SEANCE DU 25 NOVEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° I-219 rectifié, présenté par M. Marini, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 762 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 762. - I. - Pour la liquidation des droits de mutation à titre gratuit, la valeur de la nue-propriété et de l'usufruit est déterminée par une quotité exprimée en pourcentage de la propriété entière, en fonction de l'âge de l'usufruitier, conformément au barème ci-après :


ÂGE DE L'USUFRUITIER

BÉNÉFICIAIRES

usufruit


NUE-PROPRIÉTÉ
Moins de 25 ans 80 20
De 25 à moins de 30 75 25
De 30 à moins de 35 70 30
De 35 à moins de 40 65 35
De 40 à moins de 45 60 40
De 45 à moins de 50 55 45
De 50 à moins de 55 50 50
De 55 à moins de 60 45 55
De 60 à moins de 65 40 60
De 65 à moins de 70 35 65
De 70 à moins de 75 30 70
De 75 à moins de 80 25 75
De 80 à moins de 85 20 80
De 85 à moins de 90 15 85
De 90 à moins de 95 10 90
Plus de 95 ans révolus 5 95


« Pour déterminer la valeur de la nue-propriété, il est tenu compte des usufruits ouverts au jour de la mutation de cette nue-propriété ainsi que des usufruits successifs éventuellement stipulés au contrat.
« II. - L'usufruit constitué pour une durée fixe est estimé aux deux dixièmes de la valeur de la propriété entière pour chaque période de cinq ans de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruitier. »
« II. - Les dispositions du I s'appliquent aux donations effectuées et aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2003.
« III. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I et du II ci-dessus est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais vous inviter à faire un peu d'archéologie financière ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Ah !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est l'article 13 de la loi du 25 février 1901 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1901 - vous voyez, on a fait des progrès, puisque maintenant on vote le budget avant le démarrage de l'exercice - ...
M. Michel Charasse. Les douzièmes provisoires !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... c'est donc l'article 13 de cette loi mémorable qui a créé le barème fiscal de l'actuel article 762 du code général des impôts.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit du barème de conversion de l'usufruit et de la nue-propriété en pleine propriété. Ce barème est issu, très vraisemblablement, de la méthode du calcul actuariel des flux de revenus des biens démembrés à partir des données disponibles de l'époque 1901. Il est donc fondé sur les tables d'espérance de vie de la période 1898-1903. Il évalue le rendement des biens détenus en usufruit à 2 %.
Il est inutile d'insister sur le caractère très sensiblement décalé, voire complètement obsolescent, de ce dispositif. Au cours du siècle, l'espérance de vie a augmenté de plus de 60 %, tandis qu'un écart significatif s'est creusé entre les hommes et les femmes, et le postulat d'un rendement uniforme de 2 % par an est devenu extrêmement critiquable.
Il est clair que les paramètres que l'on utilise aujourd'hui - et M. le ministre Alain Lambert les connaît mieux que quiconque - conduisent à surévaluer la nue-propriété. Selon les informations dont nous disposons, cette surévaluation peut dépasser 70 % de la pleine propriété pour des investissements d'un rendement égal ou supérieur à 10 %.
Enfin, l'obsolescence du barème n'est pas neutre sur le plan fiscal. En cas de donation ou de donation-partage avec réserve d'usufruit, elle s'avère très pénalisante pour les contribuables, puisque l'assiette de l'impôt est augmentée par une sous-estimation artificielle de la valeur de l'usufruit. Aux termes du barème actuel, pour les personnes de plus de soixante-dix ans, la valeur de l'usufruit s'élève à 10 %, alors qu'elle devrait atteindre 30 % compte tenu de la valeur issue de la réalité démographique d'aujourd'hui.
Monsieur le ministre, de deux choses l'une : ou bien on change de système, c'est-à-dire que l'on considère qu'il n'y a plus lieu de rapporter de la même façon la quote-part de l'usufruit et de la nue-propriété à la valeur de la pleine propriété - on met alors en cause la construction du tarif dans ses fondements mêmes -, et il faut nous expliquer par quoi on remplace ce barème ; ou bien on maintient les modes de raisonnement traditionnels, mais il faut ajuster le barème à la réalité démographique et sociale d'aujourd'hui.
Cet amendement a bien sûr pour objet de rappeler cette anomalie flagrante. La solution que nous proposons vise à conserver un barème unique mais à en actualiser les paramètres. La durée de l'usufruit et calculée en fonction de l'espérance de vie constituée à partir de la table de mortalité en 1990-1992 établie par l'INSEE. Nous avons pris l'hypothèse, qui semble aujourd'hui économiquement raisonnable, d'un taux de rendement du bien de 4 %.
Dans le cadre de vos réflexions, dont le rythme, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, s'accélérera encore à partir du 2 janvier prochain, quel sort comptez-vous réserver à cette proposition de modernisation du barème de l'usufruit et de la nue-propriété ?
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. M. le rapporteur général a raison. L'année dernière, il avait d'ailleurs proposé un amendement allant dans ce sens. Ce barème de calcul de l'usufruit est frappé d'une obsolescence quasi définitive.
Comme il est bon que le Sénat connaisse tout de nos débats avec M. le rapporteur général, sachez qu'il m'a fait part de son souhait d'aboutir sur le sujet. Cependant, autant M. le rapporteur général a raison d'insister pour que l'on sorte de cette situation qui est une négation de la réalité économique, autant je recommande très vivement que nous le fassions à l'occasion du texte qui nous permettra de réviser la fiscalité du patrimoine, et donc des successions.
Lors de l'établissement des barèmes, il a été tenu compte de l'obsolescence de l'évaluation de l'usufruit. Si nous procédons à une réévaluation du barème de l'usufruit sans modifier, par exemple, les seuils d'imposition de la fiscalité entre époux, des conjoints survivants ayant, disons, entre cinquante et soixante ans, risquent de se retrouver pénalisés pendant une année par rapport à la situation présente, ce qui n'est naturellement pas votre intention, monsieur le rapporteur général.
Si, en l'occurrence, nous voulons être véritablement efficaces, il faut réaliser cette réforme de l'évaluation de l'usufruit en même temps que celle de la fiscalité des successions et du patrimoine.
Aussi, monsieur le rapporteur général, je vais être très direct avec vous : si nous n'avons pas progressé dans la réforme de la fiscalité du patrimoine et des successions, vous serez fondés à imposer cet amendement l'année prochaine.
Cela étant, je vous demande, à raison de la volonté du Gouvernement de prendre à bras-le-corps ce sujet, de bien vouloir verser cette proposition comme contribution, et elle devra naturellement être prise en compte dans le travail que nous allons mener ensemble. Il faut faire les deux réformes en même temps. En effet, si nous agissons séparément, nous risquons de produire des effets secondaires que nous n'aurions pas anticipés et dont nous serions malheureux. C'est ce qui me conduit à vous proposer de retirer cet amendement, sous le bénéfice, bien sûr, de l'introduire dans le texte auquel nous allons travailler ensemble.
M. le président. Monsieur le rapporteur général, entendez-vous cet appel de M. le ministre délégué ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le ministre a été direct et il a eu raison. Les indications qu'il a fournies sont importantes pour le Sénat car nous voyons progressivement se dessiner la problématique de la réflexion sur la fiscalité du patrimoine, et en particulier sur cet aspect spécifique qu'est la question de sa transmission.
Je partage, bien sûr, les propos qui ont été tenus sur certains des effets pervers qui pourraient résulter d'une avancée un peu erratique et d'un barème remis au goût du jour sans que le tarif et la structure des droits de succession ne l'aient été.
Sous le bénéfice de cet échange, dont je tiens à remercier M. le ministre du budget, je retire cet amendement. Bien entendu, l'archéologie financière aura, l'an prochain, un an de plus, mes chers collègues, mais ce ne sera pas bien dramatique puisque nous avançons dans la bonne direction. Après avoir attendu cent un ans, nous pouvons patienter une année de plus ! (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° I-219 rectifié est retiré.
L'amendement n° I-148, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 778 du code général des impôts, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... Bénéficient du tarif de la ligne directe les successions ouvertes à compter du 15 septembre 2002 affectées au profit de personnes assumant la charge de tutelle ou de curatelle en vertu des dispositions du titre XI du livre I du code civil. »
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement a pour objet d'adapter la législation en matière de successions.
La question des droits de succession se pose, parfois, dans des termes relativement particuliers. Ces dernières années, un certain nombre d'évolutions se sont produites, qui ont notamment porté sur les conditions d'abattement des droits en ligne directe afin de permettre une meilleure prise en compte des différentes situations.
Cet amendement soulève le problème des successions qui font suite à des décisions de justice aux termes desquelles la gestion des intérêts ou du patrimoine d'une personne a été confiée à des tuteurs ou à des curateurs qui, conformément aux dispositions du code civil, en assument toutes les conséquences.
En l'absence d'héritier en ligne directe, ces tuteurs ou ces curateurs, qui peuvent d'ailleurs être des héritiers par voie collatérale, se retrouvent imposés au titre de la succession au tarif prévu pour la ligne indirecte, alors qu'ils assument des charges similaires à celles que les héritiers en ligne directe sont parfois conduits à accomplir.
C'est donc pour créer un traitement identique entre, d'une part, ces tuteurs et ces curateurs et, d'autre part, les héritiers en ligne directe que nous proposons cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement a suscité la surprise de la commission, indépendamment des opinions politiques qui peuvent nous opposer, monsieur Foucaud. En effet, inciter une personne âgée à tester en faveur d'un curateur ou d'une personne en charge de sa propre tutelle ne revient-il pas à faire pression sur un être fragilisé ? Une telle disposition ne comporte-elle pas de trop grands risques de captation d'héritage dans l'extrême fin de vie de personnes très âgées ? Ne connaissons-nous pas déjà de tels risques ? Ne seraient-ils pas aggravés par un tel dispositif ? Notre collègue Thierry Foucaud, en déposant cet amendement, n'a sans doute pas mesuré l'importance de tels risques. Aussi, je lui demande de bien vouloir y réfléchir et de retirer l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Compte tenu de l'estime personnelle que je porte à M. Thierry Foucaud, et qu'il connaît -, je lui recommande très vivement de retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement n° I-148 est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Je retire cet amendement, qui est sans doute mal formulé.
M. Michel Charasse. L'idée est bonne !
M. Thierry Foucaud. Merci, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse. Mais les risques sont grands !
M. Thierry Foucaud. Nous le reformulerons.
M. le président. L'amendement n° I-148 est retiré.

Article additionnel avant l'article 5 bis