SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002


M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jack Ralite, pour explication de vote.
M. Jack Ralite. Mon collègue Ivan Renar a précisé, au terme de son intervention, que nous allions voter ce projet de loi. Je le confirme, mais je voudrais formuler quelques remarques.
En effet, tout le monde aura noté qu'il a fallu beaucoup de temps pour aboutir au texte qui nous est soumis aujourd'hui. S'il en a été ainsi, c'est parce que les acteurs étaient multiples, mais c'est aussi parce qu'il s'agit du livre, de l'écrit, de la langue, de la création littéraire. C'est même le fond du sujet !
Le projet de loi que nous allons voter met donc en rapport l'écrit, la langue et la diversité de la société. Or le lien entre la société et l'écrit est assuré par l'édition, qui doit être pluraliste. A cet égard, comme l'a déjà souligné Ivan Renar, nous sommes actuellement confrontés à ce que j'appellerai un séisme culturel, économique, financier et social, dû aux conséquences de l'affaire Vivendi.
J'interviens souvent sur ce sujet, je le reconnais, mais je continuerai de le faire, car on ne peut pas tenir les propos si chaleureux que nous avons tous tenus sur l'édition, le livre et la langue tout en refusant, dans le même temps, que cette question soit abordée au Sénat ou à l'Assemblée nationale.
L'Edition sans éditeurs , d'André Schiffrin, petit livre que nombre d'entre vous connaissent, mes chers collègues, raconte ce qui est arrivé, aux Etats-Unis, à un éditeur de taille moyenne mais très riche d'imagination, à savoir Pantheon, après son absorption par un groupe international, Bertelsmann. Dans un premier temps, ce groupe acheteur a publié une déclaration enthousiaste, faisant l'éloge de la société achetée, promettant de maintenir ses glorieuses traditions et assurant qu'aucun changement majeur n'interviendrait et que, dans la mesure du possible, il ne serait procédé à aucun licenciement. Dans la suite du livre, cet éditeur américain décrit ce qu'il a vécu en réalité, et je me dis alors, en lisant l'histoire de cet homme qui n'est pourtant pas de mon bord, que nous pensons la même chose ! Il n'est pas inintéressant de le souligner...
Nous sommes nous aussi confrontés à de telles situations. Ainsi, M. Fourtou, après avoir, pendant des années, voté, sans exprimer de nuances ni soulevé d'objections, les décisions de M. Messier a décidé récemment, afin de trouver l'argent dont il a besoin pour rétablir l'équilibre financier de Vivendi Universal, de vendre le secteur « édition » du groupe. Une telle attitude mérite réflexion, à mon avis, et exige la prise de décisions qui ne peuvent relever du seul secteur privé. Ce dernier a d'ailleurs déjà été évoqué au cours de nos débats, notamment quand il s'est agi de favoriser les petits libraires face aux grands groupes comme la FNAC ! Ce n'est pas désolant, nous avons des responsabilités publiques à assumer !
Je me référerai, à cet instant, à M. le ministre de la culture et de la communication, non pas pour le contrarier, mais pour montrer qu'il est sensible à ces questions ; je sais sa crainte devant la présence de « dépeceurs » ou de « désosseurs » d'entreprises.
Que va-t-il se passer ? Plusieurs solutions existent actuellement s'agissant de la reprise des activités de Vivendi Universal dans l'édition.
En premier lieu, une proposition émane de trois fonds d'investissement. On sait très bien que ce serait alors la porte ouverte à la recherche de plus-values et à la revente ultérieure « par appartements ». On sait ce que l'on quitte, on ne sait pas où l'on va !
En deuxième lieu, Hachette est sur les rangs. J'ai noté, à cet égard, que Le Figaro , Libération , Le Point et Le Monde se sont fait largement l'écho de cette option. C'est d'ailleurs le droit des auteurs des articles auxquels je fais ici allusion, mais j'ai tout de même relevé des inexactitudes.
Ainsi, M. Durand, par ailleurs remarquable éditeur, affirme que, finalement, le groupe Hachette contrôlera à hauteur de 25 % ou de 26 % le secteur de l'édition. C'est faux ! Le pourcentage sera au moins de 40 %, et on ne nous précise pas qu'Hachette assurera 80 % de la distribution ! Cela est si vrai que tous les libraires ont reçu une lettre d'Hachette sur le thème : « on est beaux, on est gentils, soyez contents » ! Mais ces libraires ont une expérience de la diffusion par Hachette ; un risque existe.
En troisième lieu, un article d'un monsieur que je ne connais pas mais que je vais rencontrer, Pierre Cohen-Tanugi, a paru dans Le Monde . Il évoque l'avenir du livre et propose : « faisons un rêve ». Puisque l'Etat intervient dans certaines ventes aux enchères au nom de l'intérêt général, ne pourrait-on invoquer un droit de préemption dans cette affaire ? Je ne relirai pas son argumentation, car ce serait trop long, mais il ajoute qu'il ne s'agirait pas du tout, pour l'Etat, de créer un domaine public particulier, mais d'assumer ses responsabilités. En matière d'achat des livres scolaires, l'argent provient bien, pour une grande part, des collectivités publiques ! De même, presque toutes les villes de France achètent des dictionnaires pour les remettre aux enfants en guise de prix.
Certes, je sais qu'il est difficile de trancher. Des débats se tiennent au sein des syndicats, chez les éditeurs, dans la presse, mais il serait judicieux, à mon sens, que M. le ministre de la culture organise une table ronde au ministère sur l'état actuel de l'édition française.
Mme Danièle Pourtaud. Très bien !
M. Jack Ralite. Un tel échange de vues, mené dans l'esprit qui anime notre débat d'aujourd'hui, permettrait de faire un pas en avant. Nombre d'inquiétudes seraient alors légitimement apaisées ! Un débat « à la messier » serait le bienvenu : non pas « à la Messier J6M.com », mais « à la messier » selon la définition du Robert , pour lequel le messier est le « gardien des moissons, des récoltes », c'est-à-dire, en l'occurrence, du pluralisme de l'édition française. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour explication de vote.
Mme Françoise Férat. Le groupe de l'Union centriste se félicite des améliorations au texte que la discussion a pu apporter.
Sur le fond, le présent projet de loi permet de mettre fin à de longues années de débat où partisans du droit d'auteur et défenseurs de la gratuité du prêt se combattaient par le biais de pétitions ou de prises de parole.
Aujourd'hui, le dispositif a atteint un certain équilibre : d'une part, les auteurs perdent leur droit exclusif en contrepartie d'une rémunération ; d'autre part, le choix du prêt payé, préféré au prêt payant, garantit le respect de l'égal accès de tous à la culture. De plus, l'instauration du droit de prêt permet de régler la situation sociale des auteurs, ce dont on ne peut que se réjouir.
Pour ces raisons, le groupe de l'Union centriste votera le texte ainsi amendé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Je souhaite indiquer brièvement que ce texte, après un examen relativement rapide par la commission et une présentation non moins rapide par M. le ministre, sera une bonne loi. Mon groupe le votera donc avec satisfaction.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer le fringant cavalier qu'est Jack Ralite ! (Sourires.)
Tout au long de cette discussion, nous avions pourtant évité, monsieur le rapporteur, les « cavaliers », quels que soient leur origine et leurs inspirateurs. Mais voilà que, au détour d'une explication de vote, M. Ralite, poursuivant sa croisade sur son fringant destrier, nanti de son armure, a de nouveau évoqué un sujet de préoccupation qui lui tient à coeur et dont il nous avait déjà fait part à diverses reprises, oralement, au sein de la commission, mais aussi par écrit. En effet, j'ai reçu plusieurs lettres de sa part voilà quelque temps, un certain nombre de ses collègues ici présents se joignant dans une seconde phase à sa démarche, puis il a écrit au Premier ministre, en ayant la gentillesse de me faire tenir cette correspondance.
Il a repris un dossier qui nous mobilise tous. Les problèmes qu'il évoque doivent bien sûr retenir votre attention, monsieur le ministre, et celle du Gouvernement. Ces problèmes mobilisent et rassemblent tous les parlementaires qui sont conscients du risque que la culture française peut courir à travers ses différentes expressions.
Ce dossier comporte deux aspects. D'une part, il y a l'aspect national, culturel, au sens le plus noble du terme. Il ne concerne pas uniquement la France. En effet chaque pays peut se trouver dans cette situation et subir la loi de groupes financiers. D'autre part, il y a l'aspect misérablement réglementaire. Lorsque M. Jack Ralite nous écrit pour demander la réunion dans des formes particulières de telle commission, voire de telle assemblée, nous devons lui répondre que, sur le plan juridique, c'est impossible si nous souhaitons respecter les textes en vigueur.
Il a suggéré de réunir une table ronde. Mon cher collègue, j'espère que vous m'en donnerez acte, j'avais déjà émis modestement ce souhait au sein de notre commission. Je parle sous le contrôle des nombreux membres de la commission des affaires culturelles qui sont présents dans cet hémicycle, et je les en remercie.
Monsieur le ministre, vous avez le choix des armes. Au niveau de votre ministère, sous des formes diverses, un tel débat peut être envisagé, sous réserve, bien sûr, qu'il soit bien ciblé et que l'on ne fasse le procès ni d'un homme, ni d'une équipe, ni d'un système. Disant cela, je ne les défends pas. Ce qui nous importe, c'est le maintien de notre production, notamment littéraire, et la sauvegarde des auteurs, des producteurs, de tous ceux qui concourent au développement de la culture, à laquelle nous sommes attachés, et tout particulièrement de la culture française.
Donc, je donne acte au fringant cavalier de son habileté et de sa fougue. (Sourires.)
Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir pris le risque - et tout à l'heure des revendications en paternité ont été exprimées par certains ou par certaines - de nous présenter ce texte en le conservant tel qu'il avait été déposé par le gouvernement précédent, qui en reste signataire. Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, ce texte assure une continuité, même si nous déplorons le délai qui s'est écoulé entre l'élaboration de ce texte et son examen par la représentation nationale.
Vous aurez eu le mérite d'avoir présenté ce texte au Parlement, tout d'abord au Sénat, et nous y sommes sensibles. Nous nous sommes efforcés de l'améliorer et de le modifier, en parfaite coopération avec vous-même et vos collaborateurs.
Je remercie tout particulièrement M. le rapporteur. Il a consacré beaucoup de temps à ce texte, a procédé aux auditions nécessaires et a approfondi tous les aspects de la question. Nous avons beaucoup apprécié son engagement dans ce domaine. D'ailleurs, il était soutenu par la logistique de notre commission et par nos administrateurs, qui nous ont beaucoup aidés pour mettre en forme ce texte et les amendements y afférent.
La commission ira, bien sûr, dans le sens indiqué par M. le rapporteur au fur et à mesure des amendements présentés.
Par ailleurs, aucun membre du groupe du RPR ne s'est exprimé. Aussi, au nom de mes collègues de ce groupe - je ne sais d'ailleurs plus ce qu'il faut dire s'agissant de la dénomination du groupe (Sourires) - je précise que, bien entendu, nous voterons ce texte avec enthousiasme.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de faire part de mon émotion à l'ensemble du Sénat. C'est la première fois qu'il m'était donné de défendre un texte devant le Parlement. J'ai mis beaucoup de soin à préparer cette épreuve, que j'appréhendais. J'en sors rasséréné.
J'ai beaucoup apprécié le travail de la commission dans son ensemble. J'en remercie notamment son président et son rapporteur. J'ai également été très sensible à la qualité des amendements, même s'il m'est arrivé d'émettre un avis défavorable à l'encontre de certains d'entre eux. En tout cas, l'addition de ces amendements témoigne de la qualité du travail législatif qui est fait au sein de cette grande assemblée.
J'ai le sentiment que nous sommes tous attachés à mener à bien la première étape de ce texte. Comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un texte de continuité. En effet, ceux qui m'ont précédé, notamment Mme Catherine Tasca, y ont pris une part importante.
Ce texte a permis une très large convergence de points de vue. Il permettra, je puis vous l'assurer, de développer dans notre pays la lecture publique et la librairie, tout en assurant aux auteurs la reconnaissance de leurs droits légitimes, que l'on ne pouvait méconnaître plus longtemps. Je vous en remercie.
Je souhaite réagir à l'idée lancée par M. Jack Ralite d'engager un débat sur l'avenir de l'édition en France.
Il s'agit d'une question très délicate. En effet, il est aujourd'hui évident, bien que je ne sois pas dans le secret des affaires, que la branche « édition » de Vivendi Universal, qui porte la dénomination très française de Vivendi Universal Publishing (Sourires) sera vendue. Cela est nécessaire pour tenter de rétablir les équilibres financiers de Vivendi Universal.
Certes, il n'appartient pas au Gouvernement de dicter aux responsables de ce groupe le choix de ceux à qui ils céderont Vivendi Universal Publishing. Cependant, il lui appartient d'affirmer auprès des responsables dudit groupe notre préoccupation en ce qui concerne certains objectifs et le respect d'un certain nombre d'intérêts. En effet, ce groupe possède plusieurs grandes maisons d'édition qui font partie du coeur même du dispositif éditorial français. Je pense notamment à Larousse, dont on célèbre cette année le 150e anniversaire. Il va de soi que le sort de cette maison d'édition ne peut nous laisser indifférents.
Nous avons indiqué aux responsables de Vivendi Universal à quel point nous étions attachés à ce que ces maisons d'édition restent dans le giron du patrimoine industriel, éditorial et culturel français, car elles représentent une part importante de notre mémoire et de notre partrimoine éditorial. Nous leur avons également dit que nous souhaitions que la France conserve, sur la scène internationale, une capacité stratégique en matière d'édition. Il ne s'agit pas non plus de faire preuve d'étroitesse d'esprit, de rester entre Français, entre nous, et de se priver de toute capacité d'intervention ou d'action sur la scène internationale.
Dans l'histoire culturelle de l'Europe, notre pays a été un grand pays d'édition. Il doit le rester. Il nous appartient bien sûr de faire valoir ces objectifs généraux en des termes compatibles avec la responsabilité financière et industrielle de ceux qui ont désormais la responsabilité de diriger Vivendi Universal.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)
Ce débat était empreint d'une grande sérénité, grâce à vous, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, et à vous tous, mes chers collègues.

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