SEANCE DU 17 DECEMBRE 2001


M. le président. « Art. 36. - Le compte de commerce n° 904-05 "Constructions navales de la marine militaire", ouvert par l'article 81 de la loi de finances pour 1968 (n° 67-1114 du 21 décembre 1967), est clos au 31 décembre de la quatrième année suivant la promulgation de la présente loi. Au plus tard au terme des deux premières années, tout ou partie des droits, biens et obligations de l'Etat relatifs au service à compétence nationale DCN sont apportés, par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre de la défense, à une entreprise nationale régie par le code de commerce, dont le capital est détenu en totalité par l'Etat. Les apports réalisés ne donnent lieu à aucune indemnité ou perception de droits ou de taxes ni à aucun versement de salaire ou honoraire au profit des agents de l'Etat. Ceux des biens qui appartiennent au domaine public sont déclassés à la date de leur apport. Un contrat d'entreprise pluriannuel est conclu entre l'Etat et l'entreprise nationale. Sa conclusion doit intervenir au cours du premier trimestre du premier exercice d'activité de l'entreprise nationale. Ce contrat fixe les relations financières avec l'Etat et les objectifs économiques et sociaux qui sont assignés à l'entreprise en contrepartie d'une garantie d'activité sur la période d'exécution du contrat d'entreprise. Le Gouvernement transmet, avant le 31 décembre 2002, aux commissions chargées des finances et de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat un rapport sur les perspectives d'activité et les fonds propres de la nouvelle société, puis chaque année, jusqu'au terme de la période d'exécution du contrat.
« A compter de la date de réalisation des apports, les ouvriers de l'Etat affectés à cette date aux établissements de DCN sont mis à la disposition de cette entreprise. A cette même date, les fonctionnaires, les militaires et les agents sur contrat affectés à DCN sont mis à la disposition, pour une durée maximale de deux ans, de cette entreprise ou des sociétés dont elle détient le contrôle, seule ou conjointement. Un décret en Conseil d'Etat définit les conditions d'application du présent alinéa et notamment les modalités financières des mises à la disposition, ainsi que les conditions de réaffectation dans les services de l'Etat.
« Cette entreprise nationale est assujettie aux impôts directs locaux dans les conditions du droit commun. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité examiner pour avis l'article 36 du projet de loi de finances rectificative en raison de l'importance qu'elle attache à l'évolution du statut de la Direction des constructions navales, ou DCN.
Depuis plusieurs années, l'avenir de ce service industriel de l'Etat nous inspire de vives inquiétudes. Au-delà du contexte lié à la baisse des commandes, la question de son statut se situe bien au coeur des difficultés de DCN. Il s'agit d'un enjeu industriel et social majeur compte tenu de ce que représente DCN en termes d'emplois et de savoir-faire de haute technicité dans un domaine stratégique. Il s'agit également d'un enjeu majeur pour la marine, principal client de DCN, qui a besoin d'un fournisseur fiable et compétitif.
J'ai exposé, dans mon rapport écrit, en quoi, malgré les évolutions intervenues au cours des dernières années, le statut d'administration est aujourd'hui totalement inadapté aux défis que doit relever DCN. La réglementation administrative, en particulier pour la passation des marchés et la gestion des ressources humaines, constitue un fort handicap. L'absence de personnalité juridique entrave une indispensable autonomie de gestion et la possibilité de nouer des alliances industrielles, au moment où la construction navale militaire se restructure en Europe.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires étrangères approuve la transformation de DCN en société, une réforme qu'elle juge indispensable et urgente.
Mon rapport écrit détaille les différents aspects de la réforme, en particulier ses incidences sur la situation des personnels. L'avant-projet de décret dont nous avons eu communication, ainsi que la lettre que vous avez adressée, monsieur le ministre, aux partenaires sociaux le 6 décembre dernier, et qui est reproduite dans le rapport, permettent d'affirmer que cette réforme s'accompagne de garanties sociales fortes. Nos préoccupations portent sur deux autres points.
Tout d'abord, je crois utile de rappeler que le diagnostic sur l'inadaptation du statut de DCN a été clairement dressé il y a déjà bien longtemps. Les principaux handicaps étaient identifiés dans le rapport Conze, en 1996, et la Cour des comptes a régulièrement insisté, depuis, sur la nécessité d'une évolution. Cette réforme est donc le fruit d'une maturation particulièrement lente, et pourtant elle nous laisse une forte impression d'inachevé. Il nous semble, en particulier, qu'en figeant dans la loi le principe de la détention de 100 % du capital par l'Etat le Gouvernement n'est pas allé au bout de sa logique, sachant que l'un des objectifs de la réforme est de permettre des alliances industrielles. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion de l'amendement n° 25 proposé par la commission.
Notre seconde réserve tient aux conditions, encore très incertaines, dans lesquelles s'engage cette réforme. Le statut de société anonyme apportera bon nombre d'améliorations par rapport à la situation actuelle. Il ne garantit pas, loin de là, la viabilité de la future société. Celle-ci sera largement déterminée par les choix financiers qui seront effectués par l'Etat et par les termes du contrat d'entreprise, sur lesquels nous ne disposons aujourd'hui d'aucune assurance.
Nous savons que, sous bien des aspects, la situation de DCN aujourd'hui est très différente de celle du Groupement industriel des armements terrestres, le GIAT, voilà douze ans. Pour autant, notre commission juge indispensable de tirer tous les enseignements du précédent GIAT Industries et de ne pas renouveler certaines erreurs.
C'est sur ce point que nous jugeons les engagements du Gouvernement évasifs et insuffisants.
Nous souhaitons, notamment, que les actifs transférés par l'Etat soient évalués de manière réaliste et que DCN soit dotée d'un niveau suffisant en fonds propres. Qu'en sera-t-il ?
De même, l'Etat prendra-t-il à sa charge une partie des indispensables investissements industriels nécessaires à la modernisation de DCN et les surcoûts liés à la contrainte résultant de l'emploi par la société de personnels sous statut ?
Enfin, dans quelles conditions sera traitée l'application de la TVA aux opérations réalisées par DCN pour le compte de la marine ? Il s'agit d'une opération neutre pour le budget de l'Etat, mais si elle n'était pas intégralement anticipée, dès 2003, par une majoration du budget d'équipement de la marine, il en résulterait un très grave préjudice pour nos armées et pour DCN elle-même.
Sur toutes ces questions déterminantes pour l'avenir de la société, qui relèvent plus du ministère des finances que de celui de la défense, nous manquons singulièrement de réponses précises et d'assurances.
Il est clair que, si l'effort consenti dès la constitution de la société n'est pas suffisant, DCN restera aux prises avec la plupart de ses difficultés actuelles, qu'il faudra réduire avec le temps, au prix, sans doute, de renflouements répétés.
Nous sommes inquiets de constater que le projet de société commune avec Thalès, annoncé voilà près de deux ans, n'est toujours pas concrétisé. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous garantir que la création de cette société sera effective d'ici à la fin de l'année. Mais nous voyons dans la difficulté de mener à bien ce projet un présage peu encourageant pour la suite de la réforme.
C'est une toute autre ambition que l'Etat, futur actionnaire de la société, se doit d'avoir pour DCN, qui dispose des capacités technologiques pour demeurer au premier rang des grands industriels de la construction navale.
En conclusion, je crois pouvoir résumer fidèlement la position de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en disant que c'est dans le seul souci de sortir du statu quo qu'elle a émis un avis favorable sur l'article 36, sous réserve de l'adoption d'un amendement permettant d'ouvrir le capital de la future société.
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Comment pouvez-vous, monsieur le ministre, glisser ainsi une telle réforme dans une simple loi de finances rectificative ?
En quoi le changement de statut de la DCN est-il à sa place ici, alors qu'il mériterait qu'un projet de loi lui soit entièrement consacré - vous n'aviez rien à craindre d'un débat parlementaire sur ce sujet -, comme ce fut le cas pour France Télécom et pour la SNCF, et comme ce sera le cas pour EDF, GDF et La Poste, quand un gouvernement aura, lui, le courage - que vous n'avez pas eu, pour préserver la cohésion de la majorité plurielle - de s'atteler à des réformes structurelles qui sont indispensables pour ces grandes entreprises nationales si l'on veut les armer pour l'avenir ?
En insérant la réforme du statut de la DCN dans l'article 36 de ce feuilleton fleuve de diverses mesures de tous ordres, vous faites peu de cas du personnel de la DCN, des collectivités et du Parlement, auquel vous retirez la possibilité d'examiner un véritable projet sérieux et complet. C'était pourtant son droit et son devoir.
Vous contraignez votre majorité à l'Assemblée nationale à voter toute une loi de finances rectificative, en bloc, la DCN comprise, et vous éliminez l'opposition en la privant de son droit de contrôle. En effet, juger de tout ce qui concerne une réforme d'une telle nature, des conditions qu'elle doit respecter, des conséquences qui sont multiples sur les personnels et les collectivités est strictement impossible au travers des quinze lignes que vous glissez entre deux articles de cette loi.
En outre, vous faites peu de cas du personnel, des agents, des 12 000 ouvriers d'Etat de la DCN, dont je me demande bien comment ils peuvent trouver les garanties qui les préoccupent dans cet article 36 lapidaire et silencieux sur nombre de points essentiels pour eux.
Pour un gouvernement si prompt à donner des leçons aux entreprises privées quand elles sont aux prises avec des difficultés économiques et de délicats plans sociaux, avouez que vous faites très fort !
Enfin, permettez-moi de vous dire que les collectivités locales, qui n'ont quelquefois pour seules activités économiques que celles de la DCN, restent, de votre fait, dans un brouillard total pour tout ce qui concerne les conséquences de cette réforme sur la vie économique et les finances des villes. Mon collègue Jean-François Le Grand, qui regrette de ne pouvoir être présent ce soir, en est d'accord.
Pressentant ce que vous allez me répondre, j'ajouterai ceci : oui, une réforme de la DCN est vraiement indispensable ; sa situation actuelle est mauvaise et inspire de grandes inquiétudes pour l'avenir. Mais s'il y a de lourds reproches à lui adresser en ce qui concerne sa gestion et ses orientations, ne visent-ils pas plus les responsables politiques passés, tous gouvernements confondus, que les personnels eux-mêmes ?
Cette réforme, vu son importance, mérite un projet de loi authentique, une concertation prolongée et approfondie avec les syndicats et un débat politique au Parlement. C'est ce que nous escomptions tous ; notre déception est à la mesure de cet espoir enfui.
D'autres que moi dénonceront, j'en suis sûr, et sur d'autres travées que la mienne, ce passage en force. Plusieurs d'entre nous défendront, dans quelques instants, un amendement de suppression de l'article 36, amendement qui exprime cette déception, ce mécontentement et cette inquiétude.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Après ces deux interventions, il est logique que le Gouvernement donne son interprétation de l'article 36 qui vous est soumis et en fournisse sa justification.
Cet article prévoit les dispositions législatives nécessaires, monsieur Trucy, à la transformation de la DCN en entreprise, dispositions qui sont de nature financière, puisqu'il s'agit de clore un compte spécial du Trésor - l'ancien et bien informé membre de la commission des finances que vous êtes ne peut ignorer que ces dispositions sont de nature financière et ont donc leur place dans une loi de finances -, et d'organiser le transfert des actifs et des charges financières du personnel à la nouvelle société.
Cette réforme a été annoncée par le Gouvernement le 6 juillet 2001 - il y a donc déjà cinq mois - à l'issue d'un processus de réflexion interne au sein de la DCN. Ce processus a lui-même duré plus d'un an, au cours duquel chacun a pu donner son sentiment, lequel a d'ailleurs pu, parfois, évoluer.
Au cours du premier trimestre de cette année, donc avant l'annonce du Gouvernement, j'ai donné en toute transparence et à plusieurs reprises l'ensemble des éléments d'analyse aux interlocuteurs syndicaux. Du reste, pour tenir compte de leurs observations, le Gouvernement a modifié le projet qui était proposé par le directeur des constructions navales, et ce pour renforcer les garanties sociales - j'y reviendrai - et pour préciser dans la loi - j'expliquerai pourquoi, monsieur Faure - que le capital sera détenu en totalité par l'Etat.
J'observe avec satisfaction que les orateurs précédents sont bien convenus que cette réforme devait être engagée sans délai. Il a pu être rappelé qu'elle aurait pu l'être avant, mais je constate que le gouvernement actuel est le premier à aborder le sujet en termes de décisions.
La DCN est aujourd'hui une administration de l'Etat. C'est une structure à vocation industrielle, l'un des leaders européens de l'industrie navale militaire, dont les compétences technologiques sont incontestées. L'objectif est de la faire évoluer pour qu'elle atteigne le niveau d'efficacité industrielle requis.
En créant, en 1999, un service à compétence nationale, je pensais, à l'époque, que cette étape de l'évolution de DCN permettrait de donner à l'entreprise les quatre à cinq ans nécessaires pour qu'elle atteigne le niveau de compétitivité souhaitable. Cependant, trois paramètres ont évolué plus vite que prévu.
Premièrement, cela a été dit, les difficultés administratives handicapent DCN par rapport à ses concurrents.
A titre d'exemple, DCN doit respecter un délai de plus de dix semaines pour notifier un projet de contrat à un fournisseur à l'issue des négociations, alors que ses concurrents peuvent le faire en quelques jours. Les adaptations du code des marchés publics que le Gouvernement a mises en oeuvre ne suffiront pas à placer DCN dans des conditions de fonctionnement comparables à celles de ses concurrents parce que les disciplines de base du code des marchés publics, en particulier la séparation entre les différentes affaires et l'obligation de distinguer les différents lots d'une prestation, sont profondément en contradiction avec les nécessités industrielles.
Deuxièmement, DCN a, aujourd'hui, de grosses difficultés pour recruter les compétences nouvelles qui sont nécessaires à l'entreprise, les représentants du personnel le savent bien. En effet, les candidats sélectionnés, incertains de l'avenir de l'entreprise, finalement, ne s'engagent pas.
Troisièmement, enfin, le processus de consolidation, le processus des alliances dans le secteur de la construction navale militaire en Europe a commencé. Or DCN, seule avec un statut d'administration, risque de se trouver isolée dans ce processus. Tous les autres partenaires de l'industrie navale militaire, sans aucune exception sauf précisément DCN, sont des sociétés, y compris des sociétés détenues par les Etats.
DCN, tout en respectant sa nature publique, doit pouvoir participer à des partenariats européens, ce qui justifie la formule de société. A titre d'exemple, pour le programme majeur de frégates antiaériennes Horizon réalisé en commun avec les Italiens, c'est la société Thalès qui porte juridiquement les parts françaises dans la société de programme car, n'étant pas une société, DCN n'est pas en mesure de donner les garanties d'actionnaires nécessaires pour s'engager dans un projet vis-à-vis de l'acheteur italien. Un tel montage a été rendu possible, en l'occurrence, grâce aux relations de confiance entre DCN et Thalès, mais il n'est pas satisfaisant, car il ne donne pas à DCN, qui est le pilote réel des projets, la place qui lui revient dans le jeu européen.
Rester immobile, c'est donc compromettre sérieusement l'avenir de DCN, chacun en a aujourd'hui conscience. Le Gouvernement n'a pas souhaité reporter cette réforme nécessaire, d'autant que - je réponds ici à M. Faure - le processus technique de création de l'entreprise nationale prendra environ un an, c'est-à-dire qu'il pourra aboutir à la fin de 2002, mais pas avant.
Cette réforme s'engage au moment opportun. En effet, le contexte est favorable pour le plan de charges de DCN. L'actuelle loi de programmation militaire et le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008 donnent à DCN des perspectives importantes. Ainsi, la commande du quatrième sous-marin nucléaire lance-engins de nouvelle génération a été passée ; le programme de sous-marin d'attaque futur est maintenant lancé ; les frégates Horizon ont fait l'objet d'une première commande ainsi que deux nouveaux TCD, ou transports de chalands de débarquement ; quant au lancement du programme de renouvellement de nos frégates multimissions, il est maintenant proche.
Le changement de statut se fait, par ailleurs, à l'issue d'un processus de réorganisation industrielle engagé voilà quatre ans, à la suite des rapports évoqués par M. Trucy. Donc, à ceux qui, notamment en commission, se demandaient si cette réforme n'arrivait pas trop tard, je crois pouvoir répondre par la négative : les quatre dernières années ont permis à DCN de mener sa réorganisation industrielle. Nous pouvons ainsi penser - je réponds à l'une des questions de M. Faure - que l'entreprise atteindra la rentabilité d'ici à deux ou trois ans. C'est ce que nous prévoyons dans le contrat d'entreprise.
Tous ces éléments montrent bien, comme le disait M. Faure, que nous sommes dans un contexte très différent de celui de GIAT Industries, en 1990. GIAT Industries a, en effet, changé de statut de façon beaucoup plus soudaine, sans préparation préalable, et son marché a dramatiquement chuté au cours de la décennie passée.
Nous comptons donc donner à DCN les moyens d'atteindre ses objectifs et de répondre à l'ambition commune à tous ici d'en faire un acteur majeur, en Europe du secteur naval militaire.
Pour accompagner cette évolution importante et ambitieuse durant une phase transitoire de l'ordre de cinq ans environ, un contrat d'entreprise pluriannuel sera conclu entre l'entreprise nationale et l'Etat, ce qui donnera à DCN les moyens d'atteindre ses objectifs d'efficacité industrielle et de développement.
Ce contrat présentera les objectifs partagés par l'Etat et l'entreprise pour ce qui concerne, notamment, les produits, les métiers, les compétences de DCN, les perspectives de chiffre d'affaires, de productivité et de résultat. Il précisera, en particulier, le contenu du plan industriel de l'entreprise nationale, notamment en matière d'investissement, de recrutement et de formation. Il donnera ainsi à l'entreprise nationale des garanties de plan de charges. Ce contrat d'entreprise sera décliné site par site.
DCN disposera donc des moyens financiers et contractuels nécessaires à son bon fonctionnement, notamment, monsieur Jean Faure, en ce qui concerne le niveau de ses fonds propres.
J'ai bien noté le souhait de nombreux sénateurs, exprimé en commission, que soit formalisé cet engagement conjoint de l'Etat et de la future entreprise. Tel est l'objectif de ce contrat d'entreprise dont la portée a été précisée par vos collègues de l'Assemblée nationale.
Il est aussi prévu, en raison de l'intérêt des parlementaires pour l'évolution de cette entreprise, qu'un rapport annuel sur les perspectives d'activité et le niveau des fonds propres de DCN pendant la durée d'exécution du contrat vous soit présenté.
S'agissant du volet social de la réforme, le Gouvernement a annoncé, le 6 juillet 2001, que le statut des personnels serait maintenu. Le projet d'article qui vous est proposé prévoit, et de manière tout à fait précise, monsieur Trucy, les dispositions législatives nécessaires, étant entendu que nombre des dispositions relatives à la situation des personnels sont déjà dans les textes, notamment dans le statut général des fonctionnaires, d'une part, dans le statut des militaires, d'autre part, et que les personnels qui ne relèvent pas de ces deux catégories, en particulier les ouvriers d'Etat, feront l'objet d'un décret spécifique, dont une première version a été remise, il y a quelques jours, aux organisations syndicales pour concertation.
S'agissant des 12 000 ouvriers d'Etat que DCN emploie, le projet de loi prévoit qu'ils conserveront le bénéfice de leur statut en étant mis à la disposition de l'entreprise nationale, pour la durée restant à courir jusqu'à la fin de leur carrière. Cela veut dire, concrètement, que les ouvriers d'Etat, chefs d'équipes et techniciens à statut ouvrier continueront, exactement comme aujourd'hui, à être administrés dans les conditions prévues par leur statut. Cela s'appliquera notamment en matière de salaires, primes et indemnités, de droits à l'avancement, d'accidents du travail et de conditions de cessation progressive d'activité. Les salaires continueront à être payés par l'Etat, avec remboursement par la société. La mise à la disposition assure donc de façon absolue la continuité de leur statut.
S'agissant des fonctionnaires et des militaires, s'ils décident de poursuivre leur carrière au sein de DCN, la société leur fera une proposition de contrat de travail à durée indéterminée dans le cadre d'un détachement. Ce régime, prévu par le statut général des fonctionnaires, d'une part, et par le statut des militaires, d'autre part, permet à chacun de conserver son statut. Comme le régime général le prévoit, le détachement est renouvelable, sans limitation de durée.
En ce qui concerne, enfin, les personnels contractuels, s'ils décident, à l'issue du délai d'option, de poursuivre leur carrière au sein de DCN, la société leur proposera un contrat de travail à durée indéterminée. Ils pourront alors, bien entendu, bénéficier d'un congé pour convenances personnelles dans leur emploi antérieur. Après le délai d'option, ils pourront aussi bénéficier, pendant une période de cinq ans à compter de leur recrutement par la société, de la possibilité d'occuper un emploi vacant au sein du ministère de la défense.
La société sera détenue en totalité par l'Etat, ce qui implique que l'Etat en assure intégralement le contrôle. Cela se justifie, mesdames, messieurs les sénateurs, par le rôle particulier de DCN s'agissant d'objectifs de souveraineté et d'intérêts majeurs de l'Etat.
Il sera possible de créer des filiales pour commercialiser de nouveaux produits ou programmes en commun avec des partenaires européens. Les filiales n'ont pas pour objet - c'est pourquoi, d'ailleurs, nous nous plaçons dans le cadre général de la loi sur le secteur public - de découper DCN en secteurs, et moins encore d'organiser une privatisation déguisée de l'entreprise. La cohérence de DCN sera, au contraire, renforcée par rapport à la situation actuelle, puisque l'ensemble de ses filiales seront en sa possession.
Les salariés de DCN sont, en majorité, convaincus de la nécessité d'évoluer. Leurs représentants l'ont clairement dit, même si, depuis le début du processus de concertation, il y a un an, ils ont continué à soulever des objections à cette réforme.
Les salariés connaissent les intentions du Gouvernement et le contenu détaillé du projet que nous proposons. Ils attendent de savoir si ce projet est soutenu par le Parlement. Cela a été le cas à l'Assemblée nationale. Si tel est le cas au Sénat, j'ai la conviction qu'une fois cette étape franchie les partenaires de l'entreprise, en interne et en externe, se mobiliseront pour atteindre les objectifs industriels ambitieux que nous leur fixons ensemble aujourd'hui.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par MM. Falco et Trucy.
L'amendement n° 43 rectifié est présenté par MM. Le Cam et Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 36. »
L'amendement n° 25, présenté par M. Faure, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :
« A la fin de la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 36, remplacer les mots : "dont le capital est détenu en totalité par l'Etat" par les mots : "dont le capital est détenu en majorité par l'Etat". »
La parole est à M. Falco, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Hubert Falco. Cet amendement a pour objet de proposer la suppression de l'article 36, qui n'a pas sa place dans un projet de loi de finances rectificative. Cet article n'est-il pas tout simplement un cavalier, monsieur le ministre ? Je me pose la question.
Si chacun s'accorde à reconnaître la nécessité de l'évolution de la DCN, les conditions de ce changement méritent un autre débat que celui qui nous est proposé ici, au détour d'un article d'un projet de loi de finances rectificative, discuté à la hâte, à la fin du mois de décembre, dans les conditions de précipitation que nous connaissons.
La France possède, en matière d'armement, une technologie et un savoir-faire que le monde lui envie. Nous arrivons à un tournant économique où des choix sont à faire. Notre outil de défense doit se moderniser et devenir compétitif sur le marché international, tout le monde en convient.
L'évolution de DCN doit s'inscrire dans cette perspective de modernisation de notre défense et d'adéquation de nos moyens militaires aux nouveaux dangers qui peuvent menacer.
Dans la période troublée que le monde occidental traverse, il est plus que jamais important de réfléchir au positionnement militaire de la France sur l'échiquier international et aux moyens que notre pays peut mettre en oeuvre pour renforcer sa présence à l'occasion de conflits régionaux.
Dans ce contexte, les moyens de notre marine nationale doivent être à la hauteur de nos ambitions.
L'avenir de DCN ne peut donc pas être dissocié de cette réflexion globale et de l'ambition que nous avons pour notre pays en matière de défense.
L'enjeu de cette mutation est aussi humain : 15 000 familles sont concernées par ce changement. Le manque de lisibilité qui caractérise l'avenir de leur industrie, indissociable des objectifs de défense voulus par l'Etat, les inquiète très justement.
Au-delà de l'évolution de DCN, administration en passe de devenir vers une société dont le capital sera détenu en totalité par l'Etat, si l'Etat ne donne pas un signe fort de renforcement des moyens logistiques de la marine nationale, aujourd'hui client quasiment unique de DCN, les inquiétudes des 15 000 familles concernées ne pourront être dissipées.
Or, monsieur le ministre, vous venez de ponctionner les crédits d'investissement qui sont octroyés à l'équipement militaire pour financer les nouvelles dépenses de fonctionnement liées à l'augmentation des indemnités des gendarmes.
Ce mode généralisé de gouvernement n'est pas de nature à rassurer les salariés de DCN sur les engagements éventuels que l'Etat a pris en matière d'investissement pour l'entretien et la modernisation de notre flotte.
L'avenir de DCN ne peut pas être dissocié, comme il est proposé aujourd'hui à travers cet article, de cette réflexion stratégique et de l'ambition affichée de notre pays pour sa marine nationale et pour sa défense.
Face à ces enjeux considérables, un véritable débat national aurait pu et aurait dû être organisé.
Pour ces motifs, je vous propose de supprimer l'article 36 qui, encore une fois, n'a pas sa place dans un collectif budgétaire.
M. le président. La parole est à Mme Luc, pour présenter l'amendement n° 43 rectifié.
Mme Hélène Luc. J'ai déjà eu l'occasion de dire, lors de la discussion du budget de la défense, ce que nous pensions de ce projet de transformation de la DCN en société anonyme. Tous les personnels et les syndicats unanimes ont refusé cette solution ; les élus communistes aussi. C'était dans un premier temps.
Monsieur le ministre de la défense, vous avez avancé l'idée d'une entreprise nationale détenue entièrement par l'Etat et vous avez annoncé une large consultation de tous les intéressés, les syndicats en particulier.
Leur volonté de concertation ne signifie pas, et j'insiste sur ce point, qu'ils veulent le statu quo. On peut appartenir à une société nationale et vouloir améliorer le service public. C'est le cas des salariés de la DCN ; mais ils refusent que la modification du statut de cette dernière se fasse dans la précipitation, sans que tout le processus nécessaire à la concertation se soit déroulé. Je dis bien « tout » le processus : la concertation a commencé, mais elle n'est pas terminée.
La modification du statut de la DCN appelle par ailleurs une réelle discussion sur les orientations stratégiques et sur les choix tant industriels que financiers. Or le projet de loi de finances rectificative pour 2001 ne fournit pas le cadre adéquat pour mener à bien une telle discussion. Nous contestons donc à nouveau la méthode employée : on court-circuite le processus démocratique en imposant de cette manière une transformation radicale de la DCN.
Compte tenu des enjeux que représente cette transformation, l'inscription à l'ordre du jour du Parlement d'un projet de loi spécifique nous paraîtrait plus appropriée, et c'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à supprimer l'article 36.
Les 15 000 salariés directement concernés sont très inquiets quant à l'avenir de leur industrie, et ils ont plusieurs fois manifesté leur mécontentement quant au contenu du projet de réforme. Deux mouvements ont eu lieu, et je crois savoir qu'il y en aura encore un demain.
Je le redis, car il faut que ce soit clair : les salariés ne sont pas hostiles à l'évolution de leur entreprise, mais ils souhaitent que leur avis, leurs réflexions et les propositions qu'ils ont élaborées en concertation avec leurs organisations syndicales soient, d'une manière ou d'une autre, pris en compte.
Depuis plus d'une décennie, ce secteur d'activité est en pleine restructuration à l'échelle européenne. Il faut développer les coopérations avec d'autres industriels français et européens. Très concrètement, monsieur le ministre, où en est l'alliance entre la Direction des constructions navales et Thalès en vue de la mise en place de la société commune SSDN ? J'espère que vous répondrez à cette question, car M. Floch, qui vous remplaçait le soir de l'examen du budget de la défense, n'y a pas répondu !
Le changement de statut ne rendra pas à lui seul notre industrie d'armement plus efficace, et, s'il n'emporte pas l'adhésion des personnels, il ne permettra pas de mieux faire participer ces derniers.
La France doit réorienter ses choix dans le cadre d'une politique de sécurité et de défense sur le plan européen. C'est d'autant plus nécessaire du fait - je l'ai dit lors de l'examen du budget - de la suppression du service national, que nous avons d'ailleurs largement désapprouvée, et au vu des évolutions récentes et des défits nouveaux auxquels nous sommes confrontés en ce début de xxie siècle.
Hélas ! nous n'avons pas une très bonne visibilité quant aux ambitions de la future DCN et quant aux coopérations et alliances qu'elle pourrait nouer avec d'autres partenaires, français et européens. Nous nous en inquiétons d'autant plus que l'on a tendance aujourd'hui à vider la notion de compétitivité de sa dimension sociale pour se focaliser sur les seuls coûts, avec, à la clé, des réductions d'emplois et une remise en cause du statut des personnels.
Jusqu'à présent, la majorité sénatoriale semblait prête à s'engouffrer dans cette voie antidémocratique, mais elle vient de présenter un autre amendement afin que le capital soit non pas entièrement, mais en majorité détenu par l'Etat. Il faudrait cependant davantage de temps pour le discuter, et c'est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, après mon ami Jean-Claude Sandrier à l'Assemblée nationale, d'accepter la suppression de l'article 36, car c'est d'un projet de loi qu'il nous faut débattre.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 25.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Dans notre critique sur l'article 36, nous rejoignons sur un certain nombre de points l'analyse de MM. François Trucy et Hubert Falco. Mais tant de temps s'est écoulé depuis que notre commission se penche sur ce dossier et tente d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de faire évoluer DCN que nous avons une autre perception des choses : nous sommes critiquées non seulement quant à la façon d'aborder le problème mais aussi quant à la lenteur de la mise en oeuvre. L'amendement n° 25 doit ainsi être compris comme une tentative d'accélérer l'évolution de DCN.
Cet amendement, qui prévoit que le capital de la future société sera détenu en majorité, et non pas en totalité, par l'Etat, a fait l'objet d'un débat approfondi au sein de la commission de la défense. Celle-ci a en effet estimé qu'il y avait une certaine contradiction entre les objectifs de la réforme, qui vise en particulier, comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi, à permettre à DCN de prendre toute sa place dans les regroupements européens en cours dans la construction navale militaire, et le principe de la détention de 100 % du capital par l'Etat.
D'ailleurs, dans mon rapport, je demandais comment DCN pourrait trouver sa place dans l'industrie européenne de demain si elle demeurait une société détenue à 100 % par l'Etat français, toute ouverture de capital exigeant dès lors une modification législative. Pour nouer de véritables alliances et partenariats industriels comme pour garantir sa place sur le marché mondial, DCN devrait au contraire pouvoir procéder avec d'autres groupes à des prises de participations croisées.
De surcroît, l'effet d'affichage nous semble totalement dissuasif à l'égard des partenaires potentiels, ce qui contribue à maintenir l'isolement de DCN.
Dans le secteur militaire, tout comme dans l'ensemble de l'industrie, les alliances et les groupements passent nécessairement par des participations croisées de capital. On ne voit guère comment DCN pourrait prétendre jouer sa carte si le législateur « verrouille » 100 % de son capital.
Notre amendement prévoit donc de permettre une éventuelle ouverture de capital postérieurement à la constitution de la société, l'Etat demeurant majoritaire.
C'est une faculté que nous laissons à l'Etat pour adapter au mieux DCN à l'évolution de l'industrie européenne de la construction navale militaire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1, 43 rectifié et 25 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La question que nous examinons est au nombre de celles qui font appel à notre sens des responsabilités.
Il s'agit de maîtriser, autant que faire se peut, l'avenir d'un service de l'Etat peut-être appelé à devenir une entreprise sur des marchés compétitifs.
Première considération, l'article 36 a-t-il ou non sa place dans le cadre d'une loi de finances ?
Plusieurs raisons imposent de répondre à cette question par l'affirmative.
En premier lieu, il s'agit de clôturer un compte de commerce.
En deuxième lieu, il s'agit de préciser que les apports effectués à la nouvelle société ne donneront lieu ni à une indemnité ni à la perception de droits ou de taxes, cette précision étant bien de nature fiscale.
En troisième lieu, un contrat doit intervenir pour fixer les relations financières de la nouvelle entreprise avec l'Etat. Nous sommes bien là au coeur d'une problématique financière.
En quatrième lieu, les agents, ouvriers d'Etat, fonctionnaires, militaires doivent être mis à la disposition de la nouvelle entité, un décret en Conseil d'Etat devant intervenir pour fixer les modalités financières de cette mise à disposition. Cet élément de nature financière et organisationnelle trouve, lui aussi, sa place dans une loi de finances.
En dernier lieu, un ajout de l'Assemblée nationale prévoit que l'entreprise sera assujettie - et ici je m'adresse en particulier au maire de Toulon -, aux impôts directs locaux dans les conditions du droit commun. C'est encore une disposition qui ne peut figurer que dans une loi de finances.
Cependant, monsieur le ministre, cette loi de finances, fallait-il que ce soit le collectif budgétaire de fin d'année ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ce n'est pas sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas sûr, en effet, mais il ne s'agit pas pour autant d'une impossibilité,...
M. Alain Richard, ministre de la défense. Cela aurait pu être une loi de finances pour 1996 !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... même si nous sommes en droit de nous étonner que cet article 36 trouve place dans l'inventaire à la Prévert qu'est le collectif budgétaire, ce qui nous vaut d'ailleurs le plaisir de la visite du ministre de la défense au milieu de notre discussion.
M. Michel Charasse. Ancien sénateur de surcroît !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais aussi ancien rapporteur général de l'Assemblée nationale et orfèvre en procédure budgétaire !
Ce même article nous vaut aussi la présence d'un grand nombre de nos collègues, et il est vrai qu'il s'agit d'une disposition substantielle qui commande l'avenir et dont il est normal que l'introduction dans un collectif budgétaire fasse réagir certains.
Sur le fond des choses, j'ai rappelé dans le rapport écrit les appréciations très récentes - elles ont été publiées en octobre 2001 - de la Cour des comptes. Rarement rapport a été aussi critique sur un service de l'Etat que celui de cette dernière ! Il suffira que je cite pour vous en convaincre les têtes de chapitre et les intitulés des paragraphes de la partie de celui-ci qui s'intitule : « Un secteur longtemps peu efficace et qui doit encore réussir la modernisation de sa gestion » :
« A. - Un mode de gestion étatique inadapté.
« 1. Une gestion budgétaire hors de contrôle.
« a. L'absence de contrôle budgétaire préalable.
« b. Les dérives budgétaires à grande échelle et sans sanctions.
« 2. Des comptes irréguliers et dépourvus de signification économique.
« 3. Des systèmes informatiques inexistants ou obsolètes.
« 4. Des achats conduits sous la seule pression de l'urgence au mépris des règles.
« 5. Une gestion difficile des personnels affectés à la DCN.
« 6. Une faible productivité témoignant d'un important sureffectif.
« 7. Un encadrement insuffisant.
« B. - La modernisation de la gestion reste inachevée. »
Je m'arrête là...
Monsieur le ministre, oui, en effet, il y a urgence. L'article 36 n'est pas, de mon point de vue, une disposition précipitée. C'est au contraire une disposition déjà tardive, car, dans un monde plein d'incertitudes et dans un contexte sans doute difficile, conflictuel et semé d'embûches, l'oeuvre que l'on s'efforce d'accomplir est extrêmement délicate et incertaine. Il faut en avoir conscience.
Il y a toutefois une certitude, mes chers collègues : si DCN conserve son statut actuel, nous pouvons être assurés qu'elle ne comptera plus parmi les producteurs européens de matériel naval militaire, car elle sera progressivement évincée de tout, « progressivement » pouvant signifier « assez rapidement ».
L'effort qui pourra être poursuivi au prix d'une évolution du statut est difficile à accomplir. Le succès ne sera pas nécessairement au rendez-vous, mais, si l'étape de la modification du statut juridique n'est pas suffisante pour connaître le succès, elle est néanmoins indispensable.
Ce n'est pas pour autant la création de la société qui garantira sa viabilité économique, nous devons tous en être conscients.
Il faudra définir, dans le processus de constitution de la société, le contour exact des biens, des immobilisations et des droits à apporter. Cela ne pourra se faire qu'au prix d'un long et patient travail - dès lors, autant en effet le commencer au plus tôt, monsieur le ministre.
S'agissant du bilan que cette nouvelle société sera en mesure d'offrir, tout reste à concevoir. Sans doute a-t-on une idée de quelques équilibres économiques, mais le sujet est technique, ardu, complexe, et il nécessitera beaucoup de professionnalisme.
Il est normal que la transformation de DCN puisse susciter la crainte des partenaires sociaux, notamment du personnel. Pourtant, celui-ci me semble, par rapport aux précédents de l'Imprimerie nationale ou du GIAT,...
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... traité d'une manière qui devrait être de nature à réduire les incertitudes. On donne une totale visibilité aux ouvriers de l'Etat en les assurant du maintien de leur statut jusqu'à la fin de leur carrière.
Je le répète : tout cela nécessitera beaucoup de travail. Il va également falloir, et peut-être est-ce l'essentiel, convaincre les clients de DCN, appelés à engendrer un chiffre d'affaires grâce à la commande des matériels concernés.
Je songe, en premier lieu, à la confiance de la marine nationale, qui peut craindre que le nouveau statut n'ait surtout pour effet, dans l'immédiat, de grever ses acquisitions de matériels du poids d'une charge fiscale nouvelle : la TVA. La Marine nationale est également inquiète des dérives de la programmation militaire, de l'évolution de son titre V. Elle est sans doute inquiète des perspectives qui sont susceptibles d'être tracées dans la prochaine programmation militaire. A cet égard, monsieur le ministre, on ne pourra empêcher que, dans l'esprit des responsables qui passeront commande à DCN, beaucoup de choses soient liées. Il faudra les convaincre que les efforts d'organisation, de meilleure productivité, de compétitivité seront faits dans l'intérêt des clients, et d'abord dans l'intérêt du client Marine nationale.
Par ailleurs, il y a, bien sûr, la position que cette entreprise est susceptible de prendre sur les différents marchés. Monsieur le ministre, vous nous l'avez dit, beaucoup de grandes manoeuvres s'opèrent sur le terrain de la construction navale militaire en Europe. Des alliances s'esquissent, des prises de commande vont devoir intervenir de façon de plus en plus compétitive. Pour les « décrocher », le statut d'arsenal d'Etat n'est évidemment plus un statut qui favorise des résultats très positifs.
Tout cela conduit, bien entendu, mes chers collègues, au rejet des amendements qui nieraient la nécessité et l'urgence de l'évolution. La commission se doit de rappeler qu'elle a émis un avis défavorable sur les amendements n°s 1 et 43 rectifié. Elle a bien noté que les préoccupations exprimées par leurs auteurs, même si momentanément elles se traduisent par le même amendement de suppression, n'ont pas grand-chose en commun.
L'amendement n° 25, présenté par M. Jean Faure, au nom de la commission des affaires étrangères, traduit parfaitement nos convictions. On ne peut s'arrêter en chemin. Vouloir figer la détention du capital de DCN à 100 % par l'Etat n'est sans doute pas conforme aux exigences de la vie industrielle et financière. Pour autant, il appartient au pouvoir exécutif, aux responsables de l'entreprise de mesurer leurs marges de manoeuvre dans le contexte actuel. La détention du capital à 100 % est un verrou qu'une loi - à la vérité, peut-être un article dans un collectif budgétaire, monsieur le ministre - pourra un jour supprimer dans les mêmes conditions. L'amendement de nos collègues est donc économiquement justifié. Si je ne m'abuse, il se rapproche des propositions initiales que la direction de l'entreprise a formulées dans son plan Azur. Peut-être est-il effectivement préférable de développer pour l'avenir de l'entreprise une vision suffisamment large et pérenne, qui ne donne pas aux partenaires sociaux le sentiment que, petit à petit, on leur fait accepter ce qui ne semble pas entrer au départ dans leur système de pensée. S'agissant de cet amendement, la commission a décidé, après avoir entendu l'avis du Gouvernement - vous l'avez en effet donné dans votre déclaration liminaire, monsieur le ministre - de s'en remettre à la sagesse de notre assemblée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1, 43 rectifié et 25 ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. En ce qui concerne la première question, qui est posée à la fois par l'amendement de M. Falco et, d'une autre façon, par l'amendement de Mme Luc, la position du Gouvernement est évidemment qu'il faut en débattre et qu'il faut prendre une décision.
S'agissant de la critique qui nous est adressée par M. Falco, à savoir le fait de recourir à un article de loi de finances, le rapporteur général a rappelé ce qu'il convient de faire du point de vue tant de la forme que du respect des règles. C'est si on recourait à un projet de loi ordinaire que nous aurions un sérieux problème, car il faudrait alors faire un deuxième projet pour les dispositions qui ne peuvent être inscrites qu'en loi de finances. En effet, on ne peut pas décider par simple commodité ou opportunité de ce qui relève de la loi ordinaire et de ce qui ressortit à la loi de finances. Sur ce point-là au moins, je souhaiterais que M. Falco se laisse convaincre que c'est bien aujourd'hui et dans le cadre d'un projet de loi de finances que le Sénat doit délibérer, comme l'Assemblée nationale l'a fait.
En ce qui concerne les observations de Mme Luc, je comprends l'aspiration de cette dernière à une concertation encore plus poussée mais, très honnêtement, cette discussion a lieu depuis des années au sein de DCN. Sous diverses formes et à plusieurs étapes, les partenaires sociaux ont été amenés à se pencher sur le choix d'organisation qui préserve le mieux l'avenir de DCN. Ce qui est très frappant, c'est que cette discussion n'a pas été vaine. En effet, elle a abouti à faire dire, par des dirigeants syndicaux - et c'était tout à fait nouveau - qu'ils n'étaient pas favorables au statu quo . Qu'est-ce qui les a conduits à cela, alors que le caractère sécurisant de l'appartenance de DCN aux services de l'Etat, avec les statuts de personnels tels qu'ils sont, aurait dû les conduire - et les a conduits, pendant des dizaines d'années - à souhaiter le statu quo ? Ce qui les a fait changer d'avis, c'est la certitude que l'outil DCN tel qu'il est construit, tel qu'il est forgé, disparaîtra de la compétition au niveau technique le plus élevé dans les dix à quinze ans à venir. C'est méritoire, de la part des responsables des organisations syndicales au sein de DCN, d'avoir accepté au moins d'entrer dans cette discussion pour dire : notre outil doit évoluer, non seulement pour ceux qui sont au travail à l'heure actuelle, mais également pour ceux qui viendront ensuite.
Ensuite, on en vient aux actes. Le Gouvernement qui est devant vous a travaillé sur ce dossier pendant des années, et il a fait évoluer les esprits.
Il constate un état de l'industrie navale militaire en Europe et il a la conviction que, si on attend encore, d'autres occasions seront manquées. On a déjà le plus grand mal - je l'expliquais tout à l'heure - à faire passer un accord entre la société italienne, qui a les capacités techniques de fabriquer des navires militaires, et DCN, qui est une administration, pour construire en commun une nouvelle génération de frégates antiaériennes.
Je réponds de façon précise à Mme Luc : pour faire une société commune entre Thalès et DCN, alors que DCN n'est pas une société, c'est en effet la quadrature du cercle ; on se trouve dans une situation déséquilibrée où DCN n'arrive pas à être actionnaire d'une société commune qu'elle crée avec, pourtant, des intérêts communs extrêmement forts avec Thalès, tout simplement parce que DCN n'a pas la personnalité morale et que seul l'Etat peut être cet actionnaire. Les dirigeants de DCN n'ont aucune prise sur une filiale commune avec l'entreprise française de haut niveau avec laquelle ils ont le plus de liens techniques et de liens d'intérêt. Donc, il faut franchir ce pas.
Quant à la demande de la commission des affaires étrangères visant à scinder le capital de DCN entre l'Etat et d'autres actionnaires, le Gouvernement est obligé de s'y opposer, pour deux raisons.
La première : il n'est pas conforme à la réalité de dire que seules l'ouverture de capital et les participations croisées permettent de bonnes alliances industrielles. De multiples exemples montrent le contraire. L'exemple le plus frappant, peut-être parce qu'il est dans un secteur voisin et que nous le voyons évoluer depuis trente ans, c'est la SNPE, la société nationale des poudres et explosifs. Cet établissement a été érigé en société nationale en 1971 et, en trente ans, il a très profondément évolué dans ses techniques, dans sa compétitivité et dans son champ d'activité. En effet, aujourd'hui la majorité du chiffre d'affaires de la SNPE est réalisé dans le domaine civil : plus de 60 % de son chiffre d'affaires concerne la chimie fine et pharmaceutique. La SNPE est toujours une société dont le capital est détenu à 100 % par l'Etat, et elle a conclu des alliances très variées et souvent très profitables avec des partenaires privés. L'essentiel est que ce soit une société de forme commerciale.
La seconde raison, je ne le dissimule pas, c'est que l'engagement a été pris par le Gouvernement vis-à-vis des partenaires sociaux d'en rester à un contrôle à 100 % par l'Etat, ce qui confirme bien, madame Luc, que les partenaires sociaux ne sont pas restés inactifs dans ce débat. Deux changements essentiels ont été apportés par rapport au premier projet dans le projet qui vous est proposé par le Gouvernement : d'une part, l'affirmation, dans la loi, de la détention du capital à 100 % par l'Etat ; d'autre part, le maintien du statut pour toute la durée de la vie professionnelle, et non pour une durée limitée, à tous les personnels qui sont aujourd'hui les agents de DCN. S'il n'y avait pas eu de concertation, le Gouvernement n'aurait sans doute pas pris ces dispositions-là.
Il faut maintenant que le Sénat prenne sa position - naturellement, le Gouvernement s'inclinera devant celle-ci - et, ensuite, la navette se poursuivra. Cependant, je crois, avec des motifs qui sont en partie ceux qui ont été très judicieusement exposés par M. le rapporteur général, en partie avec la problématique propre du Gouvernement, que le moment est venu de décider. Le projet de réforme qui est proposé par le Gouvernement est un projet progressiste, parce qu'il fait évoluer l'outil et, en même temps, maintient les sécurités et les droits essentiels des travailleurs. S'en tenir à des critiques de forme pour retarder encore la décision serait, je crois, faire courir un risque indu à cette industrie et à l'intérêt général qui s'y attache ainsi qu'aux personnels concernés.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 1 et 43 rectifié.
M. Jean-Pierre Masseret. Je demande la parole contre ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Si vous me le permettez, monsieur le président, je m'exprimerai même contre les trois amendements en discussion.
S'agissant des deux amendements de suppression, M. le ministre vient de réitérer la position du Gouvernement en développant des arguments très précis.
Premier argument : à l'évidence, la réforme de DCN s'impose, compte tenu de tout ce que l'on sait sur l'activité des chantiers navals français. Il est nécessaire qu'une évolution soit réalisée non seulement en termes d'efficacité économique et industrielle mais aussi pour protéger les intérêts des contribuables qui, finalement assument le coût final. Il n'est pas possible d'ignorer cet aspect.
M. Michel Charasse. Notre défense !
M. Jean-Pierre Masseret. Notre défense ensuite. Il faut d'abord réformer DCN.
Deuxième argument : il faut prendre en compte l'intérêt national de notre instrument de défense.
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Jean-Pierre Masseret. Il est évident que nous avons besoin d'une entreprise comme DCN pour assurer notre indépendance nationale et la prise en compte de nos intérêts vitaux. Mais encore faut-il que l'entreprise existe demain et, pour ce faire, elle doit se transformer aujourd'hui.
Troisième argument avancé par M. le ministre lui-même : si cette entreprise nationale existe, si elle est performante et efficace et si elle produit ce que l'on attend d'elle, elle a toute sa place dans le cadre de la défense européenne. Nous sommes ici véritablement au coeur du débat actuel.
Le quatrième argument avancé par le ministre, qui devrait en tout cas rassurer mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, c'est la situation des personnels. Toutes les garanties ont été données pour sauvegarder l'intérêt des personnels.
Cela me conduit à dire que le groupe socialiste, à l'exception de l'un de ses membres, est en phase avec le Gouvernement et qu'il votera contre les amendements identiques n°s 1 et 43 rectifié. Les arguments developpés par leurs auteurs sont contradictoires. En effet, les uns nous reprochent d'aller trop vite et les autres de ne pas aller assez vite.
Par ailleurs, nous voterons contre l'amendement n° 25, tout simplement parce que l'effort qui est déjà demandé aux personnels pour passer d'une situation à une autre situation requiert de leur part une certaine compréhension.
Il y a là tout un aspect psychologique qu'il faut absolument prendre en compte, et nous ne devons donc pas aller au-delà de ce qui est proposé, comme le suggère M. Faure. En effet, l'amendement n° 25, s'il était adopté, déstabiliserait les accords qui ont été conclus, et serait donc contreproductif.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. S'agissant de la concertation, je vous ai bien écouté, monsieur le ministre.
Vous avez déclaré que l'article 36 avait bien sa place dans la loi de finances rectificative. Vous ne nous empêcherez pas, malgré tout, de nous demander ce qui motive cette précipitation de la part du Gouvernement.
Vous savez bien, monsieur le ministre, que l'immense majorité du personnel s'oppose au changement de statut de la direction des constructions navales et à sa transformation en entreprise de droit privé, comme l'a montré avec vigueur la journée de grève du 12 novembre dernier, suivie à 90 % et marquée par des manifestations importantes !
Monsieur le ministre, le Gouvernement tente visiblement de court-circuiter un débat dans l'entreprise. Mais vous sentez bien que vous vous heurtez à des forces très défavorables aux positions gouvernementales ! De même, vous essayez d'esquiver un débat national sur l'enjeu fondamental de la transformation du statut de la DCN. En effet, deux visions de l'avenir de cette entreprise s'opposent. Or la nation entière est concernée dans cette affaire !
La DCN doit-elle demeurer un outil industriel national performant d'armement répondant aux besoins de la Marine nationale en ce qui concerne la conception, la réalisation et l'entretien des systèmes et équipements navals indispensables à notre défense nationale ? La DCN doit-elle, au contraire, devenir une entreprise comme une autre - comme nous le propose notre collègue Jean Faure - dont la vocation serait d'engranger le maximum de profits sur le marché concurrentiel mondial des ventes d'armes ? En d'autres termes, doit-elle devenir un marchand de canons ?
C'est clairement ce dernier choix qu'a retenu le Gouvernement et que prépare activement la direction de la DCN depuis plusieurs années. C'est dans cette perspective, en effet, que des milliers de postes ont déjà été supprimés et que, dernièrement, en 2000, la DCN est sortie du giron de la direction générale de l'armement.
Nous assistons aujourd'hui à une nouvelle étape du même processus qui conduit au démantèlement de la mission de service public de la DCN et à sa privatisation, sinon à son démantèlement tout court.
Le maintien annoncé par le Gouvernement de la propriété d'Etat est, à mon avis, un leurre : les fusions prévues avec des partenaires privés étrangers se feront par participations croisées et échange de capital, c'est-à-dire par une privatisation partielle de la future DCN, préludant à sa privatisation totale et à son passage probable sous contrôle étranger.
La direction de la DCN et le Gouvernement, relayé ici - et c'est significatif - par la majorité sénatoriale, s'évertuent à montrer que le changement de statut et l'insertion dans le marché mondial seraient inéluctables, et même indispensables à la survie de l'entreprise. Rien n'est plus faux, et moins étayé !
Tout le monde reconnaît, tout d'abord, le niveau d'excellence des productions de la DCN. C'est bien une preuve que le statut actuel n'a pas été un handicap technologique, bien au contraire !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas elle qui a construit le Charles-de-Gaulle ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le carnet de commandes est rempli jusqu'en 2005, et les experts s'accordent à penser que la Marine nationale devra renouveler 80 % de sa flotte d'ici à dix ans.
Les difficultés actuelles que le Gouvernement et la direction mettent en avant sont, selon moi, factices et résultent de leurs propres choix, qu'il s'agisse du retard dans le renouvellement de la flotte, des programmes d'exportation déjà largement déficitaires et, surtout, des coupes claires dans le potentiel humain, avec 14 000 suppressions de postes depuis dix ans. A ce titre, la réouverture des écoles de la DCN est une nécessité impérieuse pour le maintien du savoir-faire.
Par ailleurs, le Gouvernement n'a pas aménagé, comme il s'y était engagé, l'application du code des marchés publics pour la DCN.
Enfin, si des coopérations peuvent se révéler fructueuses à terme, pourquoi les imaginer exclusivement avec des groupes privés étrangers et ne pas réfléchir à un pôle public des industries d'armement ?
On le voit bien, le choix du Gouvernement a d'autres motivations. J'en vois deux principales après vous avoir entendu, monsieur le ministre : d'une part, faire passer un espace de profit potentiel très important sous l'emprise du capital privé et des marchés financiers, comme pour tous les processus de privatisation engagés ; d'autre part, s'inscrire dans les choix européens de la politique extérieure de sécurité commune, la PESC, définie dans le traité d'Amsterdam, qui tourne le dos à l'idée même de défense nationale. Elle constitue une menace non seulement pour l'emploi, en particulier pour l'emploi stable - le statut des travailleurs de l'Etat est un gage de la stabilité des compétences au service du pays et non pas un coût - et pour l'avenir de sites industriels entiers, mais aussi pour la maîtrise nationale des technologies navales et pour la défense nationale.
Pour notre part, nous refusons que les armes soient une marchandise comme les autres. Mes chers collègues, permettez moi de penser que l'actualité devrait réveiller votre attention et votre attachement à l'intérêt du pays ! Je suis certaine, si ce n'est pas le cas, que l'opinion publique de notre pays y sera beaucoup plus sensible.
Est-il opportun que la DCN exporte des frégates La Fayette à l'Arabie saoudite, des sous-marins Agosta 90 B au Pakistan, sans parler du contrat « Bravo » avec Taïwan ?
M. Michel Charasse. Il vaut mieux laisser les Américains vendre tout cela ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour les salariés, les travailleurs de l'Etat, les fonctionnaires qui ont choisi de travailler dans un service de la défense nationale, le développement de cette politique d'exportation pose un problème éthique. Je les comprends, et je partage leur point de vue.
C'est la raison pour laquelle j'appelle mes collègues à voter notre amendement de suppression de l'article. Et, bien entendu, nous voterons contre l'amendement n° 25, présenté par M. Jean Faure, au nom de la commission des affaires étrangères.
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Cet amendement de suppression de l'article 36 a été déposé par d'autres parlementaires que ceux de notre groupe, et j'y vois là la marque d'une difficulté pour la majorité sénatoriale d'aller à l'encontre des salariés. Je ne les crois pas pris d'un désir soudain de défendre le service public.
M. Hubert Falco. Avez-vous le monopole du service public, madame Luc ?
Mme Hélène Luc. ... mais c'est leur droit d'aller à l'encontre des salariés qui auraient voulu pouvoir donner leur avis et recevoir des garanties.
M. Hubert Falco. Vous êtes au gouvernement, madame Luc, assumez-le !
Mme Hélène Luc. Je pense que vous devez le comprendre, monsieur le ministre !
Vous avez parlé de la concertation. Certes, elle a eu lieu, mais elle n'a pas été suffisante et elle n'a pas abouti à des propositions concrètes.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Ce n'est pas ce que disait à l'instant Mme Beaudeau !
M. Michel Charasse. Une bonne concertation, c'est une concertation à l'issue de laquelle le Gouvernement capitule ! (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Quant à l'argument selon lequel la DCN ne serait pas concurrentielle, je le crois infondé car la preuve a été faite que d'autres services publics étaient efficaces !
Au-delà du projet industriel qui peut accompagner le changement de statut et qui peut être motivé par la réalisation d'un certain nombre d'équipements significatifs, se pose la question très importante de la gestion future des personnels de l'entreprise. Il n'échappe en effet à personne que la majorité des salariés de l'actuelle DCN vont être appelés à faire valoir leurs droits à la retraite dans les années à venir ! Nous nous retrouverons donc rapidement dans la situation que GIAT Industries a déjà connue et dans laquelle ont fini par coexister des salariés sous statut de fonctionnaire et des salariés sous statut de droit privé, comme c'est d'ailleurs le cas à France Télécom. Nous voyons bien quelles difficultés cela crée pour le personnel ! (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Mais si, monsieur le ministre ! C'est là une des menaces qui peut peser sur la société nationale une fois constituée !
Dans un second temps, la gestion du capital même de la société nationale ne va pas sans poser quelques problèmes. Rien ne permet, en effet, d'exclure qu'à coups de cessions partielles de capital, comme nous y invitent nos collègues du groupe de l'Union centriste, ou de déclassements progressifs du domaine public maritime mobilisé par les installations de la DCN nous ne soyons rapidement confrontés à des choix de gestion à courte vue, dans la seule perspective de l'équilibre comptable immédiat.
Enfin, le changement de statut de la DCN est une véritable question pour les bassins d'emploi où sont implantés les arsenaux : dans l'agglomération toulonnaise ou le pays de Lorient, l'emploi industriel est étroitement lié à l'activité maritime, militaire notamment.
Nos craintes quant au devenir de ces secteurs sont réelles et nous conduisent une fois encore à vous demander d'adopter notre amendement visant à supprimer l'article 36.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Et en rester au statu quo !
Mme Hélène Luc. Enfin, monsieur le ministre, je vous le dis franchement - comme j'ai coutume de le faire -, je regrette que nous n'ayons pas eu, devant la commission des affaires étrangères, un débat approfondi sur ce sujet difficile mais important pour l'avenir de l'armée. Un tel débat aurait pourtant pu être profitable !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 1 et 43 rectifié, repoussés par la commission et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à promouvoir une évolution un peu plus rapide des statuts de DCN. Voilà déjà fort longtemps, en effet, que nous regrettons la lenteur de cette évolution, laquelle lenteur a d'ailleurs été critiquée par la Cour des comptes.
Nous ne proposons pas, au demeurant, d'ouvrir le marché aux marchands de canons ! Et si Mme Beaudeau considère que ceux qui vendent des canons sont des marchands de canons, nous nous demandons, nous, si ceux qui les construisent sont des pauvres travailleurs opprimés ! Mais je ne veux pas entrer dans cette caricature, je souhaite simplement que nous avancions un peu plus vite.
Tel est l'objet de l'amendement n° 25 !
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. L'enjeu de cette discussion est considérable. Il ne s'agit pas de savoir à l'article 36 est oui ou non un cavalier budgétaire : nous en avons vu passer tellement !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas un cavalier !
M. Michel Caldaguès. Cela étant, parmi ces cavaliers, il y avait des jockeys, mais aussi des cavaliers plus lourdauds, faisant penser aux chevaliers revêtus de leur armure au Moyen Âge. Et c'est sans doute à cette deuxième catégorie qu'appartient votre cavalier, monsieur le ministre ! Mais ce n'est pas ce qui va nous bouleverser, nous en avons vu d'autres...
Est-ce le problème des personnels qui est au centre de la discussion ? Pas du tout ! Tout le monde nous dit, à commencer par le Gouvernement et par les orateurs de gauche, que les personnels ont finalement obtenu des garanties considérables : très objectivement, on ne voit pas très bien comment le personnel aurait pu obtenir de meilleures garanties. Par conséquent, là n'est pas l'enjeu. L'enjeu, c'est la compétitivité de la DCN, et donc le sort même de la DCN. Car la concurrence est à nos portes ! Par conséquent, nous ne pouvons pas nous permettre la moindre erreur.
La simple transformation en société commerciale ne résout pas tous les problèmes, monsieur le ministre. Il est même un peu gênant de voir que son objet quasi exclusif est d'économiser un certain nombre de signatures tutélaires. Mais ce n'est pas la forme juridique d'une société qui en fait une société qui marche : c'est sa combativité, sa compétitivité. Or, à cet égard, nous ne pensons pas que la détention de la totalité du capital par l'Etat soit la meilleure solution.
Il y a en fait deux écoles.
Il y a l'école du « tout Etat » : on n'est rassuré que si l'Etat occupe la totalité du terrain. Cela n'a pas toujours donné de très bons résultats. Je ne dis pas que cela n'en a donné que de mauvais, mais ce n'est pas un talisman !
Et puis il y a une autre école, celle dont relève l'amendement que nous propose la commission des affaires étrangères. C'est une conception qui fait confiance à l'esprit de compétitivité dont peut faire preuve une entreprise nationale à partir du moment où on lui donne les moyens adéquats. Cela signifie, pour l'essentiel, lui permettre, le cas échéant, de réunir les capitaux nécessaires à son développement. Je dis bien « le cas échéant », car ce n'est pas nécessairement demain.
J'ai cru entendre M. Masseret dire - mais peut-être ai-je mal compris - que l'ennemi était dans cet amendement. Voilà bien une vision totalement dogmatique à propos d'une disposition dont la motivation est essentiellement technique !
Je vous avouerai, monsieur le ministre, que je me méfie beaucoup du ministère de l'économie et des finances. (M. le ministre sourit.) Il nous a en effet montré en diverses circonstances que, s'agissant des dotations en capital, il imposait trop souvent le régime « jockey » aux sociétés nationales et que celles-ci avaient eu à en pâtir. C'est pourquoi nous ne faisons pas confiance au « tout Etat ».
Si vous ne suivez pas la proposition de la commission des affaires étrangères, monsieur le ministre, vous serez inévitablement amené, un jour ou l'autre, à revenir devant le Parlement. Pourquoi vous obliger vous-même à revenir dans un an, dans deux ans, dans cinq ans,...
M. Hubert Falco. Non, il ne reviendra pas, ni dans un an ni dans cinq ans ! (Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Caldaguès. ... alors que nous vous offrons les moyens de vous en dispenser ?
De surcroît, la solution proposée n'empêche nullement que l'Etat détienne 99 %, voire 99,5 %, du capital : avec 99,5 % on est toujours dans le cadre de la « majorité ». Bien entendu, cette majorité peut évoluer ; elle devrait précisément pouvoir évoluer en fonction des nécessités économiques.
Monsieur le ministre, vous faites un pari dangereux : vous posez le principe selon lequel le « tout Etat », cela va forcément marcher sous prétexte que cela a parfois marché.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Caldaguès. Je termine, monsieur le président, et je vais même bien terminer ! (Sourires.)
M. le rapporteur général s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. Eh bien ! la sagesse du Sénat, dans un débat financier, lui impose de lire attentivement les travaux de la commission des finances, et plus particulièrement les écrits du rapporteur général. Or voici ce que je lis dans le rapport de notre ami Philippe Marini :
« Toute ouverture ultérieure du capital » - Philippe Marini se situe ici dans l'hypothèse où l'Etat continue de détenir 100 % du capital d'une société - « imposera donc un passage par une nouvelle modification législative. Cette disposition est évidemment de nature à freiner, sinon handicaper, la capacité de la nouvelle société à nouer des alliances au sein d'un marché européen d'ores et déjà fortement remanié. »
Je crois, mes chers collègues, que nous avons tous compris à quoi pensait le rapporteur général lorsqu'il s'en est remis à notre sagesse ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Je ne nie pas que le dossier que nous abordons avec cet article soit fort délicat.
Certes, il faut faire évoluer les industries de défense, et nous sommes tous garants de l'efficacité de l'Etat, y compris dans ses entreprises industrielles. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle entreprise industrielle : nous touchons là à notre outil de défense ; car la DCN est bien un élément essentiel de notre défense !
Il ne s'agit pas là, chers collègues de la majorité sénatoriale, d'un débat financier, contrairement à ce que vient d'expliquer M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Je n'ai pas dit cela !
M. Paul Loridant. Si ce n'était qu'un débat financier, mon cher collègue, nous pourrions éventuellement vous comprendre. Mais, en l'occurrence, nous comprenons mal que des sénateurs qui se sont longtemps réclamés du gaullisme...
M. Michel Caldaguès. Ah non ! Pas ça ! Pas vous !
M. Paul Loridant. ... soient aujourd'hui prêts à régler d'un trait de plume le dossier de la construction navale ! (Rires sur les tracées du RPR.)
M. Michel Caldaguès. C'est le moment qui illumine la soirée !
M. Paul Loridant. Nous sommes ici un certain nombre à être attachés à l'outil de défense.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quand avez-vous voté pour le général de Gaulle ?
M. Paul Loridant. Etre attaché à l'outil de défense, c'est aussi être attaché à la maîtrise de la fabrication des matériels liés à notre défense et à notre stricte indépendance à cet égard.
Je le dis comme je le pense, il me semble nécessaire de prendre les moyens de réformer la DCN, afin de la rendre plus efficace. Mais je ne puis accepter que, sous couvert de technique financière, on ouvre le capital de cet outil industriel et de défense. Permettez-moi de vous le dire, chers collègues de la majorité sénatoriale, et surtout vous, chers collègues du RPR, il est bien loin le temps du général de Gaulle !
M. Michel Caldaguès. Merci, mon cher compagnon ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Mes amis et moi-même ne voterons pas l'amendement n° 25, à propos duquel Jean-Pierre Masseret a dit tout à l'heure d'excellentes choses.
Cela étant, je m'interroge sur la rédaction de cet amendement.
En effet, notre collègue Jean Faure propose d'écrire : « dont le capital est détenu en majorité par l'Etat » ; à partir du moment où l'on n'écrit pas : « ne peut être détenu qu'en majorité », la question se pose de savoir si l'Etat n'est pas tenu de vendre une partie du capital. A mon avis, non : si l'Etat doit détenir la majorité, la loi ne l'autorise pas à ne détenir que la majorité.
Nous passons à un régime de société commerciale nouvelle, et je crois qu'il faut un certain temps pour passer du système actuel au nouveau système. Cela implique notamment de prendre quelques précautions, liées à l'intérêt national, à nos programmes de défense et au secret de la défense nationale. Car on ne peut pas laisser entrer n'importe qui dans le capital d'une société de cette nature !
En fait, l'amendement crée une obligation, celle de la majorité du capital, mais il ne crée pas un impératif, qui serait la majorité à tout prix dans le capital.
A partir du moment où l'amendement est rédigé de cette manière, à partir du moment où ne sont pas prévues un certain nombre de conditions sur l'ouverture du capital - en particulier, qui admet-on et qui n'admet-on pas ? -, parce qu'il y va de l'indépendance nationale - et je sais que vous y êtes sensible, monsieur Caldaguès -, il n'est vraiment pas possible de suivre la commission des affaires étrangères.
Je ne suis pas, par principe, opposé à l'ouverture du capital. Mais, quand cela touche aux industries de défense, ce n'est tout de même pas pareil ! Arrêtons de livrer notre pays à n'importe qui et dans n'importe quelles conditions !
M. Paul Loridant. Exactement !
M. Michel Charasse. Je ne l'accepte pas ! Ce n'est pas une affaire de conflit entre les « libéraux » et ceux qui sont « moins libéraux ». C'est un problème qui touche à la défense et donc au coeur de l'Etat.
M. Paul Loridant. Il a raison !
M. Michel Charasse. Non seulement parce que l'amendement n° 25 est inopérant dans la mesure où il ne crée pas une véritable obligation, mais aussi parce qu'il mériterait d'être complété par un certain nombre de conditions que la commission des affaires étrangères n'a pas abordées, nous ne le voterons pas.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 35:

Nombre de votants 274
Nombre de suffrages exprimés 274
Majorité absolue des suffrages 138
Pour l'adoption 161
Contre 113

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Je vais mettre aux voix l'article 36.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, dans la mesure où ce vote dénature le projet du Gouvernement, celui-ci n'est pas favorable à l'adoption de l'article 36 ainsi modifié.
M. le président. Je mets aux voix l'article 36, modifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 36:

Nombre de votants 274
Nombre de suffrages exprimés 274
Majorité absolue des suffrages 138
Pour l'adoption 160
Contre 114

Mme Hélène Luc. Une voix de plus contre !

Article 38 (priorité)