SEANCE DU 7 FEVRIER 2002


M. le président. « Art. 5. - L'article 380-2 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le ministère public peut également faire appel des arrêts d'acquittement. » L'amendement n° 17, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par l'article 5 pour compléter l'article 380-2 du code de procédure pénale, remplacer les mots : "Le ministère public" par les mots : "Le procureur général". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Tout le monde s'accorde sur la nécessité de permettre au parquet de faire directement appel des arrêts afin de respecter l'« égalité des armes ».
Nous devons toutefois garder présent à l'esprit que l'appel d'une décision d'acquittement rendue par un jury populaire doit évidemment être maniée avec toute la prudence qui s'impose. Cet amendement tend donc à réserver cet appel au procureur général.
Ce choix pourrait permettre, me semble-t-il, une harmonisation des politiques pénales au sein des cours d'appel, mais aussi éviter des appels injustifiés et peut-être excessifs. En outre, le grade important du magistrat en question donnerait une certaine solennité à cette action, qui doit demeurer relativement exceptionnelle.
Il faut éviter qu'un appel soit formé dans des hypothèses où la probabilité de voir prononcé par la cour d'assises d'appel un deuxième acquittement serait très élevée, ce qui donnerait un faux espoir à certains.
La commission propose, par conséquent, que ce soit le procureur général qui puisse faire appel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La rédaction initiale de l'article 5 de la proposition de loi de M. Dray et des membres du groupe socialiste de l'Assemblée nationale prévoyait que l'appel des arrêts d'acquittement de cours d'assises ne pouvait intervenir qu'en cas de co-accusé.
J'ai défendu cette position parce qu'il me semble effectivement qu'entre le premier verdict rendu par un jury populaire après des débats oraux et le deuxième il est difficile de dire quel est le plus acceptable par la société.
Il s'agit d'un vrai sujet de fond. J'avais d'ailleurs émis des doutes sur ce dispositif lorsqu'il n'y a qu'un seul accusé.
Je considère toutefois qu'il est mieux que ce soit le procureur général qui soit responsable de cet appel. Ce magistrat appréciera s'il convient de faire appel au vu des observations et à la demande du procureur de la République, ou de son substitut, qui aura suivi l'affaire en première instance et qui connaît le mieux l'affaire.
En fin de compte, c'est au procureur général qu'il appartiendra de prendre la décision au regard également de la politique pénale dont il a la charge d'assurer une application homogène dans le ressort de la cour d'appel.
Le Gouvernement est donc favorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Cette question a été longuement débattue au sein de la commission des lois.
Notre collègue et ami M. Fauchon se souvient d'ailleurs combien nous nous étions interrogés sur le principe de l'appel.
M. Pierre Fauchon. Cela continue !
M. Robert Badinter. C'est plus, je dois le dire, pour des raisons de sensibilité que de logique juridique que nous avons finalement considéré qu'il nous fallait faire un geste d'« humanité » pour celui qui a attendu pendant des années une décision. Quand le verdict d'acquittement a été prononcé, s'entendre dire qu'appel est interjeté et que l'on repart encore pour des années d'angoisse, c'est trop dur.
Sur le plan de la logique juridique, il est en revanche indispensable que l'égalité des armes commande qu'il y ait appel. La logique juridique l'emportera donc.
J'ai par ailleurs toujours pensé que cette procédure ne résisterait pas aux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme.
En ce qui concerne très précisément le droit d'appel, notre excellent rapporteur de la commission des lois préfère qu'il relève du procureur général. Il me semble pour ma part qu'il vaut mieux en rester à la compétence du ministère public, donc du procureur de la République, qui aura suivi le dossier par les ordonnances de soit-communiqué, qui aura été et qui sera donc à même d'apprécier s'il y a lieu de faire appel ou pas.
Transférer ce droit, ce pouvoir exclusivement au procureur général me paraît procéder non pas d'une sorte de défiance ou de méfiance, mais d'une volonté de proclamer une hiérarchie qui, dans les faits, s'agissant de ce type de responsabilité, ne s'exerce pas.
D'ailleurs, dans la réalité judiciaire, il y aura inévitablement échange d'informations. Le procureur général n'a généralement pas une connaissance aussi intime du dossier. Il faudra qu'il consulte le procureur. Maintenons donc la compétence du ministère public, qui s'en accomodera au mieux.
M. Laurent Béteille. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille. Je m'interroge, moi aussi, sur l'intérêt de cette mesure, qui, à l'évidence, n'est pas motivée par une volonté de renforcer les droits du ministère public, bien au contraire. Je crains qu'en pratique elle ne se heurte à de grandes difficultés, comme l'a expliqué M. Badinter.
Le problème de l'appel du parquet est complexe. Ne faudrait-il pas le réserver à des appels provoqués ? Suite à un appel d'un des accusés, le parquet ferait appel à son tour pour remettre les choses complètement à plat devant la nouvelle cour d'assise, qui pourrait aussi bien diminuer la peine que l'aggraver. Ce serait probablement préférable à la procédure qui a été prévue. Mais nous n'allons pas revenir là-dessus.
Je crains par ailleurs que tranférer dans le délai d'appel, qui est très court, le dossier au parquet général ne se heurte à quelques difficultés.
C'est la raison pour laquelle je m'abstiendrai lors du vote de cet amendement.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. A mon tour, je reprends le dialogue déjà engagé, et poursuivi à différentes occasions, avec notre collègue Robert Badinter sur cette question. Il me fournit l'occasion, en cet instant, de rappeler qu'un problème se pose à propos de la cour d'assises.
Les raisons pour lesquelles les cours d'assises on été un grand progrès pour la démocratie au xixe siècle ont complètement disparu à notre époque d'indépendance des magistrats et de réorganisation de la justice. Ces cours n'ont plus du tout les mêmes raisons d'être.
Aujourd'hui, leur existence est quelque peu singulière et choquante. Les cours d'assises ne jugent plus guère que les affaires de moeurs et les crimes de sang, alors que d'autres affaires, de fraude, par exemple, qu'il serait utile de soumettre à des citoyens, à des jurés, ne leur sont pas soumises. Je ne demande pas pour autant que ces affaires leur soient soumises ! Je préfère de loin les magistrats professionnels.
Les cours d'assises demeurent donc une juridiction particulière qui juge essentiellement les affaires de moeurs. Elles se trouvent dans une situation quelque peu ubuesque, étrange et peu satisfaisante, en vérité. Quand on observe leur fonctionnement au quotidien, dans un département comme le mien, on s'aperçoit qu'elles ne correspondent à aucun des critères actuels. J'émets donc des réserves sur les cours d'assises.
En deuxième lieu, l'appel est-il possible ? Je redis ce que nous avons toujours dit : ce n'est pas un appel. Nous sommes bien d'accord sur ce point - n'est-ce pas, monsieur Badinter ?
Un appel au sens plein du terme suppose d'abord une décision motivée. Or on s'est aperçu qu'on n'arrivait pas à motiver en temps utile la décision d'une cour d'assises.
Ensuite, en vertu de quel principe, écrit dans je ne sais quel firmament, un second jury serait-il plus qualifié qu'un premier jury pour juger une affaire ? Qu'est-ce qui faut la supériorité de la décision du second jury, fût-il un peu plus nombreux ? Deux ou trois jurés supplémentaires sont-ils les garants d'une meilleure justice ? A mon avis, il faut véritablement être quelque peu rêveur pour l'imaginer !
Chez les Américains, on commence par le jury, puis on passe aux professionnels. Je trouve cela beaucoup plus satisfaisant pour l'esprit. Dans notre système, le principe même de la sacralisation du jury fait que sa décision, c'est la décision, et qu'il n'y a pas d'appel.
Pourquoi un certain nombre d'entre nous ont-ils souhaité qu'il y ait non pas un appel mais un recours ? Pour une raison terrible, épouvantable, à savoir l'hypothèse où un innocent est condamné. Cette hypothèse est effrayante pour nous tous. Je l'ai dit quelquefois en plaisantant, mais je le pense sérieusement : le fait qu'un coupable ne soit pas condamné - beaucoup ne le sont pas de par le monde - est infiniment moins scandaleux que la condamnation d'un innocent. Il ne faut pas perdre cet aspect de vue. C'est parce que nous voulions donner une seconde chance à un innocent qui serait condamné que nous avons envisagé ce recours, sans prétendre en faire un appel.
Enfin, dans une première acception, nous avions proposé que seul un condamné puisse faire appel. Mais nous nous sommes aperçus que cette solution présentait des inconvénients, notamment en présence de coaccusé. D'une manière générale, il faut éviter des situations trop choquantes, d'où l'idée, à laquelle je souscris, de permettre au parquet de faire appel.
Mais qui doit faire appel ? J'estime qu'il faut que ce soit le procureur général, parce qu'on sait bien ce qu'est un procès d'assises. Certains d'entre vous le savent beaucoup mieux que moi, qui n'en ai pas vécu beaucoup. Il y a une tension, un combat. Le procureur n'a pas envie de perdre. Vous connaissez la pièce de Marcel Aymé intitulée : La Tête des autres. Le procureur part le matin en disant à sa famille que, le soir, il aura la tête de l'accusé. Il se mobilise ; c'est normal, c'est professionnel. A son retour, ses enfants lui demandent s'il a ramené la tête de l'accusé.
Je ne souhaite pas que ce procureur-là, s'il n'a pas obtenu le succès que mériteraient sans doute son talent et ses recherches, décide le lendemain, ab irato, de faire appel. Un temps de la réflexion est nécessaire. Il faut qu'à un niveau de réflexion on s'interroge, comme le disait M. Badinter, sur l'homme qui a échappé à une condamnation, peut-être à tort ; celui-ci aura de toute façon fait de la prévention et il aura eu le temps de réfléchir sur ses faits et gestes. La société peut-elle jouer comme le chat avec la souris ? C'est affreux !
Il faut craindre l'appel qui pourrait résulter d'un mouvement d'humeur de la part d'une personne qui a perdu la partie et qui veut essayer de prendre sa revanche. Ce serait très dangereux. C'est pourquoi il est beaucoup plus simple de n'offrir cette possibilité que de manière prudente au procureur général.
La communication entre les instances est très facile. Ce sont des magistrats habitués à travailler par fax ou par téléphone. Lorsqu'une affaire est délicate, le procureur peut avertir le procureur général.
Ce n'est d'ailleurs pas si fréquent. En fait, à la lecture du rapport de Mme Lazerges, on observe qu'il y a beaucoup moins d'appels qu'on ne le croyait. Le taux est de 20 %. Certes, l'appel n'est pas sans risque, mais cela peut très bien fonctionner car le procureur général offre la sécurité indispensable. C'est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.

(L'article 5 est adopté.)

Article additionnel après l'article 5