SEANCE DU 12 DECEMBRE 2001


CORSE

Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 111, 2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la Corse. [Rapport n° 155 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après l'examen en première lecture par l'Assemblée nationale et le Sénat du projet de loi relatif à la Corse, la commission mixte paritaire n'a pu conclure positivement ses travaux.
Si le volet économique du texte, à travers les dispositions fiscales et le programme exceptionnel d'investissement, fait globalement consensus, des désaccords de fond subsistent, notamment, sur l'étendue des mesures de décentralisation proposées pour la Corse.
Le Gouvernement, à la fois soucieux du respect de ses engagements et convaincu que seule une réponse globale est de nature à créer les conditions d'un changement dans l'île, s'est opposé, lors de vos débats des 6, 7 et 8 novembre dernier, à la suppression des dispositions qu'il avait proposées en ce domaine et a naturellement soutenu leur réintroduction par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture.
Cette constance, qui n'est pas de l'entêtement, contrairement à ce que j'ai pu entendre dire, participe pleinement de la crédibilité d'une démarche démocratiquement menée avec les seuls élus du suffrage universel.
Ces mêmes élus de Corse ont aussi souhaité que, à l'issue des navettes, on retienne le meilleur de l'Assemblée nationale et le meilleur du Sénat. Nous nous y employons.
Deux logiques soutiennent des approches différentes.
L'une veut que le développement économique soit la réponse essentielle aux problèmes de l'île. Nous considérons que cette dimension est effectivement importante, mais qu'elle n'est pas suffisante.
Tout d'abord, la Corse connaît déjà, à son échelle, des réussites significatives. Il s'agit bien, alors, de conforter le tissu d'entreprises de taille nécessairement moyenne et de susciter le développement d'activités nouvelles à forte valeur ajoutée, particulièrement adaptées à la réalité de l'île.
Le crédit d'impôt à taux différenciés - 20 % et 10 % - ainsi que l'exonération de la taxe professionnelle y contribuent, en permettant de sortir d'un dispositif d'aide aux trésoreries au bénéfice d'un nouvel essor fondé sur le soutien à l'investissement.
Cependant, le développement économique ainsi engagé laisse entier d'autres aspects, tout aussi décisifs, de la question corse et, si les problèmes que connaît l'île se réduisaient à cette seule dimension, on peut penser que bien des gouvernements auraient déjà trouvé la solution !
Aussi, les réponses que le Gouvernement propose d'apporter ici participent d'une logique et d'une approche globales que je défendrai à nouveau lors de nos discussions. Je ne détaillerai pas, à ce stade, l'ensemble de nos propositions, maintenant bien connues, pour m'attarder plutôt sur leur signification.
Quels sont les objectifs partagés par les élus de l'île ?
Le premier est la clarification des compétences.
Le projet de loi qu'il vous est proposé d'adopter tire, tout d'abord, les enseignements de l'application des lois précédentes : il s'agit non pas tant de faire plus que de faire mieux !
Une île de 260 000 habitants supporte moins qu'une autre collectivité l'intervention inévitablement concurrente de différentes autorités et les financements croisés, qui font obstacle à la lisibilité des politiques publiques.
Qui plus est, quand beaucoup reste à faire, il est encore plus important de savoir qui doit le faire, parce qu'il sera le mieux à même de le faire.
Clarifier les interventions respectives de la collectivité territoriale de Corse et de l'Etat, c'est, en effet, permettre à chacun d'exercer efficacement sa tâche ; c'est aussi permettre aux habitants de l'île de mieux exercer leur contrôle citoyen ; c'est, enfin, ne plus voir l'Etat tenu pour responsable de tout, parce qu'il ne peut tout faire.
Car, et c'est notre deuxième objectif, le corollaire de cette clarification des compétences est une responsabilisation accrue des élus dans la gestion des affaires de l'île, au plus près des besoins, pour dégager les solutions les plus adaptées.
Il s'agit bien, par là même, d'assurer, dans l'île, la primauté du débat politique démocratique.
Le débat, l'élection sont les seules formes d'expression acceptables dans une démocratie, qui ne peut s'accommoder de la violence ni s'habituer à ce que certains de ses auteurs prétendent rester les maîtres du jeu.
Aussi ne puis-je comprendre les critiques faites aux élus du suffrage universel qui, en Corse, seraient ainsi considérés comme moins légitimes qu'ailleurs.
Il faut savoir ce que l'on veut. Je préfère, pour ma part, la confrontation des idées et la sanction par le vote à toute autre forme de régulation des conflits.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cette responsabilisation des élus, dans la proximité, est pour chacun de nos concitoyens de l'île une formidable opportunité de participer aux choix qui dessinent leur avenir et de prendre la parole quand certains disent qu'elle leur a été confisquée.
Les élections, mais aussi les débats et les enquêtes publiques qui encadrent les nouvelles compétences de la collectivité territoriale seront autant d'occasions d'exprimer la volonté du plus grand nombre et un appel à s'engager dans la prise de responsabilités au service de l'intérêt général.
Qui pourrait nier l'importance de cette démarche en Corse ?
Je reste perplexe, aussi, quand j'entends certains demander pour l'ensemble des régions ce qu'ils refusent à la Corse.
Au regard de la situation et des troubles que connaît l'île depuis bien des années, je renverse la proposition qui nous est souvent faite : cette décentralisation que tout le monde dit vouloir promouvoir, elle est indispensable et urgente pour la Corse et doit y être plus audacieuse encore, si l'on veut que l'île s'extraie des difficultés dans lesquelles elle se trouve plutôt que de les exploiter à des fins qui ont peu à voir avec l'intérêt de la Corse et de la République.
A cet égard, ce que l'on pouvait déjà craindre il y a plusieurs mois paraît se confirmer et s'accentuer. Les oppositions se radicalisent, et les soutiens se font parfois plus discrets. Le texte, encore amélioré à l'occasion des différentes lectures, n'en est sûrement pas la cause réelle.
M. Dominique Braye. Si !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le transfert très significatif de compétences et la responsabilisation accrue des élus, enfin, porteraient-ils atteinte à l'action de l'Etat ? Certes non, car il n'est aucunement question que l'Etat se prive de missions essentielles comme le contrôle de légalité, la sécurité des personnes et des biens,...
M. Dominique Braye. C'est bien la première fois que vous vous en préoccupez !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... l'éducation et l'homologation des diplômes, les polices administratives, la délivrance des titres ou le recouvrement de l'impôt.
M. Dominique Braye. Il était temps que vous y prêtiez attention !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. L'application sereine mais déterminée de la loi est notre troisième objectif. Il y a une très forte attente d'Etat dans ces domaines.
M. Dominique Braye. De nos concitoyens aussi !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cette action est engagée. C'est une priorité absolue, et je peux faire valoir des résultats qui confirment que, pour le Gouvernement, il ne s'agit pas soit de confier de nouvelles responsabilités aux élus mais bien de faire appliquer la loi, soit d'atteindre les deux objectifs à la fois.
Rien dans le projet de loi qui vous est proposé ne remet en question le rôle souverain du Parlement, et donc l'unité de la République, dont les Corses, au demeurant, partagent très majoritairement les valeurs.
Quant à la question de la constitutionnalité de certaines dispositions, nous savons déjà qu'elle sera tranchée, après avoir fait l'objet d'un long débat.
Le Gouvernement et les élus de Corse ont toujours dit que cette loi devait se situer dans le cadre tracé par l'actuelle Constitution, et nous pensons que le texte reste bien dans ses limites.
Il est maintenant indispensable d'achever l'examen du projet pour qu'il devienne loi, pour que les énergies, en Corse, se rassemblent et se mobilisent, comme l'immense majorité des Corses et l'ensemble de nos concitoyens l'attendent, afin que se noue entre eux un nouveau pacte de confiance.
La démocratie locale, le développement économique et social, la reconnaissance par la République d'une identité culturelle forte, l'application sereine mais déterminée de la loi en sont, avec l'arrêt de toute violence, les composantes majeures.
M. Dominique Braye. L'arrêt de toute violence, oui !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Si cette violence persiste encore,...
M. Dominique Braye. Comme c'est le cas, aujourd'hui !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... ne serait-ce pas du fait de certains qui, nostalgiques d'une époque qu'ils commencent à croire et à craindre finissante, ne peuvent que s'inquiéter d'une nouvelle Corse, fière d'une identité désormais reconnue, mais ouverte aux échanges, attachée à sa terre, mais s'engageant sur la voie d'un développement maîtrisé, apaisée parce que démocratique ?
A ceux qui demandent la suspension de cette démarche et de l'examen du présent projet de loi, je demande de bien en mesurer les conséquences, pour aujourd'hui comme pour demain.
La Corse et les Corses ont su accompagner la République dans ses moments les plus tragiques comme dans ses plus belles réussites.
M. Dominique Braye. C'est vraiment de la démagogie !
M. Daniel Vaillant. ministre de l'intérieur. Sachons les accompagner aujourd'hui sur ce chemin, qui est plus exigeant qu'aisé. Il n'y en a pas d'autres si l'on veut bien se souvenir des échecs du passé, dont les responsabilités sont largement partagées.
Parce qu'ils habitent un pays de montagne, les Corses savent bien que l'on ne sort d'une voie et de conditions difficiles que par le haut.
Seules une volonté tenace et une détermination sans faiblesse font d'un projet une réussite. La Corse dans la République mérite cet effort. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission spéciale sur la Corse. Monsieur le ministre, comme j'aurais aimé pouvoir partager votre conclusion ! Non que j'en récuse les termes, bien au contraire : la présence de nos compatriotes de Corse dans la République fait partie de ce que nous avons appris dès notre tendre enfance ; elle est le fruit de leur combat inlassable durant plus de deux siècles d'appartenance à la nation, de la contribution que, par leurs élites, ils ont offerte à notre pays, tant à son développement intérieur qu'à son rayonnement extérieur, notamment à l'époque coloniale, mais aussi en servant les armées de la République ou son administration. Personne, dans cet hémicycle, ne laisserait une seule seconde naître le soupçon que nous pourrions rejeter cette tradition, cet état de fait.
Mais, monsieur le ministre, un héritage pareil, une communauté pareille, ne se traitent pas avec désinvolture.
Or je crains que la succession des événements, la succession des attitudes, la succession des textes, ne conduisent finalement nos compatriotes de Corse au sentiment d'être traités avec une certaine désinvolture.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Paul Girod, rapporteur. Tout le monde souscrit aux objectifs d'apaisement de l'île, d'ancrage de la Corse dans la République, s'il en était besoin. Mais je redoute que les événements, comme les déclarations que nous avons entendues, y compris à cette tribune - veuillez m'en excuser monsieur le ministre - ces dernières semaines ou il y a quelques instants, n'aboutissent à un résultat radicalement différent.
Le Sénat a essayé d'apporter sa pierre à une évolution que le Gouvernement a enclenchée en s'appuyant sur la notion d'élus du suffrage universel. Encore faut-il savoir pourquoi et avec quelles compétences les élus ont obtenu leur mandat ! Et s'il est vrai que l'Assemblée de Corse a joué son rôle en se prononçant sur un projet de loi, elle s'est prononcée sur un tout qui comportait des avancées significatives sur le plan économique, sur le plan des investissements, sur le plan des perspectives de développement de l'île, mais aussi certaines dispositions qu'elle ne pouvait dissocier de l'ensemble. D'ailleurs, l'avis positif de l'Assemblée - 44 voix contre 8 - était assorti de réserves ou d'observations qui, à ma connaissance, n'ont pas été prises en compte par la suite.
Bref, nous voici parvenus à la dernière étape législative d'un projet de loi qui est un élément d'un tout, et vous nous l'avez suffisamment répété lors de la première lecture pour que nous nous étonnions quelque peu du tour pris par les événements.
Que s'est-il passé ? Le Sénat a adopté un texte qui, estimait-il, corrigeait les aspects parfois caricaturaux de telle ou telle disposition du texte initial - l'Assemblée nationale, je le reconnais, l'avait amélioré, mais de façon notoirement insuffisante - dont il avait complété certains dispositifs techniques ; l'Assemblée nationale a reçu positivement le travail du Sénat.
Il est intéressant de savoir comment l'Assemblée nationale a vécu cette étape du dialogue entre les deux chambres, dialogue qui est le fondement même de la République bicamérale. L'observation des faits appelle quelques réflexions.
Tout d'abord, il faut savoir dans quelle ambiance s'est déroulée la commission mixte paritaire, et je parle sous le contrôle de ceux de mes collègues qui y ont participé.
A peine assis, nous avons entendu le président de la commission mixte paritaire, en l'occurrence le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, nous expliquer qu'il était inutile de perdre trop de temps puisque l'accord était de toute façon impossible - cela, il est vrai, se déduisait de certains propos tant du rapporteur de l'Assemblée nationale que du rapporteur du Sénat.
Quoi qu'il en soit, on ne peut pas dire que le débat démocratique ait vraiment été engagé, puisqu'il a été interrompu au premier prétexte, au premier désaccord, alors que, au moins sur un article, le vote sur le texte présenté par le Sénat aurait peut-être permis de résoudre le différend, même si le rapporteur doit confesser avoir commis une imprudence en proposant de façon prématurée une rédaction alternative.
Cela ne change rien au fait que la commission mixte paritaire était saisie d'un texte élaboré par le Sénat, sur lequel le minimum eût été qu'elle se prononçât. Cela n'a pas eu lieu, ce qui a conduit le président et le rapporteur de la commission spéciale, ainsi que certains de ses membres, à formuler des réserves sur la régularité et la constitutionnalité de la démarche suivie par la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire a donc échoué, et le texte adopté par le Sénat est revenu devant l'Assemblée nationale, assorti de quelques observations du rapporteur de l'Assemblée nationale. Certaines étaient orales, d'autres écrites ; je m'en tiendrai à celles-ci.
Ainsi, les ouvertures que le Sénat avait voulu faire en direction du système du crédit d'impôt, probablement l'une des seules dispositions qui resteront définitivement dans le projet de loi, étaient - tenez-vous bien, mes chers collègues ! - des « distributions de prébendes à caractère politique ». J'avoue avoir été passablement choqué par l'expression.
Je me suis donc interrogé sur la manière dont le rapporteur de l'Assemblée nationale - et, je le crains, la majorité de ladite assemblée - aborde le projet de loi. S'agit-il d'un texte purement politique...
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. ... dans lequel les dispositions économiques servent de trompe-l'oeil,...
M. Dominique Braye. D'alibi !
M. Paul Girod, rapporteur. ... ou bien d'un texte au service du développement de l'île auquel ont été raccrochées des mesures institutionnelles dont je démontrerai dans quelques instants qu'elles sont pour le moins aventureuses et probablement inefficaces ?
Tel est le fond du problème, qu'on le veuille ou non : ou bien nous sommes en train de discuter un texte pour le développement de l'île, texte technique, financier, prévoyant la mobilisation de fonds publics non négligeables...
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. C'est un tout !
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le ministre, je retiens votre remarque : c'est un tout ! Alors, pourquoi avoir abandonné, à l'Assemblée nationale, un élément essentiel du tout ?
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce n'est pas nous qui avons provoqué l'abandon de toute perspective sur la question de la constructibilité en Corse ! Nous avons essayé, et nous recommencerons aujourd'hui, d'offrir à l'île la possibilité de rompre avec le côté extrêmement contraignant pour elle de l'application sans nuances de la loi littoral.
Une telle ouverture est peut-être complexe, difficilement applicable dans certains cas ; elle a au moins le mérite d'exister et vaut mieux, me semble-t-il, que la promesse faite pendant des mois aux élus de l'île, à la population, et abandonnée à la dernière seconde, pendant un débat parlementaire, au motif qu'une composante de l'Assemblée nationale risquait de faire défaut au moment du vote final ! Parce que l'abandon de la loi littoral, c'est cela et rien d'autre !
M. Dominique Braye. Très bien ! Très bonne analyse !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas seulement cela !
M. Jean-Pierre Bel. Ce n'est pas si simple !
M. Paul Girod, rapporteur. Le second incident a eu pour origine les qualificatifs excessifs que le rapporteur de l'Assemblée nationale a employés au sujet des propositions du Sénat.
Nous nous interrogeons donc fortement sur la réalité de la démarche en cours, ce qui nous amène - et je voudrais que vous compreniez que c'est dans l'esprit républicain - à nous poser la question de fond suivante : s'agit-il d'un texte leurre destiné à obtenir de certains éléments irresponsables de Corse...
M. Henri Torre. Une trêve !
M. Paul Girod, rapporteur. ... un apaisement de la violence ou s'agit-il d'un texte de construction ?
La réponse est pour le moins incertaine, ce qui m'amène, monsieur le ministre, à une autre réflexion que m'autorise le fait que nous sommes maintenant en nouvelle lecture. En première lecture, en effet, nous en étions au stade de l'instruction et, en tant que rapporteur, je ne me suis jamais permis d'adopter un ton de procureur. Mais permettez-moi de sortir aujourd'hui un peu de ma réserve pour aborder les choses sous d'autres aspects.
Monsieur le ministre, qu'on le veuille ou non, en Corse, la population a peur : elle a peur de la violence dite politique comme de la violence ordinaire qui naît des querelles de voisinage, et elle a peur de la violence mafieuse, dans laquelle on range maintenant systématiquement toutes les atteintes à la légalité républicaine : série d'assassinats - trente-deux depuis le début de l'année ! - plastiquages ou mitraillages de gendarmeries...
Cette nuit encore, des bungalows en construction ont été plastiqués en arrière de la plage de Piana, ce qui nous ramène à la discussion fameuse sur les dérogations à la loi littoral en Corse. J'ai personnellement survolé cette place il n'y a pas huit jours ; aujourd'hui, ces bungalows pourtant construits en toute légalité n'existent plus.
Tous ces « incidents », comme l'on dit, ou, comme je le pense, tous ces « drames » que vit l'île entrent systématiquement, disais-je, sous le vocable d'actes « mafieux ».
De deux choses l'une, monsieur le ministre : ou bien la violence est totalement mafieuse et aucune réforme institutionnelle n'y pourra rien,...
Mme Dominique Braye. Et, alors, que faites-vous ?
M. Paul Girod, rapporteur. ... ou bien elle n'est pas mafieuse, mais pourquoi alors faut-il des réformes institutionnelles pour y mettre fin ?
Il faut clarifier la discussion ! Si la violence est mafieuse, il s'agit d'un problème d'ordre public, et tous les moyens doivent être mobilisés pour le régler.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. Si la violence n'est pas mafieuse, il s'agit d'un problème politique, et il vous reste à justifier les mains tendues à des gens manipulant la violence et à expliquer pourquoi vous voulez nous faire rompre sur un certain nombre de points avec la doctrine républicaine et constitutionnelle.
C'est l'un ou l'autre, mais, entre les deux, on n'avance pas !
Veuillez m'excuser, monsieur le ministre, de cette introduction un peu « forte »,...
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Hasardeuse !
M. Paul Girod, rapporteur. ... mais elle me semble nécessaire.
Vous avez dit qu'il fallait rassembler le meilleur du texte de l'Assemblée nationale et de celui du Sénat. Certes, après avoir un peu « renâclé » sur certaines propositions sénatoriales, l'Assemblée en a adopté une large part, mais elle a aussi repris les moins heureuses des dispositions qu'elle avait adoptées en première lecture.
C'est d'abord le fait que les maires soient exclus de la commission de contrôle des investissements publics en Corse.
C'est ensuite le fait que l'on refuse de poser franchement la question des offices : les supprime-t-on ou non, permet-on, ou non, à la collectivité territoriale de les reconstituer sur des bases rénovées ?
Améliore-t-on les conditions du dialogue entre l'Assemblée territoriale et les autorités centrales sans sortir du cadre de la Constitution ? Sort-on au contraire de celui-ci au motif qu'il faut faire des expérimentations d'ici à 2004, tout en vidant en réalité le texte de sa substance ?
En effet, monsieur le ministre, vous le savez comme moi, ou l'article 1er est inconstitutionnel, et, dans ce cas, c'est une illusion qui sera cause de désillusion pour les Corses - on en reparlera - ou l'article 1er est constitutionnel en l'état - c'est la thèse de notre collègue Michel Charasse - et ce sont les lois qui seront ultérieurement élaborées en vertu de cet article qui seront inconstitutionnelles et sanctionnées comme telles. La désillusion viendra plus tard dans cette seconde hypothèse, mais elle viendra tout de même !
A moins, bien sûr, que le Conseil constitutionnel ne ferme les yeux. Mais, même là, ce serait inopérant, parce que les expérimentations législatives prévues à l'article 1er ne pourront pas être mises en place à temps pour qu'on puisse en tirer des leçons avant l'échéance de 2004 !
Cela m'amène à l'analyse de l'exposé des motifs, analyse, monsieur le ministre, qui fait froid dans le dos, d'autant que la position de l'Assemblée nationale, à cet égard, n'a rien de réconfortant !
Pourquoi reconnaître une spécificité à la Corse ? Parce que c'est une île, une « montagne dans l'eau », qu'elle a une histoire, une culture, mais, de grâce, pas parce que l'île est sujette à la violence ! Ou alors triez entre la violence mafieuse et la violence politique !
Or, l'exposé des motifs est intégralement centré sur l'idée qu'il faut donner un statut à la Corse parce qu'il y a une violence en Corse. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur l'exposé des motifs, mais, à lui seul, il appelle à un examen de conscience chacun de nous et chacun des responsables de Corse élus pour administrer l'île et pour donner des avis sur les textes élaborés par le Gouvernement, et non pas pour construire à la place des élus de la nation des expérimentations législatives hasardeuses.
J'en viens tout naturellement, monsieur le ministre, à la question de la langue corse, question sur laquelle le dialogue de sourds avec l'Assemblée nationale atteint son apogée.
Sur l'article 1er, sur les délégations réglementaires, sur les délégations législatives, nous savons tous que c'est le Conseil constitutionnel qui tranchera. Cela étant, je ne suis pas sûr qu'il soit responsable de la part d'un gouvernement ou de l'assemblée qui le soutient de proposer, à l'aventure, des dispositions dont la sanction est entre les mains des juges constitutionnels. Mais passons !
On ne peut, en revanche, « passer » sur la question de la langue, qui est un des points de cristallisation, et j'ai déjà eu l'occasion de dire, en première lecture, que le débat était entré au Parlement par la mauvaise porte parce qu'il était exigé par les représentants de ceux qu'on appelle les indépendantistes, demandé, pour des raisons culturelles, par une grande part de la population mais traité avec une irresponsabilité totale.
Dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, l'article 7 se lit ainsi : « La langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse. »
On pourrait discuter de l'horaire « normal » des écoles maternelles, mais on n'est plus au détail près, l'important étant que la rédaction du Sénat, par l'emploi du mot « proposé », explicitait le caractère facultatif du corse à l'école. Je la rappelle : « La langue corse est une matière dont l'enseignement est proposé dans le cadre de l'horaire normal des écoles de Corse. »
Réponse de l'Assemblée : il est inutile de faire figurer le mot « proposé » dans l'article 7, le caractère facultatif étant implicite puisque c'est la reprise du texte figurant dans le statut de la Polynésie française pour l'enseignement de la langue polynésienne, il va de soi que l'appréciation du Conseil constitutionnel sur l'article 7 sera la même que celle qu'il a donnée de ce texte.
Excusez-moi, mais ce qui va sans dire va encore mieux quand on le dit clairement ! Le Sénat a adopté une rédaction claire, l'Assemblée la refuse : peut-être que ce qui est prétendument implicite n'est pas ce que l'on croit et cache des arrière-pensées inavouables.
Le résultat, c'est cet extraordinaire sophisme : ce n'est ni optionnel ni obligatoire !
M. Dominique Braye. Ah !
M. Paul Girod, rapporteur. Qu'est donc l'enseignement de la langue corse ? Celui qui tentera de m'expliquer qu'il existe une possibilité médiane entre ce que le Conseil constitutionnel considère comme non obligatoire et ce qui n'est pas optionnel me demandera un effort intellectuel que je me sens incapable d'accomplir avec le niveau d'instruction qui est le mien et que je me refuse à faire au niveau de responsabilités que j'exerce en cet instant !
Vient ensuite le problème des CAPES de corse, qui, contrairement à tous les autres CAPES de langue régionale, ne portent que sur la langue corse et ne comportent pas d'épreuves dans une autre discipline. On enferme donc des enseignants dans une perspective unique, qui débouche, bien entendu, sur l'agitation.
Mais il y a plus grave, monsieur le ministre : sans vous en rendre compte, en n'alignant pas le CAPES de corse sur les autres CAPES, vous allez dans le sens de ce qui fait la terreur des responsables de la jeunesse en Corse, à savoir le « décrochage » de l'enseignement général dans l'île par rapport à celui qui est dispensé sur l'ensemble du territoire national et, par conséquent, le « décrochage » des enfants de l'île, qui voient leurs chances de réussir les grands concours nationaux diminuer par rapport à celles des enfants du continent.
Cette crainte des élus que mon collègue rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée nationale a également rencontrés, ils l'ont formulée devant nous et ils nous ont demandé de prendre garde à ne pas handicaper les futurs étudiants corses.
M. Dominique Braye. Eh oui !
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le ministre, je traite ces questions avec passion parce que, cette île, j'ai appris à l'aimer, à l'aimer dans sa profondeur, dans sa diversité, dans ses outrances, dans son désir d'exister avec ses qualités et ses défauts propres, dans son désir, sur lequel vous avez insisté dans votre conclusion, d'être dans la République. Personne n'a oublié le serment de Bastia ! Personne n'a oublié les sacrifices des Corses à la nation, dans nos guerres continentales aussi bien qu'extracontinentales ! Personne n'a oublié les services qu'ils ont rendu dans l'administration d'une oeuvre qui fut longtemps la fierté de notre pays et qui a laissé dans le monde entier l'empreinte de notre civilisation, que certains regrettent peut-être plus qu'on ne l'imagine.
Cette Corse, nous la sentons charnellement comme étant nôtre, et elle sent la France comme étant sienne. Nous ne voudrions pas, à l'occasion d'un débat parlementaire mal orienté, tronqué, dévoyé, donner à croire à nos compatriotes de Corse que nous ne sommes pas attentifs à la réalité de leurs problèmes et les laisser, d'une certaine manière, s'éloigner de nous.
Je souhaite donc, mes chers collègues, que le Sénat suive les recommandations de sa commission spéciale. Celle-ci lui proposera pour l'essentiel - parfois en y apportant une précision complémentaire - de reprendre le texte que nous avons adopté ensemble en première lecture.
Je ne me fais pas d'illusion sur la suite, mais, au-delà des péripéties du débat, je formule le voeu que nous ne suscitions pas en Corse une désillusion à la hauteur des espérances qui sont nées, car cette île a besoin de tout sauf d'une désillusion ; je souhaite que nous préservions la possibilité de construire notre avenir avec la Corse, dans une République qui respecte ses spécificités mais dont les valeurs restent des valeurs communes à l'île et au continent. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 40 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 17 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, tout en songeant que, si j'avais été à votre place, j'aurais vraisemblablement prononcé un discours comparable à celui que vous avez fait. (M. le ministre sourit.)
Vous avez donné en effet une présentation consensuelle du projet de loi, mais au prix, permettez-moi de le dire, de quelques oublis.
Le premier oubli, c'est celui de la violence. Notre rapporteur, M. Paul Girod, à qui je tiens à rendre hommage, a, lui, parlé de la violence.
Monsieur le ministre, je crois que, pour un démocrate, il n'est jamais possible de discuter avec les terroristes,...
M. Claude Estier. On a toujours discuté avec des terroristes !
M. Patrice Gélard. ... car jamais un terroriste ne pourra devenir un démocrate. En effet, comment peut-on devenir démocrate quand on a utilisé toute sa vie des méthodes antidémocratiques ?
M. Raymond Courrière. Tous les Corses ne sont pas des terroristes !
M. Patrice Gélard. Je n'ai pas dit cela, mon cher collègue !
Deuxième oubli, toujours dans le même ordre d'idées, comment peut-on accepter qu'un terroriste, donc un homme qui a commis des violences, puisse avoir pour revendication primordiale, avant toute négociation, l'amnistie ?
Troisième oubli, comment peut-on donner crédit à ceux qui, dans leurs écrits, affirment que seuls ont droit à la parole les détenteurs de quatre quartiers de « corsité », même s'ils vivent ailleurs que sur l'île depuis des générations, et non les fonctionnaires présents sur place et les continentaux installés en Corse ? Comment peut-on admettre cela, dans un pays démocratique comme le nôtre, où tous sont égaux devant la loi ? Ce n'est pas moi qui invente cette discrimination, c'est Jean-Guy Talamoni qui la formule dans son livre Qui sommes-nous ? : c'est écrit noir sur blanc dans cet ouvrage.
Je crois, monsieur le ministre, que le Premier ministre, lors du processus de Matignon, a commis une triple erreur : premièrement, Lionel Jospin n'est pas Michel Rocard ; deuxièmement, la Corse n'est pas la Nouvelle-Calédonie ; troisièmement, M. Talamoni n'est pas M. Tjibaou.
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale sur la Corse. Très bien !
M. Patrice Gélard. Partant de ce constat, nous pourrons aller un peu plus loin.
La première observation que je voudrais faire, c'est que je regrette que le projet de loi relatif à la Corse n'ait pas été examiné d'abord par le Sénat. A cet égard, le Gouvernement a trop tendance à oublier que, selon la Constitution, le Sénat est le garant de l'autonomie des collectivités territoriales. C'est donc nous qui aurions dû être saisis les premiers de ce texte,...
MM. Philippe François et Jean-Pierre Raffarin. Oui !
M. Patrice Gélard. ... et non pas l'Assemblée nationale, qui envisage le problème sous un angle beaucoup trop politicien et pas suffisamment territorial. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Patrice Gélard. Poursuivons notre réflexion dans la même direction : la République n'a jamais nié les différences, la République a toujours su s'adapter aux évolutions rendues nécessaires par les temps, par la modernité et ses exigences, et il suffit, pour s'en convaincre, de voir comment elle a su, avec son génie, mettre en place les statuts des territoires d'outre-mer, des départements d'outre-mer ou de collectivités territoriales comme Mayotte ou Saint-Pierre-et-Miquelon. A chaque fois, le Sénat a pris la tête de la lutte pour la reconnaissance de ces spécificités.
Il est vrai que la République n'a pas su, à la différence de nos voisins italiens ou espagnols, prendre en compte l'existence des îles. Bien évidemment, des distinctions doivent être faites : certaines îles de Bretagne sont tellement proches du continent que le problème ne se pose pas. Cependant, il demeure que, pendant longtemps, nous n'avons pas su traiter les problèmes liés à l'insularité corse - c'est une évidence - et je ne crois pas que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui puisse permettre de les résoudre.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je crains que le processus de Matignon n'ait donné lieu à une multitude de confusions.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Il y a eu confusion, d'abord, sur la nature des pouvoirs respectifs du Premier ministre et de ses partenaires dans le cadre de ce processus.
En ce qui concerne la nature des pouvoirs du Premier ministre, ce dernier n'est ni en état ni en mesure de proposer, sans l'aval du Parlement, des amodiations constitutionnelles ou législatives ; seul le Parlement peut le faire. Or, à l'occasion du processus de Matignon, le Premier ministre a pris des engagements constitutionnels et législatifs qu'il savait ne pas pouvoir tenir et que seul, en réalité, le Parlement aurait pu assumer. (M. Gournac approuve.)
En outre, vous nous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que les partenaires du processus étaient des élus. Certes, c'étaient des élus locaux, et je leur rends hommage, mais étaient-ils, à un moment quelconque, mandatés pour décider, au nom du peuple corse, au nom de la population vivant en Corse, de l'avenir de l'île ? En fait, ils étaient mandatés pour tout autre chose, non pour s'engager dans le processus dans lequel on les a entraînés.
De plus ceux qui ont participé au processus de Matignon étaient mus par des motivations diverses, divergentes. Là encore, je me reporte aux écrits de Jean-Guy Talamoni, pour qui le processus de Matignon n'est qu'une étape, l'objectif final étant l'indépendance, « la Corse aux Corses » ! Encore faudrait-il définir exactement qui est Corse et ce qu'est la Corse !
En revanche, d'autres voyaient dans ce processus un élément favorable à une plus large décentralisation. A ce propos, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que, s'agissant de la décentralisation, nous sommes, à l'heure actuelle, en recul constant par rapport à la démarche qui avait été engagée en 1982 avec les lois de décentralisation de Gaston Defferre.
M. Claude Estier. Vous étiez contre, à l'époque !
M. Jean-Pierre Masseret. Eh oui !
M. Nicolas About. Mais vous, depuis, vous ne faites que réglementer !
M. Alain Gournac. C'est cela ! Vous faites payer les autres !
M. Patrice Gélard. Aujourd'hui, qu'est-ce que la décentralisation ? C'est le transfert des charges et des dépenses, un contrôle de plus en plus étroit et une implication de plus en plus forte de l'Etat dans les affaires locales !
On l'a bien vu au travers du projet de loi que vous avez présenté hier devant la commission des lois, monsieur le ministre : une commission nationale contrôlera, à l'avenir, les projets des élus en matière de grands investissements locaux. En d'autres termes, les collectivités territoriales supporteront des charges toujours plus lourdes, auront une autonomie toujours plus réduite et seront soumises à une tutelle de l'Etat toujours plus stricte. La décentralisation, ce n'est pas cela !
M. Alain Gournac. C'est le contraire !
M. Patrice Gélard. Malheureusement, la Corse, comme les autres régions françaises, subit les conséquences de cette évolution. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Il existe également une confusion sur les mots : ceux qui sont employés dans le projet de loi n'appartiennent pas à la terminologie que le Parlement doit adopter.
Ainsi, le mot « règlement » n'a pas le même sens pour le Gouvernement et pour nous ; le mot « langue » n'a pas le même sens pour le Gouvernement et pour nous ; l'expression « protection du littoral » n'a pas le même sens pour le Gouvernement et pour nous. En d'autres termes, on a parlé deux langues différentes. Or, en réalité, la seule langue qui s'impose, c'est celle du Parlement, et non pas la langue que le Gouvernement veut employer pour tourner la difficulté des termes. Cela étant, nous avons voulu assurer le développement et l'indépendance économique de la Corse. Nous avons voulu faire en sorte que les handicaps dont elle souffrait soient levés. A cet instant, je rends hommage à la commission spéciale, à son président, M. Jacques Larché, et à son rapporteur, M. Paul Girod, pour le travail remarquable qui a été accompli, notamment sur le terrain. A cet égard, je ne suis pas convaincu que, à l'Assemblée nationale, on ait suivi la même logique et fait preuve de la même volonté d'écoute.
De surcroît, la commission spéciale du Sénat a eu une autre préoccupation que n'a pas partagée l'Assemblée nationale : que nous restions dans l'Etat de droit, que nous respections les règles de la Constitution. Il s'agit pour nous de faire en sorte que le processus engagé débouche sur des mesures durables et applicables.
Or le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale, après une réunion de commission mixte paritaire bâclée - je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit tout à l'heure M. le rapporteur sur ce point - de par la volonté délibérée des représentants de l'Assemblée nationale de ne pas aboutir à un accord, ce qui est rarissime, et je parle ici sous le contrôle de M. le président Larché,...
Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas fait beaucoup d'efforts, quand même !
M. Patrice Gélard. Nous en avons fait beaucoup plus que vous ne le croyez, madame Luc ! Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale, dis-je, n'a plus de sens. En effet, il ne sera pas applicable, il n'est pas conforme à la Constitution et il constitue en réalité un leurre, parce que le Gouvernement, de bout en bout, a voulu tenir des engagements, découlant du processus de Matignon, qui ne pouvaient pas être tenus, ce qu'il savait parfaitement.
A cet égard, il est bien évident que la nouvelle rédaction de l'article 12 élaborée à l'Assemblée nationale n'est absolument pas satisfaisante en ce qui concerne la protection du littoral. En fin de compte, la Corse se trouve entravée en matière d'aménagement du territoire et d'environnement.
Il est bien évident que les propositions de l'Assemblée nationale concernant la langue corse sont en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel - prise, je le rappelle, car cela est connu, à l'unanimité, sous la présidence de M. Robert Badinter - visant l'enseignement des langues spécifiques des régions. Cela nous entraîne dans une voie tout à fait invraisemblable, et je ne rappellerai pas, afin de ne pas être trop méchant, la position qu'a récemment adopté le Conseil d'Etat s'agissant de la langue bretonne.
N'empruntons pas des voies de garage ! Lorsque nous avons interrogé le ministre de l'éducation nationale afin de connaître les modalités de l'enseignement de la langue corse et de savoir s'il ne serait pas dispensé au détriment d'autres disciplines, notamment des langues étrangères, nous n'avons obtenu aucune réponse. Nous ignorons comment sera appliquée cette disposition, et c'est pourquoi j'approuve tout à fait la nouvelle rédaction proposée par la commission spéciale du Sénat pour l'article 7, qui reprend mot pour mot la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui, en l'absence d'une loi constitutionnelle, s'impose à tous.
Enfin, s'agissant de l'article 1er, monsieur le ministre, votre conception de la loi et du règlement ne correspond pas à la définition qui figure dans la Constitution.
Sur ce point, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt les démonstrations du conseil juridique du Premier ministre, qui ont été reprises par le directeur du cabinet de celui-ci. J'ai constaté que les définitions du règlement et du pouvoir législatif susceptible d'être délégué qui ont été données auraient été, à la rigueur, soutenables sous la IVe République, mais sont fondamentalement contraires aux dispositions actuelles de la Constitution.
Dès lors - et je reprends ici l'argumentation présentée par M. Charasse lors de la première lecture - si ce texte était adopté et si le Conseil constitutionnel le déclarait conforme - après tout, cela peut se concevoir ! - il ne pourrait être appliqué, car cela irait à l'encontre de la Constitution.
Par conséquent, nous ne pouvons nous engager dans cette démarche ! Pour cette raison, mes chers collègues, je crois que la voie de la sagesse, celle de la reconnaissance de la nécessité de développer la Corse et de prendre en compte sa spécificité, passe par l'adoption du texte dans la rédaction proposée par M. le rapporteur et adoptée en première lecture par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'achève la discussion du projet de loi relatif à la Corse, un sentiment d'amertume demeure.
Ce texte nous avait été présenté comme devant constituer sinon une solution définitive, du moins une avancée importante au regard des questions que pose la Corse à l'ensemble de la République ; force est de reconnaître qu'il s'est enlisé dans des méandres juridiques.
Le problème de la Corse est-il d'abord et avant tout un problème institutionnel et juridique ? N'aurait-il pas été préférable de traiter en priorité d'autres questions afin de mieux répondre à l'attente de nos compatriotes de Corse ? Selon nous, mettre en exergue les seules questions institutionnelles, c'était aller à l'échec.
Aucun élu de Corse n'a voté ce texte à l'Assemblée nationale, alors que la règle affichée par le Gouvernement était le dialogue avec les élus de Corse. Force est donc de constater que nous sommes dans une impasse.
Monsieur le ministre, je souhaiterais vous exposer brièvement pour quelle raison, selon nous, le principal problème qui se pose en Corse, comme dans d'autres régions de la République, c'est celui du développement économique. Nous regrettons, à cet égard, que le Gouvernement n'ait pas suivi les propositions que le Sénat lui avait présentées dans ce domaine, car ce point nous semble essentiel.
Vue de l'extérieur, la Corse jouit d'une situation exceptionnelle du point de vue économique. Elles est située à proximité de régions qui connaissent un fort développement économique, qu'il s'agisse de l'Italie du Nord ou de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il n'y a donc aucune raison que, compte tenu de sa situation géographique, la Corse ne participe pas à ce développement.
Contrairement à ce que certains affirment, le fait d'être une île ne nuit pas au développement économique. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder ce qui se passe dans le monde. En effet, un certain nombre de territoires insulaires connaissent un boom économique.
Aujourd'hui, en Corse et sur le continent, lorsque l'on parle de la Corse, l'angle unique d'analyse est politique. Si nous voulons véritablement réussir, il faut changer en quelque sorte notre fusil d'épaule et examiner le problème sous l'angle économique. Ce que les Corses attendent, c'est un projet qui mette en place des conditions de développement économique, pour permettre à la Corse de jouir de ses atouts économiques.
Sur ce point, je salue l'excellent travail fait par la commission, sous la direction de son président Jacques Larché et du rapporteur Paul Girod, pour orienter ce texte sur les questions de développement.
Si le Gouvernement suivait la commission spéciale et le Sénat, il apporterait aux Corses des réponses nouvelles qui ne seraient pas des impasses juridiques et qui permettraient véritablement à nos compatriotes de se trouver dans une autre situation et de bénéficier, une fois le développement économique réalisé, et comme les autres régions de la République, des textes de décentralisation et des textes d'aménagement constitutionnel ou juridique qui seront forcément adoptés à un moment donné pour tenir compte des spécificités de chacun.
Mais vouloir mettre la charrue devant les boeufs, c'est, à certains égards, s'enliser et aller à l'échec, échec que nous connaissons aujourd'hui.
Aussi, pour que nos compatriotes ne désespèrent pas de la réponse que le Parlement de la République peut apporter à leurs problèmes, le groupe de l'Union centriste suivra les conclusions que le rapporteur vient de présenter et qui visent à mettre fortement l'accent sur le développement de l'île. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je salue, au nom de la Haute Assemblée, la présence dans les tribunes des anciens ministres José Rossi et Emile Zuccarelli, qui suivent attentivement notre débat cet après-midi. Visiblement, ils n'ont pas sommeil ! En Corse, on dit : aghju u sonnu.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur le projet de loi relatif à la Corse. Une question, une seule, me préoccupe fondamentalement, ainsi que mon groupe : comment faire prévaloir l'intérêt de la Corse et de sa population ?
Faire prévaloir l'intérêt de la Corse et des habitants de cette île n'est d'ailleurs pas une sinécure, sur fond de procès et de violence persistante, avec - cela a été dit - l'attentat d'hier, qui a détruit plusieurs bungalows d'une résidence de locations de vacances, à Piana, commune que notre collègue Nicolas Alfonsi connaît bien, et avec, avant-hier encore, l'assassinat d'un nationaliste.
Le Gouvernement comme l'opposition parlementaire ont, tout au long de ces discussions, repoussé notre proposition de consultation qui visait justement à associer étroitement la population corse au processus.
Au nom d'arguments constitutionnalistes de circonstance, l'élément clé, la démocratie, qui aurait pu dynamiser le processus de Matignon et adapter au mieux le projet de loi à la réalité et aux besoins de la Corse, a été repoussé.
Comment s'étonner que les préoccupations politiciennes soient dominantes dans le débat, alors que des échéances électorales importantes approchent ? Cela explique notamment que la commission mixte paritaire ait échoué. Avant même que l'on examine les textes votés dans les deux chambres, le président Bernard Roman voulait constater immédiatement l'échec de la commission mixte paritaire, dès lors qu'aucun accord ne pourrait être trouvé sur l'article 1er, et ce avant d'engager la discussion. De son côté, François Fillon, qui n'était pas en reste, se déclarait défavorable à un examen des articles par la commission mixte paritaire.
Monsieur le rapporteur, malgré votre volonté constructive concernant l'article 1er, le texte de l'Assemblée nationale était rejeté par six voix contre, quatre voix pour, et celui du Sénat, par six voix contre, une abstention et trois voix pour. La commission mixte paritaire s'arrêtait là.
C'est la raison pour laquelle, à l'occasion de cette nouvelle lecture devant le Sénat, je n'ai pas souhaité, avec mes amis sénateurs communistes, déposer à nouveau des amendements comme lors de la première lecture.
A vous de prendre vos responsabilités, chers collègues de la majorité sénatoriale ! Expliquez-nous, par exemple, pourquoi vous êtes amenés à déposer à nouveau vos amendements de première lecture, alors que vous aviez la possibilité de les faire voter en commission mixte paritaire.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. C'était une possibilité très formelle !
M. Robert Bret. Qui joue avec la Corse ? Pour nous, les données ont changé, d'autant qu'après la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, les termes du débat ne sont plus tout à fait les mêmes.
Des progrès significatifs ont été, selon nous, effectués dans trois directions.
Tout d'abord, l'article 1er, relatif au transfert de compétence législative et réglementaire, a subi une modification non négligeable sur l'initiative des députés communistes.
Nous pensons toujours que le pouvoir législatif doit demeurer l'apanage du seul parlement national.
Cependant, à défaut de la suppression du paragraphe I de l'article 1er, qui concerne la nouvelle procédure d'expérimentation législative, nous avons obtenu que, pour le moins, une commission de chaque assemblée organise une évaluation continue de cette expérimentation avec possibilité de remettre en cause telle ou telle disposition d'ordre législatif décidée par l'Assemblée territoriale de Corse.
Nous entendons bien les critiques et les réserves de M. le rapporteur, qui évoque l'article 43 de la Constitution.
Mais ne serait-il pas de meilleur aloi d'appuyer cette disposition constructive plutôt que de conserver une position tranchée et inefficace ?
Toujours sur l'article 1er, je regrette, monsieur le rapporteur, que vous n'ayez pas maintenu votre position, avancée devant la commission mixte paritaire, de dissocier les mesures d'expérimentation législative et les mesures d'adaptation réglementaire, dont vous ne demandiez plus la suppression.
Outre le fait que votre attitude rejoignait celle qui a été affirmée par les sénateurs communistes lors du débat en première lecture, elle s'avérait positive par sa recherche d'un compromis utile.
Vous avez préféré, aujourd'hui, revenir à une attitude de confrontation, et je le regrette.
La deuxième amélioration importante du texte, qui a fait couler beaucoup d'encre, c'est la réduction significative de la portée de l'article 12 relatif à l'urbanisation du littoral corse.
Grâce aux propositions des députés communistes et verts, les appétits des bétonneurs et spéculateurs immobiliers ne pourront être satisfaits.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Robert Bret. Le débat avait montré, en effet, les risques importants qui existaient, et le dépit de M. Rossi et des milieux d'affaires ne peut que conforter notre appréciation positive de l'évolution du débat sur ce point.
Bien entendu, il ne s'agit pas de fermer la porte à toute évolution permettant le développement économique de l'île, dont le tourisme est une composante importante.
Mais ce rappel d'ordre écologique met en évidence le fait que ce développement doit s'appuyer sur bien d'autres facteurs.
Là encore, je m'étonne, monsieur le rapporteur, de votre refus de prendre en compte cette avancée qui permet d'ouvrir une phase de réflexion pour allier respect de la nature corse, patrimoine national de premier ordre, et essor touristique.
Diversifier les sources de développement, c'est l'objet de la troisième avancée significative intervenue à l'Assemblée nationale.
Le plan d'investissement économique destiné à rattraper les retards structurels dont souffre la Corse, retards qui hypothèquent tout développement de l'île, a été précisé.
L'article 46 a, en effet, été complété par une description des modalités d'application de ce plan.
Le nouveau texte prévoit qu'une convention-cadre portant sur la totalité de la durée du programme et une première convention d'application seront signées dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi. Ainsi, l'effort public, étalé sur quinze ans, sera de 12 milliards à 13 milliards de francs. Outre la collectivité territoriale corse, y seront associés les conseils généraux et les grandes agglomérations. Le préfet de région a réuni tous les intéressés pour confirmer cette décision. (M. le ministre opine.)
Je tiens néanmoins à exprimer, une nouvelle fois, le regret que le plan d'investissement n'ait pas constitué l'enjeu essentiel du débat depuis la première lecture et n'ait été jusqu'alors qu'un élément subalterne de notre discussion, alors que les élus corses et la population attendent beaucoup de ces décisions. Selon Corse Matin, les élus locaux sont unanimes sur ce point.
J'aurais souhaité, je le dis une nouvelle fois, que le montant du PIE soit précisé dans le texte, et non donné à titre d'information. Mais nous prenons acte de l'annonce du préfet de région, qui, à nos yeux, constitue un engagement fort du Gouvernement.
Oui, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a, il faut le reconnaître, sensiblement amélioré le texte. Les modifications intervenues aux articles 1er, 12 et 46 auraient même pu conduire les députés communistes à approuver le projet de loi ainsi modifié.
Mais des doutes et des réserves demeurent sur un certain nombre d'aspects.
Une interrogation forte demeure, par exemple, sur le devenir du service public en Corse, qui dépasse le cadre de la seule collectivité territoriale en question. Elle est au coeur même du débat sur la décentralisation qui est en cours aujourd'hui dans l'ensemble de notre pays.
Cette interrogation concerne aussi, par exemple, le projet de loi relatif à la démocratie de proximité, qui doit être débattu les 8, 9 et 10 janvier prochains. Je pense au transfert de compétences vers les régions. Ce débat n'anticipe-t-il pas le débat sur les formes futures de la République dans l'Europe ? Je le crois.
Quelle est la frontière entre la nécessaire décentralisation, outil de démocratie qui permet de rapprocher le citoyen des centres de décision et qui permet aux élus d'être acteurs, mais aussi réellement décideurs, et la rupture de l'unicité du service public, socle de la République ?
Cette unicité du service public garantit le traitement le plus égal possible des habitants de notre pays, où qu'ils se trouvent, dans des domaines aussi divers que l'éducation, la sécurité, la solidarité, l'environnement, la santé ou les transports.
Quoi qu'on en dise, la poussée fédéraliste, qui s'appuie précisément sur un pouvoir accru des régions en faveur d'une cohésion européenne au détriment de la cohésion nationale, est forte. Nous connaissons le sens que certains veulent donner à ces évolutions.
Le projet de loi qui nous est soumis permettra-t-il de garantir la permanence du service public ? L'avenir nous le dira, mais il est possible d'en douter, car la Corse est particulièrement exposée à une poussée libérale, appuyée - et c'est une de nos préoccupations - par des fonds d'origine mafieuse - chacun sait que de tels phénomènes existent aussi en Corse -, qui espère investir des services publics gérés aujourd'hui par le secteur public.
Lors de la première lecture, j'avais mis en évidence les dangers qui pèsent sur les fonctionnaires d'Etat affectés à la gestion des forêts. Qu'est-ce qui pourra empêcher à l'avenir l'intervention de sociétés privées, avec les risques que cela entraîne pour la préservation du service public ?
J'ai obtenu des réponses, mais je ne suis pas persuadé qu'elles seront de nature à apaiser l'inquiétude de ces personnels, qui est grande.
En tout cas, nous regrettons la distance avec laquelle leurs demandes d'éclaircissement sur leur avenir ont été traitées.
Les menaces qui pèsent, selon nous, sur le devenir du service public ne sont pas en contradiction avec le second aspect négatif du texte, qui porte sur les exonérations fiscales en faveur des entreprises.
Chacun s'accordera sur la nécessité d'inciter l'investissement en Corse, qui ne coule pas de source du fait de l'insularité, mais aussi des vingt-cinq années de désordre, d'assassinats, de dérives mafieuses qui pèsent encore sur elle aujourd'hui.
Il est d'ailleurs frappant de constater qu'il s'agit du seul point sur lequel un consensus entre le Gouvernement et la droite sénatoriale est intervenu. Le travail a été précis et efficace, je dois le reconnaître. Mais, si les futurs avantages sont clairement précisés, rien n'a été prévu pour garantir la création d'emploi ni même pour assurer le contrôle du devenir de ces fonds publics. La mise en place de la commission régionale de contrôle des fonds publics prévue par la loi dite « Hue » s'impose.
Il y a bientôt un an, monsieur le ministre, que la loi du 5 janvier 2000 a été promulguée. Il faut que la circulaire soit publiée au plus vite. Ce serait vraiment une bonne chose pour la Corse, et pas seulement pour elle, d'ailleurs.
Monsieur le ministre, nous n'approuvons pas ce nouvel engagement de la collectivité au profit des entreprises, par le biais notamment de l'élargissement du crédit d'impôt sans contrepartie en faveur de l'emploi.
Nous espérions que le Gouvernement avait tiré les leçons de ce genre de pratiques, qui a déjà, depuis plus de vingt ans, prouvé son inefficacité en matière de lutte contre le chômage.
Il est révélateur de constater l'impatience de certains sénateurs de la majorité sénatoriale pour ce qui concerne le volet fiscal du projet, alors que, par ailleurs, leur hostilité au texte est clairement affichée.
Les sénateurs communistes s'opposeront, une nouvelle fois et sans ambiguïté, aux amendements de la commission des lois tendant à accroître encore plus le champ d'application des exonérations fiscales.
Dernier point qui nous préoccupe : l'enseignement de la langue corse.
Je tiens à réaffirmer en seconde lecture l'engagement des sénateurs communistes en faveur de la généralisation de cet enseignement, mais aussi l'affirmation de son caractère optionnel.
Les langues régionales sont un atout pour notre pays : la richesse du français provient de la diversité de ses origines linguistiques. Leur enseignement doit donc être accepté, encouragé et développé. Mais, dans le même temps, nous ne souhaitons pas que la langue française pâtisse de cet essor à l'heure où tant de menaces pèsent sur son avenir.
Pour conclure mon propos et le résumer, je dirai que nous approuvons l'évolution du texte après la deuxième lecture qui a eu lieu à l'Assemblée nationale. La discussion a, selon nous, commencé à le rééquilibrer en faveur des vraies priorités.
Il est, selon nous, positif que les leaders nationalistes se sentent aujourd'hui dessaisis de ce texte ; cela vaut pour d'autres également. C'est un bon signe car la domination de l'axe libéralo-nationaliste sur le processus de Matignon, que nous avions dénoncée, le menait tout droit à l'échec. J'avais, d'ailleurs, à l'occasion de la première lecture, exprimé des doutes et des interrogations à ce sujet.
J'avais alors déploré la prédominance du débat institutionnel, alors que la population corse attend des mesures visant au développement de l'île.
M. Paul Girod, rapporteur. Très bien !
M. Robert Bret. Pour autant, comme je l'ai indiqué, de graves questions ne sont pas résolues, et la réforme constitutionnelle de 2004 est incontournable.
Pour toutes ces raisons, et ne voulant pas se prêter au jeu de la droite, les sénateurs communistes ne participeront pas au vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette deuxième lecture au Sénat du projet de loi relatif à la Corse pourrait être une magnifique occasion de dépassionner nos débats, de mettre de côté les clivages partisans et, si cela est possible - je le redis cette fois encore - d'écarter la tentation de la caricature et des lieux communs.
Les échanges passés pourraient, il est vrai, faire douter de notre capacité à nous dégager de nos préjugés respectifs et, surtout, à nous dégager de la ligne d'horizon du mois d'avril qui vient.
Pourtant, chacun le sait, la question qui nous occupe ne vient pas de surgir. Ce n'est pas ce gouvernement qui l'a fait naître, c'est un dossier sensible qui s'impose aux responsables d'aujourd'hui, tout comme il s'imposera aux gouvernants de demain.
Personne n'a intérêt à laisser une immense attente sans réponse, personne n'a intérêt à utiliser les problèmes majeurs qui se posent dans l'île de Beauté à des fins partisanes personne ne doit faire de la Corse l'otage, le bouc émissaire d'enjeux qui ont peu de choses à voir avec elle.
Voilà près de trente ans que la Corse vit dans un climat qui n'est pas compatible avec l'esprit de notre République ou, plus simplement, qui n'est pas compatible avec ce qu'est en droit d'attendre tout citoyen, à savoir une exigence de justice, d'égalité et de tranquillité publique.
Les citoyens corses n'ont rien de différent des autres, même si nous devons reconnaître leurs spécificités, le caractère particulier de leurs conditions de vie et d'existence. Il faut arrêter de s'extasier sur la beauté de cette île si cela se traduit par incompréhension, ignorance, voire indifférence.
Je ne crois pas du tout que telle fut l'attitude de la commission spéciale du Sénat, notamment celle de son rapporteur et de son président. Je reste persuadé que, au travers de nos rencontres avec de nombreux acteurs de la vie locale, avec ces femmes et ces hommes qui, dans un contact direct et franc, ont exprimé leurs peurs, leurs espérances, qui nous ont fait entrevoir ce qu'était leur vie aujourd'hui, tout cela vous l'avez perçu, monsieur le rapporteur. Vous avez mesuré, je le crois, la responsabilité qui est la nôtre mais vous n'en avez pas tiré les conséquences. Vous avez manqué d'audace, d'inventivité, peut-être aussi de confiance en l'avenir et dans la Corse.
J'entends souvent - ce fut le cas cet après-midi encore - les détracteurs du projet de loi s'appuyer sur la situation présente pour justifier soit leur opposition de principe irréductible, soit leur refus de proposer des évolutions, soit, pour certains, leur revirement de point de vue.
Je ne crois pas que ce soit une bonne façon d'aborder un sujet aussi grave, une question qui, depuis près de trente ans, a fait couler autant de sang et de larmes, une question qui appelle des réponses de fond, des solutions concrètes adaptées à une situation objective, une situation vécue par nombre de nos compatriotes.
Je vous ai entendu, monsieur le rapporteur, mais doit-on ainsi chanceler ou se renier au gré de l'actualité immédiate, en fonction des menaces ou de forfaits qui émanent de ceux qui n'ont que faire des principes démocratique ? Pourquoi remettre en cause un travail en profondeur réalisé dans la concertation, dans la transparence, avec le souci de dégager un compromis acceptable par tous ?
Je me fais, pour ma part, une autre idée du législateur. Ce dernier doit inscrire son action dans la durée et, certes, prendre en compte les avis et les critiques. Mais il doit aussi tracer le cap, définir une ligne de conduite et s'y tenir. Pourquoi accorder tant de place, tant d'importance à ceux qui ne connaissent que la violence comme forme d'expression publique ? Pourquoi plier et renoncer dès que ceux-ci se font entendre ? Pourquoi faire d'eux les arbitres de nos débats ?
Les arguments fondés sur la persistance de la violence résonnent souvent comme des prétextes à l'immobilisme. Nous avons, au contraire, le devoir de répondre par la constance et l'affirmation de notre volonté à ceux qui soufflent sur les braises, à ceux qui souhaitent l'échec pour mieux poursuivre vers le dénigrement de la République ; nous avons à appporter une approche globale pour créer les conditions du changement tant attendu.
Nous avons - c'est une évidence - des divergences nettes sur les moyens de répondre aux problèmes qui se posent à la Corse et, pour notre part, nous savons gré au Gouvernement et à vous, monsieur le ministre, d'avoir su mener ce processus jusqu'à son terme et d'être resté fidèles aux engagements pris.
Tout en restant ferme, monsieur le ministre, vous avez permis que, au cours des débats parlementaires, le texte soit amélioré et, comme vous l'avez dit, que « le meilleur des deux assemblées soit pris en compte ».
Le groupe socialiste accompagnera ce projet de loi dans sa globalité parce qu'il nous paraît être la seule véritable proposition pour faire face aux problèmes et engager clairement l'avenir.
Nous sommes pour la mise en place d'une décentralisation renforcée donnant à la Corse les moyens d'un développement durable, adapté aux spécificités de l'île, tout comme nous sommes favorables à la reconnaissance de son identitié culturelle, à un nouveau statut fiscal pour les entreprises en faveur d'un soutien plus affirmé à l'investissement et à la création de l'emploi, au programme exceptionnel d'investissement destiné à rattraper le retard traduisant la solidarité nationale, au retour au droit commun en matière successorale, enfin, à une responsabilité accrue des élus de Corse dans la gestion des affaires de l'île, notamment en permettant à la collectivité d'adapter certaines dispositions réglementaires et législatives à la spécificité de l'île, sous le contrôle bien entendu du Parlement, en inscrivant ainsi ce processus dans une dynamique politique.
Le texte que notre assemblée s'apprête à adopter ne constituera pas une véritable alternative pour la Corse. Monsieur le rapporteur, votre réticence à déléguer les responsabilités dans la gestion des affaires de l'île nous paraît priver la Corse d'une perspective réelle de s'en sortir durablement, de faire face aux difficultés d'assurer son développement dans le cadre de la République.
Au terme de ce débat, on peut constater une nouvelle fois que deux logiques se sont opposées.
Celle du Gouvernement s'appuie sur le dialogue en alliant reconnaissance des spécificités et de l'identité corse, expression de la solidarité nationale, et accroissement du rôle et de la responsabilité des élus. La responsabilisation des élus de Corse est une occasion formidable à ne pas manquer.
Nous ne rappellerons jamais assez que ce projet de loi est le résultat d'un processus de concertation avec les élus de l'Assemblée territoriale de Corse, issus du suffrage universel.
La deuxième logique ne constitue en rien une solution alternative, mes chers collègues, même si, contrairement à la position prise par vos amis à l'Assemblée nationale, vous avez pris vos responsabilités, en partie tout au moins, et vous n'avez pas refusé le débat, en écartant le recours à des motions de procédure et même en rejetant, en première lecture, une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Le problème, me semble-t-il, tient plus à vos réticences à reconnaître que le présent gouvernement a réussi là où d'autres avaient échoué ; peut-être aussi y a-t-il chez vous une absence de confiance dans la capacité des élus de Corse à prendre en main le développement de l'île ?
Seulement, en rejetant toute perspective nouvelle de responsabilités accrues pour les élus et en ne retenant pour seul moteur du changement que le développement économique, vous privez ce projet de toute dynamique politique. Et la dynamique politique, aussi, c'est indispensable !
Le texte du Sénat s'inscrit donc dans cette logique traditionnelle qui a fait les preuves de ses limites, qui consiste à s'en tenir au développement économique et à refuser la solution politique.
Si l'enjeu était seulement économique, si l'avenir de la Corse ne devait passer que par des solutions économiques, il n'aurait pas été besoin d'attendre dix ans pour approfondir la loi « Joxe » de 1991 ; il est clair aujourd'hui qu'une nouvelle étape doit être franchie.
Si nous voulons être intraitables, comme vous le réclamez, s'agissant du respect de l'Etat de droit, ce à quoi s'emploie le Gouvernement, nous ne pouvons ignorer les spécificités ni méconnaître les identités.
J'ai bien noté, chez nombre d'entre vous, la tentation de refuser toute légitimité aux élus du suffrage universel pour discuter de l'avenir de la Corse. Dès lors, il est logique que ceux-là refusent un texte qui introduit de nouveaux transferts de compétences et de nouveaux moyens.
Au-delà des mots, je pense qu'il faut agir pour que les principes ne demeurent pas une simple déclaration d'intention ; encore faut-il les traduire dans les faits et chercher les voies et les moyens d'en faire un projet collectif, concret et vivant.
Votre position, chers collègues de la majorité sénatoriale, donne l'impression que vous refusez aux élus la confiance qu'en revanche vous accordez sans réserve aux chefs d'entreprise pour assurer le développement de la Corse.
Néanmoins, il faut le souligner, les débats auront permis de préciser utilement un certain nombre de dispositions, de les enrichir ou d'en éclairer le sens.
L'Assemblée nationale a repris, pour l'essentiel, le texte qu'elle avait adopté en première lecture, sans toutefois négliger les apports du Sénat dès lors que ceux-ci s'inscrivaient dans la logique du projet de loi.
A l'article 1er, la commission spéciale du Sénat propose, comme en première lecture, de supprimer le pouvoir d'adaptation reconnu à l'Assemblée territoriale de Corse en matière législative et réglementaire et donc, en définitive, de s'en tenir à l'article 26 du statut Joxe. Cette position illustre parfaitement le clivage qui existe entre les deux assemblées.
Cet article a fait l'objet de débats animés, de controverses juridiques, et je crois savoir qu'au sein de notre commission spéciale vous n'avez pas tous, chers collègues de la majorité sénatoriale, la même appréciation quant à sa constitutionnalité.
S'agissant de l'enseignement de la langue corse, tout ou presque a été dit. Si divergence il y a, elle n'est que de forme. Je dois dire que j'interprète la proposition de notre commission spéciale complétant la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale comme une confirmation supplémentaire de l'accord entre les deux chambres.
Mais pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Pourquoi reprendre la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel à propos de la langue polynésienne dans le texte de loi puisque, de toute façon, la décision du Conseil constitutionnel s'impose à tous. Il n'y a aucune ambiguïté : il s'agit seulement de généraliser l'offre d'enseignement de la langue corse et non pas de rendre cet enseignement obligatoire.
Quant à l'article 12, relatif aux dérogations à la loi littoral, il a fait l'objet de débats animés, de caricatures et, peut-être, de craintes excessives.
Pour apaiser les inquiétudes, pour mettre fin aux procès d'intention, pour rendre vaines les mises en garde - quelquefois justifiées - contre le bétonnage, on a amputé cet article des dispositions qui permettaient pourtant de manière très encadrée, à l'Assemblée de Corse de définir, dans le cadre d'un plan d'aménagement et dans le respect des dispositions du code de l'urbanisme, une urbanisation qui n'aurait pas été dans la continuité de l'urbanisation existante, c'est-à-dire de constituer des hameaux nouveaux.
Il faut relativiser les effets du retrait de ces dispositions. Je tiens d'ailleurs à rappeler que, si celles-ci avaient été introduites à la suite de la demande que les élus avaient formulée au cours de notre déplacement dans le cadre de la mission sénatoriale, plusieurs élus de l'île, en particulier le président de l'Assemblée de Corse, se disaient prêts, pour assurer l'adoption du projet de loi, à accepter, le cas échéant, le retrait de l'article 12.
Le groupe socialiste souscrit entièrement à la démarche entreprise par Lionel Jospin il y aura demain deux ans, jour pour jour. Cette démarche a été menée dans la transparence la plus totale et a reçu, au terme du processus, l'accord quasi unanime des élus de l'Assemblée de Corse. Conformément aux termes du relevé de conclusions approuvé par l'Assemblée de Corse le 28 juillet 2000, ce projet de loi fixe pour la Corse des perspectives d'évolution durable dans le cadre de la République.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, qui reprend un certain nombre de dispositions introduites au Sénat en première lecture, est fidèle aux engagements pris.
Nous ne voterons évidemment pas l'exception d'irrecevabilité, non plus que le texte issu des travaux de notre assemblée, malgré des rapprochements sur diverses dispositions, compte tenu des clivages qui persistent sur des points essentiels.
Regrettant aussi, eu égard à l'enjeu que représente ce texte pour l'avenir et le développement de la Corse, que nos deux assemblées n'aient pu parvenir, à défaut d'un accord, au moins à un consensus plus large, le groupe socialiste votera contre le texte tel qu'il va être établi par la majorité sénatoriale.
Avant de quitter cette tribune, je tiens à dire que l'examen du projet de loi relatif à la Corse a été pour nous l'occasion d'un travail passionnant, dans lequel nous nous sommes investis, les uns et les autres, avec le souci d'être véritablement à la hauteur des enjeux.
Pour ce qui nous concerne, nous avons été guidés par cette seule préoccupation : être utiles à la Corse et, par là même, utiles à notre démocratie et à notre pays.
C'est cette exigence que porte votre projet, monsieur le ministre. C'est pourquoi nous vous soutenons. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le ministre, notre collègue Jean-Pierre Bel vient de nous dire que ses collègues socialistes et lui-même vous soutenaient parce qu'ils voulaient être utiles à la Corse et à la démocratie. Eh bien, c'est au nom des mêmes raisons que nous, nous ne vous suivrons pas ! Le souci est le même, mais les voies choisies sont totalement différentes.
Je voudrais d'abord saluer le travail accompli par la commission spéciale, notamment par son président, M. Jacques Larché, et par son rapporteur, M. Paul Girod. C'est un travail législatif et politique d'une grande finesse, grâce auquel nous avons aujourd'hui, me semble-t-il, les éléments qui permettent de bâtir une plate-forme d'avenir pour la Corse.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, sur la Corse, nous devons dresser un constat d'échec. Cet échec n'est pas le vôtre personnellement ; si vraiment il devait y avoir échec du ministère de l'intérieur, ce serait peut-être plus votre prédécesseur que vous-même qui devrait être mis en cause. Au demeurant, force est de reconnaître que vous avez déployé sur ce dossier une grande énergie.
Non, en vérité, cet échec, c'est celui de la démarche menée par Lionel Jospin.
Pour tout dire, dans le processus de Matignon, l'échec est triple.
Le premier échec se trouve dans une promesse non tenue : la violence, en Corse, ne s'est pas tue. On avait promis la paix en Corse, mais la paix en Corse n'est pas advenue et, encore la nuit dernière, elle y a été violemment troublée. Assassinats, explosions, menaces, insécurité : à tout cela, il n'a pas été mis fin. Or le droit de nos compatriotes corses à la sécurité doit être une priorité nationale.
Certains orateurs ont expliqué que de telles difficultés avaient jalonné toute l'histoire de la République. Certes ! Mais il y aura toujours un avant et un après l'assassinat du préfet Erignac. Le jour où le préfet Erignac a été assassiné, ce jour-là, c'est toute la République qui a été ensanglantée. C'est vraiment une étape historique. On ne peut pas faire aujourd'hui comme si un préfet n'avait pas été lâchement abattu.
Dans ce contexte, la paix en Corse est une nécessité, le retour à l'état de droit une priorité.
Deuxième échec : le processus de Matignon a déçu tout le monde. Il y a ceux qui était déçus d'avance, qui, dès l'origine, n'ont manifesté aucun enthousiasme. Il y a aussi ceux qui ont abandonné en cours de route. Et puis, il y a les déçus de la fin, ceux qui ne vous accompagneront pas, monsieur le ministre, dans le vote final de ce texte.
Le Gouvernement et le Premier ministre ont fait croire que tout le monde pourrait trouver son compte dans ce texte, mais les uns et les autres vous ont finalement abandonné. Ils ont vu que vous étiez en situation fragile. Les nationalistes boudent et les républicains doutent. Au fond, qu'y a-t-il maintenant, en dehors du Premier ministre, derrière ce processus ?
M. Philippe Marini. Le parti socialiste !
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est en effet devenu un processus partisan, qui n'est plus susceptible de rassembler, qui a perdu son autorité, sa capacité de mobilisation.
Troisième échec : la décentralisation n'a pas avancé. Elle n'a pas avancé en Corse et elle n'avance pas en France.
M. Alain Gournac. Elle recule même !
M. Jean-Pierre Raffarin. Toutes les propositions de l'Assemblée de Corse, de son conseil exécutif, allaient dans le sens d'un approfondissement de la décentralisation et d'un accroissement de ses responsabilités, notamment en matière budgétaire. Or ces responsabilités ne lui sont pas accordées. Pourtant de telles perspectives avaient été envisagées, notamment à l'Assemblée nationale. Des personnalités expérimentées, comme le président Giscard d'Estaing et quelques autres, qui avaient cru que ce texte ouvrait la voie à des progrès dans la décentralisation ont dû, eux aussi, finalement constater que tel n'était pas le cas.
En janvier prochain, lorsque nous aborderons le texte sur la démocratie de proximité, nous aurons l'occasion de revenir sur ces sujets.
Il faut aller de l'avant en matière de décentralisation, mais je crains que ce texte, parce qu'il a été conçu de manière ambiguë, ne fasse plus reculer qu'avancer la décentralisation.
Triple échec ! Triple erreur !
Quelles sont les erreurs de la gouvernance de Matignon sur ce dossier ?
La première erreur a été de placer les nationalistes au coeur du processus. Cette erreur n'est d'ailleurs pas forcément volontaire : je reconnais que vous avez cherché à rassembler tous les élus de Corse. Mais, à chacune des étapes du processus, on est resté suspendu à l'avis des nationalistes de telle sorte que, progressivement, ces derniers ont été promus évaluateurs de la démarche, au point que le Gouvernement est devenu dépendant de leurs commentaires, de leur opinion, de leur accord.
En témoigne tout particulièrement le pacte sémantique que vous avez été contraint de passer avec eux sur la langue corse.
Au sujet de la langue corse, avec un peu de bonne volonté, tout le monde pourrait être d'accord dans ce pays, pour peu qu'il n'y ait pas d'obligation, mais qu'il y ait simplement, dans toute l'île, une offre généralisée d'enseignement de la langue corse, assurée par le ministère de l'éducation nationale.
Moi, je suis très attaché aux cultures régionales. Je suis tout à fait favorable à ce que l'on puisse offrir aux jeunes Corses la possibilité d'apprendre le corse. Et je ne crains nullement que cet apprentissage constitue une menace pour l'unité nationale. L'apprentissage d'une langue régionale a même des vertus pédagogiques : on sait que les jeunes Catalans, par exemple, qui parlent couramment et le catalan et le castillan, apprennent l'anglais plus vite que les jeunes Poitevins ou les jeunes Bretons. Le maniement de plusieurs langues dès l'enfance est donc un facteur d'agilité intellectuelle.
Mais il y a des limites qu'il ne faut pas dépasser, et ces limites, ce sont celles que fixe la Constitution de notre République.
L'apprentissage du corse doit être facultatif. La décision doit appartenir aux parents, même si le rôle de l'Etat est d'octroyer les moyens de cet apprentissage.
Le fait d'avoir privilégié les nationalistes au détriment des républicains vous a privé d'un véritable partenariat avec tous ceux qui aiment la Corse et qui aiment la République, avec tous ceux, fort nombreux, qui souhaitent le développement de la Corse dans la République, qu'ils soient en Corse ou sur le continent. Ceux-là sont prêts au dialogue, mais ils ne veulent pas que les nationalistes se trouvent en position d'arbitres.
La deuxième erreur est d'avoir rendu confus les concepts de région et de nation. Je suis attaché, comme beaucoup d'entre nous, au régionalisme. En Corse comme ailleurs, je dis oui au régionalisme dans la nation, mais je dis non au nationalisme dans la région !
La région est certes un espace d'avenir, mais elle doit respecter l'unité et la cohérence de la nation. La région, dans la culture de notre pays, ne détient pas une part de la souveraineté nationale ; elle est simplement un échelon pertinent d'action, un échelon de décision, un lieu de travail, un lieu où l'on peut entreprendre. Elle n'est en aucun cas un lieu où la nation trouve son unité et sa cohérence.
De ce point de vue, l'article 1er est source de toutes les ambiguïtés.
Evidemment, tout le monde est d'accord pour qu'une entité régionale comme l'Assemblée de Corse exerce une part du droit réglementaire. Cela se fait déjà aujourd'hui dans bien des circonstances ! Mais, au-delà, ce que nous demandons, c'est une vraie réflexion sur la question de la régionalisation, en Corse et ailleurs. Dans la République, il convient que, en amont, l'Etat fixe la norme et que, en aval, il réalise l'évaluation. Entre les deux, il doit confier des responsabilités à des autorités locales. Nous ne demandons absolument pas, aujourd'hui, que les régions de France aient la capacité de fixer les normes législatives. Nous ne sommes pas des militants du Poitou-Charentes libre et de la Franche-Comté indépendante ! (Sourires.)
La confusion entre région et nation est une erreur qui explique l'échec.
Troisième et dernière erreur, vous avez privilégié le débat politicien sur le développement économique. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Bernard Angels. Il vaudrait mieux être sourd que d'entendre cela !
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est une idée qui a été développée tout à l'heure. Evidemment, puisque nous sommes dans des périodes électorales, vous avez pris une posture électorale sur ce sujet !
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. Et vous avez finalement mis de côté ce qui importe le plus aux Corses : les conditions du développement économique, le programme d'investissement, bien sûr, mais aussi tout ce qui peut être tenté dans ce domaine.
D'un revers de la main, vous renvoyez dans le passé la zone franche. Je ne suis pas sûr que les processus qui devront désormais être mis en place soient aussi efficaces que l'était la zone franche - pour peu que l'on veuille bien donner à la Corse les moyens de mettre en oeuvre une véritable politique économique, c'est-à-dire orientée vers la création.
Si on ne permet pas à la Corse de créer des entreprises sur son territoire, de monter des projets susceptibles d'entraîner un vrai développement, une capacité d'initiative décentralisée, la Corse restera naturellement un simple écrin de beauté pour des visiteurs venus d'ailleurs.
Mais la Corse prétend à autre chose. Sa fertilité, sa capacité de création, elle les veut pour elle-même. Voilà ce qu'il faut donner aux Corses : la capacité d'initiative pour entreprendre, les moyens financiers de créer.
Il ne fallait pas s'enfermer dans les logiques de répartition de pouvoir et dans les tactiques politiciennes ; il convenait d'élargir la démarche au développement économique. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il faudra, un jour, reprendre ce dossier !
Le débat a été riche et intéressant, mais vous êtes aujourd'hui dans une impasse, face à vos erreurs, face à vos échecs.
Le moment venu, le texte de la commission spéciale du Sénat fournira une plate-forme pour l'avenir, afin que nous puissions trouver les solutions permettant à la Corse d'assumer elle-même son développement dans la nation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Raymond Courrière. Des incantations, rien que des incantations !
M. le président. La parole est à M. Alfonsi, qui intervient pour la première fois devant la Haute Assemblée. (Applaudissements.) Nous avions été élus députés ensemble en 1978 ; nous retrouver aujourd'hui nous rajeunit ! (Sourires.)
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les hasards combinés des calendriers électoral et parlementaire me conduisent à m'exprimer seulement en deuxième lecture sur le texte qui nous est soumis.
J'aurais préféré rester à mon banc. Voilà quinze ans, je déclarais en effet que mon programme serait épuisé lorsqu'on ne parlerait plus de la Corse dans les médias nationaux. Ma présence à cette tribune sonne donc comme un aveu d'impuissance.
Plus que le texte lui-même, c'est la situation de la Corse que j'évoquerai devant vous.
Disons-le d'emblée, les accords de Matignon s'inscrivent dans la politique d'alternance, tantôt de fermeté, tantôt d'abandon, que l'Etat a pratiquée depuis vingt ans et que nous nous sommes épuisés à dénoncer.
Mais le calendrier de l'alternance corse ne saurait se confondre avec celui de l'alternance nationale.
Ainsi, de 1984 à 1988, Pierre Joxe et Charles Pasqua conduisent la même politique de fermeté républicaine et, de 1988 à 1995, la même politique d'abandon et de démission. Les gouvernements successifs ont toujours trouvé dans cette dialectique perverse de leurs prédécesseurs des alibis pour justifier, et à leur tour, pour des motifs nationaux, notamment l'élection présidentielle, cette politique d'abandon, de démission de l'Etat et de négociations clandestines.
C'est parce que nous étions conscients des dégâts et de la désespérance que ces changements de politique insulaire provoquaient dans l'opinion que, dès 1993, nous demandions à Charles Pasqua, puis au Premier ministre, Edouard Balladur, lors de sa visite en Corse - vous y étiez, monsieur le président - l'établissement d'une politique bi-partisane.
Toutefois, la visite en Corse de Lionel Jospin, le 6 septembre 1999, pouvait laisser enfin espérer - nous lui avions apporté notre totale adhésion - qu'une prise de conscience définitive allait inscrire l'action de l'Etat dans la durée.
Il n'est pas inutile de rappeler les propos prononcés ce jour-là devant l'Assemblée de Corse, propos dont on peut mesurer tout l'intérêt rétrospectif.
« Faut-il apporter des modifications au statut Joxe ? J'ai affirmé... devant l'Assemblée nationale que le problème de la Corse n'était pas aujourd'hui celui de son statut mais celui de la violence, »...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Alfonsi. ... « qu'une modification statutaire ne résoudrait en rien la question de la violence en Corse, que toute modification statutaire serait ruinée par la violence.
« Rien... depuis trois mois... n'a été de nature à changer cette appréciation. Certains Corses persistent dans la violence, d'autres dans l'ambiguïté envers le recours à la violence. Je le redis donc aujourd'hui avec la même force, aucune discussion institutionnelle ne peut avoir lieu tant que la violence est utilisée comme une arme du débat. »
Des orientations claires, que je résume, étaient données ce jour-là. « Il n'y a pas d'alternative à la politique de réappropriation de la République et de restauration de l'Etat de droit. On ne saurait dialoguer avec ceux qui refusent de dénoncer la violence. »
On connaît la suite. L'abandon de ce préalable confirme l'histoire des vingt dernières années, avec l'instauration d'une nouvelle politique qui nous a conduits aux accords de Matignon.
Nous pourrions, nous l'avons dit, accepter sans hésiter certaines dispositions du texte qui nous est soumis et qui auraient pu se suffire à elles-mêmes. Je pense notamment au programme exceptionnel d'investissement, aux dispositions fiscales que notre assemblée a très sensiblement améliorées, à des transferts de compétences qui ne sauraient souffrir de discussions.
Mais, plus que le texte lui-même, c'est l'exposé des motifs qui est pour nous inacceptable. Il est justifié par la nécessité de trouver une « solution politique ». Il en explicite les moyens en proposant la mise en place d'un processus dit de « sortie de crise ».
Le Gouvernement y a dévoilé l'inspiration et le ressort de sa politique. Ce qui est affirmé, c'est une politique évolutive, propre à satisfaire les nationalistes. Elle doit s'inscrire dans la durée. Plus que le contenu de cette politique, c'est son inspiration calédonienne qui doit être retenue.
Or la Corse n'est pas la Nouvelle-Calédonie, ni l'Irlande ni la Palestine. Parler, dès lors, d'un processus de paix est un non-sens dans une région qui n'est en guerre contre personne et où le concept de répression, souvent évoqué, est un abus de langage parce qu'il ne saurait exister dans un régime démocratique.
Et affirmer, comme a pu le faire Nicolas Sarkozy, qu'on fait la paix avec l'ennemi ne peut que nous laisser perplexes. Car, enfin, de qui se considère-t-il l'ennemi ?
Ainsi, c'est pour 2004, selon l'exposé des motifs, qu'est programmé le cataclysme constitutionnel que nous allons connaître.
Dans l'esprit des négociateurs, la réforme de 2004 trouvait sa justification dans la consécration d'un pouvoir législatif expérimental qui constitue une manière de reconnaître de facto le « peuple corse ». Nous n'en sommes plus là aujourd'hui.
L'article 1er s'est vidé de sa substance au fil des efforts du Gouvernement pour le rendre constitutionnel, c'est-à-dire inapplicable. L'« expérience », comme M. le rapporteur l'a souligné, pourra en effet débuter au mieux dans un an, compte tenu de la complexité des procédures de délégations et de contrôles qui sont instituées.
Mais cela importe peu à la famille nationaliste, dont les déclarations publiques tendent toutes à accréditer le caractère irréversible de la modification constitutionnelle, malgré la disparition de la cause qui était censée la justifier. Nous sommes ici au coeur du débat.
On sait que le référendum sera soumis à deux conditions suspensives : l'accord des pouvoirs publics en place et la fin de la violence. Or, tout se passe comme si ces deux conditions étaient passées par « pertes et profits », tant le discours officiel n'est jamais là pour les rappeler.
Voilà quinze jours, le FLNC, organisation clandestine dont personne n'ose jamais prononcer le nom, déclarait que son seul objectif était la réforme de 2004. Vous-même, monsieur le ministre, avez tellement intégré cette date que dans un article du Figaro, vous avez déclaré que 2004 n'était quand même pas l'« indépendance » !
Ces références communes, même si elles ne se rejoignent pas, montrent le caractère inéluctable de cette date déjà acceptée d'une certaine manière par vous-même.
Qui pourrait imaginer aujourd'hui que Lionel Jospin ne se considère pas tenu par ses engagements ? Qui pourrait croire un instant que l'opposition, demain aux affaires, pourrait rompre les termes de l'accord ? Le passé nous a appris que la gauche élabore les statuts et que la droite les applique.
Sur ce point, les nationalistes, plus intéressés par l'existence même de la réforme constitutionnelle que par son contenu, ont obtenu ce qu'ils voulaient.
Elle pose, à elle seule, un problème de fond. Est-il en effet acceptable que l'avenir de l'île fasse l'objet d'un vote singulier, dissocié de l'avenir des autres régions ?
Aux yeux de la famille nationaliste, seule compte cette différence. Il suffira, demain, que la réforme soit étendue à l'ensemble des régions françaises pour qu'on réclame, au nom de cette différence, une nouvelle modification institutionnelle.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Absolument !
M. Nicolas Alfonsi. On a prétendu qu'il n'y avait pas d'alternative au projet gouvernemental. Si vous alliez, nous dit-on, subordonner les discussions sur le statut de l'île à la renonciation à la violence, vous feriez le jeu des poseurs de bombes qui deviendraient les maîtres du jeu.
Quelle meilleure illustration de l'incapacité de l'Etat ? Et quel aveu d'impuissance, lorsque, au lieu d'affirmer haut et fort qu'il faut mettre les terroristes hors d'état de nuire, on prend acte de la violence, pour la considérer comme un élément permanent de la vie publique, et non pour la réduire !
En vérité, il y a peu de différence, dans le cadre d'une large décentralisation, entre nos propositions respectives. Le référendum national constitue notre seule divergence. On répète à l'envi que l'unité de la République n'est pas en cause, mais qu'elle ne saurait pour autant signifier l'uniformité. L'argument serait recevable si la diversité que sous-tend la fin de l'uniformité s'appliquait à d'autres régions. Or, il faut le répéter sans cesse, la réforme ne concernera que la Corse, dans le cadre de la recherche d'une solution politique et d'un processus qualifié d'irréversible.
Dès lors, si le pays peut s'enrichir de sa diversité, la Corse ne pourra que s'appauvrir de la singularité.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Paul Girod, rapporteur. La formule est belle !
M. Nicolas Alfonsi. On a invoqué la transparence des négociations. Mais en quoi la République serait-elle négociable au motif que la transparence serait totale, alors qu'il n'y a pas, dans une société démocratique, de « négociation », sauf quand celle-ci est organisée dans le cadre d'une procédure prévue à cet effet ?
On l'a justifiée au nom de la légitimité des élus. Certes, tous les élus de l'Assemblée de Corse sont l'expression des différentes sensibilités de l'opinion. Pour autant, le Gouvernement ne pouvait ignorer que tous les élus, en Corse, n'avaient pas le même statut. Ce n'est faire injure à personne que d'affirmer que les élus nationalistes sont considérés comme la vitrine légale d'organisations clandestines, c'est-à-dire de structures faisant pression sur l'Etat pour arracher par la violence ce qui ne peut être arraché par le suffrage.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Alfonsi. Reconnaître, dans ce cas, la légitimité des élus ne change rien à l'affaire.
Mes chers collègues, j'ai dit que mon programme serait épuisé quand on ne parlerait plus de nous dans les médias. Si le projet conduisait à ce résultat, n'ayant pas l'esprit chagrin, je serais le premier à m'en réjouir, l'intérêt de la Corse me paraissant transcender tous les autres.
Mais ce projet nous rejette, en vérité, un peu plus hors de la communauté nationale.
Depuis quinze ans, chaque événement grave en Corse a pris une dimension nationale. Le projet Joxe, avec le « peuple corse » que je combattais déjà voilà dix ans, l'assassinat du préfet Erignac, dont nous ne pouvons jamais évoquer la mémoire sans émotion, le pseudo-pouvoir législatif aujourd'hui, le référendum, demain, sont autant d'éléments qui, par strates successives et médias interposés, ont provoqué dans l'inconscient collectif national notre éloignement progressif.
Nous le vivons au quotidien en Corse, nous qui devinons inconsciemment que nous ne sommes plus tout à fait des citoyens comme les autres. Comment, au surplus, empêcher nos compatriotes continentaux de le penser ?
Sommes-nous prêts pour les nouvelles institutions que l'on veut bien nous donner ?
J'ai dit au Premier ministre « qu'il fallait renverser les termes du processus et que toute réforme institutionnelle devait être non le point de départ, mais l'aboutissement de la modernisation des esprits et des comportements », car on ne saurait changer la société corse par décret.
Prétendre que ce texte nous rendrait plus responsables revient à tirer un trait sur des relations sociales faites d'accommodements et de transferts permanents de responsabilités avec ceux-là mêmes qui en sollicitent d'autres.
Comment prétendre, enfin, que l'Etat, dont nous avons dénoncé les défaillances depuis vingt ans, serait présent demain plus qu'aujourd'hui quand un statut d'autonomie nous sera consenti, alors même que ceux qui le réclament ne rêvent que de sa disparition, au motif qu'on doit établir des liens avec l'Europe, tout en pratiquant vis-à-vis d'elle - on n'est pas à une contradiction près - la politique de la dérogation permanente ?
C'est parce qu'ils redoutent la disparition de l'Etat et un délitement de la France que certains combattent ce projet de loi au nom de la République.
C'est parce que je redoute un délitement de la Corse que je fais appel à la République.
Les déceptions éprouvées à son endroit ne nous rendent pas ingrats au point de la rejeter. Nous redoutons trop de devenir des citoyens de seconde zone.
Qui nous garantit que la violence disparaîtra alors que quinze mitraillages de gendarmerie ont été commis cette année, alors que la communauté corse a le sentiment que rien dans ce domaine n'a changé par rapport à la situation antérieure aux accords ?
Je le dis avec force, comment l'opinion ne serait-elle pas démoralisée par des images quotidiennes d'occupation des services de l'Etat et par des dossiers jetés par les fenêtres ? Au surplus, qui peut affirmer que la violence ne fera pas son miel, par la menace et le chantage, dans les rapports humains sociaux ou économiques, de manière insidieuse ou occulte ?
Comment des jeunes Corses, dans la concurrence moderne, pourraient-ils demain trouver leur place hors de la République compte tenu des préjugés injustement nourris envers eux ?
Seule la République nous évite l'enfermement et la balkanisation des esprits.
Elle seule nous donne des institutions qui, au nom de l'égalité et des droits, nous permettent de vivre une citoyenneté pleine et entière.
Comment admettre, enfin, que le Premier ministre ait accepté sans réagir qu'un membre de son gouvernement déclare qu'« il vaut mieux perdre la Corse que la République », comme si l'on pouvait perdre l'une sans perdre l'autre ?
Aussi, nous ne saurions le suivre dans son pari sur la Corse. Notre avenir ne saurait être soumis à de tels aléas. Notre île mérite mieux que d'être l'objet d'un pari.
Mes chers collègues, en conclusion, je dirai que ce qui compte, c'est moins ce qu'il y a dans ce texte que ce qui n'y est pas.
Le processus de Matignon et la nouvelle politique ont provoqué dans l'île des chocs profonds. L'immense majorité des Corses se sentent floués et exclus du débat. Nos concitoyens vivent intensément cette période d'incertitude. Ils redoutent, à bon droit, un avenir aux contours incertains.
Loin d'apaiser les passions, le projet du Gouvernement risque de les exacerber et d'accroître nos divisions au lieu de les réduire.
Le Gouvernement va s'acheminer, sans prendre conscience de la portée d'une telle décision, vers une réforme constitutionnelle. Pour les nationalistes, ce sera l'acte fondateur, pour ceux qui sont attachés à la République, un jour difficile à vivre, pour les apprentis sorciers de tous bords, un scrutin comme les autres.
Mais qu'on sache ici et maintenant que, contrairement à la pensée unique que tentent de véhiculer les grands médias nationaux, l'opération d'escamotage à laquelle on va se livrer risque de rencontrer des résistances.
La communauté corse a accepté depuis vingt ans avec patience et, souvent, il faut bien le dire aussi, avec lâcheté, les coups qui lui ont été portés. L'île, qui a donné des empereurs à la France, des cardinaux à Rome, des ministres à la République, mérite mieux que l'évolution néo-calédonienne qu'on veut lui imposer.
Les Corses seront très nombreux à le rappeler, le moment venu, à tous les gouvernements, de droite et de gauche, et à la nation tout entière. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur celles de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Autexier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Natali.
M. Paul Natali. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la Corse, je m'étais efforcé, dans mon intervention lors de la discussion générale, d'analyser ce texte sous un angle strictement technique. J'avais alors le ferme espoir que, loin des passions et dans un esprit ouvert et apaisé, les parlementaires des deux chambres, toutes tendances politique confondues, s'efforceraient d'aboutir à un accord conforme à l'intérêt de la Corse.
Hélas ! ce ne fut pas le cas. La commission mixte paritaire fut un échec, l'Assemblée nationale campant sur des positions figées. Même si la navette parlementaire n'est pas terminée, il apparaît d'ores et déjà qu'un consensus ne pourra pas être trouvé.
Vient donc aujourd'hui, pour l'élu corse que je suis, l'heure de dresser un bilan sur deux années de processus qui débouchent, pour l'île, sur un statut de plus et qui soulèvent de sérieuses réserves.
Le constat que je fais part d'une interrogation sur la double finalité que s'était initialement fixée le Gouvernement, à savoir le retour à la paix civile et le développement économique.
Concernant, tout d'abord, le retour à la paix civile, force est de constater que cet objectif n'est malheureusement pas atteint. Nous assistons en effet à une reprise de la violence en Corse, où des faits graves ont été commis, notamment contre les biens de l'Etat, mettant ainsi en péril les personnes.
Cette violence est injustifiable, surtout dans une phase de discussion démocratique. Elle démontre l'échec total du Gouvernement dans ce domaine. Nous avons ainsi la preuve qu'il est impossible, à long terme, de tenir dans un système reposant sur un jeu de dupes et sur des contradictions.
Pour ce qui est du développement économique, ce projet de loi prévoit, certes, la mise en place d'un dispositif intéressant, que le Sénat a d'ailleurs largement contribué à améliorer. Cependant - je le dis sans acharnement critique - je ne suis pas certain que le nouveau système sera aussi favorable que la zone franche. Cette dernière, malgré ses limites, a en effet démontré son rôle foncièrement dynamisant pour l'économie insulaire.
Sur cet aspect du développement économique, je note avec déception les mots virulents prononcés par le rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Bruno Leroux, au regard des avancées votées par le Sénat en première lecture. Pour justifier sa volonté de supprimer le bénéfice du crédit d'impôt en faveur de diverses catégories d'entreprises opérant dans des secteurs économiques porteurs en Corse, il a ainsi qualifié, de manière scandaleuse, les dispositions que le Sénat avait adoptées, de « distribution de prébendes » à caractère politique.
De tels propos illustrent malheureusement le fossé qui s'est creusé entre Paris et la Corse.
Pourtant, je tiens à l'affirmer haut et fort, la confiance dans les élus insulaires est le fondement de la réussite de ce projet de loi. Or il apparaît que ce n'est pas le cas.
Ainsi, le débat sur l'article 12 relatif à la loi littoral est particulièrement révélateur. Imagine-t-on que les maires corses vont se livrer à un bétonnage intensif pour peu qu'on leur en donne la possibilité ? C'est bien mal nous connaître ! Les élus corses sont des gens responsables, qui aiment leur île et qui y vivent ! Ils n'ont aucune envie de dénaturer leur environnement. Pour autant, nous souhaitons trouver un juste équilibre entre protection du littoral et développement harmonieux du tourisme.
Chacun en convient, le tourisme est le ferment du développement insulaire. Or l'effet levier ne pourra pas jouer si l'on ne permet pas de constructions, bien entendu limitées et respectueuses de la beauté du littoral.
Je proposerai donc la suppression de l'article 12, de façon que continue à s'appliquer en Corse la réglementation nationale issue des lois Voynet et Pasqua, qui sont très protectrices, mais moins restrictives que le dispositif que risque de prévoir le texte à venir.
Si, dès le début du processus, on avait associé aux discussions l'ensemble des élus corses, notamment les maires, on aurait évité ces déconvenues ! Mais tel fut le choix du Gouvernement et tel demeure le vice originel de ce texte.
Je terminerai mon intervention en abordant deux points essentiels : le plan exceptionnel d'investissement, d'une part, et l'aspect institutionnel, d'autre part.
Concernant le plan exceptionnel d'investissement qui a été présenté par le préfet la semaine dernière, je tiens à faire part de mes inquiétudes : s'il est bon, à l'évidence, d'accorder des crédits, encore faut-il préparer le terrain par une approche cohérente, une concertation, sans quoi le consommation des crédits risque d'être insatisfaisante.
Je citerai un exemple concret : la sortie sud de Bastia. Actuellement, il y a 10 kilomètres de route à quatre voies et nous attendons, depuis longtemps déjà, son prolongement.
Ce dossier a pris beaucoup de retard parce que son instruction a été lente et difficile. J'insiste donc sur la nécessité de bien réunir les conditions pour que les crédits soient effectivement consommés. Si tel n'était pas le cas, ce plan sera un échec.
Enfin, pour ce qui est de l'article 1er, il me semble que la rédaction du Sénat nous mettait à l'abri d'un rejet par le Conseil constitutionnel. Il apparaît en effet clairement, depuis la position exprimée par le Conseil d'Etat, que cette menace pèse sur le projet telle une épée de Damoclès. Mieux aurait valu reporter ce volet du projet de loi à 2004, dès lors qu'une réflexion, même au niveau national, aurait été engagée.
Je crois avoir soulevé les points essentiels sur lesquels je souhaitais revenir au cours de cette nouvelle lecture. Je regrette profondément la tournure qu'a pris l'examen de ce texte, notamment à l'Assemblée nationale.
Ce projet avait suscité de grands espoirs dans l'île. Craignons que la déception ne soit à la mesure de cette espérance initiale ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai brièvement aux orateurs, dont j'ai bien entendu les interventions. En effet, le débat ayant été long en première lecture, j'ai déjà, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, exposé la vision du Gouvernement sur la démarche en cours, sur son contexte comme sur l'ensemble des dispositions du projet de loi, et ce à l'occasion tant de la discussion générale que de l'examen des articles.
Je ne traiterai donc, en complément, que des sujets évoqués par différents orateurs qui méritent un développement, à savoir la légitimité des élus de l'Assemblée de Corse, l'enseignement généralisé de la langue corse, l'aménagement de l'espace et l'adaptation de la loi littoral, la violence et, enfin, l'action de l'Etat en Corse pour l'application de la loi.
S'agissant de la légitimité des élus de l'Assemblée de Corse, voilà maintenant dix ans - depuis la loi de 1991 - que l'Assemblée de Corse a compétence pour présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions concernant le développement économique, social et culturel de la Corse. La délibération de l'Assemblée de Corse n'appelle aucune critique à cet égard.
De plus, le même article 26 prévoit aussi que l'Assemblée de Corse est consultée sur les projets de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse.
S'agissant de la langue corse, je confirme que son enseignement dans l'horaire normal ne signifie pas son apprentissage obligatoire. La loi de 1991 prévoyait déjà un enseignement « dans le temps scolaire », et l'interprétation du Conseil constitutionnel pour les langues polynésiennes est la même que celle qui est faite de la loi de 1991.
Cela fait donc dix ans que la doctrine est fixée. Pourquoi faudrait-il rouvrir un débat sur cette question ?
Pour ce qui est du CAPES de corse, vous avez, monsieur le rapporteur, dénoncé une situation qu'aucun gouvernement n'a remise en cause. Or je souligne qu'il y a eu alternance depuis !
Au demeurant, si évolution il doit y avoir, elle ne nécessite pas une disposition législative particulière.
S'agissant de l'aménagement de l'espace et de l'adaptation de la loi littoral, les élus de Corse ont fait valoir, lors des discussions menées au premier semestre 2000, combien les spécificités du littoral de Corse le distinguaient des façades maritimes continentales, au point que la loi littoral n'offrait pas les mêmes possibilités qu'ailleurs de conjuguer protection et développement. Partageant ce constat, le Gouvernement avait proposé, dans l'article 12 du projet de loi, des dispositions qui permettaient d'atteindre cet objectif.
Ce texte encadrait rigoureusement les compétences de la collectivité territoriale et ménageait, à tous les stades de la procédure, une participation des institutions concernées, des associations et de la population au moyen de consultations et d'enquêtes publiques.
Ce texte avait été amélioré en première lecture par l'Assemblée nationale. L'excès n'était ni voulu ni possible.
La position du Gouvernement et des élus de Corse a pourtant été vivement critiquée jusqu'à la caricature. Les élus ont été accusés de vouloir bétonner la Corse, et le Gouvernement de leur en donner les moyens.
Votre assemblée a substitué à ce texte un dispositif rendant certes possibles de nouvelles urbanisations, mais dans des conditions de mise en oeuvre particulièrement complexes qui réservaient, de fait, cette possibilité, même si ce n'était pas votre intention, à des grandes unités foncières appartenant à de grands propriétaires, souvent importantes sociétés privées.
La remise au Conservatoire du littoral, sous réserve de l'accord de son conseil d'administration, de surfaces neuf fois supérieures à celles qui sont ouvertes à l'urbanisation est une condition dont je comprends le sens et la portée, mais qui reste difficilement compatible avec le morcellement de la propriété foncière en Corse.
On imagine, de fait, la difficulté d'obtenir l'accord de petits propriétaires pour geler des terrains au seul bénéfice d'un voisin plus chanceux. Aucune des parties au débat, en Corse, n'a exprimé son soutien à de telles dispositions ; personne non plus sur l'ensemble des bancs de l'Assemblée nationale.
Aussi l'Assemblée nationale entendait-elle revenir aux dispositions qu'elle avait adoptées en améliorant encore l'écriture du III de l'article 12. Lors des débats, j'ai pu constater qu'aucun consensus ne pouvait cependant se dégager sur cette importante et sensible question, et qu'une polémique allait à nouveau se développer.
Or le Gouvernement s'est toujours déclaré disponible pour renforcer le consensus autour de cet article, en étant prêt à contribuer à l'amélioration du texte, voire à sa modification.
Aussi ai-je soutenu l'amendement de suppression de cette partie de l'article, considérant que l'élaboration préalable du plan d'aménagement et de développement durable permettrait peut-être d'aborder à nouveau cette question dans de meilleures conditions.
Je suis en effet persuadé que les élus, dont c'est la volonté, auront à coeur d'élaborer un document dont la qualité fera taire, par elle-même, les caricatures et la polémique. Je maintiendrai cette position lors de nos débats.
S'agissant de la violence, les chiffres des attentats, homocides et tentatives sont significativement en diminution, rapportés à ceux que l'on a connus ces vingt-cinq dernières années. La violence n'a néanmoins pas cessé ; mais qui pouvait croire qu'elle cesserait du jour au lendemain ?
Depuis le début de l'année, 135 attentats ont été commis en Corse et 27 ont été revendiqués ou ont fait l'objet d'une saisine de la section antiterroriste du parquet de Paris. Cette situation reste inadmissible, mais il faut rappeler, pour apprécier justement la réalité, que l'on décomptait 290 attentats en 1997, 336 en 1996 et 350 en 1995.
S'agissant des homicides et tentatives, nous en dénombrons 42 en 2001, tendance qui reste à la baisse depuis la seconde moitié de la dernière décennie - il y en avait eu 57 en 1995 et 63 en 1994 et 1993. Sur ces 42 affaires, trois assassinats et deux tentatives sont à connotation « politique », c'est-à-dire revendiqués ou ayant fait l'objet d'une saisine de la section antiterroriste. Dix-sept sont considérés comme des règlements de compte et les dix-neuf autres ont été commis pour des mobiles divers sans rapport avec la criminalité organisée.
Les enquêtes abouties établissent que l'essentiel des homicides et attentats commis ces derniers mois relèvent du banditisme. Là encore, je veux vous confirmer que les services chargés de la sécurité dans l'île ont pour seule consigne de présenter à la justice toutes les personnes que celle-ci recherche.
Ces services travaillent maintenant dans une cohésion qui a souvent fait défaut dans le passé. Leurs rapports avec la justice sont redevenus confiants, comme en témoigne la justice elle-même, qui passe sans que rien ne vienne, maintenant, porter atteinte à son indépendance.
Certains avancent que ces actes restent impunis. Je m'inscris en faux contre de telles allégations délibérément mensongères.
Sur les 42 homicides et tentatives de cette année, seize affaires ont été déjà résolues dans des délais très courts, leurs auteurs présumés interpellés et mis à la disposition de la justice.
S'agissant des attentats élucidés - je rappelle que le taux d'élucidation progresse - plusieurs d'entre eux peuvent être imputés à une même personne au fil des enquêtes. Par ailleurs, le nombre d'auteurs détenus pour de tels faits était de 51 au 31 octobre 2001, donc en progression y compris, ce qui est nouveau, pour les « mitrailleurs de gendarmerie. »
Ces informations que je livre à la représentation nationale sont exactes. La gravité des faits en question ne peut s'accommoder en effet de l'imprécision, et moins encore de la falsification. Elles témoignent aussi de la mobilisation des services.
J'ajoute que je n'ai jamais, comme d'autres l'ont fait, discuté avec des clandestins et que je n'entends pas céder à la violence.
Vous nous reprochez de placer les nationalistes au coeur du débat, mais c'est vous qui le faites en permanence, après avoir tenté de pactiser avec ceux qui agissaient dans la clandestinité et la violence.
Dans la même logique, vous ne faites à aucun moment allusion à vos amis politiques en Corse ;...
M. Dominique Braye. La Corse ne mérite pas de telles provocations ; elle mérite de la sérénité !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... le président du Conseil exécutif ou le président de l'Assemblée de Corse, ici présent, que je salue.
Sur les quarante-quatre élus qui se sont exprimés en faveur du projet, trente-six ne sont pas, que je sache, des nationalistes. Une très large majorité d'entre eux sont d'ailleurs vos amis.
Je le dis pour détendre l'atmosphère - elle n'est d'ailleurs pas tendue - la seule solution, semble-t-il, que vous proposiez, c'est la dissolution. Cela devient une coutume sur certaines travées !
M. Dominique Braye. Pensez plutôt à la Corse !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Seuls huit élus se réclament d'une sensibilité nationaliste. Il faut dire les choses telles qu'elles sont, surtout à l'opinion.
J'en viens maintenant à l'action de l'Etat en Corse pour l'application de la loi.
Je ne souhaite pas me contenter ici d'affirmer des intentions ou des principes, ce qui est somme toute aisé. Je veux aussi faire valoir des résultats, ce qui est singulièrement plus convaincant.
L'action pour le respect des lois est, et demeure, une priorité des services de l'Etat en Corse.
C'était déjà, pour les services, une orientation prise de longue date, mais cette orientation est devenue une priorité explicite, qui s'est généralisée à l'ensemble de l'action administrative, notamment dans les secteurs désignés par les inspections générales en 1998.
Le respect des lois a été inscrit au premier rang des priorités retenues par le projet territorial de l'Etat en Corse, qui a été approuvé le 7 mars 2001.
Aujourd'hui, cet effort se poursuit. Les services travaillent. Le cap est et sera maintenu.
Les résultats sont là.
Le contrôle de légalité s'est beaucoup développé, en quantité et en qualité. Les indicateurs d'activité dépassent radicalement toutes les moyennes nationales.
S'agissant du contrôle budgétaire, les déficits des grandes communes ont été dépistés et signalés à la chambre régionale des comptes.
L'Etat a assuré la maîtrise de l'urbanisme sur l'ensemble de la chaîne : doctrine, planification, décision, contrôle, surveillance et exécution des jugements.
S'agissant des listes électorales, les effectifs n'ont toujours pas retrouvé le niveau d'avant 1992. Lors de la révision 2000-2001, qui précédait les municipales, le contrôle a atteint une ampleur sans précédent.
S'agissant par ailleurs des polices administratives, les procédures - armes, explosifs, etc. - ont été renforcées. La récupération des armes illégalement détenues est bien avancée.
S'agissant, enfin, des prestations sociales, les réorganisations et les plans de contrôle ont produit une baisse très sensible du nombre de bénéficiaires du RMI et de pensionnés - entre 15 % et 25 % suivant les indicateurs, en deux ans.
Il faut aussi citer trois autres points.
Le premier est le plan d'action pour le respect de la loi fiscale. Les retards de déclaration de TVA de plus de six mois sont passés de 43 % en 1993 à 1 % en 2000 et, en matière de recouvrement, l'écart à la moyenne nationale a été réduit de moitié entre 1997 et 2000.
Le deuxième vise la gestion des fonds européens : les procédures ont été complètement reconstruites pour garantir le bon emploi et le contrôle des deniers publics.
Le troisième concerne la lutte contre le travail clandestin. Le nombre des déclarations préalables à l'embauche a augmenté de 53 % entre 1997 et 1999, et à nouveau de 23 % en 2000.
En cette manière comme dans d'autres, je regrette que la réalité soit souvent caricaturée sur le continent. Les instructions du Gouvernement sont claires et constantes : la loi républicaine doit s'appliquer en Corse, comme ailleurs, sans faiblesse, mais sans acharnement non plus. Pourquoi faudrait-il que la Corse soit plus vertueuse que d'autres régions ? Pourquoi ses élus seraient-ils considérés comme moins responsables et moins compétents ?
Je tiens à souligner le travail remarquable effectué par l'ensemble des fonctionnaires qui servent en Corse. Je n'ai jamais manqué de les assurer du soutien du Gouvernement quand ils ont été victimes d'agression.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais vous donner, y compris, dans la dernière partie de mon intervention, sur le rôle de l'Etat. Les chiffres que je vous ai fournis sont incontestables, même s'ils gênent un certain nombre d'élus sur ces travées ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)

Exception d'irrecevabilité