SEANCE DU 13 FEVRIER 2002


ACCORD AVEC L'ITALIE RELATIF
AUX TUNNELS DU MONT-BLANC
ET DU FRÉJUS

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 181, 2001-2002) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif au contrôle de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. [Rapport (n° 206, 2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a discuté, le 23 octobre 2001, le projet de loi relatif à la sécurité des infrastructures. Je me suis engagé devant vous, vous vous en souvenez, à faire promulguer ce texte très rapidement. Cela a été fait le 3 janvier 2002. Cette loi modifie, entre autres, l'article 118-4 du code de la route, en autorisant l'extension juridique de la compétence territoriale des agents et officiers de police judiciaire, et l'application des procédures de consignation et d'amendes forfaitaires hors du territoire national.
Pour que cette mesure prenne son effet, la loi impose qu'une convention internationale soit conclue entre les deux Etats concernés. Tel est l'objet du texte que je vous propose de ratifier aujourd'hui. Il porte sur la première convention de ce type, qui a naturellement été signée, pour commencer, avec l'Italie, compte tenu de l'enjeu particulier du contrôle de la circulation dans les tunnels franco-italiens.
Cet accord a été conclu sous forme d'un échange de lettres, signées par les ministres des affaires étrangères français et italien, les 4 et 6 octobre dernier, annexées au présent projet de loi.
Il a pour objet d'autoriser les agents des forces de l'ordre de chaque Etat à intercepter et à verbaliser, à la sortie des tunnels transfrontaliers du Mont-Blanc et du Fréjus située sur le territoire de l'autre Etat, les contrevenants ayant commis des infractions aux règles de la circulation dans la partie du tunnel située sur leur propre territoire.
En l'absence d'un tel texte, la verbalisation des infractions dans ces ouvrages transfrontaliers repose sur des dispositifs de contrôle automatiques et sur des contrôles exercés sur la moitié du linéaire de chaque sens de circulation de l'ouvrage.
Le dispositif global proposé permet donc de réprimer les comportements dangereux en tout point de l'ouvrage, avec toutes les facilités de contrôle et de verbalisation nécessaires. Il assure la cohérence de la chaîne de contrôles et de sanctions de la circulation des tunnels.
Pour bien comprendre la grande utilité de ce texte aujourd'hui, permettez-moi de la resituer dans le contexte des conditions de transport dans les Alpes.
A la suite du dramatique accident survenu le 24 mars 1999 dans le tunnel du Mont-Blanc et des autres accidents graves qui se sont produits en Autriche et dans le tunnel du Gothard en Suisse, les gouvernements français et italien ont pris l'engagement d'assurer la circulation dans leurs ouvrages transfrontaliers dans des conditions de très haute sécurité.
Atteindre ces objectifs est d'autant plus important que la construction européenne accroît les flux d'échanges nord-sud et transalpins de transports de marchandises. La nouvelle politique globale des transports que le Gouvernement a définie pour l'ensemble du territoire, notamment en ce qui concerne les Alpes et les Pyrénées, en tient compte.
Pour les liaisons transalpines, je ne reviens pas sur les décisions majeures que constituent l'expérimentation d'une autoroute ferroviaire en 2002, puis sa confortation d'ici à 2006, et la future grande liaison Lyon-Turin, qui sera ouverte au fret avant 2012. Pour donner un ordre d'idées, c'est l'équivalent d'un million de camions qui utiliseront le rail et ne passeront plus par la route.
Votre Haute Assemblée examinera, dans les jours prochains, la ratification de l'accord de Turin portant sur cet ensemble de décisions.
Sans attendre, la réouverture du tunnel du Mont-Blanc permettra, par ailleurs, de délester le tunnel du Fréjus et, par conséquent, Chambéry et la vallée de la Maurienne.
Je rappelle encore quelques chiffres : depuis la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, 1 600 000 camions passent par Chambéry et par le tunnel du Fréjus, c'est-à-dire la quasi-totalité du trafic alpin.
Il s'agit donc bien de garantir la plus grande sécurité possible aux usagers empruntant les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. La réalisation de cet objectif a nécessité, s'agissant du tunnel du Mont-Blanc, trois types de mesures : de nouvelles structures, un nouveau dispositif technique, un nouveau règlement de circulation.
Sur le premier point, un comité de sécurité, composé de spécialistes français et italiens des questions liées à la protection et à la lutte contre l'incendie dans les tunnels, a été créé auprès de la commission intergouvernementale de contrôle du tunnel. Ce comité aura notamment à constater l'achèvement des travaux de sécurité et à valider le dernier exercice à organiser dans le tunnel. Les retards qui sont pris actuellement sont la conséquence des fissures qui ont été détectées.
Au préalable, ce comité a défini les conditions générales d'organisation des secours : des pompiers présents en permanence à chaque tête du tunnel et en son milieu, ainsi que des équipiers « sécurité » chargés d'organiser l'évacuation éventuelle des usagers. Au total, quatorze personnes assureront jusqu'au milieu de la nuit les secours permanents de ce tunnel. C'est plus que dans tous les autres tunnels français, voire européens.
Nous avons aussi choisi, en leur apportant les moyens financiers nécessaires, de faire appel aux services publics départementaux de pompiers plutôt qu'à des sociétés privées.
Quant à l'unité de gendarmerie du tunnel du Mont-Blanc, trente gendarmes supplémentaires lui ont été affectés.
Par ailleurs, conformément aux recommandations du rapport commun rédigé par les deux commissions administratives d'enquête italienne et française, les sociétés concessionnaires ont mis en place, le 31 mars 2000, une structure unique et commune d'exploitation du tunnel sous la forme d'un groupement européen d'intérêt économique, que les deux Etats ont reconnu par un échange de lettres diplomatiques le 14 avril 2000.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les nouvelles structures en charge, notamment, de la sécurité.
En ce qui concerne le nouveau dispositif technique, les deux gouvernements ont souhaité que les travaux de remise en état du tunnel soient conduits de manière à assurer l'unicité de leur conception et de leur réalisation. Ils ont donc donné délégation à la commission intergouvernementale pour approuver, après avis favorable du comité de sécurité, l'exécution par les sociétés concessionnaires des travaux de réparation et d'équipement du tunnel.
Les deux gouvernements ont également décidé de soumettre le tunnel du Mont-Blanc aux prescriptions techniques de la nouvelle circulaire française du 25 août 2000 relative à la sécurité des tunnels routiers, qui reprend sur de nombreux points les conclusions du rapport de M. Kert, député. Celui-ci a d'ailleurs reconnu récemment l'efficacité des travaux réalisés dans le tunnel du Mont-Blanc en matière de sécurité.
Enfin, j'en viens au dernier des trois points que j'ai cités : l'exigence de sécurité a conduit à revoir les règles de circulation des véhicules dans le tunnel. Le nouveau règlement de circulation a été approuvé, au nom des gouvernements français et italien, par un échange de lettres diplomatiques avec mon collègue transalpin, les 17 et 24 janvier 2002.
Vous le voyez, nous avons placé la sécurité au coeur de multiples dispositifs. Restait à l'inscrire dans les conditions mêmes de réouverture du tunnel. Cette dernière, je l'ai déjà dit, s'effectuera de manière progressive, avec d'abord une circulation des véhicules légers, puis une circulation à l'alternat des poids lourds.
Ce règlement impose, en particulier, une distance de sécurité entre les véhicules de 150 mètres en marche et de 100 mètres à l'arrêt, ainsi qu'une vitesse de 50 kilomètres-heure minimum et de 70 kilomètres-heure maximum.
Les mêmes règles de circulation ont été imposées depuis 1999 au tunnel du Fréjus. Des mesures complémentaires de sécurité y sont en cours de mise en oeuvre, telles que la pose d'un dispositif central de guidage des usagers et la réalisation d'importants travaux, notamment pour la construction de nouveaux abris.
Des mesures d'alternat seront appliquées aussi souvent que ces travaux les rendront nécessaires et des patrouilles de sécurité renforcées seront dotées d'équipements de premier secours. Enfin, les poids lourds les plus polluants seront interdits six mois après la réouverture du tunnel du Mont-Blanc.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, par les lettres qu'ils ont échangées sur le contrôle de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne contribuent à garantir une sécurité optimale de la circulation dans ces deux ouvrages majeurs, indispensables tout à la fois aux relations entre nos deux pays et à la circulation dans l'ensemble de l'Europe.
Je suis convaincu que vous aurez à coeur d'autoriser la ratification de cet accord et je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans revenir sur les détails du dispositif de cet accord, déjà brillamment présentés par M. le ministre, je souhaiterais simplement souligner combien la conclusion de cet accord et son application effective, la plus rapide possible, paraissent nécessaire à la commission des affaires étrangères du Sénat.
En effet, la situation qui prévalait jusqu'ici n'était absolument pas satisfaisante, et il était temps de la faire évoluer. Ainsi, les forces de police n'avaient pas à leur disposition les outils juridiques leur permettant de réprimer les infractions aux règles de circulation à l'intérieur de ces deux tunnels transfrontaliers, leurs capacités de répression dépendant du lieu où est commise l'infraction.
Grâce à cet accord et aux moyens techniques nouveaux dont a été doté le tunnel du Mont-Blanc, ce ne sera désormais plus le cas : la surveillance du tunnel sera nettement améliorée, les gendarmes français pourront, à la sortie italienne du tunnel, interpeller un conducteur qui aura commis une infraction dans la partie française et les carabiniers italiens pourront réciproquement faire de même à la sortie française.
Si cet accord ne peut qu'être approuvé quant à ses objectifs, monsieur le ministre, les conditions de sa mise en oeuvre et de son application suscitent, hélas ! quelques interrogations majeures.
Après l'accident survenu dans le tunnel du Mont-Blanc en 1999, la France et l'Italie, dans un accord du 14 avril 2000, se sont engagées « à redéfinir la police de la circulation et les règles de sécurité et à les mettre en oeuvre avant la réouverture du tunnel ».
Par conséquent, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, si l'entrée en vigueur du présent accord est l'une des conditions de la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, son application paraissant nécessaire pour permettre aux forces de police de faire respecter les normes de sécurité, notamment les limitations de vitesse et les distances de sécurité que vous avez évoquées tout à l'heure ?
Par ailleurs, une meilleure surveillance de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus nécessite des effectifs supplémentaires. Vous nous avez dit à l'instant, monsieur le ministre, qu'étaient affectés à cette opération trente gendarmes supplémentaires. Mais d'où viennent-ils ? La gendarmerie qui en a la responsabilité a estimé ce besoin à plus de vingt gendarmes par tunnel, ce qui fait quarante gendarmes. Un premier renforcement est intervenu au 1er juillet 2001. Cependant, et c'est très important, la gendarmerie n'a pas vu son budget augmenter en conséquence, et elle a dû procéder, pour une grande partie, à des redéploiements.
Pour appliquer l'accord que nous examinons aujourd'hui, une présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre de l'autre côté du tunnel est nécessaire, ce qui exige la présence de douze hommes supplémentaires pour chaque tunnel. Pouvez-vous nous indiquer précisément, monsieur le ministre, si les moyens nouveaux qui sont indispensables seront débloqués, soit par une contribution de l'Etat, soit par une contribution de la société concessionnaire, afin que la sécurité soit assurée dans ces tunnels et que leur surveillance ne soit pas fonction de la disponibilité des personnels ?
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Philippe François, rapporteur. C'est une question essentielle, monsieur le ministre, à la solution de laquelle la gendarmerie attache grand prix. Après les récents malheurs que la gendarmerie a connus, il est opportun que cette question reçoive une réponse précise, dans l'intérêt des usagers des tunnels et pour la gendarmerie elle-même, qui doit avoir les moyens d'exercer ses missions.
Enfin, monsieur le ministre, je ne suis pas sûr que le ministère de la justice ait pleinement pris conscience de la nécessité de doter les tribunaux compétents des moyens nécessaires à la poursuite et à la condamnation rapide des infractions constatées à l'intérieur des tunnels. Il est probable, en effet, que le renforcement de la surveillance et l'évolution de la réglementation conduiront à une forte augmentation du nombre des procès-verbaux et du contentieux, un contentieux d'autant plus complexe que de nombreux conducteurs seront étrangers. Pouvez-vous nous indiquer les solutions envisagées pour faire face à ces deux difficultés ?
En conclusion, mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission des affaires étrangères, et sous réserve des observations que je viens de formuler, d'approuver cet accord, qui permettra une meilleure surveillance de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accident survenu dans le tunnel du Mont-Blanc en 1999, qui a causé la mort de trente-neuf personnes, a relancé le débat sur la sécurité dans les tunnels et suscité une réelle prise de conscience des pouvoirs publics concernant le contrôle de la circulation et la sécurité.
L'incendie du tunnel du Gothard, qui, lui, a provoqué la mort de onze personnes, n'a fait que confirmer ce que tout le monde savait depuis longtemps : même avec les tunnels les mieux équipés et les plus sûrs du monde, un trafic routier de marchandises toujours plus intense, allié à une concurrence acharnée entre transporteurs - en l'espèce, le chauffeur routier, turc, ne disposait pas de permis de travail et s'était endormi - ne peut que mener à des accidents dramatiques.
Aussi, le véritable débat est avant tout celui de la politique des transports.
Le Livre blanc européen prévoit de faire payer à la route ses coûts externes pour financer d'autres modes de transport, comme le rail, ce que les transporteurs routiers sont prêts à accepter, à condition que cet argent soit bien attribué au développement du ferroutage, notamment.
Depuis environ une dizaine d'années, l'Union européenne s'est métamorphosée en créant un marché unique et en faisant tomber les barrières entre Etats membres. La libre circulation des personnes et celle des marchandises sont deux des pivots de la croissance future de ce marché unique.
Pour que ce marché trouve toute la dimension qu'il mérite, l'Union européenne doit mettre en place un système de transports adéquat. Jusqu'à aujourd'hui, l'ambition affichée par l'Union européenne a été de réaliser un réseau intégré de transports transeuropéen qui réponde aux demandes d'un environnement mieux défendu et de déplacements plus sécurisés et plus rapides.
Selon les experts, une économie saine des transports présente obligatoirement des avantages. Je ferai juste un rappel : les transports participent pour 6,5 % au produit national brut des Etats de l'Union et emploient 6 millions de personnes.
La politique des transports a été l'objet de nombreux colloques, séminaires et rapports, dont ceux de Jacques Oudin, respectivement intitulés Le financement des infra-structures de transport : conduire la France vers l'avenir et La politique commune des transports.
La consommation d'énergie dans les transports représente 30 % de la consommation totale de l'Union ; le transport routier en est responsable à 84 % ; il contribue pour 75 % à la production totale de CO2, qui, comme chacun le sait, est loin d'être étranger à l'effet de serre.
A ce titre, plus que tout autre, le secteur des transports doit assumer une double responsabilité. Il doit, d'une part, participer à un développement économique plus équilibré et à un progrès social partagé, impliquant l'utilisation la plus rigoureuse des ressources disponibles et la réduction de tous les gaspillages ; la mobilité des personnes et des marchandises constitue un élément essentiel de ce modèle de développement. Il doit, d'autre part, chercher, dans une perspective de développement durable, à réduire l'ensemble des nuisances provoquées par les activités de transport.
Ainsi, on s'aperçoit que le développement continu du marché unique, le retour à la croissance dans tous les Etats de l'Union et la perspective de l'élargissement sont les facteurs structurels et durables qui dynamisent la demande de transports en Europe.
Si l'on prend pour repères les années 1990 à 1997, on constate que le PIB européen a progressé annuellement de 1,8 % en moyenne, alors que le trafic de passagers augmentait de 2 % par an et le trafic des marchandises, de 2,4 % par an.
Or, pour les marchandises, le trafic intérieur à l'Europe entre 1990 et 1997 a augmenté de 29 % pour la route, de 22 % pour la mer et de 10 % pour le réseau fluvial. Pour le rail, il a diminué de 7 % sur la même période, même si, depuis 1994, le chemin de fer a connu un nouvel essor, mais avec une nouvelle régression en 2001.
Hier, on a pu regretter la frilosité de l'Europe concernant cette politique. Pourtant prévue par le traité de Rome, la politique communautaire des transports n'a jamais été vraiment activée. Ce n'est qu'en 1985, lorsque le Parlement européen a obtenu de la Cour de justice des Communautés européennes la condamnation du Conseil pour défaut d'action dans le domaine des transports, qu'une certaine prise de conscience a eu lieu.
Aujourd'hui, le coût total des quatorze projets relevant des réseaux transeuropéens est estimé à 103 milliards d'euros. Actuellement, le financement n'est assuré qu'à hauteur de 47,5 milliards d'euros, soit 46 % des besoins. Quant au taux d'exécution effectif, il n'est encore que de 25 %, et l'Europe exhorte les Etats à accélérer le programme.
Quel doit être le rôle de notre pays ?
La France aurait dû jouer un rôle majeur dans cette politique. En effet, notre pays est un point de passage obligé pour les grandes liaisons en Europe.
Avec cette donnée géopolitique fondamentale qui confère à la France une responsabilité particulière en Europe, on peut se demander quelles priorités le Gouvernement a réellement et concrètement choisies, au-delà des projets qui attendent leur financement pour être véritablement engagés.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Lesquels ?
M. Jean-Pierre Vial. J'y viens, monsieur le ministre ! Et, comme j'ai cru comprendre que vous alliez être parmi nous en Savoie, dans quelques jours, pour une inauguration,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Oui !
M. Jean-Pierre Vial. ... j'espère bien qu'à cette occasion vous pourrez répondre à la question que je vous pose aujourd'hui. (Sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Vial. Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échanges de lettres entre les gouvernements français et italien relatif au contrôle de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, que vous soumettez aujourd'hui au Sénat, pourrait paraître répondre à l'une de ces exigences.
Quoi de plus normal, au stade où nous en sommes de la construction européenne et, de surcroît, l'année de la mise en place de la monnaie unique, que de considérer que nos Etats se doivent une coopération réciproque pour poursuivre les infractions commises sur l'autre territoire ? D'autant qu'il ne s'agit que de relever les infractions aux seules règles de la circulation, lesquelles, de surcroît, continueront de relever des tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel elles auront été commises.
Pourtant, pour évidentes et banales que paraissent ces mesures - bien loin d'un droit pénal européen - l'importance du dispositif qui nous est soumis semble résider plus dans ce qui n'est pas dit que dans ce qui est écrit.
Dans les annexes de ce projet de loi, la partie essentielle de l'accord est bien mise en évidence : « Ce nouveau dispositif de contrôle s'avère d'autant plus indispensable que le trafic quotidien dans le tunnel du Fréjus s'élève, depuis la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, à 4 300 poids lourds et 3 300 voitures, et que la fréquentation du tunnel du Mont-Blanc après sa réouverture est estimée à 1 700 poids lourds et 3 200 véhicules légers par jour ».
Monsieur le ministre, au détour d'une mesure qui peut relever de la plus nécessaire et indispensable coopération entre nos polices, n'y a-t-il pas là dissimulation d'un dispositif de régulation qui ne veut pas être annoncé officiellement ?
Comment, en effet, prétendre que le trafic des poids lourds serait d'un tiers pour le tunnel du Mont-Blanc et de deux tiers sur le tunnel du Fréjus, alors qu'il était équilibré auparavant, si des mesures de régulation ne sont pas mises en oeuvre ?
Qu'il s'agisse de mesures de régulation technique qui permettraient de limiter l'accès des poids lourds au tunnel du Mont-Blanc ou de mesures de régulation réglementaire qui interdiraient l'accès du tunnel du Mont-Blanc à certains transports, aucune de ces mesures ne justifie le silence qui reviendrait à imposer l'essentiel du trafic poids lourds international aux populations savoyardes - vous me permettrez de penser particulièrement à celles qui me sont chères -,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Vial. ... qui sont concernées par l'itinéraire du tunnel du Fréjus.
Quand on demande à des populations de répondre à des exigences et à des solidarités nationales, voire internationale, encore faut-il leur accorder un respect identique ; les populations de toutes les vallées de France se valent.
Cette régulation déguisée, monsieur le ministre, fait apparaître la vraie nécessité des contraintes liées au transport de marchandises lors du franchissement de l'Arc alpin en l'espèce. A ce stade de la construction européenne, de surcroît, au cours de l'année internationale des montagnes, et après le drame du tunnel du Mont-Blanc hier, l'accident du Saint-Gothard récemment et celui du tunnel du Fréjus voilà quelques jours, la vraie régulation du trafic de l'Arc alpin passe par une vraie solidarité, une complémentarité et un équilibre des trafics entre les différents franchissements de Trévise à Vintimille en passant par le Brenner et le Saint-Gothard.
C'est parce que nous sommes bien loin d'une telle démarche - j'allais dire de telles exigences - que j'exprime, monsieur le ministre, au nom des Savoyards notamment, cette légitime préoccupation.
Celle-ci serait encore moins vive si nous n'avions aucune inquiétude sur l'avenir.
Au trafic d'aujourd'hui succédera en effet celui de demain, qui ne cessera de croître inexorablement, avec ses conséquences sur la sécurité.
Vous m'objecterez que le formidable projet de liaison ferroviaire France-Italie constitue aujourd'hui la seule alternative crédible au « tout routier » entre la France et l'Italie. Permettez-moi de m'interroger sur ce point précis.
Certes, au mois de janvier 2001, sous l'impulsion décisive du Président de la République, le sommet franco-italien annonçait la décision irréversible de la réalisation du tunnel de base France-Italie pour un franchissement en 2015.
Le sommet suivant de Périgueux confirmait cette volonté, avançant même le calendrier à 2012. Je sais la part que vous avez prise à cette décision.
Hier, vous annonciez votre volonté de voir doubler, dans un premier temps, le transport de marchandises pour le voir passer de 10 à 20 millions de tonnes par an, avant d'atteindre 40 millions de tonnes par an en 2015.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. En 2012 !
M. Jean-Pierre Vial. Je fais la conversion, monsieur le ministre : 2012 ! Vous aggravez la situation !
Or, malgré ce discours, le transport de marchandises SNCF a régressé en 2001, et seule une politique ambitieuse et volontariste peut renverser cette tendance.
Plus inquiétant encore : à ce jour, malgré la création du pôle alpin, qui n'est rien d'autre que la mobilisation des financements, c'est-à-dire des sociétés autoroutières alpines, qui d'ailleurs ont été créés, pour l'essentiel, grâce à la volonté des collectivités locales, l'Etat ne s'est toujours pas engagé sur le moindre financement. L'on connaît très précisément les volontés, fortes et actuelles, qui s'opposent à ce projet, malgré les travaux de reconnaissance déjà engagés.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que, si le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui doit être adopté par nécessité, les appréhensions, les craintes, les inquiétudes soient grandes de voir l'Etat ne pas assumer jusqu'au bout ses responsabilités dans l'enjeu national et international que représente le franchissement des Alpes.
M. le président. La parole est à Mme David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, des chers collègues, la réouverture du tunnel du Mont-Blanc à la circulation des voitures et des poids lourds est une nécessité.
A la suite de la catastrophe survenue le 24 mars 1999, qui a causé la mort de trente-neuf personnes, et après la fermeture du tunnel, le détournement du trafic des poids lourds vers le tunnel du Fréjus engorge la vallée de la Maurienne, en même temps qu'il est source de nuisances pour les habitants et l'environnement.
Comme l'a souligné M. Vial, près de 3 300 voitures et 4 300 poids lourds empruntent chaque jour le tunnel du Fréjus depuis la fermeture du tunnel du Mont-Blanc. Par souci d'équité vis-à-vis de ces populations, le rééquilibrage du trafic est nécessaire. Il exige la réouverture du tunnel du Mont-Blanc.
Mais nous savons aussi que cette réouverture suppose qu'un haut degré de sécurité soit garanti.
Vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, et d'importantes mesures techniques de sécurité ont été mises en place, que vous avez évoquées à l'instant : le renforcement des dispositifs de lutte contre les incendies, la mise en place d'une surveillance électronique permettant de détecter toute anomalie possible, l'aménagement tous les trois cents mètres d'abris reliés à une galerie d'évacuation vers l'extérieur.
A cela s'ajoutent des dispositions draconiennes en matière de sécurité routière. A l'intérieur du tunnel, la vitesse de circulation est limitée à soixante-dix kilomètres à l'heure. Les distances de sécurité sont fixées à cent cinquante mètres entre deux véhicules en circulation et à cent mètres entre les véhicules à l'arrêt.
Seront interdits à la circulation les transports de matières dangereuses, les véhicules hors gabarit et les véhicules les plus polluants selon les normes établies par la convention alpine.
La mise en place d'une régulation alternée de la circulation des poids lourds se traduira aussi par une réduction d'environ 30 % du trafic de camions, contribuant à diminuer la pollution atmosphérique. On estime en effet que, par rapport à la situation antérieure, les niveaux d'oxyde d'azote seront deux fois moindres.
Monsieur le ministre, vous avez par ailleurs confirmé que des normes strictes de circulation s'appliqueront dans les deux tunnels en conformité avec la loi sur l'air.
Enfin, vous avez souhaité que soit créé un comité de contrôle de la sécurité, de la régulation et de l'environnement des tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc, composé d'élus, d'associations et de professionnels, afin de veiller, en toute indépendance, au respect des engagements pris en faveur de la sécurité et de l'environnement.
Reste que l'amélioration de la sécurité à l'intérieur du tunnel exigeait aussi le renforcement de la politique de coordination en matière de contrôle et de répression des infractions entre la France et l'Italie. Tel est l'objet de notre débat de ce jour.
Comme l'indique M. Philippe François dans son rapport, l'actuel dispositif juridique entre les deux Etats ne permet pas aux polices française et italienne « d'intercepter et de verbaliser sur le territoire de l'autre Etat les contrevenants ayant commis des infractions aux règles de la circulation dans la partie du tunnel située sur le territoire de leur Etat ».
Pour remédier à cette situation, l'évolution du droit est donc nécessaire. L'échange de lettres des 4 et 6 octobre 2001 a permis d'aboutir à un accord entre les gouvernements français et italien, relatif au contrôle de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce projet de loi, qui autorise l'approbation de cet accord sans lequel toute politique efficace en matière de contrôle et de répression des infractions serait compromise, alors qu'elle est indispensable pour assurer effectivement la sécurité à l'intérieur des tunnels.
Il n'en demeure pas moins, et nous le savons tous, qu'aussi bien en matière de renforcement de la sécurité que de préservation de l'environnement, le développement du fret ferroviaire est essentiel.
Vous en avez fait, monsieur le ministre, depuis votre arrivée au Gouvernement, l'une des orientations prioritaires de votre politique. A maintes reprises, le groupe communiste républicain et citoyen a souligné les efforts que vous avez menés en faveur d'une politique des transports s'inscrivant en rupture avec les années de dérive du « tout routier ».
Cette inversion de tendance en faveur d'un rééquilibrage rail-route s'inscrit bien évidemment dans le long terme, et le chemin à parcourir reste long. Chacun peut cependant constater les résultats obtenus en ce qui concerne le franchissement des Alpes.
L'expérimentation du ferroutage sur la ligne classique Dijon-Modane-Turin se concrétisera, dès mars 2002, par la mise en circulation des wagons spéciaux Modalhor dans le cadre de leur homologation. Les premières navettes ferroviaires seront mises en service dès 2006. Elles permettront d'alléger considérablement le trafic routier en attendant la mise en service de la nouvelle ligne Lyon-Turin.
Cette nouvelle ligne, consacrée aux marchandises, qui sera achevée à l'horizon 2012-2015, est significative de la réorientation de la politique des transports en faveur du fret ferroviaire.
Globalement, entre 2002 et 2012, environ un million de poids lourds délesteront annuellement la route au profit du rail.
L'on sait par ailleurs que les sociétés d'autoroutes participeront au financement des travaux. Faire financer, en partie, le développement du rail par la route, permet d'assurer, sur le long terme, la viabilité de toute politique des transports visant la réorientation des flux de trafic de marchandises vers le rail. C'est, là encore, se donner les moyens de respecter l'objectif de doubler le fret ferroviaire d'ici à dix ans.
Je l'ai dit tout à l'heure, la réouverture du tunnel du Mont-Blanc aux poids lourds nous semble indispensable, ne serait-ce, j'y insiste, que par équité au regard des habitants de la vallée de la Maurienne.
Elle doit évidemment être fondée sur des engagements fermes quant à la sécurité des personnes et de l'environnement.
Je tenais à vous faire part de nos préoccupations, monsieur le ministre, en espérant que vous les partagez. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous débattons à nouveau du problème de la sécurité des moyens de transport, qu'il s'agisse du transport de marchandises ou de passagers, je tiens à m'exprimer, au nom des élus de Savoie et de Haute-Savoie, en m'inscrivant dans le droit-fil des propos qu'a tenus tout à l'heure notre collègue Jean-Pierre Vial, sénateur de la Savoie.
Je veux réaffirmer à cette tribune que les parlementaires, les élus et l'ensemble des populations de nos départements savoyards sont parfaitement conscients de la nécessité de tout mettre en oeuvre pour donner la priorité à la régulation et à la sécurité et assurer, ensuite, la réouverture du tunnel du Mont-Blanc dans un premier temps aux voitures de tourisme et, dans un second temps, au transport de marchandises.
Certains ont laissé entendre que nous étions prêts à sacrifier la sécurité à une réouverture précipitée ou hâtive de ce tunnel.
C'est pourquoi je rappelle avec force la position des élus de nos départements savoyards, rejoints par l'ensemble des élus de la nation, par le Gouvernement et par le ministre. Je sais gré à Mme David d'avoir eu le courage de dire qu'il fallait rouvrir le tunnel du Mont-Blanc aux poids lourds, dès lors que les conditions de sécurité auront été respectées et mises en oeuvre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Absolument !
M. Pierre Hérisson. Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour vous poser quelques questions, monsieur le ministre. Certes, nous examinons aujourd'hui un projet de loi visant à l'approbation d'un accord international et à la modification d'un article du code de la route qui donnera la possibilité de sanctionner et de verbaliser les infractions au code de la route à l'intérieur des tunnels franco-italiens.
Toutefois, vous avancez souvent, et avec un optimisme que nous ne partageons pas toujours, le projet d'ouverture de l'autoroute ferroviaire ou du tunnel Lyon-Turin pour 2010.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pour 2012 !
M. Pierre Hérisson. Vous avez dit tout à l'heure : « avant 2010 » !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pas du tout ! M. Vial a parlé de 2015. J'ai rectifié pour dire 2012. Pas 2010 !
M. Pierre Hérisson. Nous en prenons acte. Permettez-moi de formuler quelques observations à ce sujet.
Tout d'abord, je rappellerai ici, sous le contrôle de mon collègue Jean-Pierre Vial, également élu de la Savoie, que, selon l'excellent ouvrage La Guerre des tunnels, il a fallu quarante-cinq ans pour définir un itinéraire et réaliser le tunnel sous le mont Blanc. A l'origine, il s'agissait d'une étude ferroviaire qui s'est transformée, au fil du temps, en une étude puis en un ouvrage routiers. Il faut donc être particulièrement prudent sur le calendrier de réalisation d'un tel ouvrage.
Il faut également prendre en compte, si l'on en croit les experts, l'augmentation considérable, d'ici à 2015, du trafic de marchandises au sein de l'Europe « ouverte ». Ainsi, le million de camions que vous avez évoqués correspondra quasiment à l'augmentation du trafic de marchandises de l'ensemble des pays européens. Il ne permettra pas une diminution du trafic par rapport à celui de l'année 2000, année de référence pour les statistiques et l'expertise que je viens d'évoquer.
Je tiens également à faire remarquer que nous passons trop sous silence le fait que la nature des marchandises transportées a changé.
Quelles seront les marchandises à transporter en 2010 ou 2012 ? Le transfert du ferroviaire vers la route est dû non seulement au délai d'acheminement des marchandises mais aussi au changement de nature de ces dernières, qui sont aujourd'hui à flux tendu. Pour parler simplement, l'essentiel des stocks des entreprises de production industrielle se trouve sur la route, sur le réseau ferroviaire ou sur la mer. Il faut donc engager une réflexion.
A cet égard, permettez-moi de dire que nous ne prenons pas suffisamment en compte les trois paramètres que je viens d'évoquer.
Il est également impératif d'organiser un véritable débat non plus sur la loi d'orientation des transports intérieurs mais sur une orientation des transports au sein de l'Union européenne, compte tenu des enjeux, ainsi que sur une répartition équitable du trafic de marchandises entre le ferroviaire, la mer et la route. Nous manquons cruellement d'un grand débat à l'échelon européen et dans chaque pays sur ce sujet.
Au fil des mois, depuis la catastrophe du 24 mars 1999, nous avons plutôt géré le problème au coup par coup par des textes législatifs, réglementaires ou techniques au lieu de prendre des dispositions susceptibles de faire évoluer rapidement la situation. Faut-il également introduire dans la réglementation la spécialisation des tubes routiers, les uns étant réservés au trafic de marchandises, les autres, au trafic de voyageurs ? Le trafic des passagers doit-il demeurer la victime innocente du trafic des marchandises ?
Il convient de se pencher sur le problème de la réalisation à certains endroits d'un deuxième tube réservé aux véhicules légers à proximité des tubes qui seraient spécialisés pour les marchandises.
Pour conclure, j'indique que j'approuve, par nécessité, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, tout en faisant miennes les réserves qui ont été émises par notre excellent rapporteur, M. Philippe François.
Mais, au-delà de ce texte, je pense que le problème qui est posé est celui de l'avenir du transport et des conséquences du trafic routier sur les vallées alpines, et en l'occurrence, dans le tunnel du Mont-Blanc et le tunnel du Fréjus. Nous ne pouvons nous contenter de la situation actuelle, même si nous prenons toutes les précautions. Vous nous avez confirmé, monsieur le ministre, que d'ici à 2012, des mesures seront prises. J'espère que nous trouverons des solutions raisonnables pour l'avenir, afin de prévenir un risque majeur qui met en cause la vie même de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je voudrais tout d'abord remercier M. le rapporteur d'approuver un texte qui sera, à mon sens, très utile.
Cela étant, à sa question pertinente de savoir si l'entrée en vigueur de l'accord est l'une des conditions de la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, laquelle aurait déjà dû intervenir la semaine dernière pour les véhicules légers, puis au poids lourds en alternat dans un second temps si des fissures n'étaient pas apparues, je répondrai simplement que les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc avaient été ouverts à la circulation sans qu'un tel accord ait été ratifié. Ce fait ne peut être contredit.
Il est vrai, cependant, que nous avons souhaité améliorer la capacité d'intervention des forces de l'ordre françaises et italiennes, parce que nous voulons renforcer les moyens non seulement de contrôle mais aussi de dissuasion vis-à-vis de ceux qui considéreraient qu'ils pourraient échapper à la sanction sous prétexte que leur interception à l'intérieur du tunnel risquerait de provoquer un accident.
Ce dispositif supplémentaire correspond à ce que je crois être une ardente obligation. Dès lors que le Parlement l'aura ratifié, cet accord sera applicable dès la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, ce qui est une très bonne chose. Mme David a également souligné ce problème : nous devons être en mesure à la fois de contrôler les interdistances et la vitesse, et d'intercepter les contrevenants. Les sanctions seront dissuasives, croyez-moi, et les infractions coûteront cher. Il vaudra mieux respecter les règles, parce qu'il n'y aura, j'y insiste, aucune tolérance.
En ce qui concerne la question des effectifs, qui a également été évoquée, je veux d'abord indiquer que les gendarmes sont déjà en place aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. Le redéploiement auquel il a été procédé dans le cadre des services résulte d'un accord intervenu, à l'échelon national, entre la police de l'air et des frontières, et la gendarmerie. La sécurité sera améliorée grâce à un renforcement des effectifs. Ainsi, quarante-huit gendarmes au total seront affectés au tunnel du Mont-Blanc, et non pas trente comme vous l'avez affirmé, monsieur le rapporteur.
Quoi qu'il en soit, je ferai part de vos observations et de vos inquiétudes à Mme la ministre de la justice. L'accord vise à mettre en oeuvre un dispositif dissuasif, afin de prévenir les infractions. Il ne s'agit pas de donner la priorité à la répression, mais, le cas échéant, les sanctions seront sévères. Ces dernières relevant du domaine contraventionnel, les tribunaux ne seront sollicités qu'en cas de recours, lesquels, de par la rédaction du texte, n'auront que peu de chances d'aboutir. Les premiers contentieux pourront être traités par subsidiarité par les chambres dont relèvent directement les contrevenants français. Sur ce plan, le point sera fait dès cette année et, si cela se révèle nécessaire, monsieur le rapporteur, un accroissement des moyens pourra être décidé lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2003. J'espère vous avoir ainsi répondu à propos d'une question que j'ai évoquée avec Mme la ministre de la justice.
Peut-être sommes-nous dans une période où il est bon de choisir son camp et son candidat. (Sourires.) Cela étant, je suis sûr que vous n'aviez pas de telles arrière-pensées, monsieur Vial, quand vous vous êtes exprimé ! Avant le 29 janvier, il y a eu le 19 janvier, et je crois que vous étiez présent...
M. Jean-Pierre Vial. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... lorsque le Premier ministre est venu expliquer sur place que le Gouvernement était résolu à faire une priorité de la politique ferroviaire et du ferroutage. Je pourrais vous rappeler ses propos, mais je ne veux pas m'engager dans une telle démarche, monsieur Vial, car je suis persuadé que vous ne souhaitez pas que ce débat tombe dans l'électoralisme. Nous nous comprenons sans aucun doute... (Sourires.)
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Vous avez de mauvaises pensées !
M. Pierre Hérisson. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. M. de Villepin est d'accord avec moi ! (Rires.)
En tout état de cause, vous aurez pu constater que je me bats, y compris sur le plan européen, puisque le gouvernement auquel j'appartiens a contribué à ce que le Livre blanc européen pour les transports soit enfin publié, et ce en septembre 2001. La question de l'internalisation des coûts externes est une vraie question.
Le doublement du trafic ferroviaire a été évoqué, notamment par Mme David. Il ne s'agit que d'une étape, car, à travers les Alpes et les Pyrénées, ce trafic devra être, à terme, multiplié par cinq ou six ! Sinon, ces zones sensibles seront menacées d'asphyxie ! Le développement du transport par voie ferrée ne suffira d'ailleurs pas, même s'il est essentiel ; il conviendra aussi de recourir au cabotage maritime. J'ai ainsi obtenu que nous nous engagions dans cette voie avec l'Espagne et l'Italie, afin de diversifier les modes de transport utilisés pour le contournement ou le franchissement des Alpes et des Pyrénées.
Tel est le combat dans lequel, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s'est engagé. Vous pouvez penser ce que vous voulez de notre action mais ne croyez pas que je n'aie pas pris ce problème à bras-le-corps ! Le maximum a été fait, je vous l'assure ! Ainsi, dans les contrats de plan Etat-région, les crédits alloués au transport ferroviaire ont été multipliés par huit, voire par dix, par rapport aux contrats de plan précédents ! Les choses évoluent donc, et je m'en félicite.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. C'est émouvant !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est la réalité ! Je partage tout à fait les préoccupations de Mme David et de M. Vial s'agissant du rééquilibrage des modes de traversée des Alpes.
En ce qui concerne la Savoie, j'ai obtenu - c'était une condition que j'avais posée à mes interlocuteurs italiens - l'interdiction des camions « euro zéro » à la réouverture du tunnel du Mont-Blanc et au Fréjus six mois plus tard. Les camions les plus anciens, c'est-à-dire les plus polluants, seront donc exclus du trafic.
S'agissant de la répartition des trafics entre le tunnel du Mont-Blanc et celui du Fréjus, madame David et monsieur Vial, nous n'atteindrons pas la parité, car les tunnels et les conditions ne sont pas les mêmes. Cependant, dès la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, d'abord aux voitures, puis aux poids lourds en alternat, la situation sera bien meilleure qu'elle ne l'était auparavant dans les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise.
Bien entendu, le ferroutage devra être développé, mais le wagon Modalhor va seulement être homologué. Je sais bien que l'on parle du ferroutage depuis vingt ou trente ans, mais j'ai relu des livres de cette époque, écrits par des gens compétents, où le mot « ferroutage » ne figure pas. Ces auteurs prescrivaient voilà trente ans de transporter les camions et les voitures par le rail, mais cela n'a pas été fait. Ils en rêvaient, nous l'avons fait ! (Rires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac. Il est sensationnel !
M. Jacques Valade. Pas vous, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mais si ! Je pourrais également évoquer le TGV Est-européen, le viaduc de Millau, le TGV Rhin-Rhône, entre autres réalisations !
M. Alain Gournac. Heureusement que vous êtes là, monsieur le ministre !
M. Pierre Hérisson. Cela existait il y a trente ans dans les livres !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. N'est-ce pas la vérité ?
M. Gérard César. C'est la Bible !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Lorsque le système Modalhor aura été homologué, ce qui devrait être acquis dès la fin de l'année, 50 000 camions pourront être transportés par voie ferrée avant l'achèvement de la réalisation des travaux sur la ligne historique, notamment des camions-citernes et de petites unités. Par la suite, ce sont 300 000 camions par an qui pourront emprunter la ligne historique.
Simultanément, nous creusons sous les Alpes ce fameux tunnel de cinquante-deux kilomètres. Nous avons prévu le financement de la réalisation de cet ouvrage, y compris en utilisant les dividendes retirés de l'exploitation des autoroutes. Nous mettons donc véritablement en place une politique de développement du ferroutage.
Par ailleurs, Mme David a eu raison d'évoquer le comité de suivi de la sécurité et de l'environnement. Je crois en effet que le nouvel équilibre dans le transport alpin doit être contrôlé et que nous devons pouvoir être avertis en permanence et en toute transparence des efforts qu'il serait, le cas échéant, nécessaire de consentir. La dimension démocratique et citoyenne du dispositif est donc essentielle, et je vous confirme, madame David, que ce comité sera installé dès le mois prochain, c'est-à-dire en mars 2002, par M. le préfet de région.
Je pourrais répondre à M. Hérisson sur les flux tendus.
M. Pierre Hérisson. J'aimerais bien !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est un vrai débat.
M. Pierre Hérisson. Effectivement !
Un sénateur du RPR. C'est le vrai débat !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je vous connais, vous l'abordez toujours sous l'angle de vos conceptions libérales. (Exclamations sur les travées du RPR.) Calmez-vous ! Voyez où le libéralisme a conduit en Grande-Bretagne ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Pierre Hérisson. Mauvais exemple !
M. Alain Gournac. On en est loin !
M. Jacques Valade. Les Britanniques roulent à gauche !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Certes, ils roulent à gauche, mais ils ne mènent pas vraiment une politique de gauche !
J'en termine. Il faut introduire des services nouveaux, comme les autoroutes ferroviaires, qui permettent d'allier la souplesse de la route et les avantages du train comme la préservation de l'environnement. Des logistiques nouvelles doivent être mises en oeuvre pour obtenir une plus grande efficacité dans les transports. Monsieur le sénateur, je vous confirme,...
M. Louis Moinard. Et la continuité du service ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ..., pour la réalisation de la ligne, l'objectif de 2012 que nous nous sommes fixé.
M. Pierre Hérisson. Tout à l'heure, vous nous avez dit 2010 !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. M. Gayssot sera encore ministre ! (Sourires).
M. Pierre Hérisson. Bien sûr !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je vous promets que, si je suis encore ministre (Rires sur toutes les travées) , le projet verra le jour avant 2012. Mais je suis obligé de respecter les procédures.
M. Jacques Valade. Les procédures démocratiques !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Il y a en effet des règles. Nous avons fait l'impossible pour accélérer le processus. La première fois que nous avons évoqué ensemble ce sujet - M. Vial l'a d'ailleurs confirmé -, c'est l'année 2015 qui avait été retenue.
M. Pierre Hérisson. Exact !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Nous avons étudié le dossier et demandé, parce que nous y tenions, et pas simplement pour le plaisir de faire une déclaration, que, dans la mesure du possible, la réalisation de ce projet soit avancée à 2012. Quand la Conférence intergouvernementale nous a confirmé cette possibilité, nous l'avons annoncée. C'est dans cette perspective que se situe notre démarche.
Bien entendu, tout ce qui pourra être accompli pour réduire encore les délais sera fait. Mais je ne veux pas tricher avec la vérité, nous devons à la fois développer la ligne historique et engager des travaux sur la nouvelle ligne Lyon-Turin.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire. Quand est survenue la catastrophe du Mont-Blanc, je me suis immédiatement rendu sur place et j'y suis resté quinze heures. J'ai vécu dans la douleur ce drame, dont on ne mesurait pas encore l'ampleur. En effet, on parlait alors de deux morts, ce qui était déjà trop. Or on a finalement dénombré trente-neuf victimes. C'est également à leurs familles que je pense !
Dans la démarche qui est la nôtre et que nous exprimons avec notre proposition, nous manifestons aussi le souci de tirer le plus d'enseignements possible pour éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise. Aussi, je vous remercie d'avoir dit que vous apporteriez votre soutien à cette convention internationale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.