée comme une affectation de recettes contraire au principe d'universalité budgétaire, a été consacrée par l'article 6 de la loi organique du 1er août 2001, qui a par ailleurs précisé quel type de concours financiers de l'Etat aux collectivités locales devait être inscrit en prélèvements sur recettes.
La loi distingue deux grands types de concours : les compensations d'exonérations fiscales, d'une part, et les concours destinés à couvrir des charges incombant aux collectivités locales, d'autre part.
Si l'on examine la répartition actuelle des concours de l'Etat aux collectivités locales entre dotations budgétaires et prélèvements sur recettes, monsieur le ministre, on constate qu'il y a encore du chemin à faire avant que la réalité ne soit conforme à la voie tracée par la loi organique.
Dès l'année prochaine, nous commencerons à décliner les nouvelles dispositions constitutionnelles en lois organiques et en lois ordinaires. Je souhaiterais qu'à cette occasion nous n'omettions pas de remettre à plat la structure des concours financiers aux collectivités locales.
Je souhaiterais aussi, pour l'avenir, que nous examinions notre système de relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, non seulement en nous demandant si les crédits sont en hausse ou en baisse, mais aussi en nous interrogeant sur les critères qui pourraient nous permettre de juger de l'efficacité de cette dépense publique et de ces relations qui portent sur 58 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2003, soit le deuxième poste de dépense après l'éducation nationale.
Lorsqu'il nous a présenté les crédits des collectivités locales en commission, notre rapporteur spécial M. Michel Mercier a procédé ainsi, en examinant notre système de relations financières à la lumière de trois objectifs identifiés par la Cour des comptes en réponse à une question de notre rapporteur général : premièrement, un objectif de visibilité par la programmation pluriannuelle de l'évolution des dotations ; deuxièmement, un objectif de compensation - je cite la Cour des comptes - « des mesures législatives affectant les ressources et les charges des collectivités territoriales » ; troisièmement, un objectif de péréquation entre collectivités territoriales.
Sur ces trois points, et malgré les quelques avancées qui pourraient résulter de la révision de la Constitution, le système actuel reste pour le moins - nous en conviendrons - perfectible.
Avant de conclure, et en quelque sorte en guise de préambule, je voudrais m'arrêter un instant sur les articles et les amendements que nous aurons à examiner tout à l'heure.
Que constatons-nous, tant dans les dispositions résultant du projet initial que dans les apports adoptés par l'Assemblée nationale ou, à l'heure où nous parlons, ceux qui sont suggérés par le Sénat ? Hormis la réforme de la fiscalité locale de France Télécom, qui est une grande réforme de fond - attendue -, la plupart des dispositions sont destinées, soit à corriger les conséquences imprévues des précédentes réformes, soit à colmater les brèches d'un système qui ne cesse de prendre l'eau et qu'il est de plus en plus difficile de réparer, compte tenu de sa complexité croissante.
Au passage, je voudrais indiquer que, contrairement à une idée reçue, cette complexité n'est due que pour une petite partie aux initiatives parlementaires. Elle résulte pour la partie principale de la volonté des gouvernements successifs de procéder à des aménagements à la marge, plutôt que de se lancer dans des réformes de fond. Voilà comment nous avons généré une complexité inextricable.
Au-delà du fait que nous ne pourrons plus tenir longtemps avec un système qui fonctionne par addition de bricolages, nous nous heurtons, en matière de fiscalité locale et de concours financiers, à un véritable problème de lisibilité et d'intelligibilité de la norme juridique. Une part croissante des budgets locaux sert à rémunérer des cabinets de consultants, qui sont quelquefois constitués par de hauts fonctionnaires heureusement reconvertis, car les collectivités locales seules n'arrivent plus à s'y retrouver.
Au fil des années, les services de l'Etat dans les départements, qu'il s'agisse des services préfectoraux ou des trésoreries générales, ont cessé d'être en mesure d'expliquer et de conseiller. Autrement dit, l'Etat, par ses représentants, ne comprend plus les règles qu'il édicte et se condamne à s'en remettre à des tiers.
Cette situation est étrange, inquiétante, ubuesque. La loi organique du 1er août 2001 sur les lois de finances constitue, monsieur le ministre, un magnifique outil de clarification. A cet égard, les travaux que conduit le comité de normalisation comptable, présidé par M. Michel Prada, a notamment pour mission de formaliser les états financiers de l'Etat, états de synthèse qui seront lisibles et compréhensibles, au-delà de la représentation nationale, pour tous les Français. J'ai bon espoir que M. Michel Prada et son comité de normalisation nous aideront à y voir clair.
Je ne doute pas que les préconisations que le comité formulera répondront pleinement à notre impatience.
Tout à l'heure, lors de la discussion des articles, je doute, en revanche, que nous parvenions à tenir des débats totalement limpides pour les non-initiés, mais nous ferons de notre mieux. Geageons que, sur ce point également, la réforme des finances locales permettra de faire des progrès.
Monsieur le ministre, le chantier qui nous attend est gigantesque. Vous pouvez compter sur le Sénat et sur sa commission des finances pour donner à la démocratie de proximité les moyens de ses ambitions, la transparence et la lisibilité, afin que les acteurs locaux puissent rendre compte de leur gestion. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la partie « collectivités locales » du projet de loi de finances intervient pour 2003 dans un contexte bien particulier, compte tenu de notre récent vote du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Nous devons donc nous projeter intellectuellement dans le nouveau système.
S'il est vrai que la réforme de la fiscalité locale et des dotations de l'Etat aux collectivités locales ne peut pas être le préalable de la décentralisation, il n'en demeure pas moins vrai que les deux vont de pair et que la plupart des élus locaux que nous sommes ne pourront assimiler que très difficilement les nouvelles notions issues de la décentralisation si nous ne connaissons pas les nouveaux concepts de financement et les nouvelles règles du jeu, car, quel que soit le niveau de nos responsabilités, il est inconcevable de dissocier l'attribution de compétences supplémentaires et les ressources correspondantes.
C'est bien ce que nous avons voulu dire en mettant en avant la notion d'autonomie fiscale, le caractère prédominant des ressources fiscales dans les ressources totales des collectivités territoriales et la compensation des charges nouvelles par des ressources nouvelles.
Comme l'a rappelé très opportunément M. le président de la commission des finances, les concours financiers de l'Etat aux collectivités locales connaissent, en 2003, une hausse substantielle de 3,7 % à structure constante par rapport à 2002, puisqu'ils s'élèvent à 58 milliards d'euros dans le présent projet de loi de finances.
Toutefois, il convient de distinguer, au sein de cette masse considérable, ce qui est imputable aux compensations d'exonérations fiscales et ce qui est lié aux autres concours financiers de l'Etat.
Depuis 1999, la part liée à l'évolution des compensations d'exonérations fiscales aura représenté 11 milliards d'euros sur les 12,5 milliards d'euros supplémentaires pour les concours financiers de l'Etat.
Du point de vue de l'Etat, il convient, bien évidemment, d'appréhender ces sommes sous l'angle de leur progression globale mais, du point de vue d'une collectivité locale, pour un budget communal, intercommunal, départemental ou régional, ce qui compte c'est l'équilibre entre les dépenses et les ressources. Si l'évolution des dépenses est toujours préoccupante, celle des dépenses obligatoires l'est encore davantage. Nous qui pouvons faire le lien entre considérations locales et considérations nationales sommes bien placés pour savoir que la clé de l'équilibre, c'est d'abord la maîtrise de la dépense.
Nous acceptons bien entendu - c'est toute la noblesse de notre rôle - d'être tenus pour responsables de ce que nous maîtrisons, mais, lorsque des composantes importantes de nos dépenses nous sont imposées et que nous n'avons pas de marge de manoeuvre pour modifier le rythme d'évolution d'une grande partie de nos budgets, nous ne pouvons en tant qu'élus locaux que manifester des insatisfactions.
Or en 2002, plus encore qu'en 2001, les dépenses des collectivités territoriales - il faut en avoir conscience - ont globalement progressé plus vite que leurs recettes. Cela vaut plus particulièrement pour les départements. Chacun sait que l'allocation personnalisée d'autonomie, les dépenses liées à la prise en charge des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, sont des éléments de discontinuité des budgets départementaux. Pour l'ensemble des collectivités territoriales, le passage aux 35 heures, les revalorisations du point « fonction publique » et les conditions dans lesquelles il est nécessaire de préparer la fin du dispositif des emplois-jeunes grèvent le rythme des dépenses et posent de réels problèmes aux gestionnaires locaux.
Les réflexions actuellement en cours à la suite du vote par le Sénat du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République nous conduisent à mettre en avant un certain nombre de considérations.
Mes chers collègues, si nous voulons progresser dans le sens de l'autonomie fiscale, rester dans la ligne définie il n'y a pas si longtemps dans la proposition de loi constitutionnelle du président, Christian Poncelet, et véritablement assumer une telle orientation, il nous faut renforcer la fiscalité locale par de nouvelles ressources fiscales.
M. le président. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faudra non seulement moderniser la fiscalité locale existante, mais aussi trouver d'autres supports fiscaux, et c'est bien là que réside la difficulté de l'exercice !
Le renforcement de la part des nouvelles recettes fiscales dans les ressources des collectivités locales est la résultante tout à fait normale et naturelle de la révision constitutionnelle en cours. C'est un échange gagnant-gagnant que celui qui consiste à substituer des ressources fiscales aux dotations de l'Etat, puisqu'il permet aux collectivités d'être plus autonomes et à l'Etat de gagner en souplesse dans son budget. Plus les dotations sont élevées, plus le budget de l'Etat est rigide et plus l'autonomie des collectivités locales est faible. Là est le noeud de la réforme et ce sera en quelque sorte l'épreuve de vérité.
Quelles ressources fiscales nouvelles sont concevables ? Nous avons, les uns et les autres, pris connaissance des idées qui ont commencé à naître soit au cours des assises des libertés locales, soit dans nos régions.
Qu'il s'agisse de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou de la taxe générale sur les activités polluantes, cherchons, s'il est possible, notamment au regard du droit communautaire, de moduler les taux - je pense en particulier à la TIPP - et de faire en sorte qu'ils puissent être définis par chaque collectivité attributaire dans les conditions fixées par la loi afin que ces ressources fiscales deviennent autonomes. C'est une question absolument vitale pour concrétiser cette nouvelle phase de la décentralisation, en tout cas sur les plans financier, budgétaire et fiscal. Ce sera l'occasion, assurément, d'un grand débat, notamment au sein de cette assemblée.
Les impôts existants devront également être rénovés. Chacun se souvient des discussions que nous avons eues à l'occasion de la révision des bases des impôts directs locaux. Pourquoi ne pas envisager une révision qui serait, en quelque sorte, modulable et dont les conditions de mise en oeuvre seraient, dans une large mesure, laissées à l'appréciation des autorités locales ? Pourquoi ne pas accorder aux maires, qui sont sans conteste les mieux à même d'évaluer les transferts de matière imposable, de réviser les bases des impôts locaux ? Toutes les réponses à ces questions sont encore en devenir.
Dans le schéma auquel nous réfléchissons, il est concevable que le produit des quatre taxes directes locales soit exclusivement affecté aux communes et que les ressources des départements et des régions soient issues d'autres ressources fiscales, telles la TIPP, la TGAP, ou éventuellement abondées à partir de l'assiette d'imposition nationale.
Ces pistes ne peuvent prétendre à l'exhaustivité ni surtout à l'unicité. Mais n'est-ce pas l'essentiel du débat sur la réforme des finances locales qui devra bien avoir lieu, notamment au sein de notre assemblée ?
Bien entendu, les dotations de l'Etat continueront à représenter une part importante des ressources, même si l'on peut souhaiter que cette part diminue progressivement sur le moyen et le long terme. Il faudra, en tout état de cause, rendre le système des dotations plus lisible, plus juste et surtout plus prévisible pour les collectivités locales. Cela impliquera une réforme de la DGF, d'autant plus nécessaire que la compensation de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle sera intégrée dans la DGF dès l'année 2004.
M. Arthuis le rappelait, il faut vraiment maîtriser le sujet pour décrypter les différents éléments de ce complexe réseau, pour comprendre les conditions de calcul et d'affectation des dotations dans les différents budgets locaux.
Nous ne pourrons parvenir à un système plus lisible et plus clair qu'à condition d'être raisonnables et de ne pas rechercher une solution à la carte en fonction des problèmes rencontrés par chaque collectivité !
Conclusion, plus de lisibilité pour le montant des concours financiers de l'Etat et les dépenses obligatoires des collectivités locales, plus d'autonomie fiscale, voilà ce que demandent les élus locaux pour l'avenir. L'Etat ne s'en portera que mieux, en disposant de plus de marges de manoeuvre pour ajuster ses dépenses à la conjoncture et pour faire face aux priorités qui sont les siennes dans le cadre de la politique voulue par les Françaises et les Français. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 25 minutes ;
Groupe socialiste, 23 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 18 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, depuis quelques semaines, le Gouvernement a lancé une vaste opération de communication sur la décentralisation, exercice qu'il affectionne particulièrement. Toutefois, ce discours sur les collectivités locales ne s'accompagne pas d'actions concrètes en leur faveur.
La révision constitutionnelle en cours n'est pour l'instant qu'une coquille vide qui ne rencontre aucun écho parmi les Français, tant elle est peu claire et sans contenu.
En revanche, le budget pour 2003 est quant à lui parfaitement clair : il est très défavorable aux collectivités locales.
Je souhaite vous en donner quelques exemples.
Tout d'abord, le contrat de croissance et de solidarité est reconduit en 2003 dans les conditions prévues en 2002, soit une indexation des principales dotations de l'Etat sur l'inflation et 33 % de la croissance. Alors que l'année dernière vous jugiez, monsieur le rapporteur général, et vous-même, monsieur le ministre, lorsque vous étiez président de la commission des finances, que ce pourcentage de la croissance était très insuffisant - il me semble même me rappeler que vous aviez soutenu un amendement pour le porter à 50 % -, permettez-moi d'être surpris qu'aujourd'hui vous n'acceptiez pas de reprendre vos propositions d'hier !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il n'y a plus d'argent !
M. Claude Haut. A partir de ce constat, à quoi peut-on s'attendre pour les années futures ?
S'agit-il des prémices d'un retour au fameux pacte de stabilité de 1995-1997 ?
Par ailleurs, en ce qui concerne les dotations de l'Etat, nous constatons, là comme ailleurs, que ce qui est donné d'une main est immédiatement repris de l'autre. Cela se constate en particulier pour les dotations de solidarité urbaine et rurale : 73 % de diminution des abondements par rapport à 2002.
De même, la dotation globale de fonctionnement ne progressera que de 1,8 % en 2003 alors qu'elle avait connu une augmentation de 3,9 % en 2002. Une partie de cet écart considérable, singulièrement pénalisant pour les collectivités locales, est la conséquence directe de l'amputation des abondements de la DSU et de la DSR. Or ces deux dotations sont essentielles aux collectivités défavorisées, puisqu'elles constituent le fondement de la péréquation entre communes.
Les choix budgétaires du Gouvernement sont d'autant plus regrettables qu'en 2003 la dotation forfaitaire des communes baissera en volume, sa progression étant inférieure à l'inflation. Le danger est grand pour les nombreuses communes dont la ressource principale est la dotation forfaitaire.
Dans le projet de loi de finances pour 2003, il est aussi prévu que la régularisation de la DGF de l'année 2001 ne sera pas versée aux communes qui devaient en bénéficier en application des dispositions du code général des collectivités territoriales. En effet, le Gouvernement affecte ces 100 millions d'euros à la DSU et à la DSR pour compenser les ressources que l'Etat ne leur accordera pas en 2003. Concrètement, l'Etat demande aux communes de suppléer ses propres carences.
De plus, le bénéfice de la régularisation de la DGF de l'année 2001 n'est maintenu aux collectivités locales qu'en apparence, car l'Etat réduit d'autant les majorations qu'il attribue aux dotations de solidarité communales.
Le projet de loi de finances pour 2003 remet aussi en cause la péréquation par l'abandon de la modulation des baisses de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP, en faveur des collectivités locales défavorisées. Or la DCTP diminuera de 3 % en 2003. En effet, elle constitue toujours la variable d'ajustement du contrat de croissance et de solidarité. La reconduction en 2003 du mécanisme de modulation aurait pourtant permis aux communes, aux départements et aux régions les plus pauvres de ne supporter qu'une baisse de 1,5 % et non de 3 % de leur DCTP.
Mais, manifestement, et contrairement à ce que l'on entend, la péréquation ne constitue plus une priorité pour ce gouvernement. La chute de 18 % des ressources du Fonds national de péréquation inscrites dans le projet de loi de finances en est une preuve supplémentaire. Le Gouvernement n'a pas jugé utile de reconduire l'abondement traditionnel de l'Etat à ce fonds, soit 22,3 millions d'euros en 2002. Heureusement, un amendement voté par l'Assemblée nationale a remédié de justesse à cette lacune. Pour autant, cela ne sera pas suffisant pour faire face à l'accroissement des inégalités qui résultera inévitablement des projets décentralisateurs du Gouvernement.
Enfin, le Gouvernement supprime en 2003 les droits sur les licences des débits de boissons, sans compenser cette perte de recettes aux communes qui percevaient ces droits. Monsieur le ministre, vous critiquiez hier la réduction de l'autonomie fiscale des collectivités locales. Aujourd'hui aux responsabilités, vous supprimez certaines recettes fiscales des collectivités locales, et cela, sans même les compenser financièrement.
Ce budget n'est pas favorable aux collectivités locales en 2003 ; il ne le sera certainement pas non plus dans les prochaines années.
Par ailleurs, monsieur le ministre, quelle est votre vision de la décentralisation ?
L'opération de réduction des personnels de l'éducation nationale sur le budget 2003 n'anticipe-t-elle pas un transfert à moindre coût de cette compétence en 2004 : emplois de personnel ATOS, aides éducateurs, etc ? Une opération identique peut d'ailleurs être soulignée au niveau du ministère de l'équipement.
Ainsi, l'Etat transférerait aux collectivités locales la gestion des établissements scolaires, mais pas les emplois suffisants à l'exercice de ces compétences, puisqu'ils auront été supprimés par avance.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Claude Haut. Confrontés aux syndicats d'enseignants, aux parents d'élèves et même au ministère de l'éducation nationale lui-même, les présidents de conseils généraux et de conseils régionaux n'auront d'autre choix que de recruter des fonctionnaires territoriaux supplémentaires pour exercer ces missions. Pour les rémunérer, ils devront inévitablement augmenter les impôts locaux.
A l'évidence le Gouvernement cherche à transférer le déficit de l'Etat aux collectivités locales, ainsi que l'impopularité liée à l'impôt.
La décentralisation sera-t-elle le moyen pour le Gouvernement de tenir ses promesses en matière de baisses d'impôts ? Les spécialistes des finances locales anticipent tous avec lucidité une explosion de la pression fiscale locale, parallèlement à la baisse des impôts de l'Etat.
Nous avions proposé une mesure de solidarité en faveur du financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, en déposant l'amendement n° I-93 visant à supprimer la baisse de 1 % de l'impôt sur le revenu en 2003 pour que l'Etat puisse financièrement respecter ses engagements en partageant, à parité avec les départements, le surcoût de l'allocation personnalisée d'autonomie. Cela a été refusé. La solidarité en faveur de nos anciens n'est pas une priorité gouvernementale : vous avez fait le choix de la laisser à la charge des départements, avec toutes les difficultés financières que cela représente.
Dans ces conditions, le danger est grand que les départements et les personnes âgées subissent les conséquences de vos cadeaux fiscaux accordés à ceux qui n'en ont pas le plus besoin. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
En réalité, les collectivités locales n'ont rien à espérer d'une décentralisation libérale dont l'objectif est moins de renforcer les collectivités locales que d'affaiblir l'Etat, qui peut encore réguler et être un frein au marché. De plus, cette décentralisation portera nécessairement atteinte à l'unité nationale en exacerbant la concurrence entre les territoires.
Le Gouvernement paraît ainsi accorder un faux intérêt aux collectivités locales. A l'aube d'un nouveau transfert de charges qui paraît inévitable, aucune réforme des finances locales n'a été prévue, alors qu'elle était prioritaire avant tout nouveau transfert.
Au cours des cinq dernières années, les collectivités locales ont connu un assainissement important de leurs finances grâce à la bienveillance du gouvernement de Lionel Jospin. (Rires sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.) Le dernier rapport de l'Observatoire des finances locales soulignait d'ailleurs qu'elles s'étaient encore désendettées de 1,3 milliard d'euros en 2001. Mais cet embellissement ne résistera pas longtemps à un transfert massif de charges.
Les dotations de l'Etat doivent toutes gagner en simplicité et en lisibilité. Leur évolution doit aussi être rendue plus prévisible grâce à une programmation pluriannuelle, inspirée de celle qui a été mise en place de 1999 à 2001, dans le cadre du contrat de croissance et de solidarité. Les abondements exceptionnels devraient être intégrés dans les dotations auxquelles ils se rapportent et plus aucune dotation ne devrait constituer le solde d'une autre dotation.
Actuellement, cette mécanique infernale implique que la péréquation soit traitée comme la dernière des priorités. Or, au contraire, la péréquation devrait plus que jamais être un impératif. Les Français commencent à s'émouvoir des différences qui existent d'un département à l'autre, par exemple, dans les établissements scolaires.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Claude Haut. En outre, les inégalités de richesses entre collectivités locales ne sont que plus durement ressenties par les Français.
La fiscalité locale doit également être réformée, afin d'être socialement plus juste et économiquement plus efficace. Dans le cas contraire, l'Etat poursuivrait logiquement la substitution du contribuable national au contribuable local au détriment de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Ces chantiers sont colossaux. Ils nécessiteront une volonté sans faille pour aboutir. Or le groupe socialiste ne peut accorder sa confiance au Gouvernement pour mener une réforme des finances locales qui soit socialement juste pour les Français, économiquement efficace et soucieuse de la vie locale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe CRC. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le minstre, mes chers collègues. M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont décrit, mieux que je ne saurais le faire, la situation des finances locales de notre pays et les relations qui unissent l'Etat et les collectivités locales. Je n'entrerai donc pas dans le détail ; je limiterai mon propos à quelques principes et quelques règles.
En nous soumettant, en première lecture, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, vous aurez engagé la réforme de l'Etat, conformément à la mission que vous a confiée le peuple français voilà quelques mois. C'est dans ce cadre que je placerai mon intervention.
Il est probable que l'exercice auquel nous nous livrons soit le dernier d'un cycle long, puisque l'année 2003 devrait être consacrée à la mise en oeuvre des conséquences de la réforme constitutionnelle. Comme l'a rappelé excellemment M. le rapporteur général, pour mettre en application cette réforme, il faudra transférer aux collectivités locales des ressources fiscales nouvelles.
Au moment où le Gouvernement s'apprête à se lancer dans cet exercice, je dirai deux ou trois choses simples pour essayer d'y voir plus clair, car la situation s'est beaucoup compliquée ces dernières années. Il faut bien reconnaître que nous-mêmes avons participé à cette complication puisque, chaque année, notre assemblée a essayé d'apporter des améliorations, en allant plus dans le détail et, par là même, elle a rendu le système un peu plus complexe ; en tout cas, il est réservé aux seuls spécialistes.
Si vous voulez réformer l'Etat au travers de la décentralisation, il faut avant tout qu'une grande confiance s'établisse entre l'Etat, les collectivités locales et les élus locaux. C'est cette confiance que votre gouvernement doit s'attacher à restaurer en 2003 pour pouvoir, dès 2004, mettre en oeuvre cet acte II de la décentralisation, que nous attendons.
La situation est d'une grande complexité, on l'a souligné. Seuls quelques spécialistes finissent par comprendre quelque chose aux relations entre l'Etat et les collectivités locales, et ces spécialistes ne parlant qu'entre eux, cela ne simplifie rien, bien au contraire !
Aujourd'hui, les sommes très importantes que l'Etat consacre au concours financier qu'il accorde aux collectivités locales dépassent de loin le déficit des finances publiques. Un tel système représente un réel danger. Mais ce concours financier est lui-même extrêmement complexe.
Les dotations ne représentent que la moitié de ce concours, le reste étant composé du remboursement d'impôts supprimés, atténués ou de dégrèvements.
Pour les élus locaux, cette complexité se double d'appréhension. Je citerai trois domaines dans lesquels ces craintes sont justifiées et ne relèvent pas d'une bonne qualité de relations entre l'Etat et les collectivités locales : l'allocation personnalisée d'autonomie, les services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, et les problèmes de personnels.
Aujourd'hui, les décisions relatives aux personnels échappent très largement aux collectivités locales. La moitié de l'augmentation de la DGF est, en quelque sorte, consommée par les décisions que l'Etat prend pour améliorer la situation des fonctionnaires locaux.
S'agissant des services départementaux d'incendie et de secours, depuis 1996, les dépenses qui leur sont consacrées ont augmenté de 1,7 milliard. Chaque fois, nous l'avions souligné ici, l'Etat prend les décisions et ce sont les collectivités locales qui doivent payer. Depuis 1996, une centaine de textes régissent les services départementaux d'incendie et de sécurité.
Enfin, en ce qui concerne l'APA, je dirai simplement à notre collègue Claude Haut qu'un minimum de modestie s'impose lorsqu'on a voté un texte qui nous conduit à une telle impasse financière ! Ce n'est pas le moment, aujourd'hui, de crier au loup ! La loi a, en effet, été votée de telle façon qu'elle organise la dépense et ne prévoit pas la recette correspondante. La situation que nous connaissons est normale : elle est la conséquence inéluctable d'un texte qui annonce aux gens qu'on va leur distribuer de l'argent sans conditions. On ne voit pas pourquoi ils refuseraient !
Monsieur le ministre, si vous voulez que la réforme relative à la décentralisation, que vous présentez au pays comme le signe d'une volonté profonde de changement, soit une réussite, il appartient au Gouvernement d'ouvrir des voies dès aujourd'hui.
Je ne vous demanderai pas d'augmenter les dotations : l'Etat se trouve dans une situation budgétaire que nous connaissons tous. D'ailleurs, les lois sont strictement appliquées, les dotations ont été calculées, et le Gouvernement a même maintenu l'indexation sur la croissance, alors que rien ne l'y obligeait. Un signe a été donné pour les services départementaux d'incendie et de secours, puisqu'un crédit nouveau de 45 millions d'euros a été mis en place afin d'aider à leur financement.
Mais au-delà de ces problèmes de ressources, aujourd'hui, l'Etat a de plus en plus tendance à décider des dépenses des collectivités locales. Sur ce point, monsieur le ministre, le Gouvernement peut progresser. Nous comprenons que, s'agissant des recettes, vous ne puissiez pas allouer des fonds dont vous ne disposez pas. Mais il n'est plus possible que le Gouvernement impose aux collectivités des dépenses qui risquent d'obérer la grande réforme de la décentralisation. Je souhaite avancer quelques idées.
En ce qui concerne les problèmes de personnels, il serait normal que le ministre chargé de la fonction publique, avant d'engager une négociation avec des organisations représentatives des fonctionnaires, consulte les représentants des collectivités locales et les associe à cette négociation. Nous sommes les derniers employeurs à savoir quelles seront les conditions d'emploi et nous en avons connaissance en lisant le journal le lendemain des réunions entre le ministre et ces organisations. Cela ne coûterait rien à l'Etat et ce serait une meilleure méthode de gestion ! En outre, cela renforcerait probablement la position du ministre, qui représenterait alors l'ensemble des parties lors de ces négociations.
Le Gouvernement ne doit pas continuer à prescrire un certain nombre de dépenses aux collectivités locales. La confiance, c'est le respect, et le respect implique l'autonomie. On peut penser que les collectivités locales feront mieux que l'Etat, parce qu'elles seront plus proches des demandes et des solutions à trouver. Il est un certain nombre de mesures que vous pouvez prendre. Par exemple, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République prévoit de donner aux maires de nouvelles compétences très importantes en matière de base des impôts. On imagine mal qu'en reconnaissant aux collectivités locales les compétences pour modifier les bases, on ne les laisse pas libres de fixer les taux des impôts.
Nous souhaitons que, sur ce point, vous puissiez aller plus loin que les dispositions qui sont contenues dans le projet de budget et que vous reconnaissiez véritablement la compétence des collectivités locales dans ce domaine. C'est un problème de confiance !
Monsieur le ministre, l'année prochaine, la décentralisation fera l'objet d'une loi organique relative au transfert d'un certain nombre de compétences. Si vous voulez réformer l'Etat, vous pouvez transférer des compétences sans aucun problème. Mais, de grâce, n'imposez pas aux collectivités locales les modes de gestion de l'Etat ! Sinon, le résultat sera le même et vous ne réformerez rien du tout !
Par conséquent, que l'Etat transfère des compétences aux collectivités locales, mais qu'il laisse celles-ci libres de déterminer les modes de gestion de ces compétences transférées ! Tel est, me semble-t-il, le signe essentiel de la confiance qui liera la République et ses collectivités. C'est également le seul moyen d'entamer dans ce pays les réformes profondes dont nous avons besoin, que nous attendons, et pour lesquelles, monsieur le ministre, vous êtes au Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions contenues dans le présent projet de loi de finances nous apportent un éclairage opportun sur les intentions du Gouvernement quant à la réforme des finances locales qu'il envisage. Nous avons bien besoin d'un tel éclairage, car le seul débat autour du projet de loi de réforme constitutionnelle n'a pu y suffire.
Ce texte est flou, vague, plein de formules d'apparence généreuses, mais en réalité bien creuses.
Votre majorité elle-même ne s'y retrouve pas, monsieur le ministre : elle s'interroge sur vos intentions, comme elle nous l'a montré plusieurs fois tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
A l'article 6 de ce projet de loi de réforme constitutionnelle, dans lequel il est question de finances locales, vous nous parlez d'autonomie et de péréquation. Regardons, pour y voir un peu plus clair, de quoi il s'agit dans cette loi de finances.
Vous dites que l'artice 14 constitue une avancée importante en matière d'autonomie. Or de quoi est-il question, sinon d'un léger assouplissement dans la fixation des taux des impôts locaux, un simple assouplissement, alors que, même avec une déliaison totale des taux - et nous vous la proposerons, bien sûr -, force est de constater qu'on serait encore loin de l'autonomie financière, pourtant indispensable, des collectivités territoriales ? J'ai bien dit autonomie « financière » et pas seulement autonomie « fiscale ».
En effet, cette liberté laissée aux élus locaux est toute théorique, dans la mesure où la richesse fiscale est très mal répartie, comme l'est d'ailleurs la mixité sociale ; nous en avons déjà discuté.
Cela c'est d'autant plus vrai avec l'effet conjugué de l'émiettement des bases de la taxe professionnelle et la montée en puissance de la taxe professionnelle au taux unique, la TPU.
Les bases de la taxe professionnelle ont, en effet, été entamées de plus de 30 %, si bien que, aujourd'hui, c'est l'avenir même de cet impôt qui est en jeu.
Ce recul de la contribution des entreprises dans les budgets locaux pose la question de la justice fiscale et de l'efficacité économique. Il faut donc revitaliser la taxe professionnelle, mais surtout procéder à une grande réforme de la fiscalité, afin de rééquilibrer la contribution de chacun et la mettre en rapport avec la vie économique d'aujourd'hui.
Dans ce sens, nous vous proposerons de nouveau la mise en place d'une taxe sur les activités économiques. Il s'agira de taxer les actifs financiers des entreprises pour les inciter à orienter leur argent vers les investissements productifs et vers l'emploi. Selon notre dernier calcul, cette taxe permettrait de dégager une ressource équivalant au triplement de la part « péréquée » de la DGF, soit 12 milliards d'euros par an, avec un taux de seulement 0,3 % !
A cette meilleure prise en compte de la richesse des entreprises dans la fiscalité locale doivent correspondre des allégements de la fiscalité qui pèse sur les ménages modestes. Nous présenterons donc un certain nombre de mesures qui peuvent être appliquées immédiatement.
D'autres dispositions auront leur place dans une réforme d'envergure de la fiscalité, comme la révision des valeurs locatives qui servent au calcul des impôts des ménages, mais aussi la réforme de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Ces mesures sont urgentes pour nos concitoyens.
Quant à la TPU, elle est loin d'être la panacée pour mutualiser les ressources fiscales : la péréquation horizontale entre collectivités atteint vite ses limites. Il ne peut s'agir que d'une péréquation à la marge.
En effet, certaines communes pauvres sont regroupées au sein d'EPCI pauvres, qui ne perçoivent pas de TPU. Sur les 26 800 communes ainsi regroupées, moins de 10 000 d'entre elles perçoivent la TPU. Il n'y a pas - ou peu - de recettes de taxe professionnelle sur ces territoires. Ces EPCI ont donc besoin d'autres moyens et c'est à l'Etat de prendre ses responsabilités pour les trouver. Or confier au comité des finances locales le soin de partager la misère ne va pas dans ce sens-là. C'est bien l'insuffisance globale des recettes qui doit faire l'objet d'un examen efficace.
Il y a aussi des communes pauvres dans des EPCI riches, où la solidarité ne s'exerce pas.
Les collectivités dont le territoire comporte les bases suffisantes pour tirer les ressources indispensables à la satisfaction des besoins des populations sont marginales.
Surtout, les territoires où ces besoins sont importants - les communes dont la population est pauvre, les départements où la moyenne d'âge est élevée - sont, pour la plupart, les moins bien lotis pour ce qui est de la richesse fiscale.
Il faut donc renforcer la péréquation de l'Etat. Or, dans cette loi de finances, on est loin du compte !
Certaines mesures annoncent un repli des crédits destinés à la péréquation ; les collectivités défavorisées bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine ou de la dotation de solidarité rurale vont voir doubler le taux de leur perte de dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP, si la loi de finances est adoptée dans les termes actuels.
Quant aux abondements exceptionnels en faveur des dotations de solidarité, non seulement ils sont insuffisants, mais encore ils s'effectuent au détriment des autres collectivités. Le précédent gouvernement avait dégagé des moyens sur ses propres crédits.
Vous souhaitez, vous, affecter le produit de la régularisation positive de la DGF de 2001 aux dotations de solidarité, ce qui correspond à une perte de 0,7 % de DGF pour l'ensemble des collectivités.
Permettez-moi de vous dire que privilégier la péréquation, ce n'est pas prendre aux uns pour donner aux autres, quand les moyens sont insuffisants pour tous !
C'est d'ailleurs ce que vous disent les élus locaux, notamment les maires qui, dans un récent sondage, se déclaraient, à près de 60 %, peu optimistes quant aux perspectives financières de leurs collectivités. Elus de proximité, ils connaissent les besoins et les attentes des populations, et ils s'efforcent d'y répondre. Or la voie dans laquelle vous voulez nous entraîner leur rendra la tâche de plus en plus difficile.
Vous voulez une société encore plus libérale dans laquelle les besoins et les attentes tant des populations que des élus ne seraient plus pris en compte, dans laquelle les habitants seraient seuls sollicités : ce n'est pas la vision que j'ai du rôle des collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'entonnerai pas le couplet facile de ceux qui affirment que les dotations de l'Etat aux collectivités locales sont insuffisantes. Il est évident que les élus, si on les consulte, répondront tous qu'ils n'en ont pas assez. Je crois cependant que le problème des finances locales n'est pas tant celui des recettes que celui des dépenses.
Je suis convaincu que les collectivités locales sont astreintes aux mêmes efforts que celui qui est demandé à l'Etat, à savoir la maîtrise, voire la réduction des dépenses publiques. Encore faut-il que l'on cesse d'imposer des dépenses sans compensation. A ce jour, les régions et plus encore les départements ont été mis à contribution, un peu moins les communes et les EPCI. A cet égard, on peut citer, entre autres exemples bien connus, l'ARTT, les dépenses des SDIS, l'APA, les transports scolaires.
Le système des dotations est devenu trop complexe. J'ai compté - mais mon calcul est certainement approximatif - dix-sept lignes différentes avec, pour ce qui est des compensations de pertes de recettes, au moins neuf lignes et, pour la compensation concernant la part « salaires » de la taxe professionnelle, sauf erreur de ma part, neuf lignes ! Un tel système est forcément illisible et frôle le seuil de l'ubuesque.
Certaines compensations sont, d'ailleurs, des marchés de dupes. La suppression de la vignette, que les départements ont apprise, à l'époque, par la presse, entraîne, à taux constant, une perte de recettes pour eux. Dans le département de Maine-et-Loire, dont je préside le conseil général, la perte est, au minimum, de 1 million d'euros, encore une fois, à taux constant. Le manque à gagner généré par la réforme de la taxe professionnelle est du même ordre. Les régions et les communes peuvent dresser le même constat.
D'autres compensations sont encore plus contestables. La dotation d'équipement des collèges, qui est ancienne, n'a plus aucun rapport avec la réalité. Pour le Maine-et-Loire, elle ne représente que 10 % des sommes effectivement investies dans les collèges. Les autres départements et les régions pourraient faire l'objet de la même remarque.
Le retour à la raison en matière de transfert de charges s'impose comme le premier impératif. Les transferts doivent être compensés à l'euro. Il en est ainsi pour les SDIS. Dans un premier temps, ce sont les communes et les EPCI qui ont assumé l'essentiel de la charge ; aujourd'hui, ce sont les départements. Il est indispensable que l'on mette fin à la folie normative. Par exemple, en quoi est-il nécessaire que les ambulances soient capables de résister à des pressions de 9 G ? S'agit-il de les envoyer sur la lune ? J'en doute ! (Sourires.) Si la sécurité n'a pas de prix, elle a un coût, et nos concitoyens doivent en prendre conscience. Pour ce faire, il me semble qu'il serait judicieux, à tout le moins, d'y consacrer une ligne spécifique sur les feuilles d'impôts locaux. Nos concitoyens comprendraient peut-être alors que, avec une augmentation de 163 % en cinq ans, ils ont de la chance que les impôts n'augmentent pas davantage.
Le même raisonnement peut s'appliquer à l'ARTT ou à l'APA. Cette dernière, d'ailleurs, ne pourra fonctionner que si l'on fait des économies sur son coût actuel.
Cela a été rappelé par le président de la commission et par le rapporteur général, l'instauration d'une relation de confiance entre l'Etat et les collectivités locales est le deuxième impératif. Force est de constater que, depuis vingt ans, cette relation s'est altérée par manque de visibilité et de sincérité.
L'Etat a un rôle péréquateur. Cependant, la péréquation est encore insuffisante, puisqu'elle ne concerne qu'un septième des dotations en cause. Des rééquilibrages sont nécessaires, notamment au bénéfice des communes et des EPCI. Les écarts entre communes urbaines et rurales sont encore trop élevés.
M. Yves Fréville. Eh oui !
M. André Lardeux. Troisième impératif, la réforme de la fiscalité locale, vieux serpent de mer dont on parle depuis trente ans. J'ai le souvenir d'avoir participé aux commissions pour la révision des valeurs locatives : le travail est resté sans suite. On conçoit aisément que, devant l'ampleur de la tâche et les réactions prévisibles, aucun gouvernement ne se soit résolu à passer à l'acte.
La conclusion qui s'impose est que, dans son cadre actuel, la fiscalité locale est impossible à réformer. En effet, une répartition différente ne serait pas forcément plus juste et n'entraînerait pas l'adhésion de ceux qui auraient moins à payer, tandis que ceux qui auraient plus à payer seraient, à juste titre, fort mécontents.
Nous devons donc, à mon sens, explorer parallèlement deux pistes.
Premièrement, il s'agit de maintenir des impôts locaux simplifiés et allégés, payés par tous ou presque - il y va du sentiment d'appartenance civique. Tous les contribuables attendent, en effet, d'une éventuelle réforme de la fiscalité locale un allégement de leur imposition. Toute autre solution me paraît vouée à l'échec.
Deuxièmement, il s'agit, en compensation, d'attribuer aux collectivités locales une part de fiscalité nationale, ce que la décentralisation doit permettre, mais avec une réelle péréquation, pour éviter les distorsions entre collectivités pauvres et collectivités plus riches.
Donc, globalement, ce volet du budget pour 2003 est une étape transitoire, en attendant de profondes réformes que le Gouvernement a, je le sais, la volonté de mener et qu'il est capable de réussir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne joindrai pas ma voix à ceux qui constatent - malheureusement, c'est l'évidence et ce n'est pas la peine d'y revenir sans cesse - les difficultés financières actuelles des collectivités territoriales, même si, comme d'autres, je n'ai pas le sentiment que les années qui viennent de s'écouler les aient spécialement amoindries ; j'ai même plutôt le sentiment inverse, et je pense que ces difficultés ont été aggravées depuis quelques années, au fil des décisions prises à l'échelon national.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Depuis cinq ans !
M. Paul Girod. Ce n'est pas un hasard !
Il est vrai que les dépenses locales explosent. Il est vrai que nous avons des difficultés au niveau des recettes locales. Cependant, la réflexion que nous avons à mener collectivement en cet instant et pour les années qui viennent réside dans le mot « locales » qu'il s'agit de décliner au mieux.
On ne peut, en effet, retrouver de gestion convenable que dans la mesure où, à une dépense vraiment locale, on peut rattacher un système de financement dans lequel les références locales soient majoritaires. Sinon, on aboutit à l'allocation personnalisée d'autonomie, c'est-à-dire à un risque lié à la démographie, au vieillissement de la population, soit une réalité qui n'est pas du tout localisée, mais dont on fait supporter le poids à l'impôt local, comble de l'aberration !
Quelles sont les ressources locales censées financer les dépenses locales ? Imaginons, par hypothèse, que ne sont laissées à la charge des collectivités territoriales que les dépenses effectivement localisables sur le territoire qu'elles ont à administrer. Ce n'est qu'une hypothèse, mais peut-être y arriverons-nous un jour !
Actuellement, les collectivités ont deux types de ressources : la dotation et la fiscalité. J'ai un peu de scrupule à parler de ces domaines devant le président du Comité des finances locales qui, d'année en année, essaie de faire entrer un peu de bon sens dans l'application des décisions, et avec, quelquefois, plus de difficultés qu'il n'y siérait ! (Sourires.)
La grande réforme, celle sur laquelle nous avons planché dans cette enceinte voilà plus de vingt ans, concernait la mise en place de la DGF. Il s'agissait d'affecter une part du produit d'un impôt national, en l'occurrence la TVA, aux collectivités locales pour permettre d'assurer librement leur fonctionnement. C'est d'ailleurs ce que j'entends réclamer de nouveau aujourd'hui. Quelle constance ! Mais le résultat, à l'époque, a été spectaculaire : de décisions autoritaires en oukases, de petits coups de pouce à la DSU en coups de ciseaux à la DCTP, sans parler de l'intercommunalité, la complexité est aujourd'hui telle et l'opacité si intense que personne ne comprend plus rien, personne n'est capable de trouver une logique dans le résultat signifié chaque année à telle collectivité territoriale.
A cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi une suggestion : j'aimerais qu'une étude soit menée à partir de quelques critères simples tels que la population, la richesse fiscale moyenne, la surface, les charges, afin que l'on sache comment est in fine répartie la DGF. Je suis persuadé que, compte tenu de la complexification croissante des dispositifs arrêtés à l'échelon national, on pourrait arriver au même résultat, mais de manière plus simple et plus lisible. Cette étude n'a jamais été faite, mais ne manquerait pas d'intérêt.
M. le président. En tenant compte de la fiscalité, mon cher collègue !
M. Paul Girod. Bien sûr, monsieur le président, le tout est que l'on sache, à partir de critères simples, quel est le résultat actuel de la répartition de la DGF. Je suis persuadé que l'on devrait pouvoir trouver des formules de simplification fort pertinentes.
La fiscalité, par définition, doit avoir une attache locale. Or j'entends parler, à juste titre, d'ailleurs, de l'obsolescence de nos « quatre vieilles ». Pourquoi cette obsolescence ? Elle vient d'abord du fait que les bases n'ont jamais été revues de manière moderne et que tout le monde a « calé » devant la tâche. C'est vrai pour le foncier bâti ; bizarrement, c'est également vrai pour le foncier non bâti, où l'on travaille sur des données qui sont parfaitement fictives dans 80 % des cas, ou, en tout cas, fort anciennes et radicalement détachées de la réalité de ce qu'a été l'évolution de l'activité agricole.
Ne parlons pas des exonérations, dégrèvements et autres interventions de l'Etat dans le calcul des bases et dans le calcul de la contribution : personne n'y comprend rien non plus !
Nous aurions bien besoin d'un tableau simplifié permettant à chacun de s'y retrouver. Car, en définitive, c'est souvent celui qui demande le plus à la collectivité locale qui est le moins concerné, sinon sur le plan du résultat financier, du moins par la perception qu'il peut avoir de l'impôt local.
Quant à la taxe professionnelle, c'est devenu l'horreur. Pardonnez-moi, monsieur le président, je suis ravi pour nos activités économiques que l'on ait supprimé la part « salaires », mais où est passé le coté local, dans cette affaire ?
Non seulement cette part « salaires » a été remplacée par une dotation, fort difficile à calculer et même à interpréter - neuf lignes - mais, par-dessus le marché, la dotation n'est absolument pas adaptée à l'évolution des implantations d'industries : les nuisances se créent là où la ressource n'existe plus et n'existera jamais, puisqu'il n'y a pas de référence avant la suppression de la part « salaires » ; en revanche, la ressource continue à exister, mal indexée et mal calculée, là où il y avait quelque chose avant la réforme. Résultat ? L'activité économique ne peut plus être localisée sur le plan fiscal par les collectivités qui la supportent !
Là aussi, nous avons besoin de reprendre conscience de la réalité des choses. Et si la solution au problème doit être recherchée dans l'octroi d'une part de fiscalité nationale, encore faut-il bien comprendre que, comme cette fiscalité n'est, par définition, pas localisable, elle ne peut se faire que par une distribution à l'échelon de collectivités d'assez grande dimension, voire de très grande dimension. Autrement dit, on voit mal comment choisir un autre échelon que l'échelon régional, ce qui aboutit inévitablement au déclassement vers le bas de toute une série de taxes dites de « proximité » qui, elles, sont effectivement adaptées à la réalité locale.
Tout cela exige un effort de réflexion qui, monsieur le ministre, me semble être la base des travaux qui devront permettre un jour à la décentralisation de réussir sans provoquer d'explosion fiscale.
Il ne faut pas se leurrer : dès qu'il y aura dépense publique, il y aura ressource publique. D'où la nécessité d'une rationalisation de la méthode de la dépense, et ce aussi bien pour l'Etat que pour certaines collectivités territoriales. Il faut, en même temps, qu'il y ait adaptation de la nature de la recette à la réalité du terrain. Monsieur le ministre, si l'on veut réussir la décentralisation sans pour autant brouiller les esprits, c'est à cet effort de clarification qu'il faut s'attacher le plus vite possible. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances s'inscrit dans la perspective de la relance de la décentralisation portée par le Président de la République et par le Premier ministre, dont le Sénat a examiné la première étape constitutionnelle.
Plusieurs mesures favorables aux collectivités locales nous sont soumises, par exemple, la mise en conformité de France Télécom avec le droit commun de la fiscalité locale, prévue à l'article 13.
Cette mesure permettra aux collectivités de recouvrer un montant important de taxe professionnelle et de bénéficier intégralement de la taxe foncière, tout en étant neutre pour l'entreprise. Elle était souhaitée depuis longtemps par le Sénat mais s'est fait longtemps attendre, faute d'une véritable volonté politique. Il faut donc saluer l'initiative prise par le Gouvernement.
Mais c'est surtout l'assouplissement des règles de liens entre les taux des impôts locaux qui retient l'attention. Il traduit, sans aucun doute, l'état d'esprit du nouveau gouvernement.
De 1997 à 2002, les collectivités locales ont dû faire face à une recentralisation rampante. Les atteintes à leur autonomie locale se sont multipliées, particulièrement en matière financière. La suppression de la vignette - sans concertation, sans tenir compte des efforts faits par les départements qui avaient pourtant réduit son taux -, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, et leur remplacement par des dotations budgétaires ont considérablement réduit les marges de manoeuvre des collectivités locales.
Les lois sur l'aménagement du territoire et sur la solidarité et le renouvellement urbains ont eu pour résultat de resserrer encore le carcan administratif et réglementaire, au point d'entraver les initiatives. Des élus de tous horizons en témoignent aujourd'hui.
A cela s'ajoute la multiplication des transferts de charges, qui ont mis à mal l'équilibre des finances locales. Je pense, en particulier, à l'application des 35 heures dans la fonction publique territoriale, sans aide de l'Etat, au financement des services départementaux d'incendie et de secours et à l'APA.
Pendant cinq ans, les élus locaux n'ont pas été associés à la politique de l'Etat. Ils n'ont fait que la subir.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Alain Fouché. Le gouvernement de Jean-PierreRaffarin propose une tout autre démarche, un nouveau contrat de confiance fondé sur la liberté et la responsabilité locales.
En adoptant le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, le Sénat a consacré l'autonomie financière des collectivités territoriales.
La déliaison des taux inscrite à l'article 14 traduit ce principe de manière concrète. Elle met fin au climat de suspicion à l'égard des élus locaux. Elle les place devant leurs responsabilités, en augmentant leurs marges de manoeuvre et en renforçant leur pouvoir de décision.
Mais il ne s'agit que d'une première étape. La réforme des finances locales reste à faire.
L'enjeu est fondamental pour l'avenir de la décentralisation : il n'y aura pas de transfert de compétences réussi sans ressources adaptées.
Plusieurs pistes de rénovation du système fiscal local sont généralement évoquées : augmenter les marges de manoeuvre des collectivités locales en matière de taux au-delà de ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2003 ; offrir aux collectivités locales la possibilité de procéder à des révisions locales des bases d'imposition dans un cadre fixé par la loi ; envisager la création de fiscalités locales nouvelles, ou encore partager les recettes d'un impôt national, tel que la taxe intérieure sur les produits pétroliers, les collectivités locales pouvant être autorisées à voter un taux additionnel.
Monsieur le ministre, nous devons examiner ces pistes avec soin, sans a priori, mais avec prudence, c'est-à-dire en veillant à bien mesurer leur impact sur le terrain.
L'expérience montre en effet que certaines réformes ont eu, ou peuvent avoir, des effets pervers.
C'est, par exemple, le cas de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle qui a entraîné des changements dans les politiques fiscales et foncières des collectivités locales.
C'est aussi le cas de la révision des valeurs locatives que chacun appelle de ses voeux, tout en redoutant ses effets.
Nous devrons enfin veiller à ce que plus de liberté n'entraîne pas plus d'inégalité territoriale. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.) C'est tout l'enjeu de l'avenir de la péréquation à laquelle nous venons de donner une valeur constitutionnelle.
M. Gérard Delfau. A peine !
M. Alain Fouché. Plus d'autonomie, plus de responsabilité, mais aussi plus de solidarité, tels sont les objectifs de la relance de la décentralisation !
Les débats au Sénat sur la réforme constitutionnelle montrent que ces objectifs ne seront pas facilement conciliables.
Les tensions existant parfois entre l'Etat et les collectivités locales et entre échelons territoriaux ne disparaîtront pas en un jour, tant sont ancrées les attitudes et tant sont anciens les contentieux.
Le processus de réforme engagé par le Gouvernement a le mérite de faire bouger les choses, d'insuffler de l'air dans des finances locales devenues étouffantes.
En ouvrant le chantier de la décentralisation, le Gouvernement ouvre une ère nouvelle. A nous de faire en sorte qu'elle se traduise par des résultats concrets, dans l'intérêts de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland du Luart. Il faut faire comprendre cela à M. Debré !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Mon propos, très bref, portera sur un point singulier qui a déjà été évoqué, mais qui est majeur et quasi obsessionnel pour nombre de présidents de conseils généraux.
Il n'est pas trop tard, monsieur le ministre, pour trouver une solution au financement de l'APA. C'est une urgence, voire une question de survie pour nombre de départements. Il ne faudrait pas qu'après nous avoir assurés de sa volonté de maintenir les différents niveaux de collectivités territoriales le Gouvernement, par inaction calculée, provoque la mort de l'une d'elles, littéralement asphyxiée par la montée en charge extraordinaire des bénéficiaires. Il ne faudrait pas que, faisant fi de la continuité républicaine de l'Etat, le Gouvernement se désintéresse du financement de ce qui est, à l'évidence, une grande cause nationale, celle des personnes âgées dépendantes.
On dit tellement de choses inexactes que je voudrais recaler le discours.
Premièrement, l'APA est une grande réforme. Nous la revendiquons dans la plénitude de ses objectifs et dans l'essentiel de ses modalités. Si elle monte si vite en puissance, si elle dépasse les prévisions les plus extrêmes, c'est bien qu'elle répond à une nécessité. Nous sommes fiers d'avoir mis sur pied cette grande nouveauté d'un droit universel, ouvert à tous, sans conditions de ressources. C'est une grande mesure de justice sociale et de solidarité.
M. Paul Girod. Ce n'est pas une dépense locale ! Il fallait la financer !
M. Jean-Claude Peyronnet. Attendez !
Deuxièmement, il faut cesser de se lancer des slogans sur ce sujet d'un camp à l'autre, car le gouvernement de Lionel Jospin n'a pas été isolé dans cette affaire. Tout le monde a sa part de responsabilité.
Souvenons-nous : à l'origine, se trouve une promesse de Jacques Chirac en 1995, celle de l'allocation d'autonomie, qui prévoyait un financement d'Etat. Devant l'incapacité du gouvernement de l'époque à la financer, certains sénateurs, présidents de conseils généraux, ont inventé la PSD, dont le but avoué était d'afficher la satisfaction du besoin tout en ménageant les finances de l'Etat et des départements ! Résultat : on a compté 150 000 bénéficiaires au lieu des quelque 600 000 attendus.
Troisièmement, souvenons-nous encore, tout le monde ou presque a été d'accord pour confier aux départements, qui d'ailleurs la réclamaient, la gestion du dispositif...
M. Paul Girod. Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... et, en partie, son financement. Dans les débats sur le « cinquième risque », la qualité des réseaux gérontologiques déjà mis en place dans beaucoup de départements est apparu comme une garantie d'efficacité. Et puis, disons-le clairement, la sécurité sociale n'était pas plus hier qu'elle ne l'est aujourd'hui capable de financer seule un tel dispositif.
Quatrièmement, souvenons-nous des débats sur la récupération sur succession. On sait bien que le noeud du problème est là que c'est cette suppression qui fait filer la dépense autant que l'élévation du niveau des seuils et des allocations. Or cette disposition a été votée par les deux assemblées.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est exact !
M. Jean-Claude Peyronnet. Le Sénat l'a adoptée, à une très faible majorité, certes, mais comme la gauche n'était pas majoritaire - cela se saurait, et ce n'est pas encore pour aujourd'hui - il a bien fallu un apport important de voix de droite. Quant à l'Assemblée nationale, elle l'a votée à l'unanimité, et la gauche n'était pas hégémonique au point d'être seule à voter. Les responsabilités sont donc partagées ! Au demeurant, le Gouvernement, qui dispose au Parlement d'une majorité des deux tiers dans chaque assemblée, peut revenir quand il le veut sur cette disposition. Bref, on connaît l'ampleur du succès qui a suivi.
Monsieur le ministre, je sais, pour avoir participé avec l'Assemblée des départements de France à une première réunion autour de MM. Fillon et Falco, que le Gouvernement se préoccupe de trouver des solutions de maîtrise de la dépense. Mais tout ce qui est envisagé sur le plan des modalités aura un effet retard important et ne réglera pas les difficultés immédiates.
Le problème financier reste entier pour 2003. Il manque 1,2 milliard d'euros et, si on en reste à l'esprit du dispositif, il manque 600 millions d'euros en provenance de l'Etat. Si le Gouvernement ne fait pas un geste significatif, les départements vont augmenter leur fiscalité de façon très lourde et, pour certains - et paradoxalement les plus pauvres -, de façon insupportable.
Vous me direz que ces 600 millions d'euros viendront de toute façon des contribuables.
Certes, mais que l'impôt soit local ou national n'est pas indifférent. D'abord, cette façon désinvolte de refuser toute participation est inquiétante pour les expérimentations et les transferts à venir, justifiant ainsi nos craintes ! Ensuite, obliger à augmenter d'une façon considérable le poids de la fiscalité locale en annonçant pourtant sa réforme prochaine est assez incohérent. Et puis, ce n'est pas la même chose d'augmenter la CSG, qui pèse sur tous les revenus, et la taxe d'habitation, qui pèse massivement sur les salariés, malgré les exonérations sociales.
Les départements vont être amenés à augmenter les taux de taxe professionnelle parce que, grâce au mécanisme d'écrêtement par la valeur ajoutée, ils feront payer tout de même l'Etat, mais au détriment des petites entreprises. C'est franchement anti-économique.
Monsieur le ministre, il faut aider les départements. C'est d'ailleurs une promesse du président Chirac qui écrivait, dans un courrier du 25 avril 2002 : « L'Etat ne saurait reporter sur d'autres que lui le financement de sa politique sociale. L'urgence sera donc d'adosser l'aide aux personnes âgées à des financements stables ». A cette date, nous sommes entre les deux tours de l'élection présidentielle. J'ai voté pour le Président alors candidat, mais j'avoue que ce n'était pas essentillement pour cette déclaration. (Murmures sur plusieurs travées.)
Or 600 millions d'euros, ce n'est pas si élevé. Si vous ne voulez pas augmenter les prélèvements nationaux, évitez au moins de réduire les recettes les plus justes, évitez donc de baisser d'un point l'impôt sur le revenu, cela fait à peu près le compte. Il est vrai qu'il s'agit d'une autre promesse du Président, mais si vous lui expliquez bien les choses, entre l'accroissement des charges sur les ménages, et surtout sur les entreprises, et la baisse de l'impôt sur le revenu, il comprendra ce qui est le plus juste et, de surcroît, ce qui est efficace sur le plan économique ; ce n'est pas, à coup sûr, la baisse de l'impôt sur le revenu.
Monsieur le ministre, je sais que je vous ai convaincu, je suis certain que vous allez être convaincant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président

M. le président. La parole est à M. Yves Fréville.
M. Yves Fréville. Quel contraste ! Hier, nous adoptions de grands principes constitutionnels sur l'autonomie fiscale locale, sur la péréquation ; aujourd'hui, nous entérinons une politique ancienne : étatisation et fragilisation de la taxe professionnelle, impuissance de la péréquation. Il nous faut, monsieur le ministre, une nouvelle donne.
Je me bornerai à vous poser deux questions, en faisant référence aux dépenses cachées, aux subventions implicites aux collectivités locales qui se dissimulent dans le budget des charges communes sous forme de dégrèvements d'impôts locaux : existe-t-il un avenir pour la taxe professionnelle rabougrie d'aujourd'hui ? Quel est l'avenir d'une péréquation aujourd'hui exsangue ?
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Yves Fréville. Quel est l'avenir de la taxe professionnelle après la suppression quadriennale de la part « salaires » des bases que nous avons connue ?
La taxe professionnelle marchait sur deux jambes : l'imposition du facteur de production travail - c'est-à-dire les hommes - et l'imposition du facteur de production capital - c'est-à-dire les machines. On lui a coupé la première jambe. Le coût pour les finances de l'Etat a été de 10 milliards d'euros et la perte un peu supérieure pour les collectivités locales dont les ressources ne sont pas compensées totalement. Cette situation me paraît très grave puisque nous coupons le lien qui existait entre l'impôt local et les hommes qui profitent de l'impôt.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Yves Fréville. En outre, il ne faut pas oublier qu'à l'heure actuelle ce sont les hommes, et non pas les outillages, qui sont localisés dans les villes. Et nous allons priver les villes, dont on connaît les besoins, d'une ressource dynamique.
Mais je voulais essentiellement insister sur le devenir d'un impôt assis seulement sur le second facteur, le capital. Aujourd'hui, ce qui reste de la taxe professionnelle est gangrené.
L'impôt que nous croyons voter et qui figure dans les budgets des collectivités locales ne correspond pas à ce que payent les entreprises. Le montant des dégrèvements de taxe professionnelle s'élève aujoud'hui à 7 milliards d'euros. Voilà la vérité !
Je me demande ce que signifie un impôt local qui n'est pas payé par les entreprises au niveau que fixent les collectivités locales. Actuellement, 16 000 entreprises - les plus grandes - paient la taxe professionnelle en fonction d'une assiette qui est nationale - la valeur ajoutée - et en fonction d'un taux national qui est fixé par l'Etat, c'est-à-dire finalement par le Parlement.
Mes chers collègues, un pareil impôt peut-il continuer à fonctionner ? C'est la question que je me permets de poser à M. le ministre délégué au budget.
Cette question est d'autant plus grave que nous avons réalisé une bonne réforme au cours de la dernière législature, celle de l'intercommunalité. Nous l'avons fondée sur un impôt, la taxe professionnelle unique, qui a au moins le mérite de réduire les disparités de taux à l'intérieur des intercommunalités. Dans mon département, couvert en quasi-totalité, par la taxe professionnelle unique, le taux varie désormais entre 9 % et 15 %. Telle est la vérité.
Or nous avons fragilisé la taxe professionnelle en supprimant la part « salaires » et je ne vois pas bien comment nous pourrons conduire une politique efficace en matière d'intercommunalité si elle repose sur un impôt fragilisé.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Yves Fréville. Monsieur le ministre, je dis cela parce que j'ai eu l'impression, au cours de la dernière législature, que les finances locales relevaient de deux ministères. Il y avait, d'une part, le ministère des impôts, Bercy, qui cherchait uniquement à réduire les impôts locaux. Il y avait, d'autre part, le ministère de l'intérieur, le ministère des dotations, avec la direction générale des collectivités locales, qui s'évertuait, en bricolant, à réparer les conséquences des erreurs commises par Bercy.
Je souhaite avant tout que vous définissiez une politique cohérente entre la fiscalité et les dotations. Vous ne pourrez la mettre en place que si vous déterminez précisément la réforme de la taxe professionnelle. C'est ma première question.
Ma seconde question concerne l'avenir de la péréquation que je qualifie d'exsangue.
Je n'évoquerai ni la DSU ni la DSR, nous savons tous ce qu'il en est. Au sein de la dotation d'aménagement, le gonflement de la dotation d'intercommunalité a « ratatiné » la part de la DSU et de la DSR, c'est-à-dire la partie vivante de la péréquation. Nous savons bien que la croissance de la dotation d'aménagement est assurée chaque année - nous en verrons tout à l'heure des exemples - par quantité d'expédients. On abonde, on ajoute par exemple 23 millions d'euros récupérés sur la suppression de la taxe sur les boissons. Le Sénat y contribuera parce qu'il faut le faire.
Mais le problème n'est pas là. Il s'agit plutôt de définir les mécanismes d'une réforme de la dotation forfaitaire, qui représente 90 % des recettes des communes. Il faut également s'interroger sur le caractère pernicieux de la contrepéréquation induite par les dégrèvements de taxe d'habitation.
En ce qui concerne la dotation forfaitaire, la réforme qu'il faudra faire devra d'abord tenir compte, comme l'évoquait Paul Girod, de critères simples.
Pour moi, la population reste le critère le plus simple. Or nous avons inventé un système extraordinaire ! Nous n'avons pas su réformer la dotation forfaitaire lors du dernier recensement puisque nous n'avons fait bénéficier les communes que de la moitié de l'accroissement de population auquel elles avaient droit.
Dans mon département, la population de la commune de Bruz est passée de 8 000 à 13 000 habitants, soit une augmentation de 60 % en neuf ans. Royalement, sa DGF a été majorée de 30 % ! Etudiez, comme le souhaite Paul Girod, la variation de la dotation forfaitaire en fonction d'autres critères et vous verrez que, plus la commune croît - et donc ses besoins - et moins elle perçoit de dotation forfaitaire.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Yves Fréville. Il faut rétablir ce genre de principes simples. Il faut calculer la dotation forfaitaire à partir de critères clairs : le revenu par habitant - parce qu'il ne dépend pas des modes de calcul des assiettes fiscales -, la population, le taux de croissance de cette dernière.
Si nous allons dans cette direction, nous irons dans le bon sens. Mais nous irons certainement dans le mauvais sens si nous procédons au contraire de façon non transparente, c'est-à-dire par la procédure des dégrèvements de taxe d'habitation.
Permettez-moi, mes chers collègues, en tant que rapporteur du budget des charges communes, d'insister sur ces dégrèvements de taxe d'habitation qui sont plus importants que la totalité des dotations de solidarité urbaine, rurale et d'intercommunalité. Pourtant, personne ne s'en occupe et personne ne connaît leur répartition !
L'étude au niveau communal fait apparaître des résultats extraordinairement décapants ! Le montant des dégrèvements varie en moyenne de un à sept selon les départements : un dans la Lozère, sept dans l'Hérault.
Pour ce qui est des communes, les résultats sont encore plus étonnants. Le mécanisme avantage en effet non pas les communes les plus pauvres mais les communes les plus dépensières. Cela n'a rien d'étonnant, me direz-vous, dans la mesure où le dégrèvement de taxe d'habitation est accordé aux habitants dont la cotisation est supérieure à 4,3 % de leurs revenus ; ce sont donc les communes qui imposent le plus qui font bénéficier leur population de ces dégrèvements. Par ailleurs, ce sont naturellement les villes, notamment les plus grandes d'entre elles, qui profitent le plus de ce genre de subvention implicite.
M. Gérard Delfau. Comme d'habitude !
M. Yves Fréville. Je n'ai pas d'idée préconçue sur ce sujet. Je veux bien que les villes et les grandes villes qui ont des charges de centralité évidentes soient subventionnées, mais il faut que nous le fassions de manière parfaitement claire, devant le Parlement. Si les villes ont besoin de ressources importantes, donnons-leur les dotations correspondantes.
Je suis simplement opposé aux systèmes qui déresponsabilisent les élus locaux en les incitant à engager des dépenses importantes et à augmenter leurs taux d'imposition au motif que leurs concitoyens feront l'objet de dégrèvements issus de mécanismes incertains.
Ayons, mes chers collègues, une politique lisible en matière de subvention aux villes. J'habite une ville, je suis conscient des dépenses des villes, mais ne recourons pas à des mécanismes qui aboutissent à déresponsabiliser les élus, avec pour résultat, dans certains départements, une prise en charge à 60 % de la taxe d'habitation par l'Etat !
Monsieur le ministre, nous sommes confrontés à des problèmes d'ensemble qui exigent une réforme de structure. Il faut une nouvelle donne et je suis certain qu'après ce budget de transition c'est cette nouvelle donne que vous nous présenterez. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Gérard Delfau. J'espère que vous serez écouté !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mme Beaufils a déjà rappelé, au nom de notre groupe, quelques éléments importants du débat sur les recettes des collectivités locales. Il faut comprendre que nous sommes face à un choix de société. C'est en ces termes que doit être appréhendée la réforme de la décentralisation.
L'enjeu devrait être la démocratie, mais nous en sommes loin, puisque vous refusez d'ouvrir les débats aujourd'hui nécessaires. Nous participerons néanmoins à tous les débats sur le sujet, nous le ferons malgré les idées préconçues et, bien sûr, nous formulerons des propositions.
L'enjeu devrait être l'amélioration des services publics ; or le libéralisme que vous mettez en oeuvre ne peut que les détériorer et mettre fin à toute mutualisation des coûts. C'est déjà le cas dans le domaine de l'eau, ou encore dans celui du traitement des ordures ménagères, et pour quels résultats ?
Aujourd'hui, on ne parle plus d'usagers, mais uniquement de clients, et leurs factures se sont alourdies dans des proportions insupportables. Je pense, par exemple, à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la TEOM, dont le produit a augmenté de 120 % en dix ans. Ces tarifs sont par ailleurs marqués par des disparités énormes entre collectivités.
En outre, les citoyens font parfois les frais d'une réduction du service rendu.
L'enjeu ne peut donc être cette « proximité » que votre marketing met à toutes les sauces, et j'y reviendrai.
Au contraire, la perspective que vous proposez, c'est celle d'une société qui s'avance encore plus vers le libéralisme. Or la société libérale considère qu'il faut, coûte que coûte, diminuer les dépenses publiques.
C'est le choix que vous avez toujours fait et qui vous inspire encore, et il se traduit de différentes manières : un cantonnement de l'effort en faveur des collectivités, des baisses drastiques de certains crédits, un désengagement de l'Etat, qui contraint les échelons locaux à prendre le relais, mais sans moyens suffisants.
Vous ne faites aucune proposition allant dans un autre sens, et ce n'est pas l'enveloppe normée, cette invention du gouvernement Juppé, qui illustre de façon très parlante votre politique, qui nous rassurera.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Ce n'était pas si mal quand même !
M. Thierry Foucaud. Certes, cette année, dans les termes plus favorables du contrat de croissance et de solidarité, la croissance est prise en compte. Heureusement, mais pour combien de temps ?
Réformer d'accord, mais pas au détriment des collectivités. Or, si nous avons bien compris, le but est d'imposer aux collectivités l'abaissement des dépenses publiques. M. Marini nous l'a assez répété l'année dernière, le pacte de stabilité mis en place en 1996 a en effet été conçu pour limiter les concours de l'Etat aux collectivités locales, et je dois reconnaître qu'il y est parvenu ! Au titre de la seule DCTP, ce sont 13 milliards de francs que les collectivités ont perdus sous le pacte de stabilité. On l'a donc déjà vu à l'oeuvre, monsieur le rapporteur général.
Ni le bon sens, ni la justice, ni même les besoins des populations ne justifient ces dispositifs. C'est encore moins la logique, car, avec l'enveloppe normée, il s'agit de regrouper les crédits les plus divers : des crédits destinés à compenser des charges transférées, d'autres à soutenir les dépenses d'investissement, d'autres encore à compenser la TVA, voire à compenser des suppressions d'impôts, et que sais-je encore...
Cette enveloppe hétéroclite a été instituée au nom de l'idéologie libérale, idéologie selon laquelle, je le répète, il faut abaisser les dépenses publiques.
Nous vous demanderons au contraire de sortir de ce cadre en vous proposant des amendements visant à permettre aux différentes dotations de connaître des évolutions en rapport avec leur raison d'être.
On pourrait s'entendre sur une indexation de l'enveloppe normée à 50 % de la croissance. Vous l'aviez, mes chers collègues, demandée au précédent gouvernement...
Aujourd'hui comme hier, il est juste que les collectivités bénéficient d'une part plus importante de la croissance. Elles réalisent, en effet, les trois quarts des investissements publics. Elles créent de la croissance, mais, malheureusement, elles commencent à s'essouffler. Ne pas augmenter les moyens des collectivités, c'est freiner la croissance.
Aujourd'hui plus qu'hier, les charges des collectivités sont sans commune mesure avec les besoins.
Les mesures que vous annoncez, ainsi que certaines dispositions déjà votées, les contraindront à aller encore plus loin, car le désengagement de l'Etat s'accélère. J'en veux pour preuve la politique relative au parc immobilier de la justice, de la police et de la gendarmerie menée depuis le vote de la loi de programmation cet été : aux collectivités locales de payer si elles veulent ces services sur leur territoire !
Dans le même sens, la réforme de la décentralisation donnerait lieu à des transferts de ressources d'un montant équivalent au montant que l'Etat consacrait à ces mêmes compétences. C'est tout à fait dérisoire et inadapté.
Le bon sens recommande plutôt de procéder à un état des lieux, d'évaluer avec précision les besoins en tenant compte de leurs évolutions possibles.
C'est ce que les nombreux élus locaux qui font procéder à des audits veulent vous faire entendre. Forts de l'expérience de ces vingt dernières années, ils savent pertinemment que des transferts de compétences opérés dans ces conditions auront pour effet d'enserrer un peu plus leurs budgets, de générer à la fois à une baisse des services et une augmentation des impôts.
Cette réforme fait donc craindre une explosion de la fiscalité locale. Quoi d'étonnant à cela, puisque les transferts de compétences que vous envisagez visent précisément à pallier le désengagement de l'Etat !
Cela concernerait les routes, les hôpitaux, mais aussi le fonctionnement de certains services. Je pense, par exemple, à la suppression de postes de personnels de l'éducation nationale.
Est également évoquée la politique du logement, qui sort déjà très affaiblie de votre court bilan. Dans le projet de loi de finances, on constate encore des baisses de crédits dans ce ministère, et il en va de même en matière de politique de la ville.
Votre politique du logement, c'est aussi l'abandon du principe de mixité sociale et de solidarité que prônait la loi SRU.
Routes, hôpitaux, éducation, logement, avec ces seuls exemples, on mesure l'ampleur du désengagement de l'Etat. Quel est notre avenir si aucun progrès n'est fait dans ces secteurs ?
Là est bien le risque, dans la mesure où, en l'état actuel de leurs finances, les collectivités ne sont pas capables d'assumer les nouvelles charges correspondantes.
Il faut prendre la pleine mesure des charges qui pèsent déjà sur leurs budgets.
A l'échelon des départements, il y a l'APA, à propos de laquelle vous avez, par deux fois, refusé nos solutions. Dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous vous avons ainsi proposé la création d'un cinquième risque pour prendre en charge cette prestation, et, dans le cadre du présent débat budgétaire, nous vous avons soumis une mesure de repli visant à sauver cette prestation, tout en redonnant des marges de manoeuvre aux départements, à savoir l'affectation d'un impôt d'Etat au fonds de financement de l'APA. Vous avez refusé, car vous voulez faire reculer la solidarité dans la mise en oeuvre de l'APA.
Il y a encore le financement des SDIS, pour lequel nous proposerons une solution durable : une ressource destinée à la lutte contre les risques.
Il y a aussi toutes ces dépenses imprévues que les échelons de proximité assument trop souvent seuls. Les collectivités l'ont encore montré dans le sud de la France face aux intempéries qui se sont abattues sur leurs territoires : écoles et infrastructures à reconstruire, logements d'urgence à assurer, soutien aux populations...
Une vraie solidarité, dans laquelle l'Etat prendrait sa part au lieu de compter ses « sous », manque quand de tels dommages atteignent les populations.
Il y aussi toutes ces situations particulières : les communes accueillant des entreprises classées Seveso, dont le développement est gelé ; les communes qui, chaque année, subissent des inondations ; les communes dont la population est en grande détresse, qui doivent, plus que les autres, développer des services de proximité.
Les collectivités ont également la charge de tels services, et c'est précisément pour cela que le modèle auquel tend votre projet est abusivement qualifié de « république des proximités ».
Les services publics de proximité, en péril pour cause d'étranglement financier des collectivités, sont ceux qui répondent aux besoins de tous les jours : c'est l'accueil périscolaire, pour faire avancer l'égalité des chances, ce sont les centres de loisirs et les crèches, pour aider les familles... Alors que cette loi de finances tend à fournir une aide supplémentaire à ceux qui peuvent employer du personnel à domicile, rien n'est prévu pour soutenir les structures collectives financées par les collectivités !
Ces services, c'est aussi tout ce qui anime la vie locale, cette part de bonheur et de solidarité qui crée du lien, le soutien aux associations, les bibliothèques, les équipements sportifs. A cet égard, la faiblesse des crédits destinés aux dépenses de fonctionnement de la politique de la ville est également de mauvais augure.
Avec le dispositif emploi-jeune, le précédent gouvernement a aidé les collectivités à développer la mise en place de ces services, tout en facilitant l'insertion professionnelle des jeunes. La question de leur avenir, en même temps que celle de la pérennité des services qu'ils rendent, car il sera impossible pour les collectivités d'en assumer seules le coût, est donc posée.
C'est une réalité qu'il faut prendre en compte, car, si nous assurions la pérennisation des emplois-jeunes, ce serait pour les collectivités un début de réforme, une réforme allant dans le sens de la modernité comme dans le sens de l'emploi et de la satisfaction des besoins.
Vous l'aurez compris, la question, au-delà des pouvoirs des collectivités, est avant tout celle des moyens nécessaires pour satisfaire les besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est M. Louis de Broissia.
M. Louis de Broissia. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, qu'il me soit permis, d'abord, de remercier mon groupe de me donner l'occasion d'exprimer le sentiment d'un sénateur de la République, également président d'une collectivité départementale, un sentiment, monsieur le ministre, de grande inquiétude devant les difficultés qui attendent les collectivités locales.
A cette inquiétude répond, pour partie, votre gouvernement, gouvernement que l'opinion, tout comme moi, soutient et qui a pris la mesure de la nécessité d'instaurer un climat de confiance entre les collectivités locales et l'Etat.
Nous l'avons dit au Premier ministre lors des assises des conseillers généraux qui se sont tenues à Strasbourg le 3 septembre, nous l'avons répété la semaine dernière à l'occasion du congrès des maires de France.
Le projet de budget démontre l'intérêt fort qui est porté aux collectivités locales, l'augmentation de 3,7 % des concours financiers de l'Etat traduisant, et je m'en félicite, un soutien accru à ces collectivités qui assument l'essentiel de la République sur le plan local.
Mais, monsieur le ministre, vous le savez mieux que quiconque, dans le cadre de la réforme de la décentralisation et de la refonte de la fiscalité, le Président de la République et le Gouvernement ont décidé, avec raison, de baisser la fiscalité pesant sur les ménages et sur les entreprises.
Les impôts baisseront donc, c'est un engagement.
Les communes elles-mêmes resteront impliquées par les facilités qui leur ont été accordées par diverses lois, comme je l'ai dit lors du congrès des maires de France.
Un effort important a été réalisé, y compris par les gouvernements précédents, pour comprimer le contingent social, pour le supprimer au bénéfice des départements et faire en sorte que le contingent « incendie » soit de plus en plus affecté à ces derniers. Pour les collèges, il n'y a plus d'affectation des ressources communales au département. Il est vrai que la DGF a « plafonné », mais, dans le même temps, ces contingents ont fortement explosé.
Les régions disent régulièrement qu'elles veulent rester des collectivités de mission dans le cadre de la réforme de la décentralisation, laissant aux communes et aux départements le rôle de collectivités de gestion.
Cependant, les 102 collectivités à statut départemental, collectivités de base que je connais bien et qui ont, bien sûr, voix au chapitre, ont confirmé leur rôle incontournable aux côtés des intercommunalités, et, monsieur le ministre, qu'il me soit permis de dire, même si je le répète après d'autres, que les départements supportent en ce moment le plein choc de mesures qui ont été prises par les gouvernements précédents - c'est la continuité de la République -, à commencer par le choc de la réduction du temps de travail.
L'aménagement, nous savions faire, mais la réduction, imposée à des collectivités qui emploient des personnels nombreux, a été extrêmement coûteuse. De même, la réforme des SDIS, qui n'a pas été financée, pèsera lourdement sur les départements jusqu'en 2006. Enfin, l'imprévision en matière de dépenses qui a caractérisé la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie a été telle que les budgets des départements explosent littéralement, sans qu'aucune compensation ne soit prévue.
Je fais partie de ceux, monsieur le ministre, qui regrettent que nous laissions les collectivités départementales s'enfoncer inexorablement sous le poids de la fiscalité, alors même que le Gouvernement veut comprimer l'impôt local.
Pour les intercommunalités, il n'en va pas tout à fait de même, mais elles n'en assument pas moins, aux côtés des départements, des régions et des communes, les charges nouvelles qu'a évoquées l'orateur précédent, notre collègue Thierry Foucaud : le périscolaire, la petite enfance, l'assainissement, l'eau, les déchets, etc. Toutes ces charges extrêmement lourdes, qui pèseront très fortement sur la fiscalité locale, ont une influence sur la répartition territoriale de l'impôt.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il nécessaire d'attirer votre attention sur le fait que la décentralisation ne sera pas une réussite pour ces deux échelons qui sont au plus près des réalités locales et jouent un rôle essentiel dans la cohésion territoriale si, d'une part, moins d'impôts sont demandés à nos concitoyens par l'Etat ou par la région, laquelle aura davantage de moyens, et si, d'autre part, il y a d'importantes hausses des impôts perçus par les départements et les nouvelles intercommunalités ?
Monsieur le ministre, nous sommes aujourd'hui la majorité nationale et nous l'avions dit lorsque nous étions encore dans l'opposition, le précédent gouvernement a laissé des bombes à retardement dans tous les domaines : bombe à retardement des retraites, bombe à retardement des 35 heures, bombe à retardement de l'insécurité, bombe à retardement de l'opposition entre territoires urbains et territoires ruraux, bombe à retardement du vieillissement, qui est une bombe à retardement d'ordre démographique.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On ne peut tout de même pas imputer le vieillissement au précédent gouvernement...
M. Louis de Broissia. Le Gouvernement aidera-t-il, dans le projet de loi de finances pour 2003, les collectivités qui sont menacées d'être montrées du doigt parce qu'elles devront augmenter les impôts locaux pour assumer des missions qui ne sont pas financées et qui n'ont d'ailleurs jamais été transférées ?
Vous le savez bien, c'est la clef d'une décentralisation réussie et c'est un mouvement que le Sénat appuie : des tâches séparées, certes, mais aussi des ressources affectées !
Je termine, parce que je sais qu'il nous écoute, par un appel au Gouvernement. Nous avons soutenu le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, qui assure aux départements, aux régions, aux communes une reconnaissance constitutionnelle tout en leur affectant des ressources propres.
Nous demandons simplement que le pacte de confiance qui lie la majorité parlementaire et le Gouvernement soit conforté par un pacte de confiance que le Gouvernement conclura avec les collectivités territoriales, notamment avec les départements, pour lesquels 2003 sera une année particulièrement difficile.
Ainsi, un débat d'orientation budgétaire s'est tenu hier au sein du conseil général que je préside : pour la deuxième année consécutive, je me vois contraint et forcé d'augmenter les impôts locaux de plus de 10 %, pour des raisons indépendantes de la volonté des élus locaux, tenant au fait que certains transferts de charges n'ont pas été compensés. Je ne veux pas, monsieur le ministre, être seul à porter la responsabilité de cette décision devant nos concitoyens. Le Gouvernement, à qui je fais confiance, doit, en retour, aider les élus locaux à expliquer la situation.
Certains présidents de conseil général, et non des moindres, ont d'ailleurs imaginé de présenter un budget hors contraintes nationales, sans prévoir le financement de l'APA, du SDIS, de l'application de la RTT, en laissant au préfet le soin d'équilibrer ensuite le budget départemental. Il s'agit pour eux de montrer que ce dernier comporte une part de dépenses décidées localement, qu'ils assument, et une part de dépenses relevant d'une volonté nationale, sur laquelle ils n'ont pas de prise.
Je ne suis pas de leur nombre ; je ne suis pas non plus, mes chers collègues, de ceux qui pratiquent l'amnésie. Certains d'entre nous qui ont voté, voilà quelque temps, des lois dont la mise en oeuvre n'était pas financée viennent en effet aujourd'hui se plaindre de cette absence de financement et demandent au gouvernement actuel de supporter l'impopularité qui en résulte.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !
M. Louis de Broissia. Cependant, monsieur le ministre, l'excuse de l'amnésie ne nous suffira pas. Soyez à nos côtés, en 2003, soit pour trouver des accents de sincérité afin d'expliquer aux contribuables locaux qu'ils paieront la facture des erreurs passées, soit pour dégager des ressources nouvelles. Je vous fais confiance ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Braun. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2003, nous abordons l'étude du chapitre relatif aux recettes fiscales des communes. Je veux préciser d'emblée que je traiterai le sujet pris au sens le plus large : les ressources financières des collectivités pour faire face aux besoins de la population, en incluant les dotations d'Etat et le revenu de l'impôt local, seront incluses dans sa définition. J'évoquerai en outre une fois de plus devant le Sénat le sort des villages, des bourgs et des petites villes, qui sont les grands perdants de la redistribution de la richesse nationale depuis une quinzaine d'années.
A l'heure où le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a fait de la décentralisation un axe majeur de sa politique, je veux décrire sans fard et très concrètement la grande misère financière de ces communes, pour peu qu'elles n'aient pas la chance d'avoir accueilli sur leur territoire une grande surface, une centrale nucléaire, un poste d'EDF ou de France Télécom. Le récent congrès de l'Association des maires de France, consacré à l'« égalité territoriale », a montré les craintes instinctives que suscitent les orientations retenues par le Gouvernement.
En effet, les maires redoutent qu'un nouveau transfert de compétences de l'Etat vers les régions et les départements ne se traduise, en bout de chaîne, par un prélèvement fiscal aggravé pour leurs administrés, ainsi que par une baisse des subventions destinées à financer leurs dépenses d'investissement ou de fonctionnement. Ils veulent bien un approfondissement de la décentralisation, mais à condition que cette réforme s'accompagne de l'octroi de moyens financiers supplémentaires, et non, à l'inverse, d'un nouvel affaiblissement de leurs maigres ressources. Fondamentalement, quelle que soit leur origine ou leur étiquette politique, ils voudraient que le Gouvernement s'attache, en priorité, à réduire l'inégalité choquante des richesses entre collectivités, caractéristique qui distingue malheureusement la France au sein de l'Union européenne.
Cette situation ancienne a été aggravée par une série de décisions récentes prises à l'échelon national. Elle entraîne des conséquences, que je vais décrire, pour le mode de vie des citoyens, à une époque où la mobilité et l'information uniformisent la demande et les besoins, quel que soit le lieu d'habitation. Or, suivant que l'on réside dans une grande ville ou dans un autre type de commune, suivant que l'on vit en Ile-de-France, en Rhône-Alpes, en Limousin ou dans le Languedoc-Roussillon - ce ne sont que des exemples -, la gamme des services publics, au sens large de l'expression, s'étend ou se restreint, parfois, dans ce dernier cas, jusqu'au minimum de prestations. En zone rurale, il faut même parfois payer pour un service qui est offert aux citadins.
A cet égard, La Poste constitue l'exemple caractéristique et caricatural. Le petit village sans ressources qui veut conserver son bureau ou son agence devra financer le local et prendre en charge une partie du salaire - une partie seulement pour l'instant ! - du guichetier. Au même moment, les établissements bancaires, privés ou mutualistes, se retirent et se concentrent dans les zones de chalandise ou dans les centres-villes, délaissant une clientèle âgée et peu mobile, pour laquelle l'accès aux services financiers de base passe désormais presque exclusivement par l'entreprise publique. Pour combien de temps celle-ci est-elle encore présente, d'ailleurs ? En tout cas, est-ce cela, l'égalité des territoires ?
Mais élargissons le constat à partir d'autres services perçus comme indispensables. Ainsi, la crèche halte-garderie est devenue le complément naturel de l'école maternelle et primaire pour toute une population mobile sur le plan professionnel, pour des familles où les deux parents exercent un métier. Financer un tel investissement exige un budget communal important, compte tenu de la nécessité de respecter les normes et exigences imposées par les autorités de tutelle. En assumer le coût de fonctionnement demeure un exercice difficile, même pour une petite ville de 4 000 à 5 000 habitants. Est-ce normal ?
La même réflexion s'applique à la construction d'une médiathèque. Pourtant, l'accès aux livres, à l'audiovisuel ou à l'Internet est-il plus ou moins important pour les enfants et pour les adolescents selon qu'ils vivent dans une zone rurale ou péri-urbaine ou dans une grande ville ? Une telle discrimination, dans une nation aussi riche que la nôtre, est inacceptable !
Entrons plus avant encore dans le quotidien. Chaque commune est désormais sollicitée pour créer, puis pour étoffer, un centre communal d'action sanitaire et sociale, en vue d'en faire un lieu d'accueil permanent, complémentaire du service assuré par les assistantes sociales au titre du conseil général. Il arrive même que l'agent municipal doive compenser les défaillances du service départemental. De plus, il incombe désormais à chaque collectivité locale d'encadrer et de former les très nombreux RMistes qui s'acquittent d'une tâche au sein de ses services ou auprès des petites associations. Ainsi se développe naturellement, nécessairement, un service social de proximité que les bourgs et les petites villes, à partir de 3 000 habitants, assurent pour leur propre population et pour celle des villages environnants, remplissant une fonction de « centralité » qui ne donne lieu à aucune compensation.
Pour peu que les élus d'une commune aient conscience qu'ils ont le devoir d'offrir aux adolescents des structures d'information, d'intégration ou de prévention, les voilà confrontés à une tâche délicate et peu populaire, qui suppose un grand professionnalisme des personnels qui y seront affectés. Or seuls les quatre cents à cinq cents quartiers urbains dits « sensibles » peuvent bénéficier d'une intervention financière de l'Etat dans le cadre de la politique de la ville. Cette dernière exclut depuis toujours les zones périurbaines et rurales, où se développent pourtant les mêmes symptômes de désocialisation des jeunes qu'en ville. La commune qui veut faire vivre un club d'adolescents ou un contrat local de sécurité, après avoir tenu à bout de bras un conseil intercommunal de prévention de la délinquance, est livrée à ses seules forces : ni l'Etat ni, généralement, le conseil général ou le conseil régional ne lui viennent en aide. En 2003, le budget de la nation consacrera des moyens considérables au renforcement des mesures de répression ; rien n'est prévu pour soutenir les actions de prévention là où apparaissent les attitudes de rupture. Quel contresens !
Que dire, précisément, de l'aspiration de nos concitoyens à la sécurité publique ? Dans ces mêmes communes, la gendarmerie est aujourd'hui, mes chers collègues, en sous-effectif chronique, en raison des décisions prises, à juste titre, à l'automne de 2001, afin d'améliorer le sort des personnels. En outre, si la commune est située en zone de croissance démographique, le déficit en moyens humains se creuse encore. Désormais, obtenir, la nuit, l'intervention d'une brigade de gendarmerie est aléatoire. En cas d'intervention, celle-ci est tellement décalée dans le temps qu'elle perd de son efficacité. Devant cette situation, la population se tourne vers la municipalité et demande avec insistance la création de postes de gardien de police municipale. Cela est impossible, au vu du budget, sauf à sacrifier le personnel administratif et technique qui assume les missions de base. La frustration est immense, avivée depuis peu, il faut bien le dire, par le zèle médiatique du ministre de l'intérieur. Il va falloir, sur ce sujet, que l'Etat abatte ses cartes, cesse d'étendre, projet de loi après projet de loi, les compétences de la police municipale et dise clairement quel rôle il souhaite lui voir jouer et quel financement lui est attribué. Sinon, les villes riches continueront à se doter de contingents nombreux de gardiens municipaux, tandis que le reste du territoire se sentira abandonné par la puissance publique. C'est le maire qui, à chaque coup dur, subira les reproches et, parfois, le discrédit.
Tel est le constat. Il est loin d'être exhaustif. Je prendrai un dernier exemple, celui d'un maire d'une commune des hauts cantons de l'Hérault, qui me disait récemment : « Ma commune subit une forte spéculation foncière. Il me faudrait engager une réflexion collective en vue d'établir un plan local d'urbanisme. Mais j'hésite, compte tenu du coût que représentent les études. » Est-ce acceptable du point de vue de l'égalité territoriale ? Est-ce rationnel eu égard à la fragilité de cette zone de montagne que fréquentent de plus en plus de touristes ?
C'est cette situation qui explique la tiédeur - et souvent la méfiance - des maires vis-à-vis du grand chantier de la décentralisation. Ils attendent du Gouvernement que cette orientation soit accompagnée de son corollaire indispensable : une politique volontariste de péréquation des ressources, et pas seulement à l'échelon local ou régional ; sinon, dans les bassins d'emploi pauvres, on ne fait que répartir la pénurie. Je reviendrai, à une autre occasion, sur la nécessité d'une telle péréquation, ardemment souhaitée par nos contitoyens, qui est pratiquée en Allemagne et qui a été décidée ici-même en 1995, par le biais de l'adoption de l'article 20 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Souvenez-vous de notre enthousiasme d'alors, mes chers collègues ! Depuis, trois gouvernements se sont succédé, et les décrets d'application n'ont jamais été pris...
Je conclurai mon intervention en indiquant que, s'agissant de ce projet de loi de finances, je soutiendrai quelques amendements dont l'adoption atténuerait, fût-ce à la marge, l'inégalité entre les communes. J'espère qu'ils recevront un accueil positif de la part du Gouvernement et de la majorité du Sénat. Ce serait un signe encourageant pour ceux qui, comme moi, sont favorables à une nouvelle étape de la décentralisation, à condition qu'elle s'accompagne d'une progression vers l'égalité des territoires. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, me faisant l'écho de l'inquiétude grandissante des élus au regard de la situation financière des collectivités territoriales, j'ai souvent réclamé, notamment l'an dernier à cette tribune, comme l'avait fait Louis de Brossia, une réforme complète de la fiscalité locale, laquelle transforme les élus locaux en simples agents répartiteurs.
Devenue aujourd'hui opaque, injuste et inefficace, la fiscalité locale met en péril l'esprit même de la décentralisation et doit, nous le savons tous, être réformée.
La décentralisation annoncée par le Président de la République et proposée par le Premier ministre et son gouvernement est le début de la réponse à l'obligation de la réforme de l'Etat. La réussite de cette décentralisation dépendra de la capacité à transformer, à l'euro près, les moyens appropriés en investissements et en fonctionnement.
Il me semble, ce soir, que le projet de loi de finances pour 2003 présenté par le Gouvernement, bien qu'il ne soit pas encore celui de la décentralisation, tend à amplifier la liberté fiscale des collectivités locales et de leurs élus. Il va dans le bon sens, celui du travail engagé pour donner un plus grand rôle aux collectivités locales dans la vie du pays.
Il me semble même, et j'espère ne pas pécher par excès d'optimisme, que ce projet de loi offre les prémices de cette grande réforme de la fiscalité locale tant attendue.
Nous pouvons en remercier le Gouvernement, en particulier notre ancien collègue Alain Lambert, qui n'a eu de cesse, avec notre excellent rapporteur général, au cours de la précédente législature, de réclamer cette réforme et de dénoncer les mesures de démantèlement progressif de la fiscalité locale prises par le précédent gouvernement.
En effet, les finances locales font, depuis plusieurs années, l'objet de nombreuses réformes intervenues à travers des lois de finances ou des lois spécifiques qui ont eu pour conséquences majeures de recentrer les ressources locales et, de fait, de réduire l'autonomie financière des collectivités.
Les suppressions, notamment, de la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, de la part régionale de la taxe d'habitation et de la vignette, ainsi que la réforme des droits de mutation, ont conduit à une réduction de la part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunts, qui s'établit à moins de 37 % pour les régions, à 43 % pour les départements et à 48 % pour les communes.
Le poids des compensations versées aux collectivités par l'Etat a été, quant à lui, multiplié par treize depuis 1983. En trois ans, l'autonomie fiscale des collectivités locales a été vidée de 20 % de sa substance.
Plus concrètement, si l'on prend l'exemple de la communauté d'agglomération de Brive, 32 % des recettes de fonctionnement de celle-ci proviennent des aides de l'Etat.
Cette situation, monsieur le ministre, n'est pas acceptable, et nous, élus locaux, ne l'acceptons plus. En réalité, c'est notre capacité de gouvernance qui est réduite. La précédente législature, en accélérant le dépérissement de la fiscalité locale, cherchait à nous transformer en simples distributeurs de dotations octroyées par l'Etat et à distendre les liens entre collectivités territoriales et administrés.
J'ajoute que certaines options partisanes, comme la mise en oeuvre des 35 heures dans nos collectivités, nous ont été imposées sans que des moyens soient transférés, avec toutes les conséquences désastreuses que cet état de fait a eues pour le service fourni au public.
L'apport essentiel de la gestion de proximité, en termes d'efficience de l'action publique, réside justement dans la recherche, par les élus locaux, de la meilleure allocation possible des recettes issues de l'impôt local.
Le projet de loi constitutionnelle adopté voilà quelques semaines au Sénat a posé le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales, en particulier des communes, mettant en exergue l'idée de l'existence d'une responsabilité fiscale des élus, corollaire de leur responsabilité démocratique. Aujourd'hui, la France est trop administrée et pas assez gouvernée ; il faut inverser la tendance.
Afin de construire de manière substantielle une nouvelle étape de la décentralisation, une réforme fiscale est nécessaire. Je crois pouvoir affirmer, mais M. Alain Lambert nous le confirmera, que le Gouvernement nous a écoutés et entendus, car il a pris l'engagement de nous présenter dès le début de l'année 2003 des textes comportant des dispositions visant à modifier la fiscalité.
Nous pouvons d'ailleurs constater dès à présent que nous sommes sur la bonne voie.
Contrairement aux années précédentes, le projet de loi de finances pour 2003 présente quelques dispositions participant des objectifs de décentralisation et rompt avec la politique du « toujours plus de grignotage » de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Ainsi, le Gouvernement a accordé davantage de liberté fiscale aux élus, par la « déliaison » des impôts locaux, c'est-à-dire la possibilité de majorer le taux de la taxe professionnelle dans une proportion supérieure à l'augmentation de la taxe d'habitation. Il s'agit là d'une avancée déterminante en direction d'une plus grande liberté et d'une plus grande responsabilité des élus. Cet assouplissement est certes encadré, mais il va permettre de sortir en douceur d'un système contraignant et de mieux tenir compte de la diversité des territoires. Disons le clairement, les citoyens demandent plus de proximité et plus de lisibilité dans la politique des collectivités locales, mais ils ne sont pas prêts à accepter un alourdissement de la fiscalité correspondante.
Le Gouvernement a trouvé là un juste équilibre entre la rigidité passée et les excès que pourrait engendrer une liberté trop soudaine, en attendant la « déliaison » totale, qui pourrait intervenir, pourquoi pas ? dès le début de l'année 2003.
En ce qui concerne le renforcement de la libre administration des collectivités locales, le projet de budget prévoit aussi d'assujettir France Télécom aux impôts directs locaux dans les conditions du droit commun.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Enfin !
M. Bernard Murat. Les collectivités locales bénéficieront donc d'une nouvelle assiette fiscale et seront libres de voter les taux qui seront appliqués.
Il s'agit là, pour les finances locales, d'une avancée qui était demandée depuis des années par la commission des finances du Sénat.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! Nous avons enfin été entendus !
M. Bernard Murat. Autre point positif pour les finances locales : malgré l'élaboration de ce budget dans un contexte tendu, le Gouvernement s'est abstenu de rogner sur la masse financière des collectivités locales. Comme nous l'a si bien démontré dans son exposé notre excellent rapporteur général,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Merci !
M. Bernard Murat. ... il était indispensable, dans l'attente d'une réforme globale de la fiscalité locale et des dotations de l'Etat aux collectivités locales, de reconduire le système existant des concours de l'Etat aux collectivités territoriales. Nous souhaitons seulement que ce soit pour la dernière fois, avec l'avènement d'une véritable autonomie locale, dans un rapport « gagnant-gagnant » entre l'Etat et les collectivités territoriales, ainsi que l'a demandé M. Philippe Marini.
En conclusion, il est donc urgent de mettre un terme à une transformation des ressources fiscales en dotations budgétaires et d'assurer la prééminence des recettes fiscales dans les budgets locaux. Il est urgent de simplifier les règles et de mieux cibler les bénéficiaires des dotations de l'Etat, en particulier de la dotation globale de fonctionnement. Il est urgent de se pencher sur le problème de la péréquation des ressources entre les collectivités territoriales, en rappelant encore une fois, que nos concitoyens ne comprendraient pas que la décentralisation génère une augmentation des impôts locaux. En bref, il est urgent de réformer la fiscalité locale, et vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour soutenir toute démarche allant dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.) M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je constate, une fois encore, combien on s'instruit en écoutant le Sénat sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
Nous avons essayé, avec Patrick Devedjian, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence puisqu'il est retenu à l'Assemblée nationale en cet instant, de concilier à la fois notre souci de vous présenter un dispositif favorable aux collectivités locales et aussi d'être respectueux de la contrainte budgétaire forte, que votre commission des finances a su vous présenter mieux que personne. Le contexte est en effet celui de la réforme en profondeur des finances locales. Je vais essayer de vous donner un certain nombre d'indications sur l'état actuel de ma pensée.
Le président de la commission des finances et le rapporteur général n'ont pas marqué une impatience - la délicatesse de leur verbe est en effet bien connue -, ils ont exprimé le souhait que nous progressions dans ce domaine. J'indique à la Haute Assemblée que le budget est élaboré en juillet, que les élections législatives se sont tenues en juin et que nous n'avons donc eu que quelques semaines pour vous proposer le budget dont nous discutons actuellement. Vous comprendrez qu'en quelques semaines il était difficile de vous préparer une vraie révolution des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Nous le comprenons !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous êtes arrivé trop tard dans un monde trop vieux ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, ministre délégué. Mais nous allons rattraper le retard, monsieur le rapporteur général !
M. le président. Monsieur le rapporteur général, je vous en prie, M. le ministre a seul la parole.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Merci de me protéger, monsieur le président !
Je vais essayer, dans la transparence et en toute sincérité, de vous livrer l'état de nos réflexions, tout en reconnaissant qu'elles ne sont pas abouties et qu'elles méritent d'être approfondies avec vous.
Le Gouvernement s'est engagé à proposer, lors de l'année 2003, une réforme des finances locales et il tiendra son engagement. Cette réforme aura trois composantes principales : l'autonomie financière, la péréquation et la contrepartie financière des transferts de compétence. Je limiterai mon propos à la question de l'autonomie financière et à celle du financement des transferts de compétence. En effet, la question de la péréquation relève plus directement de mon collègue Patrick Devedjian, et vous aurez l'occasion de l'aborder lors du débat sur les crédits du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Gérard Delfau. Cela ne nous rassure pas !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut faire confiance.
M. Gérard Delfau. Absolument pas !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je le précise pour la bonne organisation des débats.
Comment améliorer l'autonomie financière des collectivités territoriales ? Le rapporteur général a longuement évoqué ce point, de même que le président Arthuis, M. Michel Mercier, en sa qualité de rapporteur spécial, M. Bernard Murat et beaucoup d'autres orateurs. Il convient d'accroître la part des ressources propres au sein du total des ressources des collectivités territoriales. Plus précisément, il convient d'accroître la part des ressources fiscales relativement à la part des dotations reçues de l'Etat. Comment faire ?
M. Jean Arthuis, président de la commission. Augmenter les impôts !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Comme je le disais, la réflexion du Gouvernement n'est pas achevée sur ce point, et je ne suis donc pas en mesure de vous livrer des solutions définitives. Néanmoins, je souhaite profiter de ce débat pour suggérer quelques principes sur lesquels le Gouvernement réfléchit et pour tester auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques pistes que nous pourrions défricher ensemble.
S'agissant des principes, pour pouvoir être transféré aux collectivités territoriales, un impôt devrait, selon moi, avoir dans l'idéal trois caractéristiques principales.
Première caractéristique : ses bases devraient être réparties de manière relativement harmonieuse sur le territoire national. Les impôts dont les bases sont mal réparties se prêtent, à l'évidence, moins bien à un transfert, même si la péréquation peut permettre de corriger des inégalités.
Deuxième caractéristique : le transfert doit être total. Certes, cela n'est évidemment pas indispensable, l'assiette pouvant techniquement être partagée, c'est d'ailleurs le cas pour les impôts locaux actuels. Il n'en demeure pas moins que, dans l'idéal, il est préférable que l'impôt local le soit totalement et que l'impôt national le soit aussi. Ce principe ne concerne d'ailleurs pas seulement l'Etat et les collectivités territoriales ; j'ai appris, au Sénat, qu'il devrait également concerner les relations avec la sécurité sociale.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Oui !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Enfin, troisième et dernière caractéristique : les taux de l'impôt transféré doivent pouvoir être modulés par les collectivités qui en bénéficieront. A défaut, l'autonomie fiscale serait, certes améliorée, mais dans des proportions insuffisantes.
Puisque nous sommes sur le plan des principes, je voudrais souligner que le processus de réforme que nous allons engager devra être conçu de manière neutre. Là encore, je vais être tout à fait franc et loyal avec vous.
En premier lieu, il devra être neutre pour le contribuable. En aucun cas il ne devra se traduire par une aggravation des charges qu'il supporte. Nous sommes d'ailleurs profondément convaincus que la décentralisation doit, au terme du processus, être source d'amélioration de la situation des contribuables et des citoyens, car, normalement, la gestion de proximité doit se traduire soit par des prestations supplémentaires, soit par des économies.
En second lieu, ce processus de réforme devra être neutre pour l'Etat et pour les collectivités territoriales. Il n'est pas question que la réforme se fasse au détriment de ces dernières. D'ailleurs, la Constitution, en cours de révision, l'interdit. Il n'est pas envisageable non plus, et je sais que vous ne reprocherez pas à un ministre du budget de le dire, qu'elle s'opère au détriment des finances de l'Etat. La situation budgétaire de l'Etat ne le permet pas, vous le savez mieux que personne.
Il faudra donc que les transferts d'impôt s'accompagnent, pour l'Etat, d'une économie équivalente, soit sur les charges en cas de transfert de compétence accompagné d'un transfert de ressources fiscales, soit sur les dotations, soit sur les dégrèvements actuels d'impôts locaux pris en charge par le budget de l'Etat.
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. J'en viens aux pistes que nous pourrions explorer ensemble. Au regard des principes que je viens d'évoquer, quels sont les défauts et les qualités des différents impôts ? Vous le constatez, j'ai essayé de réfléchir aux questions que vous m'avez posées.
J'indique d'emblée que les deux impôts synthétiques que sont l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés ne constituent pas, selon les premières appréciations que nous avons pu porter, des pistes satisfaisantes. Ces impôts ne sont pas localisables, puisqu'ils prennent en compte l'ensemble des revenus ou des éléments de patrimoine du contribuable. De surcroît, leurs bases d'imposition sont mal réparties sur le territoire national. Enfin, notons que l'impôt sur les sociétés est très volatile (Marques d'approbation sur le banc des commissions) - le budget de l'Etat en est la première victime - et que la sensibilité des contribuables à des taux d'impôt sur le revenu différenciés localement serait particulièrement forte. Ce que nous constatons déjà au niveau de l'Etat, nous le constaterions à l'échelon des communes, des départements et des régions. Personne, je l'imagine, ne l'envisage.
La piste d'un transfert de CSG serait plus intéressante, dans la mesure où cet impôt est dynamique. Mais les problèmes de localisation des bases semblent également difficiles, même s'ils le sont moins que pour l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés.
On peut toutefois noter que les bases de la CSG sont assez mal réparties. En effet, le produit par habitant varie, pour les revenus d'activité, entre 917 euros dans la région la plus favorisée et 240 euros dans la région la moins favorisée, soit un rapport d'environ un à quatre. Le rapport est à peu près similaire pour les revenus du patrimoine.
Par ailleurs, la CSG est à l'heure actuelle intégralement affectée à la sécurité sociale. Si les collectivités territoriales acquièrent la possibilité de la percevoir, le lien entre sécurité sociale et CSG, qui existe actuellement, s'en trouverait en quelque sorte affaibli, ou d'une lecture beaucoup plus brouillée. A fortiori , un transfert des droits sur le tabac ne paraît pas opportun. L'affectation de ces droits à la sécurité sociale relève d'une logique forte, qui, à mon avis, ne doit pas être rompue.
J'en arrive à la TIPP. (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Elle rapporte actuellement environ 25 milliards d'euros. Les bases de cet impôt sont correctement localisées, puisque le produit par habitant est compris dans un rapport de un à moins de deux. Je donne les chiffres : 545 euros par habitant dans la région la plus avantagée et 291 euros par habitant dans la région la moins avantagée. Notons - cela fera plaisir sinon à tout le monde, en tout cas au plus grand nombre - que, en l'occurrence, la région d'Ile-de-France n'est absolument pas avantagée : le produit par habitant compte parmi les plus faibles.
M. Gérard Delfau. Forcément !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Cet impôt est donc, de toute évidence, celui qui se prête le mieux à un transfert. Certes, la perception de l'impôt posera quelques problèmes techniques dès lors que les taux seraient différenciés localement. Il ne serait alors plus possible de procéder à cette perception en sortie de raffinerie, comme c'est le cas actuellement. Pour autant, ces difficultés techniques ne doivent pas être surestimées. Je veux le dire clairement : même si le ministère dont j'ai partiellement la charge a la réputation d'être contre ce transfert - ce qui n'est d'ailleurs pas tout à fait le cas -, nous sommes prêts à l'examiner avec vous, et ce en toute loyauté.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Cet impôt est celui qui se prête le mieux à un transfert. Le seul obstacle est, en réalité, pour l'instant d'ordre communautaire - mais j'imagine qu'il pourra être surmonté. Nous sommes en train d'étudier de très près la compatibilité d'un transfert de pouvoir fiscal sur cet impôt à nos territoires avec les différentes directives qui régissent les accises.
Pour être tout à fait complet, il faut noter que d'autres impôts sont aussi à l'étude. Je pense notamment à la TGAP. Mais, depuis ce matin, je n'en entends pas suffisamment de bien pour vous l'offrir comme étant une très bonne idée. (Sourires.) Si je le faisais, vous n'apprécieriez sans doute pas.
M. Philippe Marini, rapporteur général. En cas de besoin, on prendrait toujours !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Voilà donc, s'agissant des pistes de transfert de fiscalité, ce que je voulais vous dire. J'espère vous avoir montré, en la circonstance, que je ne cherchais pas à esquiver ce débat. J'ai souhaité profiter de cette occasion pour qu'il puisse être ouvert en toute sincérité entre nous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) J'en viens à la problématique des transferts de compétences. Vous l'avez quasiment tous évoquée, en raison des transferts effectués qui ont été mal compensés. M. Michel Mercier - c'est sa responsabilité - y a insisté, de même que MM. André Lardeux et Louis de Broissia, ainsi que M. Jean-Claude Peyronnet sur un registre différent. Ce qui est revenu en permanence, c'est, bien sûr, la question de l'APA,...
M. Roland du Luart. Effectivement !
M. Alain Lambert, ministre délégué. ... dont le coût est très élevé. J'observe, tout d'abord, sans chercher à renvoyer la balle, que le présent Gouvernement n'a pas à encourir de reproche du fait de cette prestation et du calibrage de la compensation allouée aux départements.
Rappelons à nos collègues de l'opposition, qui sont parfois si prompts à dénoncer d'hypothétiques futurs transferts mal compensés, que l'APA a été conçue par le précédent gouvernement. (M. Roland du Luart s'exclame.)
J'ai relu, monsieur du Luart - car j'aime beaucoup la lecture des travaux parlementaires - le compte rendu des débats concernant les finances locales qui se sont tenus au Sénat l'an passé. J'y ai relevé des mises en garde insistantes émanant de plusieurs orateurs de l'opposition d'alors, et donc de la majorité aujourd'hui. Le débat sur l'APA a, en réalité, déjà eu lieu la semaine dernière lorsque vous avez examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale. A cet égard, M. de Raincourt a, lors de cette séance, particulièrement bien résumé la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il a dit : « l'Etat dispose-t-il des ressources nécessaires pour financer les surcoûts de cette prestation ? Je réponds très sincèrement du haut de cette tribune : hélas ! non. Faut-il, pour autant, augmenter les impôts locaux ? Je réponds : non, évidemment ! »
M. Roland du Luart. C'est la quadrature du cercle !
M. Alain Fouché. Comment fait-on, alors ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Seule reste donc, mesdames, messieurs les sénateurs, la voie de la maîtrise de la dépense. (M. le rapporteur général opine.) Permettez au ministre du budget de s'exprimer sur ces questions car il n'a pas souvent l'occasion de pouvoir le faire. Si nous ne veillons pas à calibrer toutes les prestations qu'il est jugé utile, parfois nécessaire, de proposer à nos compatriotes en fonction de leurs capacités contributives, cela signifie soit que nous en renvoyons le paiement aux générations futures, sans savoir où l'on va, soit que nous manquons de sens des responsabilités.
M. Roland du Luart. Quel courage !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Si je considère qu'il n'y a pas d'autre voie que la maîtrise de la dépense, c'est parce que choisir une autre voie revient à opter en faveur de l'augmentation inexorable des impôts. Si tel est le choix qui est fait, il doit être non pas tacite mais explicite. (MM. Louis de Broissia et Bernard Fournier applaudissent.)
Quelles sont les voies de la maîtrise des dépenses ? Bien que n'étant pas spécialiste du sujet, je considère qu'il ne faut pas se priver des leviers qui sont susceptibles d'y contribuer. Je pense au seuil de ressources, au niveau de participation avec l'instauration d'un nouveau barème tenant mieux compte de la capacité contributive des bénéficiaires de l'APA à domicile, ou au contrôle de l'effectivité. Je pense également au recours sur succession.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! Et, bien sûr, avec une franchise raisonnable !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Des années d'expérience me conduisent à penser qu'il ne s'agit en rien d'une atteinte à la dignité des personnes et des familles. Je pense également à des précisions sur les critères d'éligibilité, qui concernent, par exemple, le GIR 4.
A cet égard, le Gouvernement est attaché à ce que la concertation qui s'est engagée avec l'Assemblée des départements de France soit très approfondie, afin qu'elle puisse déboucher sur un accord entre cette instance et le Gouvernement.
D'une manière plus générale, mesdames, messieurs les sénateurs, comment devons-nous aborder les transferts de compétences à venir ? En ayant constamment présents à l'esprit deux principes très simples : les frontières des compétences doivent être clairement définies, de manière à éviter la confusion des rôles ; l'autonomie des collectivités doit être la plus importante possible, dans la sphère de leurs compétences. Un principe de nos campagnes - pardonnez-moi cette rusticité - résume cette position : « qui commande paie, qui paie commande ».
C'est dans cet esprit que nous envisagerons les transferts à venir. Pour ma part, j'ai donné une instruction très ferme aux responsables de mon ministère : simplifions les normes qui encadrent l'action des collectivités territoriales, supprimons leurs contraintes inutiles. Et je sais que, de son côté, M. Devedjian fait de même.
N'hésitez pas à nous faire remonter des idées en matière de réforme et de simplification, à partir de l'expérience de gestion locale, de l'expérience du terrain qui est la vôtre. Nous les examinerons, j'en prends l'engagement devant vous. Notre but, en effet, est d'alléger au maximum les contraintes qui sont les vôtres dans votre tâche de gestionnaires locaux.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Très bien !
M. Roland du Luart. C'est marqué au coin du bon sens !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Enfin, il faut relever l'apport essentiel du projet de loi constitutionnelle, actuellement en cours de discussion devant l'Assemblée nationale, que vous avez adopté. Les transferts de compétences ou les créations de compétences, désormais, devront être impérativement compensés : c'est l'un des apports du Sénat à la révision constitutionnelle.
En réponse à la question de M. Michel Mercier - ce n'est pas la première fois que je le cite, mais chacun sait ici qu'il est rapporteur spécial pour la décentralisation -, je prends solennellement devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, l'engagement, tant en mon nom qu'au nom de M. Patrick Devedjian, de vous associer à nos réflexions, à nos simulations et à nos propositions.
Monsieur Mercier, je trouve pour ma part tout à fait logique et naturel, lorsque le ministère de la fonction publique négocie avec les partenaires sociaux des augmentations ayant un impact sur les rémunérations au sein de la fonction publique territoriale, que les représentants des gestionnaires locaux, c'est-à-dire des collectivités territoriales, soient consultés, je le dis sans ambiguïté. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J'ai voulu jusqu'à présent donner une certaine solennité aux réponses que j'ai apportées à vos différentes questions. Je vais maintenant être plus rapide et essayer de rebondir, si j'ose dire, sur un certain nombre de points que vous avez abordés.
J'évoquerai d'abord la liberté des collectivités territoriales en matière de choix des taux. Nous avons déjà fait une avancée substantielle en accordant une plus grande liberté aux collectivités locales, pour la première fois depuis vingt-deux ans, par le biais de la déliaison du taux de la taxe professionnelle et des impôts-ménages.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On l'a fait l'an dernier pour les départements !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Bien sûr, nombreux sont ceux parmi vous qui auraient souhaité aller plus loin, et je sais que M. Michel Mercier a déposé des amendements en ce sens. Ils seront examinés.
Les entreprises, vous le savez, ont manifesté leur inquiétude devant la possibilité d'une libération totale et immédiate des taux. Il est nécessaire, sans doute, d'avancer par étapes, et les collectivités sauront certainement démontrer qu'elles sont capables de ne pas abuser du nouveau pouvoir qui leur est confié. Nous pourrons ainsi progresser vers une plus grande liberté et, disons-le tout net, vers une liberté totale.
La banalisation de la fiscalité de France Télécom avait souvent été promise par le précédent gouvernement. Le présent gouvernement, dès son entrée en fonction, a souhaité la mettre en place.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Par ailleurs, les collectivités territoriales bénéficieront d'une majoration de leur base de taxe professionnelle, la neutralité de l'opération étant bien entendu garantie.
Cette opération est triplement intéressante pour les collectivités territoriales. D'abord, elles recouvreront un pouvoir fiscal sur 814 millions d'euros de taxe professionnelle. Ensuite, elles bénéficieront intégralement de la taxe foncière, sans prélèvement corrélatif, ce qui représente pour elles un gain net d'environ 18 millions d'euros. Enfin, l'Etat assumera la charge financière relative au maintien des ressources du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, dont le montant sera égal en 2003 à celui de 2002, malgré la perte de la contribution de France Télécom.
S'agissant de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle, reconnaissons que, au point où nous en étions, il fallait aller jusqu'au bout. Trois mesures d'allégement de la taxe professionnelle sont ainsi proposées, pour un coût total avoisinant les 2 milliards d'euros.
Il n'était pas envisageable non plus de ne pas étendre le bénéfice de cet allégement aux professionnels libéraux titulaires de bénéfices non commerciaux et employant moins de cinq salariés. La dernière mesure d'allégement qui a été prévue concerne les investissements de recherche éligibles au crédit d'impôt-recherche, qui seront désormais exclus de la base taxable.
Je voudrais maintenant m'efforcer - mais mes propos seront naturellement très insuffisants - sinon de répondre, du moins de faire écho aux deux questions d'Yves Fréville. La première touche à la péréquation et concerne directement Patrick Devedjian. Avec la seconde, M. Fréville se demandait s'il y avait un avenir pour la taxe professionnelle. Reconnaissez, monsieur le sénateur, qu'en posant cette question vous ne m'avez pas fait un cadeau ! (M. Yves Fréville opine.)
En effet, puisqu'elle est désormais « démembrée », du fait de la suppression de la part « salaires », la taxe professionnelle a-t-elle un avenir ? Mais comment vous répondre sinon en vous posant moi-même une question : peut-on renoncer à un impôt local sur les entreprises ? Quelles seraient les conséquences d'un tel renoncement, sinon peut-être le désintérêt des collectivités locales pour les entreprises et pour l'emploi ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait ! Ce n'est pas concevable !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Monsieur le rapporteur général, j'avais précisément griffonné sur mon papier : « Inenvisageable » ! Je ne sais pas si c'est concevable ou non, mais, aujourd'hui, il n'est pas envisageable de supprimer cet impôt. (Mme Marie-Claude Beaudeau s'exclame.)
Doit-on lui « greffer une seconde jambe », pour reprendre l'expression d'Yves Fréville ? Ce serait sans doute le mieux. Mais à ce jour, le modeste « chirurgien » fiscal que je suis n'a pas de proposition de greffe à vous faire ! (Sourires.)
M. Jean Arthuis, président de la commission. Il faut supprimer les exonérations !
M. Alain Lambert, ministre délégué. J'en viens à la suppression du droit de licence sur les débits de boissons, qui a été critiquée. Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il s'agit avant tout d'une mesure de simplification administrative et que le coût du recouvrement de cet impôt est totalement disproportionné au regard de son rendement : on compte 284 000 assujettis pour 23 millions d'euros de produit fiscal ! Je voudrais d'ailleurs que ceux d'entre vous qui sont maires, et ils sont nombreux, me disent de mémoire quelle est la ressource correspondant à ce droit de licence. Alors que je m'occupe de très près des finances de ma commune, j'avoue que j'en ai été tout à fait incapable au moment où cette idée m'a été suggérée.
Pour compenser la perte de ce droit, plutôt que de faire une nouvelle fois un calcul compliqué, il a été choisi, si vous en êtes d'accord, d'abonder la DSU et la DSR de manière plus efficace. En effet, il nous semblait peu efficient de verser une compensation de quelques dizaines d'euros aux milliers de communes concernées !
Un point a naturellement fait l'objet d'un débat : l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités territoriales tel qu'il ressort du projet de loi de finances.
S'agissant du contrat de croissance et de solidarité, je signalerai, en particulier aux sénateurs de l'opposition, que l'effort consenti est tout à fait substantiel dans le contexte budgétaire qui est le nôtre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous considérez qu'il est identique à celui de 2002, mais telle n'est pas, pour le ministre délégué au budget, la manière de percevoir les choses ! L'effort n'est pas le même quand le déficit budgétaire est majoré de 50 % par rapport à l'année précédente ! Parvenir à tenir les engagements sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales alors que la situation est à ce point dégradée est donc méritoire de la part du présent gouvernement.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. La concentration de la régularisation de la DGF au titre de l'année 2001 sur les communes les moins favorisées est pour le Gouvernement la manière de montrer qu'il est attentif à cette péréquation. Si nous en avions répandu le montant en pluie fine, je ne suis pas persuadé que chacune des 36 000 communes de France en aurait véritablement ressenti les effets. En revanche, en concentrant ces sommes sur les communes éligibles à la DSU et à la DSR, c'est-à-dire sur celles qui sont les plus éprouvées, nous allons pouvoir leur distribuer globalement un montant de 100 millions d'euros, ce qui me semble de nature à leur donner satisfaction.
En outre, la commission des finances du Sénat a déposé des amendements visant à majorer fortement les dotations de péréquation. Sans anticiper sur le débat à venir, j'indique d'emblée que le Gouvernement leur réservera un accueil favorable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d'excuser la longueur de mon propos : j'ai souhaité ne pas esquiver les questions de fond que vous avez voulu soulever. Vous pouvez ne pas être en accord avec les réponses que je vous ai apportées, mais j'ai tenu à marquer la volonté du Gouvernement d'engager un dialogue sincère avec le Parlement. Tous ces matériaux que j'ai tenté de réunir pour vous les soumettre valent invitation à terminer ensemble cet immense chantier, à renouer des relations que Michel Mercier a souhaitées de confiance. Il est capital, en effet, de rétablir la confiance entre l'Etat et les collectivités locales. Dans « confiance », il y a le mot « foi » : foi dans les engagements pris par le Gouvernement ; foi dans la volonté respective des parties, c'est-à-dire des collectivités territoriales et de l'exécutif, de respecter ces engagements ; foi dans la possibilité, grâce à la décentralisation, de mieux servir la France et les Français en répondant à leurs attentes au niveau territorial le plus approprié.
Si, dans notre République, chaque collectivité fait bien ce pour quoi elle a été instituée, la France sera mieux administrée. Plus prospère, elle sera plus apte à offrir à chacun de ses enfants l'avenir le plus fécond. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Nous passons à l'examen des articles 12 à 14, 14 bis , 29 à 31, 31 bis , 32 et des amendements tendant à insérer des articles additionnels relatifs aux recettes des collectivités locales.

Articles additionnels après l'article 2