SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2002


M. le président. « Art. 9. - Les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent mettre en oeuvre des applications automatisées d'informations constituées d'informations nominatives recueillies dans les comptes rendus d'enquête rédigés à partir des procédures judiciaires concernant tout crime, délit ou contravention de 5e classe sanctionnant un trouble à la sécurité ou à la tranquillité publiques, une atteinte aux personnes ou aux biens, ou un comportement en rapport avec une forme de délinquance organisée ou attentatoire à la dignité des personnes.
« Les traitements automatisés mentionnés à l'alinéa précédent peuvent contenir des informations sur les personnes, sans limitation d'âge, à l'encontre desquelles sont réunis, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant ou faisant présumer leur participation à la commission des faits, objet de l'enquête.
« Le traitement des informations nominatives est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent qui peut demander leur rectification ou leur effacement, ou que soient ajoutées certaines informations prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au dernier alinéa.
« Les données personnelles relatives aux personnes mises en cause faisant l'objet de ces traitements sont effacées en cas de relaxe ou d'acquittement.
« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du présent article. Il prévoit notamment la durée de conservation et les modalités de mise à jour ou d'effacement des données personnelles relatives aux personnes mises en cause en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite motivés par une insuffisance de charges ; il détermine, en tenant compte des exigences du secret de l'instruction et des nécessités de l'ordre public, les personnes qui ont accès à l'information ; il précise les conditions dans lesquelles les informations peuvent être communiquées dans le cadre de missions de police administrative ou de sécurité et celles dans lesquelles toute personne identifiée dans les fichiers en qualité de victime peut s'opposer à ce que des informations nominatives la concernant soient conservées dans le fichier, dès lors que l'auteur des faits a été définitivement condamné. »
La parole est à M. Robert Bret, sur l'article.

M. Robert Bret. L'article 9 concerne les traitements automatisés d'informations mis en oeuvre par la police et la gendarmerie.
Nous estimons, en l'espèce, qu'il est indispensable d'entourer ces bases de données de réelles garanties.
Or on peut légitimement douter de la volonté du Gouvernement dans ce domaine, lui qui n'a même pas souhaité saisir ni consulter la CNIL - la Commission nationale de l'informatique et des libertés - sur la mise en oeuvre de ces fichiers. Pour la première fois donc, cette commission s'est autosaisie.
C'est symptomatique d'un gouvernement, que dis-je, d'un ministère qui veut s'occuper de tout - on l'a vu avec la procédure pénale que vous avez voulu réformer en lieu et place de votre collègue de la place Vendôme, monsieur le ministre, et ce sans aucune consultation !
Alors qu'aujourd'hui on estime le nombre d'OPJ habilités à consulter le système de traitement des infractions constatées, ou STIC, à 40 000, demain, ce seront environ 400 000 personnes qui pourront solliciter cette base de données dans le cadre de « tâches administratives nombreuses et permanentes », selon la CNIL.
Parmi celles-ci, on retrouve l'instruction des demandes d'acquisition de la nationalité française, les demandes de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers ou encore l'attribution de certains postes dans l'administration, la police et la justice.
Cet article, mes chers collègues, tel qu'il est rédigé, foule ainsi aux pieds les libertés et la présomption d'innocence, puisque les suspects pourront être fichés.
Nous partageons les inquiétudes de la CNIL, qui craint que les fichiers de police ne deviennent une sorte de second casier judiciaire, beaucoup plus facilement accessible et beaucoup moins fiable. D'ailleurs, chaque année, la CNIL relève de nombreuses erreurs de saisie dans ces fichiers.
Il n'est pas rare, en effet, que des témoins entendus dans le cadre d'enquêtes soient inscrits au registre du STIC comme coupables de crimes ou de délits !
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous soyons très vigilants en la matière et que nous proposions une réécriture de l'article 9 afin de mieux encadrer la mise en oeuvre des fichiers de police.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Voilà un article extrêmement important.
Les services de la police et de la gendarmerie nationales mettent en oeuvre depuis de nombreuses années des traitements automatisés d'informations pour l'exercice de leurs missions de police judiciaire. Il s'agit des fichiers STIC, pour la police nationale, et JUDEX, pour la gendarmerie nationale.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'encadrement juridique actuel de ces fichiers n'est pas satisfaisant au regard des intérêts publics en jeu, qui paraissent considérables, qu'il s'agisse des impératifs de sécurité publique et de sûreté des personnes ou des garanties quant à l'exercice des libertés publiques et individuelles qui doivent leur être reconnues.
Le fichier JUDEX ne fait l'objet d'aucune autorisation. Quant au STIC, son existence légale ne repose que sur une mesure réglementaire, le décret du 5 juillet 2001 prise après avis de la CNIL.
Dans ces conditions, et sans intenter un procès d'intention, il est assez surprenant que le ministre de l'intérieur soumette à la représentation nationale un texte qui comporte plusieurs dispositions intéressant directement la CNIL sans prendre l'avis de cette dernière !
Rappelons que la CNIL est une autorité administrative indépendante, que « dans l'exercice de leurs attributions, les membre de la CNIL ne reçoivent d'instruction d'aucune autorité » - c'est l'article 13 de la loi du 6 janvier 1978 - et que « les ministres, autorités publiques, dirigeants d'entreprises, publiques ou privées, responsables de groupement divers (...) ne peuvent s'opposer à l'action de la commission pour quelque motif que ce soit et doivent au contraire prendre toutes mesure utiles afin de faciliter sa tâche ». C'était d'ailleurs le discours d'un éminent homme politique pendant une certaine campagne électorale !
Il nous paraît normal et sain, dans ces conditions, que, n'ayant pas été saisie, la CNIL ait décidé, malgré tout, de définir sa position et de la rendre publique.
Elle n'a fait qu'user de son rôle d'autorité indépendante dont la mission est non seulement de se tenir informée des effets de l'utilisation de l'informatique sur le droit à la protection de la vie privée, l'exercice des libertés et le fonctionnement des institutions démocratiques, mais aussi de proposer au Gouvernement toutes les mesures législatives ou réglementaires de nature à adapter la protection des libertés à l'évolution des procédés et des techniques.
Le ministre de l'intérieur a récemment déclaré mettre au défi quiconque de trouver dans son texte une seule mesure contraire aux valeurs républicaines. Incontestablement, il a parlé trop vite !
Il aurait dû prendre au préalable l'avis de la CNIL, ce qui lui aurait évité de proposer au Parlement des dispositions qui ont fait l'objet de nombreuses observations critiques de la part de la Commission et qui ont imposé une récriture du texte par la commission des lois.
Certes, l'article 9 du projet de loi donne une base légale aux fichiers de police judiciaire, mais il reste perfectible sur de nombreux points.
Tout d'abord, cet article doit viser non seulement la la loi de 1978 - ce que prévoient l'article 9 du présent texte et l'amendement de la commission qui font, l'un et l'autre, référence au décret d'application de la loi pris après avis de la CNIL - mais également veiller à ce que la loi de 1978 s'applique pour chaque traitement automatisé.
Ensuite, tout traitement, aux termes de l'article 20 de la loi de 1978, doit se voir assigner explicitement une ou des finalités, sauf à tomber dans les risques d'arbitraire que cette loi a précisément pour objet d'écarter. Or le projet de loi n'en assigne aucune aux « applications automatisées » de l'article 9, contrairement, par exemple, à l'article 15 s'agissant du fichier national automatisé des empreintes génétiques, ou FNAEG.
C'est la raison pour laquelle M. le rapporteur a dû proposer, dans son amendement n° 3 rectifié, de préciser, à la fin du paragraphe I : « afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ». Il fallait souligner cette lacune initiale « rattrapée » par la commission des lois.
A propos des personnes concernées par les fichiers, l'article 9 prévoit que les traitements mis en oeuvre ont vocation à contenir des informations sur les personnes « à l'encontre desquelles sont réunis, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant ou faisant présumer leur participation à la commission des faits, objet de l'enquête ».
La nouvelle rédaction de l'article 9 du projet de loi proposée par le rapporteur est légèrement différente : elle vise les personnes « à l'encontre desquelles il existe des indices ou des éléments graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission des infractions ».
Ces deux rédactions sont plus larges que celle retenue dans l'article 2 du décret relatif au STIC, qui ne comportait pas les termes « faisant présumer ou rendant vraisemblable ».
Lors de l'avis rendu le 19 décembre 2000 sur le STIC, la CNIL avait proposé une définition de la personne mise en cause qui s'inspire du code de procédure pénale.
Mme Nelly Olin. Faites respecter les temps de parole, monsieur le président !
M. Jacques Mahéas. C'est un article excessivement important.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mahéas, c'est le règlement.
M. Jacques Mahéas. C'est cette définition qui a été reprise à l'article 2 du décret relatif au STIC, mais étendue à l'article 9 du projet de loi.
Nous le disons avec force : nous sommes opposés à la mise en place de ce fichier de suspects telle que vous la proposez. C'est la raison pour laquelle nous proposons un amendement de suppression de l'article 9 du projet de loi. Si cet amendement n'est pas adopté, nous proposerons, à tout le moins, de revenir sur cette rédaction trop large.
Je reprendrai la parole à l'occasion des explications de vote, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, sur l'article.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut beaucoup plus que cinq minutes pour lire la contribution à la réflexion de la CNIL sur l'article 9. J'aurais souhaité qu'elle soit distribuée, voire annexée au rapport : c'eût été une bonne chose !
Je sais bien que quelques représentants de la CNIL, dont son président, ont été entendus par le rapporteur. Ils ont d'ailleurs eu beaucoup de mérite puisqu'ils ont été bloqués pendant quarante minutes dans l'un de nos ascenseurs : j'ignore s'il y a eu une entrave et si elle a été punie, mais il serait intéressant de le savoir...
Toujours est-il que ceux qui n'étaient pas présents - on ne peut pas être partout à la fois et les débats sur la décentralisation se déroulaient en séance publique au même moment - n'ont pas pu prendre connaissance de ces auditions puisque M. le rapporteur n'a pas cru devoir en faire dresser les procès-verbaux. Toutefois, nous lisons la presse, où l'information est certes plus résumée.
Le 26 octobre dernier, par exemple, on pouvait lire dans un grand quotidien du soir auquel certains se réfèrent que la CNIL jugeait regrettable que son avis n'ait pas été sollicité. Son président, M. Michel Gentot - excusez du peu - ajoutait : « Ce que nous demandons, en premier lieu, c'est la référence explicite à la loi sur l'informatique et les libertés de 1978, c'est-à-dire l'assurance que ce projet ne déroge pas aux grands principes de la loi de 1978 dont, notamment, le droit d'accès et de rectification des citoyens aux données les concernant. »
Il y a plus grave : « La CNIL se montre préoccupée "au plus haut point" par la banalisation de l'accès aux fichiers de sécurité. "Si la possiblité d'utiliser des fichiers de police judiciaire à des fins d'enquêtes administratives est maintenue, il convient d'être très attentif aux dangers que cela peut comporter". »
On lit plus loin : « La CNIL redoute que les fichiers de police ne deviennent une sorte de second casier judiciaire, plus facilement accessible. Plus accessible, mais moins fiable : chaque année, la CNIL relève de nombreuses erreurs de saisie dans ces fichiers. Il arrive ainsi que des témoins, entendus dans le cadre d'enquêtes, soient inscrits au registre du STIC comme coupables de crimes ou de délits. » Vous voyez où l'on va !
L'article poursuit : « La CNIL observe toutefois qu'une telle extension des conditions d'inscription à ce fichier, jusque-là limité aux personnes condamnées pour des infractions sexuelles, "modifie profondément sa nature" - c'est le FNAEG, je suppose - et implique de meilleures garanties visant à protéger les droits des citoyens. "Nous pensons que la décision d'y inscrire une personne ne doit pas relever de la seule décision d'un officier de police judiciaire, mais de l'autorisation d'un magistrat". »
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je m'étonne que le Sénat ait abordé à cette heure-ci la discussion de l'article 9, qui est très long et qui fait l'objet de très nombreux amendements.
M. Hilaire Flandre. Il faut dire cela au président !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suggère que nous suspendions nos travaux après les prises de parole sur l'article.
M. Robert Del Picchia. Oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Au terme des cinq minutes qui m'étaient imparties, je me suis exprimé sur la gravité de l'extension extraordinaire qui nous est proposée sans garantie par l'article 9. Ainsi, les policiers eux-mêmes pourront le plus souvent décider de ficher, quand ils voudront, toutes les personnes mises en cause, y compris les victimes, comme nous venons de le découvrir dans cet article.
C'est une disposition extrêmement dangereuse pour les libertés même si, nous l'avons dit, nous ne méconnaissons pas la nécessité de constituer des fichiers automatisés destinés à la recherche de ceux qui sont en défaut, mais seulement de ceux-ci.
Il ne saurait être question, nous aurons l'occasion d'en reparler, de savoir si quelqu'un peut recevoir la légion d'honneur alors qu'il lui a été dressé un procès-verbal pour une contravention de 5e classe, étant entendu d'ailleurs, on en a des exemples, que certains veillent, rue de Solférino, pour retirer les légions d'honneur qui auraient été données à tort.
M. le président. Mes chers collègues, je propose que nous examinions les trois premiers amendements sur cet article et que nous reportions l'examen de l'amendement de la commission et des nombreux sous-amendements qui y sont affectés à cet après-midi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, l'article 9 est long et important et il faut le voir dans son ensemble. Je vous demande donc de suspendre nos travaux et, si vous n'en êtes pas d'accord, de consulter le Sénat sur ce point.
Si le Sénat interrompt les débats pour les reprendre à l'issue des questions d'actualité au Gouvernement, il ne perdra pas de temps et cela lui permettra de travailler dans de meilleures conditions.
M. le président. Mon cher collègue, personnellement, à cette heure, j'irais volontiers déjeuner, mais je suis à la disposition du Sénat et je dois faire avancer les débats !
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de suspension ?
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je suis d'accord avec votre proposition, monsieur le président. La commission souhaite en effet que nous poursuivions encore le débat pendant quelques instants.
M. le président. Je consulte le Sénat sur la demande de suspension de séance formulée par M. Michel Dreyfus-Schmidt.

(Cette demande n'est pas adoptée.)
M. le président. J'appelle donc en discussion les trois premiers amendements à l'article 9.
Les deux premiers sont présentés par M. Dreyfus-Schmidt, Mmes M. André et Blandin, MM. Badinter, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparenté.
L'amendement n ° 170 est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 171, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit cet article :
« Le procureur de la République territorialement compétent peut mettre en oeuvre des applications automatisées constituées d'informations nominatives recueillies dans les comptes rendus d'enquête rédigés à partir des procédures judiciaires concernant tout crime, délit sanctionnant un trouble à la sécurité ou à la tranquillité publiques, une atteinte aux personnes ou aux biens, ou un comportement en rapport avec une forme de délinquance organisée ou attentatoire à la dignité des personnes, afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs.
« Il peut, à tout moment, procéder à la rectification ou à l'effacement de chacune de ces informations nominatives ou à l'ajout d'autres informations prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au dernier alinéa.
« Les traitements automatisés mentionnés au premier alinéa ne peuvent contenir des informations que sur les personnes, âgées de treize ans au moins, à l'encontre desquelles sont réunis, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant leur participation à la commission des faits, objet de l'enquête.
« Les données personnelles relatives aux personnes mises en cause faisant l'objet de ces traitements sont effacées en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement.
« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du présent article pour chacune des applications automatisées constituées d'informations nominatives. Il précise notamment la liste des contraventions susceptibles de donner lieu à enregistrement ; il prévoit la durée de conservation et les modalités de mise à jour ou d'effacement des données personnelles ; il détermine, en tenant compte des exigences du secret de l'instruction et des nécessités de l'ordre public, les personnes qui ont accès à l'information ; il précise les conditions dans lesquelles les informations peuvent être communiquées dans le cadre de missions de police de sécurité et celles dans lesquelles toute personne identifiée dans les fichiers y a accès et peut demander une ou des rectifications, ou s'opposer à ce que des informations nominatives la concernant soient conservées dans le fichier. »
L'amendement n° 140, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit cet article :
« Les services de police nationale et de gendarmerie peuvent mettre en oeuvre des traitements automatisés d'informations nominatives relatives aux personnes majeures mises en examen ou entendues en qualité de témoin assisté par le juge d'instruction à l'occasion d'enquêtes relatives à des faits de crimes contre les personnes.
« Le traitement des informations nominatives est opéré sous le contrôle du Procureur de la République territorialement compétent qui peut demander leur rectification ou leur effacement, ou que soient ajoutées certaines informations prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au dernier alinéa.
« Les données personnelles relatives aux personnes mises en cause faisant l'objet de ces traitements sont effacées en cas de décision de relaxe, d'acquittement ou de non-lieu devenue définitive.
« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du présent article. Il prévoit notamment la durée de conservation et les modalités de mise à jour et d'effacement des données personnelles relatives aux personnes mises en examen ayant bénéficié d'une décision de non-lieu, sans que cette durée ne puisse excéder la durée de prescription de l'action publique prévue à l'article 7 du code de procédure pénale. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre les amendements n°s 170 et 171.
M. Hilaire Flandre. Retirez-les, monsieur Dreyfus-Schmidt, cela nous fera gagner du temps !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'ai encore rien dit, ne me faites pas de reproche !
L'amendement n° 170 tend à supprimer l'article 9. Il est vrai que, si vous l'adoptez, mes chers collègues, le débat sur l'article 9 sera clos !
Cet article ouvre la possibilité aux services de la police et de la gendarmerie nationales de mettre en oeuvre des fichiers de traitement de données personnelles. Les personnes « sans limitation d'âge », précise le texte - je ne sais pas si cela concerne les bébés dont je parlais hier dans la discussion générale, en évoquant l'époque où le BCG était obligatoire... - peuvent être inscrites dès lors que sont réunis à leur encontre, lors de l'enquête, des indices ou des éléments faisant présumer leur participation à la commission des faits.
Cela exclut certes les bébés, qu'on ne peut soupçonner de quoi que ce soit. En revanche, je note que la formule retenue est : « des indices ou des éléments faisant présumer ». Il n'a pas été proposé ici de raisons plausibles, mais je vous rappelle que nous sommes à l'échelon de l'enquête préliminaire : au motif de vouloir accélérer les enquêtes judiciaires, cet article met en place un véritable fichier de suspects dont la nature est contraire au principe même du respect de la présomption d'innocence.
Avant d'être condamnée, toute personne est présumée innocente. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Déclaration des droits de l'homme.
Or, ainsi, toute personne pourra être fichée sur décision d'un policier, fût-il habilité par sa hiérarchie, laquelle, comme pour les officiers de police judiciaire adjoints ou les auxiliaires, pourra donner les mêmes pouvoirs à tout le monde et donc habiliter - après tout, pourquoi pas ? - tous les policiers.
Cela nous choque, et nous ne sommes pas les seuls, et pose véritablement question. Pour le moins faudrait-il prévoir, pour un tel fichier élargi, le contrôle d'un magistrat, et si possible d'un magistrat du siège. Emportés par l'habitude et l'élan, nous avons proposé un procureur de la République, qui est un magistrat et, en tant que tel, doit veiller au respect des libertés comme l'autorité judiciaire.
Mais un magistrat du siège serait évidemment préférable parce qu'il est indépendant de l'exécutif, alors que nous savons que ce Gouvernement estime - et il l'a déjà démontré - que les procureurs de la République lui doivent obéissance. Certes, je ne vois pas ici que le Gouvernement puisse donner quelque instruction regrettable comme d'aller rechercher, par exemple, quelqu'un dans l'Everest.
M. Jacques Mahéas. L'Himalaya !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'Himalaya, c'est vrai. Cela étant dit, nous vous demandons de supprimer l'article 9 parce qu'il comprend de très nombreux alinéas et développements qui concernent de multiples dispositions du projet de loi et qu'il n'y a pas d'autre solution que d'en reprendre sérieusement l'étude en faisant du droit comparé.
Dans cette maison, on ne connaît pas le droit comparé. Monsieur le rapporteur, je vous l'ai déjà dit, votre rapport est vide de ce point de vue. Ah si, vous citez l'Angleterre ! Mais vous ne citez ni le Canada ni la Suisse, qui ont beaucoup plus de scrupules. Or il serait tout de même intéressant de savoir ce qui se fait ailleurs, pourquoi et comment !
Il faut donc reprendre entièrement l'article 9, et c'est pourquoi nous vous en proposons la suppression pure et simple.
Nous devons savoir qui tient ces fichiers, qui les consulte, qui les contrôle. Encore une fois, cette disposition, dans cette rédaction, n'est pas admissible.
Je sais bien qu'il y a le Conseil constitutionnel. Oui, bien sûr, nous le saisirons ! Mais peut-être vaut-il mieux prendre les devants, c'est pourquoi nous demandons - je ne dis pas avec confiance - mais avec détermination au Sénat d'adopter l'amendement n° 170.
L'amendement n° 171 est tout à fait subsidiaire et de repli. Je le cite.
« Le procureur de la République territorialement compétent peut mettre en oeuvre » - c'est lui qui met en oeuvre, ce ne sont pas les policiers - « des applications automatisées constituées d'informations nominatives recueillies dans les comptes rendus d'enquête rédigés à partir des procédures judiciaires concernant tout crime, délit... ».
A cet endroit, monsieur le président, je souhaiterais rectifier cet amendement en supprimant les mentions suivantes : « sanctionnant un trouble à la sécurité ou à la tranquillité publiques, une atteinte aux personnes ou aux biens, ou un comportement en rapport avec une forme de délinquance organisée ou attentatoire à la dignité des personnes ».
En effet, dans le texte d'origine, cette phrase se rapportait aux contraventions de 5e classe, que nous supprimons purement et simplement. La rédaction retenue est donc : « concernant tout crime, délit ». Après tout, pourquoi faire le détail ? Pourquoi s'arrêter à certains délits, sans préciser lesquels ? Il serait préférable d'indiquer les articles du code pénal qui visent tel crime ou délit au lieu d'en parler de manière générale, ce que fait votre texte.
Je poursuis ma lecture : « ... afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. » En effet, nous ne sommes pas contre le principe du fichier automatisé, bien évidemment.
« Il - le procureur de la République - peut, à tout moment, procéder à la rectification ou à l'effacement de chacune de ces informations nominatives ou à l'ajout d'autres informations prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au dernier alinéa.
« Les traitements automatisés mentionnés au premier alinéa ne peuvent contenir des informations que sur les personnes, âgées de treize ans au moins,... »
Que ces dispositions s'appliquent aux mineurs, qui échappent normalement au droit commun et relèvent du juge des enfants, est gênant. Le moins que l'on puisse faire est de prévoir qu'ils doivent avoir treize ans au moins, mais c'est subsidiaire.
Je poursuis :
« ... à l'encontre desquelles sont réunis, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant leur participation à la commission des faits, objet de l'enquête. »
Il y a déjà eu une loi des suspects. Je m'étonne que le Gouvernement, auquel participe, notamment, M. Devedjian, soit prêt à faire une loi qui pourrait porter le même nom ! En tout cas, notre amendement « supprime » les suspects.
Je reprends ma lecture :
« Les données personnelles relatives aux personnes mises en cause faisant l'objet de ces traitements sont effacées en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. »
Dans ces cas, en effet, aucune raison ne justifie l'inscription au fichier. Contrairement à l'amendement qui nous sera proposé tout à l'heure, le nôtre n'admet aucune réserve.
« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés,... »
Je sais bien que notre collègue Alex Turk, qui représente le Sénat au sein de la CNIL, mais qui n'est pas la CNIL à lui tout seul, nous a dit qu'il n'y aurait plus d'avis conforme. Jusqu'à présent, il y en a toujours eu et, si une loi exige un avis conforme, il y aura un avis conforme même si ce n'est plus la règle générale. Nous précisons donc que l'avis doit être conforme.
Ledit décret « fixe les modalités d'application du présent article pour chacune des applications automatisées constituées d'informations nominatives. Il précise notamment la liste des contraventions... »
Ah, c'est une erreur ! Il faut lire « des infractions » et rectifer sur ce point aussi l'amendement.
Mme Nelly Olin. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis sensible à votre ironie, mais, que voulez-vous, nous avons dû travailler dans des conditions difficiles !
M. Hilaire Flandre. Nous aussi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez, il faut bien le dire, eu moins de mal que nous à préparer vos amendements parce que vous n'en avez pas présenté beaucoup !
M. Hilaire Flandre. On a moins modifié !
Mme Nelly Olin. Parce que le texte nous convient : nous n'avons pas les mêmes conceptions sur la sécurité et sur l'insécurité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quoi qu'il en soit, je poursuis : « ... la liste des infractions susceptibles de donner lieu à enregistrement ; il prévoit la durée de conservation et les modalités de mise à jour ou d'effacement des données personnelles ; il détermine, en tenant compte des exigences du secret de l'instruction et des nécessités de l'ordre public, les personnes qui ont accès à l'information ; il précise les conditions... »
M. Nicolas Sarkozy, ministre, M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cela fait plus de cinq minutes, monsieur le président !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... dans lesquelles les informations peuvent être communiquées dans le cadre de missions de police de sécurité et celles dans lesquelles toute personne identifiée dans les fichiers y a accès...
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce n'est pas sérieux !
M. Jacques Legendre. Ça suffit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et peut demander une ou des rectifications, ou s'opposer à ce que des informations nominatives la concernant soient conservées dans le fichier. »
M. le président. Votre temps de parole est épuisé, monsieur Dreyfus-Schmidt.
Mme Nelly Olin. Quand même !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, vous avez dit que vous étiez prêt à accepter des amendements venant de l'opposition ! Cet amendement est l'occasion de le démontrer. Nous apprécierions votre geste, il pourrait même faire la manchette des journaux,...
M. René Garrec, président de la commission. Ça suffit !
M. Robert Del Picchia. Terminé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et ce serait autre chose que d'accepter un amendement subsidiaire sur un point de détail...
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Monsieur le président !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... qui ne changera pas grand-chose.
Nous savons, monsieur le ministre, que vous êtes un grand travailleur. Personne ne vous consteste cette qualité.
Je vous remercie donc de prendre le temps de lire avec soin cet amendement n° 9, ce que vous pourriez faire tout à loisir si la séance était suspendue (Protestations sur les travées du RPR)...
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je suis obligé de vous interrompre !
Je suis donc saisi d'un amendement n° 171 rectifié bis, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, Mmes André et Blandin, MM. Badinter, Frimat, Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparenté, qui est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit cet article :
« Le procureur de la République territorialement compétent peut mettre en oeuvre des applications automatisées constituées d'informations nominatives recueillies dans les comptes rendus d'enquête rédigés à partir des procédures judiciaires concernant tout crime, délit afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs.
« Il peut, à tout moment, procéder à la rectification ou à l'effacement de chacune de ces informations nominatives ou à l'ajout d'autres informations prévues par le décret en Conseil d'Etat mentionné au dernier alinéa.
« Les traitements automatisés mentionnés au premier alinéa ne peuvent contenir des informations que sur les personnes, âgées de treize ans au moins, à l'encontre desquelles sont réunis, lors de l'enquête préliminaire, de l'enquête de flagrance ou sur commission rogatoire, des indices ou des éléments graves et concordants attestant leur participation à la commission des faits, objet de l'enquête.
« Les données personnelles relatives aux personnes mises en cause faisant l'objet de ces traitements sont effacées en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement.
« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application du présent article pour chacune des applications automatisées constituées d'informations nominatives. Il précise notamment la liste des infractions susceptibles de donner lieu à enregistrement ; il prévoit la durée de conservation et les modalités de mise à jour ou d'effacement des données personnelles ; il détermine, en tenant compte des exigences du secret de l'instruction et des nécessités de l'ordre public, les personnes qui ont accès à l'information ; il précise les conditions dans lesquelles les informations peuvent être communiquées dans le cadre de missions de police de sécurité et celles dans lesquelles toute personne identifiée dans les fichiers y a accès et peut demander une ou des rectifications, ou s'opposer à ce que des informations nominatives la concernant soient conservées dans le fichier. »
La parole est à M. Robert Bret, pour défendre l'amendement n° 140.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vous proposons une nouvelle rédaction de l'article 9, article important qui concerne les libertés de nos concitoyens et appelle plusieurs remarques.
Je l'ai dit, nous ne pouvons que regretter que la Commission nationale pour l'informatique et les libertés n'ait pas été consultée avant la rédaction de cet article.
C'est pourquoi notre amendement vise à restreindre le champ d'application des fichiers informatiques contenant des données personnelles.
Il est prévu que ces fichiers contiennent des informations nominatives recueillies dans les comptes rendus d'enquête rédigés à partir des procédures concernant tout crime, délit ou contravention de 5e classe.
Je ne suis pas certain que les personnes passibles d'une amende à la suite d'une contravention de 5e classe aient vraiment leur place dans un fichier informatique, la gravité de l'infraction ne justifiant pas un tel traitement informatique.
Nous supprimons cette possibilité dans notre amendement, car nous nous opposons à l'extension quasi illimitée du nombre d'infractions pouvant figurer dans ces fichiers, d'autant que les conditions d'entrée et de sortie ne sont pas strictement prévues par la loi.
Je tenais en effet à préciser que la notion de compte rendu d'enquête n'existe pas dans le code pénal, ce qui revient à dire que les informations recueillies peuvent émaner d'à peu près n'importe quel document administratif en relation avec l'enquête, ce qui n'apporte pas de garanties suffisantes sur la source de ces informations, vous en conviendrez.
Il est donc préférable de s'en tenir au cadre strict de la mise en examen pour élaborer une base de données dans ces fichiers informatiques.
Par ailleurs, il est prévu que ces fichiers pourront contenir des informations sur les personnes sans qu'aucune limitation d'âge soit fixée. Vous semblez oublier, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, qu'il existe un âge minimum pour la responsabilité pénale, ce qui est étonnant car vous l'avez modifié bien récemment. Vous ne souhaitez tout de même pas supprimer toute limite d'âge ! Nos enfants doivent être protégés, pas inscrits dans des fichiers de police. Cela aussi, vous avez bien du mal à l'admettre.
Enfin, les conditions de sortie de ces fichiers ne sont pas satisfaisantes. L'effacement des données relatives à des personnes mises en cause n'est prévu que dans les seuls cas de relaxe ou d'acquittement.
On ne peut renvoyer à un décret en Conseil d'Etat qui sera pris ultérieurement l'inscription dans la loi de l'effacement des données personnelles relatives à des personnes bénéficiant d'une décision de non-lieu devenue définitive prononcée par le juge d'instruction.
On ne sait pas en effet exactement quand ce décret sera publié.
Faut-il rappeler que, selon l'article 177 du code de procédure pénale, une décision de non-lieu est prise en cas d'insuffisance de charges, si l'auteur de l'infraction reste inconnu ou si le juge estime que les faits ne constitue pas une infraction ?
En application de ces dispositions, les personnes qui ont bénéficié d'une telle décision - et qui, faut-il le rappeler aussi, demeurent innoncentes, puisque tant qu'une personne n'a pas été déclarée coupable, elle est innocente, principe mis à mal avec les dispositions relatives à ces fichiers - continueraient pourtant d'être fichées durant un temps indéterminé.
C'est tout simplement inacceptable. La loi doit absolument prévoir expressément l'effacement des données personnelles en cas de décision de non-lieu devenue définitive.
Pour toute ces raisons, nous vous demandons de voter en faveur de notre amendement.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)