SEANCE DU 21 FEVRIER 2002


M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Cointat, Mme Brisepierre, MM. Del Picchia, Guerry et Duvernois, est ainsi libellé :
« Après l'article 12, insérer un article additionnel rédigé comme suit :
« L'article 310 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, lorsqu'un seul des conjoints à la nationalité française, il peut toujours demander l'application de la loi française. »
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat. Les dispositions de l'article 310 du code civil relatives au règlement des conflits de loi française et étrangère en matière de divorce et de séparation de corps ne paraissent pas suffisamment protectrices des droits et intérêts des conjoints français, surtout lorsqu'ils sont établis hors de France.
Certains pays peuvent ignorer le divorce ou encadrer la procédure par des conditions de délais plus sévères. L'application de la loi étrangère à certains conjoints français peut se révéler discriminatoire, spécialement en matière de défense des intérêts patrimoniaux lors de la liquidation du régime matrimonial ou en matière d'autorité parentale.
La doctrine et la jurisprudence ont tenté de remédier à ces lacunes par différents moyens qui traduisent une volonté, plus ou moins dissimulée, de conférer à la loi française une compétence généralisée et a priori . Les juridictions françaises ont, par exemple, recours assez largement aux notions d'ordre public, ou même de fraudes - cas d'un époux étranger domicilié en France qui se rend à l'étranger pour obtenir un jugement de répudiation ou un jugement plus favorable qu'en France, notamment en ce qui concerne la garde des enfants - pour maintenir l'application de la loi française.
D'autres Etats démocratiques, tels que la Suisse, conscients de ces difficultés pour leurs ressortissants vivant à l'étranger, ont d'ailleurs adopté des régimes plus protecteurs.
Cet amendement permet de résoudre une partie des difficultés évoquées en autorisant le conjoint français ayant épousé un étranger à opter pour l'application de la loi française. La loi française ne serait donc applicable que si l'époux français entre dans les cas visés aux alinéas précédents de l'article 310 et, à défaut, s'il le demande expressément.
Je voudrais attirer à ce propos l'attention de Mme la ministre sur un point : il ne faut pas confondre la question de la compétence des tribunaux français et étrangers avec la question de la loi applicable. Compétences de juridiction et lois applicables sont des choses de nature différente, et il est bien clair que cet amendement n'a pas pour objet de modifier l'ordre des choses.
Si l'évolution actuelle, au sein de l'Union européenne, vas dans le sens d'une simplification des dispositions applicables en la matière, la loi du pays partenaire étant désormais reconnue, n'oublions pas que l'Union européenne ne couvre pas l'ensemble du monde : rien n'empêche donc de prévoir par le biais de conventions appropriées des dispositions pouvant limiter l'application de cette modification du code civil, qui, pour beaucoup de Français établis hors de France, est extrêmement importante.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement soulève le problème très complexe des conflits de lois en matière de divorce.
En application de l'article 310 du code civil, la loi française est applicable devant les tribunaux français si les deux époux sont français ou si les deux époux résident en France, quelle que soit leur nationalité.
Les tribunaux français seraient compétents pour prononcer le divorce d'un époux français marié à un étranger et résidant à l'étranger en application de l'article 14 du code civil. Ils n'appliqueraient cependant la loi française qu'en l'absence d'une autre loi se déclarant compétente.
Le présent amendement permettrait à un époux français marié à un étranger et résidant à l'étranger de demander l'application de la loi française devant les tribunaux français.
Il serait curieux de permettre de choisir la loi applicable à son divorce devant une juridiction donnée. Les époux peuvent avoir le choix entre plusieurs juridictions, mais pas le choix de la loi applicable devant telle ou telle juridiction.
Ce choix, réservé à un seul conjoint, pourrait conduire à des difficultés importantes avec les autres pays. Cette disposition reviendrait à dire que les tribunaux français appliquent la loi dans tous les cas, à l'exception du cas éventuel de deux étrangers dont l'un résiderait en France et l'autre pas.
Certains pays, notamment la Grande-Bretagne, ont cependant cette conception.
Dans ce cas, mieux vaudrait l'indiquer clairement, sans ouvrir d'option sur le droit applicable, mais, en tout état de cause, une telle conception irait totalement à l'encontre du mouvement actuel, qui tend à lier la loi applicable au domicile des époux, conformément à la convention de La Haye de 1996 sur la compétence et la reconnaissance des décisions judiciaires.
La commission a donc émis un avis défavorable à l'encontre de cet amendement, mais elle pourrait s'en remettre à la sagesse du Sénat si Mme le garde des sceaux émettait un avis favorable. Elle estime cependant que cet amendement soulève trop de problèmes pour que l'on puisse l'adopter et elle souhaite que ses auteurs, qui ont néanmoins mis l'accent sur une vraie question, acceptent de le retirer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. L'argumentaire de M. le rapporteur est excellent, et nous sommes parfaitement d'accord l'un et l'autre.
Chacun s'accorde à recconnaître que le critère de la résidence commune permet de dégager une solution équilibrée pour les couples binationaux. En outre, les choses sont en train d'évoluer assez vite, notamment depuis la conférence de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Dans les couples binationaux, chacun peut légitimement prétendre se voir appliquer sa loi nationale. La réforme proposée engendrerait des difficultés quant à la reconnaissance et à l'exécution d'une décision rendue sur le critère de la nationalité dans l'Etat qui était auparavant celui de la résidence commune.
On ne peut donc en effet être favorable à cet amendement. Des difficultés demeurent, je vous l'accorde, monsieur Cointat, mais nous n'avons pas encore trouvé la bonne solution. Nous devons continuer à travailler, notamment sur la base des conventions européennes.
Vous soulevez une bonne question, mais vous y apportez une réponse techniquement imparfaite et, comme la commission, je souhaite le retrait de l'amendement n° 1.
M. le président. Monsieur Cointat, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Christian Cointat. La protection des droits et intérêts des Français établis hors de France n'en est pas moins un réel problème.
M. le président. Tout le monde le reconnaît, monsieur Cointat.
M. Christian Cointat. Cependant, je ne peux bien entendu résister à l'amicale pression de M. le rapporteur et de Mme la ministre. Je retire donc mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Cointat, Mme Brisepierre, MM. Del Picchia, Duvernois et Guerry, est ainsi libellé :
« Après l'article 12, insérer un article additionnel rédigé comme suit :
« L'article 310 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la loi étrangère compétente réserve l'initiative du divorce ou de la séparation de corps au conjoint de sexe masculin ou d'une manière générale comporte des dispositions portant atteinte à l'égalité des droits entre les époux et dans leurs relations avec leurs enfants lors de la dissolution du mariage. »
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat. J'ai retiré l'amendement n° 1, car, en fait, j'espère être entendu sur l'amendement n° 2 rectifié, qui est beaucoup plus sensible.
Cet amendement s'inscrit dans la ligne des débats que nous avons eus récemment, et notamment hier soir, sur la protection des droits de la femme. Nous sommes très préoccupés par un revirement de jurisprudence récent de la Cour de cassation, qui, désormais - sous certains critères, il faut le reconnaître -, accepte la répudiation, ce revirement étant source de sérieuses difficultés pour les Français établis hors de France comme pour certains de nos compatriotes résidant en France mais mariés à un ressortissant d'un pays acceptant la répudiation.
L'amendement n° 2 rectifié prévoit en définitive que la loi française s'applique lorsque la loi étrangère compétente réserve l'initiative du divorce ou de la séparation de corps au seul époux de sexe masculin ou, d'une manière générale, comporte des dispositions portant atteinte à l'égalité des hommes et des femmes, notamment en matière de pensions, allocations, indemnités, capitaux et prestations ou de garde des enfants.
Il s'agit, en définitive, de donner toute son importance au principe d'égalité entre l'homme et la femme inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dont le législateur doit assurer le respect et qui a été consacré par plusieurs conventions internationales. Au terme du troisième alinéa de ce préambule, « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
J'en profite pour faire remarquer à M. Dreyfus-Schmidt que nous savons, nous aussi, défendre les droits des femmes.
L'article 16 de la convention des Nations unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes prévoit d'ailleurs que « les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, assurent sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution ».
Cette convention a été ratifiée par la France. Il convient de lui donner son plein effet dans la mesure où elle n'est pas, sur ce point, d'application directe par les tribunaux en raison des termes employés. « Les Etats parties prennent toute mesure », cela suppose une intervention du législateur.
Cet amendement a précisément pour objet de mettre en oeuvre cette disposition. En effet, et je conclurai par là, il est essentiel d'assurer une meilleure protection des femmes dans le cadre du divorce.
L'amendement n° 1 allait déjà dans ce sens, mais l'amendement n° 2 rectifié, qui est plus pointu, mérite de votre part une réaction favorable et j'espère pouvoir compter sur l'appui du Gouvernement.
En effet, la charte des droits fondamentaux européens - on a évoqué tout à l'heure ces questions européennes - le rappelle également, l'égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, ce qui nous impose d'assurer la protection des femmes dans ces situations difficiles et douloureuses. J'espère donc que, cette fois, je serai entendu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement après qu'il eut été modifié. Dans sa première rédaction, il n'était pas aussi parfait qu'il ne l'est actuellement.
L'amendement n° 2 rectifié permettra au juge français d'exclure l'application de la loi étrangère si cette dernière autorise la répudiation ou comporte des dispositions portant atteinte à l'égalité des hommes et des femmes.
Cet amendement ne fait que retranscrire la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, jurisprudence qu'il ne faut pas examiner à la lumière de l'arrêt du 3 juillet 2001, qui avait reconnu la validité d'une répudiation mais prononcée en Algérie et impliquant deux Algériens. Il s'agissait donc d'une affaire de droit étranger et non d'une affaire mettant en cause un ressortissant français.
Mais la jurisprudence de la Cour de cassation a, jusqu'à maintenant, été tout à fait conforme à cette proposition d'amendement.
Nous émettons donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Il serait indiqué de se référer néanmoins plus au principe général de l'égalité entre les époux tel qu'il figure à l'article 5 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que « les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ».
Je ne reprends pas tout l'argumentaire parce que, à la marge, nous sommes d'accord. J'émets un avis favorable, car, c'est vrai, on apporte cette fois une bonne réponse à une vraie question.
Il faudra donc encore améliorer techniquement le texte dans la suite des travaux parlementaires, même si la rédaction proposée dans l'amendement rectifié me paraît plus satisfaisante.
En tout état de cause, l'avis du gouvernement est favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne me rappelle pas avoir mis M. Cointat en cause en lui reprochant de ne pas défendre les droits des femmes. Lorsqu'il dit « nous »...
M. Christian Cointat. C'est un « nous » collectif !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quoi qu'il en soit, les électrices jugeront bientôt ! Mais, en l'occurrence, je constate que vous défendez les droits des femmes établies hors de France et, bien entendu, nous sommes d'accord pour vous suivre.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
M. le président. Je constate que cet amendement est adopté à l'unanimité.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 12.

Article 13